M. François Autain. Cet article, dans la logique du précédent, tend à relever de deux années l’âge permettant de bénéficier d’une pension de retraite à taux plein quelle que soit la durée de cotisation atteinte.
Il s’agit d’un article fondateur dans la mesure où l’allongement de la durée de cotisation contraindra la plupart des salariés à prolonger leur travail au-delà de 62 ans, n’ayant pas le nombre de trimestres suffisants pour partir avec une retraite à taux plein.
Actuellement, 18 % des assurés liquident leur pension à 65 ans, dont 60 % de femmes et 40 % d’hommes.
Ainsi, selon M. le ministre, 22 % de la population féminine part aujourd’hui à la retraite à 65 ans, contre 13 % des hommes seulement. Cela témoigne, on le savait déjà, d’une discrimination à l’égard des femmes.
De plus, M. le ministre n’a de cesse de nous parler du libre choix du départ à la retraite entre 62 ans et 67 ans. Mais si un salarié n’a pas le nombre de trimestres suffisant pour partir avec une retraite à taux plein, en quoi est-ce un libre choix ? Le choix de gagner moins ? La liberté de choisir le montant de sa décote, à raison de 5 % par an ?
Ainsi, pour une retraite de 800 euros, une décote de 5 % représente tout de même sur deux ans 80 euros, ce qui est énorme à la fin du mois. Vous laissez donc le libre choix de toucher une toute petite retraite ! Voilà à quoi se résume votre liberté !
Pour un Président de la République qui voulait revaloriser le travail et le pouvoir d’achat, c’est raté, et ce sur les deux fronts.
Enfin, le passage de 65 ans à 67 ans de la retraite à taux plein concerne non seulement les femmes, mais également tous ceux qui sont dans une situation précaire : ceux qui connaissent de plus en plus de périodes de chômage, que ce soit en début de carrière professionnelle, parce qu’ils n’arrivent pas à entrer dans le monde du travail – et il s’agit souvent des personnes ayant le moins de qualifications –, ou en fin de carrière professionnelle, parce qu’on les « jette » au motif qu’ils ne sont plus assez compétitifs.
Eu égard aux modifications que vous avez apportées à leurs droits, monsieur le ministre, des chômeurs terminent leurs carrières professionnelles sans ASSEDIC et sans ASS, l’allocation de solidarité spécifique, et même sans RMI ni RSA s’ils sont en couple ou vivent avec leurs enfants, car les revenus familiaux sont alors pris en compte.
On sait que 80 % des personnes qui prennent aujourd’hui leur retraite à 65 ans ne sont plus en situation d’emploi. Un tel constat nous éclaire sur le sens de votre réforme. Celle-ci induit que ces personnes passeront plus de temps au chômage, et ce sans indemnisation, plutôt qu’à la retraite, qui est, elle, rémunératrice. Cela vous permettra, une nouvelle fois, de faire des économies sur le dos des plus faibles !
D’ores et déjà, la plupart des personnes qui partent à 65 ans le font de manière contrainte, et non volontaire. Avec votre réforme, elles passeront juste deux ans de plus dans la précarité !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Autain. Je ne puis m’empêcher de rappeler des chiffres simples : l’espérance de vie en bonne santé est de 61,3 ans pour les hommes et de 62,4 ans pour les femmes. Quid de l’espérance de vie en bonne santé de ceux qui partiront à 67 ans ? Auront-ils simplement le droit de mourir dès la retraite ?
Votre réforme constitue bel et bien une remise en cause du droit à la retraite : en allongeant la durée de cotisation et en différant la possibilité de partir avec une retraite à taux plein, vous portez atteinte aux droits des salariés à la retraite ! Vous les empêchez, après de longues années de travail, de profiter de la vie, d’avoir une autre activité, socialement tout aussi importante.
À cet égard, je vous rappelle que les retraités participent à la vie de la Cité, soit en apportant une aide financière ou matérielle à leurs enfants ou petits-enfants, soit, par exemple, en participant à la vie associative. Les retraités sont indispensables dans notre économie parce qu’ils ont du temps à donner, et vous reniez cette simple réalité.
C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cet article.
Par votre réforme, c’est tout l’équilibre social du pays que vous remettez en cause, et cela, nous ne pouvons l’admettre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, il est tout à fait légitime que les sénateurs qui le souhaitent s’expriment, car nous sommes là pour débattre. Mais j’aimerais savoir sur quels critères vous vous fondez pour donner la parole, car des collègues qui viennent d’intervenir aucun n’est inscrit sur le dérouleur que j’ai sous les yeux. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Ma chère collègue, le dérouleur de séance a une valeur indicative. Certains de vos collègues ont renoncé à prendre la parole sur cet article. Je me suis référé au nouveau document de travail qui m’a été transmis par le service de la Séance. Idéalement, il aurait fallu que je le fasse distribuer. Je vous promets de le faire à l’avenir, ma chère collègue. Mais je suppose que vous ne souhaitez pas que nous reprenions la discussion à son début pour autant ?...
Mme Isabelle Debré. Non, évidemment, monsieur le président ! (Sourires.)
M. Éric Woerth, ministre. À ce stade du débat, je souhaite répondre aux observations qui ont été faites.
D’abord, la retraite à 62-67 ans, qui entrera en vigueur après la réforme, contre 60-65 ans à l’heure actuelle, est une retraite à la carte. L’âge actuel de 60 ans, puis, avec la réforme, de 62 ans, ouvre des droits. Dès lors que le salarié totalise le nombre de trimestres demandé, il bénéficie d’une retraite à taux plein dès cet âge.
En revanche, s’il n’a pas la durée de cotisation requise, il pourra toujours prendre sa retraite à 62 ans en 2018, mais avec une retraite inférieure. À 67 ans s’annulera la décote, ce qui est une manière d’inciter les Français à travailler plus longtemps pour obtenir les trimestres requis. Il est donc naturel de repousser les deux bornes d’âge.
M. Guy Fischer. Mais non !
M. Éric Woerth, ministre. Dans la réforme que vous avez faite, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, entre 1981 et 1982, vous avez fixé une seconde borne d’âge à 65 ans.
Ce que j’ai dit tout à l'heure sur l’espérance de vie vaut évidemment aussi pour la borne des 65 ans, mais je ne referai pas la même démonstration, j’aurais vraiment l’impression de me répéter.
Aujourd'hui, qui part à la retraite à 65 ans ? Vous l’avez dit, monsieur Autain, 18 % des assurés partent à la retraite, dont 60 % de femmes environ – vous avez raison de le souligner – et 40 % d’hommes. Mais il faut bien faire la différence entre arrêter de travailler, partir à la retraite et liquider sa pension. Les termes sont très précis. Les personnes qui liquident leur pension à 65 ans ont en général arrêté de travailler depuis bien longtemps.
Quant aux femmes qui liquident leur pension à 65 ans pour des raisons d’âge, et pas simplement parce qu’elles ont leurs trimestres et veulent avoir une surcote – même si cela arrive aussi ! –, ayant, au fond, préféré attendre pour éviter la décote, 88 % d’entre elles en moyenne n’ont pas travaillé depuis 20,5 années, pour être très précis. Il s’agit donc d’une population très particulière.
Certes, on peut avoir un débat, mais la réalité est bien celle-là !
Certaines personnes ont arrêté de travailler depuis vingt ans pour des raisons extrêmement différentes, chacune vivant sa vie comme elle le souhaite. Certaines femmes ont notamment décidé, et pas nécessairement subi – certes, je ne dis pas le contraire, cela peut être le cas ! –, de s’arrêter à un moment donné pour telle ou telle raison et parce que le foyer avait suffisamment de ressources.
Pour bien comprendre cette seconde borne d’âge, il faut savoir qui est concerné. Il est faux d’avancer, parfois en jouant sur la corde de l’émotion, que des personnes ayant un travail extrêmement difficile vont devoir travailler jusqu’à 67 ans ! Cela ne correspond pas et cela ne correspondra pas à la réalité du travail en France !
C’est en 2023, et non pas en 2018, que seront concernées les personnes qui partiront à 67 ans avec une retraite sans décote. C’est la génération des personnes nées en 1956 qui sera la première concernée.
J’en viens à la remarque de M. David Assouline.
Selon lui, la pression sur l’UNEDIC sera grande en raison des transferts financiers, les économies effectuées sur les retraites entraînant des dépenses sur les autres systèmes sociaux.
L’UNEDIC a mesuré le coût de la réforme des retraites et de l’allongement de l’âge de départ. L’étude interne qui a été menée est quelque peu pessimiste, il faut bien l’admettre, puisqu’elle part du principe qu’il n’y aura d’amélioration de l’emploi ni pour les seniors, ni pour les jeunes. On peut contester cette hypothèse, mais, au moins, c’est une façon extrêmement prudente de voir les choses !
Il en coûtera à l’UNEDIC 400 millions d’euros pour l’assurance chômage. Mais, si l’on prend en compte la globalité des finances publiques, la réforme dégagera aussi 20 milliards d’euros d’économie sur les régimes de retraite. D’un côté 400 millions d’euros, de l’autre, 20 milliards d’euros, il s’agit donc d’une bonne réforme pour les finances publiques !
Un débat intéressant a été ouvert, et je terminerai par là. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous demandez en fait si le fait d’arriver à la retraite en bonne santé est ou non un droit. Bien évidemment que oui ! C’est même ce que chacun recherche. Prolonger l’âge de départ aura-t-il pour conséquence d’accorder la retraite à des personnes qui seront en plus mauvaise santé ? Non car, heureusement, grâce aux progrès de la médecine, on n’est pas en mauvaise santé au même âge qu’avant.
Mme Raymonde Le Texier. Regardez les statistiques !
M. Éric Woerth, ministre. De votre côté, on choisit les statistiques que l’on a envie de prendre ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Les statistiques émanent de deux organismes : Eurostat et l’INSEE.
Selon Eurostat, on est en mauvaise santé quand une affection limite les activités dans les gestes de la vie quotidienne. Prenons l’exemple du mal de dos, que l’on commence à ressentir à un certain âge. Il n’empêche pas de vivre et ce n’est pas non plus une maladie. Ce type d’affection se déclare vers 62 ou 63 ans, voire beaucoup plus tôt, car il s’agit de moyennes.
Pour l’INSEE, il s’agit de considérer l’espérance de vie sans incapacité. Le critère est infiniment plus lourd que celui qui se fonde sur le fait de ressentir ou non une gêne dans l’exercice de sa vie quotidienne. Si l’on prend la définition de l’INSEE, cette espérance de vie-là est de 76 ans pour les hommes et de 83 ans pour les femmes, soit environ un an de moins que l’espérance de vie en général.
S’il s’agit bien de statistiques émanant d’organismes sérieux, elles ne répondent donc pas tout à fait à la même question.
Voilà ce que je souhaitais dire à ce stade du débat pour l’éclairer. Mais nous aurons l’occasion de poursuivre la discussion. (Applaudissements au banc des commissions.)
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour un rappel au règlement.
M. David Assouline. Un rappel au règlement, mais surtout une question au président de séance !
J’ai entendu dire – j’ai été alerté par SMS –, que, pour les médias, l’article 5, qui reporte l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, a été adopté « définitivement » par le Sénat.
Monsieur le président, cet adverbe n’est-il pas exagéré ? Cela signifie-t-il que cet article voté conforme ne pourra pas être réexaminé en commission mixte paritaire ? Pouvez-vous nous confirmer qu’à tout moment, d’ici au vote des trente-trois articles du texte, le Gouvernement pourra encore demander une seconde délibération, s’il estime que la situation l’exige, ou même que cet article disparaîtra si notre assemblée vote contre ce projet de loi ?
Il est nécessaire d’affirmer aux Français que rien de ce qui résulte des débats d’aujourd’hui n’est définitif, que des discussions et des mobilisations sont encore possibles jusqu’au bout pour faire changer d’avis le Gouvernement.
M. le président. Monsieur Assouline, ma réponse sera plus brève que votre question : l’article 5 a été voté conforme par le Sénat. Il sera définitivement adopté lorsque le projet de loi le sera aussi, c’est-à-dire à l’issue de nos débats, après d’éventuels recours au Conseil constitutionnel et après promulgation de la loi !
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, certains de nos collègues ayant très légitimement déposé une vingtaine de sous-amendements sur les amendements du Gouvernement, je propose à la commission de se réunir dès que la séance aura été suspendue pour que nous les examinions.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.
Article 6 (priorité) (suite)
M. le président. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements portant sur l’article 6, appelé par priorité.
Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 119 est présenté par Mme Demontès, M. Bel, Mmes Alquier et Campion, MM. Cazeau et Daudigny, Mme Ghali, M. Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, MM. Jeannerot, Kerdraon, S. Larcher et Le Menn, Mmes Le Texier, Printz, San Vicente-Baudrin et Schillinger, MM. Teulade, Domeizel et Assouline, Mme M. André, M. Bérit-Débat, Mme Blondin, MM. Botrel et Bourquin, Mme Bourzai, MM. Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume et Haut, Mmes Khiari et Lepage, MM. Mirassou, Mahéas, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 255 est présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet.
L'amendement n° 336 rectifié est présenté par MM. Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Guy Fischer. Le débat qui a eu lieu sur l’article 6 à l’Assemblée nationale était très intéressant. En effet, M. le ministre n’a cessé alors de rappeler que la réforme que nous examinons était profondément humaine et que les arguments soutenus par nos collègues de l’opposition n’étaient qu’un ramassis de mensonges. (M. le ministre s’exclame.)
M. René Garrec. Vos propos sont quelque peu démesurés !
M. Guy Fischer. Malgré peut-être une certaine exagération de ma part, tel était en tout cas l’esprit des propos de M. le ministre.
Pourtant, lundi dernier 4 octobre, dans un entretien accordé au journal Les Échos, le président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, a indiqué qu’il proposerait de maintenir à 65 ans l’âge auquel les mères d’au moins trois enfants pourront bénéficier d’une pension de retraite à taux plein.
Selon moi, cette déclaration est un aveu du caractère discriminatoire du projet de loi initialement proposé par le Gouvernement.
Je vous indique d’ores et déjà que nous estimons cette avancée trop limitative. Pourquoi avoir fixé le seuil à trois enfants ? Pour notre part, nous considérons que cette mesure doit être appliquée à l’ensemble des femmes, et, en allant au bout de notre démarche, que l’ensemble des salariés doivent pouvoir prendre leur retraite et percevoir une pension à taux plein dès 65 ans.
En effet, allonger la durée du travail de deux années va conduire nombre de salariés à partir prématurément, usés par le travail et les cadences, et à ne bénéficier, par voie de conséquence, que d’une pension amputée par les décotes.
Pour nous, le pouvoir d’achat des retraités est une question essentielle. Il faut concrètement étudier quel sera le niveau de ces pensions. Le présent projet de loi permet de porter le taux minimal des pensions à 75 % du SMIC, ce qui constitue déjà un progrès au regard de l’état actuel des pensions. Je vous rappelle qu’au moins 600 000 seniors vivent déjà sous le seuil de pauvreté, le chiffre de 900 000 a même été évoqué précédemment.
Oui, les salariés partiront à leur convenance entre 62 ans et 67 ans, mais ils subiront les décotes ; leur pouvoir d’achat sera amputé, et ce alors même que les seniors sont, en outre, un rouage important de l’économie, nous l’avons rappelé.
Bref, même d’un point de vue strictement économique, votre réforme nous semble contre-performante. Nous pensons que l’économie ne pourra être relancée que par le biais d’une augmentation du pouvoir d’achat des ménages, entre autres des seniors, et non par la politique de rigueur que vous mettez en œuvre.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 6.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour présenter l'amendement n° 119.
Mme Raymonde Le Texier. Tout à l’heure, lors des prises de parole sur l’article 6, mes collègues ont expliqué avec maints détails les raisons de notre totale opposition à l’article 6, qui, comme le précédent, est emblématique du présent projet de loi. Il constitue une injustice majeure et fondamentale.
L’injustice est majeure, parce que, en choisissant de relever à 67 ans l’âge auquel nos concitoyens pourront percevoir une retraite sans décote, le Gouvernement va frapper très durement les salariés qui ont connu une carrière difficile, chaotique, alternant périodes de chômage et d’emploi, le plus souvent sous contrat à durée déterminée.
L’injustice est majeure, parce que ce sont nos concitoyens les plus modestes, les plus fragiles, notamment les femmes, qui seront les premières victimes de cet allongement de la durée du travail.
Les femmes perçoivent une pension de retraite de 40 % inférieure à celles des hommes. Bien que ce fait ait été souligné à de multiples reprises, je le répète, ne désespérant pas qu’il soit enfin pris en considération. Les femmes ne sont que 44 % à avoir effectué une carrière complète, contre 86 % pour les hommes, et près de 35 % travaillent jusqu’à 65 ans pour éviter toute décote.
Qui plus est, l’inégalité existe aussi entre femmes puisque, toutes les études le montrent, les mères d’au moins deux enfants perçoivent une pension de retraite inférieure de 25 % à celle des femmes qui n’ont pas eu d’enfant.
L’injustice est majeure, disais-je, parce que cet allongement aura un impact sur la santé de nos concitoyens. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, vivre plus longtemps ne signifie pas vivre en bonne santé. Or, en raison de l’allongement de la durée d’activité que vous proposez, la santé de nos concitoyens sera directement touchée et précarisée. Nous assisterons mécaniquement à un transfert de charge sur la caisse d’assurance maladie.
Croyez-vous que le fait de relever l’âge légal d’obtention d’une pension à taux plein va faciliter le passage de la situation d’actif à celle de retraité ? Pensez-vous sérieusement que nos concitoyens verront dans cette mesure de régression sociale l’opportunité de travailler plus longtemps ? Pensez-vous que le taux d’employabilité de cette catégorie de salariés va mécaniquement augmenter, que les personnes actuellement privées d’emploi au moment de leur départ à la retraite – telle est la situation de six salariés sur dix, et ce depuis plusieurs années – vont subitement en trouver un d’ici à leur soixante-septième anniversaire ?
Mes chers collègues, vous connaissez ces données par cœur. Vous avez fait les comptes : ce sera tout bénéfice pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse, les salariés prenant leur retraite deux ans plus tard. Manifestement, ce n’est pas le moment de parler des déficits colossaux des ASSEDIC qui ne manqueront pas de résulter du dispositif qui nous est soumis…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Raymonde Le Texier. Bref, nous avons 36 000 raisons de demander la suppression de l’article 6, plus une !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 255.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, nous demandons également la suppression de cet article injuste.
La situation n’est pas la même qu’après guerre ni même que pendant les années soixante-dix : toute personne qui voulait travailler pouvait alors trouver un emploi. Aujourd’hui, il n’est pas si facile de gagner ses points pour la retraite. Nos concitoyens connaissent des périodes pendant lesquelles ils ne travaillent pas en raison du chômage, de la précarité, du temps partiel non choisi, de la fermeture de certaines entreprises sous la pression des fonds spéculatifs, ou encore de leur volonté d’élever leurs enfants ou d’accompagner leurs parents en phase terminale.
Une mesure de lissage permettait de faire abstraction de ces périodes de rupture professionnelle et d’obtenir une pension de retraite sans décote à partir de 65 ans. Mais, aujourd’hui, le Gouvernement veut repousser cette limite d’âge, ce qui est injuste. Au mieux, les salariés travailleront deux ans de plus, au pire, ils n’auront pas les moyens de subvenir à leur fin de vie.
Monsieur le ministre, il est intéressant de reprendre l’argument que vous avez développé lorsque vous avez présenté, avec tout l’art ou presque d’un publicitaire, les deux amendements du Gouvernement, les fameux amendements, et justifié leur dépôt. Vous avez affirmé vouloir réparer une injustice. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.) Mais si le report de l’âge auquel nos concitoyens peuvent bénéficier d’une pension de retraite sans décote serait injuste pour les deux catégories de salariés que vous visez, pourquoi ne serait-il pas aussi injuste pour toutes celles et tous ceux qui auront connu la précarité ou des carrières professionnelles interrompues ? Vraiment, il faudra m’expliquer !
Si encore vous prévoyiez le même dispositif pour tout le monde, je comprendrais, mais là, je me demande pourquoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dieu seul le sait ! Le Président de la République n’est-il pas au Vatican ?
M. Jean Desessard. Toujours au sujet de l’injustice, je souhaiterais dire quelques mots de l’allongement de l’espérance de vie, que vous avez évoqué, monsieur le ministre, mais le temps qui m’est imparti étant écoulé, je reprendrai la parole au moment des explications de vote.
M. le président. L’amendement n° 336 rectifié n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements identiques restant en discussion ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression nos 4, 119 et 255.
La réforme qui nous est présentée a une logique, et cette logique ne peut être dénaturée. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Il existe un âge d’ouverture des droits et un âge d’annulation de la décote. Souvent la confusion est faite, involontairement ou non.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Guy Fischer. Ah non !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Il est donc important de différencier l’âge légal de départ à la retraite, qui sera désormais porté à 62 ans, de l’âge d’annulation de la décote, qui sera fixé à 67 ans.
On le sait, le système a fait ses preuves. Il était important de prévoir, comme nous le propose le Gouvernement, un décalage parallèle de ces deux bornes d’âge.
D’ailleurs, la seconde borne d’âge, celle de 67 ans, ne s’appliquera qu’en 2023, selon la règle du glissement de quatre mois par an.
Comme nous l’avons déjà évoqué, la population dont la retraite est aujourd’hui liquidée à 65 ans est assez hétérogène. Bien évidemment, nous devrons aussi être attentifs aux évolutions qui interviendront en matière d’emploi des seniors.
En tout état de cause, le projet de loi maintient le minimum vieillesse dès 65 ans, de sorte que le relèvement ne concerne pas ceux qui auront eu les parcours les plus difficiles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. J’ai déjà donné mon opinion en décrivant notamment la population qui part à 65 ans, équivalente à celle qui partira à 67 ans lorsque la borne d’âge aura été repoussée.
Cette population représente 18 % d’une classe d’âge ; elle est composée à 60 % de femmes et à 40 % d’hommes. Ce sont donc en majorité des femmes qui sont concernées. Mais, en réalité, ce sont aussi des personnes qui ont arrêté de travailler depuis bien longtemps. C’est la liquidation de la pension qui a lieu aujourd’hui à 65 ans – et bientôt à 67 ans – mais pas l’arrêt du travail ! La cessation d’activité, elle, intervient souvent bien avant.
Il s’agit donc de catégories de population très différentes. Par exemple, les étrangers qui sont venus travailler sur notre sol et qui ont des droits français – tout comme les Français qui travaillent à l’étranger ont des droits étrangers – ont souvent travaillé peu de temps en France, quelques trimestres ou quelques années. Ils attendent donc l’annulation de la décote.
Pour que l’équité du dispositif n’échappe à personne, il faut rappeler deux points.
Premièrement, l’âge de la retraite, dans le texte, c’est 62 ans, pas 67 ans, qui est l’âge d’annulation de la décote, ce qui n’a rien à voir.
Deuxièmement, nous avons maintenu le bénéfice du minimum vieillesse à 65 ans, parce que cela permet aux personnes qui ont des problèmes de revenus d’accéder plus tôt à ce dispositif. D’ailleurs, ce minimum vieillesse sera très souvent au même niveau que la retraite, si celle-ci est faible en raison du petit nombre d’années travaillées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a beaucoup de femmes qui ont travaillé et qui sont au minimum vieillesse !
M. Éric Woerth, ministre. Nous avons un dispositif de solidarité, le minimum vieillesse, que beaucoup de pays n’ont pas ; nous l’avons d’ailleurs augmenté de 25 %, soit dit en passant. L’âge à partir duquel ce minimum vieillesse peut être perçu n’est pas modifié et n’est pas affecté par le report à 67 ans de l’âge de liquidation des pensions à taux plein.
Tous ces éléments rendent l’article 6 indispensable à l’équilibre social et financier de notre réforme des retraites. C’est pour cela que les trois amendements de suppression n’ont pas l’aval du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote sur les amendements identiques.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Oui, cet article 6 est la suite logique de l’article 5, mais, vous l’aurez compris, votre logique n’est pas la nôtre, monsieur le ministre, raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement de suppression.
Je voudrais insister à mon tour sur la situation des femmes.
Il faut dire que seulement 44 % d’entre elles réussissent à valider une carrière complète. On sait que la pension des femmes ne représente que 62 % de celles des hommes, et que le minimum vieillesse – 677 euros seulement – est perçu par bon nombre d’entre elles.
Vous osez prétendre que votre projet de réforme est juste, équitable, respectueux de tous, y compris des femmes, qui subissent déjà de profondes inégalités tout au long de leur carrière professionnelle. Les écarts existants étaient déjà grands ; avec votre réforme, qui aura contribué à les creuser davantage, il s’agira désormais d’un fossé !
Reculer de 65 ans à 67 ans l’âge à atteindre pour bénéficier d’une retraite à taux plein est une mesure indigne pour les femmes ouvrières, dont l’espérance de vie n’est que de 64 ans ! (Mme la présidente de la commission des affaires sociales marque sa désapprobation.) Dans votre précipitation à proposer une réforme, d’une part, pour satisfaire les agences de notation, d’autre part, pour préparer les prochaines échéances électorales, vous n’avez rien prévu pour compenser les inégalités subies par les femmes aux carrières professionnelles morcelées, dont les pensions ont déjà un niveau dramatiquement bas.
Avec ce projet, la situation de ces femmes va être encore plus inégalitaire, qu’il s’agisse du temps de travail ou du montant des pensions. Si la question de la pénibilité est abordée par d’autres de mes collègues, en ce qui concerne la retraite des femmes, c’est la double peine. Ici, pénibilité rime avec pénalisation !
M. Roland Courteau. Bien dit !