M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la majorité de la commission des affaires sociales s’est prononcée en faveur de la suppression de l’article 1er de la présente proposition de loi, dont nous débattons à cette heure tardive. Mais la question posée reste évidemment entière !
Refuser qu’une personne – il faut avoir les termes de l’article en tête – « capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » puisse demander à bénéficier, dans les conditions prévues par la proposition de loi, d’une assistance médicalisée à mourir rapidement et sans douleur contraindra – nul ne l’ignore – le malade soit à recourir à une aide frauduleuse, voire à se déplacer à l’étranger s’il le peut, soit à souffrir continuellement jusqu’à la mort !
Adoptée après la médiatisation d’une affaire qui a déjà largement été évoquée, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, marque une avancée majeure pour les soins palliatifs, mais elle est malheureusement insuffisamment mise en œuvre aujourd'hui. Surtout, elle n’est, triste paradoxe, d’aucun secours dans un tel cas !
Il aura fallu apporter « la démonstration contre le droit, contre la loi, que donner la mort peut être aussi un acte d’amour, de compassion et de responsabilité » pour n’aboutir qu’à « cette unique solution » : « […] cesser de le nourrir. Le laisser mourir de faim, mais entouré des siens, et surveillé par une équipe médicale. […] À quoi ressemble une société qui se satisferait de pareils faux-fuyants ? Et que reste-t-il d’humanité dans cette proposition-là ? » Tel était l’amer constat du docteur Frédéric Chaussoy.
Resteraient donc le silence, la clandestinité et l’hypocrisie ?
À l’opposé, c’est une loi de protection, de responsabilité et d’humanité qui est aujourd’hui soumise à notre réflexion. Au contraire de décisions abandonnées au libre arbitre du corps médical, et nombre d’entre vous ont témoigné des souffrances des médecins eux-mêmes confrontés à cet affreux dilemme, c’est leur offrir la garantie d’actes réfléchis, encadrés et dépénalisés.
Pour quelle raison refuser ces garanties légales aux malades qui le veulent et aux médecins qui le réclament ?
La rationalité n’y trouve pas son compte, de même qu’elle n’y trouvait pas son compte en 1975 dans le débat sur l’interruption volontaire de grossesse, celui des souffrances imposées contre la liberté alors refusée aux femmes !
Il est vrai qu’il était encore proposé dans cet hémicycle – mais c’était il y a une vingtaine d’années -, à l’occasion d’une refonte du code pénal et du code de procédure pénale, de rétablir le délit d’auto-avortement de la femme sur elle-même !
Mais le législateur a su évoluer, reconnaître et garantir toujours mieux la dignité de la personne malade avec les dispositions sur le traitement de la douleur en 1995, le droit d’accès aux soins palliatifs en 1999, les droits des malades en 2002, ainsi que le droit de refuser toute investigation ou thérapeutique, même si ce refus met la vie en danger.
La possibilité pour chaque individu d’accéder à une mort digne, sans souffrance, s’inscrit dans une telle continuité, et n’en est que l’aboutissement.
La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Mais, dans ce cas, à la liberté de qui l’exercice du libre choix de mourir porte-t-il atteinte ? Au nom de quelle autre liberté protégée pouvez-vous sanctionner la mienne ?
En cet instant, je pense simplement aux dernières paroles de Roger Quilliot : « Notre choix de la mort est un acte de liberté. » Cette liberté est essentielle, respectable et mérite d’être préservée. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 rectifié est présenté par M. Barbier et Mme Desmarescaux.
L'amendement n° 21 rectifié quinquies est présenté par Mme Hermange, MM. P. Blanc et Gournac, Mmes Debré, Rozier, Henneron et Kammermann, M. Gilles, Mme Deroche et MM. Lardeux, P. Dominati, Leleux et Gouteyron.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article 1er est très important, car il vise à reconnaître un droit à l’aide active à mourir. Ce faisant, il va à l’encontre des textes fondamentaux qui régissent notre droit, qui ont pour vocation première de protéger le droit à la vie de tout individu et de porter assistance aux personnes les plus vulnérables et en situation de danger, ce qui est précisément le cas des personnes atteintes d’une affection « grave et incurable ».
Bien qu’absente de notre corpus législatif, l’interdiction de l’euthanasie constitue l’une des applications du principe d’indisponibilité du corps humain. Elle est pénalement réprimée et peut constituer un meurtre, un homicide involontaire, un délit de non-assistance à personne en danger, un empoisonnement ou une provocation au suicide.
Faut-il distinguer dans notre droit l’euthanasie active, qui suppose le geste d’un tiers, de l’euthanasie passive, qui serait l’arrêt des traitements, sinon palliatifs, et qui abrégerait la vie dans le cas de maladie incurable ou de situation désespérée ?
Cette terminologie est assimilée pour certains au refus d’acharnement thérapeutique, devenu légal par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui autorise le médecin à limiter ou à arrêter un traitement concernant une personne « hors d’état d’exprimer sa volonté », alors que « la limitation ou l’arrêt de traitement » seraient susceptibles de « mettre sa vie en danger ».
Aux termes de cette loi, qui a modifié les articles L. 1111-4 et L. 1111-3 du code de la santé publique, le médecin peut aussi limiter ou arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie. Un décret du 6 février 2006 précise les conditions dans lesquelles une telle décision peut être prise.
Curieusement, l’article 1er, tel qu’il est proposé, occulte le terme d’« euthanasie active » ; pourtant, c’est bien ce qui est demandé. Cela traduit peut-être trop toute la violence que contient l’acte de mort donnée par un tiers. Alors, euthanasie active pour répondre à quelles aspirations ? Pour reconnaître à la personne malade le droit au « respect de sa dignité » ? Ne parlons pas de dignité dans cette affaire !
Pour répondre à certains cas dont les auteurs des propositions de loi reconnaissent qu’ils sont rares, des personnes que l’arrêt de traitement ne suffirait pas à soulager et qui ne souhaiteraient pas être plongées dans le coma pourraient demander lucidement une aide active à mourir.
Voici ce que les auteurs d’une des propositions de loi écrivent : « Nous ne pouvons pas laisser aux médecins ni aux proches des malades le poids d’une telle responsabilité ; au contraire, nous devons l’assumer collectivement. Dans un État de droit, la seule solution est celle de la loi : une loi visant non pas à dépénaliser purement et simplement l’euthanasie, mais à reconnaître une exception d’euthanasie strictement encadrée par le code de la santé publique. »
Bien curieusement, le terme d’« exception d’euthanasie » n’apparaît jamais dans le texte proposé. L’article 1er évoque une « assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur ». Et les articles suivants changent la terminologie !
Mais le problème majeur et fondamental posé par cet article réside dans la signification de certains termes, qui méritent d’être explicitée. Je pense à des expressions comme « phase avancée ou terminale » ou « affection […] grave et incurable ». À l’évidence, de tels termes comportent une part de subjectivité et un flou d’appréciation qui autorisent toutes les dérives.
M. le président. Veuillez condenser votre propos, mon cher collègue.
M. Gilbert Barbier. Mais ce qui apparaît le plus lourd de conséquences est l’expression « souffrance psychique ». Il s’agit bien du grand danger de cette proposition de loi, qui permettrait des interprétations très différentes pour des personnes fragiles diminuées physiquement par la maladie ou par l’âge et dont le discernement pourrait se trouver altéré.
À ce niveau, il s’agit non pas d’une « discussion ésotérique empreinte de fausse théologie », mais bien d’un diagnostic médical pour le moins délicat à porter en toute objectivité.
C’est pourquoi je vous demande de voter cet amendement de suppression de l’article 1er, mes chers collègues.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour présenter l'amendement n° 21 rectifié quinquies.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Cet amendement est identique. Je ne reviendrai donc pas sur les arguments qui viennent d’être développés par notre collègue Gilbert Barbier. Je souhaite simplement rappeler quelques éléments.
D’abord, cet article 1er entre en contradiction avec le droit européen.
Ensuite, les mesures contenues dans cet article sont fondées sur une évaluation de la souffrance. Or comment peut-on définir la souffrance, notamment psychique, face à la complexité des situations auxquelles nous serons confrontés ? Et comment instituer un droit objectif à partir d’une évaluation subjective, même établie par un médecin ?
On nous dit que cette disposition concerne uniquement les personnes majeures. Je rappelle que la majorité va de dix-huit ans jusqu’à l’âge de la mort, mais quid si on applique la majorité sanitaire, qui est de seize ans et trois mois ? Cet article pose donc bien un problème dans la détermination de la volonté du mineur.
Toutes ces raisons et celles que j’ai évoquées tout à l’heure me conduisent, avec un certain nombre de mes collègues, à déposer cet amendement de suppression.
Nous voulons parler au nom de celles et de ceux qui ne s’expriment pas. M. Autain a évoqué tout à l’heure le cas Humbert. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Il n’a pas parlé du cas Humbert, il a lu une lettre !
Mme Marie-Thérèse Hermange. J’ai également reçu une lettre, de Mme Pavageau, dont je vais vous donner lecture d’un extrait : « Qui pourra me dire, les yeux dans les yeux, que ma dignité est atteinte ? Oui, je suis tétraplégique depuis vingt-six ans, j’avais vingt-neuf ans, je ne peux accomplir aucun geste de la vie ordinaire, ma dépendance est totale, aussi je ne peux me résoudre à une entorse à ce bien inaliénable qui est la vie. »
M. Bernard Piras. Mais enfin, on n’oblige personne !
Mme Marie-Thérèse Hermange. « Avez-vous songé au désarroi provoqué chez les personnes qui vivent ma situation ? Devons-nous avoir le sentiment d’être inutiles, de déranger ?
« En ce début d’année permettez-moi de vous souhaiter d’avancer dans la réflexion, parfois difficile ; la compassion ne peut rimer avec la suppression, même demandée, même légale. »
C’est aussi pour ces personnes que je demande la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. La commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques de suppression de l’article 1er, après avoir émis un avis favorable sur l’article 1er le 18 janvier dernier…
Vous comprendrez, mes chers collègues, qu’à titre personnel je sois opposé à cette suppression, pour des raisons très claires. Mon intervention dans la discussion générale me tiendra lieu d’explication de vote.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement est favorable aux deux amendements identiques de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.
Mme Muguette Dini. Comme vous le constatez, pour expliquer mon vote, j’ai quitté le banc de la commission, mes chers collègues.
En effet, je vais exprimer ici mon avis personnel et en aucun cas celui de la commission des affaires sociales ni celui de mon groupe.
Ce point étant précisé, je voterai contre les amendements qui visent, en fait, à supprimer cette proposition de loi.
La raison absolument essentielle est que je considère que chaque être humain dans la situation décrite à l’article 1er de ce texte a le droit de décider ce qui est bon pour lui. Il a le droit de décider de ce qui, pour lui, est la bonne mort ou la mort douce, traduction des termes grecs qui composent le mot « euthanasie ».
Chacun, ici, l’a dit et répété, la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est une bonne loi, mais à deux conditions : elle doit être correctement appliquée et elle doit être universelle. Pour l’instant, ces deux conditions sont régulièrement bafouées. Quand bien même elles seraient satisfaites, le reproche que je ferai à cette loi est qu’elle confie à une autre personne ou à un groupe de personnes la responsabilité du moment de ma mort. (M. Jean Desessard applaudit.)
Alors que j’ai vécu en exerçant ma liberté et ma responsabilité, pourquoi ma fin de vie, si elle me place dans la situation dramatique que nous visons, devrait-elle être le seul moment qui échappe à ma décision ?
Qui peut décider, à ma place, du bon moment pour quitter une vie devenue douleur et souffrance ?
Qui peut décider, à ma place, de ce que je considère comme supportable ou non ?
M. René-Pierre Signé. Très bien !
Mme Muguette Dini. Qui peut décider, à ma place, que, même si mes douleurs physiques sont apaisées, je dois supporter des souffrances morales ou psychologiques ?
Qui peut décider, à ma place, de me priver d’un adieu lucide et serein, entourée de ceux que j’aime et qui m’aiment ?
Pourquoi me voler cette ultime liberté ?
Mes chers collègues, ce texte n’impose à personne une mort non désirée. Seuls ceux qui en auront fait la demande claire et réitérée pourront obtenir l’assistance médicalisée pour mourir.
Ne vous arrogez pas le droit de décider pour ceux qui, lucidement, en ayant, le cas échéant, rédigé des directives anticipées, ont choisi le moment de mettre fin à leur souffrance et bien souvent à celle de leur entourage !
Ne leur volez pas leur ultime liberté ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Pignard. Le général de Gaulle – Eh oui ! c’est un centriste qui le dit – déclara un jour qu’il fallait aller vers l’Orient compliqué avec des idées claires.
Mme Isabelle Debré. Des idées simples !
M. Jean-Jacques Pignard. Au temps pour moi…
Ce soir, nous avons navigué longuement vers l’Orient compliqué, vers ce mystère de la vie et de la mort que personne, ici, ne peut véritablement appréhender, qu’il croie ou non au ciel.
Je naviguerai donc personnellement vers cet Orient compliqué avec des idées claires, et simples, ma chère collègue. Je n’ai pas reçu de ceux qui m’ont envoyé ici le mandat de légiférer sur la vie et sur la mort, de légiférer sur le mystère.
En conséquence, comme l’énorme majorité du groupe de l’Union centriste, et avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour Muguette Dini, je voterai les deux amendements identiques de suppression. (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste ainsi que sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Il est clair, au vu des propos qui ont été les miens tout à l’heure à la tribune, que je voterai ces deux amendements.
Je trouve dans l’intervention de François Autain une raison supplémentaire de voter les amendements de Gilbert Barbier et de Marie-Thérèse Hermange. Nous avons également reçu le courriel dont il nous a donné lecture, celui d’une femme handicapée, divorcée, de cinquante-deux ans, en mal de vivre, mais pas obligatoirement en fin de vie, et qui demande qu’on l’aide à terminer sa vie.
En réalité, cette personne n’est pas en fin de vie et elle demande un suicide assisté. Selon François Autain, il faudrait lui donner satisfaction, alors qu’un traitement psychiatrique suffirait à la soigner et à lui permettre de vivre de nouveau d’une manière convenable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Cette explication vaudra pour l’ensemble des votes qui auront lieu sur ce texte.
Ma décision a précédé depuis un moment nos débats, car elle est le fruit de mes convictions profondes ; non pas de mes convictions politiques ou religieuses, mais des convictions qui me sont dictées par mon attachement à une certaine idée de la morale laïque et de l’éthique.
Si je me félicite de la qualité des débats de cette nuit, débats qui ont eu le mérite d’aborder au fond la question importante de la fin de vie et de l’application réelle de la loi Leonetti, je regrette profondément les pressions de tous bords auxquelles nous avons été soumis :…
Mme Isabelle Debré. Ah ça, c’est sûr !
Mme Odette Herviaux. … courriers, mails en grand nombre, exemples poignants que certains ont repris. Malheureusement, les cas particuliers ne peuvent pas faire loi, même s’ils sont dignes de compréhension et de compassion.
En revanche, les arguments extrêmes, parfois les invectives, voire les menaces à peine voilées de certains groupes de pression de part et d’autre, ne sont pas acceptables dans un débat où la clause de conscience doit jouer.
C’est pourquoi, même si je comprends et peux partager les raisons qui ont amené les auteurs de ce texte à le présenter, même si je pense que les marges d’amélioration de la loi Leonetti sont énormes, je ne peux et je ne veux associer ce soir ma voix à aucune des positions avancées par les uns ou par les autres. C'est la raison pour laquelle je suis décidée à ne participer à aucun des votes sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, pour explication de vote.
M. Philippe Darniche. En votant, en 2005, la loi Leonetti sur la fin de vie, nous avions choisi la voie de la sagesse en écartant à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie pour mettre en place une grande politique de développement des soins palliatifs qui réponde, selon la majorité des médecins et des familles interrogés, à la souffrance extrême des malades et des personnes âgées en fin de vie.
Légaliser l’euthanasie serait, selon moi, une grave erreur parce qu’elle conduirait à l’échec de la médecine. Ce serait aussi une erreur sur le plan tant juridique et moral que philosophique.
Une telle décision conduirait à l’échec de la médecine, car ce serait reconnaître l’impuissance de cette dernière à faire face à une situation d’extrême souffrance pour laquelle elle ne proposerait qu’une seule solution : la mort. L’euthanasie est une réponse brutale et sans issue, en contradiction absolue avec la mission même du soignant, qui est de lutter pour la survie de son patient, et avec les immenses progrès accomplis pour améliorer la prise en charge de la fin de vie.
Si cette demande vient du malade, elle est la preuve d’une détresse infinie justifiée par la souffrance physique et morale. À cette détresse et à ce désespoir, le médecin doit-il répondre par l’acte de mort ?
Est-il acceptable, par ailleurs, que les médecins et les infirmiers ne puissent vivre en paix et soient obligés de souffrir du souvenir d’avoir donné la mort au malade ?
Il me semble que ce serait également une erreur sur le plan juridique, car une telle décision reviendrait à ignorer les grands principes du droit – un certain nombre de mes collègues ont mis l’accent sur ce point –, qui nous obligent à respecter la dignité de la personne humaine, du commencement de la vie jusqu’à l’heure dernière.
Nous, parlementaires, qui votons la loi, devons avoir le souci permanent du droit et de ce qu’il nous enseigne. Tous les principes de notre droit civil ou de notre droit pénal nous font obligation de respecter l’intégrité physique de la personne vivante, car leurs inspirateurs ont produit et rédigé un droit à la vie qui repose sur le caractère inviolable du corps humain.
Les défenseurs de l’euthanasie nous diront que le consentement de l’intéressé justifie cette entorse au droit. Mais le consentement d’une victime ne peut pas plus justifier l’euthanasie qu’il ne justifie d’autres infractions ! Un homicide – le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre, c’est la définition du code pénal – ne peut être conforme, quoi qu’on en dise, ni à l’intérêt général ni même à l’intérêt de la victime !
Enfin, ce serait une erreur sur le plan moral et sur le plan philosophique, car une société doit se structurer par un certain nombre de règles que l’on se donne en commun, et l’on ne peut présenter la demande de mourir comme un droit. On ne peut pas avoir un droit à mourir comme on a un droit à la sécurité sociale, un droit à la retraite, un droit à l’information ou à liberté d’expression.
Légaliser l’euthanasie conduirait à accepter de bâtir une société où chacun peut décider si la vie vaut la peine ou non d’être vécue. Sans respect du principe d’humanité, il ne peut y avoir de liberté. Notre société individualisée réclame plus de solidarité et d’humanité.
C’est parce que les gens sont seuls et désespérés qu’ils ont recours à l’idée de la mort. Soigner la maladie, accompagner la vieillesse et la souffrance jusqu’au bout est un devoir qui engage la société tout entière, car la grandeur et la dignité de l’homme l’obligent. Vous aurez donc compris, mes chers collègues, le sens de mon vote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.
M. Ronan Kerdraon. Si nous votions la suppression de l’article 1er, nous serions en totale contradiction avec toutes nos interventions de ce soir. Nous nous prononcerons donc contre ces amendements.
Je souligne que l’intervention de Mme Dini, par ailleurs présidente de la commission des affaires sociales, intervention d’une très grande qualité, illustre parfaitement la problématique dans laquelle s’inscrit cette proposition de loi, car c’est bien de notre ultime liberté qu’il s’agit. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Je serai très bref, monsieur le président : je suis l’auteur de l’une des propositions de loi qui font l’objet de ce débat ; je suis intervenu dans la discussion générale pour exposer ma position ; je voterai bien évidemment contre les amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je ne sais pas quel sera le résultat de ce vote, mais je voterai contre ces amendements de suppression. Il serait cependant souhaitable que, dans ce débat, nous développions tous des arguments raisonnables.
Premièrement, tout le monde se félicite de l’organisation de ce débat et souhaite que la discussion continue : très bien ! Dans ce cas, parlons des mêmes choses !
M. le ministre nous a dit tout à l’heure que les dispositions contenues dans cette proposition de loi n’auraient pas permis de résoudre le cas de Vincent Humbert. Au contraire, tel est précisément l’objet de cette proposition de loi ! Qu’il nous dise donc quels sont les manques de ce texte qui empêcheraient d’apporter une véritable solution. Cette proposition de loi vise en effet à légaliser un certain nombre de situations, afin qu’elles ne donnent pas lieu à un procès. Il est effectivement des situations extrêmement graves qui justifient la création d’un cadre juridique spécifique. Discutons-en !
Si certains de nos collègues nous disent ensuite qu’ils ne veulent pas s’engager moralement dans ce processus, c’est leur droit ! M. Barbier déclare que, si l’on accepte d’avancer dans cette voie, on ne sait pas où l’on s’arrêtera. Diverses positions sont possibles dans ce domaine, mais ne niez pas qu’il y a aujourd’hui un grand vide juridique !
Deuxièmement, quand une personne souffre au point de ne plus pouvoir bouger et que l’on nous dit qu’elle ressent avant tout un besoin d’amour auquel il faut répondre, dans quel monde vivons-nous ? Soyons sérieux ! La majorité de nos concitoyens vivent seuls dans des conditions difficiles. Si vous le souhaitez, nous pouvons nous donner six mois pour améliorer ce texte ; mais dans six mois, la situation sera la même !
Vous avez le droit de dire, comme Mme Hermange, que vous êtes moralement en désaccord et que vous préférez que les gens souffrent… (Vives protestations sur les travées de l’UMP.) Je retire l’expression ! Disons que vous préférez que la personne aille au terme de son existence sans pouvoir choisir les modalités de sa fin de vie. C’est un débat moral…
M. Alain Gournac. Non ! Éthique !
M. Jean Desessard. Moral ou éthique, comme vous voudrez ! Mais ne mélangeons pas tout : nous souhaitons instaurer un cadre juridique pour régler des situations aujourd’hui insupportables. Il faut encore y travailler, mais ne reprochez pas à cette proposition de loi de ne pas créer ce cadre, répondez aux vraies questions ! Nous proposons un cadre juridique accordant à chacun le droit de décider de sa fin de vie : telle est la philosophie de cette proposition de loi ! Ne la déformez donc pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen de cet article 1er et des amendements de suppression, dont l’un est déposé par mon confrère Gilbert Barbier, me donne l’occasion d’insister à double titre, en tant que parlementaire et en tant que médecin, sur un point. Je souhaite en effet vous parler de la confiance nécessaire entre le médecin et son patient.
Cette confiance ne va pas de soi. Elle doit s’établir et se préserver, au prix de grands efforts par l’ensemble des parties : le médecin, son patient et la famille de ce dernier. Dans le cadre de cette nécessaire relation de confiance, je ne crois pas bon d’accorder au médecin la faculté de mettre intentionnellement fin aux jours de son patient, …
M. René-Pierre Signé. C’est un collège de trois médecins qui se prononce !
M. Alain Houpert. … – et peu importe le fait que ce dernier lui ait donné son consentement préalable ou que la famille de ce dernier presse le praticien en ce sens –, car ce serait faire du médecin un exécutant.
Ma conception de la médecine est holistique. Je crois qu’il revient au médecin de se battre pour la santé et de ne se battre que pour la santé de son patient. J’admets volontiers qu’il en va différemment pour un vétérinaire – nous en comptons de nombreux parmi nous ! –, qui doit se poser la question de l’utilité ou non de prodiguer des soins à un animal.
S’agissant d’un patient, les termes du débat sont différents. Il n’est pas question d’utilité ; le problème n’est pas de peser le pour et le contre, ou encore le coût de la prise en charge. On tronque aussi le problème en le réduisant à un choix entre acharnement thérapeutique, d’une part, et euthanasie, d’autre part. En réalité, il y a non pas un choix à faire, mais un juste milieu à rechercher, un bon équilibre à trouver. Dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, comme aux Pays-Bas, il apparaît qu’une certaine défiance s’est installée à l’égard des hôpitaux. C’est dommage !
Plutôt que de légiférer dans la précipitation et de trancher sans prudence sur cette question fondamentale, ne serait-il pas préférable de développer la médecine palliative sur l’ensemble de nos territoires ? D’expérience, les praticiens savent que les personnes ainsi prises en charge demandent non plus à mourir, mais à dire « au revoir » à leurs proches dans la dignité.