compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Romani
vice-président
Secrétaires :
M. Philippe Nachbar,
M. Jean-Paul Virapoullé.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Bouclier fiscal
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal, présentée par M. Thierry Foucaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du parti de gauche (proposition n° 381, rapport n° 439).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la proposition de loi.
M. Thierry Foucaud, auteur de la proposition de loi. « Le bouclier fiscal est mort. Les retraites vont lui mettre le coup de grâce, car elles obligent à la solidarité. La mesure est insupportable, car ce sont les gros riches qui en profitent. Aux régionales, nos électeurs nous ont reproché de faire une politique pour les riches. » Ces mots, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sont signés Lionnel Luca, député UMP de Cagnes-sur-Mer et Villeneuve-Loubet.
Que ne nous avait-on pas dit, pourtant !
Rappelons-nous les propos tenus, en décembre 2005, par Jean-François Copé, alors ministre du budget : « Le plafonnement des impôts est une grande innovation. C’est en effet la première fois en France, en tout cas depuis fort longtemps, que la totalité des impôts à la personne sont plafonnés par rapport aux revenus. [...]
« Cette mesure est un bon concentré de la philosophie qui sous-tend notre réforme fiscale. Celle-ci est juste et préserve l’attractivité de notre territoire.
« En effet, sur les 93 000 personnes qui bénéficieront de ce plafonnement, près de 90 % sont dans le premier décile de revenu. Cela s’explique par le fait que les impôts locaux ont été intégrés au bouclier fiscal. C’est un point très important, auquel je tiens beaucoup. Cela signifie qu’il s’agit d’une mesure de justice. [...]
« Notre rôle est de veiller à ce que chacun soit reconnu : les personnes modestes doivent pouvoir bénéficier de la solidarité et les gens aisés doivent être encouragés. Nombre d’entre eux, en effet, sont des gens qui s’engagent, qui prennent des risques, qui entreprennent et sont de très bons contribuables. Or, à force d’être fustigés, certains ont quitté notre territoire et ne paient plus d’impôts en France, à la plus grande satisfaction, sans doute, des idéologues. Je rappellerai tout de même que le fait que ces personnes aient été obligées de s’expatrier au motif que l’impôt est confiscatoire en France est un échec pour notre nation ».
Dans ce discours de Jean-François Copé visant à défendre la création du bouclier fiscal, nous trouvons, encore aujourd’hui, une bonne partie des arguments que certains opposent à cette nécessité impérieuse, à cette mesure de justice fiscale et sociale élémentaire dont nous débattons aujourd’hui : la suppression de ce dispositif coûteux et inutile dont notre droit fiscal est encore affublé.
Aujourd’hui, près de 70 % des Français, qu’ils soient de droite ou de gauche, jugent nécessaire la suppression ou, à tout le moins, la suspension du bouclier fiscal. Comme ils ont raison !
Du chèque de 7 millions d’euros remboursés, lors de la première année d’application de ce dispositif, à Mme Meyer, héritière des Galeries Lafayette, au chèque moyen de 360 000 euros versés à un petit millier de bénéficiaires en 2009, en passant par l’auto-liquidation encouragée par notre rapporteur général – une mesure qui coûte 142 millions d’euros de trésorerie à l’État ! –, tout a conduit, et singulièrement depuis l’abaissement du plafond à 50 %, à rendre intolérable l’existence du bouclier fiscal.
Nos compatriotes se font une idée élevée de l’égalité, qui leur rend parfaitement insupportable un dispositif comme le bouclier fiscal.
On ne peut pas écrire dans la Constitution que chacun contribue à la charge publique à concurrence de ses facultés, et laisser perdurer un système dans lequel, à un moment donné, certains sont considérés comme étant trop riches pour continuer à payer impôts et cotisations sociales.
Au-delà de la gauche parlementaire et politique, d’autres voix se sont fait entendre, ces derniers temps, sur le bouclier fiscal : celle du président Arthuis,…
M. Guy Fischer. C’est vrai, M. Arthuis en a beaucoup parlé !
M. Thierry Foucaud. ... celle de Dominique de Villepin, qui était pourtant Premier ministre en 2006, celle de Jean-Pierre Fourcade et du secrétaire d’État chargé des affaires européennes, Pierre Lellouche ; tous ont demandé, en invoquant le contexte de crise que nous connaissons, la suppression du bouclier fiscal.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Vous n’avez pas cité l’ensemble de mon propos, monsieur Foucaud ; j’ai parlé de « trilogie » !
M. Thierry Foucaud. Nous savons que certains s’emploient aujourd’hui à « gager » la suppression du bouclier fiscal sur d’autres mesures, par exemple la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : même au sein de la majorité présidentielle, même dans les rangs de la majorité sénatoriale, on sait que le bouclier fiscal fait tache et s’apparente de plus en plus, non à une égide protectrice, mais à une sorte de tunique de Nessus, qui empoisonnera la vie de tous les candidats et élus UMP jusqu’à sa disparition…
Madame la secrétaire d’État, alors que le pari économique du sarkozysme s’est fracassé sur la crise financière de 2008 et ses répliques économiques et sociales, alors que les déficits publics ont explosé sans que la nation s’enrichisse vraiment, et alors que paraît venu le temps de la rigueur, qui cache mal la grande austérité, comment allez-vous faire admettre aux Françaises et aux Français l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite, la baisse des prestations sociales, le gel de la rémunération des agents publics et les suppressions massives d’emplois, si vous laissez perdurer le bouclier fiscal ? Et en feignant de mettre à contribution les plus hauts revenus, et notamment les revenus financiers, pour équilibrer un peu mieux les comptes sociaux, tout en maintenant le bouclier fiscal, vous ferez simplement diversion, puisque ce dispositif ne concerne qu’une petite partie des détenteurs de tels revenus !
D’aucuns nous diront que le bouclier fiscal est symbolique et que sa suppression ne suffira sans doute pas à redresser les comptes publics. La belle affaire ! Et la belle critique que voilà…
Bien entendu, cela ne suffira pas à redresser les comptes publics ! Que pèsent 600 millions d’euros face aux 150 milliards d’euros de déficit constatés en 2009 ou en 2010 ? Mais la suppression du bouclier fiscal est l’une des étapes, et peut-être la première, de la réforme fiscale de grande ampleur que nous entendons promouvoir.
On nous dit aussi que ce n’est pas le moment de parler de tout cela et qu’il sera plus opportun d’en débattre lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Au cas où nous n’aurions pas compris ce que ces propos signifient, on nous annonce d’ailleurs que l’on va « raboter » les niches fiscales de 5 à 6 milliards d’euros.
Mes chers collègues, faisons tout de suite 10 % du chemin en supprimant le bouclier fiscal ! Ce sera déjà cela de fait !
Disant cela, j’oubliais que le bouclier fiscal n’était pas une niche fiscale à proprement parler, mais en quelque sorte la dernière cartouche qui reste après utilisation de toute l’artillerie de la défiscalisation ! C’est sans doute ce qui fait aujourd’hui son insuccès et ce qui nous prive de la vision concrète de son efficacité.
En effet, le problème est là : le bouclier fiscal ne fait pas recette ; ou plutôt, il n’est qu’une dépense fiscale de plus, la plus impopulaire de toutes et sans doute la plus inefficace.
Pourtant, en 2005, que d’espérances ! Que de belles et nobles déclarations !
Que constate-t-on à la lecture du rapport succinct, incomplet, mais néanmoins instructif sur certains points, de notre collègue eurélien Albéric de Montgolfier, qui n’était pas encore sénateur en 2005 ?
Mme Lagarde déclarait, voilà quelques semaines : « Le bouclier fiscal ça n’est pas que pour les plus riches. [...] 60 % des bénéficiaires sont des petits revenus ». Or les chiffres figurant dans le tableau intégré au rapport ne souffrent aucune équivoque.
Premièrement, il est désormais acquis que les attentes portant sur le nombre de bénéficiaires sont loin d’être satisfaites.
Malgré les consignes adressées aux agents du fisc de relancer les contribuables, au lieu des 93 000 boucliers attendus, on en compte seulement 16 350, parmi lesquels figurent en majorité des titulaires de faibles revenus. Encore heureux que les redevables de l’ISF ne soient pas majoritaires parmi les bénéficiaires du bouclier fiscal !
Je rappelle à ceux qui seraient quelque peu fâchés avec les ordres de grandeur, que les 550 000 ou 600 000 redevables de l’ISF représentent seulement 1,5 % des 36 millions de contribuables de notre pays !
Deuxièmement, 8 675 bénéficiaires du bouclier fiscal, non redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune, se voient rembourser, au total, environ 5,5 millions d’euros ; cela signifie que 53 % des bénéficiaires du bouclier fiscal se partagent 1 % de son enveloppe. Le cadeau est, en moyenne, de 632 euros par an… S’il fallait encore prouver que le bouclier fiscal vise à s’attaquer à l’ISF, ces éléments chiffrés communiqués par Bercy en fourniraient une démonstration éclatante.
Nous trouvons même parmi les « petits revenus » une petite trentaine de contribuables dont le patrimoine est supérieur à 16 millions d’euros et les revenus imposables inférieurs à 16 000 euros annuels ! En théorie, sans doute...
En clair, le bouclier fiscal est l’un des outils de démolition de l’ISF les plus efficaces, détruisant de 15 % à 20 % du rendement potentiel de ce juste impôt sur le patrimoine. Bien abrités derrière le bouclier, 7 675 redevables de l’ISF se partagent 99 % du bénéfice de la mesure, soit 580 millions d’euros et une restitution moyenne de 75 580 euros ! Cette somme est équivalente à 120 fois la moyenne de ce qui est rendu aux non-redevables de l’ISF !
En raison de cette situation, le bénéficiaire du bouclier fiscal est soit un contribuable très modeste, se faisant rembourser sa taxe foncière, soit un contribuable de l’ISF disposant d’au moins 12 000 euros de revenus mensuels ! Le reste ne procède que de l’exception ou du cumul des étrangetés de la fiscalité...
Une telle situation anéantit d’ailleurs la fiction idéologique selon laquelle le bouclier fiscal limite la somme des impôts prise en compte à 50 % du produit du travail de chacun. Ce ne sont pas les taxes locales, la contribution sociale généralisée, la CSG, ou la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, qui sont remboursées à ce niveau ! C’est bel et bien d’abord et avant tout la taxation du patrimoine qui est visée !
La moindre des dix remises les plus importantes s’avère supérieure au total du remboursement effectué en faveur des 8 675 bénéficiaires non assujettis à l’ISF ! Le bouclier fiscal n’est une très bonne opération que pour le millier de contribuables qui, en moyenne, ont reçu un chèque de 360 000 euros du Trésor public, soit le versement de l’équivalent d’un SMIC net tous les jours que Dieu fait !
Devons-nous laisser perdurer une telle situation ? Devons-nous laisser exister dans notre droit fiscal une mesure qui n’intéresse réellement que moins du tiers du dix millième des contribuables de ce pays, c’est-à-dire une disposition étrangère à 99,997 % d’entre eux ?
Le peu de succès du bouclier fiscal soulève néanmoins des interrogations. Il faut y voir plusieurs raisons, à la fois techniques et politiques. Atteindre un taux d’imposition de 50 % dans un système de prélèvements comme le nôtre nécessite, à proprement parler, une certaine méconnaissance des outils d’optimisation fiscale existants. En effet, d’une part, la tranche supérieure du barème de l’impôt sur le revenu est plafonnée à 40 % ; d’autre part, le taux maximal d’imposition réellement observé est proche de 28 % et souvent compris entre 20 % et 25 %.
Selon l’étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, sur les inégalités de revenus et de patrimoine en France, les revenus dits des « plus aisés », déclarant un revenu moyen annuel par personne de 1 269 355 euros, sont, en majorité, soumis à un prélèvement fiscal inférieur à 25 %. Et c’est également le cas des trois quarts des redevables qui disposent d’un revenu moyen annuel de 118 634 euros, c’est-à-dire, tout de même, 10 000 euros mensuels…
Pourquoi une telle situation ? Tout simplement parce que notre droit fiscal est truffé de dispositifs dérogatoires – taux de prélèvements libératoires plus faibles que le taux maximal du barème de l’impôt, dispositifs particuliers incitatifs pour les placements boursiers, les investissements locatifs, le traitement des plus-values de cession d’actifs, entre autres – qui font largement échapper à l’impôt progressif des éléments très importants du revenu des personnes concernées. Ces dispositifs portent un nom générique : ce sont les niches fiscales, ces fameuses niches qui font l’objet d’une attention particulière ces derniers temps.
Mes chers collègues, l’accroissement des inégalités sociales dans notre pays se manifeste aussi dans la diversité des sources de revenus. Si les personnes percevant de très hauts revenus disposent souvent de rémunérations élevées – importantes notes de frais, éléments de rémunération variable confortables, stock-options et autres « joyeusetés » –, elles bénéficient, dans le même temps, d’importants revenus tirés de l’exploitation d’un patrimoine foncier, immobilier ou mobilier. Elles cumulent donc différents revenus Pour reprendre une expression populaire, « l’argent va à l’argent » ! Et comme ces revenus échappent largement à l’impôt progressif, le besoin de recourir au bouclier fiscal est d’autant plus faible qu’il est, de droit et de fait, inutile.
Dans notre pays, les 10 % de contribuables les plus aisés perçoivent in fine les deux tiers des revenus du patrimoine et les quatre cinquièmes des revenus de caractère exceptionnel, telles, entre autres, les plus-values. Plus on est riche et dépositaire de revenus du capital et du patrimoine, moins on dispose de biens immobiliers, plus on diversifie les éléments de son patrimoine, allant éventuellement jusqu’à jouir de revenus de source étrangère, au fil des opportunités !
Le fait que les RMIstes de la Réunion qui, grâce au bouclier fiscal, récupèrent leur taxe foncière, jadis remboursée sur recours gracieux, procède de l’anecdote ! C’est bel et bien dans les milieux de la grande bourgeoisie, particulièrement parisienne, puis des banlieues aisées et des quartiers chics de province que l’on recrute les vrais et peu nombreux bénéficiaires du bouclier fiscal ! C’est aussi là que l’on trouve ceux qui « savent » ne pas payer d’ISF en donnant, à l’euro près, la somme nécessaire à la Fondation de France…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. C’est bien !
M. Thierry Foucaud. … ou au dispositif ISF-PME, en imputant comme il convient les coûts éventuels d’acquisition de tel ou tel élément de patrimoine, qu’il s’agisse d’un immeuble comme de titres ou de parts de sociétés.
Dans notre pays, la diversité des niches fiscales est telle que le bouclier fiscal est une sorte de « niche ultime », quelque peu similaire à la session de rattrapage des « cancres » qui n’auraient pas fait ce qu’il faut avant...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un petit bonus supplémentaire !
M. Thierry Foucaud. Il faut jouer cartes sur table, sans montages hasardeux ni bricolage fiscal, pour voir si l’administration fiscale considère si, oui ou non, plus de 50 % des revenus, rarement d’origine professionnelle et provenant plus souvent d’autres sources d’alimentation, sont imposés. Cette transparence – concession obligée –, beaucoup refusent de la jouer. Cela explique sans doute aussi cette stagnation du nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal.
Devons-nous laisser perdurer dans notre droit fiscal une mesure ciblée, qui ne semble pas avoir résolu le problème de la dissimulation des revenus et de la fraude fiscale ?
Portons maintenant un regard sur l’une des motivations de l’existence du bouclier fiscal, rappelées, à l’origine, par M. Copé : le « bouclier » allait faire rentrer en France quelques-uns des « exilés fiscaux » que le paiement trop élevé d’impôt aurait éloignés de la mère patrie.
De quelle évaluation des effets du bouclier fiscal sur le retour de ces Français méritants disposons-nous aujourd’hui ? D’aucune, malgré nos réclamations ! Je ne sais d’ailleurs si le nombre de nos compatriotes rentrés en France est élevé, si celui des redevables partis est plus important, ou encore s’il faut, comme le pointait le grand journaliste Patrick Poivre d’Arvor, accorder autant d’intérêt à ceux qui « préfèrent leur portefeuille à leur drapeau ». Quoi qu’il en soit, la question mérite sans doute d’être traitée.
Prétendre que le retour des contribuables de l’ISF suffirait à prouver le bien-fondé du bouclier fiscal revient à avouer que le bouclier fiscal cible bien l’ISF et que le reste du discours procède de l’habillage idéologique !
Quant aux contribuables de l’ISF entrant et sortant du territoire français, faut-il les regretter, comme on pourrait regretter notre estimé collègue Paul Dubrule qui, ayant cessé ses fonctions à la tête du groupe Accor, n’a pas trouvé mieux – les faits ont été relatés par la télévision – que d’émigrer aussi vite que possible sur les hauteurs de Genève, dans une villa de 500 mètres carrés habitables, pour faire échapper les 300 millions d’euros de son patrimoine à l’ISF ?
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et c’est un élu de la nation !
M. Thierry Foucaud. Cet impôt l’aurait contraint à payer chaque année 2,5 millions d’euros, soit moins d’un point de la valeur de ce patrimoine, somme qui aurait permis d’embaucher des enseignants, de rémunérer des gardiens de la paix, de bitumer des routes ou encore de construire des gymnases et des logements sociaux, toutes dépenses scandaleuses de l’État et des collectivités publiques pour une grande majorité d’entre vous, mes chers collègues ! Grâce à cette somme, on aurait même pu financer la formation des cuisiniers, des réceptionnistes polyglottes et des gestionnaires d’établissements dont son groupe a besoin pour continuer à lui verser des dividendes ! Tout cela est un scandale sans nom !
À la vérité, réduire l’efficacité du bouclier fiscal aux seuls mouvements observés sur les contribuables de l’ISF fait perdre de vue l’essentiel : ce qui coûte cher à la France, mes chers collègues, ce n’est pas l’égoïsme et la morgue de quelques individus fortunés qui s’exilent à l’étranger pour des raisons fiscales, c’est bien plutôt l’exode massif de jeunes salariés, le plus souvent diplômés, qui ne trouvent pas d’emploi dans notre pays et qui sont l’objet d’une véritable razzia de la part des entreprises étrangères. Ces dernières savent que la dépense publique, contrepartie de l’impôt citoyen, permet à notre pays, par le biais de ses lycées, de ses facultés ou de ses grandes écoles, de former une main-d’œuvre nombreuse, qualifiée, dynamique, créative, que les systèmes éducatifs plus libéraux ou les sociétés fermées, qui méprisent le droit des femmes aux études et à la formation, sont dans la plus parfaite incapacité de produire.
Mes chers collègues, notre potentiel de croissance ne réside pas dans le maintien d’un bouclier fiscal, qui ne conduit aucun contribuable à revenir et coûte 600 millions d’euros au budget général, somme à laquelle doit être ajoutée la dette induite et ses intérêts ! Il dépend de la suppression pure et simple de cette disposition et d’un effort renouvelé dans le domaine de la formation initiale et de l’insertion professionnelle de notre jeunesse, quelle que soit son origine sociale.
Madame la secrétaire d’État, seul le travail doit être valorisé, seul le travailleur doit être assisté, s’il ne peut faire valoir ses droits.
Outre les raisons que je viens de rappeler, c’est aussi pour rétablir cette priorité de l’action publique que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi tendant à l’abrogation du bouclier fiscal.
Dois-je comparer le coût de 600 millions d’euros précité et la suppression de la prime de 150 euros accordée aux 3 millions de personnes les plus pauvres de France, mesure qui ne rapportera que 450 millions d’euros, pour illustrer mon propos ? Arrêtez ! Mettez fin à la dette, aux scandaleuses niches fiscales, au bouclier fiscal ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par cette proposition de loi, les membres du groupe CRC-SPG nous invitent à abroger le bouclier fiscal.
Comme je l’ai déjà indiqué en commission, il convient de saluer leur constance, puisqu’ils ont déjà formulé cette proposition au Sénat, par voie d’amendements, lors de l’examen de la loi de finances et de chaque loi de finances rectificative de l’année écoulée, ainsi que dans le cadre d’une proposition de loi examinée l’année dernière par notre assemblée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça urge !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le Sénat, lui aussi, s’est montré constant en repoussant systématiquement ces initiatives.
Pour abréger le suspense, je vous indique d’ores et déjà, mes chers collègues, que la commission des finances a décidé de vous inviter, une fois encore, à persévérer dans cette voie. Ce choix s’explique par des raisons à la fois de fond et de forme.
Sur le fond, l’article 1er du code général des impôts pose le principe suivant : « Les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avant, c’était 60 % !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il s’agit de la traduction littérale d’un engagement pris par Nicolas Sarkozy devant les Français lors de la campagne présidentielle de 2007.
M. Guy Fischer. Bravo Sarkozy !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il avait pris bien d’autres engagements qu’il n’a pas tenus !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Dès lors, nul n’a pu être surpris par le renforcement du bouclier dans le cadre de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA », de 2007. Et nul ne devrait être surpris que la majorité fasse preuve de constance sur ce sujet !
En outre, ce bouclier, que critiquent nos collègues, est un rempart indispensable en raison de l’architecture actuelle de la fiscalité des personnes. Il est bon de rappeler – cette remarque vous fera peut-être moins plaisir, mes chers collègues de l’opposition – que, lorsqu’il a créé l’ISF dans la loi de finances pour 1989, le gouvernement Rocard avait prévu son plafonnement. Ainsi, le cumul de l’impôt sur le revenu et de l’ISF ne devait pas dépasser 70 % du revenu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est à 50 %, ce n’est pas la même chose !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Même si ce taux a été porté à 85 % en 1991, le principe du plafonnement est demeuré. Ce n’est, par la suite, que parce que ce plafonnement a lui-même été plafonné à 50 % de l’ISF normalement dû que cet impôt a pu se révéler confiscatoire pour certains contribuables, en les obligeant à consacrer l’ensemble de leurs revenus au paiement de leurs impôts.
Monsieur Thierry Foucaud, vous avez cité la Constitution. Je citerai, pour ma part, le Conseil constitutionnel : il s’est exprimé de façon claire sur le bouclier fiscal, en considérant que l’exigence définie par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives » et que, dès lors, l’instauration du bouclier fiscal « loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».
D’ailleurs, mes chers collègues, comme le montrent les chiffres provisoires sur le coût du bouclier fiscal en 2009, qui figurent dans mon rapport écrit, plus de la moitié des bénéficiaires du bouclier fiscal – 53 %, pour être exact – ne sont pas redevables de l’ISF. Certes, le coût du dispositif, soit 585,6 millions d’euros selon les données provisoires de 2009, se concentre principalement sur les plus gros contributeurs.
Mais cela relève de la pure logique mathématique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, c’est sûr !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Et, comme il est normal, les principaux contributeurs avant restitution restent les principaux contributeurs après l’application du bouclier fiscal.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont les plus riches qui bénéficient du bouclier fiscal, c’est le but !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Les contribuables du dernier centile, au nombre de 536, ont perçu en moyenne 336 000 euros – c’est indiqué dans le rapport –, mais ils ont déboursé en moyenne 806 000 euros.
La restitution n’excède donc pas un quart de l’impôt payé. Rendons aux chiffres leur juste mesure...
Contrairement à la caricature qui en est parfois faite, au regard de notre fiscalité actuelle, le bouclier fiscal répond donc à un impératif de justice fiscale. En effet, les impôts décorrélés du revenu – c’est-à-dire l’ISF et la taxe foncière – ne doivent pas conduire à une surtaxation des contribuables.
Mes chers collègues, si la majorité ne peut adhérer à l’esprit de cette proposition de loi, elle n’est pas pour autant arc-boutée sur un texte qui serait intouchable, comme certains ici ont l’air de le croire.
M. Adrien Gouteyron. Oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. La majorité l’a déjà montré au cours de la dernière discussion budgétaire. En effet, je vous le rappelle, afin d’assurer une meilleure prise en compte des revenus réels des contribuables, les régimes des dividendes et de l’imputation des déficits ont été révisés dans le cadre de la loi de finances pour 2010.
De plus, le Gouvernement a récemment dit que, face à la charge constante que représente le financement des retraites, la règle du bouclier fiscal pourrait s’accommoder de l’exception d’un prélèvement supplémentaire qui ne serait pas pris en compte pour le calcul du droit à restitution. À nos yeux, le maintien d’une pression fiscale normale ne doit pas faire obstacle à la nécessaire solidarité des plus aisés.
En un mot, la commission des finances considère que la question du bouclier fiscal ne doit pas être traitée de manière simpliste.