M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe de travail mixte formé de sénateurs et de députés qui a été constitué après le déclenchement, entre 2007 et 2008, de la crise financière internationale et que l’on nomme trivialement le « G24 » a émis, dès 2008, un certain nombre de recommandations.
En novembre 2008, bien avant le sommet du G20 de Washington, il avait présenté des propositions au Président de la République. Pour mémoire, je voudrais vous lire quelques extraits de la déclaration, que nous, membres du groupe de travail, avions tous signée.
Nous indiquions tout d’abord que « toute " remise à plat " du système financier international ne saurait éluder cette question récurrente » des paradis fiscaux, bancaires et juridiques. Et nous ajoutions – c’était à l’automne de l’année 2008 : « Comment peut-on en effet demander aux contribuables de renflouer les institutions financières en faillite et laisser dans le même temps ces institutions faciliter la fraude offshore par le recours aux paradis fiscaux ? »
Au niveau mondial, il faut reconnaître aux ministres français et allemand du budget d’avoir initié, dès 2008, un renouveau des travaux au sein de l’OCDE afin que le secret bancaire soit levé et les pays non coopératifs sanctionnés, y compris au travers des entités qui y sont établies.
Néanmoins, le « G24 » des parlementaires faisait déjà valoir dans ses propositions qu’il était « nécessaire d’accélérer la révision de la directive 2003/48/CE du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts ». Cette question a de nouveau été évoquée lors du Conseil ECOFIN du 19 janvier 2010, sans toutefois qu’aucune accélération ne soit constatée. Pourtant, tout le monde sait que cette directive est insuffisante…
Au niveau national, nous avions également avancé un certain nombre de propositions, en particulier le renforcement, par des actions nationales coordonnées, de la lutte contre les territoires non coopératifs et le renforcement des procédures en matière de lutte contre la fraude, par la création d’un service d’enquêtes fiscales judiciaires disposant de prérogatives traditionnellement dévolues aux officiers de police judiciaire.
Lors du sommet du G20 à Londres, le 2 avril 2009, nous avions encore une fois formulé des recommandations. Concomitamment à ce sommet du G20, l’OCDE avait publié la liste des États et territoires non coopératifs. Il y avait, vous vous le rappelez, une liste noire, une liste grise, une liste blanche. Comme M. le rapporteur l’a souligné dans son rapport écrit et comme il l’a rappelé tout à l’heure, la liste noire a finalement disparu. En effet, selon la condition fixée par l’OCDE, pour disparaître de la liste noire, il fallait avoir signé douze accords bilatéraux mais, et cela figure aussi dans le rapport de M. Gouteyron, sur les cinq cents accords qui auraient été conclus à ce jour, cinquante l’auraient été entre paradis fiscaux…
Il faut réunir les conditions de la transparence, définir les sanctions à prendre à l’encontre de ces territoires non coopératifs et des résidents de ces territoires mais aussi à l’encontre des personnes morales ou physiques qui les utilisent.
J’ai là la liste des propositions que nous formulions avant le sommet du G20 de Pittsburgh en septembre 2009, sommet qui a donné une véritable impulsion à la lutte contre les paradis fiscaux. Mais, finalement, le G20 s’en est remis aux États, contrairement à la proclamation des ministres de l’économie et des finances, qui, eux, mais c’était avant le G20 de Pittsburgh, envisageaient un instrument multilatéral.
Il fallait donc signer les conventions bilatérales dont nous débattons ce soir. La France a édité sa propre liste comme d’autres États l’ont fait. Au départ, cette liste comptait dix-huit États et territoires, puis la France l’a révisée en début d’année en la limitant à quatorze territoires.
Mais ce qui nous intéresse aujourd'hui, dans ce débat fort utile que nous avons en séance publique, c’est de vérifier si la France se donne les moyens de ses fins.
La ratification de ces douze conventions fiscales m’a permis de relire les débats que nous avions eus, en décembre 2009, avec le ministre du budget d’alors, M. Woerth, quand il s’est agi d’introduire dans la loi un certain nombre de dispositifs pouvant, à l’époque, nous inciter à aller au bout des investigations.
Nous avions bien insisté, monsieur le secrétaire d’État, sur le fait qu’il fallait assurer un suivi par le législateur des orientations proclamées.
Il nous paraît important que ce débat ait lieu ce soir, même en cette fin de session extraordinaire, afin de voir où nous en sommes par rapport aux orientations qui ont été définies lors des G20 que j’ai évoqués.
Qui plus est, la France s’est dotée d’une organisation intéressante à un moment où elle était médiatiquement exposée, mais dans un sens positif pour le ministre à l’époque : je fais allusion au fameux imbroglio avec la Suisse dans l’affaire de ce qu’il est convenu d’appeler « la liste des 3 000 ».
Il est vrai que, pour la première fois, par la loi de finances rectificative, nous nous dotions, sous le contrôle du juge, d’une cellule qui serait logée au ministère de l’intérieur et qui serait finalement l’embryon d’une véritable police fiscale permettant de mener des investigations. Nous nous dotions aussi de sanctions applicables aux pratiques non coopératives pouvant aller notamment, monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez rappelé, jusqu’à une retenue à la source de 50 %.
M. Gouteyron a dit que les Français étaient les champions de la lutte contre l’évasion fiscale.
Mme Nicole Bricq. Je voudrais quelque peu relativiser. Mais il en sera peut-être question quand le Président de la République française présidera le G20, l’année prochaine.
Pour relativiser, donc, je rappellerai qu’en mars 2010, la chose est passée pratiquement inaperçue, sur l’initiative du président des États-Unis, a été votée une loi intitulée « lutte contre le chômage ». Cette loi a été adoptée grâce à l’appui d’une partie des Républicains, puisque onze d’entre eux l’ont votée.
Dans ce texte, sont prévues des sanctions à l’encontre des pratiques non coopératives. Elles sont moins sévères, puisqu’il s’agit d’une retenue à la source de 30 %, mais je pense qu’elles seront plus efficaces parce que le législateur américain suit les moyens de l’administration afin de veiller à l’efficacité des lois qu’il vote.
Ce qui est important dans la loi de finances rectificative de décembre 2009, c’est que, sur le papier, on pourra tester les conventions fiscales ratifiées. C’est le véritable enjeu des signatures bilatérales : se doter des moyens de ses fins, suivre dans la durée ces conventions.
À cet égard, je signale que la convention franco-allemande nous apparaît comme la meilleure référence, parce qu’elle est la plus précise. Elle définit exactement ce qu’est une personne, ce qu’est une société.
Nous savons qu’il existe un grand « trou noir » constitué par les trusts et que, là, les références habituelles des conventions qui sont signées sont trop lâches : on ne sait pas exactement de quoi l’on parle. Voilà pourquoi j’ai cité en exemple la convention franco-allemande.
Le suivi dans la durée de ces conventions est indispensable, compte tenu de la faible portée de la condition de l’OCDE. Je rappelle en effet qu’il suffit pour un État ou un territoire de signer douze conventions pour disparaître de la liste noire. À ce moment-là, il sera peut-être plus efficace de se procurer une liste des comptes bancaires détenus à l’étranger, comme la preuve en a été faite dans l’affaire qui nous a opposés un temps à la Suisse ou dans l’affaire du Liechtenstein, qui concernait les Allemands.
Il est du reste à noter que la convention avec la Suisse n’est toujours pas ratifiée. Elle l’est pour le Parlement, mais comme il pourrait y avoir un référendum, pratique habituelle en Suisse, la seule assurance que nous avons, c’est que normalement, à la date du 7 octobre, cette convention sera ratifiée.
Je veux rappeler que, lors de l’examen en séance de la loi de finances rectificative, le groupe socialiste avait déposé deux amendements. Le premier consistait indirectement à doter d’une base législative le fichier EVAFISC constitué par le ministre du budget et à demander que la commission des finances soit régulièrement tenue informée de l’avancée du dispositif de contrôle et de l’exploitation qui s’ensuivrait. Nous avions reçu le soutien du rapporteur général et du président de la commission des finances, et cet amendement avait suscité de longs débats, mais le Gouvernement, par la voix de M. Woerth, avait beaucoup insisté pour que nous le retirions.
Compte tenu des engagements pris et de notre volonté de soutenir le ministre dans son combat contre les paradis fiscaux, contre l’évasion fiscale, nous avions retiré notre amendement. Six mois après, je le regrette, car nous n’avons reçu aucune communication de la part du ministre. Je l’avais pourtant mis en garde, à l’époque, contre les risques d’une surexposition médiatique qui pouvait lui nuire et, surtout, qui ne pouvait prendre la place du travail patient et complet d’investigation dans la durée.
J’ai tout de même eu le temps de lire, même rapidement, le rapport de l’Inspection générale des finances dans une affaire qui ne nous occupe pas aujourd'hui, mais dont il serait insensé que l’on ne parle pas au sein du Parlement alors qu’elle s’étale partout dans la presse, qu’il en est question à longueur de journée sur la plupart des radios et des chaînes de télévision.
En la circonstance, la réponse était dans la question. L’Inspection générale des finances a mené son enquête administrative, comme elle en a l’habitude, elle n’est nullement répréhensible en cela. Mais j’observe que, pour aboutir à donner comme information générale que 6 247 dossiers ont été identifiés et traités par la cellule fiscale du 18 mai 2007 au 22 mars 2010, période pendant laquelle M. Woerth était ministre du budget, il aurait peut-être suffi, plutôt que de commander un rapport à l’IGF, de collecter les rapports d’activité de la Direction générale des finances publiques… On serait arrivé à peu près au même résultat !
S’agissant des investigations relatives aux cinq noms faisant l’objet de la saisine du ministre du budget, j’ai noté tout de même que les services fiscaux – les vrais, pas la cellule fiscale du cabinet – n’ont pas été informés des échanges ayant eu lieu entre le fameux « chef de la cellule fiscale », le ministre et son directeur de cabinet.
Nous savons que la liste des 3 000 a donné lieu à des actions de l’administration fiscale mais, comme la saisine se limitait à quelques noms qui n’y figuraient pas, nous n’en savons pas plus sur le résultat des enquêtes qui ont suivi.
Nous ne savons pas non plus véritablement quel a été, dans le détail, le bilan exact de la cellule de régularisation fermée officiellement en décembre 2009, ni comment s’est fait le départ entre les transactions et les sanctions, et nous doutons quelque peu de la méthode de la transaction, qui devrait être exceptionnelle, mais qui devient le droit commun.
Je vous recommande la lecture de ce rapport de l’IGF, qui n’est pas très long. Permettez-moi d’en citer la conclusion, très intéressante. M. Bassères, qui a signé ce rapport, nous dit : « Il conviendrait de s’interroger sur la tradition consistant à créer au sein du cabinet du ministre » – il s’agit non de ce ministre précisément, mais du ministre chargé du budget en général – « une équipe dédiée au traitement des situations fiscales individuelles, dont l’existence même nourrit la suspicion ».
Pour ce qui nous concerne, ce ne sont pas les personnes qui nous intéressent, c’est bien plutôt le problème des moyens que l’on se donne et que l’on donne à notre administration qui retient notre attention.
Un test intéressant viendra quand nous aurons à autoriser l’approbation d’un accord avec les Seychelles… À l’occasion de la convention France-Seychelles, nous verrons dans quelle mesure l’administration fiscale est efficace dans ses investigations !
En attendant, nous ne sommes pas là pour parler de tel ou tel,…
M. André Trillard. C’est déjà fait !
Mme Nicole Bricq. … ce n’est pas l’habitude, ici, et ce n’est pas le style du groupe socialiste (Exclamations sur les travées de l’UMP), mais nous tenons absolument à ce que notre administration soit efficace, et nous voulons aboutir.
M. le président. Je vous prie de conclure, madame Bricq.
Mme Nicole Bricq. Je termine, monsieur le président, en rappelant que, lors de l’examen de la loi de finances rectificative pour 2009, nous avions apporté notre soutien total au ministre du budget qui disait toute sa volonté de lutter efficacement contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale. Nous sommes toujours déterminés à le faire. Nous lui avions apporté notre soutien oral, et nous avions également voté l’amendement qu’il nous avait proposé, à l’article 14. (M. André Trillard marque son impatience.)
Ces paradis fiscaux sont en effet à la fois la source de l’instabilité financière qui pénalise l’économie réelle et un vol des contribuables qui s’acquittent de leurs contributions au budget de l’État et des collectivités locales. Il faut neutraliser les « trous noirs » de la finance mondiale, qui affaiblissent la souveraineté des États et réduisent à néant les tentatives de régulation.
M. le président. Veuillez maintenant conclure, vous avez dépassé le temps qui vous était imparti !
M. André Trillard. C’est scandaleux !
Mme Nicole Bricq. Je termine, monsieur le président.
Mais nous exigeons un juste retour en contrepartie de l’engagement que nous avions pris en décembre 2009. Jusqu’à présent, nous ne l’avons pas obtenu. Nous avions demandé que la commission des finances soit régulièrement tenue au courant des investigations qui étaient menées. C’est pourquoi, dans l’attente d’être informés des suites qui ont été données aux dispositions que nous avons votées il y a six mois, nous nous abstiendrons sur ces conventions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mes chers collègues, je demande à chacun de respecter son temps de parole !
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, l’examen en séance publique d’un projet de loi tendant à autoriser un accord fiscal international donne lieu à une discussion. Nous avons ainsi l’occasion d’évoquer la nécessité pour la communauté internationale de faire davantage d’efforts en matière de lutte contre les paradis fiscaux, ce qui est bien évidemment significatif dans le contexte actuel de crise économique et de fortes turbulences politiques.
Nous devons donc nous prononcer aujourd'hui sur un accord avec un territoire emblématique, puisqu’il s’agit des Bahamas, une des destinations préférées de tous ceux qui souhaitent investir et faire fructifier leur capital sans impôt ni taxe, dans un environnement naturel et climatique paradisiaque.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les Bahamas sont le plus riche des paradis fiscaux de la zone caraïbe. L’économie locale est dominée par les activités bancaires offshore et la domiciliation des International Business Companies. Ces dernières seraient au nombre de 160 000 environ, pour 140 banques offshore.
Il n’existe aux Bahamas aucun impôt sur le revenu, ni sur les bénéfices, ni sur le patrimoine, ni sur le chiffre d’affaires : c’est un véritable paradis !
Seuls les droits de mutation à titre onéreux sont prélevés lors de la cession de biens immobiliers, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales. C’est dire l’attractivité de cet archipel, dont l’économie reste fondamentalement liée à la bonne santé de celle des États-Unis.
En raison du caractère mondial de la crise financière, les pays membres du G20 s’étaient réunis en 2009 à deux reprises afin de tenter de trouver des solutions équilibrées et consensuelles pour moraliser le marché et mettre fin à la concurrence déloyale des paradis fiscaux. Vaste programme !
Il convenait de mettre un frein aux activités douteuses, en particulier à l’opacité dont peuvent bénéficier individus et entreprises dans certains territoires manifestement non coopératifs.
Toutefois, pour être efficace, cet effort devait être poursuivi dans le temps avec une grande fermeté. La France devait, nous disait-on alors, se donner des moyens d’action pour lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale, comme notre collègue Nicole Bricq l’a excellemment rappelé.
Mais, sans une volonté politique ferme et durable, il est vain d’espérer gagner contre un tel système. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est l’occasion pour les membres du RDSE de réaffirmer qu’il est grand temps de mettre fin aux activités de ces ports de l’économie souterraine, de ces havres de la spéculation, de ces blanchisseries de l’argent sale, qui sont autant de poumons de l’économie criminelle et de bases financières pour les internationales terroristes !
D’après Raymond Baker, chercheur américain spécialiste des circuits noirs de la finance mondiale, l’argent qui passe par les paradis fiscaux est destiné pour 5 % à la corruption, pour 30 % au blanchiment, le reste représentant l’évasion et la fraude fiscales. C’est donc énorme !
Mettre un terme aux paradis fiscaux impliquerait de vouloir en finir avec la concurrence fiscale déloyale dont notre pays est victime depuis bien trop longtemps.
À Londres, en avril 2009, le G20 avait dans un premier temps dressé une liste noire des paradis fiscaux, sur laquelle figuraient les Bahamas, accompagnée de sanctions à l’encontre des places et institutions financières refusant de se conformer aux exigences de transparence. Ces mesures reposaient manifestement sur de bonnes intentions, mais nous savons depuis longtemps que l’enfer en est pavé !
La lutte contre les paradis fiscaux devait devenir – promis-juré ! - une priorité.
Puis, à Pittsburgh, en septembre 2009, il a été décidé de doter le monde d’une nouvelle instance de pilotage de l’économie mondiale. Le G20 a alors été désigné comme forum principal pour la coopération économique internationale : les listes définitives, grise et noire, des territoires non coopératifs étaient adoptées par chaque État membre.
C’est dans ce contexte que j’avais déposé, avec l’ensemble des membres de mon groupe, une proposition de loi relative à la taxation spécifique de certaines transactions financières dont le taux devait évoluer en fonction du niveau de coopération des territoires visés par les listes du G20.
Dans son dispositif, notre proposition de loi fixait le taux commun de la taxe à 0,05 %. Pour les transactions effectuées avec certains États, deux taux dérogatoires étaient prévus selon le degré de coopération fiscale et bancaire de ces derniers avec la France : un taux de 0,1 % pour les États issus de la liste grise des paradis fiscaux établie par l’OCDE et un taux maximum de 0,5 % pour les États issus de la liste noire.
Il était également prévu que le taux applicable soit modifié en loi de finances à chaque nouvelle publication par l’OCDE des listes des paradis fiscaux.
Notre proposition de loi fut débattue ici même le 23 juin dernier : on nous expliqua alors que nous avions raison et que notre proposition était excellente, mais qu’il était probablement trop tôt et qu’il fallait laisser à d’autres la maîtrise du temps et du calendrier sur cette question, comme sur bien d’autres, du reste !
Il semble que le Président Sarkozy souhaite reprendre, lors du G20 qui se tiendra à Paris, non pas notre idée – une telle affirmation serait prétentieuse ! –, mais, en tout cas, le principe d’une taxe Tobin. Monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous donner de plus amples informations sur ce sujet ? Si tel est bien le cas, je suis certain que l’idée du groupe RDSE paraîtra alors excellente à tous !
Outre l’intérêt pour l’État de renflouer ses caisses de façon pérenne, notre proposition de loi aurait constitué également un outil efficace de lutte contre la spéculation pratiquée par des établissements financiers depuis des territoires peu coopératifs et soucieux d’opacité, comme les Bahamas.
Au demeurant, je rappelle que plusieurs pays ont déjà mis en place des barrières à l’entrée des flux spéculatifs, notamment en provenance des Bahamas, et ce avec un succès assez probant.
Aujourd’hui, que nous propose le Gouvernement ? Tout simplement la possibilité d’un échange d’informations fiscales entre la France et les Bahamas, sans aucune certitude que cet accord soit réellement efficace. En effet, en matière de transparence fiscale, les bonnes intentions restent souvent lettre morte face à la grande créativité déployée par les acteurs financiers pour contourner les dispositifs.
En outre, rien ne permet d’affirmer que les Bahamas respecteront la lettre, et encore moins l’esprit, de cet accord classique, et ma foi fort modeste, puisqu’ils ne l’ont toujours pas ratifié à ce jour.
Le pari de la transparence fiscale qui sous-tend cet accord repose donc sur la bonne volonté des représentants des Bahamas conjuguée à la pression du Gouvernement français, dont on peut parfois craindre que, en la matière, il ne pratique le double langage.
C’est pourquoi, devant le peu de garanties offertes par cet accord, la majorité des membres du RDSE et les sénateurs Radicaux de gauche font le choix de l’abstention. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite de la décision de la conférence des présidents d’inscrire à l’ordre du jour la discussion, en procédure d’examen simplifié, d’un certain nombre de conventions fiscales internationales, nous devons avouer que nous nous sommes interrogés sur l’attitude à adopter.
À la vérité, cette soudaine éruption de conventions fiscales passées entre la France et des pays et territoires comme l’Île de Man, l’archipel des Îles Turques et Caïques, les Îles Vierges britanniques ou encore la Principauté de Liechtenstein nous a convaincus d’y porter un regard au moins attentif.
Les pays et territoires visés par ces différentes conventions sont connus pour faire partie, encore aujourd’hui – c’est d’ailleurs la finalité de cette série de conventions –, de ce que l’on appelle communément les « paradis fiscaux », ces lieux et cieux tranquilles pour qui veut voir ses revenus, de préférence importants, échapper au fisc français ou aux services homologues d’autres pays à législation fiscale constituée et opératoire.
Ils ont en commun de ne compter qu’un nombre fort réduit d’habitants résidents : 335 000 habitants dans l’archipel des Bahamas, 22 000 dans les Îles Turques et Caïques, 25 000 dans les Îles Vierges britanniques, moins de 30 000 dans la République de Saint-Marin et sur le rocher de Gibraltar, un peu plus de 34 000 dans la Principauté de Liechtenstein, 61 000 dans les Îles Caïmans, environ 65 000 à Guernesey, moins de 70 000 dans l’archipel des Bermudes, un peu plus de 75 000 sur l’Île de Man, 85 000 dans la Principauté d’Andorre et 90 000 à Jersey.
Ce sont donc des territoires peu peuplés, de taille souvent réduite, même si certains des archipels antillais et caribéens dont nous évoquons les spécificités aujourd’hui ont un domaine maritime étendu.
Les Bahamas, ce sont 700 îles et 2 400 îlots pour une grande part à louer, moyennant redevance, sur la base de baux emphytéotiques.
Nous sommes surtout en présence de territoires représentatifs, pour certains, d’originalités historiques, notamment en Europe, avec Andorre ou Gibraltar, mais plus généralement dotés d’un exotisme fiscal pour le moins déroutant.
Si l’on prend en effet la situation de la plupart des territoires antillais et caribéens que nous évoquons aujourd’hui, nous constatons que l’administration fiscale n’y est guère occupée ou, en tout cas, pas aux mêmes activités que les administrations fiscales européennes, puisque, de manière générale, il n’existe dans ces territoires ni impôt sur le revenu, ni impôt sur les sociétés, ni, a fortiori, d’impôt sur la fortune.
Dans plusieurs cas, les plus-values sont exonérées et les deux seules activités fiscales importantes sont, d’une part, l’encaissement de recettes d’enregistrement – constitution de sociétés et parfois droits de mutation – et, d’autre part, la perception d’un certain nombre de droits de douane et de droits indirects sur des produits de consommation importés pour la population résidente ou de passage.
Prenons le cas des Bahamas, où il n’existe donc ni impôt sur le revenu ni impôt sur les sociétés.
Les Bahamas constituent l’un de ces pays accueillant un pavillon dit de complaisance. L’archipel se situe même dans le tiercé de tête des immatriculations sous cette forme du FOC, flag of convenience, avec plus de 46,5 millions de tonneaux immatriculés, dépassant même les références que sont, en Europe, les îles de Chypre et de Malte.
Chacun gardera en mémoire la fameuse affaire du Prestige, ce pétrolier bahaméen qui vint souiller la Galice et les Côtes d’Armor.
Mais l’archipel partage avec d’autres destinations vacancières des retraités nord-américains le privilège d’accueillir ce que l’on appelle les International Business Companies, structures juridiques plus ou moins vides en termes de personnel et d’activité productrice, mais tout à fait décisives en matière de mouvements de capitaux et de prix de transferts internes au sein des groupes multinationaux.
Ainsi, les Bahamas comptent 160 000 IBC – soit presque une pour deux habitants résidents, enfants compris ! -qui acquittent chaque année 3 000 dollars de droits d’enregistrement. Vu le volume des sommes brassées par ce type de structure, on mesure immédiatement l’impact de cette fiscalité.
Au demeurant, comme il n’y a pas de limite au dumping fiscal, d’autres territoires, dont nous examinons d’ailleurs la situation ce jour, proposent le même service – l’enregistrement d’une structure juridique ad hoc à visée d’optimisation fiscale, puisqu’une IBC n’est que cela – pour un droit moindre.
Ainsi, dans les Îles Vierges britanniques, le droit fixe d’enregistrement s’établit à 1 350 dollars, ce qui a d’ailleurs conduit les rues et le registre du commerce de la capitale de l’archipel, Road Town, à être peuplés de plus de 250 000 IBC, soit environ dix pour un habitant résident !
Les Bahamas ont toutefois une spécificité que beaucoup leur envient : celle de disposer d’un secteur bancaire important, qualifié d’offshore, regroupant 245 établissements et constituant, avec les activités immobilières, plus du cinquième du PIB de l’archipel. La crise financière aidant, cela a aussi constitué l’une des causes de la contraction de l’activité économique du pays.
Notons, bien évidemment, que les activités touristiques se révèlent également importantes pour l’économie locale. Elles sont d’ailleurs, faut-il le rappeler, à l’origine de l’essentiel des emplois dans l’archipel, emplois dont l’existence est directement liée à l’activité des croisiéristes.
Cela dit, il y a bien longtemps que l’assaut des touristes américains sur Nassau a été remplacé par les opérations financières et les activités de holding, qui constituent la spécificité de l’archipel.
New Providence, l’île qui abrite la capitale, est effectivement une providence pour tous les analystes financiers, les dirigeants de groupes, qui peuvent faire transiter par l’archipel – le plus souvent électroniquement – tout ou partie de leurs activités et, singulièrement, de leurs profits réalisés ailleurs.
Dans le même ordre d’idées, on se rappellera que la société gestionnaire de la boîte de nuit du chanteur Johnny Hallyday, l’Amnésia, physiquement située au pied de la Tour Montparnasse, était juridiquement implantée dans les Îles Caïmans,…