PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Rémunération des salariés reclassés
Adoption définitive d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement (proposition de loi n° 504 rectifié, texte de la commission n° 413, rapport n° 412).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise économique mondiale a de graves conséquences sur la vie des citoyens et de nos entreprises. Toute l'action du Gouvernement vise à en préserver les Français. En tant que ministre du travail, mon souci est d’abord de tout mettre en œuvre pour protéger les salariés, tout en donnant aux entreprises les moyens de renouer durablement avec la croissance. C’est le sens de l’intervention du Président de la République devant l'Organisation internationale du travail, le 15 juin dernier, quand il a plaidé en faveur d'une meilleure régulation de la mondialisation afin d’allier progrès économique et progrès social.
Dans ce contexte, je suis heureux d'examiner avec vous ce soir un texte dont chacun reconnaît à la fois la nécessité et l'urgence.
La nécessité, parce que, aujourd'hui, les dispositions relatives aux propositions de reclassement à l'étranger d'un salarié faisant l'objet d'un projet de licenciement pour motif économique ne sont en fait satisfaisantes ni pour le salarié ni pour l'entreprise. L'urgence, parce que, chaque mois, des entreprises et des salariés se trouvent, faute de solution, dans une impasse à la fois sur le plan juridique et sur le plan humain. Je reviendrai brièvement sur ces situations.
Pour remédier à ces difficultés, la proposition de loi élaborée par le groupe Nouveau Centre de l’Assemblée nationale apporte une réponse claire et efficace, qui recueillera ici, je l'espère, une unanimité similaire à celle qu'elle a suscitée à l'Assemblée nationale.
Cependant, je n’ignore pas un certain nombre d’interrogations, dont nous parlerons évidemment.
J’évoquerai successivement ces trois points.
En premier lieu, les conditions de reclassement d'un salarié à l'étranger en cas de licenciement pour motif économique ne sont satisfaisantes ni pour le salarié ni pour l'entreprise.
Concernant d’abord le salarié, nous avons tous en mémoire des exemples entendus le matin à la radio et mis en lumière par des commentaires qui nous semblent un peu absurdes et très décalés. Je pense à des propositions d'emploi en Tunisie à 137 euros par mois faites aux salariés licenciés du site Continental. Quand on propose à un salarié de le reclasser dans des conditions objectivement indignes, c'est, d'un point de vue éthique ou humain – le champ lexical est vaste – absolument inacceptable. Ces propositions émeuvent évidemment à la fois le salarié lui-même, sa famille et, d’une certaine façon, toute la population qui en est informée.
Mais, il ne faut pas se leurrer, ces situations ne sont pas non plus satisfaisantes pour l'entreprise. Depuis plus de quinze ans, la chambre sociale de la Cour de cassation a construit une jurisprudence qui impose à l'employeur de reclasser les salariés, dans toute la mesure possible, quelles que soient la nature du poste et sa situation géographique.
Une entreprise qui est membre d’un groupe ayant des filiales à l'étranger et qui envisage de licencier des salariés pour motif économique doit donc respecter cette exigence. Il lui incombe de proposer des postes de reclassement, que ces postes se situent en France ou à l’étranger, en Inde, en Tunisie, en Bulgarie ou en Roumanie, quel que soit le secteur d’activité d’origine et il n’est par ailleurs nullement exigé d’offrir un salaire comparable.
Pour une entreprise qui ne respecte pas cette obligation, et ce point est peu connu, le coût est considérable. Je citerai l’exemple du fabricant de chaussettes Olympia – que vous connaissez certainement – qui n'a pas voulu placer ses salariés dans cette situation. Cette société avait même averti son comité d'entreprise qu'elle ne proposerait pas de postes situés dans une filiale en Roumanie et rémunérés 110 euros par mois, au motif que de telles conditions seraient indignes. Mais ce refus a amené la cour d'appel de Reims à la condamner, le 13 mai 2009, à une amende d’un montant de 2,5 millions d'euros. Cela a bien sûr aggravé la situation financière de l’entreprise, qui était déjà fragile. Si une entreprise ne fait pas de telles propositions, elle est condamnée par la justice, et si elle fait ces propositions, elle est également condamnée, par la rumeur publique.
On comprend le bien-fondé de cette jurisprudence : il s'agit, nous en sommes bien d’accord, de faire du licenciement la mesure de dernier recours. Mais, dans la plupart des cas, cela conduit les entreprises à adresser aux salariés des propositions de reclassement déraisonnables, pour ne pas dire absurdes et inqualifiables. Quand la loi conduit à de telles situations, il faut à l’évidence y remédier sans délai. C'est l'objet de la présente proposition de loi.
En deuxième lieu, ce texte apporte une solution équilibrée en protégeant à la fois le salarié et l'entreprise.
Je voudrais saluer le travail du groupe Nouveau Centre, à l’origine de cette proposition de loi. Je tiens à remercier le député M. Folliot pour son excellent rapport. Merci également à vous-même, monsieur le rapporteur, pour les travaux que vous avez conduits dans le cadre de la préparation, très minutieuse, de ce texte, afin que le droit positif apporte une réponse pertinente à ces situations. Ce texte apporte en effet la solution qui était attendue depuis longtemps. Elle présente plusieurs avantages.
D’abord, elle ne change rien à l'impératif de reclassement qui pèse sur l'entreprise : quand le reclassement du salarié est possible, aucun licenciement ne peut avoir lieu et l'employeur doit lui faire des propositions précises et écrites.
Ensuite, et là est l’essentiel, on interroge désormais le salarié, on lui demande en quelque sorte son avis, dès lors que l’entreprise ou le groupe dont elle fait partie est implanté hors du territoire national, sur une question centrale, celle des périmètres du reclassement pour les postes situés à l'étranger. Il appartient au salarié, principal intéressé, de dire où il souhaite être reclassé, les destinations géographiques qu’il refuse, le salaire qu’il est prêt à accepter et la nature du poste pour lequel, d’un point de vue professionnel, il peut avoir de l’intérêt. En effet, chacun n’est pas forcément disposé à changer totalement de métier. Ce questionnaire permettra à l’entreprise de clarifier ses propositions de reclassement.
Ainsi, les individus concernés devront indiquer s'ils souhaitent se voir proposés des postes en Inde, en Chine, en Roumanie ou en Belgique, et leurs conditions pour les accepter. Par exemple, il peut être intéressant, pour un jeune en début de carrière, de vivre une expérience à l'international. Ces questions doivent être posées, quel que soit le salarié, car la réponse est personnelle.
Mme Annie David. Et voilà l’astuce !
M. Éric Woerth, ministre. Ils demeureront libres ensuite de les accepter ou non.
C’est tout l'intérêt du questionnaire adressé par l’employeur aux salariés concernés : il leur sera demandé de définir eux-mêmes le champ raisonnable du poste de reclassement à l’étranger. C’est une procédure simple et lisible, qui protège non seulement les salariés de propositions vécues comme humiliantes, mais aussi les entreprises de l'insécurité juridique afin d’éviter une répétition de la « jurisprudence Olympia ».
En outre, cette solution du « questionnaire préalable » a été validée par le Conseil d'État, notamment dans sa décision en date du 4 février 2004. L’inscrire dans notre droit positif permettra d’unifier la dimension civile et la dimension administrative de notre ordre juridique : ce sont des cohérences dont il faut se réjouir.
En troisième lieu, je souhaite, monsieur le rapporteur, apporter quelques réponses aux interrogations qui subsistent et qui font l’objet d’un certain nombre d’amendements.
Première question : ce texte sera-t-il, ou non, une source importante de contentieux à venir ? Je ne sais pas ! Tous les textes sont sources de contentieux, notamment lorsqu’ils traitent de situations aussi personnelles. Néanmoins, je ne le pense pas, même si, j’en suis conscient, il est difficile de le dire à ce stade.
Deuxième question : faut-il entrer dans les détails et instaurer des références françaises, à l’instar de notre SMIC, quand il s’agit de postes à l'étranger ? C’est une question difficile, dans la mesure où, à l’étranger, il n’y a pas nécessairement d’élément comparable au SMIC…
Mme Annie David. Justement !
M. Éric Woerth, ministre. … et il faut donc recalculer les rémunérations. À mon sens, la référence à un niveau de salaire précis, comme le SMIC, est intégrée au questionnaire. Ce que le salarié est prêt à accepter correspond en général à son niveau de rémunération au moment de l’offre de reclassement. Ainsi, payé au SMIC, il refusera de percevoir un montant inférieur. Mieux rétribué, il précisera son niveau d’exigence. De même, il pourra indiquer être disposé à accepter un salaire inférieur au SMIC dans tel pays, si tel est son choix.
Mme Annie David. Son choix ?
M. Éric Woerth, ministre. Il est important que le salarié puisse le préciser.
Enfin, ne l’oublions pas, il faut parler de reclassement de personnes. En ce sens, si le lieu et le niveau de rémunération sont des questions légitimes, celle du métier doit également être prise en compte.
Troisième question : la souplesse du dispositif ne risque-t-elle pas d'avoir des effets pervers ? Peut-être. On peut craindre en effet que des entreprises sans scrupule ne détournent les questions posées afin de priver le salarié de son droit au reclassement. Soyons clairs : ces cas illustreraient un manquement manifeste à l'obligation d'exécution de bonne foi, qui constitue pourtant le cœur du contrat de travail. Le juge judiciaire devra alors jouer son rôle et en tirer toutes les conséquences. Selon moi, il n’y a pas de risque majeur à privilégier la souplesse, en laissant d’abord le salarié s’exprimer sur la base des propositions de l’entreprise, donner son opinion d’une manière générale.
L’applicabilité du texte lors des procédures de liquidation judiciaire a été également évoquée. À mon avis, exclure les procédures judiciaires serait une erreur. D’abord, elles ne sont pas si nombreuses. On compte une vingtaine de cas sur les 20 000 liquidations judiciaires que notre pays connaît chaque année. Ensuite, en n’appliquant pas ce droit aux liquidations judiciaires, on créerait deux catégories de salariés : ceux qui seraient interrogés et ceux qui ne le seraient pas. Il me semble assez logique de permettre à toutes les entreprises, même celles qui sont en liquidation judicaire, de suivre cette procédure.
Par ailleurs, une telle distinction pourrait éventuellement favoriser le développement d’abus de procédure. Nous nous exposerions alors à des risques de fraude si, en effet, des dirigeants malhonnêtes, afin d’échapper à leurs obligations, organisaient la faillite de leurs filiales à l’étranger. Or si celles-ci se portent bien, pourquoi les exclure du champ du reclassement ? Cette question mérite d’être posée.
Sans doute tel ou tel point demeure-t-il, bien sûr, perfectible. À mes yeux, nous sommes toutefois parvenus à un équilibre. Le Sénat est libre de le remettre en cause, c’est sa responsabilité. Nous pourrions entrer plus dans le détail. À ce stade, je n’ai pas d’avis plus précis sur la question. Il me paraît cependant sage de nous en tenir là, pour des questions de délais. En effet, éviter la poursuite de la navette permettrait d’assurer la sécurité des salariés le plus rapidement possible. Peut-être souhaiterez-vous au contraire détailler davantage certaines dispositions ?
Quoi qu’il en soit, nous partageons le même souci : en finir avec les offres de reclassement aberrantes qui sont proposées aux salariés français. Essayons de trouver ensemble la meilleure voie pour y parvenir. J’ai évidemment confiance dans notre discussion pour atteindre cet objectif. Nous y arriverons, je n’en doute pas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir vise à mettre fin aux « scandales sociaux » des offres d’emploi indécentes qui naissent à l’occasion de licenciements économiques dans des grands groupes.
En l’état actuel du droit, je le rappelle, les entreprises appartenant à des groupes ayant des établissements à l’étranger doivent, au moment où elles envisagent des licenciements pour motif économique, proposer aux salariés concernés d’être reclassés et leur présenter, à ce titre, la totalité des postes disponibles dans tous les établissements du groupe. Ces entreprises ont donc l’obligation légale de proposer, si elles en disposent, des offres d’emploi aux salariés que ceux-ci estiment légitimement choquantes. Ce fut le cas, par exemple, de l’entreprise de textile Carreman située à Castres, qui a présenté à ses ouvriers des postes rémunérés 69 euros mensuels en Inde, ce qui a conduit notre collègue député Philippe Folliot à déposer cette proposition de loi.
Pour tenter de mettre un terme à ces situations inacceptables aussi bien pour les salariés que pour les entreprises, ce texte vise à légaliser, dans la procédure de licenciement, le recours au questionnaire préalable. Ce dispositif, censuré par la Cour de cassation en 2009, permet à l’employeur d’interroger les salariés sur leurs souhaits de reclassement avant de leur faire parvenir les offres. L’employeur n’est alors tenu de n’adresser aux salariés que les offres qui correspondent à leurs aspirations.
Théoriquement, le texte évite par conséquent à l’employeur de proposer des offres déplacées, puisque l’on peut raisonnablement supposer que le salarié déclarera, le plus souvent – pour ne pas dire, à chaque fois –, dans son questionnaire, qu’il ne souhaite pas partir à l’étranger – c’est ce que l’on constate aujourd'hui ! – ou être reclassé sur un poste dont la rémunération est inférieure à celle de son poste actuel.
L’idée est donc particulièrement pertinente. Pourtant, – croyez-le bien, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais préféré qu’il n’en soit pas ainsi – les différentes auditions auxquelles j’ai procédé, et que le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale n’avait pas eu le temps d’entreprendre, notamment celles de la Cour de cassation et de professeurs de droit du travail, ont révélé que le texte, dans sa rédaction actuelle, présente quatre difficultés majeures.
D’abord, et il s’agit, à mon sens, du point le plus embarrassant, il est loin d’être évident que le texte mette un terme aux scandales, car il ne prévoit aucun plancher salarial légal s’appliquant aux offres de reclassement, contrairement, d’ailleurs, à la version initiale du texte proposé par Philippe Folliot.
Aux termes de la rédaction résultant des travaux de l’Assemblée nationale, si l’employeur envoie au salarié un questionnaire lui demandant s’il accepterait, en partant à l’étranger, une baisse de rémunération, il suffit que le salarié donne son accord de principe pour que l’employeur soit toujours obligé, par la loi, de lui faire parvenir la totalité des offres disponibles, dont celle que j’ai évoquée tout à l'heure : un emploi à 69 euros en Inde. Le salarié aura donné son accord de principe pour une baisse de rémunération, mais ne s’attendra pas pour autant, vous le comprendrez, mes chers collègues, à recevoir de telles offres, qu’il continuera de juger humiliantes. Nous n’aurons donc pas réglé le problème.
De plus, si l’employeur essaie de contourner la difficulté en demandant au salarié le niveau de salaire qu’il est prêt à accepter pour être reclassé, le scandale des offres risque de se reporter sur le questionnaire lui-même. L’employeur se verra reprocher d’exercer une sorte de chantage sur les salariés, qui auront le sentiment que plus la baisse de salaire qu’ils acceptent dans le questionnaire est importante, plus grandes seront leurs chances d’être reclassés.
A également été évoquée la possibilité de publier une circulaire dans laquelle serait proposé aux entreprises un modèle de questionnaire-type, leur permettant de se prémunir contre ce risque. Toutefois, je crains qu’il ne s’agisse là d’une fausse bonne idée. En effet, quelle que soit la rédaction du questionnaire, comment éviter alors que le Gouvernement ne soit accusé d’accompagner les entreprises pratiquant le dumping social ?
La deuxième difficulté tient au caractère assez flou de la rédaction actuelle. Le texte évoque, s’agissant des souhaits de reclassement des salariés, les « restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ». Le terme « éventuel », assez inattendu, vous l’avouerez, dans un texte de loi, laisse le champ libre à toutes les restrictions possibles, y compris les plus difficiles à interpréter juridiquement.
Par exemple, comment interpréter la réponse d’un salarié qui souhaite être reclassé « dans une grande ville » ou sur « un type d’emploi appelé à se développer dans l’avenir » ? Il s’agit, pour reprendre l’expression d’un professeur de droit que nous avons auditionné, d’un « nid à contentieux » créé par le législateur.
Le texte comporte d’autres imprécisions, telles que le silence sur le moment où l’employeur doit transmettre au salarié le questionnaire. Je pense également au recours énigmatique au terme « implantation ». Je suppose que vous nous direz, monsieur le ministre, que vous visez ici le « pays ». Mais, vous l’admettrez, employer un mot pour un autre et expliquer ensuite que celui-ci ne doit pas être compris dans son sens habituel est une curieuse façon de légiférer. Franchement, ne serait-il pas plus simple de modifier le texte en utilisant le terme adéquat ?
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. Loin de clarifier et de simplifier la procédure, le texte risque donc de conduire, à cause de ces imprécisions, à une multiplication du nombre de contentieux.
Le troisième écueil tient, de l’avis formel du président du CNAJMJ, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, à l’inapplicabilité du texte aux cas de liquidation judiciaire.
Dans ces situations, qui représentent entre 15 % et 25 % de la totalité des licenciements économiques, le mandataire liquidateur dispose de quinze jours, ce qui est déjà peu, pour satisfaire à l’ensemble des obligations légales de l’employeur à l’égard des salariés licenciés.
Or le délai de six jours donné au salarié pour répondre au questionnaire empêchera, de fait, le liquidateur d’accomplir la totalité des démarches. Cela conduira presque systématiquement les salariés à contester juridiquement, et avec succès, la validité de la procédure suivie. L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l’AGS, devra alors payer les indemnités accordées, à ce titre, aux salariés.
Au moment où le Gouvernement cherche, à juste titre, – vous êtes d’ailleurs mieux placé que personne pour le savoir, monsieur le ministre ! – à mieux dépenser l’argent public pour contenir la dette, l’adoption de ce texte en l’état conduirait au gaspillage de plusieurs millions d’euros, voire de dizaines de millions d’euros, en raison de l’accroissement du nombre de licenciements économiques en ces temps de crise.
Le quatrième problème nous a été signalé par les syndicats de salariés, et je n’y suis pas insensible.
Ceux-ci ont fait valoir qu’un questionnaire dont les caractéristiques et le champ ne sont pas définis, comme c’est actuellement le cas avec la rédaction qui nous est proposée, pourrait permettre à un employeur de se dédouaner de son obligation de reclassement, en orientant le questionnaire de manière à limiter le plus possible les éventuels reclassements. Rien ne lui interdirait, par exemple, de poser au salarié la question suivante : « Accepteriez-vous un poste qui ne garantisse pas vos avantages actuels ? » On devine aisément les conséquences pour un salarié qui répondrait par la négative à cette question, alors que ce dernier n’aura sans doute pas pris conscience, à ce stade du processus, des enjeux de la situation.
Mes chers collègues, ces quatre difficultés ne me semblent pas mineures. C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur les amendements tendant à remédier aux difficultés évoquées.
D’abord, si l’on veut vraiment mettre un terme aux scandales des offres indécentes largement relayées par les médias, il apparaît indispensable d’introduire un plancher salarial légal pour les offres de reclassement : l’employeur ne doit plus avoir ni l’obligation ni le droit d’adresser au salarié des offres de reclassement à l’étranger dont la rémunération est inférieure au SMIC. Cette mesure me semble simple, claire, et applicable directement en droit.
Néanmoins, il ne faut pas pour autant priver de possibilités de reclassement à l’étranger des salariés expatriés en France qui seraient prêts à travailler dans leur pays d’origine, même au prix d’une rémunération plus faible. Dans ce cas, s’il le demande lui-même par écrit à l’employeur, le salarié pourrait toujours recevoir des offres d’emploi à l’étranger dont la rémunération est inférieure au SMIC. Nous protégerions ainsi l’immense majorité des salariés et des employeurs contre l’obligation de recevoir ou d’envoyer des offres choquantes, tout en conservant la souplesse nécessaire pour les cas exceptionnels.
Ensuite, il est impératif d’assécher les sources inépuisables de contentieux du texte actuel. Il est donc proposé, conformément à la pratique de notre commission, de supprimer dans le texte les notions floues telles que les mots « notamment » ou « restrictions éventuelles » et de remplacer le terme « implantation » par le terme « pays », de manière que le terme employé corresponde effectivement au sens visé.
Enfin, il me semble difficile de ne pas tenir compte des remarques formulées quant à l’inapplicabilité du texte aux cas de liquidation judiciaire. Il faut donc prévoir que la procédure du questionnaire ne s’appliquera pas dans ces situations. Le président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires est bien sûr très favorable à cette solution.
Mes chers collègues, personne ne l’ignore à ce stade du débat, le Gouvernement préférerait que le Sénat n’adopte aucun amendement et vote le texte conforme, ainsi que l’a rappelé M. le ministre. Aussi, nous devons choisir entre l’urgence et le règlement au fond du problème. La question qui nous est donc posée ce soir est la suivante : vaut-il mieux adopter rapidement un texte, quitte à ce qu’il ne s’applique pas bien, ou, au contraire, élaborer un dispositif opérationnel et sécurisé, même si celui-ci n’entre en vigueur que dans quelques semaines ?
La commission, qui a émis un avis favorable sur les amendements, a considéré que, pour régler un problème très médiatique, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, et sur lequel le législateur et le Gouvernement sont attendus, il est dans l’intérêt de tous de traiter la difficulté au fond et de ne pas créer de fausses espérances. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Nicolas About, Daniel Marsin et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut qu’être sensible, au vu des événements passés, à cette proposition de loi. En effet, elle vise à mettre fin à la pratique de plus en plus courante de propositions de reclassement des salariés dans les pays à bas salaires par les entreprises qui licencient.
Toutefois, au-delà des apparences, nous verrons que cette proposition de loi ne résout pas grand-chose. La pratique n’est pas nouvelle : en voici un florilège, si tant est que ce terme puisse être utilisé en la matière.
Travailler 48 heures par semaine, avoir dix jours de congés annuels, le tout en Malaisie pour un salaire 1 169 euros annuels, voilà ce qui avait été proposé, en 2005, aux salariés licenciés de la société de fabrication de préservatifs Radiatex-Protex, installée à Bellerive-sur-Allier.
Pour les plus chanceux des employés de l’entreprise bretonne de fabrication de pinceaux Max Sauer, il leur avait été proposé, la même année, un reclassement dans les Côtes d’Armor. Pour les autres, ce fut l’île Maurice, pour 117 euros par mois !
Toujours en 2005, les neufs salariés qui doivent être licenciés chez Sem Suhner, une entreprise alsacienne de fabrication de transformateurs électriques, se voient offrir un reclassement dans la capitale arménienne pour 110 euros brut par mois et 40 heures de travail par semaine. Face au tollé provoqué par la nouvelle, le P-DG présentera ses excuses publiques quelques jours plus tard.
Toutefois, cette initiative n’a pas empêché l’usine Amphénol-Socapex, située à Dole, de proposer, quelques jours plus tard, à ses salariés un poste au Mexique ou en Chine, rémunéré deux euros l’heure. Pour compensation, le groupe leur proposait un aller-retour annuel gratuit vers la France...
Et tant d’autres, encore, les années suivantes.
Le mouvement ne s’est pas arrêté, puisque, en 2010, les salariés de l’entreprise Continental de Clairoix se voient proposé un reclassement, en Tunisie, pour un salaire mensuel de 137 euros ; l’usine de Philips implantée à Dreux et qui ferme ses portes offre, quant à elle, à ses salariés des postes en Hongrie, rémunérés 450 euros par mois, sur douze mois, à condition de pratiquer la langue hongroise !
Toutes ces propositions ont comme point commun l’indécence ! Comment peut-on oser faire de telles propositions à des salariés qui, souvent, occupent depuis plusieurs dizaines d’années le même poste dans l’entreprise ?
C’est en mai 2009 qu’interviennent deux événements qui mettent en avant la nécessité de légiférer sur ce point.
D’une part, vous l’avez dit, monsieur le ministre, le fabricant de chaussettes Olympia, qui n’avait pas osé proposer des emplois de reclassement en Roumanie rémunérés 110 euros par mois, est condamné par la cour d’appel de Reims à verser 2,5 millions d’euros à 47 salariés. La cour lui reproche de ne pas avoir soumis à ses salariés toutes les possibilités de reclassement au sein du groupe.
D’autre part, la direction de l’usine textile Carreman, qui emploie 150 personnes à Castres, à côté de chez moi, décide de licencier neuf de ses salariés et propose à ces derniers un reclassement dans une autre usine du groupe à Bangalore, en Inde, avec un salaire de 69 euros brut par mois, pour six jours de travail par semaine. Cette proposition est jugée scandaleuse par les salariés, qui ont eu une semaine pour rendre leur réponse.
Devant ces deux situations apparemment contradictoires, la tentation est grande de modifier la loi, et tel est l’objet de la présente proposition de loi.
La solution avancée consiste à préciser dans la loi que la proposition de reclassement doit être faite à rémunération équivalente. Tout est simple ! Tout est beau ! Voilà une honte réparée ! Il n’y a plus rien à voir !
Mais ce n’est pas si facile ! En effet, si cette proposition de loi a été votée, en juin 2009, à une très large majorité par l’Assemblée nationale, c’est parce que les députés étaient encore sous le coup de l’émotion de l’affaire du groupe Carreman et de la décision de la cour d’appel de Reims. Mais, comme en toute occasion, l’émotion n’est pas toujours la meilleure conseillère.
Aujourd'hui, avec un an de recul – on peut prendre du temps quand c’est nécessaire ! –, il nous est permis de réfléchir aux apports réels de cette proposition de loi.
Rappelons d’abord le contexte législatif en vigueur.
La rédaction actuelle de l’article L. 1233-4 du code du travail résulte de la loi de modernisation sociale, adoptée en 2002, qui impose que les licenciements économiques soient précédés par la recherche effective et l’offre préalable par l’employeur de toutes possibilités de reclassement interne. Voilà pourquoi cet article impose aux employeurs de proposer un reclassement dans l’entreprise ou les entreprises du groupe auquel le site appartient ; d’où les propositions que nous connaissons.
Encore convient-il de noter que ces propositions résultent clairement de la politique qui est menée par les entreprises et qui consiste à exporter leur production vers des pays à bas salaires.
Rétablissons les choses telles qu’elles sont : ce n’est pas la loi qui a prévu une obligation indécente ; c’est parce que les entreprises ont délocalisé dans des pays à bas salaires que de telles propositions interviennent.
Dans ce contexte, il est donc tentant de modifier la loi. Cela arrangera évidemment le MEDEF, car ce sont les patrons qui sont mis à mal par cette obligation.