Mme Annie David. Bien sûr !
Mme Jacqueline Alquier. En effet, ils sont obligés de dire publiquement qu’ils ont délocalisé leur production et emploient des gens dans différents pays du monde pour des salaires dérisoires (Mme Annie David opine.),…
M. Guy Fischer. Voilà !
Mme Jacqueline Alquier. … même si ces salaires doivent effectivement être rapportés en termes de pouvoir d’achat. Comme le dit le MEDEF par la voix de sa présidente, Laurence Parisot, au sujet de ces propositions de reclassement, il est honteux, humiliant, sadique et inacceptable de formuler de telles propositions. Pour les salariés, concrètement, rien ne changera. Les propositions qui leur étaient faites dans ce contexte étaient de toute façon inacceptables et ne servaient donc à rien.
La proposition de loi de M. François Sauvadet, à laquelle notre collègue député du Tarn M. Philippe Folliot a beaucoup contribué, a fait l’objet d’un assez large consensus à l’Assemblée nationale. Dans le cadre de la proposition de reclassement auquel l’employeur est assujetti, par l’article L. 1233-4 du code du travail, elle prévoit que soit ajouté aux conditions déjà exigées le fait que celles-ci sont assorties d’une rémunération équivalente. Par ailleurs, dans un nouvel article L. 1233-4-1 est organisée la manière dont les possibilités de reclassement à l’étranger devront être proposées.
Ainsi, l’employeur devra demander par écrit au salarié s’il accepte de recevoir des offres de reclassement à l’étranger et sous quelles restrictions éventuelles, notamment en matière de rémunération et de localisation.
Si le salarié a manifesté un tel accord dans un délai de six jours, il pourra alors recevoir les offres de reclassement hors du territoire national qui seront écrites et précises, et qui devront tenir compte des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié restera libre de refuser ces offres.
Avec ce texte, on ne s’attaque donc pas au vrai problème que constituent les délocalisations dans les pays à bas salaires. Certes, on ne dira plus tout haut que nous avons affaire à des patrons voyous, mais ceux-ci pourront continuer à l’être !
Avec cette proposition de loi, on ne résout pas la question de fond qui est posée. Était-elle nécessaire du point de vue de l’éthique pour ne pas humilier les salariés par ces propositions indécentes ? Je n’en suis pas sûre.
Une fois de plus, monsieur le ministre, votre gouvernement et votre majorité ne font pas confiance aux juges. La Cour de cassation n’a pas eu encore à se prononcer sur la nature des propositions de reclassement qui devaient être faites aux salariés.
En d’autres termes, le juge suprême aurait pu se demander, par exemple, si les propositions de reclassement en Inde faites par Carreman de Castres étaient loyales et sérieuses, si notre droit permettait des propositions en dessous du salaire minimum.
C’est ce qu’a fait, voilà quelques jours, le conseil des prud’hommes de Lens en jugeant abusif le licenciement de six salariés dans l’entreprise Staff d’Hénin-Beaumont, invoquant notamment le manque de loyauté des offres de reclassement à l’étranger.
C’est d’ailleurs bien le sens que l’on peut donner à l’instruction de l’administration du travail du 23 janvier 2006 relative à l’appréciation des propositions de reclassement à l’étranger qui indiquait : « la proposition d’une entreprise concernant des postes au sein du groupe dans des unités de production à l’étranger pour des salaires très inférieurs au SMIC ne peut être considérée comme sérieuse. Ces propositions ne sauraient répondre aux obligations inscrites dans les articles L. 321-1 et L. 321-4-1 du code du travail ».
Ainsi, monsieur le ministre, vous ne croyez pas les juges capables d’interpréter la loi et de faire progresser le droit, ou alors vous craignez trop d’entendre des réponses qui ne seraient pas du goût des chefs d’entreprise. Le législateur est donc sommé, sans cesse, de remettre les règles de nouveau sur le métier pour éviter toute « supposée mauvaise » interprétation par les juges. C’est encore une fois un véritable dévoiement du rôle du législateur.
Finalement, il n’est pas certain que l’on n’aboutisse pas au résultat inverse de celui qui est escompté ! À vouloir tout prévoir, on crée de nouvelles confusions. Avec le texte qui nous est présenté aujourd’hui, c’est bien le cas.
Notre rapporteur a évoqué à juste titre les risques d’incertitude juridique que suscitait cette proposition de loi. Il a donc, dans un premier temps, rédigé un amendement destiné, selon lui, à donner une certaine sécurité au dispositif. Ayant été rejeté en commission, nous découvrons aujourd’hui son remplacement par sept amendements prédécoupés. Ils ne changent pas la philosophie de ce texte, mais il n’est pas sûr qu’ils ne le complexifient pas !
Surtout, il y a dans cette proposition de loi la poursuite par votre majorité d’une politique qui tend toujours à laisser seul le salarié face à son employeur. (Mme Annie David opine.) Comment accepter cette manière de procéder qui consiste à faire en sorte que toutes les propositions se fassent de l’employeur vers chaque salarié individuellement ?
Plus de négociation collective, plus de plan soumis aux délégués du personnel.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Jacqueline Alquier. Simplement une lettre à chaque salarié qui, au surplus, n’a que quelques jours pour répondre. Pensez-vous sérieusement, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’un salarié puisse, en quelques jours, remettre toutes sa vie sociale et familiale en cause pour décider de partir ailleurs ?
Je peux vous le dire, car je suis confrontée à ce problème à Mazamet, où Valéo ferme une partie de ses activités sur le site et propose à ses salariés d’aller rejoindre une autre unité de l’entreprise en Belgique. En l’occurrence, pas de salaires dérisoires en cause, mais souvent toute une famille dans la tourmente !
Quant à la pratique des questionnaires, elle permet les mêmes dérives.
La négociation collective est essentielle. Or, depuis 2002, vous n’avez de cesse de la mettre à mal. Ainsi, à peine quelques mois après son retour au pouvoir en 2002, la majorité actuelle a supprimé tous les garde-fous que la loi de modernisation sociale avait instaurés, notamment le droit du comité d’entreprise de suspendre un plan de restructuration le temps d’obtenir toutes les informations nécessaires à la connaissance de la situation exacte de l’entreprise.
Sur le fond, cette aimable proposition de loi ne résout rien. Elle permettra essentiellement, pour les employeurs, de ne plus avoir à révéler les niveaux de salaires qu’ils appliquent dans les pays où ils délocalisent. La législation actuelle comporte en effet pour eux deux inconvénients majeurs : la condamnation financière lorsque les offres dans les pays à bas coût n’ont pas été présentées dans le cadre du plan de reclassement ; l’information des salariés licenciés et de l’opinion publique sur les niveaux de salaires pratiqués dans ces pays. On qualifie alors ces offres d’indécentes et d’humiliantes pour les salariés, et les conséquences sur l’opinion sont dévastatrices.
Le véritable scandale est pourtant que de tels salaires soient pratiqués, quel que soit l’endroit sur notre planète. Le véritable scandale réside dans les conditions de travail et de vie de ces salariés, l’absence de protection sociale, y compris contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, alors que c’est la première responsabilité de tout employeur, et cela se produit parfois même à l’intérieur de l’Union européenne. Il est bien évident que le patronat veut voir disparaître ces deux inconvénients.
La législation qui a été mise en place en 2002 par une autre majorité a conduit, sans que nous l’ayons voulu, il nous faut l’avouer, à ce que chacun soit mis en face des réalités économiques, de la valeur réelle du travail pour les multinationales.
Dans le même temps, l’INSEE nous apprend que le nombre de très riches en France, mais aussi dans le monde, augmente, et que ces très riches sont de plus en plus riches. Il ne faut pas s’en étonner puisque, si les prix de revient des biens et des services diminuent du fait des délocalisations, les prix de vente, eux, ne baissent pas. Où va donc la différence ? Chacun connaît la réponse.
Je voudrais terminer cette intervention sur une information intéressante que j’ai relevée ce matin dans le journal Les Échos, en page douze.
Vous vous souvenez certainement de la révolte des salariés de l’usine d’Échirolles voilà quelques mois, à l’annonce de la suppression de plusieurs centaines d’emplois par le groupe Caterpillar. Aujourd’hui, nous informent Les Échos, « Les Caterpillar s’unissent de l’Europe au Japon ». L’idée est de mettre en place un réseau syndical mondial dans l’entreprise et soixante-dix délégués syndicaux du monde entier se sont réunis en Isère jeudi dernier.
Que disent-ils ? « La restructuration nous a fait prendre conscience que nous ne défendons pas nos salariés de façon satisfaisante en étant privés de la force d’une étroite coopération syndicale au niveau international ».
C’est pourquoi, dans l’attente d’une meilleure organisation syndicale et d’une réelle négociation, nous condamnons, nous groupe socialiste, cette proposition de loi qui ne résout en rien le problème des délocalisations et ses conséquences sur l’emploi en France. Ce texte passe à côté des vrais problèmes de désindustrialisation de notre pays. Il est seulement destiné à donner bonne conscience au patronat. Nous voterons contre, car il s’agit pour nous de défendre les droits des salariés que vous malmenez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article L. 1233-4 du code du travail impose à tout employeur envisageant le licenciement pour motif économique d’un de ses salariés de réaliser un effort de formation et d’adaptation au profit de celui-ci ou de lui proposer un reclassement au sein de l’entreprise ou d’une entreprise du groupe auquel l’entreprise appartient. Le reclassement doit, de surcroît, concerner un emploi relevant de la même catégorie, à défaut équivalent ou de catégorie inférieure si le salarié l’accepte.
La procédure de licenciement pour motif économique ne peut être mise en œuvre que si l’ensemble de ces efforts a été réalisé, sous réserve, pour l’employeur, d’avoir recherché et proposé de bonne foi au salarié un poste disponible.
Lorsque le reclassement obligatoire a été adopté en 2002, la volonté du législateur était d’offrir aux salariés une diversité de propositions en cas de licenciement. Malheureusement, chacun le sait, cette obligation légale a engendré des effets pervers, illustrés par de nombreuses affaires.
En effet, certains employeurs n’hésitent pas à proposer cyniquement à des salariés, sous couvert de légalité, un reclassement à l’étranger aux conditions salariales du pays d’accueil. Plusieurs sociétés, dans le cadre d’un plan de licenciement, ont ainsi proposé à leurs salariés d’être reclassés dans une filiale étrangère pour des salaires extrêmement bas.
Déjà, en 2005, une entreprise alsacienne avait proposé à ses salariés des postes en Roumanie rémunérés 110 euros par mois. Très récemment, le groupe Continental a proposé à six cent des mille cent vingt salariés licenciés de son site de Clairoix des postes d’opérateurs de production dans sa filiale en Tunisie pour un salaire brut de 137 euros par mois. Avant lui, Philips avait proposé à ses deux cent douze salariés de Dreux des postes en Hongrie pour 450 euros par mois. L’année dernière, une entreprise textile de Castres avait proposé à neuf salariés sur le point de subir un licenciement d’être reclassés en Inde, pour un salaire brut mensuel de 69 euros pour six jours de travail par semaine, l’assurance santé étant très généreusement prise en charge par l’employeur.
Ces exemples ne sont pas isolés et illustrent bien les difficultés de la jurisprudence à interpréter et faire appliquer l’obligation de reclassement de l’article L. 1233-4 du code du travail dans l’intérêt des deux parties, a fortiori lorsque cette obligation concerne une entreprise du groupe auquel elle appartient. On assiste véritablement à des divergences de jurisprudence, ce qui entretient une certaine confusion sur la portée de l’obligation de reclassement lorsque celui-ci concerne un poste à l’étranger et place le salarié et l’entreprise dans une situation d’insécurité juridique.
II est aujourd’hui impératif de corriger les effets d’une jurisprudence qui permet de faire des offres de reclassement abusives, de garantir aux salariés que les employeurs ne devront plus leur proposer des offres manifestement inacceptables.
Ces dernières années, les propositions de reclassements dits « exotiques » dans des pays à bas coûts de main-d’œuvre se sont répandues. D’autant que la seule contrainte pour l’employeur est de proposer un poste correspondant au même niveau de compétences du salarié ou, à défaut, à un niveau inférieur avec l’accord du salarié. Le code du travail ne fixe aucun critère concernant la rémunération.
À l’inverse, si l’employeur ne fait pas ces propositions de reclassement, alors qu’il existe des postes à pourvoir dans son groupe, il s’expose à des sanctions financières. La société Olympia a ainsi été condamnée en mai 2009 par la cour d’appel de Reims à verser 2,5 millions d’euros à quarante-sept salariés pour ne pas leur avoir proposé un reclassement en Roumanie sur un poste payé 110 euros par mois.
La situation est donc devenue insupportable. La loi ne doit pas servir de prétexte à des propositions de reclassement à l’étranger indécentes et humiliantes. D’autant que, sous l’effet de la crise économique, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi est passé de 1 061 en 2008 à 2 242 en 2009. Au total, 265 700 licenciés économiques ont rejoint les listes de chômeurs inscrits à Pôle emploi l’année dernière. Ces plans sociaux ont souvent accompagné la fermeture d’usines ou de sites.
Certains de mes collègues du RDSE avaient d’ailleurs, en juillet dernier, déposé une proposition de loi visant à encadrer l’offre préalable obligatoire de reclassement d’un salarié faisant l’objet d’un licenciement pour motif économique.
La difficulté juridique est d’autant plus importante que sont en jeu les conditions de vie de salariés confrontés à l’épreuve d’un licenciement et au cynisme d’employeurs parfois indélicats. Il appartient par conséquent au législateur d’encadrer ces situations, de mettre fin aux divergences jurisprudentielles et d’inscrire définitivement dans la loi les limites qui s’imposent aux employeurs.
Bien que sa rédaction ne soit pas pleinement satisfaisante d’un point de vue juridique, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettra – nous le pensons profondément – de mettre un terme à la situation intolérable des salariés confrontés à un licenciement économique et à une proposition de reclassement dans un pays parfois lointain avec un salaire scandaleusement faible. Il était nécessaire de légiférer. Ce texte, bien qu’il soit imparfait, apporte de nouvelles garanties aux salariés et offre une meilleure visibilité juridique aux employeurs.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE votera cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le texte dont nous débattons ce soir revêt une acuité particulière en cette période de crise économique qui voit se succéder les plans sociaux. Régulièrement, les salariés, déjà déstabilisés par la perspective d’un licenciement et dans l’attente d’offres de reclassement, reçoivent des offres inacceptables de reclassement à l’étranger sur des postes dont la rémunération est sans doute adaptée au pays, mais ridiculement faible pour la France.
M. le ministre, M. le rapporteur et les intervenants qui m’ont précédé ont cité de multiples exemples d’entreprises ayant proposé à leurs employés des postes en Inde, en Tunisie ou en Roumanie, pour des salaires mensuels s’échelonnant de 69 euros à 137 euros.
Pourtant, il ne s’agit pas d’une pure provocation, condamnable sur le plan tant moral que juridique, mais de l’application de l’article L. 1233-4 du code du travail. En effet, le législateur, afin d’obliger l’entreprise à ne négliger aucune possibilité de reclassement, a, en 2002, introduit, selon moi en toute bonne foi, des dispositions prévoyant que le licenciement économique ne pouvait « intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient ».
La jurisprudence en a fait une interprétation stricte, qui conduit les entreprises souhaitant éviter une condamnation à une situation ridicule, absurde et blessante pour leurs salariés. Ainsi, la cour d’appel de Reims a condamné la société Olympia à verser 2,5 millions d’euros d’indemnités à 45 anciens salariés pour ne pas leur avoir proposé un reclassement en Roumanie. Cette condamnation met toute l’entreprise en danger, puisqu’elle risque de provoquer le licenciement des 280 salariés qui ont encore un emploi en France. Il est anormal qu’une entreprise soit condamnée par les tribunaux parce que sa direction a choisi, en conscience et avec l’accord du comité d’entreprise, de ne pas proposer à ses salariés des offres de reclassement absurdes.
Puisque seule une loi peut défaire une loi, le groupe UMP soutient cette proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale : elle remet les choses en place et évitera des interprétations jurisprudentielles contraires à l’esprit de ce qu’avaient recherché le législateur et le gouvernement en 2002.
La proposition de loi prévoit plusieurs cas.
Lorsque le reclassement conduit à un emploi relevant de la même catégorie que celui que le salarié occupe, l’offre de reclassement devra alors assurer au salarié une rémunération équivalant à celle qu’il percevait auparavant.
Dans le second cas de figure, un emploi de catégorie inférieure, à défaut d’un emploi de catégorie équivalente, pourra être proposé. Des garanties devront alors être données, afin que les salariés bénéficient du champ le plus large possible d’offres de reclassement interne, y compris à l’étranger.
L’option retenue par l’Assemblée nationale me semble judicieuse, car elle s’appuie sur une méthode déjà éprouvée, celle du questionnaire préalable, imaginé par certaines entreprises pour éviter d’avoir à présenter à leurs salariés des postes disponibles mais inacceptables. Il s’agit également de ne pas proposer des places à l’étranger aux salariés qui ne le souhaitent pas, quelles qu’en soient les conditions. Cette méthode n’a malheureusement pas été admise par les juridictions de l’ordre judiciaire, alors qu’elle l’a été par celles de l’ordre administratif. Elle aura bientôt, grâce à ce texte, valeur législative.
Notre rapporteur a présenté le principe retenu : l’employeur devra préalablement demander aux salariés s’ils acceptent de recevoir des propositions de reclassement à l’étranger et sous quelles conditions. Si un reclassement à l’étranger leur est proposé par la suite, celui-ci devra répondre aux conditions de salaire et de localisation qu’ils auront préalablement exprimées. Il s’agit d’un principe simple, qui devrait permettre d’éviter tous les inconvénients rencontrés depuis l’adoption de la loi du 17 janvier 2002.
Je tiens à souligner que le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale a fait adopter ce dispositif après consultation des partenaires sociaux (Mme Annie David s’exclame.), ce à quoi nous sommes fortement attachés au Sénat.
Je tiens à saluer les propositions intéressantes et fouillées qui ont été faites par notre rapporteur en commission. Il souhaitait améliorer la rédaction du texte, laquelle est sans doute perfectible.
Mme Annie David. Ça, c’est vrai !
Mme Catherine Procaccia. Mais la majorité de la commission a estimé, après débat, que la priorité était d’empêcher la poursuite des abus, afin de protéger aussi bien les salariés, déjà éprouvés, que les entreprises, condamnées à double titre, qu’elles respectent ou non l’article L. 1233-4 du code du travail. Je tiens, au nom des membres de la commission des affaires sociales et du groupe UMP, à féliciter notre rapporteur, non seulement pour son travail et sa force de conviction, mais également pour sa capacité de dialogue, qui nous a permis de mieux comprendre la situation.
À mes yeux, cette proposition de loi concrétise bien la relativité de notre travail de législateur face aux interprétations jurisprudentielles.
Notre groupe votera donc ce texte, afin de maintenir le respect dû aux personnes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Gisèle Printz applaudit également.)
Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir paraît a priori constituer une avancée pour les salariés. Mais, après une analyse plus poussée, elle révèle sa vraie nature et l’imposture qu’elle contient.
Mme Gisèle Printz. En effet !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Annie David. Ce texte ne cherche pas à améliorer la situation des salariés concernés par une mesure de reclassement à la suite d’un licenciement pour motif économique. Il vise simplement à améliorer dans les médias l’image des entreprises qui licencient et font ces offres de reclassement que chacun s’accorde à qualifier d’indécentes. Il tend également à préserver ces mêmes entreprises de nombreux contentieux, qu’elles perdent bien souvent lorsque les droits des salariés sont respectés !
Pourtant, l’intitulé de cette proposition de loi est très ambitieux : « garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement ».
M. Guy Fischer. Intitulé fallacieux ! Machiavélique !
Mme Annie David. Pour les membres de mon groupe, comment ne pas partager un tel objectif ? Néanmoins, l’illusion est de courte durée, particulièrement en ce qui concerne la mise en œuvre des questionnaires préalables aux propositions de reclassement ! Je ne manquerai pas d’y revenir.
L’avancée proposée par la première partie de ce texte, aux termes de laquelle le reclassement s’effectue sur un emploi « assorti d’une rémunération équivalente », modifie, certes, le code du travail dans un sens favorable aux salariés, alors que, il faut le reconnaître, de nombreuses modifications leur ont été franchement défavorables au cours des dernières années.
Mais cette avancée est anéantie par un véritable recul pour les salariés, lié à l’obligation de reclassement qui pèsera sur les entreprises, ou, plutôt, qui ne pèsera plus sur les entreprises !
L’enjeu du débat peut d’ailleurs être facilement résumé par une déclaration du MEDEF. En voici les termes : « Si on ne propose pas [ce type d’offres à l’étranger], on est condamnés par les conseils des prud’hommes ; si on les propose, on est condamnés dans les médias ».
Cependant, les entreprises sont condamnées non pas pour avoir fait des offres dans des pays exotiques, mais parce que celles-ci « avaient été présentées de manière désinvolte, provocatrice, en instrumentalisant l’obligation légale de reclassement ; c’est en cela qu’elles ont été jugées déloyales ». Notre collègue Marsin a même évoqué le cynisme de certaines entreprises.
Pour autant, ce texte fait-il disparaître les offres indécentes ? Pas du tout, puisqu’il a seulement pour objet d’aménager la manière dont ces offres seront faites aux salariés concernés, et de faire en sorte que la « politique salariale » de ces entreprises s’étale un peu moins dans nos journaux à l’occasion des licenciements économiques. Car ces licenciements représentent bien une mesure d’économie, les salariés étant considérés comme des variables d’ajustement. Il n’est donc pas question de leur proposer la même rémunération à l’étranger ! Les actionnaires ne verraient pas le bénéfice d’une telle mesure et les salariés locaux risqueraient de revendiquer à leur tour de meilleures conditions salariales ! D’ailleurs, en évoquant des conditions salariales adaptées au pays d’origine, sur quoi s’appuie-t-on exactement ?
Ainsi, le questionnaire préalable permet à l’employeur d’éviter les contentieux en interrogeant les salariés sur leurs souhaits de reclassement avant de leur faire parvenir les offres. On s’oriente vers un démantèlement de l’obligation de reclassement, qui sera désormais à géométrie variable. Cette mutation pose de nombreux problèmes.
En premier lieu, le contenu de cette obligation sera fixé par les parties. Par conséquent, celle-ci se contractualise et s’individualise, notre collègue Jacqueline Alquier l’a bien démontré tout à l’heure, ce qui n’apporte aucune sécurité aux salariés. En effet, nous connaissons toutes et tous ici le lien de subordination qui lie le salarié à son employeur. Nous sommes également conscients que de nombreux salariés éprouvent une véritable peur du chômage. Il paraît donc pour le moins indécent de parler de choix en ce qui concerne ce questionnaire.
En second lieu, plusieurs avocats soulignent le caractère anormal d’une procédure où le salarié doit renoncer par avance à des annonces dont il ne connaît pas le contenu ou aux droits sociaux et salariaux de notre législation !
Le mécanisme des questionnaires transfère ainsi au salarié une responsabilité qui n’est pas la sienne : il devra opérer le tri entre ce qui est indécent et ce qui ne l’est pas, alors qu’on ne lui demande pas son accord pour la suppression de son poste ! Cette proposition de loi fait donc pleinement perdurer l’indécence, constituée par l’existence même de l’offre, surtout lorsqu’il s’agit de licenciements non pas économiques, mais plutôt d’essence libérale. De plus, le salarié est prié de devenir « coproducteur » d’une offre qu’il contribue à déterminer !
Dès lors, il ne pourra plus ni se révolter dans les médias, puisqu’il aura contribué à l’existence de l’offre et accepté de la recevoir, ni s’adresser au conseil des prud’hommes si l’entreprise ne lui fait pas parvenir d’offre de reclassement interne ! Adieu les contentieux !
Faut-il rappeler que tout cela se passe alors que le salarié vient de subir un premier choc, à savoir la perte de son emploi ? Aucune faute ne peut lui être reprochée : il s’agit d’un licenciement économique, dont le système libéral aujourd’hui à l’œuvre porte la responsabilité ! Dans ce système, l’économie est mondialisée, les salariés sont considérés comme des outils, et la production est implantée dans les pays où la main-d’œuvre est à bas prix !
Les salariés sont excédés de servir de variable d’ajustement, ils ne supportent plus les effets d’aubaine de la crise et les délocalisations en cascade. Ces femmes et ces hommes, qui fabriquent les richesses et dont le professionnalisme n’est pas remis en cause, exigent pour le moins le respect de leur personne et de leur outil de travail.
Nous paraît également inquiétant le délai imparti pour répondre au questionnaire. Il n’est que de six jours, alors que les salariés sont pris dans la tourmente d’un licenciement. Beaucoup d’entre eux laisseront passer ce délai, mais la non-réponse vaut refus, ce qui, là encore, arrange bien les entreprises, reconnaissons-le ! De toute façon, comment un salarié pourrait-il déterminer en six jours qu’une offre est décente ? Il devra se renseigner vite, pour savoir, par exemple, s’il peut vivre à Tunis avec 137 euros par mois.
Je vous le rappelle, si la première partie de cette proposition de loi vise à inscrire dans le code du travail la notion de « rémunération équivalente », la seconde tend à introduire le questionnaire permettant aux entreprises de continuer à faire des offres indécentes, lesquelles, du coup, ne seront plus communiquées à l’ensemble des salariés ni à l’opinion publique.
Pour le salarié, cela revient à vider de sa substance l’obligation de reclassement qui pèse aujourd’hui sur l’employeur.
Quant à l’employeur, en raison, d’une part, de cette procédure trop courte, et, d’autre part, de la faculté pour lui de rédiger comme il l’entend le questionnaire, il sera en réalité dédouané et exonéré de son obligation de reclassement tout en pouvant produire en justice la preuve qu’il a respecté la loi. De fait, il échappera ainsi à tout futur contentieux.
Toute la construction jurisprudentielle autour de l’obligation de reclassement que vous avez évoquée, monsieur le ministre, en ressort fragilisée, pour la plus grande satisfaction de ceux qui la jugent trop renforcée, l’employeur étant contraint aujourd’hui de proposer une solution autre que le licenciement pour valider le licenciement économique.
Pour l’entreprise, c’est une double avancée. C’est même une triple avancée, car, avec une obligation de reclassement ainsi allégée, l’employeur pourra encore plus facilement faire peser sur la collectivité nationale le poids de ses licenciements économiques, comme cela se passe par le biais de conventions de revitalisation.
Certaines entreprises continueront d’investir en bourse, de toucher des aides publiques, de délocaliser et de licencier pour motif économique ou de proposer des postes « bol de riz » à l’étranger et de faire financer par l’État les emplois maintenus en France.
Ainsi, le budget du Fonds national de revitalisation des territoires s’élève en 2010 à 135 millions d’euros et une réflexion est en cours quant à la généralisation des contrats de transition professionnelle, bien que le coût supplémentaire estimé soit compris entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros. Selon la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, le coût global se monterait à près de 2,7 milliards d’euros, dans l’hypothèse basse fondée sur les résultats de 2007, et à 3,9 milliards d’euros, dans l’hypothèse haute fondée sur ceux de 2009.
Monsieur le ministre, vous qui par ailleurs fustigez les dépenses de nos services publics, vous devriez être plus vigilant dans l’attribution des aides publiques !