M. Alain Anziani. Par ce dispositif, vous nous proposez un bouleversement profond de la justice des mineurs. De manière aussi prompte que soudaine – l’amendement date en effet de la semaine dernière et le sous-amendement d’il y a quelques heures –, vous voulez rompre avec l’inspiration du Conseil national de la Résistance, à laquelle vous vous référez pourtant bien souvent, et c’est heureux.
Cette inspiration n’est pourtant pas caduque et elle contient une vérité vieille comme le monde : un enfant n’est pas un adulte en miniature. Il faut donc se soucier de ce qu’il est, de ce qu’il va devenir, en ayant une obsession : lui proposer une insertion, lui offrir une formation. Ces considérations sont donc forcément différentes de celles qui s’attachent à un adulte.
J’ai essayé de comprendre pourquoi vous vouliez introduire un tel bouleversement.
Vous défendez l’idée selon laquelle il faut faire vite parce qu’une justice bien comprise est une justice rapide. Cet argument peut effectivement être envisagé, je le reconnais bien volontiers. Néanmoins, il existe déjà une procédure permettant de présenter rapidement un mineur au juge des enfants. Elle pourrait être utilisée plus fréquemment. Si l’on n’y a pas recours plus souvent, si les dossiers sont si longs à traiter, c’est peut-être, pardonnez-moi de le dire, pour une raison triviale : le manque de moyens. Lorsqu’on dote la justice française d’un budget qui est le trente-troisième ou le trente-cinquième d’Europe, il ne faut pas s’étonner ensuite que notre justice soit plus lente qu’ailleurs. Il y avait donc peut-être d’autres solutions à trouver !
Le danger de cette rupture, qui n’est pas complètement écarté par le sous-amendement, est que le juge statuera sur le cas d’un mineur sans connaître exactement sa situation. Vous prévenez l’argument en disant que seuls seront ainsi traités les cas des mineurs ayant fait l’objet d’une condamnation dans les six mois précédents, ce qui aura donné lieu à un dossier étayé sur leur personnalité et leur environnement.
Mais vous oubliez une chose : si la condamnation date de six mois, l’infraction, elle, est plus ancienne. Or le propre d’un mineur est d’avoir une personnalité qui évolue rapidement. Si vous dressez son portrait psychologique au mois de janvier, vous ne pouvez pas être sûr que ce portrait sera encore exact au mois de juillet.
De plus, vous touchez là à un domaine qui est celui du ministère de la justice. Vous venez piétiner les plates-bandes de la garde des sceaux au moment même où celle-ci, Mme Borvo le rappelait, décide d’engager une réforme de l’ordonnance de 1945. Ne serait-il pas plus cohérent d’aborder la justice des mineurs dans le cadre de cette réforme, en prenant tout le temps nécessaire ? Nous verrions alors si, oui ou non, elle doit être modifiée. Pourquoi, monsieur le ministre, engagez-vous ainsi une sorte de course-poursuite avec votre collègue du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour explication de vote.
Mme Dominique Voynet. On est vraiment tenté, à propos de cet amendement, de retourner au Gouvernement les arguments qu’il nous oppose au sujet de la garde à vue.
En effet, pourquoi retoucher l’ordonnance de 1945 alors qu’une réforme globale devant aboutir à un code de la justice des mineurs est prévue ? Pourquoi le Gouvernement ne s’applique-t-il pas à lui-même les principes qu’il nous impose s’agissant de la réforme de la procédure pénale ?
L’amendement du Gouvernement et le sous-amendement de M. Longuet me conduisent à poser une question simple : est-il concevable que l’on ne prenne pas le temps d’évaluer la personnalité, la situation familiale, sociale et scolaire de l’enfant avant de le traduire devant la justice ?
Loin de moi de sous-estimer l’exaspération ressentie par les policiers, le découragement exprimé par les éducateurs et les juges devant ces mineurs qui leur sont présentés à intervalles réguliers pour des faits dont la gravité tient d’abord à leur répétition même. Loin de moi de nier l’irritation que peut susciter le sentiment d’impunité éprouvé par certains d’entre eux. Il faut ici le redire : chaque fait délictueux doit être sanctionné. Cependant, la sanction doit être proportionnée, comprise et associer diverses mesures, des réparations, mais aussi des dispositifs éducatifs.
En outre, elle doit évidemment être signifiée dans des délais rapprochés. Faut-il pour autant refuser que les conditions permettant d’évaluer la situation réelle de l’enfant soient réunies ? Bien sûr que non. En refusant de traduire l’enfant devant le juge des enfants, en arguant du fait qu’il a été jugé quelques mois à peine avant le nouveau délit, vous empêchez de réunir les conditions permettant d’affirmer que sa situation n’a pas changé, que son environnement social et familial n’a pas évolué. Vous vous privez de permettre au tribunal de disposer des éléments suffisants pour conclure.
Beaucoup de choses, dans la vie d’un adolescent, peuvent se passer en six mois ou en un an. Il s’agit donc de disposer non pas d’éléments suffisants, mais de tous les éléments.
L’amendement qui nous est proposé constitue d’une certaine façon une offense au travail exigeant et difficile effectué par la protection judiciaire de la jeunesse. Ne court-circuitons pas ce travail nécessaire et fondamental, qui fait partie, je le crois, des principes fondamentaux de notre justice des mineurs. Les juges eux-mêmes insistent d’ailleurs beaucoup sur l’intérêt de voir les enfants de façon régulière. Ils les voient plus régulièrement que les policiers qui les interpellent ou que les juges qui les verront en comparution immédiate.
Parce que nous ne pensons pas possible de modifier à ce point l’équilibre général de notre droit, nous voterons contre le sous-amendement n° 422 et contre l’amendement n° 388 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. Je ne pense pas du tout que le dispositif qui nous est proposé bouleverse fondamentalement notre justice des mineurs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, il ne le bouleverse pas.
M. Laurent Béteille. En revanche, je pense que, tel qu’il est modifié par le sous-amendement de M. Longuet, l’amendement du Gouvernement permet d’apporter un certain nombre de précisions utiles.
Je fais partie de ceux qui, au sein de la commission des lois, avaient voté contre l’amendement du Gouvernement : je considérais en effet qu’il n’était pas complet. Or le sous-amendement procède aux ajouts nécessaires.
Retenu dans les studios de RFI, je n’ai malheureusement pas pu assister à la réunion de la commission des lois de ce soir. Quoi qu'il en soit, dans quelques instants, je voterai en faveur du dispositif tel qu’il nous est désormais proposé.
J’estime en effet que la justice des mineurs doit prendre en compte deux éléments : d’une part, la personnalité du mineur, d’autre part, sa psychologie. Lorsqu’un mineur est jugé plusieurs mois après les faits, cela n’a plus de sens pour lui. À l’instar de la punition des parents, le jugement doit intervenir tout de suite après les faits, sinon il n’est pas compris du mineur, qui a en quelque sorte l’impression d’avoir été amnistié. La rapidité de la réponse pénale est donc souvent nécessaire.
Il fallait trouver un équilibre ; je pense que c’est le cas s’agissant de jeunes qui ont fait l’objet d’une condamnation récente et sur qui la justice dispose de tous les éléments.
J’ajoute que je suis un peu surpris par l’argument sur la fréquence des visites chez le juge des enfants. C’est oublier que le tribunal pour enfants est présidé par un juge des enfants. Pour le coup, madame Voynet, on pourrait vous reprocher de ne pas lui faire confiance ! Au vu des réquisitions du procureur de la République et des arguments de l’avocat, ce président aura en effet la possibilité de renvoyer l’affaire s’il estime que la convocation est précipitée. D’autres investigations pourront alors être menées s’il considère qu’elles sont nécessaires à une bonne administration de la justice.
Faisons donc confiance au tribunal pour enfants qui sera saisi. S’il juge que le recours à cette procédure est justifié, car elle permet au jeune de comprendre qu’il est sanctionné pour ce qu’il vient de faire, il la mettra en œuvre. Au contraire, s’il considère qu’il ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour statuer immédiatement, il saura procéder, comme il le fait dans toute procédure, par un renvoi afin d’obtenir des éclaircissements supplémentaires.
Par conséquent, le vote de cet amendement et de ce sous-amendement ne pose aucune difficulté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.
M. Louis Nègre. Cette fois-ci, on invoque non plus Cicéron ou la Préhistoire, mais le Conseil national de la Résistance ! Or nous ne sommes plus ou dans l’immédiat après-guerre ! Nous ne sommes plus en 1945 ! Depuis, mes chers collègues, le monde a changé, il a évolué !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout a changé : les jeunes, les vieux… Sarkozy n’est pas De Gaulle !
M. Louis Nègre. Nous avons aujourd'hui affaire à des mineurs qui sont malheureusement différents de ceux de la fin des années quarante ou des années cinquante. La société doit gérer le problème non seulement des majeurs récidivistes, mais également des délinquants mineurs récidivistes.
Le sous-amendement qui nous est soumis a manifestement été élaboré avec une attention toute particulière et il me paraît particulièrement équilibré.
Que fait-on face à des mineurs délinquants récidivistes ? Je constate que la procédure qui nous est proposée concerne des mineurs venant d’être jugés, donc des récidivistes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des criminels nés !
M. Louis Nègre. Dès lors que ces enfants ont été jugés, c’est qu’on leur a expliqué qu’il ne fallait pas qu’ils recommencent. J’ai été assesseur dans un tribunal pour enfants pendant des années et je me souviens que c’est ce que faisaient le président du tribunal et les assesseurs : ils parlaient avec les enfants. Or ces jeunes recommencent. C’est bien que le message n’est pas totalement passé ! Certes, on peut repartir pour un cycle complet, qui prendra encore une fois plus d’un an, et pendant lequel le mineur se dira : « Tiens, il ne se passe rien, tout va très bien ! ». Mais ce n’est pas ainsi que l’on fait évoluer un mineur : il faut marquer un coup d’arrêt.
J’ajoute, à l’intention de ceux de nos collègues qui n’ont manifestement pas bien lu ce qui nous est proposé, que cette procédure ne pourra être mise en œuvre que si trois conditions cumulatives sont réunies.
Il me semble que ce dispositif permettra de faire face à une réalité que l’on ne rencontre pas sous les ors du palais du Luxembourg, mais à laquelle nous sommes confrontés sur le terrain.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je crois que notre excellent collègue Louis Nègre a une vision kafkaïenne de la justice. (Sourires.)
Cet amendement et ce sous-amendement, qui nous sont soumis tardivement – le sous-amendement a été déposé ce soir –, remettent en cause l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Le but est de faire ne sorte que la justice des mineurs soit rendue le plus vite possible afin que le jeune délinquant prenne rapidement connaissance de la décision du tribunal et, en cas de sanction, que celle-ci soit appliquée peu après la commission des faits.
Mais on entend aussi souvent l’argument contraire. On a en effet constaté, dans les procédures concernant des enfants, qu’il arrivait que le juge traîne volontairement un peu, parfois en raison de difficultés de greffe, parfois parce qu’il a à traiter un nombre d’affaires important, mais aussi, dans certains cas, parce qu’il souhaite voir de quelle façon l’enfant va évoluer pendant un certain nombre de mois. Puisque vous avez été assesseur, monsieur Nègre, vous vous en êtes certainement rendu compte.
J’en viens maintenant au sous-amendement. J’aimerais que ses auteurs m’apportent des précisions sur ce que sont juridiquement des « infractions similaires ou assimilées », car elles ne sont pas énumérées.
Mme la présidente. Je mets aux voix…
M. Jean-Pierre Sueur. Il n’y a pas de réponse à la question posée par M. Mézard ?...
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. La question ne s’adressait pas à moi, mais j’y répondrai tout de même.
M. Jean-Pierre Sueur. Parce que vous n’êtes pour rien dans la rédaction du sous-amendement ?... (Sourires.)
M. Brice Hortefeux, ministre. Pour illustrer la notion d’infractions similaires ou assimilées, on peut prendre l’exemple du vol et du recel.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 388 rectifié, modifié.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 23.
Mme la présidente. L'amendement n° 415, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 23, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article L. 34-3 du code des postes et des communications électroniques est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ces terminaux devront être bloqués dans un délai de quatre jours ouvrés à compter de la réception par l'opérateur concerné de la déclaration officielle de vol, transmise par les services de police ou de gendarmerie. »
La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Le vol de téléphones portables, qui devient, chacun le sait, un phénomène extrêmement massif – il y a eu 157 000 vols de téléphones portables déclarés au cours de l’année 2009 –, appelle une réaction.
En l’état actuel du droit, la victime d’un vol de téléphone portable appelle l’opérateur le plus rapidement possible afin de bloquer la puce de son appareil. Cette opération présente l’avantage non négligeable de l’exonérer du paiement de l’usage frauduleux qui peut être fait de sa ligne. En revanche, le téléphone portable reste, lui, toujours utilisable et peut donc être vendu, en France ou à l’étranger.
Le blocage pur et simple du téléphone apparaît incontestablement aujourd'hui comme la meilleure solution. En effet, une fois bloqué, le téléphone volé ne pourra plus être utilisé, faute d’accès au réseau des opérateurs sur le territoire national.
Il faut le savoir, un blocage de cette nature existe déjà, mais il nécessite que la victime dépose une plainte auprès d’un service de police en précisant certaines données techniques du téléphone et qu’elle adresse ensuite le procès-verbal à l’opérateur. Sur la base des expériences récentes, il apparaît que le tiers des victimes n’informe pas les opérateurs de tels vols.
Je propose donc que l’opérateur de téléphonie mobile bloque automatiquement le téléphone dans un délai de quatre jours ouvrés à compter de la transmission de la déclaration officielle de vol par les services de police ou de gendarmerie.
Au demeurant, une telle mesure n’occasionnera pas de frais supplémentaires pour les opérateurs, avec lesquels nous avons longuement discuté de cette mesure.
Je précise en outre que notre proposition concerne environ 80 % de la délinquance constatée en la matière. En clair, cette mesure devrait empêcher le recel des téléphones volés.
On peut établir un parallèle entre le dispositif que nous vous proposons d’instituer aujourd'hui et, en d’autres temps, l’installation d’autoradios codés dans les voitures.
Vous le voyez, il s’agit avant tout d’une mesure pratique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le présent amendement tend à simplifier la procédure de blocage des téléphones volés, afin d’empêcher leur utilisation ultérieure.
Jusqu’à présent, l’opérateur ne bloquait le téléphone, en plus de la carte SIM, que si la victime lui faisait parvenir le procès-verbal de sa déclaration de vol. Désormais, la police et la gendarmerie transmettront directement la déclaration de vol à l’opérateur, qui devra bloquer le téléphone dans un délai de quatre jours.
Cette disposition devrait permettre de mieux lutter contre le vol de téléphones portables.
La commission a émis un avis très favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 23.
Article 24
(Suppression maintenue)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au vendredi 10 septembre 2010 à neuf heures trente, à quatorze heures trente, le soir et la nuit :
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).
Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois (n° 517, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 518, 2009-2010).
Avis de M. Jean Faure, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 480, 2009-2010).
Avis de M. Aymeri de Montesquiou, fait au nom de la commission des finances (n° 575, 2009 2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART