M. Éric Woerth, ministre. Et le FRR sans réforme n’est pas le FRR avec ou après une réforme ! Pour construire notre réforme, nous nous sommes d’ailleurs appuyés sur les travaux du COR, le Conseil d’orientation des retraites, lequel prend en compte la « bosse » démographique.
Dans ces conditions, il paraît donc bien naturel d’utiliser le Fonds de réserve pour les retraites ! En réalité, si nous ne le faisions pas, nous laisserions de côté une caisse dotée de 33 milliards d’euros qui pourrait être utilisée pour les retraites. C’est comme si l’on avait une grande réserve d’eau que l’on décidait de n’utiliser que dans vingt ans pour faire face à un incendie, et que l’on préfère tout laissait brûler si l’incendie se déclarait avant l’échéance plutôt qu’utiliser la réserve à notre disposition. Non ! Il faut bien évidemment utiliser ce fonds aujourd’hui, dans le cadre précis du financement des retraites. Cette mesure est protectrice pour nos jeunes !
Mme Nicole Bricq. Non !
M. Éric Woerth, ministre. En effet, si nous n’utilisons pas le Fonds de réserve pour les retraites, cela revient en réalité à laisser dériver le système de retraite. Dès lors, ce sont les jeunes qui paieront.
Mme Nicole Bricq. Vous les volez !
M. Éric Woerth, ministre. Qui paiera la multitude d’impôts que vous nous proposez ? Ce sont les jeunes de ce pays, ce ne sont pas les personnes plus âgées ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Non ! Il ne faut pas inverser les rôles !
M. Éric Woerth, ministre. La réforme du système de retraite est évidemment protectrice pour les jeunes.
En réalité, il n’y a pas d’autre projet de réforme que celui que nous proposons.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Didier Guillaume. Il y a le nôtre !
M. Éric Woerth, ministre. Le parti socialiste n’a pas de projet. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Le groupe CRC-SPG a déposé une proposition de loi, mais, en réalité, ce n’est pas un contre-projet, c’est un projet contre, un projet contre toute évolution des retraites en France !
Persister dans cette idée serait de votre part manifester d’une certaine façon un réel manque du sens des responsabilités pour une réforme aussi importante.
Ce gouvernement prend ses responsabilités, ainsi que cette majorité, comme on le verra, je l’espère, lors du vote décisif de cet article 5. En effet, par cet article, nous affirmons tout simplement que nous croyons au système de retraite par répartition, que nous croyons à la solidarité entre les générations, à la solidarité intergénérationnelle ; que nous croyons que, pour qu’un tel système soit durable et que nos jeunes puissent en bénéficier à l’avenir, il faut le modifier régulièrement.
Parce que tout change (Pas pour tout le monde ! sur les travées du groupe socialiste.), il nous faut aussi changer afin que notre pacte républicain reste, demain, exactement le même qu’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste, l'autre, du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés pour l’article.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 11 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jack Ralite. C’est un acte de dé-civilisation ! Pour applaudir si peu, vous devez vraiment avoir honte !
Article 6 (priorité)
(Non modifié)
I. – Le premier alinéa de l’article L. 351-1 du même code est ainsi rédigé :
« L’assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l’assuré qui en demande la liquidation à partir de l’âge mentionné à l’article L. 161-17-2. »
II. – Le 1° de l’article L. 351-8 du même code est ainsi rédigé :
« 1° Les assurés qui atteignent l’âge prévu à l’article L. 161-17-2 augmenté de cinq années ; ».
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette réforme des retraites, ou, en tout cas, dans ce que le Gouvernement appelle la réforme des retraites, il y a beaucoup de non-dits.
Avec cet article 6, nous entrons dans le non-dit par excellence. Que fait cet article ? Il consacre l’allongement de la durée de la vie professionnelle en ouvrant droit à pension à compter de 62 ans révolus, sous réserve de disposer des annuités nécessaires, et à 67 ans à taux plein, l’augmentation de deux ans de l’âge légal se répercutant sur l’âge limite.
Une telle mesure a évidemment des conséquences multiples, dont la moindre n’est pas de permettre de réaliser à terme des économies sur le dos de la santé des salariés et des retraités, et raccourcit d’autant la durée potentielle de perception de toute retraite ou pension.
Prenons le problème à travers le prisme de l’espérance de vie, ce concept au demeurant discutable, puisqu’il s’agit de déterminer l’âge à partir duquel les natifs d’une génération sont majoritairement décédés.
Dans une étude menée par les services de l’INSEE il y a déjà quelques années et reprise dans les documents préparatoires aux dernières lois de financement de la protection sociale, les différences d’espérance de vie sont connues pour être particulièrement importantes selon les catégories professionnelles.
Ainsi, à 35 ans, selon cette étude, un ouvrier disposait d’une espérance de vie de 39 ans, et pouvait donc atteindre l’âge de 74 ans, tandis qu’un cadre pouvait escompter vivre encore 46 ans, c’est-à-dire atteindre l’âge de 81 ans.
Toutes les catégories sociales ont gagné en espérance de vie depuis plusieurs décennies – en partie grâce à la sécurité sociale, financée par le travail de tous –, mais les écarts demeurent sensibles.
En supposant en effet que notre ouvrier ait atteint 42 annuités cotisées à 62 ans, il n’aura au mieux que 12 ans de perception de pension, tandis que le cadre, même en étant contraint de travailler jusqu’à 67 ans, disposera d’au moins 14 ans de versement.
Le document de l’INSEE était d’ailleurs implacable : les ouvriers, les employés et les inactifs non retraités constituaient les trois catégories professionnelles dont l’espérance de vie était inférieure à la moyenne.
C’est donc, profondément, une mesure d’injustice sociale que celle que l’on nous invite aujourd’hui à voter avec cet article 6.
Avec la retraite à 60 ans, un ouvrier travaillerait 40 ans et toucherait 14 années de pension, soit un rapport de 2,85 années cotisées pour 1 année de retraite.
Avec la retraite à 62 ans, ce sera 42 ans de travail et 12 de pensions, soit un rapport de 3,5 années cotisées pour 1 année de retraite, c’est-à-dire une hausse d’un quart de la proportion !
Le tout pour avoir le bonheur de toucher une retraite indexée sur l’évolution des prix, c’est-à-dire dont le pouvoir d’achat sera définitivement gelé de la date de cessation d’activité à celle du décès !
Mes chers collègues, voilà quelques bonnes raisons de rejeter fermement cet article 6.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, nous voilà arrivés à l’examen de la seconde disposition phare de la réforme : le relèvement de l’âge d’annulation de la décote.
Cette mesure, qui fait passer de 65 à 67 ans l’âge du droit à la retraite à taux plein, est « ambitieuse », selon le ministre, mais ne s’agit-il pas, en réalité, de réduire encore les acquis des plus fragiles d’entre nous ?
On le voit, l’ambition de ce gouvernement est sans limite. Cela ne l’effraie pas de prendre aux plus faibles pour ne pas toucher aux acquis des plus riches. Voilà l’enjeu !
M. Woerth nous l’a dit, cette mesure fait partie d’une réforme « juste ». Fragiliser les plus faibles est donc « juste ». Les Français devraient être rassurés (M. Alain Vasselle s’exclame), et plus particulièrement les femmes, monsieur Vasselle, puisque ce sont elles qui seront les victimes directes du relèvement de l’âge d’annulation de la décote.
M. Alain Vasselle. Non, parce qu’il y aura des amendements !
M. Guy Fischer. Ce sont elles qui, déjà victimes de conditions de travail précaires, devront travailler deux ans de plus, jusqu’à 67 ans, pour espérer toucher leur retraite à taux plein. Et quel taux plein !
Comme le souligne M. le rapporteur dans son rapport : « Les assurés qui attendent 65 ans pour prendre leur retraite et qui ont une durée d’assurance inférieure au taux plein reçoivent les pensions plus faibles et bénéficient fréquemment du minimum contributif ». Et il précise : « Les femmes représentent les deux tiers de ces assurés ».
En effet, à la fin de 2007, 70 % des retraités du régime général touchant le minimum contributif étaient des femmes. Cette tendance se confirme.
Parmi les retraités pauvres, huit sur dix sont des femmes. Cela s’explique : ce sont encore les femmes qui, arrivées à 65 ans, âge actuel de la retraite sans décote, ont une durée moyenne sans emploi de 20,5 ans. À cela s’ajoute le fait que, lorsqu’elles travaillent, les femmes perçoivent des salaires inférieurs de 27 % à ceux des hommes.
Leurs conditions de travail sont en outre précaires. Elles sont les premières destinataires des CDD, des contrats aidés et du temps partiel subi.
Comment pourraient-elles, dans ces conditions, bénéficier de pensions décentes ? Au final, les retraites des femmes sont inférieures de 40 % à celles des hommes.
On pourrait encore multiplier les données statistiques, mais elles sont toutes plus affligeantes les unes que les autres…
Ces statistiques, le Gouvernement les connaît. Il sait la précarité de la situation de nombreuses femmes, et cela ne l’empêche pas de nous demander de voter le relèvement de l’âge d’annulation de la décote.
Ce gouvernement n’a tenu aucun compte des avis du Conseil d’orientation des retraites ou de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ; mais puis-je encore parler de la HALDE, alors que ce même gouvernement a obtenu sa disparition...
M. Woerth nous dira que les deux amendements déposés hier par le Gouvernement en faveur des femmes viennent corriger les discriminations dont elles sont victimes. C’est faux !
Le tour de passe-passe de l’Élysée ne doit tromper personne. Le Gouvernement ne fait pas un geste en faveur des femmes ; il fait un geste en faveur des mères de famille et des femmes handicapées.
C’est une discrimination dans la discrimination.
M. Alain Vasselle. Les mères de famille ne sont pas des femmes, peut-être ?
M. Guy Fischer. Doit-on rappeler à M. Woerth que toutes les femmes ne sont pas des mères de famille ?
Vous avez une conception dépassée de la femme. L’aumône que le Gouvernement dit consentir aux femmes, il ne la consent en réalité qu’à une partie d’entre elles. Ces modifications étaient souhaitables ; elles ne sont pas pour autant suffisantes.
Cette aumône ne pourra mettre un terme à la contestation. Les mouvements sociaux suscités par votre réforme ne se dilueront pas grâce aux petites miettes que vous concédez.
Tout au plus le Gouvernement – peut-être devrais-je dire le Président Sarkozy – récupérera-t-il une partie de son électorat grâce à l’effet d’annonce des amendements de M. Woerth.
Les bonnes mères de familles seront peut-être rassurées. Et les autres ? Que proposez-vous pour les autres femmes ? Celles qui n’ont pas eu d’enfant ou qui n’en ont pas eu trois ? Rien ! Pour elles, vous ne proposez rien qu’une retraite minable.
Nous refusons cette discrimination larvée. Nous refusons le relèvement de l’âge d’annulation de la décote à 67 ans. C’est pour cela que nous serons obstinément contre cet article 6.
M. le président. La parole est à M. Bernard Angels, sur l’article.
M. Bernard Angels. Monsieur le secrétaire d’État, en premier lieu, cette mesure de relèvement de l’âge d’annulation de la décote risque de rendre encore plus difficile la situation des femmes. En effet, jusqu’à présent, elles ne peuvent, majoritairement, partir dès 60 ans faute d’avoir pu cumuler suffisamment d’annuités.
Or ce texte ne règle rien. Pire, il proroge ce phénomène : de nouveau, ce seront elles qui, majoritairement, devront attendre leurs 67 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Si elles choisissent de partir plus tôt, ce sera avec une retraite amputée de la décote.
En outre, étant donné que ce texte ne règle pas le problème des personnes exclues du marché du travail, notamment des seniors, cette mesure n’est pas sans impact sur l’assurance chômage. En effet, chaque année, entre 20 000 et 30 000 personnes resteront plus longtemps au chômage. Cela coûtera près de 265 millions d’euros par an à la seule UNEDIC.
Or, à cette somme, il faut ajouter le surplus dû au relèvement du nombre d’années de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein, ainsi que celui résultant de la part élevée que représentent les 55-60 ans parmi les personnes en situation de chômage.
Enfin, en relevant l’âge d’annulation de la décote à 67 ans, vous condamnez de nombreux salariés à ne pas profiter pleinement de leur retraite. Je me contenterai de citer, à l’appui de mon argumentation, deux chiffres qui viennent d’un organisme dont l’impartialité ne peut être contestée, l’INSEE.
Cet institut s’est intéressé au calcul de l’espérance de vie « en bonne santé », c’est-à-dire sans limitation d’activité ou sans incapacité majeure liée à des maladies chroniques, aux séquelles d’affections aiguës ou de traumatismes.
Cette espérance de vie en bonne santé était estimée en 2007 à 63,1 ans pour les hommes et à 64,2 ans pour les femmes.
Il est inadmissible de contraindre ainsi les salariés les plus fragiles, ceux dont les parcours professionnels sont souvent difficiles et irréguliers, et dont les revenus dépassent souvent à peine le SMIC, à rogner sur leur temps de vie en bonne santé pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Nous sommes nombreux sur ces travées à avoir rappelé que d’autres leviers auraient dû être mis en œuvre pour ne pas faire reposer la question du financement de notre régime de retraites sur les seuls salariés, a fortiori s’ils sont déjà en situation de fragilité. Mais vous les avez sciemment occultés… (Mme Raymonde Le Texier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l'article.
Mme Isabelle Pasquet. Avec cet article 6, monsieur le secrétaire d’État, nous abordons la seconde mesure d’âge que vous prétendez indispensable et urgente pour préserver notre système de retraite par répartition.
Cet article est la conséquence mécanique de l’article 5, qui relève de deux ans la possibilité, et non l’obligation, de faire valoir ses droits à la retraite.
Il prévoit un relèvement progressif de deux ans de l’âge du bénéfice d’une pension à taux plein, qui passe de 65 à 67 ans.
La raison qui sous-tend cette seconde mesure est toujours la même : l’allongement de la durée de vie nécessiterait un allongement du temps passé à travailler.
Cette mesure ne réglera aucun des problèmes qu’elle prétend résoudre, car cette apparente évidence ne tient pas face à la réalité de la société dans laquelle nous vivons.
D’une part, le recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans contraint les salariés ayant commencé à travailler tôt à cotiser au-delà de la durée légale.
D’autre part, pour la majorité de nos concitoyens, l’âge moyen du départ en retraite se situe d’ores et déjà au-delà de la borne d’âge légal des 60 ans, en raison d’une entrée plus tardive dans la vie active. Aujourd’hui, en effet, un retraité sur dix doit attendre ses 65 ans pour prendre une retraite sans décote.
Cette apparente évidence ne tient pas compte non plus de la réalité de la situation de l’emploi. L’obligation de travailler plus longtemps pourrait, à la rigueur, se justifier si les entreprises gardaient leurs seniors – elles licencient en moyenne à 58 ans – et si l’économie créait les emplois nécessaires pour intégrer les chômeurs et les jeunes qui entrent sur le marché du travail.
Comme ce n’est pas le cas, vous allez simplement reporter le déficit du régime vieillesse vers l’assurance chômage et rendre illusoire un retour à l’équilibre en 2018. La ficelle est un peu grosse à l’heure où vous vous préparez, comme tous les gouvernements en Europe, à présenter un budget de rigueur dont l’effet sera précisément de tuer la reprise et l’emploi.
Économiquement inefficaces pour préserver financièrement notre système de retraites, ces mesures d’âge sont également socialement injustes. Le passage de 65 à 67 ans pour une liquidation, sans décote, des carrières discontinues dont traite cet article est proprement scandaleux. C’est une ignominie sociale, car cette mesure conduira inéluctablement à une diminution des pensions versées.
En procédant ainsi, vous pénalisez encore plus tous ces salariés qui, par exemple, ont déjà eu à subir l’injustice du licenciement économique, de l’emploi précaire ou du temps partiel imposé. Vous leur infligez en quelque sorte une double peine.
Ces mesures concernent plusieurs générations d’actifs qui sont entrées dans la vie professionnelle depuis une vingtaine d’années et qui arriveront à l’âge de la retraite au moment où entreront en vigueur les dispositions de cet article 6. Ces générations subiront donc de plein fouet le relèvement de la borne d’âge de 65 à 67 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Cet article 6 est, de nouveau, révélateur de la conception purement utilitariste du travail qui est la vôtre. Nous y sommes radicalement opposés et nous le manifesterons à travers nos amendements.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l'article.
Mme Claudine Lepage. L’article 6 de ce projet de loi, qui repousse à 67 ans l’âge de la retraite sans décote, est peut-être celui qui symbolise le mieux le caractère parfaitement injuste et complètement inefficace de votre réforme, monsieur le ministre.
Pourquoi inefficace ? On nous répète à l’envi que le sauvetage de notre système de retraites par répartition ne peut passer que par le recul de l’âge légal de départ à la retraite et, en conséquence, par un recul de l’âge du taux plein.
Toutefois, malgré ces paroles incantatoires, nous savons tous que le taux d’emploi des seniors contredit de manière flagrante cette supposée logique.
Soyez lucides : plus de 85 % des personnes atteignant 65 ans sont déjà hors de l’emploi. Le report de l’âge du taux plein à 67 ans signifie donc très clairement, selon les chiffres de Pôle emploi, que, chaque année, 20 000 à 30 000 personnes resteront deux années de plus au chômage et coûteront 300 millions d’euros par an, non pas à l’assurance retraite, mais à l’assurance chômage… Joli tour de passe-passe et, surtout, joli jeu de dupes !
Par ailleurs, la terrible injustice qui procède de cette réforme se manifeste pleinement dans cet article 6. Seront en effet pénalisés en priorité les salariés qui ont connu des carrières précaires et morcelées, c’est-à-dire, pour 80 % d’entre eux, des femmes, dont la situation a déjà été longuement évoquée par mes collègues. En conséquence, les femmes continueront à travailler plus que les hommes, pour gagner moins que les hommes…
L’iniquité de cette mesure revêt une acuité particulière chez les Français établis hors de France. Je parle, rassurez-vous, de ceux qui ont cotisé auprès de caisses de retraite françaises, et je ne ferai qu’évoquer le cas douloureux des recrutés locaux auprès des institutions françaises – ambassades, consulats, centres culturels, etc. Alors même qu’ils œuvrent au rayonnement de la France, ces recrutés locaux ne sont pas concernés par cette réforme, car ils sont le plus souvent privés de toute retraite, ce qui est proprement scandaleux.
Mais je reviens à mon sujet. Les Français de l’étranger sont, par la force des choses, beaucoup plus mobiles, coutumiers des carrières discontinues entrecoupées, au fil des pays de résidence, de périodes de chômage, de périodes de travail sans cotisation ou encore, pour les fonctionnaires, de périodes de mise en disponibilité pour cause de recrutement sur les fameux « contrats locaux » que je viens d’évoquer...
La situation au regard des retraites est pire encore pour les conjoints d’expatriés – au sens large du terme –, plus précisément pour les femmes contraintes de renoncer à toute activité professionnelle durant les périodes de service à l’étranger de leur conjoint, faute de droit à l’emploi dans le cadre de la législation locale ou de possibilité d’embauche.
À l’heure de la retraite, les Français de l’étranger figurent donc parmi les plus défavorisés. Pour tenter de pallier cette particulière vulnérabilité, jamais considérée dans le projet de loi du Gouvernement, mes collègues Monique Cerisier-ben Guiga, Richard Yung et moi-même avons déposé un certain nombre d’amendements, sur lesquels nous reviendrons peut-être si cet article devait malgré tout ne pas être supprimé.
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, sur l'article.
M. Jacky Le Menn. En prenant la parole sur l’article 5, j’ai dit ma désapprobation devant le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans qui nous était proposé.
Je vous fais part à présent de ma consternation, mes chers collègues. L’article 6 nous conduit en effet au cœur de l’injustice véhiculée par ce texte, dont il constitue une pièce maîtresse.
Il faut d’abord nous expliquer, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans a nécessairement pour conséquence le décalage de 65 à 67 ans de l’âge de départ à taux plein, c’est-à-dire de l’âge où l’on ne subit plus de décote, le montant de la pension de retraite restant bien évidemment fixé au prorata du nombre d’années de travail pendant lesquelles le futur retraité a cotisé.
Pourquoi le relèvement de la première borne d’âge imposerait-il de relever la seconde ? Cela reste un mystère pour moi, mais aussi, me semble-t-il, pour la majorité de nos concitoyens.
Par contre, j’en vois toutes les conséquences et tous les dangers pour les Françaises et les Français. Cette mesure est particulièrement pénalisante pour les femmes, mais aussi pour les personnes qui ont occupé des emplois précaires, et on ne redira jamais assez comment est ressentie cette mesure.
Ces femmes sont très nombreuses, et le seront encore plus, hélas, dans l’avenir, compte tenu de l’instabilité accrue du marché de l’emploi. Beaucoup de ces personnes risquent in fine de basculer, non pas dans une prise en charge par l’UNEDIC, mais tout simplement dans le RSA, en attendant l’âge de la retraite à taux plein à 67 ans. Le RSA deviendra ainsi l’antichambre de la retraite pour nos concitoyens les plus fragiles !
Sur le plan financier, c’est aussi une très mauvaise nouvelle pour les départements. Ils risquent en effet de subir directement les conséquences de cette situation, alors qu’en l’état actuel de leurs finances ils n’ont vraiment pas besoin d’un accroissement de leurs charges. (Mme Bariza Khiari acquiesce.)
Si l’on veut agir concrètement en faveur de l’égalité des femmes par rapport aux hommes au moment de la retraite, et lutter contre la perpétuation de la pauvreté pour celles qui sont retraitées, notamment lorsqu’elles sont isolées, il ne faut pas commencer par les empêcher de prétendre à une retraite à taux plein avec un décalage de deux ans, ce qui serait le cas si ce scandaleux article 6 était adopté.
Et ce n’est pas l’amendement gouvernemental, déposé à la hâte hier matin, qui changera fondamentalement le caractère injuste de cet article, puisqu’il ne profitera qu’à 130 000 femmes, nées entre 1951 et 1955.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jacky Le Menn. Rappelons que, dès à présent, un retraité sur six doit attendre ses 65 ans pour prétendre à une retraite sans subir de décote. Je parle non pas d’une population minoritaire, mais bien de cohortes de retraités.
Ce n’est pas neutre sur le plan humain, car cette mesure va surtout concerner des personnes qui ne disposent pour vivre que de quelques centaines d’euros par mois, alors que le coût de la vie – je pense que personne ne me démentira sur ce point – ne cesse d’augmenter.
Veut-on pousser une partie de plus en plus importante des Français à la paupérisation, voire à la misère ? Je rappelle que le minimum vieillesse s’élève à 709 euros par mois, et que le seuil de pauvreté est fixé à 910 euros par mois pour une personne seule. Cela nous porte à réfléchir !
Aujourd’hui, avant même que cette réforme n’ait fait son œuvre, un million de retraités vivent déjà au-dessous du seuil de pauvreté. Un million, monsieur le secrétaire d’État ! Et nombre de ceux qui travaillent, eux-mêmes de futurs retraités pauvres, ne sont pas très loin de ce seuil.
Oui, nous refusons cet horizon d’indigence que le Président de la République et le Gouvernement veulent imposer à des centaines de milliers de nos concitoyens.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Sans surprise, nous voterons donc contre cette triste disposition, ce scélérat article 6, si toutefois notre amendement de suppression est rejeté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.