compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean-Noël Guérini,

M. Bernard Saugey.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article 24 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Intitulé du chapitre V bis

Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi

(Texte de la commission)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (projet n° 292, texte de la commission n° 518, rapports nos 517, 480 et 575).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus au chapitre V bis.

Chapitre V bis

Sécurité quotidienne et prévention de la délinquance

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Articles additionnels avant l'article 24 bis

Mme la présidente. L'amendement n° 155, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Supprimer cette division et son intitulé.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer l’ensemble du chapitre V bis.

À l’instar du reste du texte, ce chapitre nous semble un vaste fourre-tout. Même son titre nous laisse songeurs.

Votre conception de la prévention de la délinquance a vraiment de quoi surprendre. D’abord, vous visez non pas la délinquance en général, mais uniquement celle qui a nourri récemment des faits divers. Ce chapitre est à lui seul une véritable revue de presse !

Ensuite, vous stigmatisez certains de nos concitoyens, dont vous faites des présumés délinquants. J’oserai même affirmer qu’il ne fait pas bon être supporter de football ou petit vendeur à la sauvette.

Pis encore, il devient dangereux d’être mineur. Je me permets pourtant de rappeler ici qu’un mineur est avant tout un enfant, lequel, dans la tradition de notre droit pénal, doit avant tout être protégé.

Or vous foulez au pied nos traditions. Un chercheur a d’ailleurs montré que, avec votre surenchère répressive à l’encontre des mineurs, il faut maintenant considérer La guerre des boutons comme une œuvre subversive où tous les enfants sont passibles de lourdes sanctions pénales. (Sourires.)

Enfin, avec le chapitre V bis, vous enlevez aux mots tout leur sens.

Jusqu’à présent, la prévention de la délinquance avait pour objet de donner à chacun les moyens de trouver sa place dans notre société et, par là, d’en comprendre et d’en respecter les règles.

Mais pour vous, le terme « prévention » a un tout autre sens : il s’agit uniquement d’anticiper la réalisation de l’infraction. Museler et ligoter les éventuels contrevenants avant qu’ils n’agissent : voilà votre vision de la prévention !

Si l’on pousse votre logique à son terme, l’on enfermera bientôt les délinquants avant même qu’ils aient commis une infraction ! C’était, hier encore, un scénario de science-fiction. Avec vous, cela risque d’être, demain, notre quotidien.

Nous refusons de cautionner cette dérive, et c’est pourquoi nous demandons la suppression de ce chapitre.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le chapitre V bis, consacré à la sécurité quotidienne et à la prévention de la délinquance, constitue évidemment un volet essentiel du projet de loi.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 155.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Intitulé du chapitre V bis
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Article 24 bis

Articles additionnels avant l'article 24 bis

Mme la présidente. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers amendements sont identiques.

L'amendement n° 56 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 156 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Avant l'article 24 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 225-10-1 du code pénal est abrogé.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 56.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne le délit de racolage passif.

La loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 traduit toute l’ambiguïté de l’approche de la question prostitutionnelle par les pouvoirs publics : la légalité de la prostitution est confirmée, mais son exercice a été entravé par un ensemble de dispositions répressives visant, en réalité, à rendre cette prostitution impossible, ou à ce qu’elle s’exerce dans des conditions dangereuses.

L’objectif de cette loi était en réalité de gêner, voire d’abolir la pratique de la prostitution tout en validant son existence.

Ne pouvant interdire la prostitution, la loi pour la sécurité intérieure est venue la contrarier par le biais de dispositions pénales dont l’application a aujourd’hui précipité les prostitués dans la clandestinité et l’insécurité, là où, très exactement, ces personnes sont le plus à la merci des réseaux de proxénétisme.

Parmi les délits créés figure le délit de racolage passif qui place les prostitués sous un régime de liberté surveillée.

Interdits d’exercer sur le trottoir en raison de ce délit, interdits d’exercer dans les hôtels et les studios en raison de la législation sur le proxénétisme, interdits d’exercer dans des camions en raison des poursuites pour proxénétisme de soutien, les prostitués ont été peu à peu relégués dans l’arrière-cour, dans les bois, où leur sécurité n’est plus assurée et où leur vie est chaque jour mise en danger.

Là réside l’atteinte à la dignité de ces femmes et de ces hommes, relégués à exercer dans des lieux insalubres. Leur mise en danger a finalement été précipitée par une loi qui voulait initialement les protéger.

L’activité prostitutionnelle est devenue clandestine, sans même être interdite, du fait d’une radicalisation pénale et d’une répression accrue de cette activité pour diverses raisons.

Je n’évoque même pas les conditions sanitaires dans lesquelles les personnes prostituées sont aujourd’hui obligées d’exercer : elles sont déplorables et directement imputables à la politique hypocrite du Gouvernement.

Le délit de racolage, loin d’apporter une réponse au proxénétisme, a aggravé les conditions d’exercice de la prostitution.

Nous avons conscience de la nécessité de lutter contre le proxénétisme et du fait que la prostitution n’est peut-être pas l’idéal ; mais n’y a-t-il pas d’autres moyens que de s’en prendre aux prostitués eux-mêmes ?

Commençons par lutter efficacement contre la traite des êtres humains, et laissons les prostitués exercer leur activité, sans parasitisme, sans harcèlement : il faut mettre un terme à la confusion entre prostitution et racolage.

C’est pourquoi nous vous proposons de supprimer purement et simplement le délit de racolage.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 156.

Mme Éliane Assassi. Par cet amendement, nous entendons également revenir sur l’une des malfaçons législatives les plus criantes de la précédente LOPSI, promulguée en 2003.

Le Gouvernement en était alors au tout début de ses gesticulations sécuritaires, et le ministre de l’intérieur de l’époque multipliait quotidiennement les moulinets répressifs.

Cela avait débouché, notamment, sur la création d’un délit d’une incroyable sottise, le délit de racolage passif.

Puisque nous en sommes à l’examen du texte qui vient renouveler l’orientation et la programmation de la sécurité intérieure, il est temps de revenir sur ce délit, dont l’application relève du fiasco absolu.

Outre l’intitulé même de cette infraction, la première raison de cet échec tient, d’une part, à la réalité des cours de justice, où magistrats et avocats tentent de définir quelles sont les attitudes passibles de racolage passif et, d’autre part, à la réalité beaucoup plus complexe et floue de la prostitution dans les rues.

En 2002, la Commission nationale consultative des droits de l’homme signalait, à l’occasion de sa saisine sur le projet, « qu’en l’état, les sanctions pénales proposées concernant les seul(e)s prostitué(e)s ne peuvent être admises ». Elle s’émouvait du « sort réservé aux prostitué(e)s d’origine étrangère, victimes de réseaux organisés et violents : la remise d’un titre de séjour provisoire est lié à un témoignage ou à un dépôt de plainte alors que ce titre, limité à la durée de la procédure judiciaire, aura pour effet d’exposer le bénéficiaire ainsi que sa famille, à des graves mesures de rétorsion, voire de violences sans qu’il y ait même en contrepartie la possibilité pour elle d’avoir l’espoir de s’extraire de la prostitution et de s’insérer ».

Rappelons que la France est signataire du protocole de Palerme, qui garantit la protection des victimes de traite.

Depuis 2003, les personnes prostituées sont donc soumises à de fortes amendes, qu’elles doivent payer en continuant à se prostituer. L’État devient donc indirectement proxénète.

Elles sont par ailleurs obligées de quitter des lieux fréquentés pour gagner la périphérie des villes, où elles réduisent certes leur risque d’être arrêtées, mais où leur sécurité n’est pas assurée. Les associations d’aide aux prostituées soulignent toutes que, depuis l’application de cette loi, les personnes prostituées sont en plus grand danger qu’auparavant : agressions sexuelles, agressions, coups et blessures…

La définition, fort vague, du délit de racolage passif a contraint les syndicats de police à établir quatre critères pour décider ou non d’une arrestation : l’heure, le lieu, la tenue et l’attitude, des critères qui peuvent s’appliquer à toute personne, plus particulièrement aux femmes.

Cette loi, loin de réprimer les réseaux mafieux, fragilise davantage les personnes prostituées, ce qui est proprement scandaleux.

Le milieu associatif, qu’il s’agisse des partisans de la légalisation ou des abolitionnistes, sont d’accord sur le principe de la suppression de ce délit, à l’instar des sénateurs du groupe CRC-SPG.

Mme la présidente. L'amendement n° 248 rectifié, présenté par Mme M. André, MM. Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mme Klès, MM. Sueur, Yung, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mme Ghali et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 24 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code pénal est ainsi modifié :

1° L'article 225-10-1 est abrogé ;

2° À l'article 225-25, les mots : «, à l'exception de celle prévue par l'article 225-10-1, » sont supprimés.

II. - Au 5° de l'article 398-1 du code de procédure pénale, la référence : « 225-10-1, » est supprimée.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cet amendement rejoint ceux qui viennent d’être présentés.

Nous soulignons de nouveau que le délit de racolage passif est non qualifié et arbitraire. N’importe lequel d’entre nous peut se voir interpeller par un policier pour racolage passif en raison de son attitude ou de sa tenue vestimentaire alors qu’il se trouve, par exemple, tranquillement assis à la terrasse d’un café, rue de Tournon … (Sourires.) Le risque est certes plus grand pour les dames, mais les messieurs aussi peuvent être concernés !

Il s’agit donc d’une espèce de menace arbitraire qui plane au-dessus de la tête de tout un chacun, et cela pose problème. On se demande d’ailleurs si ce n’est pas simplement une manière pour les commissariats de faire du chiffre, comme l’on dit, ce délit permettant d’arrêter plusieurs fois une personne dans la même journée, ce qui est bon pour les statistiques.

Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été développés précédemment, mais, sept ans après la promulgation de la loi, nous avons maintenant le recul nécessaire pour faire un bilan.

On constate notamment que l’issue des jugements est imprévisible. Le délit étant arbitraire, la jurisprudence se fixe difficilement et l’imprécision du texte entraîne d’un tribunal à l’autre des jugements contraires sur des situations pourtant semblables.

Je me permettrai également de rappeler un autre aspect, déjà évoqué, probablement le plus important d’ailleurs : si, évidemment, la création de ce délit n’a eu aucun effet direct sur la prostitution, il a contribué en revanche à chasser une partie non négligeable des personnes prostituées vers des lieux de plus en plus éloignés des centres urbains, dans les bois et les chemins vicinaux, où elles sont beaucoup plus menacées que lorsqu’elles exercent en ville.

Pour toutes ces raisons, comme vous le savez, l’ensemble des associations qui s’occupent de la prostitution, quelles que soient leurs orientations, souhaitent la suppression de ce délit. Mme Michèle André et moi-même l’avions demandé lors d’un débat au mois de mai, et nous avions également déposé un amendement en ce sens. La réponse du ministre ne nous avait pas convaincus, mais nous avions senti comme un doute du côté du Gouvernement et de la majorité.

M. Jean-Pierre Sueur. Un frémissement…

M. Richard Yung. Le discours sécuritaire et répressif nous avait en effet semblé moins marqué qu’auparavant. C’est pourquoi nous revenons à la charge en demandant, une fois de plus, l’abrogation de cet article du code pénal.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le délit de racolage passif constitue l’un des éléments dont disposent les pouvoirs publics pour lutter contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

D’après les informations communiquées par le ministre de l’intérieur lors d’un débat au Sénat le 11 mai dernier, le nombre de procédures établies pour racolage entre 2004 et 2009 a baissé de 55 %.

Il convient de rappeler en outre que la loi de 2003 qui a instauré ce délit a également donné aux pouvoirs publics de nouveaux moyens pour protéger les personnes prostituées, notamment la possibilité de leur délivrer un titre de séjour lorsqu’elles portent plainte contre leur souteneur.

Enfin, lorsqu’un cas de racolage passif est constaté et que les services de police et de gendarmerie sont amenés à appréhender la personne prostituée, ils lui rappellent ses droits, qu’elle ignore d’ailleurs souvent. Cette première information est particulièrement utile.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Les phénomènes de prostitution engendrent des troubles à la tranquillité, à la sécurité et à l’ordre public.

Nous devons conserver tout l’arsenal juridique pour mettre un terme à cette traite des êtres humains.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement ne peut émettre qu’un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons eu un débat concernant le racolage passif au mois de juin, me semble-t-il. J’avais cru comprendre – mais sans doute m’étais-je trompée – que le ministre de l’intérieur, dont l’absence ce matin est regrettable, allait fournir incessamment des éléments d’appréciation sur l’efficacité de l’instauration du délit de racolage passif et de l’application de la loi de 2003.

Or nous ne les avons pas eus, et pour cause. Chacun sait que cette loi a eu pour effet, notamment à Paris, de déplacer la prostitution et l’exploitation des personnes prostituées, qui sont pour une large part étrangères mais pas seulement, autour des grandes agglomérations. Je connais bien l’état du problème à Paris où ce phénomène est tout à fait évident.

La loi n’a pas diminué la prostitution, qui continue comme par le passé. Bien pis, elle conduit à punir en premier lieu les personnes prostituées.

La prostitution est un trouble à l’ordre public, madame la ministre. Ce sont principalement les personnes prostituées qui sont punies, alors que, en général, la prostitution implique plusieurs intervenants dont, bien entendu, ceux qui exploitent les prostituées et les clients, sans lesquels il n’y aurait pas de prostitution.

Il faudrait donc tout de même prendre conscience du fait que la façon dont le Gouvernement poursuit le racolage passif – par effet d’affichage, en 2003 comme aujourd’hui d’ailleurs – n’a pour effet que de déplacer la prostitution des zones où les populations se plaignent vers des lieux où la condition des personnes prostituées est plus déplorable encore mais où les populations ne se plaignent pas.

Les rapports sur ce sujet, qui ne proviennent pas du ministère de l’intérieur, sont légions, de même que les reportages. C’est une véritablement honte que les pouvoirs publics se conduisent de la sorte.

Nous attendons toujours des éléments d’appréciation sur la performance de la loi de 2003, puisque vous vous préoccupez tant de performance. Nous ne les avons pas.

En tant que parlementaires, nous avons l’occasion de dire « non » ou, au moins, en dehors de toute autre considération, de dire que cela ne marche pas. Supprimons donc ce délit de racolage passif.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne pensais pas intervenir mais votre réponse à mon collègue Richard Yung, madame la ministre, m’y a incité.

J’ai trouvé votre propos vraiment insuffisant. Vous avez dit que la prostitution causait un problème d’ordre public et qu’il fallait par conséquent conserver l’ensemble de l’arsenal législatif existant.

Madame la ministre, il y a certes des questions d’ordre public, mais il y a surtout – vous le savez très bien – des problèmes pour les êtres humains qui sont victimes de la prostitution.

J’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises des représentants du Mouvement Le Nid et de participer aux débats et aux colloques qu’ils organisent.

Comme l’a dit Mme Borvo Cohen-Seat, depuis la loi de 2003 qui instaure le délit de racolage passif, les lieux de prostitution changent et le phénomène se diversifie sous d’autres formes : les studios, les annonces sur Internet, etc.

Beaucoup d’êtres humains, victimes de la prostitution, sont dans un très grand désarroi. Le Mouvement Le Nid indique même qu’il est aujourd’hui très difficile de venir en aide à ces personnes, compte tenu de la situation dans laquelle se déroule désormais la prostitution.

Il n’est donc pas vrai que cette loi sur le racolage passif a diminué la prostitution dans notre pays.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est même faux !

M. Jean-Pierre Sueur. Il n’est pas vrai de dire que l’on a apporté un remède.

Le remède, ce n’est pas seulement de penser à l’ordre public, même s’il est nécessaire d’y penser. Le remède consiste à aider les personnes afin qu’elles sortent de cet esclavage.

On ne peut pas parler de la prostitution uniquement du point de vue du trouble à l’ordre public. On doit en parler du point de vue des personnes, des victimes de cet esclavage, mais aussi de ceux qui sont coupables de ces formes d’esclavage qui doivent être réprimées.

Cela suppose à la fois une action de police, avec la mise en service de moyens importants, et une action de soutien aux mouvements comme Le Nid, qui travaillent avec courage et ténacité pour venir en aide aux victimes de cet esclavage.

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. M. Sueur vient d’exposer une partie des éléments dont je voulais faire état.

L’arsenal législatif existant ne répond effectivement pas au problème mais, au contraire, l’aggrave.

Je suis étonnée des réponses apportées par M. le rapporteur et par Mme la ministre, car je ressens un certain amalgame : les prostituées ne sont pas toujours des femmes immigrées ou sans-papiers. Il ne s’agit pas toujours de traite d’êtres humains, même s’il faut lutter contre ce phénomène.

De plus, nous devons faire attention à ne pas nous tromper de cible. Lutter contre le proxénétisme, oui, mille fois oui, mais ne mettons pas ces femmes en danger !

Par ailleurs, le ministre de l’intérieur nous avait promis une réponse concernant ce problème de sécurité individuelle. J’aurais donc aimé avoir des indications plus précises.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Je ne voterai pas ces amendements de suppression.

Je reconnais que les arguments de Mme Boumediene-Thiery et de M. Sueur sont exacts et qu’il faut essayer de protéger ces femmes et ces jeunes filles qui se livrent à la prostitution.

Pour autant, si nous abrogions ce délit instauré voilà quelques années, nous donnerions un signal fantastique à tous les proxénètes et, par résonnance, à l’ensemble des personnes prostituées.

Ainsi, les lisières de nos villes, notamment les abords du bois de Vincennes et du bois de Boulogne,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il vaut mieux qu’elles soient à Fontainebleau !

M. Jean-Pierre Fourcade. …seraient envahies par de nouveaux phénomènes de prostitution, soit féminine, soit transsexuelle. J’ai eu à me battre à Boulogne-Billancourt avec ce double problème. Par conséquent, le signal que nous donnerions serait à mon avis extrêmement dangereux.

Il faut donc non pas voter ces amendements mais, comme l’ont très justement dit mes collègues, compléter l’action répressive par une action en faveur des personnes prostituées. Nous connaissons tous des associations qui essaient d’aider à la réinsertion de ces personnes. C’est donc plutôt sur cet aspect important qu’il faut agir. Mais le système délictuel instauré voilà quelques années doit être maintenu.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il vaut mieux qu’elles soient à Fontainebleau ou à Rambouillet !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Je partage l’avis de Jean-Pierre Fourcade et de Jean-Pierre Sueur : le problème n’est en rien réglé. On assiste en effet, à Paris, à une explosion de la prostitution, et l’on note même l’apparition d’une prostitution enfantine, notamment aux abords des gares. C’est un phénomène qui ne doit pas être négligé.

Je connais bien l’association Le Nid. Comme Jean-Pierre Fourcade, je crois qu’il faut maintenir le délit de racolage passif, mais, parallèlement, tout mettre en œuvre pour que les pouvoirs publics, au niveau tant national que local, encouragent les associations à soutenir celles et ceux qui sont pris dans les filets de la prostitution et à essayer de les conduire vers d’autres voies.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour explication de vote.

Mme Catherine Dumas. Un certain nombre de choses dites sur les travées de l’opposition sont vraies : force est en effet de constater que l’instauration du délit de racolage passif ne donne pas entière satisfaction aujourd’hui.

Comme Marie-Thérèse Hermange, en tant qu’élue parisienne, je constate aujourd’hui une véritable recrudescence de la prostitution, notamment dans les cités sensibles de l’est parisien.

Le ministre de l’intérieur n’est certes pas présent, mais ce débat est intéressant, et il y a un message à faire passer : la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui s’aggrave. Il faut vraiment le dire et saisir l’opportunité de ce débat pour insister sur ce point.

Cela dit, comme l’a indiqué Jean-Pierre Fourcade, l’abrogation du délit de racolage passif n’est certainement pas la solution. Ce ne serait pas le bon signal, à mon avis. En revanche, prenons l’occasion de ce débat pour attirer l’attention du ministre de l’intérieur sur ce point et pour faire en sorte que des mesures interviennent. Il y a vraiment un problème de prostitution aujourd’hui, en tout cas à Paris.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On a déjà eu un débat sur ce sujet il y a trois mois !

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. J’ai bien écouté les propos de M. Fourcade.

Cependant, il résulte de nos discussions avec les représentants des différentes associations – on a cité Le Nid mais il y a également le STRASS, ou syndicat du travail sexuel, et d’autres encore –, que ces dernières éprouvent de plus en plus de difficultés à travailler à la protection des personnes prostituées.

Le délit de racolage passif a chassé ces personnes des zones urbaines. Certaines habitent dans des huttes de branchage – on en revient au Moyen-âge ! –, au bois de Boulogne ou dans les forêts de la région parisienne.

M. Richard Yung. De plus, compte tenu des nouvelles formes de prostitution, sur Internet par exemple, les prostituées sont maintenant isolées, ne parlent plus entre elles, ne se protègent plus et ne bénéficient pas de l’expérience collective qui était celle de la prostitution plus classique. Il est donc de plus en plus difficile de les protéger et de les aider.

Par ailleurs, monsieur Fourcade, je ne crois pas que la suppression du délit de racolage passif soit un message et un encouragement envoyés aux proxénètes. Ces derniers s’en moquent ! Ce ne sont pas eux qui subissent le délit de racolage passif. Ils sont derrière, planqués, et ils ramassent l’argent ! Ils ne sont pas soumis à la pression policière et ne sont pas emmenés au commissariat ! C’est donc seulement sur la tête des personnes prostituées que pèse le délit de racolage passif.

Je ne crois donc pas que la suppression de ce délit serait, comme vous le dites, un signal négatif.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Je voudrais apporter quelques précisions.

J’ai émis, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur cet amendement, mais j’ai bien conscience qu’il nous faut tout faire pour mettre un terme à la traite des êtres humains. Vous avez raison, ces prostituées sont des victimes, et je sais ce que représente la question de l’esclavage, notamment pour ces femmes.

Mais pour autant, je rejoins tout à fait M. Fourcade. Au moment où le Sénat examine un texte qui porte sur la sécurité, ce serait, me semble-t-il, envoyer un signal négatif à tous ceux qui, malheureusement, exploitent ces femmes.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 56 et 156.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 248 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 245, présenté par MM. Yung, Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mmes Ghali, M. André et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 24 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :

I. - Les quatre premiers alinéas de l'article L. 622-1 sont ainsi rédigés :

« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée ou, à titre onéreux, le séjour irréguliers d'un étranger en France ou le transit irrégulier d'un étranger par la France, sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 €.

« Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu'il se trouvait sur le territoire d'un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.

« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, sera puni des mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée ou, à titre onéreux, le séjour irréguliers d'un étranger sur le territoire d'un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ou le transit irrégulier d'un étranger par le territoire d'un tel État.

« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 622-4, sera puni des mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée ou, à titre onéreux, le séjour irréguliers d'un étranger sur le territoire d'un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000, ou le transit irrégulier d'un étranger par le territoire d'un tel État. »

II. - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger, sauf s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte. »

III. - Le 3° de l'article L. 622-4 est ainsi rédigé :

« 3° De toute personne physique ou morale qui aura contribué à préserver la dignité ou l'intégrité physique de l'étranger, sauf si cette aide a été réalisée à titre onéreux ; ».

IV. - Après le 3° du même article, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° De tous les établissements et services visés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, ainsi que leurs salariés et bénévoles lorsqu'ils agissent dans le cadre de ces établissements et services. »

La parole est à M. Richard Yung.