Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il s’agit bien d’une pénalisation, puisque les femmes liquident d’ores et déjà leurs retraites plus tardivement que les hommes pour tenter de gagner quelques trimestres supplémentaires. En 2008, trois femmes sur dix ont attendu 65 ans pour partir à la retraite afin de ne pas subir de décote !
Cette situation très inégalitaire est reconnue par tous, du Conseil d’orientation des retraites à la HALDE, sans que vous proposiez de réelles solutions pour y remédier, malgré quelques effets d’annonce.
Contrairement à ce que vous affirmez, il n’y a pas de fatalité, pas de solution unique aux conséquences désastreuses pour les femmes !
Je vous rappelle la proposition de loi qu’ont déposée les parlementaires de mon groupe, un texte qui offre la possibilité de mettre en place une autre réforme.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter ces amendements identiques de suppression.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Nous touchons au noyau dur de cette réforme, et à son injustice la plus évidente.
Nous avons abordé le report de 60 à 62 ans de l’âge légal du départ à la retraite, qui concerne une masse de salariés. Quant au report de 65 à 67 ans de l’âge de la retraite à taux plein, il concerne les catégories les plus fragiles : celles qui ont connu des interruptions de carrière, et en particulier les femmes.
Je voudrais réitérer les questions qu’a posées M. Jean Desessard, parce que nous n’avons jusqu’à présent pas eu de réponses, du moins de réponses raisonnables.
Vous avez finalement reconnu qu’il y avait des injustices dans votre texte, nous donnant largement raison puisque nous n’avions cessé de le dire dans le débat. Injustice pour les mères de trois enfants, injustice pour les femmes qui ont élevé un enfant handicapé, vous nous expliquez, tout à fait arbitrairement, que l’injustice se limite à ces cas-là. Quelle est, en l’occurrence, la justification rationnelle qui explique que l’on doive s’en tenir là ?
Essayons d’imaginer des cas concrets. Une femme peut avoir élevé trois enfants sans rencontrer de difficultés énormes dans sa vie, parce qu’elle a eu la chance d’être soutenue par son entourage, d’avoir un mari qui pouvait compenser sa perte de revenus d’activité puis sa faible pension.
Imaginons en revanche une femme qui n’a eu qu’un seul enfant dont elle a, dans le cas d’une famille monoparentale, assumé seule la charge pendant une longue période. Cette interruption d’activité et la situation de séparation marquent un violent coup d’arrêt dans sa carrière, sans qu’elle puisse la rependre plus tard à un certain niveau. Cette situation-là, elle, ne sera pas prise en considération.
C’est donc en fonction du nombre d’enfants que l’on juge si une femme a mérité de la Nation. Il s’agit là d’une prise de position idéologique ! Oui, vous servez une certaine idéologie politique !
M. Roland Courteau. Oui, c’est cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est de la retraite nataliste !
M. David Assouline. Bien entendu, nous sommes très heureux que les femmes qui ont trois enfants aient été entendues et que votre projet ait tenu compte de leurs demandes. Tant mieux pour elles ! Mais cela met en pleine lumière l’injustice faite à toutes les autres. Pourquoi elles, et pas les autres ?
Vous ne nous répondez pas, que ce soit sur cette question-là ou sur l’automaticité que vous établissez entre le report à 62 ans de l’âge légal et le report à 67 ans de l’annulation de la décote. C’est l’ensemble que nous contestons. On pourrait s’arrêter là, et admettre que le passage de 60 à 62 ans nous a été imposé et que nous n’avons plus que nos yeux pour pleurer. Mais pour l’autre borne d’âge, celle de 65 ans, des syndicalistes responsables nous ont alertés : « N’y touchez pas, parce que ce sont les catégories les plus fragiles qui sont atteintes, et que la suppression de l’annulation de la décote les fait basculer en grande partie dans le minimum vieillesse ! » (M. Roland Courteau opine.)
M. Woerth nous l’a quasiment avoué : très souvent, ces personnes sont déjà au minimum vieillesse, et le montant de leur pension ne sera pas supérieur. Cela montre quel est le niveau des pensions dans notre pays, malgré ce que vous dites de l’augmentation de 25 % de ce minimum vieillesse. C’est une catastrophe !
J’ai cité les chiffres : il y a dans notre pays quatre millions de retraités dont la pension tourne autour de 900 euros, à comparer au seuil de pauvreté fixé par la Communauté économique européenne à 880 euros. Sur ces chiffres, nous sommes d’accord, oui ou non ? Quatre millions, cela fait tout de même du monde ! Et ces gens-là se retrouvent en partie parmi ceux qui ont besoin de liquider leur pension à 65 ans sans décote, d’autant que, à 67 ans, les plus précarisés, les plus fragilisés, doivent se retrouver dans les moyennes de ceux qui vivent une retraite en mauvaise santé…
M. le président. Il faut conclure, monsieur Assouline, très vite !
M. David Assouline. Je conclus, monsieur le président, car je développerai ce point tout à l’heure. Mais il y a un chiffre qui n’a pas été commenté : dans notre pays, l’âge moyen d’une retraite en mauvaise santé, c’est 63 ans !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais ils n’entendent rien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Cet article, essentiel aux yeux de l’Élysée, pose la question de l’allongement de la durée de la vie active ou professionnelle et, partant, du raccourcissement probable de la vie après le travail.
Je voudrais évoquer quelques-unes des conséquences de ce passage à 62 ans et à 67 ans, rendu logique à vos yeux par l’allongement de l’espérance de vie, ce qui est d’ailleurs une façon totalement fallacieuse de présenter les choses, comme nous aurons l’occasion de le redire dans le débat.
Le vrai problème, c’est que la retraite ne signifie pour les personnes qui y sont parvenues ni la fin de la vie sociale, ni l’interruption de toute activité. Beaucoup profitent de ce temps pour faire ce que leurs obligations professionnelles les contraignaient jusqu’ici à différer ; nombreux sont notamment les retraités qui jouent un rôle essentiel dans la vie de la Cité, dans le mouvement associatif, dans ce qui donne du sens à la société en général.
Repousser l’âge de départ à la retraite, mes chers collègues, c’est donc créer les conditions d’un autre recul : celui de la vie associative, celui de l’action des associations caritatives, d’aide aux personnes âgées ou de soutien scolaire, sans parler de l’animation des clubs sportifs ou des activités culturelles les plus diverses.
L’amélioration de l’état sanitaire de la population, l’allongement de la durée de vie en bonne santé, permise par l’existence de la sécurité sociale – et aussi de la retraite à 60 ans ! –, voilà ce qui a permis, dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix et encore aujourd’hui, l’essor de la vie associative, évitant à notre pays de traverser des moments plus difficiles encore, dans le contexte de la crise économique et sociale qui le frappe.
La solidarité entre les générations, c’est aussi une réalité concrète que vous allez mettre en péril. D’ailleurs, vous ne vous y trompez pas vous-même quand vous appelez les anciens enseignants partis en retraite depuis peu à revenir dans nos lycées et collèges pour y remplacer les suppléants que votre politique de liquidation d’emplois publics ne permet plus d’y trouver.
Pour toutes ces raisons, je ne peux évidemment que m’associer à mes collègues du groupe CRC-SPG pour demander la suppression de cet article 6 et, le cas échéant, pour voter contre.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons ces amendements de suppression de l’article 6.
En effet, nous combattons, depuis le début, cette réforme injuste, qui vise à faire reposer 80 % de l’effort sur les salariés.
Nous avons indiqué d’autres pistes pour permettre le financement pérenne du système de retraite, mais vous ne voulez pas en entendre parler. Par exemple, le maintien du bouclier fiscal est une ineptie dans le climat de rigueur qui s’abat sur la France.
Au travers du présent article, vous portez une nouvelle attaque contre les plus faibles, en faisant passer de 65 à 67 ans l’âge ouvrant droit à la retraite à taux plein.
Cette mesure aggravera la situation des plus précaires, de ceux qui ont des difficultés à effectuer des carrières complètes, de ceux qui sont exclus, bien avant 67 ans, du marché du travail.
Mettons-nous d’accord sur les termes du débat : le financement des retraites est de plus en plus difficile parce que le travail est malade !
Avant de réformer les retraites, il faut repenser le déroulement des carrières, notamment en termes d’égalité entre les hommes et les femmes. Pourquoi les pensions des femmes sont-elles moindres que celles des hommes ? Outre que leur carrière est morcelée à cause d’une implication plus importante dans la vie familiale, cette différence tient aussi au fait que les rémunérations ne sont pas les mêmes ; c’est tout simple !
Pourquoi ne pas s’attaquer au chômage, particulièrement à celui des jeunes ? Il est inacceptable que, dans notre pays, avant 25 ans, un jeune sur quatre soit au chômage.
Vous ne vous posez pas les bonnes questions, et donc vous apportez les mauvaises réponses. L’espérance de vie augmente, le temps de retraite augmente ; c’est une bonne chose, mais, à vous écouter, on dirait qu’il s’agit d’un fléau à combattre. C’est le monde à l’envers !
Depuis des décennies, depuis des siècles, les salariés se battent pour que leurs droits soient reconnus et vous n’avez de cesse de les remettre en cause, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. En particulier, le droit de grève, droit emblématique de la vitalité d’une démocratie, est largement remis en cause par vos lois successives.
La démocratie sociale aussi est en berne. La feuille de route du Gouvernement est dictée par le MEDEF. Les salariés en lutte sont, selon vous, monsieur le ministre, des personnes qui n’ont pas tout compris à la vie politique…
Assez de mépris, assez de démantèlement des acquis sociaux ! Les salariés ne sont pas des machines à produire qui peuvent travailler le jour, la nuit, le dimanche et jusqu’à la mort. Nous combattons fermement votre loi scélérate. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Des jeunes à qui j’ai expliqué le système par répartition se sont montrés surpris, parce qu’ils pensaient qu’il s’agissait d’un système de redistribution. Ils ne comprenaient pas qu’une personne ayant déjà bien gagné sa vie pendant sa carrière professionnelle touche une pension de retraite élevée, à l’instar de ce qui se passe en matière d’indemnisation du chômage. Ces jeunes trouvaient étonnant que des personnes ayant déjà pu se constituer un patrimoine bénéficient des pensions les plus fortes.
La retraite par répartition n’est donc pas un système de redistribution, hormis l’attribution de minima au titre de la solidarité nationale. Il ne favorise pas ceux qui, au cours de leur vie professionnelle, ont exercé un métier peu qualifié, donc mal payé, pénible, peu valorisant et, désormais, précarisé.
Monsieur le ministre, avez-vous lu Le Quai de Ouistreham ?
M. Jean Desessard. Ce livre a dû vous toucher, puisque, paraît-il, à droite aussi, on a un cœur… (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Que prévoyez-vous pour des personnes qui sont en situation à ce point précaire, qui n’exercent même pas leurs droits, par exemple pour aller aux prud’hommes en cas d’abus ?
Les salariés les moins bien payés, ceux qui sont employés à temps partiel, qui effectuent des travaux pénibles, qui ont des temps de transport importants, bref les personnes les plus malheureuses dans notre société, sont à nouveau pénalisés au moment de la liquidation de leur retraite ! Il n’y a aucune justice. Le système le veut ainsi, me direz-vous peut-être, mais vous aggravez encore la situation de ces personnes en reculant les bornes d’âge, puisque l’on sait très bien que leur espérance de vie est plus faible que la moyenne. Les faire travailler deux ans de plus réduira donc bien davantage, en proportion, leur temps de retraite que celui des cadres.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean Desessard. Ce n’est pas juste !
En outre, il est beaucoup moins lourd de conséquences de pratiquer une décote si la pension est calculée à partir d’un salaire de 3 000 euros que si elle l’est à partir d’un salaire de 1 000 euros, car dans ce second cas il s’agit du minimum vital !
Les personnes déjà sévèrement malmenées par la vie ne trouveront donc aucune compensation au moment de la retraite, bien au contraire : votre réforme ne fera qu’accentuer les inégalités.
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Jean Desessard. Vous avez évoqué l’exemple des étrangers, monsieur le ministre. Quelle mesure comptez-vous prendre en faveur des clandestins qui travaillent très dur, notamment dans les cuisines des restaurants ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et dans le bâtiment !
M. Jacky Le Menn. Bonne question !
M. Jean Desessard. La politique de non-régularisation menée par le Gouvernement les maintient dans la clandestinité. Ce sont pourtant des personnes qui travaillent et, une fois leur situation régularisée, elles devraient, en toute justice, pouvoir bénéficier pleinement du système de retraite. Quelles modalités comptez-vous mettre en place pour permettre la récupération de tous les trimestres perdus par ces travailleurs étrangers ?
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Desessard, mettre en œuvre la mesure que vous préconisez serait un appel gigantesque à l’immigration clandestine. Je ne développerai pas davantage ce sujet.
Vous évoquez Le Quai de Ouistreham. Ce livre ne soulève pas la question des retraites.
M. Jean Desessard. Si !
M. Éric Woerth, ministre. Il évoque surtout les difficultés des travailleurs pour trouver un CDI. Cette situation est une réalité depuis bien longtemps et peut toucher tous les citoyens. Mais il arrive un moment où l’on se stabilise dans la vie professionnelle. À la fin du livre, le personnage principal trouve d’ailleurs un CDI.
Auparavant, il a travaillé à mi-temps, semble-t-il, en fractionnant son temps de travail entre plusieurs emplois, se déplaçant de l’un à l’autre dans des conditions difficiles. Travaillant à mi-temps, il est couvert à temps complet par le système de retraite, selon la règle des deux cents heures de SMIC par trimestre, comme s’il travaillait à temps complet, même si ce n’est pas le cas. En effet, le calcul est fondé non pas sur le nombre de trimestres travaillés, mais sur le revenu. Dès lors que l’on touche la moitié du SMIC, on bénéficie de la couverture du système de retraite à hauteur de la totalité du SMIC. Par ailleurs, si l’on est inscrit à Pôle emploi, le temps de chômage indemnisé donne lieu à cotisation par le biais du système de solidarité. Ce système de solidarité existe déjà, et nous le conservons, bien évidemment.
Beaucoup de personnes ont le sentiment d’être laissées pour compte au regard de la retraite parce qu’elles traversent des difficultés indéniables. Mais, en réalité, elles sont prises en charge et valident des trimestres de cotisation.
S’agissant de la décote, si critiquée par MM. Desessard et Assouline, ce système a été mis en place dès les années quatre-vingt. C’est François Fillon qui l’a réduite de moitié, au travers de la loi qu’il a fait adopter en 2003, malgré vous… Elle est ainsi passée de 10 % par année de cotisation manquante à 5 %. La loi Fillon a établi une convergence entre la décote applicable aux retraites du secteur public, qui était très faible, et celle concernant le régime du secteur privé, qui était très élevée. C’est une avancée dont vous pouvez vous réjouir, me semble-t-il.
Par ailleurs, en matière d’état de santé à la retraite, l’incapacité, c’est-à-dire la maladie lourde, est établie, selon l’INSEE, à 79 ans pour les hommes et à 83 ans pour les femmes. En moyenne, pour les Français, l’incapacité n’intervient pas plus tôt que cela, heureusement ! Bien sûr, chacun pourrait trouver, autour de lui, des exemples contraires.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, vous prétendez faire une réforme des retraites, mais toute réforme doit respecter trois principes : être en phase avec l’évolution de la société ; être le plus juste possible ; tenir compte de la situation économique. Or votre projet n’est conforme à aucun de ces trois principes.
Très souvent, vous affirmez que votre réforme est juste. À cet instant, je veux défendre la cause des femmes, parce que, vous le savez bien, ce sont elles qui seront les principales victimes du dispositif de l’article 6.
Il n’y a pas si longtemps, alors que vous étiez encore ministre du budget, au nom de la justice, vous leur avez déjà volé la demi-part fiscale dont bénéficiaient les veuves et les divorcées.
Mme Nicole Bricq. Il s’agissait bien, dans l’immense majorité des cas, de femmes.
C’est encore au nom de la justice que vous nous présentez aujourd’hui l’article 6 ! Permettez que l’on ne soit pas d’accord !
Rappelons quelques évidences : les femmes cumulent les handicaps, en termes de qualité d’emploi, de salaires et de continuité des carrières. Elles sont, à la fin du cycle, les premières concernées par les minima de pension.
Cette situation n’est pas, comme vous semblez le dire, uniquement liée à la maternité ou aux soins aux enfants. En effet, le travail à temps partiel est très fréquent en fin de vie active, mais cela, vous l’oubliez. Votre dispositif ne tient pas compte de cette réalité, qui concerne pourtant 30 % des actifs, en majorité des femmes. Le travail à temps partiel est particulièrement répandu dans certaines catégories professionnelles : il concerne 11 % des femmes cadres, mais plus de 45 % des employées du commerce, c’est-à-dire les vendeuses, et 50 % des femmes travaillant dans le secteur des services aux particuliers. J’ajoute que le travail à temps partiel représente un tiers de l’emploi féminin et que 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Les femmes sont donc surreprésentées dans le sous-emploi durable à temps partiel, non qualifié, faiblement rémunéré.
Bien sûr, il faut réduire les inégalités en matière de taux d’activité, de qualité d’emploi et de salaires, mais les causes de ces disparités sont profondes et relèvent de la place des femmes dans la société. C’est pourquoi le groupe socialiste défend, dans ses propositions, la mise en place d’un service public de la petite enfance.
Puisque vous prétendez faire une réforme visant à sauver le système par répartition, vous auriez pu envisager un effort redistributif. Mais ce n’est pas le cas, et cela ne m’étonne pas, dans la mesure où vous excluez également une telle démarche en matière de fiscalité. Une réforme systémique allant dans ce sens aurait été possible, mais vous avez choisi au contraire, en 1993 comme en 2003, de remettre en cause les correctifs que comportait le régime par répartition.
La conclusion, évidente pour nous, est qu’il faut supprimer l’article 6. Pour ma part, je ne m’honorerais pas si je ne défendais pas, ici, la cause des femmes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.
M. Jacques Mahéas. À coups de phrases chocs, monsieur le ministre, quitte à verser dans l’inexactitude, vous essayez de faire passer votre réforme des retraites. Tout à l’heure encore, vous nous avez dit, en substance, que puisque la durée de la vie s’allonge, travailler deux ans de plus, le cas échéant jusqu’à l’âge de 67 ans, ne pose pas de problème.
Cette position est d’ailleurs aussi celle de M. Fillon, qui a tenu les propos suivants : « Si l’on veut garder le système par répartition alors que notre vie s’allonge, on ne peut qu’allonger la durée du travail. On va passer quinze ans de plus que nos parents en retraite. Comment peut-on imaginer financer des retraites qui s’allongent en moyenne de quinze ans ? »
M. Jean Desessard. C’est faux !
M. Jacques Mahéas. C’est exactement ce que vous venez de dire, monsieur le ministre, à la suite de M. Xavier Bertrand, qui s’était toutefois un peu moins pris les pieds dans le tapis en déclarant : « Quand vous preniez votre retraite à 60 ans en 1982, vous aviez dix ans d’espérance de vie, aujourd’hui vous avez vingt ans d’espérance de vie. Cette formidable bonne nouvelle, il faut la financer. »
Vous faites une erreur manifeste.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Jacques Mahéas. En effet, vous calculez l’espérance de vie à partir de la naissance, or il faut la mesurer à compter de l’âge de 60 ans. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Jacques Mahéas. En 1980, l’espérance de vie d’un homme à 60 ans, c’est-à-dire le nombre d’années qu’il avait encore à vivre en moyenne, était de 17,3 ans. Trente ans plus tard, cette durée a augmenté, cela est vrai, passant à 21,7 ans. La différence est donc non pas de quinze ans, mais de quatre ans et trois mois. (« Non ! » sur les travées de l’UMP.) C’est tout à fait évident !
La semaine dernière, dans ma ville, j’ai eu l’occasion de discuter avec une femme d’un certain âge qui avait commencé à travailler à 14 ans dans une entreprise de blanchisserie et n’avait jamais manqué une seule journée depuis. Elle s’était imaginé partir à la retraite à 60 ans, après quarante-six années de cotisation, mais avait appris que votre réforme aller la contraindre de travailler jusqu’à 62 ans. Son cas est intéressant, car elle n’avait jamais connu d’interruption de carrière, comme cela arrive généralement dans ce type de profession.
De telles personnes ne sont pas du genre à se plaindre ; elles sont vaillantes, courageuses. Mais cette femme se trouvera très lourdement pénalisée, alors qu’elle a pourtant pleinement joué le jeu de la solidarité ! Si sa carrière avait été hachée, elle aurait même dû continuer à travailler jusqu’à 67 ans. Il y a donc là une très grave anomalie.
Monsieur le ministre, votre réforme, il est nécessaire d’y insister encore, se fera au détriment des travailleuses et des travailleurs ! (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Desessard. C’est vrai !
M. Jacques Mahéas. Telle est la vérité !
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Alain Vasselle. Clôture !
M. Jacques Mahéas. Par conséquent, je vous demande, comme l’ensemble des organisations syndicales, comme tous ces gens qui ont défilé ces derniers jours, de retirer votre texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Cet article 6 met à bas le deuxième pilier de l’édifice qui a été construit en 1981. Cette soirée est donc particulièrement importante.
M. Jacky Le Menn. Elle est funeste !
M. Roland Courteau. C’est une soirée de deuil !
M. Jean-Pierre Caffet. En effet ! Pierre Mauroy a d’ailleurs exprimé tout à l’heure le sentiment dominant que nous inspire ce moment, celui d’un immense gâchis.
Cette réforme a été lancée contrairement aux engagements du Président de la République. Sa justification principale, à vous entendre, tient à la crise. Toutefois, on ne peut affirmer une chose et son contraire !
Certes, la France a connu une récession en 2009, de l’ordre de 2,5 % du PIB. On nous explique donc que ce fait impose une réforme urgente et inéluctable de notre système de retraite. Pourtant, le Gouvernement affirme lui-même que la récession a été moins grave chez nous que dans tous les autres pays d’Europe. Pour autant, avons-nous vu ceux-ci se précipiter pour réformer leurs régimes de retraite de manière aussi brutale ? Nullement !
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Pierre Caffet. En outre, j’entends partout les cris de victoire des membres du Gouvernement,…
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Pierre Caffet. … qui affirment que la croissance est repartie, en particulier dans le secteur industriel, que la plupart des indicateurs sont au vert, à tel point d'ailleurs que le budget de 2011 sera construit sur une hypothèse de croissance de 2 % !
Je me demande donc quelle est la véritable justification de cette réforme, sinon peut-être l’espèce de prurit qui a saisi le MEDEF…
Franchement, j’aimerais savoir quel manque à gagner la crise a entraîné pour les régimes sociaux, notamment les caisses de retraite, sachant que la récession est terminée, aux dires du Gouvernement lui-même ! Je n’ai pas le sentiment que cette crise leur ait coûté une vingtaine de milliards d'euros ! Cela étant, peut-être ne savons-nous pas compter : on nous a assez répété, depuis le début de ce débat, que nous étions des demeurés…
Notre sentiment de gâchis tient également au fait que l’on ait engagé une réforme de cette importance sans la moindre concertation avec les organisations syndicales. Monsieur le ministre, ne prétendez pas que vous avez discuté avec elles, car ce n’est pas vrai : vous les avez informées de décisions qui avaient été prises bien auparavant, peut-être d'ailleurs des années plus tôt, en les mettant ainsi au pied du mur. Aujourd'hui encore, vous refusez de les entendre.
Enfin, les conséquences de cette réforme ont-elles été véritablement mesurées ? Monsieur le ministre, vous allez précipiter des gens dans le chômage et la précarité. Le pire est peut-être le sort que vous réservez aux femmes. Nicole Bricq a évoqué à juste titre le travail à temps partiel subi par les femmes tout au long de leur carrière. Je sais bien que l’assurance chômage et d’autres dispositifs permettent de valider des trimestres de cotisation supplémentaires, mais comment voulez-vous qu’une caissière employée chez Carrefour ou Auchan, qui travaille pendant une bonne partie de sa vie à mi-temps, acquière des droits à la retraite suffisants ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’ancien directeur général de Carrefour touche 500 000 euros de retraite par an, pour trois années de travail dans cette entreprise !
M. Jean-Pierre Caffet. C’est déjà très difficile dans le système actuel, mais votre réforme ne fera qu’aggraver la situation ! (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
La mesure d’exemption de la décote à 65 ans que vous avez annoncée, sur laquelle nous reviendrons, ne concernera que 130 000 femmes et est assortie de conditions draconiennes. Nous avons franchement le sentiment que ce texte est une insulte faite aux femmes.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.
Mme Raymonde Le Texier. Comme l’a dit cet après-midi Pierre Mauroy, « entre vous et nous, la différence est très grande ». Monsieur le ministre, cette phrase m’est revenue à l’esprit quand je vous ai entendu tout à l'heure évoquer le livre Le Quai de Ouistreham.
En effet, vous avez affirmé que son héroïne finissait par obtenir un CDI et une protection sociale et qu’elle aurait plus tard une retraite. Curieusement, je n’ai pas du tout retenu la même chose de la lecture de cet ouvrage : je me souviens surtout de toutes ces femmes rencontrées par l’auteur, qui accumulent les galères,…
M. Jean Desessard. Voilà !