Sommaire
Secrétaires :
MM. Philippe Nachbar, Daniel Raoul.
2. Candidatures à des organismes extraparlementaires
3. Organisme extraparlementaire
4. Garde à vue. – Renvoi à la commission d'une proposition de loi
Discussion générale : Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la proposition de loi ; François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.
MM. Jean-Pierre Michel, Jacques Mézard, Mmes Colette Giudicelli, Nicole Borvo Cohen-Seat, Michèle André.
MM. le secrétaire d'État, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 1 de la commission. – M. le rapporteur, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. le secrétaire d'État. – Adoption.
Renvoi à la commission de la proposition de loi.
5. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
Suspension et reprise de la séance
6. Mandats sociaux dans les sociétés anonymes. – Renvoi à la commission d'une proposition de loi
Discussion générale : Mmes Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi ; Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois ; Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.
M. Jacques Mézard, Mme Odette Terrade, MM. François Zocchetto, Richard Yung, Mmes Jacqueline Panis, Michèle André.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 1 de la commission. – Mmes le rapporteur, Nicole Bricq, la secrétaire d'État. – Adoption.
Renvoi à la commission de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
7. Contrats d'assurance sur la vie. – Adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi ; Dominique de Legge, rapporteur de la commission des lois ; Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.
MM. Thierry Foucaud, Yves Détraigne, Mme Virginie Klès, M. Jacques Mézard, Mme Catherine Troendle, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Procaccia.
Clôture de la discussion générale.
M. le secrétaire d'État.
Amendement no 4 rectifié bis de M. Hervé Maurey et sous-amendement no 5 de M. Jean-Pierre Sueur. – MM. Hervé Maurey, Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d'État, Mme Catherine Procaccia. – Rejet du sous-amendement no 5 ; adoption de l’amendement no 4 rectifié bis.
Amendement no 3 rectifié bis de M. Hervé Maurey. – MM. Hervé Maurey, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
8. Accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux. – Adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : Mmes Sylvie Desmarescaux, coauteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.
M. Jean-Louis Lorrain, Mmes Isabelle Pasquet, Jacqueline Gourault, MM. Jean-Pierre Godefroy, Daniel Marsin.
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l'article unique
Amendement n° 11 rectifié de M. Nicolas About. – Mmes Jacqueline Gourault, le rapporteur, la secrétaire d'État, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Catherine Procaccia. – Retrait.
Amendement n° 14 de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 15 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Isabelle Pasquet. – Mmes Isabelle Pasquet, le rapporteur, la secrétaire d'État, M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet.
Amendement n° 1 de Mme Isabelle Pasquet. – Mme Isabelle Pasquet.
Amendement n° 19 de la commission. – Mme le rapporteur.
Amendement n° 12 de M. Nicolas About. – Mme Jacqueline Gourault.
Amendement n° 18 rectifié de M. Alain Gournac. – Mme Catherine Procaccia.
Amendement n° 2 de Mme Isabelle Pasquet. – Mme Isabelle Pasquet.
Amendement n° 17 rectifié de M. Alain Gournac. – Mme Catherine Procaccia.
Amendement n° 3 de Mme Isabelle Pasquet. – Mme Isabelle Pasquet.
Mmes le rapporteur, la secrétaire d'État, M. Jean-Pierre Godefroy. – Retrait des amendements nos 12 et 2 ; rejet de l’amendement no 1 ; adoption des amendements nos 19, 18 rectifié et 17 rectifié, l’amendement no 3 devenant sans objet.
Adoption de l'article unique modifié.
Articles additionnels après l'article unique
Amendement n° 7 de Mme Isabelle Pasquet. – Mmes Isabelle Pasquet, le rapporteur, la secrétaire d'État, M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet.
Amendement n° 4 de Mme Isabelle Pasquet. – Mmes Isabelle Pasquet, le rapporteur, la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement no 6 de Mme Isabelle Pasquet. – Mmes Isabelle Pasquet, le rapporteur, la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement no 5 de Mme Isabelle Pasquet. – Mmes Isabelle Pasquet, le rapporteur, la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement no 16 de M. Jean-Pierre Godefroy. – Devenu sans objet.
Amendement n° 8 de Mme Isabelle Pasquet. – Mmes Isabelle Pasquet, le rapporteur, la secrétaire d'État. – Rejet.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 13 rectifié de M. Nicolas About. – Devenu sans objet.
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Romani
vice-président
Secrétaires :
M. Philippe Nachbar,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires, en remplacement de M. Michel Charasse nommé membre du Conseil constitutionnel.
La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de :
- M. Jean-Pierre Fourcade pour siéger au sein du conseil d’administration de l’établissement public de réalisation de défaisance ;
- M. Yvon Collin pour siéger au sein du conseil d’orientation stratégique du fonds de solidarité prioritaire ;
- M. Yvon Collin pour siéger en qualité de suppléant au sein du conseil d’administration de l’Agence française de développement.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de France Télévisions.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Jean-Pierre Leleux pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Organisme extraparlementaire
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein du Conseil supérieur des prestations agricoles.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des finances et la commission des affaires sociales à présenter chacune une candidature.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
4
Garde à vue
Renvoi à la commission d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant réforme de la garde à vue, présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 201 rectifié, rapport n° 371).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la proposition de loi.
Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en guise d’introduction, je souhaite citer la phrase suivante du Président de la République relative aux avocats : « Parce qu’ils sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu’elle est, bien sûr, une garantie pour leurs clients mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. »
Je vous laisse méditer ces propos, auxquels, une fois n’est pas coutume, nous souscrivons parfaitement.
Depuis plusieurs mois, la question de la garde à vue n’a cessé d’être au cœur de l’actualité tant judiciaire que parlementaire, puisque pas moins de six propositions de loi ont été déposées sur ce sujet. Elles ont toutes en commun la volonté de modifier, à des degrés variés, les conditions de mise en œuvre de la garde à vue en France, ce qui permettrait peut-être de garantir un peu plus de sécurité et d’éviter les dérives auxquelles nous avons pu assister récemment
La raison de cet engouement réside dans un fait aujourd’hui devenu vérité : le système de garde à vue doit être aligné sur la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour notre part, nous avions choisi d’aborder cette réforme sous un angle maximaliste : la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est une nécessité, mais cette exigence nous a paru insuffisante. Nous avons donc opté pour une réforme globale de la garde à vue, qualifiée d’ailleurs de « radicale » par M. le rapporteur, François Zocchetto.
Cette radicalité, nous l’assumons, monsieur le rapporteur. Elle est réaliste, puisque le modèle de garde à vue que nous proposons s’inspire directement des standards en vigueur dans d’autres pays européens. À notre avis, ce n’est pas notre proposition de loi qui est radicale ; c’est le système français qui est rétrograde. Nous devons donc totalement le modifier.
Le présent texte est une contribution modeste tendant à faire évoluer le droit français vers une prise en compte accrue du droit européen.
Mais nous avons également souhaité mieux encadrer la garde à vue afin de mettre un terme à une dérive que vous avez vous-même constatée : le nombre de gardes à vue prononcées actuellement est bien trop élevé alors qu’elles ne sont pas toujours nécessaires à la manifestation de la vérité ou à l’enquête.
Les auteurs de la présente proposition de loi, qui s’articule autour de huit principes, poursuivent plusieurs objectifs : humaniser les gardes à vue, mettre un terme à l’utilisation abusive de cette procédure et permettre au gardé à vue de bénéficier de tous les droits de la défense, y compris celui de se faire assister par un avocat dès le début de la garde à vue et durant les interrogatoires.
J’évoquerai tout d’abord l’utilisation abusive de la garde à vue. Supposée être une mesure grave, cette procédure est devenue un outil de gestion sécuritaire qui alimente, de manière artificielle, les statistiques de performance des activités de la police. C’est pourquoi nous vous proposons de la limiter aux infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
Cette limitation n’empêchera pas la garde à vue pour les autres infractions, mais celle-ci sera soumise à un régime d’autorisation du parquet, ce dernier devant s’assurer de la nécessité de cette procédure.
Le deuxième principe qui sous-tend cette proposition de loi consiste à garantir au gardé à vue le droit de garder le silence en l’absence de son avocat.
Il s’agit de mettre un terme à la culture de l’aveu, permettant aujourd’hui de « cuisiner » les suspects en violation du droit du gardé à vue et de faire bénéficier celui-ci d’une notification formelle de son droit de se taire. Ainsi, il est prévu que devra figurer parmi les droits notifiés au gardé à vue – examen médical, appel d’un proche – celui de garder le silence avant d’avoir pu s’entretenir avec son avocat.
Il s’agit ensuite de permettre la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue, quelle que soit l’infraction.
Nous souhaitons mettre un terme à la variété des régimes d’intervention de l’avocat, qui est présent dès le début de la garde à vue dans le droit commun, mais n’intervient qu’à la quarante-huitième ou la soixante-douzième heure dans certains cas, comme dans la lutte contre la criminalité organisée, les stupéfiants ou encore le terrorisme.
Nous souhaitons ensuite rendre effectif le droit du gardé à vue de s’entretenir avec son avocat.
Aujourd’hui, cet entretien ne dure que trente minutes ; par conséquent, il s’assimile plus à une « visite de courtoisie » qu’à une réelle prise en compte de la situation de la personne gardée à vue. La présente proposition de loi entend porter ce délai à deux heures, permettant ainsi à l’avocat de prendre toute la mesure des faits reprochés à son client et, éventuellement, de mieux préparer sa défense.
Nous souhaitons également permettre à l’avocat d’accéder au dossier pénal. Cette exigence est fondamentale : l’avocat doit pouvoir disposer du procès-verbal d’interpellation, afin de prendre la mesure des faits qui sont reprochés à son client. Il n’est pas question de permettre à l’avocat d’accéder aux procès-verbaux des diligences en cours : il s’agit simplement de lui assurer l’accès au certificat médical de son client, ainsi qu’au procès-verbal d’interpellation.
À titre exceptionnel, cette possibilité pourra même être limitée par décision du procureur de la République si cette limitation est motivée par des raisons impérieuses.
Par ailleurs, le droit à un procès équitable commande que l’avocat puisse assister aux interrogatoires de son client et qu’aucun interrogatoire ne puisse être conduit sans qu’il ait été mis en mesure d’y assister.
Enfin, la proposition de loi entend rendre obligatoire l’examen médical du mineur placé en garde à vue ainsi que la présence de l’avocat.
Aujourd’hui, l’intervention du médecin lors de la garde à vue d’un mineur relève de régimes variés selon l’âge de ce mineur. Si cet examen est obligatoire lorsque le mineur est âgé de 13 à 16 ans, il est en revanche facultatif pour les mineurs âgés d’au moins 16 ans. Il est proposé de le rendre obligatoire pour tout mineur dès le début de la garde à vue et en cas de prolongation de cette dernière.
Le régime actuel prévoit également que l’intervention de l’avocat est facultative pour les mineurs et soumise à la décision des représentants légaux des intéressés.
Nous proposons de rendre cette présence automatique dès lors qu’un mineur est placé en garde à vue.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes tous d’accord sur le constat : il convient de réformer la garde à vue. Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, l’a elle-même déclaré dans cet hémicycle.
En revanche, nous ne sommes pas d’accord sur la méthode : vous souhaitez, tout comme le rapporteur de cette proposition de loi, attendre la réforme globale de la procédure pénale, tandis que nous souhaitons une réforme immédiate.
Je ne reviendrai pas sur le projet de réforme de la procédure pénale. L’ayant déjà plus ou moins abordée, je me contenterai de faire deux séries de commentaires.
La première a trait à la forme. Pourquoi, si nous devons attendre une réforme globale de la procédure pénale, la majorité a-t-elle adopté récemment une proposition de loi sur la publicité devant les juridictions pour mineurs ?
Pourquoi, s’il faut attendre une réforme globale de la procédure pénale, le Gouvernement a-t-il déposé, sous la responsabilité de Mme la ministre d’État, le 3 mars dernier, un projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, qui ne comporte pas moins de trente modifications du code de procédure pénale, y compris des procédures comme celles de l’ordonnance pénale ?
Le Gouvernement veut nous imposer une méthode qu’il ne respecte pas lui-même ! Il est difficile de ne pas être surpris : d’un côté on nous dit d’attendre une réforme globale de la procédure pénale, et, de l’autre, le Gouvernement modifie, par petites touches, le code de procédure pénale par ci par là.
Il y a là une contradiction évidente. J’attends votre réponse sur ces interrogations, monsieur le secrétaire d’État.
Par ailleurs, en dépit des garanties que vous nous apporterez dans quelques minutes, nous avons toutes les raisons d’être sceptiques quant à l’aboutissement de ce grand projet de réforme.
La première raison est simple : l’agenda parlementaire est lourd. Les réformes d’envergure vont se succéder ces prochains mois, notamment celle des retraites, et l’on voit mal comment et quand une fenêtre pourra s’ouvrir pour offrir l’occasion d’un examen de ce texte.
La deuxième raison est liée à la concertation autour du texte que vous nous proposez. Vous le savez, la Cour de cassation elle-même a émis des réserves importantes, sans parler des professionnels du droit, notamment les avocats, qui sont vent debout contre cette réforme, qu’ils considèrent comme insuffisante, en particulier dans le volet sur la garde à vue.
Face au doute, à l’embarras, aux consultations réelles ou supposées, aux réticences et, finalement, à l’inaction du Gouvernement, nous préférons l’action d’un Parlement fort, protecteur des libertés individuelles et conscient de la nécessité urgente d’une réforme rapide.
Le président de la commission des lois lui-même a évoqué la possibilité, pour le Sénat, de se saisir de cette question en cas de carence du Gouvernement. Monsieur le président de la commission, aujourd’hui, cette carence est consommée, tous les projets ont été repoussés. Il est temps de prendre les devants !
Notre démarche est inspirée par une réelle volonté de changer l’état de notre droit. Vous le savez bien, il ne s’agit pas d’un gadget juridique ni même d’une ligne rédigée à la va-vite pour surfer sur une actualité.
Il s’agit d’un projet mûri, pour lequel de nombreux acteurs du monde judiciaire ont été auditionnés : des avocats, des magistrats, y compris des procureurs.
Nous avons donc décidé d’agir, sans attendre une hypothétique réforme, dont le contenu, d’ailleurs – je regrette de vous le dire une fois de plus –, n’est pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre.
Cela m’amène, en second lieu, à évoquer le fond de la réforme projetée, en particulier les dispositions concernant la garde à vue.
J’ai déjà eu l’occasion, devant Mme la garde des sceaux, de livrer ici quelques réflexions sur l’insuffisance des dispositions relatives à la garde à vue.
Je ne conteste pas les nombreuses avancées, notamment en ce qui concerne le régime de droit commun de la garde à vue. À l’entretien classique d’une demi-heure, déjà prévu par le droit actuel au début et en cas de renouvellement de la garde à vue, vous ajoutez la possibilité pour l’avocat de s’entretenir avec son client au bout de la douzième heure, conformément d’ailleurs aux préconisations du rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, présidé par M. Philippe Léger.
L’avocat pourra également recevoir copie des procès-verbaux des auditions effectuées au cours des vingt-quatre premières heures, et, si la mesure de garde à vue est renouvelée, il pourra assister, au bout de ces vingt-quatre heures, à toutes les auditions suivantes.
En revanche, en ce qui concerne les régimes de garde à vue relatifs aux crimes en bande organisée, aux stupéfiants et au terrorisme, les plus contestables au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, aucune réflexion n’a été menée et aucune proposition n’a été encore formulée.
L’avocat continuera à n’intervenir qu’à la quarante-huitième heure pour les crimes en bande organisée et à la soixante-douzième heure en matière de terrorisme, la seule différence notable étant une intervention moins tardive en matière de stupéfiants, puisque nous passons de soixante-douze à quarante-huit heures.
Nous sommes là au cœur d’un problème. Que le terrorisme bénéficie d’un régime spécifique, c’est nécessaire, nous en convenons. Cependant, nous continuons à penser qu’un régime spécifique ne doit pas conduire à exclure le respect d’une garantie essentielle : la présence de l’avocat dès la première heure.
Il s’agit en effet d’une garantie importante pour les libertés et pour notre démocratie. Une telle avancée constituerait, à n’en pas douter, une véritable révolution juridique. Ce n’est qu’à ce seul prix que la France disposera d’un véritable habeas corpus à la française.
Cette révolution juridique est au cœur de notre proposition de loi. C’est aussi la raison pour laquelle nous vous invitons, chers collègues, à faire preuve de courage politique en adoptant aujourd’hui cette proposition de loi. Comme je l’ai dit à M. le président de la commission, il est urgent de remédier à cette carence au plus vite, pour la garantie des droits dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après le débat, le 9 février dernier, sur la question orale présentée par notre collègue M. Jacques Mézard et l’examen de la proposition de loi également à l’initiative de M. Jacques Mézard, le 24 mars, nous débattons, aujourd’hui, pour la troisième fois en séance publique sur le même thème, de la proposition de loi, présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, portant réforme de la garde à vue.
À ceux qui trouveraient cela un peu répétitif, je répondrai d’emblée, au risque de les surprendre, que ces initiatives successives se justifient.
D’abord, elles concernent un sujet majeur pour les libertés publiques et la sécurité. Ensuite, le régime actuel de la garde à vue, chacun en convient, ne peut plus être maintenu – c’était la conclusion de notre premier débat. Je ne rappellerai pas les chiffres ni les circonstances de certaines gardes à vue excessives. Enfin, la recherche du régime de garde à vue le plus adapté passe par la présentation et l’étude de toutes les options possibles de la réforme. L’échange et le débat sont les meilleurs moyens de progresser dans cette voie.
Aujourd’hui, Mme Boumediene-Thiery et ses collègues souhaitent une transformation radicale du régime de la garde à vue.
Sans doute, certaines modifications proposées pourraient être retenues. Elles ont d’ailleurs déjà été présentées par M. Mézard comme par certains représentants du groupe de l’UMP, de l’Union centriste et même du groupe CRC-SPG lors des débats en commission.
Il en est ainsi du droit de la personne à être immédiatement informée de la possibilité de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées. Dans le régime prévu par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, cette disposition existait. Nous sommes nombreux à souhaiter son rétablissement.
D’autres modifications proposées paraissent plus contestables. Nous pourrons notamment discuter de la possibilité d’être assisté par l’avocat dès le début de la garde à vue. En revanche, l’accès de l’avocat au dossier de l’intéressé me laisse plus dubitatif, même si vous prévoyez que le procureur de la République peut écarter l’application de cette disposition « lorsqu’il ressort des circonstances particulières de l’espèce qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre le droit de l’avocat de consulter le dossier pénal ».
Je ne sais pas si cette disposition a un intérêt. Au début de la garde à vue, le dossier comporte, a priori, très peu d’éléments intéressants pour la défense. Tous ceux qui ont pratiqué en la matière vous le diront.
Par ailleurs, l’avocat pouvant assister aux interrogatoires, la consultation de la procédure ne paraît pas répondre à une vraie nécessité. Il importe de savoir si l’avocat peut être présent dès le début de la procédure mais son accès au dossier est un problème de second rang.
Notre éminent collègue Robert Badinter relevait, lors de son intervention en séance publique le 9 février dernier, que la présence de l’avocat n’impliquait pas la communication intégrale à celui-ci du dossier de l’enquête de police. Il déclarait ainsi : « L’obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu’au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une simple raison plausible de soupçonner qu’il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n’était jusque-là qu’un gardé à vue. »
Par ailleurs, dans votre proposition de loi, madame la sénatrice, vous prévoyez la suppression des dispositions dérogatoires retardant l’entretien avec l’avocat pour les infractions liées à la criminalité organisée et au terrorisme. Nous avons sans doute des divergences sur le sujet. Mais vous avez évoqué la nécessité, pour le terrorisme, d’un régime spécifique retardant l’intervention de l’avocat et permettant une prolongation supplémentaire par rapport aux autres infractions. Sur ce point, nous serons sans doute d’accord, du moins je l’espère.
Concernant la criminalité organisée, une discussion est possible. Il existe en effet plusieurs types de criminalité organisée.
M. François Zocchetto, rapporteur. Cette qualification a été assez étendue par les dernières dispositions législatives, et la notion de « bande organisée » permet de couvrir beaucoup d’infractions. Il faudra peut-être s’interroger sur les distinctions entre la traite des êtres humains, le proxénétisme, le trafic de stupéfiants, surtout lorsqu’il est pratiqué en récidive, et d’autres infractions qui, sans être mineures sont néanmoins d’un autre ordre.
Cela dit, dans votre proposition de loi, vous prévoyez un dispositif plus radical pour toute la criminalité organisée. En l’état actuel de notre réflexion, je ne peux pas y adhérer.
Ces propositions vont beaucoup plus loin que la proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs membres du RDSE. À l’issue de ce débat, nous avions décidé de voter une motion de renvoi en commission, ce que je vous proposerai à nouveau ce matin.
En effet, nous avons estimé que le texte proposé soulevait des questions délicates sur lesquelles nous devions encore approfondir notre réflexion en commission avant de proposer un texte convenable au Sénat.
Par ailleurs, cette réforme de la garde à vue peut difficilement être appréhendée indépendamment de la réforme de la procédure pénale annoncée par le Gouvernement.
Je citerai un exemple des difficultés que nous avons à surmonter en évoquant l’arrêt Medvedyev du 29 mars dernier de la Cour européenne des droits de l’homme.
Aujourd’hui, le procureur est informé lorsqu’une mesure de garde à vue a été décidée par un officier de police judiciaire. En cas de prolongation, il donne son autorisation. La procédure de garde à vue est donc placée sous le contrôle d’un membre du parquet, le procureur de la République, en l’espèce. Comme le prévoient certaines propositions de loi, il serait même possible de demander l’autorisation du procureur dès le début de la garde à vue et pas seulement en cas de prolongation.
Toutefois, mes chers collègues, lisez le récent arrêt Medvedyev c/France qui, certes, ne conteste pas le statut du parquet français – au contraire, il en prend acte –, mais qui pose que le procureur de la République ne peut réaliser un certain nombre de procédures, notamment s'agissant des mesures privatives de liberté individuelle. Or la garde à vue entre bien dans cette catégorie. À l’heure actuelle, je suis donc de moins en moins convaincu – je ne le suis même plus du tout ! – que le procureur de la République puisse être l’autorité qui, en France, contrôle la garde à vue.
La réforme de la procédure pénale vise à instituer un juge de l’enquête et des libertés, qui serait chargé de contrôler un certain nombre de dispositions attentatoires aux libertés. Il s'agit là, sans doute, d’une piste pour améliorer notre garde à vue. Madame Boumediene-Thiery, sur ce point déjà, votre proposition de loi ne me semble pas compatible avec l’arrêt Medvedyev…
Il nous reste à étudier plusieurs problèmes, sans d'ailleurs que la liste que je vais dresser soit limitative.
Premièrement, l’avocat doit-il être présent dès le début de la garde à vue ? Doit-il apporter son assistance à son client, au-delà de l’entretien de trente minutes ? Chacun convient que ce dernier est souvent très formel, la personne mise en cause ignorant, tout comme son avocat, pourquoi elle se trouve retenue dans les locaux de la police ou de la gendarmerie.
Deuxièmement, nous devons nous interroger sur la faisabilité de cette réforme eu égard à l’organisation de la profession d’avocat.
Les avocats, du moins la majorité d’entre eux, semble-t-il, réclament une réforme qui leur permettrait d’assister plus rapidement et plus nettement leurs clients. Fort bien ! Toutefois, la profession doit aujourd'hui faire face à ses responsabilités. Elle doit se donner les moyens de répondre à la demande qui s’exprimera.
Ainsi, d’un point de vue pratique, les avocats pourront-ils – pour reprendre l’exemple qui est toujours cité – parcourir quatre-vingts kilomètres, en pleine nuit pour aller assister, à l’autre bout du département, une personne qui, parfois, n’est pas très éveillée ? Il faut savoir en effet – c’est là un autre problème auquel nous sommes confrontés – que certaines personnes sont mises en garde à vue uniquement parce que cette procédure est utilisée comme mesure de dégrisement, dès lors qu’il n’existe aucune autre solution juridique dans un tel cas de figure.
Cette réforme suppose également que la profession d’avocat organise un système de permanences. Si celles-ci, comme on peut facilement l’imaginer, ne sont pas assurées par les avocats les plus expérimentés, il faudra prévoir des actions de tutorat et d’encadrement. Enfin, ce travail devra bien entendu être rémunéré, ce qui pose la question de l’aide juridictionnelle.
Troisièmement, la réforme de la garde à vue oblige à réfléchir aux régimes dérogatoires. Je ne reviendrai pas sur cette question, car nous en avons déjà discuté tout à l'heure, mais il faudra approfondir le débat sur ce point.
Sur toutes ces questions, le Gouvernement a formulé des propositions. Il ne me revient pas de les présenter, mais je suis tout de même obligé d’en tenir compte. Comme M. le secrétaire d'État nous le rappellera sans doute tout à l’heure, Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué à deux reprises à cette tribune que l’avant-projet de loi prévoyait d'ores et déjà de limiter les gardes à vue aux strictes nécessités de l’enquête.
Sur ce point, j’observe d'ailleurs que la police nationale a récemment été destinataire d’une circulaire me laissant à penser que les chiffres des gardes à vue connaîtront un infléchissement dans les mois à venir…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Probablement ! (Sourires.)
M. François Zocchetto, rapporteur. Il n’est donc pas toujours nécessaire de modifier les textes pour que les faits changent !
Néanmoins, il serait utile, me semble-t-il, de rappeler très clairement que les gardes à vue doivent être limitées aux strictes nécessités de l’enquête.
Comme l’a rappelé tout à l’heure Mme Boumediene-Thiery, le Gouvernement a également proposé d’instituer un deuxième entretien avec l’avocat, à la douzième heure de la garde à vue. Par la suite, dès que celle-ci serait prolongée, l’avocat interviendrait pleinement, c’est-à-dire qu’il apporterait une assistance permanente et aurait accès au dossier et aux procès-verbaux des premiers interrogatoires.
Une autre disposition, très importante, a été proposée par le Gouvernement : les aveux recueillis en dehors de la présence de l’avocat ne pourraient suffire à justifier une condamnation.
En effet, au-delà du problème de la garde à vue, nous devons aussi lutter contre la culture de l’aveu. Sur ce point, nous revenons de très loin. Néanmoins, grâce à l’évolution des techniques et des esprits, cette culture de l’aveu me semble appelée à disparaître progressivement.
En outre, le Gouvernement a formulé une proposition sur laquelle je me pose de nombreuses questions – je ne vous le cacherai pas, mes chers collègues –, tant j’ignore si elle constituerait un progrès ou susciterait des difficultés nouvelles : la création d’une audition libre d’une durée maximale de quatre heures. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat manifeste son scepticisme.) Cette question mérite également d’être étudiée.
Vous voyez, mes chers collègues, que les sujets dont nous devons débattre sont nombreux. Nous en discutons d'ailleurs déjà chaque semaine ou presque, il faut le reconnaître, au sein de la commission des lois, au point que celle-ci a souhaité que la réflexion se poursuive dans le cadre formel du groupe de travail sur la réforme de la procédure pénale, qu’elle a confié à deux de nos collègues ici présents, Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel. Ces derniers ont commencé à procéder à leurs auditions, qui sont ouvertes à l’ensemble des membres de la commission.
Nous devons tous participer aux travaux de ce groupe de travail et faire part de nos diverses opinions et propositions, afin d’être prêts à réformer la garde à vue.
Quand cette réforme, si ardemment désirée, aura-t-elle lieu ? C’est la question que vous ne manquerez pas de me poser, mes chers collègues !
La réponse en est simple. Soit le Gouvernement nous confirme les éléments de calendrier qu’il nous a donnés – nous pourrions commencer à discuter de ces dispositions au début de l’automne prochain, dans le cadre d’un premier volet de la réforme de la procédure pénale – et qui nous semblent acceptables. Soit il ne nous apporte aucune précision, et alors, monsieur le président de la commission des lois, nous pourrions malheureusement être contraints de prendre des initiatives,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François Zocchetto, rapporteur. … car le Sénat, je le répète, ne peut se satisfaire de la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Alima Boumediene-Thiery, premier signataire de la présente proposition de loi, marque une fois de plus son intérêt, que partagent d'ailleurs nombre d’entre vous, pour les questions liées aux libertés publiques.
Comme l’a fort bien souligné M. le rapporteur, nous partageons tous un certain nombre de constats : le recours à la garde à vue est trop systématique ; les conditions de celle-ci sont trop souvent indignes, malgré les efforts de chacun ; l’avocat n’a pas les moyens de jouer pleinement son rôle au cours de la garde à vue.
Pour résoudre ces problèmes, la proposition de loi soumise à l’examen du Sénat prévoit – de manière radicale, comme l’a souligné M. le rapporteur – que toute personne placée en garde à vue sera immédiatement assistée d’un avocat si elle en fait la demande.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons évidemment tenir compte de l’ensemble de vos travaux et de vos idées, dans le cadre de la concertation que mène Mme le garde des sceaux, ainsi d'ailleurs que la chancellerie dans son ensemble, sur la procédure pénale.
Je le répète, deux propositions de loi, dont l’objet est similaire ou plus large, ont été déposées au Sénat, respectivement par M. Jacques Mézard et par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tous ces textes font partie du débat, qui gagne à être large.
Je rappellerai également que l’opposition n’est pas la seule à suivre de très près les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme, auxquelles M. le rapporteur a d'ailleurs fait allusion à l’instant. J’ai moi-même participé aux travaux de réforme de la Cour de Strasbourg qui ont été menés dans le cadre de la conférence d’Interlaken, à la fin du mois de février dernier, et je puis vous assurer que la France n’a pas à rougir de la façon dont elle applique la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ces réunions, elle n’est pas montrée du doigt, loin s’en faut.
Je voudrais tout d'abord revenir sur la question, qui doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion globale, de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue.
La réforme engagée est ambitieuse ; c’est d'ailleurs ce qui ressort des propos de M. le rapporteur. Il s'agit d’une refondation de la procédure pénale, qui vise à assurer l’équité de l’enquête, à renforcer la protection des droits et des libertés à toutes les étapes de la procédure, à trouver un meilleur équilibre entre les droits des victimes et les garanties de la défense.
C’est dans cet esprit que Mme le garde des sceaux a engagé une large concertation avec l’ensemble des acteurs de la procédure pénale, sur la base de l’avant-projet de loi qui a été rendu public et qui est donc accessible à tous.
La Haute Assemblée s’est engagée dans cette démarche, à travers – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – un groupe de travail animé par deux membres de la commission des lois ici présents. Toutefois, les acteurs des professions judicaires, dans leur ensemble, sont également impliqués dans ce processus. Une véritable concertation a été engagée : l’avant-projet de loi a vocation à être discuté, enrichi et amélioré par tous, y compris, bien entendu, par les praticiens.
La réforme de la garde à vue sera l’un des volets importants de cette démarche. Bien entendu, il faudra poser la question de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue. Je dois d'ailleurs vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’avant-projet de loi va d'ores et déjà au-delà de cette mesure, puisqu’il vise à garantir les conditions de l’efficacité de l’assistance par un avocat. Ce dernier se verrait ainsi reconnaître la possibilité d’accéder aux procès-verbaux des interrogatoires, afin de mieux assister son client.
Pour autant, les réponses que nous apporterons devront s’inscrire dans une logique d’ensemble ; aucune question ne devra être éludée, y compris celle du rôle réel des gardes à vue, auquel M. le rapporteur a fait allusion.
En effet, le recours à la garde à vue ne devra être possible que dans les cas de crimes ou de délits punis d’une peine d’emprisonnement. Il devra également être distingué d’autres situations, comme le dégrisement.
Nous devons aussi aborder la question des critères établissant la nécessité de certaines mesures de garde à vue. Pour des affaires ne présentant pas un caractère de particulière gravité, la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les pistes de réflexion lancées par Mme le garde des sceaux sur ce sujet ; elles méritent là encore d’être travaillées et approfondies, en analysant leurs différents aspects.
Je sais que cette proposition a fait l’objet de controverses. Toutefois, elle a aussi suscité un certain intérêt, car chacun sent bien qu’il faut résoudre le problème posé par l’absence de solution de rechange à la garde à vue.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué également – en fait, vous avez tout dit ! (Sourires.) – la culture de l’aveu. Certains, que l’on peut comprendre, craignent que l’aveu ne soit obtenu sous la pression.
L’avant-projet de loi précise déjà que l’aveu recueilli en garde à vue hors de la présence de l’avocat ne peut fonder à lui seul une condamnation, ce qui constitue tout de même une avancée importante par rapport à la situation actuelle. Il serait possible de prévoir en outre un meilleur encadrement de certaines pratiques ; c’est le cas, notamment, des fouilles, dont l’usage devra être limité et précisé.
En un mot, mesdames, messieurs les sénateurs, l’objectif que Mme le garde des sceaux et moi-même visons est de parvenir, avec les parlementaires et l’ensemble des acteurs concernés, à une réforme qui soit la plus cohérente possible.
En effet, quitte à mener une grande réforme, autant tenir compte de toutes les attentes, difficultés et manques qui ont été constatés, afin qu’elle soit faite pour longtemps.
Dans cette perspective, il ne nous paraît pas souhaitable d’isoler la question de la présence de l’avocat des autres aspects de la réforme de la garde à vue, sans même évoquer les difficultés pratiques qui sont liées au texte de la présente proposition de loi, pour lequel nous ne disposons d’aucune évaluation.
Par ailleurs, l’évolution de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue doit prendre en compte les nécessités de l’enquête. Il faut permettre aux services de police ou de gendarmerie d’entendre directement une personne afin d’obtenir les informations indispensables à leurs investigations.
Or, comme M. le rapporteur l’a souligné, l’application systématique de la règle prévue par la proposition de loi serait, dans un certain nombre de cas, incompatible avec les exigences de sécurité inhérentes à ce type de procédure. Je pense moi aussi à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. En la matière, le régime de la garde à vue ne peut pas être celui du droit commun.
Je tiens également à évoquer les difficultés qui peuvent être liées à l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue.
Que faire si l’avocat ne se présente pas ? Toute investigation devra-t-elle être bloquée, en attendant qu’il se présente au commissariat ? Dans des cas comme les enlèvements et les séquestrations, nous le savons, chaque minute compte pour protéger la victime.
Que faire si l’avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? L’hypothèse d’une prolongation de la garde à vue paraît peu compatible avec le respect des droits de la défense.
Que faire si l’avocat ne se présente jamais ?
Monsieur le rapporteur, vous y avez fait allusion, la question de la présence renforcée de l’avocat – nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette présence devra être améliorée – pose celle du financement de l’aide juridictionnelle.
Dans le cadre de la concertation qui est engagée, nous menons, avec Mme le garde des sceaux, une réflexion à ce sujet. D’excellents rapports parlementaires ont d’ailleurs été rendus, tel le rapport d’information de M. Roland du Luart. De nombreuses et intéressantes idées sont avancées. À nous de déterminer celles qui sont aujourd'hui les plus adaptées et les plus à même d’être mises en œuvre, car un financement uniquement budgétaire n’est pas la solution. Nous le voyons bien, nous sommes arrivés à la limite de l’exercice.
C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la réflexion sur le financement de l’aide juridictionnelle, il nous faut formuler des propositions nouvelles. C’est ce que nous faisons, avec le souci de nous inscrire dans le calendrier que vous avez esquissé tout à l’heure, monsieur le rapporteur, en souhaitant comme vous qu’il soit confirmé. Nous y travaillons en tout cas, de manière que la question du financement de l’aide juridictionnelle ne soit pas dissociée de celle de la réforme de la garde à vue. Tout cela nécessite encore du temps, pour que les meilleures décisions soient prises.
En tout état de cause, le régime juridique que prévoit cette proposition de loi est trop rigide et semble inadapté à certaines procédures indispensables à la manifestation de la vérité. Je pense à certaines confrontations, notamment en matière d’inceste, où la confrontation immédiate d’un suspect et de sa victime, lors de la garde à vue, peut être nécessaire, mais d’autres exemples peuvent être pris. Tout cela mérite donc encore réflexion et travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont, en complément des réserves avancées par M. le rapporteur, les principales difficultés qui me semblent surgir à l’examen de la proposition de loi.
Pour autant, je le répète, le ministère de la justice n’entend pas décider seul des orientations souhaitables dans ce domaine. La réforme de la procédure pénale ne saurait être le travail d’une administration, d’un ministre ou d’un gouvernement. Elle doit être l’œuvre du plus grand nombre, pour être, le moment venu, une réussite. Nous y travaillons avec des praticiens du droit, des universitaires, des parlementaires de toutes sensibilités. Notre méthode sera celle de l’écoute et du dialogue. Tel est mon état d’esprit aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si c’est le troisième débat que nous avons sur ce sujet en quelques mois, nous n’en sommes pas pour autant au troisième acte ! C’est en effet toujours le premier acte, aucune avancée n’ayant été constatée depuis le début de nos travaux sur cette question.
Je trouve vos propos très optimistes, monsieur le rapporteur. En effet, à force de parler de cette question, le scandale s’émousse, la situation devient presque banale, alors qu’elle ne l’est pas du tout, et il n’y a plus grand monde en séance ! Lors de notre première discussion sur ce sujet, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de Jacques Mézard, l’hémicycle était un peu plus plein… Désormais, plus personne ne s’y intéresse. On comprend la méthode du Gouvernement : lorsque tout le monde se sera détourné du problème, il sera temps de ne rien faire !
Monsieur le rapporteur, je trouve également vos propos tout à fait contradictoires. Vous convenez que le régime actuel ne peut plus être laissé en l’état, mais vous considérez qu’il faut malgré tout le maintenir pour réfléchir encore ! Sur cette question, votre embarras est manifeste, et la longueur de votre intervention en témoigne.
M. François Zocchetto, rapporteur. Ah, non, au contraire ! C’était pour tenter d’être complet !
M. Jean-Pierre Michel. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Si nous connaissons le nombre exact de placements en garde à vue prononcés en 2008, nous ignorons celui de cette année. Nous savons en revanche que l’inflation est considérable, que plus de 600 000 personnes ont été concernées par cette procédure, un certain nombre d’entre elles pour moins de vingt-quatre heures. À mon sens, nous ne pouvons plus attendre.
Pour la chancellerie, il est certainement plus urgent de préparer un texte créant une infraction difficilement applicable à l’encontre d’une poignée de femmes qui provoquent le pacte républicain. Pour la garde à vue, il est urgent d’attendre !
Le comité Léger a pourtant formulé un certain nombre de propositions intéressantes et a notamment prévu la restriction des cas de placements de garde à vue. Il a en effet considéré qu’il s’agissait d’une mesure « coercitive » – le terme est intéressant –, ce qui a des implications pour ceux qui peuvent la mettre en œuvre : la mesure doit être proportionnée à l’infraction et strictement indispensable aux nécessités de l’enquête. Ce sont là deux critères fondamentaux.
La chancellerie a mis en ligne son avant-projet de réforme de la procédure pénale.
S’agissant de la garde à vue, presque tout est critiquable ! Ainsi, la définition de la garde à vue est beaucoup trop large. En outre, avec l’audition de quatre heures à compter de l’interpellation, une zone grise est créée : la police pourra entendre, sans aucune garantie, un individu pendant ces quatre heures, lesquelles pourront d’ailleurs être suivies par une véritable garde à vue. En d’autres termes, la garde à vue sera prolongée de quatre heures.
M. Jean-Pierre Michel. Le tour est joué ! On a très bien compris ce que le Gouvernement voulait faire. C’est absolument inadmissible, et je le dis très clairement.
Les propositions de la chancellerie sont également totalement insuffisantes en ce qui concerne la présence de l’avocat. Celui-ci doit pouvoir être présent dès le début de la garde à vue. Quelles conséquences cela aura-t-il ? Je n’en sais rien.
Mais rappelez-vous : lorsqu’il a été envisagé de prévoir dans le code de procédure pénale la présence de l’avocat dans le cabinet du juge d’instruction, que n’a-t-on entendu ! La Cour de cassation elle-même, en séance plénière, a délibéré sur ce projet et s’y est déclarée défavorable, sous prétexte que cela augmenterait la délinquance. Depuis, les esprits ont évolué, et tout le monde reconnaît la nécessité de cette mesure.
Par conséquent, je pense que tout le monde admettra bientôt que les avocats doivent être présents tout au long de la garde à vue et que personne ne remettra en cause leur déontologie.
Enfin, la garde à vue, dans la mesure où il s’agit d’une mesure coercitive, doit être placée sous l’autorité du juge du siège.
M. François Zocchetto, rapporteur. C’est ce que j’ai dit !
M. Jean-Pierre Michel. Lui seul a en effet les qualités d’indépendance requises par les normes tant européennes que françaises pour priver nos concitoyens de liberté.
D’ailleurs, pas plus tard qu’hier après-midi, sous votre impulsion, monsieur le rapporteur, et avec l’accord du Gouvernement, un pas énorme a été franchi. Le Sénat a en effet considéré que, pour les perquisitions et les saisies, c’est-à-dire pour l’atteinte au droit de propriété, c’est le juge du siège – et non le parquet – qui devait être seul compétent. Un tel raisonnement devrait à plus forte raison s’appliquer quand il s’agit de l’atteinte aux droits des personnes dans leur liberté d’aller et venir ! Mme le garde des sceaux devra réfléchir à cette avancée de notre assemblée et, si cette disposition est maintenue à l'Assemblée nationale, revoir un certain nombre des positions qu’elle développait ici-même.
La réforme de la garde à vue est urgente.
Elle l’est en raison de l’inflation considérable des gardes à vue, inflation qu’un responsable de la police – appelons-le ainsi – attribue à la loi Guigou. Voilà qui est tout à fait nouveau et un peu fort ! Je pense qu’on a dû lui demander de faire une telle déclaration et que, comme d’habitude, il se sera exécuté. On sait de qui l’on parle...
La réforme de la garde à vue est également urgente à cause de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et des nombreux recours qui sont formés devant les juridictions, lesquelles statuent de manière différente. Cela provoquera bientôt une paralysie du système, ce qui, à mon avis, n’est pas bon.
Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, si la réforme globale de la procédure pénale qui est envisagée est votée – quand ? dans quelles conditions ? nul ne le sait –, la nature profonde de la garde à vue sera modifiée. En effet, la chaîne pénale ne sera plus scindée entre une enquête préliminaire sous l’autorité du parquet et une instruction ou une audience sous l’autorité du juge. Sous l’autorité de qui sera-t-elle alors placée ? L’avant-projet de loi prévoit celle du parquet. Je penche, pour ma part, pour celle du juge, et ce, je le répète, dès le début.
La nature de la garde à vue sera donc différente. Par conséquent, les propos que tient Robert Badinter n’auront à mon avis plus cours. Les mises en examen auront lieu dès le début et le processus commencera immédiatement. Aussi des garanties totales devront-elles être assurées tout de suite, et l’avocat devra être présent d’emblée pour défendre son client.
Aujourd'hui, il nous faut attendre une probable réforme de la procédure pénale. Or tout le monde ignore quand elle interviendra. La concertation est ouverte, paraît-il, mais elle l’est d’une drôle de façon puisque la chancellerie, dans sa circulaire, s’est abstenue de demander aux chefs de cour de convoquer des assemblées générales de juridiction, ce qui est d’ailleurs contraire à la loi. Mais passons… Quand la chancellerie n’applique pas la loi, on peut faire n’importe quoi !
Aujourd'hui, nous sommes quand même d’accord sur un certain nombre de points et nous pouvons agir, certes a minima mais tout de suite, quitte ensuite à harmoniser ces dispositions avec le reste de la procédure. Ce n’est pas la peine de parler aujourd'hui de toutes les exceptions qu’il faudra prévoir. Il va de soi que ce sera nécessaire, par exemple pour les infractions les plus graves. Toutefois, il existe un certain nombre de mesures simples que nous pourrions prendre en l’état, compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
C'est la raison pour laquelle, pour la troisième fois, le groupe socialiste porte ce débat devant la Haute Assemblée. Ce n’est pas pour que nous y réfléchissions encore. Certes, on peut poursuivre la réflexion sur la réforme globale de la procédure pénale et sur son harmonisation avec les règles de la garde à vue, mais il n’est à mon avis plus temps de revenir sur les dispositions à propos desquelles nous sommes, semble-t-il, tous d’accord, à tout le moins au sein de la commission des lois. Le Gouvernement, c’est autre chose… Personne ne sait ce qu’il pense : il change, il varie, il attend les résultats de la concertation tronquée qu’il a organisée.
Nonobstant la constitution d’un groupe de travail sur l’évolution du régime de l’enquête et de l’instruction dont Jean-René Lecerf et moi-même sommes les rapporteurs et au nom duquel nous procédons à des auditions, nous pourrions agir tout de suite dans un certain nombre de domaines. Le Gouvernement ne le veut pas. Pourquoi ? C’est la seule question qui vaille. C’est à celle-là que nous attendions que vous répondiez, monsieur le secrétaire d'État. Vous ne l’avez pas fait, et c’est dommage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’une des premières conséquences de la révision constitutionnelle de 2008 nous vaut d’avoir le privilège, depuis février dernier, d’une réunion mensuelle sur la garde à vue.
Ce bégaiement législatif sera-t-il suivi de l’énoncé d’une loi consensuelle que, pour notre part, nous appelons de nos vœux, d’une loi de bon sens, protectrice de la société et des droits fondamentaux du citoyen ?
Y-a-t-il une urgence particulière à multiplier les lois sécuritaires de circonstance et à retarder les lois de liberté ? D’ailleurs, je conseille la lecture de l’instruction du 11 mars 2003, signée par le ministre de l’intérieur de l’époque, sur la question de la dignité des personnes en garde à vue. Mes chers collègues, c’est une lecture édifiante !
Cette question est toujours en suspens, et elle ne sera pas résolue par le renvoi à la commission du texte de nos collègues du groupe socialiste et rattachés, que notre groupe, à une exception près, ne votera pas, confirmant ainsi son opposition au blocage actuel.
Le débat qui est ouvert découle – nous en sommes tous conscients – d’une dérive inacceptable de la procédure de garde à vue ; cette évolution, reconnue et dénoncée par les plus hautes autorités de l’État, suscite la désapprobation de plus en plus ouverte d’une majorité de nos concitoyens. Ceux-ci sont conscients qu’il est intolérable, dans un État de droit, d’infliger chaque année à plus de 800 000 personnes une mesure privative de liberté, pour des infractions qui sont souvent bénignes – vous l’avez très objectivement souligné, monsieur le secrétaire d’État –, dépourvues de suite judiciaire et même, parfois, d’infraction caractérisée. Cette situation est aggravée, nous en sommes tous d’accord, par des conditions matérielles et des conditions d’exercice tout à fait indécentes.
L’évolution de la jurisprudence européenne, l’insécurité juridique qui découle de l’interprétation qu’en donne aujourd’hui une partie de nos tribunaux imposent aussi de sortir d’urgence de ce gâchis pénal. En outre, je l’ai déjà souligné, cette situation contribue à creuser un fossé entre les forces de l’ordre et les citoyens, avec une rubrique « faits divers » constamment remplie par quelques bavures rendues inéluctables par l’inflation du nombre de gardes à vue, les conditions de celles-ci et l’absence de contrôle réel du parquet sur ces procédures.
Les propositions de lois qui se succèdent émanent de tous les groupes politiques, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État. Le texte que j’ai présenté était très semblable à celui qui avait été déposé par certains députés de l’UMP. Il s’agit là de l’expression de l’exaspération et de l’urgence à réagir. En revanche, il serait à notre avis contre-productif, voire fallacieux, de tergiverser au motif qu’une telle réforme serait contradictoire avec l’objectif légitime de préserver la sécurité de nos concitoyens, voire avec le motif inexprimé de ne point mécontenter tel représentant des forces de l’ordre, dont le travail, au cours de tous ces débats, monsieur le secrétaire d’État, ne fut jamais caricaturé, quels qu’aient été les auteurs des diverses propositions de lois.
Le texte que nous examinons s’inscrit dans ce contexte général. Il n’est pas tout à fait semblable à celui que j’avais eu l’honneur de présenter le mois dernier. Si nous partageons l’essentiel de ses objectifs en ce qui concerne le type d’infractions justifiant une garde à vue, le droit au silence et le rôle de l’avocat, nous considérons en revanche que la question du terrorisme justifie un traitement particulier, avec la présence d’un avocat choisi sur des listes établies par le barreau, pour le moins. Notre groupe, en effet, ne cautionnera jamais l’ETA, ni les dérives régionalistes armées, corses et autres…
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez soumis un projet à la concertation. Toutefois, Mme le ministre d’État nous rappelait voilà quelques jours encore qu’elle avait une conviction et qu’elle s’y tiendrait, ce qui est éminemment respectable, mais qui laisse peu de place à la concertation, encore plus pour les non concertés ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Votre avant-projet s’articule autour de quelques axes.
Premièrement, en réformant l’article 327-3 du code de procédure pénale, vous entendez réserver la garde à vue aux soupçons d’infractions justiciables d’une peine d’emprisonnement, c'est-à-dire, en réalité, l’immense majorité des cas. Cette mesure ne représentera donc pas une véritable évolution et ne réglera pas le problème, le contrôle des motifs par l’autorité judiciaire restant le principe dans la pratique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Deuxièmement, avec l’article 327-7 du code de procédure pénale, vous souhaitez créer l’audition libre.
Monsieur le secrétaire d’État, qualifier d’ « audition libre » un entretien auquel une personne est amenée sous la contrainte – le mot apparaît dans le texte de l’avant-projet – et privée de liberté pendant quatre heures relève d’une singulière démarche ! De plus, cet homme libre ne pourra être aucunement assisté et aura le « privilège » de passer illico du statut de liberté factice à celui, bien réel, de gardé à vue, dans des conditions peu différentes du système actuel ! Sur ce point, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une avancée de la liberté ni même d’une avancée tout court.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sera l’antichambre de la garde à vue !
M. Jacques Mézard. Or notre droit pénal n’échappera pas – et il doit en être ainsi – à des évolutions courantes en Europe, s’agissant de la présence de l’avocat, du droit au silence, de la privation de liberté, en adéquation avec la gravité de l’infraction.
Ce qui dysfonctionne aujourd’hui, nous le savons tous, c’est la multiplication de ces cas, qui sont des centaines de milliers.
Les infractions de circulation routière justifient-elles que l’on place des gens en garde à vue dans les conditions que nous connaissons ? Non !
Des délits mineurs justifient-ils que l’on fasse passer à des gens un nombre X d’heures dans un commissariat, dans les conditions que l’on connaît ? Non !
Et si, tout simplement, monsieur le secrétaire d’État, cette dérive n’avait pas eu lieu ? S’il y avait eu des évolutions anticipées, sages ? Je crois que tout le monde serait convenu que le système était acceptable !
Monsieur le secrétaire d’État, souscrire aux aspirations de nombre de parlementaires de tous les groupes ne serait pas perdre la face ou reculer, bien au contraire. Le Gouvernement ne pourrait qu’en sortir grandi. Quand on est fort, on ne craint pas la liberté. D’autant que, de toute façon, cette réforme aura lieu, et le plus tôt sera le mieux. Merci de nous entendre, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli.
Mme Colette Giudicelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Alima Boumediene-Thiery et des membres du groupe socialiste dont nous débattons aujourd’hui tend à modifier les articles 63 et suivants du code de procédure pénale.
Le 24 mars dernier, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de la nécessité de réformer la garde à vue en examinant la proposition de loi présentée par notre collègue Jacques Mézard.
Le groupe UMP avait alors considéré qu’il était plus opportun et plus cohérent de prévoir cette réforme dans le cadre de la procédure pénale.
Cette réforme fait l’objet d’un avant-projet de loi qui devrait, à la suite de la concertation engagée par le ministère de la justice, se traduire vraisemblablement par deux projets de loi.
Au regard des nombreuses propositions qui visent à réformer la garde à vue, déposées sur le bureau tant de la Haute assemblée que de l’Assemblée nationale, nous vous renouvelons notre souhait d’examiner par priorité les questions touchant à la garde à vue.
Chacun est en effet bien convaincu de la nécessité de réformer aujourd’hui ce dispositif, et ce compte tenu non seulement de notre exposition au risque d’annulation d’un certain nombre de procédures pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi des nombreuses saisines du Conseil constitutionnel par les avocats, au lendemain de l’entrée en vigueur de la procédure de questions prioritaires de constitutionnalité, le 1er mars dernier.
Il y a là un réel problème de sécurité juridique, en particulier lorsque les tribunaux de première instance annulent des gardes à vue.
Si les dispositions du code de procédure pénale se trouvaient ainsi écartées, il n’y aurait plus rien pour nous prévenir d’une justice impuissante à faire son office sereinement et efficacement. Devant ce risque, il paraît indispensable de légiférer rapidement, notamment pour ne pas laisser nos concitoyens exposés à cette insécurité juridique.
L’arrêt Medvedyev c/France, rendu le 29 mars dernier ne remet pas en cause le statut du parquet français. Il rappelle toutefois que le magistrat doit présenter des garanties d’indépendance face à l’exécutif. Pour ma part, je veux souligner que l’avant-projet de loi tend plutôt à renforcer cette autonomie.
Or le texte que nous examinons aujourd’hui ne traite à mon avis que trop partiellement la question – peut-être par excès de précipitation – pour apporter une véritable réponse et garantir un dispositif sans faille.
Ce qui était vrai en mars dernier l’est encore aujourd’hui. Je pense, comme M. le rapporteur, que la réforme globale de la procédure pénale annoncée pour la fin de l’année 2010, dans laquelle s’inscrirait la modification du régime de la garde à vue, permettrait de satisfaire à cette exigence, sans accumuler toute une série de textes parcellaires qui nuirait à la clarté juridique de l’ensemble.
Peut-on envisager l’adoption de cette proposition de loi qui subordonne le placement en garde à vue à l’autorisation du procureur de la République pour les infractions passibles d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement, alors même que les modalités d’intervention du parquet présentent de réelles incertitudes ?
Il faut faire preuve, je crois, de pragmatisme. Même s’il s’avère évident que la réforme de la garde à vue est indispensable, nous devons l’appréhender en concordance avec les divers travaux menés sur la procédure pénale. Il s’agit notamment d’attendre les conclusions du groupe de travail animé actuellement par les sénateurs Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel. Cette coprésidence par la majorité et l’opposition traduit bien la volonté d’aboutir, sur un sujet si important, à un résultat consensuel qui dépasse largement les clivages partisans.
Limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête, comme le prévoit le texte du Gouvernement, permettrait effectivement de lutter contre la banalisation de cette procédure. Ce projet prévoit, pour les infractions punies de moins de cinq ans d’emprisonnement, qu’une audition libre puisse être réalisée, sans contrainte et pour une durée maximale de quatre heures. Les personnes auditionnées pourront à tout moment demander leur placement en garde à vue, afin de jouir des droits associés à cette procédure.
Plus personnellement, je ne conteste pas le bien fondé, l’intérêt des dispositions présentes et l’utilité de certains compléments apportés par la proposition de loi que nous examinons, par rapport au précédent texte de mars dernier. Ainsi, possibilité est donnée cette fois-ci à l’avocat d’avoir accès au dossier pénal de son client. La communication du dossier pour les actes d’enquête auxquels est associé le gardé à vue paraît en effet un préalable essentiel, sans lequel le texte semblerait bien vide de sens et pourrait même conduire l’avocat à conseiller au gardé à vue de refuser de répondre, comme il en a le droit.
Mais je crois aussi qu’il ne faut pas se leurrer : cette disposition entraînera des difficultés matérielles évidentes. Dans de nombreux cas, en effet, le dossier est constitué au fur et à mesure des auditions, comme l’avait souligné M. le rapporteur.
Au regard de ces difficultés fonctionnelles, l’avant-projet prévoit un deuxième entretien à la douzième heure. En cas de prolongation au-delà de la vingt-quatrième heure, l’avocat, ayant eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés, pourra assister aux auditions.
Les articles 4, 5 et 6 tendent à unifier les régimes de la garde à vue. La présence de l’avocat est requise dès le début de celle-ci pour la criminalité et la délinquance organisées, ainsi que pour la garde à vue d’un mineur.
Or dans le projet de réforme de la procédure pénale, le Gouvernement souhaite conserver les régimes spécifiques, et nous le soutenons. Le groupe UMP est pleinement favorable au maintien de ces dérogations justifiées par l’impérieuse nécessité de garantir la sécurité de nos concitoyens.
Ces régimes ne sauraient être alignés sur le droit commun, alors même que la privation de liberté à l’encontre, notamment, de terroristes ou d’auteurs d’enlèvement et de séquestration répond, d’une part, au besoin de rapidité dans la recherche de la vérité face à des grands délinquants et, d’autre part, à la volonté de déstructurer l’organisation criminelle en cause.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ne perdons tout de même pas de vue que la garde à vue intervient aussi, et la plupart du temps, lorsqu’il y a des victimes, et que le travail de la police et des enquêteurs est là pour leur rendre justice : il n’est pas concevable de rendre ce travail encore plus difficile.
J’évoquerai maintenant certaines incertitudes présentes dans la présente proposition de loi, qui soulèvent autant d’interrogations. Des difficultés y sont certes posées, mais rien n’est proposé pour les résoudre : que faire si l’avocat ne se présente pas quand le gardé à vue a demandé sa présence ? Suffira-t-il de mentionner qu’il n’a pu venir ? Ou bien faudra-t-il différer l’audition tant que l’avocat ne se sera pas présenté ?
Par ailleurs, je note également la disparition de la mention d’une audition immédiate pour le gardé à vue. Pour moi, c’est une bonne chose. Cette disposition critiquable semblait signifier qu’il était exclu de procéder, en cas d’interpellation à domicile, à une perquisition immédiate, ce qui aurait permis à des tiers d’avoir du temps pour faire disparaître des preuves à charge.
Or l’un des principaux problèmes de la garde à vue réside bien là : elle intervient souvent trop tôt, quand les preuves matérielles n’ont pas encore été recherchées et alors même que les personnes soupçonnées ne sont pas susceptibles de prendre la fuite. Ainsi les enquêteurs sont-ils souvent conduits à provoquer l’aveu plutôt qu’à le rendre incontournable par des preuves déjà réunies.
Trop souvent l’enquête, ouverte sur une plainte, commence par une garde à vue, quand celle-ci ne devrait être que l’aboutissement d’un processus tendant à étayer la mesure, ce qui, à l’évidence, contribue malheureusement à sa prolifération. C’est un peu moins vrai dans les affaires flagrantes, car les modalités prévues en la matière engendrent, de fait, une certaine précipitation, sans laisser aux enquêteurs le temps de réunir des preuves matérielles. Mais, là encore, l’imprécision règne : ne suffirait-il plus, alors, qu’à placer un suspect en garde à vue sans jamais l’entendre, la mesure n’ayant plus pour objet que de permettre aux enquêteurs de réunir des preuves sans que le gardé à vue puisse entraver leur action ?
Manifestement, la garde à vue est la partie d’un tout, et sa réforme envisagée doit participer à une réforme complète de la procédure pénale. Cela aurait au moins l’avantage de modifier notre approche de l’enquête afin d’éviter, autant que possible, de dévoiler trop tôt et trop largement les éléments sur lesquels elle se fonde, au risque de ne plus pouvoir les utiliser.
Le Gouvernement nous assure de son volontarisme pour que « l’amélioration des conditions de garde à vue soit une priorité dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale ».
Malgré cet engagement positif, la commission, en l’absence de texte du Gouvernement dans un délai raisonnable, pourrait, comme l’a très bien fait remarquer M. le rapporteur, « reprendre l’initiative à la lumière des travaux » engagés dans l’enceinte du Sénat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au vu de toutes ces remarques, le groupe UMP votera la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est la troisième fois en peu de temps que nous sommes amenés à débattre de la garde à vue. Et comme il l’a fait pour la précédente proposition de loi sur ce sujet dont il était déjà le rapporteur, M. Zocchetto, avec une certaine constance, nous demande de renvoyer l’examen de celle-ci à plus tard.
Encore une fois, nous ne pouvons nous satisfaire de cette réponse.
Voilà un mois, j’avais demandé que la commission des lois travaille à un texte commun à partir des différentes propositions de loi existantes et, bien évidemment aussi, des dispositions figurant dans l’avant-projet de loi du Gouvernement.
Non seulement ce n’est pas le cas, mais la commission refuse également de se saisir du texte qui nous est présenté aujourd'hui, préférant laisser au Gouvernement l’entière initiative dans ce domaine.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission a mis en place un groupe de travail spécifique confié à nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel !
M. François Zocchetto, rapporteur. Il poursuivra d’ailleurs ses auditions cet après-midi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La révision constitutionnelle, suivie par la réforme du règlement du Sénat, était destinée – c’est du moins ce qui nous a été affirmé – à conférer aux législateurs que nous sommes des pouvoirs accrus.
En nous cantonnant, de fait, à des interventions générales, les deux demandes successives de renvoi à la commission émanant de la majorité nous privent de tout débat réel. Quelle belle illustration des limites posées à l’initiative des groupes et du sort réservé à leurs propositions quand elles ne correspondent pas aux souhaits du Gouvernement ou du Président de la République !
Il est significatif que nous soyons saisis par le Gouvernement de la vingt-troisième loi sécuritaire depuis 2002, mais que le Parlement ne puisse être à l’origine d’un seul texte relatif aux libertés individuelles.
Aussi, je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d’accepter que s’engage la discussion sur le présent texte. C’est avec cet objectif que j’ai déposé un certain nombre d’amendements. Les dispositions qui y figurent sont d’ailleurs issues de la proposition de loi que j’ai moi-même déposée avec mes collègues du groupe CRC-SPG, texte que je suis prête – je ne m’en priverai d’ailleurs pas – à présenter dans le cadre d’une semaine d’initiative parlementaire. Cela amènerait le Sénat à discuter une quatrième fois de la garde à vue et constituerait une preuve manifeste supplémentaire du rôle mineur conféré au législateur. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
Examiner cette proposition de loi serait en outre d’autant plus opportun tant il est vrai que l’avant-projet du Gouvernement sur la réforme de la procédure pénale nourrit des inquiétudes croissantes et fait naître une contestation grandissante parmi de nombreux professionnels.
Des représentants des magistrats et des avocats ont préféré quitter la concertation, totalement faussée, que mène Mme le garde des sceaux, notamment parce qu’elle refuse toute discussion sur la suppression du juge d’instruction ou l’indépendance du parquet. Les hauts magistrats de la Cour de cassation ont émis sur le texte gouvernemental un avis défavorable, considérant qu’il « ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l’exercice des droits de la défense et des victimes ». Concernant le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, ils estiment que le « contrôle de la garde à vue ne peut dépendre de l’autorité de poursuite ».
A été évoquée l’idée d’un texte spécifique sur la garde à vue. Depuis, Mme le garde des sceaux a indiqué qu’elle envisageait de scinder son avant-projet en deux parties qui seraient examinées en parallèle par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais aucune date n’a été annoncée. Tout cela n’est vraiment pas clair ! Ce qui l’est, en revanche, c’est la nécessité, au vu de l’actualité, de ne pas attendre davantage pour légiférer sur la garde à vue.
Pour ce qui est des faits, il est urgent d’en finir avec des situations telles que celle que nous avons vécue à la fin du mois de mars dernier, quand trois lycéens marseillais ont été placés en garde à vue pendant plusieurs heures, fouillés au corps et menottés pour avoir insulté la fille d’une commandante de police.
Quant au nouvel arrêt Medvedyev c/France prononcé par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, s’il fait certes l’objet d’interprétations diverses, voire divergentes, il ne paraît cependant pas infirmer le jugement rendu en première instance, puisqu’il rappelle qu’un « magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif », ce qui n’est évidemment pas le cas du procureur de la République.
C’est précisément pour cette raison de fond que nombre de professionnels sont fondamentalement opposés au projet de suppression du juge d’instruction.
Pour revenir à la proposition de loi présentée aujourd'hui par notre collègue et les membres du groupe socialiste, si je soutiens globalement les dispositions qui y sont inscrites, j’ai déposé trois amendements à mes yeux très importants, lesquels, je le répète, reprennent des propositions issues du texte que j’ai moi-même déposé.
Deux de ces amendements ont pour objet de restreindre le champ de la garde à vue.
Le premier vise à exclure les régimes dérogatoires pour terrorisme, association de malfaiteurs ou trafic de stupéfiants. J’ai entendu les différents points de vue qui se sont exprimés, mais il n’en demeure pas moins que l’extension continue des dérogations pose problème.
Le deuxième amendement, auquel je suis particulièrement attachée, tend à supprimer la garde à vue stricto sensu des mineurs.
Le fait de redonner du sens à la garde à vue et d’empêcher une constante augmentation par des lois toujours plus répressives comme par les pratiques en cours suppose inévitablement de restreindre son champ d’application.
Au travers du troisième amendement, je souhaite poser le principe du droit de la personne gardée à vue au respect de sa dignité et de la responsabilité de l’État en cas d’atteinte à cette dignité. Je note, sur ce point, que le directeur général de la police nationale, M. Frédéric Péchenard, a récemment souligné dans un entretien accordé à un journal qu’il n’était « pas hostile à ce que la loi interdise la fouille à corps », insistant sur le fait qu’il fallait que « ce soit la loi » qui fixe une telle interdiction. Effectivement, mes chers collègues, c’est à nous, législateurs, qu’il appartient de le décider. À mon sens, au-delà des citoyens eux-mêmes, les deux institutions policière et judiciaire ne pourraient que tirer bénéfice d’une telle disposition.
Une fois encore, je souhaite dire ici combien il me paraît indispensable de tenir bon sur les principes de la justice et du droit, de la justice et des droits, et de cesser de banaliser à tout propos leur non-respect, voire leur négation.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de renoncer à voter la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et de débattre des conditions de la garde à vue, en prenant nos responsabilités de législateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le sujet abordé par cette proposition de loi portant réforme de la garde à vue me tient particulièrement à cœur parce qu’il touche aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
À ce titre, ni les nécessités d’une enquête judiciaire ni les soupçons pesant sur une personne ne devraient permettre qu’on atteigne à sa dignité.
Puisque je m’exprime aussi en qualité de présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, je tiens à rappeler que, selon les chiffres annoncés, les femmes représentent 10 % des personnes gardées à vue ; elles sont 60 000 dans ce cas.
C'est la raison pour laquelle les membres de la délégation ont décidé l’an dernier, sur mon initiative, de consacrer une partie de leurs activités à la situation des femmes dans les lieux de privation de liberté. Pour forger notre conviction, nous avons auditionné de nombreux professionnels.
C’est ainsi que le directeur de l’administration pénitentiaire, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, de nombreux responsables d’associations et de commissions, dont la CIMADE, mais aussi des médecins, psychiatres et magistrats sont venus échanger leurs expériences et fournir des données chiffrées sur la réalité de la garde à vue en France.
Afin de nous rendre compte concrètement de la procédure et des conditions de placement, nous nous sommes déplacés dans différents centres de rétention, en particulier au dépôt et à la souricière du palais de justice de Paris.
Il ressort de ces entretiens et de ces déplacements un constat unanime.
Malgré une hygiène relativement mieux préservée dans les espaces qui leur sont réservés, « l’excès de zèle » dans les fouilles corporelles pratiquées sur les femmes, l’attente souvent longue, ainsi que les conditions d’hygiène et d’intimité rendent la garde à vue difficile à supporter pour elles. La situation des hommes n’est d’ailleurs pas plus enviable.
De manière plus générale, comme le reconnaissait lui-même le contrôleur général des lieux de privation de liberté, malgré des efforts de rénovation incontestables, « la plupart des lieux de garde à vue restent dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu’elles soient interpellées ou qu’elles y exercent leurs fonctions ».
Cette situation ne peut nous laisser indifférents et il semble nécessaire aujourd’hui de la faire évoluer.
Dans le rapport qu’elle a remis à l’issue de ses travaux, la délégation a par conséquent formulé des demandes urgentes et préconisé des recommandations, qui restent toujours d’actualité aujourd'hui.
Comme nous le demandons dans le rapport, les pouvoirs publics se doivent d’appliquer les recommandations formulées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté et, en particulier – monsieur le secrétaire d'État, j’attire votre attention sur ce point –, de mettre un terme aux pratiques de retrait systématique du soutien-gorge et de la paire de lunettes de vue, qui portent atteinte à la dignité de la personne sans pouvoir être toujours justifiées par un impératif de sécurité.
Parmi les trente recommandations formulées, la délégation invite notamment les autorités responsables des lieux de privation de liberté à rechercher un juste équilibre entre les exigences légitimes de sécurité et le respect indispensable de la dignité des personnes détenues.
Nous avions été notamment frappés, voilà quelques mois, par l’exemple de cette femme placée en garde à vue, à Tarbes, le lendemain d’une fausse couche à l’hôpital.
À ce titre, la délégation a souhaité que le recours aux fouilles à corps soit limité autant que possible, notamment grâce à des équipements permettant aujourd’hui des pratiques plus respectueuses de la liberté des personnes.
Je me félicite aujourd’hui de ce que Mme Borvo Cohen-Seat et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche reprennent cette proposition au travers d’un amendement déposé sur le présent texte et tendant à insérer un article additionnel dans le code de procédure pénale. Ils entendent ainsi garantir que « toute personne placée en garde à vue a le droit au respect de la dignité humaine, notamment dans le domaine du respect de l’intimité, de la pudeur, de l’hygiène » et prévoir que « toute atteinte à la dignité humaine de la personne placée en garde à vue engage la responsabilité de l’État ».
La commission des lois a estimé plus sage de demander le renvoi à la commission de la proposition de loi. Ses membres ont considéré que la réflexion n’était pas encore mûre sur des sujets délicats comme l’organisation effective de la défense quand la présence de l’avocat serait admise pendant les interrogatoires de garde à vue, l’accès de la défense au dossier ou encore la possible évolution des régimes dérogatoires de garde à vue.
Je veux croire que le Gouvernement respectera ses engagements et que le débat se poursuivra selon les orientations ainsi tracées.
Je souhaite qu’il se nourrisse des propositions de notre délégation et que les droits des femmes placées en garde à vue, particulièrement menacés, fassent l’objet d’une attention particulière. Je forme le vœu que le groupe de travail de nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel prenne en compte ces situations et ces propositions spécifiques, toujours soucieuses du respect des libertés fondamentales de la personne humaine, en l’occurrence tout spécialement des femmes, notamment. J’y veillerai de très près. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à exprimer l’intérêt du Gouvernement pour les interventions qui viennent d’être prononcées.
Madame Boumediene-Thiery, vous souhaitez que nous sortions de la culture de l’aveu. Sachez-le, c’est dans cet état d’esprit que nous souhaitons mener la réforme de la procédure pénale.
M. le rapporteur a fait plusieurs remarques très justes, soulignant qu’il importait d’adopter une vue d’ensemble sur le sujet.
Vous avez eu raison de souligner qu’il est peu pertinent, en cas de flagrance, de donner accès au dossier dès le début de la garde à vue, avant que les policiers n’aient terminé la rédaction des procès verbaux.
Je tiens à vous rassurer sur le calendrier : un premier projet de loi sera déposé au Parlement cet été, ce qui permettra un débat à l’automne, comme vous en avez tout à l’heure émis le vœu.
Monsieur Michel, vous avez évoqué le risque de légiférer sous le coup de l’émotion. C’est précisément parce que Mme le garde des sceaux et moi-même voulons des solutions équilibrées et durables que nous présentons un projet global.
Qu’en est-il de la réalité européenne ? Eh bien, nos partenaires européens n’ont pas fait systématiquement de la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue un préalable obligatoire, loin de là ! Je pense à un certain nombre de systèmes judiciaires que j’ai pu étudier lors de mes déplacements en Autriche, aux Pays-Bas ou en Belgique, par exemple.
Monsieur Mézard, vous avez dénoncé l’inflation des lois sécuritaires et l’absence de lois en faveur des libertés. Faut-il vous rappeler que le Gouvernement a présenté, ces derniers mois, plusieurs textes visant à élargir les libertés publiques ? Je pense notamment à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et à la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, pour ne citer que ces deux exemples.
Vous avez dénoncé tous les effets pervers que pourrait avoir l’audition libre.
En lançant cette idée, nous avons voulu apporter une réponse adaptée à des situations très concrètes. Lorsqu’une personne est arrêtée pour une infraction mineure – un cas de figure que vous avez d’ailleurs évoqué –, en matière routière ou pour un vol simple dans un supermarché, lorsqu’elle reconnaît les faits et accepte d’être entendue, est-il toujours nécessaire de la placer en garde à vue ? Cette procédure demande souvent de retenir la personne pendant huit ou douze heures, le temps de faire venir l’avocat et le médecin, de prévenir la famille. L’audition libre, elle, durerait moins d’une heure.
Bien sûr, cette proposition doit être débattue et examinée dans le détail, ne serait-ce que pour mettre au point les mécanismes susceptibles d’éviter les effets pervers que vous avez évoqués. Mais n’écartons pas d’un revers de main cette piste qui offre une solution pragmatique dans le cas de délits mineurs et reconnus !
Madame Giudicelli, nous partageons votre conviction selon laquelle la refonte globale de la procédure pénale ne peut faire l’économie d’une réflexion concomitante sur les conditions de la garde à vue. Vous avez, en outre, eu raison de rappeler qu’il n’était pas très pertinent de dissocier de cette réforme globale la discussion d’une proposition de loi sur ce thème.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous jugez insuffisante la concertation menée dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. Pourtant, près de quarante organisations, syndicats, associations y participent ! Et même les organisations de magistrats qui disent s’être retirées de la concertation ont fait des propositions ! Ces propositions, ces remarques, nous les prenons en compte, à quelque moment qu’elles nous aient été transmises.
La concertation existe, quel que soit le discours de certaines organisations, dont la posture critique s’explique par des raisons que chacun peut imaginer. Récemment encore, la Cour de cassation a fait des propositions intéressantes, que Mme le garde des sceaux entend prendre en considération. À la lecture des résultats de cette concertation, qui seront communiqués d’ici à la fin du mois, vous pourrez constater que celle-ci aura été réelle et sérieuse.
Madame André, nous prendrons en compte, comme vous l’avez demandé, les remarques formulées par le secteur associatif intervenant sur les lieux privatifs de liberté.
Vous avez insisté sur les conditions de la garde à vue, notamment lors des fouilles. J’en conviens, nous avons des progrès à faire dans ce domaine. L’intérêt de la refonte d’ensemble à laquelle j’ai fait allusion à plusieurs reprises tient justement aussi à la possibilité d’aborder plus précisément de telles questions et de mettre en œuvre des dispositifs qui apportent des réponses satisfaisantes.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques éléments de réponse que je tenais à vous apporter, mais je suis conscient de leur caractère incomplet.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il me paraît bon de faire quelques rappels sur les conditions dans lesquelles nous examinons les propositions de loi.
Lors de son intervention, Mme Borvo Cohen-Seat s’est en effet montrée assez injuste envers la commission ! Elle ne tient absolument pas compte du groupe de travail qui a été constitué, avec son accord, autour de MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, et qui procédera cet après-midi encore à des auditions. Ce dispositif illustre pourtant la complexité des sujets dont nous discutons !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n’a dit que c’était simple !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tous les orateurs sont convenus qu’il fallait faire quelque chose, mais qu’un certain nombre de questions se posaient. Décréter que l’on met fin à la situation actuelle et que l’on réforme, c’est très facile ! Encore faut-il bien prendre en compte toutes les conséquences que de tels changements peuvent entraîner !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n’ai pas dit cela !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si, ma chère collègue !
De plus, vous reprochez presque au rapporteur d’avoir répondu à tous les arguments de Mme Alima Boumediene-Thiery ! Il me semble pourtant que réfléchir sur tous les aspects d’un texte et poser un certain nombre de questions, c’est respecter l’auteur d’une proposition.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n’ai pas dit cela !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est ce que vous avez dit, je suis désolé !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De toute façon, je tiens à mettre les choses au point par rapport à votre interprétation !
En outre, nos collègues socialistes savent très bien que l’on ne peut pas traiter la question de la garde à vue en deux heures. Ils le savent d’autant mieux qu’ils ont déposé une proposition de loi sur un autre thème important dont nous débattrons tout à l’heure.
Dans le cadre de l’initiative parlementaire, nous avons deux possibilités : ou bien voter des propositions de loi, ce qui n’est possible que sur un sujet précis et relativement simple, susceptible d’être traité dans un délai de quatre heures, ou bien décider du renvoi en commission. Cette dernière solution me semble plus respectueuse du travail parlementaire, surtout dans le cas du débat d’ensemble relatif à la garde à vue et à la réforme de la procédure pénale.
En effet, le renvoi en commission signifie non pas qu’il n’y a rien à voir, mais qu’il y a un vrai sujet ! D’ailleurs, il serait facile pour la majorité, quand une proposition de loi ne lui convient pas, de la rejeter purement et simplement à l’issue de la discussion en séance publique.
Nous sommes, au contraire, particulièrement respectueux des propositions de nos collègues et du travail de la commission sur ce sujet. On ne peut pas venir nous le reprocher après !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Zocchetto, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, la proposition de loi portant réforme de la garde à vue (n°201 rectifié, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. François Zocchetto, rapporteur. monsieur le président, je considère que j’ai défendu cette motion lors de mon intervention dans la discussion générale.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, contre la motion.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous ne comprenons pas cette demande de renvoi à la commission.
Tout le monde s’accorde ici sur le fait qu’une réforme est nécessaire pour remédier à la carence du dispositif actuel, qui entraîne d’énormes difficultés sur le plan du droit et des libertés.
Tout le monde s’accorde aussi pour déplorer la récente multiplication des gardes à vue, y compris pour des faits mineurs, dans des conditions inhumaines et indignes. Il y a vraiment urgence tant ces dérives, cette hémorragie sont devenues inacceptables.
Nous ne comprenons pas pourquoi nous devrions encore attendre une réforme globale de la procédure pénale. La majorité ne vient-elle pas d’adopter une proposition de loi relative au régime de publicité applicable devant les juridictions pour mineurs ? Le Gouvernement n’a-t-il pas déposé, sous la responsabilité de Mme le garde des sceaux, un projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, lequel comporte une modification et une réforme du code de procédure pénale, notamment en ce qui concerne l’ordonnance pénale ?
Pourquoi faudrait-il attendre pour certains textes et pas pour les autres ? Pourquoi la justice serait-elle à vitesse variable ? Je ne le comprends toujours pas, et je regrette que vous n’ayez pas répondu clairement à ces questions, monsieur le secrétaire d’État !
On ne doit pas craindre pour ses droits ! Lorsqu’il y a privation de liberté, enfermement, il y a urgence parce que c’est la dignité humaine qui est touchée ! Dès lors, nous n’avons pas le droit d’attendre plus longtemps pour remédier à cette situation.
J’ai lu dans le rapport que cette proposition de loi devrait être examinée au dernier trimestre 2010. Mais, compte tenu de la navette, de la quantité de textes inscrits à l’ordre du jour et des séances qui seront consacrées à la discussion budgétaire, le vote de cette proposition de loi sera reporté d’au moins un an. Or, pendant ce délai, ce sont 600 000 personnes qui seront placées en garde à vue, 600 000 personnes qui verront encore leur dignité bafouée dans des conditions inacceptables et en violation du droit européen !
Décidément, il n’est plus possible d’attendre ! D’ailleurs, l’incertitude qui pèse sur la réforme de la procédure pénale risque de renvoyer la discussion de la proposition de loi sur la garde à vue à une échéance encore plus lointaine, alors que l’adoption de ce texte est plus que nécessaire !
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons faire preuve d’un peu de courage politique, car c’est aussi ce que les Français attendent de nous ! Nous ne devons plus accepter que 600 000 personnes se retrouvent aujourd’hui victimes, victimes en violation de leurs droits, en violation de leur dignité, tout simplement parce que nous attendons une prétendue réforme qui ne vient pas et qui ne répondra pas à nos demandes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Victimes, victimes… Il n’y a pas que des innocents en garde à vue !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est la raison pour laquelle je vous demande de voter contre cette motion de renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et hop ! Circulez, il n’y a rien à voir !
5
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des finances a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jean-Pierre Fourcade membre du conseil d’administration de l’établissement public de réalisation de défaisance et M. Yvon Collin, membre du conseil d’orientation stratégique du fonds de solidarité prioritaire et membre suppléant du conseil d’administration de l’Agence française de développement.
Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Pierre Leleux membre du conseil d’administration de France Télévisions.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Mandats sociaux dans les sociétés anonymes
Renvoi à la commission d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance, présentée par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 291, rapport n° 394).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, on assiste, depuis quelques semaines, à un intéressant mouvement de nominations de femmes, certaines « illustres », en tout cas « emblématiques » et membres du réseau habituel, aux conseils d’administration de quelques fleurons du CAC 40, et j’ai remarqué que l’industrie du luxe, notamment, était très à la pointe. (Sourires.) C’est donc bien que des places étaient libres pour celles-ci, puisque les conseils d’administration n’ont jamais autant de membres qu’il y a de sièges à pourvoir.
Dans le même temps, on a constaté que les organisations patronales que sont le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et l’Association des entreprises privées, l’AFEP, menaient une campagne de communication vantant les mérites de l’autorégulation. Elles signifient, par là même, leur refus qu’on recoure à la loi,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq. … reprenant ainsi le discours qu’elles avaient tenu lorsqu’il s’était agi des grosses rémunérations.
Je veux donc croire que le mouvement opéré par le législateur, tant à l’Assemblée nationale avec l’adoption de la proposition de loi présentée par M. Copé, Mme Zimmermann et plusieurs députés de l’UMP qu’au Sénat avec le dépôt de la proposition de loi du groupe socialiste que je défends aujourd'hui, a été l’élément déclencheur de ces nominations et de cette opération de communication, ce qui, mes chers collègues, ne doit pas manquer de réconforter le législateur que nous sommes ! (Sourires.)
J’ai d’ailleurs la conviction que c’est là l’un des rôles du législateur, et je vous propose donc, mes chers collègues, de ne pas nous arrêter en si bon chemin !
La proposition de loi que mon groupe a déposée s’inscrit dans la continuité de notre volonté de réformer la gouvernance des entreprises.
En novembre 2008, nous avons défendu devant vous une proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations. Aujourd’hui, nous nous intéressons à la concentration des pouvoirs et – je ne crains pas d’utiliser ce terme – à l’« endogamie » qui en résulte, notamment au sein des sociétés cotées.
Que voulons-nous ? Notre objectif, auquel je crois pouvoir rallier la totalité de cet hémicycle, a fortiori sur fond de crise financière, est de favoriser la prise en compte par les entreprises, notamment les entreprises cotées, du long terme dans leur gestion, de prévenir les conflits d’intérêts et de permettre une représentation diversifiée dans la prise de décision économique.
Il importe donc de renforcer l’implication et l’indépendance des mandataires sociaux dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance. Et il nous semble que le meilleur moyen pour y arriver est de limiter les possibilités de cumul de leurs mandats, exécutifs et non exécutifs.
En effet, le cumul des mandats, souvent déraisonnable, est un frein à la diversité des sexes et des nationalités, mais aussi à la diversité sociologique, à l’indépendance des mandataires sociaux et à l’amélioration de ce qu’il est convenu d’appeler la « bonne gouvernance » des entreprises.
Le code de gouvernement d’entreprise de l’AFEP le précise lui-même : « L’administrateur doit consacrer à ses fonctions le temps et l’attention nécessaires. Lorsqu’il exerce des fonctions exécutives, il ne doit, en principe, pas accepter d’exercer plus de quatre autres mandats d’administrateur dans des sociétés cotées, y compris étrangères, extérieures à son groupe. » Voilà qui est parler d’or !
Hélas ! la réalité est fort éloignée de ces beaux principes. Nous ne pouvons donc croire aux vertus spontanées de l’autorégulation.
Ainsi, sur un total de 500 administrateurs de sociétés inscrites au CAC 40, quatre-vingt-dix-huit personnes concentrent aujourd'hui encore 43 % des mandats.
Quant à la féminisation de l’encadrement, elle est toute relative. Si, dans les sociétés du CAC 40, les femmes représentent, en moyenne, 28 % des cadres supérieurs, ce taux n’a, jusqu’à présent, pas reçu de traduction à l’échelon des organes de décision exécutifs : rapporté à la seule composition des conseils d’administration, il tombe, en moyenne, à 10,5 % !
C’est ainsi que la banque Natixis vient juste de nommer une femme à son conseil d’administration : elle est la seule femme parmi les quinze administrateurs que compte celui-ci. Quant au conseil d’administration du Crédit Agricole, sur vingt et un membres, il compte trois femmes. Les femmes, on le sait, sont pourtant très nombreuses dans les activités bancaires, y compris dans l’encadrement !
Nous en sommes convaincus, pourvoir à la libération des sièges d’administrateurs, exécutifs et non exécutifs, est donc un préalable au rééquilibrage en faveur des femmes.
La spécificité de notre proposition de loi par rapport à celle de l’Assemblée nationale repose sur deux mouvements qui, à notre avis, doivent être concomitants.
Nous proposons de réduire le nombre de mandats que peut détenir une personne physique à trois mandats légaux, soit cinq mandats réels possible par le jeu des dérogations et la comptabilisation des mandats dans les filiales, tant dans des sociétés sur le territoire français que dans des sociétés étrangères, comme le recommande du reste l’AFEP dans son « code de bonne conduite ».
Nous nous situons là dans la continuité des dispositions que nous avions défendues et que le Parlement avait adoptées dans le cadre de la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, dite « loi NRE », qui avait limité à cinq le nombre de mandats qu’une personne peut exercer dans plusieurs sociétés.
Cependant, la portée de cette loi a été fortement limitée, je veux le rappeler, après l’élection présidentielle et les élections législatives de 2002, par une autre majorité parlementaire. Quelques jours avant la date couperet du 16 novembre 2002, fixée pour obliger les mandataires sociaux à se mettre en conformité avec les dispositions de la loi NRE, est en effet intervenue la loi modifiant certaines dispositions du code du commerce relatives aux mandats sociaux du 29 octobre 2002, qui a assoupli la loi NRE s’agissant à la fois de la sévérité de la sanction et des exceptions aux règles de cumul.
On peut ainsi disposer aujourd'hui de trois mandats exécutifs et cumuler neuf mandats non exécutifs. Et, comme on ne compte pas les mandats détenus dans les filiales, ce seuil théorique est, en réalité, largement dépassé. Cette situation nous semble tout à fait déraisonnable !
Aussi proposons-nous de réduire le nombre de mandats d’administrateur à trois dans les sociétés qui ont leur siège sur le territoire français ou hors du territoire, de réduire le nombre de mandats exécutifs à un, de limiter les dérogations à un mandat d’administrateur exécutif supplémentaire dans une filiale et de comptabiliser les mandats d’administrateur non exécutif détenus dans les filiales non cotées pour un seul mandat dans la limite de trois.
Cette dernière limitation peut paraître sévère, j’en conviens, mais nous acceptons de débattre de ce point, madame le rapporteur. En effet, comme je vous l’ai dit lors de mon audition, ce qui compte, c’est l’objectif.
Je pense tout particulièrement à la limite du cumul des mandats dans les filiales, cotées ou non.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. En effet, en matière de stratégie industrielle, on peut comprendre la nécessité qu’il y a à siéger dans les instances des filiales, en cas de restructuration, par exemple. Il n’en reste pas moins qu’il nous faudra bien fixer une limite raisonnable.
En application de nos propositions, les administrateurs auraient trois mois après l’entrée en application de la loi pour se mettre en conformité. À défaut, ils seraient réputés démissionnaires de tous leurs mandats et les délibérations auxquelles ils auraient pris part seraient réputées invalides.
Cependant, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, nous sommes également ouverts à la discussion sur ce mode de sanction, qui est inspiré par le même esprit que celui qui a présidé à la rédaction de la loi NRE.
Enfin, il n’aura échappé à personne que l’une des spécificités de cette proposition de loi est de rendre incompatible l’exercice d’un mandat exécutif dans une société publique avec la détention d’un mandat dans une société privée. Mon collègue Richard Yung reviendra en détail sur ce point, auquel, comme lui, le groupe socialiste tient beaucoup.
S’agissant de la répartition équilibrée entre hommes et femmes, j’ai déjà dit que nous estimions – et je vais le démontrer – que les limites au cumul des mandats « donneraient de l’air » aux conseils d’administration et aux conseils de surveillance.
Ayant, comme Mme le rapporteur l’a certainement fait, elle aussi, pris l’attache de l’Institut français des administrateurs, l’IFA, que préside par M. Lebègue, je sais qu’un vivier de femmes est rapidement mobilisable pour occuper les places qui seraient libérées.
Je tiens d’autant plus à y insister que nous entrons dans la période au cours de laquelle les assemblées d’actionnaires se réunissent et procèdent aux nominations dans les conseils d’administration. Je vais donc appuyer mon propos sur quelques chiffres significatifs.
Aujourd'hui, il y a un total de 1 482 sièges d’administrateur dans le SBF 120 – qui regroupe cent vingt sociétés cotées –, dont 577 pour les sociétés du CAC 40.
Sur ces 1 482 sièges, 1 000 personnes cumulent plusieurs mandats, de la manière suivante : 121 personnes, dont 11 femmes, ont deux mandats ; 42 personnes, dont une seule femme, ont trois mandats ; 14 personnes, dont aucune femme, ont 4 mandats ; 8 personnes, dont une femme, ont 5 mandats ; enfin, 3 personnes, dont aucune femme, ont 6 mandats. Ces chiffres démontrent que les femmes ne sont guère concernées par le cumul des mandats sociaux…
L’IFA estime que, à l’approche des assemblées générales des mois de mai et juin prochains, 130 renouvellements de mandats sont à prévoir pour les sociétés du CAC 40 et 166 renouvellements de mandats pour le SBF 120. Si l’on proposait ces 296 postes, on atteindrait le seuil de 20 % en une seule année, et celui de 40 % en trois ans ! C’est dire que, si on le veut, on peut aller vite !
Certes, notre texte dépasse le périmètre des sociétés cotées. Notre référence est la définition européenne des grandes sociétés, c’est-à-dire celles qui emploient plus de 250 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros. Là encore, on peut discuter du seuil, mais, je le répète, nous voulons fixer un objectif. Qui veut le plus, peut le moins !
En tout cas, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, je suis prête à parier qu’appliquer la parité dans les sociétés cotées aura valeur d’entraînement pour toutes les sociétés.
L’objectif est de parvenir à une proportion des administrateurs de chaque sexe qui ne peut être inférieure à 40 %. Nous rejoignons ici la proposition de loi de Mme Zimmermann et de M. Copé qu’a adoptée l’Assemblée nationale : six mois pour remédier à l’absence de représentation d’un des deux sexes, trois ans pour atteindre le seuil de 20 %, six ans pour parvenir à 40 %. Mais je viens de démontrer que l’on pouvait aussi aller plus vite.
S’agissant des sanctions, en revanche, nous nous éloignons de cette proposition de loi. Nous proposons que les nominations intervenues en violation du principe de représentation de chaque sexe à hauteur de 40 % au moins soient réputées nulles, ainsi que les délibérations du conseil. Celui-ci doit procéder à des nominations provisoires dans un délai d’un mois et à de nouvelles nominations dans un délai de trois mois.
Est-ce trop sévère ? Compte tenu du délai dont disposent les sociétés pour se préparer à appliquer les nouvelles règles, nous ne le pensons pas. Si vous nous prouvez, madame le rapporteur, que la nullité des seules délibérations non conformes auxquelles ont pris part les administrateurs suffit, nous sommes prêts à l’admettre. Ce que nous voulons atteindre, encore une fois, c’est un objectif.
Nous souhaitons débattre, et nous sommes ouverts aux modifications utiles à un objectif qui peut être partagé par tous : limiter le cumul des mandats et diversifier les administrateurs. Je consulte chaque jour la liste des nominations au sein des grands groupes du CAC 40. Cette lecture me conduit à penser qu’en nommant des femmes présentant toutes le profil sociologique habituel, nous n’aurons fait qu’une partie du chemin. Le but à atteindre est d’appréhender la modernisation des pratiques de gouvernance dans leur ensemble.
Selon l’IFA, au terme des six années, sur la base des 1 482 mandats du SBF 120, ce sont 592 mandats qui devront être libérés pour les femmes afin d’atteindre l’objectif de 40 %.
Mes chers collègues, sommes-nous capables de prendre la suite de l’État le plus avancé en la matière en Europe, à savoir la Norvège ? Depuis 2003, dans ce pays, chacun des deux sexes doit être représenté à hauteur d’au moins 40 %.
La méthode employée par les Norvégiens est intéressante. Ils ont commencé par appliquer le quota aux entreprises publiques et ils ont fait confiance aux entreprises privées pour s’adapter. Ayant constaté, très rapidement, que ces dernières ne s’adaptaient pas, ils ont décidé de leur appliquer la loi : elles ont eu deux ans pour réaliser l’objectif des 40 %, qui a été atteint en 2008. Cela montre toute l’importance de la loi, y compris dans des pays qui n’y recourent pas de façon habituelle et privilégient la voie de la convention, de la négociation, du contrat.
Je vois que vous m’écoutez attentivement, madame la secrétaire d’État, et je tiens à vous en remercier, car ce n’est pas le cas de tous les membres du Gouvernement !
Madame le rapporteur, vous m’avez avertie courtoisement que vous demanderiez le renvoi en commission afin d’attendre l’examen de la proposition de loi de nos collègues députés. Mais permettez-moi de douter que, compte tenu de l’encombrement législatif, elle soit inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée avant la fin de la session.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce sera fait !
Mme Nicole Bricq. Il semble même qu’il ait été décidé, pour faire passer la loi de modernisation de l’agriculture, que notre assemblée abandonnerait une de ses semaines d’initiative parlementaire au Gouvernement. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.) Vous me direz ce qu’il en est, monsieur Hyest ; peut-être ai-je mal compris.
En tout cas, moi, je pense qu’il faut aller vite sur ce sujet. Je ne suis pas du tout convaincue que la proposition de loi de Mme Zimmermann et de M. Copé viendra en discussion avant la fin de la session. Et je redoute, avec mes collègues socialistes, de devoir en rester aux codes de bonne conduite, dont nous savons, par expérience, qu’ils ne sont pas, ou très peu et très lentement, suivis d’effet.
Je m’adresserai directement au groupe majoritaire, l’UMP : il doit prendre l’initiative, car il en a le pouvoir. S’il ne le fait pas avant la fin de la session, nous en conclurons qu’il n’a pas la volonté d’aboutir. Le vote intervenu à l’Assemblée nationale n’aura donc été qu’un moulinet, qu’une éolienne brassant du vent, sans produire l’énergie nécessaire pour parvenir à bonne fin !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a parfois des vents contraires ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Nous trouvons gênante votre proposition de renvoi en commission, alors même que le groupe socialiste du Sénat et le groupe UMP de l’Assemblée nationale partagent le même objectif : il faut se lancer sans perdre de temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous sommes saisis d’une proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq relative aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Notre collègue part du constat objectif – et je pèse mes mots ! – de la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir économique que sont les conseils d’administration et de surveillance. Elle estime qu’une limitation plus stricte du cumul de mandats sociaux sera un levier efficace pour les ouvrir aux femmes.
Cette question relève de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et de l’égal accès aux fonctions de direction économique et sociale. Cette intéressante initiative parlementaire vient après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : l’article 1er de la Constitution affirme désormais que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. (M. le président de la commission des lois opine.)
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est à rapprocher de celle qui est relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, déposée par Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann, et adoptée par l’Assemblée nationale le 20 janvier dernier. La convergence de ces deux initiatives parlementaires est incontestablement un signe fort de la volonté du Parlement d’agir dans ce domaine.
Cette sous-représentation des femmes est indiscutable, persistante et regrettable.
Tout d’abord, elle est indiscutable. Si les entreprises françaises, dans leur globalité, comptent environ 17 % de femmes dirigeantes, ce pourcentage est légèrement supérieur dans les entreprises de moins de dix salariés, où il atteint 18,5 %. Mais il fléchit très vite au sein des entreprises de grande taille, et tombe à 8 % dans celles de 200 salariés et plus.
Tous les rapports, tous les états des lieux le montrent, et Mme Bricq l’a également rappelé : s’agissant des entreprises du CAC 40, la représentation des femmes dans les conseils d’administration et de surveillance est seulement d’un membre sur dix. Cinq entreprises ne comptent aucune femme dans leur organe de direction : Cap Gemini, EADS, ST Microelectronics, Vallourec, Veolia Environnement. Quatre ont une représentation supérieure à 20 % : BNP Paribas avec 28,5 %, Michelin avec 25 %, L’Oréal avec 21,4 %, Pernod Ricard avec 21,4 %. À titre de comparaison, les pourcentages atteignent 24 % en Finlande, 27 % en Suède et 42 % en Norvège. La moyenne de l’Union européenne est à 11 % et les États-Unis sont à 15 %.
Ensuite, cette sous-représentation est persistante. En effet, l’évolution annuelle récente de la place des femmes dans les conseils d’administration des plus grandes capitalisations boursières reste très modérée. Dans le cadre des entreprises du CAC 40, les femmes étaient 57 en 2008 et 56 en 2009 ; en 2003, elles représentaient 5 % des administrateurs. Si l’on appliquait ce coefficient d’évolution naturelle, il faudrait attendre l’année 2075 pour atteindre l’objectif visé !
Le 19 avril dernier, l’AFEP et le MEDEF ont intégré dans le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées une recommandation relative à la représentation des femmes au sein des conseils.
Mme Nicole Bricq. Comme par hasard !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. L’AFEP indique, par ailleurs, que le pourcentage de femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance des entreprises du CAC 40 passerait, pour les assemblées publiées à ce jour au bulletin des annonces légales obligatoires, le BALO, de 10,80 % à 15,6 % en 2010.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas mal !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Il existe donc un mouvement naturel et spontané, en France comme en Europe, d’accroissement de la place des femmes. Mais je considère que ce mouvement demeure trop lent. L’évolution naturelle ne permettra pas d’atteindre, me semble-t-il, une représentation équilibrée dans un délai raisonnable. L’autorégulation ne marche pas. Je pense donc qu’il est devenu impératif d’agir. Les initiatives législatives prises en ce domaine sont, par conséquent, les bienvenues.
Enfin, cette sous-représentation est regrettable. La mixité des sexes est, en effet, une valeur ajoutée pour l’entreprise. Si la mixité au sein des directions d’entreprise peut être prônée pour des raisons juridiques, notamment au nom de l’affirmation du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, elle peut aussi l’être en fonction de considérations d’ordre économique et financier.
De nombreuses études ont été publiées en ce sens et montrent, par exemple, que la diversité au sein des conseils d’administration aboutit à des discussions stratégiques plus constructives et à des approches différentes des enjeux. Les femmes ont un style de management qui leur est propre, et l’analyse de l’attitude envers le risque montre qu’elles répondent d’une manière différente et appréhendent mieux le risque.
Un rapport commandé par la Commission européenne relève que l’accroissement de la place des femmes contribue à l’amélioration des performances économiques ; excusez du peu ! La féminisation ouvre les conseils d’administration et de surveillance sur de nouvelles perspectives, tout en améliorant leur fonctionnement.
Il est dit, dans le même rapport, que si l’Europe entend sortir réellement de la crise et devenir, grâce à une croissance intelligente et solidaire, compétitive sur le plan économique, nous devons mieux exploiter les compétences et les talents féminins. L’égalité entre les hommes et les femmes se situe donc, par là même, au cœur de la stratégie européenne.
J’ajoute qu’il est de la plus haute importance, dans la situation économique actuelle, de mobiliser tous les talents. Il n’est plus question de gaspiller des compétences et un potentiel économique à cause d’une perception obsolète du rôle des femmes et des hommes et de leur capacité à diriger.
L’aspect des compétences est, comme vous l’avez dit, madame Bricq, un point clé de l’accélération du changement. À ce sujet, la question de l’existence ou non d’un vivier suffisant de femmes ne se pose plus aujourd’hui. Disons-le clairement, les entreprises comptent suffisamment de femmes qui répondent aux exigences de compétence et d’expérience professionnelle pour rejoindre les conseils d’administration ou de surveillance.
J’affirme donc que le vivier des compétences existe bel et bien chez les femmes !
Mme Nicole Bricq. Absolument !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. J’en viens à la levée du verrou constitutionnel.
Le 16 mars 2006, le Conseil constitutionnel a censuré la loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, considérant que le principe d’égal accès des femmes et des hommes ne s’appliquait qu’aux élections à des mandats et fonctions politiques. Il a précisé : « la Constitution ne permet pas que la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes de droit public ou privé soit régie par des règles contraignantes fondées sur le sexe des personnes. »
Mes chers collègues, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de lever ce verrou : le second alinéa de l’article 1er de la Constitution dispose maintenant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
J’ai plaisir à rappeler que c’est sur l’initiative du président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, que cette disposition figure désormais à l’article 1er de notre loi fondamentale, car l’Assemblée nationale l’avait initialement inscrite à l’article 34 de la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. J’en viens maintenant à la convergence des deux initiatives parlementaires.
Nous sommes saisis aujourd’hui de la proposition de loi présentée par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste, mais il convient aussi de rappeler l’initiative prise, à l’Assemblée nationale, par nos collègues Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann.
Mme Nicole Bricq. Zimmermann-Copé !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Vous avez raison, ma chère collègue, mais je crois aussi que la signature d’un président de groupe politique a donné toute son autorité et toute sa force à cette proposition de loi. Peut-être n’aurait-elle pas été adoptée par l’Assemblée nationale si le président du groupe UMP n’avait pas, en apposant sa signature, donné de l’importance à ce texte. Je considère, ma chère collègue, que la cosignature de Jean-François Copé n’est pas anodine dans cette affaire.
L’Assemblée nationale a donc adopté, en première lecture, cette proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle. Et elle a été officiellement transmise au Sénat, je tenais à le souligner.
Mme Nicole Bricq. Eh bien, examinons-la !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Ces deux textes partagent le même objectif : garantir la présence de 40 % de femmes dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, ainsi que dans les organes dirigeants des entreprises publiques, avec des délais de mise en œuvre.
Toutefois, leurs périmètres sont, bien sûr, différents concernant les entreprises privées. Des modalités essentielles, telles les sanctions, diffèrent également. Mais la proposition de loi de Mme Bricq intègre, elle aussi, des mesures complémentaires importantes, comme les dispositions de non-cumul de mandats sociaux. La convergence entre ces deux initiatives parlementaires n’en est pas moins réelle.
La proposition de loi de Mme Bricq fixe un objectif de 40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance.
Compte tenu des règles de composition des conseils d’administration et de surveillance, il était en effet difficile de prévoir une stricte parité ; je partage votre point de vue, madame Bricq. La règle des quotas a donc été retenue comme un mal nécessaire. C’est important, car de nombreuses modifications peuvent se produire dans un conseil d’administration, par exemple, à la suite d’un accident. Il me semble donc tout à fait réaliste d’avoir retenu ce quota de 40 %.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit un palier de 20 % dans les trois ans pour les seules sociétés cotées.
Lorsqu’un administrateur est une personne morale, son représentant est pris en compte dans le respect des règles de représentation équilibrée. Cette disposition est également très importante pour éviter d’offrir une possibilité d’échappatoire considérable.
En cas de vacance, lorsque les règles de représentation équilibrée ne se trouvent plus respectées, le conseil d’administration doit procéder à des nominations provisoires dans les trois mois.
Les administrateurs élus par les salariés ne sont pas pris en compte pour la détermination du quota. Toutefois, si ces administrateurs sont élus par scrutin de liste, chaque liste doit être composée de manière paritaire.
Le président du conseil d’administration doit rendre compte à l’assemblée générale du respect des règles de parité.
Des dispositions analogues sont prévues pour les conseils de surveillance et pour les sociétés en commandite par actions.
L’article 10 de la proposition de loi vise les sociétés publiques, ainsi que les établissements publics industriels et commerciaux de l’État et tous les établissements publics administratifs de l’État.
S’agissant du périmètre concernant les sociétés privées, les sociétés visées sont celles qui comptent plus de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros.
Le conseil d’administration ou le conseil de surveillance délibère annuellement de la politique d’égalité salariale. Il sera important, de mon point de vue, de s’intéresser, au-delà du conseil d’administration, aux différents comités de nomination et de rémunération, même si les règles en la matière figurent non dans la loi, mais dans les statuts des différentes sociétés.
S’agissant des sanctions, sont prévues la nullité des délibérations en cas de composition non conforme du conseil dans le cadre du fonctionnement normal et, dans le cadre de la période transitoire, la nullité des nominations qui contreviennent à la règle des 20 % puis des 40 %, cette nullité entraînant la nullité des délibérations auxquelles ont pris part les membres nommés irrégulièrement. J’ai déjà eu l’occasion de dire à Mme Bricq mon souci de préserver une sécurité juridique tout en prévoyant de vraies sanctions, permettant la réalisation de l’objectif poursuivi.
La proposition de loi s’appuie sur une plus forte limitation du cumul des mandats sociaux : hors le cas des administrateurs personnes morales, le texte limite à trois le nombre de mandats d’administrateurs ou de membres d’un conseil de surveillance ou d’un directoire susceptibles d’être cumulés, que la société soit cotée ou non et quel que soit le lieu de son siège.
Le texte ajoute qu’une même personne ne peut exercer simultanément plus d’un mandat de président de conseil d’administration, de directeur général, de président du directoire, de directeur général unique ou de président du conseil de surveillance.
Actuellement, on peut cumuler jusqu’à cinq mandats d’administrateur ou de membre de conseil de surveillance et on peut cumuler jusqu’à cinq mandats de directeur général membre du directoire directeur général unique. La proposition de loi semble contenir une contradiction concernant le mandat de membre du directoire ; nous examinerons cette question.
Il est certain que, au sein des sociétés relevant du CAC 40, 22 % des mandataires sociaux concentrent 43 % des droits de vote du fait du cumul.
Mme Nicole Bricq. C’est l’« endogamie » !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Par ailleurs, la proposition de loi prohibe le cumul des fonctions de président du conseil d’administration, directeur général, membre du directoire ou président du conseil de surveillance dans une entreprise privée avec les mêmes fonctions dans une entreprise du secteur public.
Je rappelle que le Sénat s’est prononcé sur cette question dans le cadre de la proposition de loi présentée par M. Yvon Collin, adoptée en novembre 2009.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Mes chers collègues, voilà de très nombreuses dispositions qui modifieraient assez profondément la législation en vigueur et sur lesquelles un travail de fond me semble nécessaire.
Réunie le 7 avril dernier, la commission des lois a décidé de proposer de réunir les deux initiatives parlementaires de façon à pouvoir les étudier conjointement, dans un esprit constructif.
En effet, plutôt que d’examiner deux textes séparément, il semble préférable, pour une bonne coordination des initiatives législatives du Sénat et de l’Assemblée nationale, plus logique de poursuivre la navette engagée par la transmission de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, en lui joignant le texte défendu par Nicole Bricq.
Il reste à trancher des questions de fond, comme le périmètre exact des entreprises concernées ou les sanctions attachées au respect des dispositions adoptées. Et, compte tenu de l’ampleur du sujet abordé, un travail important est à mener. Dans ces conditions, il y a lieu, en termes d’efficacité, d’éviter des navettes inutiles.
Ainsi, je vous proposerai à ce stade, dans l’attente de l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de la proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale, d’adopter une motion de renvoi à la commission. Je suis confiante, madame Bricq : si cette discussion ne peut pas se faire avant la fin de cette session ordinaire, elle aura lieu à l’automne, juste après la reprise de nos travaux. Il faut le préciser, un travail ambitieux d’auditions de plus de quatorze heures, d’ores et déjà programmé, et il est susceptible de commencer dès le 5 mai prochain. Ces auditions sont très importantes à mes yeux.
Je réitère ma confiance dans l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat et dans le travail de fond de la commission des lois sur un sujet qui m’apparaît primordial. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, madame Bricq, mesdames, messieurs les sénateurs, s’il est vrai que le travail féminin a acquis une légitimité sociale…
Mme Nicole Bricq. Et économique !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. … irréversible, il est également vrai que son statut n’est pas encore semblable à celui des hommes.
C’est une réalité, les inégalités perdurent. Ce sont elles que vise à combattre la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et dont l’objectif est d’augmenter de façon significative la représentation des femmes dans les conseils d’administration. Mais, je le dis d’emblée, les moyens proposés nous paraissent excessifs, voire contre-productifs.
La salarisation massive des femmes, l’ouverture des carrières aux deux sexes n’ont nullement empêché que soient reconduites des différences inacceptables. Le rapport remis en juillet dernier par Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, dresse, dans ce domaine, un constat accablant. En France, les femmes sont près de deux fois plus souvent rémunérées au niveau du SMIC que les hommes : près de 20 % d’entre elles, contre 11 % d’entre eux. Elles sont cinq fois plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel : 30 % de femmes, contre 6 % d’hommes en 2007. Et, à responsabilités équivalentes, leur rémunération moyenne est inférieure de 27 % à celle des hommes.
L’égalité avec les hommes semble la chose la plus naturelle et, en même temps, la plus chimérique ! Au fil des années – 1972, 1983, 2001, 2006 –, aucun des textes législatifs adoptés jusqu’ici n’a permis de remédier efficacement aux inégalités existantes.
Heureusement, un pas décisif a été franchi l’an dernier : la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 portant modernisation des institutions de la Ve République a érigé en principe constitutionnel l’exigence d’égalité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. La Constitution prévoit désormais que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
L’égalité professionnelle constitue une priorité de notre action.
Le 6 novembre dernier, nous avons rencontré, Xavier Darcos et moi-même, les partenaires sociaux au sein de la commission nationale de la négociation collective. Il leur a été remis, à cette occasion, un document d’orientation définissant les trois axes que le Gouvernement souhaite voir traités en matière d’égalité professionnelle.
Il s’agit, premièrement, de poser des règles plus simples, notamment pour les obligations de négocier, et ce afin de faire en sorte que les entreprises puissent établir un diagnostic.
Il s’agit, deuxièmement, de faire une meilleure place aux femmes dans l’entreprise en améliorant la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle et en favorisant une plus grande présence des femmes dans toutes les instances de direction des entreprises.
Il s’agit, troisièmement, de se donner les moyens d’appliquer la loi grâce à la transparence de certaines informations et à un système calé sur l’évolution des indicateurs relatifs à l’égalité professionnelle et de carrière des femmes.
L’ensemble des organisations patronales et syndicales nationales et interprofessionnelles ont fait part de leurs positions. Au vu de ces échanges, le Gouvernement a constaté qu’une négociation pouvait se tenir entre les partenaires sociaux sur tout ou partie des sujets évoqués par ce document d’orientation et qui sont dans le champ de la négociation collective nationale : travail à temps partiel, temps partiel familial et mise en place d’un entretien de conciliation entre vie personnelle et professionnelle, négociations collectives prévues par le code du travail conduisant à traiter des questions d’égalité professionnelle, représentation des femmes dans les instances représentatives du personnel.
À l’issue de ces négociations, il sera possible de définir, sur l’ensemble des aspects évoqués dans le document d’orientation, les moyens d’action pour que la situation en matière de réduction des écarts de salaire et de carrière, de durée de promotion ou d’accès des femmes aux fonctions de dirigeantes s’améliore réellement.
Je suis heureuse que vienne en débat la question de la place des femmes dans les conseils d’administration, car c’est l’une des facettes de l’égalité professionnelle que nous cherchons à promouvoir.
Chacun sait qu’en ce domaine notre pays est loin d’être exemplaire puisqu’on ne compte que 8 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des 500 premières sociétés françaises. La France fait donc pâle figure en comparaison de certains pays, en particulier de certains pays scandinaves : il y a plus de 41 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises norvégiennes, 27 % en Suède, 20 % en Finlande.
Toutefois, vous le savez, une proposition de loi de Marie-Jo Zimmermann et de Jean-François Copé a été adoptée à l’Assemblée nationale le 20 janvier dernier. J’en rappellerai les principales dispositions.
Aux termes de ce texte, dans six ans, les sociétés cotées devront compter au moins 40 % de femmes au sein de leur conseil d’administration. Un premier palier de 20 % est fixé à l’échéance du troisième anniversaire de la promulgation de la loi. Faute de respecter cet objectif, ces sociétés verront frappées de nullité les nominations irrégulières, mais également les délibérations intervenant à l’issue de la période transitoire de mise en œuvre de ces quotas par les entreprises.
J’ajoute que, lors de l’examen de cette proposition de loi au Palais-Bourbon, le Gouvernement a notamment proposé d’aligner rigoureusement le régime applicable aux entreprises publiques sur celui des entreprises privées. En particulier, il a souhaité que, dans les conseils d’administration des entreprises publiques qui ne comptent aucune femme, une femme puisse être nommée dans les six mois, comme Marie-Jo Zimmermann l’a proposé pour les entreprises privées.
Le texte présenté aujourd’hui par Nicole Bricq, Michèle André, Richard Yung et plusieurs de leurs collègues reprend les principaux articles du texte de Marie-Jo Zimmerman. Mais il contient aussi des dispositions qui, à être trop contraignantes, risquent, selon moi, de se révéler contre-productives.
Mme Nicole Bricq. Qui peut le plus, peut le moins !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Ainsi, il tend à durcir le régime des sanctions concernant le secteur privé, en prévoyant la nullité des délibérations y compris après la période transitoire, en réduisant le délai pour procéder à de nouvelles nominations.
Il tend, en outre, à interdire certains cumuls de mandats. La présente proposition de loi élargit en effet le champ du texte adopté par l’Assemblée nationale en traitant également du cumul des mandats, pour lequel elle prévoit trois types de limitation : l’interdiction du cumul de plus de trois mandats d’administrateur dans le secteur privé, au lieu de cinq mandats au maximum actuellement ; l’interdiction de cumuler plus d’un mandat de président de conseil d’administration, de directeur général, de président de directoire, de membre de directoire, de directeur général unique, de président de conseil de surveillance ; l’interdiction du cumul des mandats de président de conseil d’administration, de directeur général, de membre de directoire, de président de conseil de surveillance du secteur privé et du secteur public.
Le texte élargit également le champ d’application du quota, dans le secteur privé, aux entreprises qui emploient au moins 250 salariés et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros au cours de l’exercice. Est ainsi introduit un nouveau seuil, quand seules les entreprises de plus de 300 salariés ont l’obligation de réaliser le rapport de situation comparée.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas un nouveau seuil !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Enfin, est introduite une sanction nouvelle qui touche à la rémunération des administrateurs concernés.
Pour ce qui est de la diminution du nombre de mandats d’administrateur exerçables par une même personne, elle n’est pas, en l’état, opportune, ne serait-ce que parce que ces modifications auraient des conséquences qui iraient bien au-delà de l’objectif de parité. Il n’est aucunement justifié d’empêcher un dirigeant de droit privé d’une entreprise publique d’exercer une autre fonction dans une entreprise privée dès lors que cette seconde activité ne nuit pas à l’exercice de ses fonctions dans le cadre de la direction de l’entreprise publique. En effet, pourquoi priver certaines entreprises publiques de la participation avisée de grands dirigeants exerçant dans le privé, alors même que cette participation est le gage d’une connaissance et d’une compétence reconnues ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
En outre, le dirigeant de droit privé d’une entreprise publique serait ainsi soumis à un régime plus strict que les fonctionnaires, pour lesquels la loi du 13 juillet 1983 prévoit certes une interdiction de cumul, mais avec la possibilité d’y déroger, dans certains cas précisés par voie réglementaire, lorsque cette activité est compatible avec les fonctions qui leur sont confiées et n’affecte par leur exercice.
En résumé, les auteurs de ce texte visent le même but que Marie-Jo Zimmermann et Jean-François Copé, mais selon des modalités plus sévères. Or il me semble que, pour pouvoir entrer en vigueur dans les meilleures conditions, cette réforme doit être équilibrée. Notre objectif est d’encourager les entreprises à accélérer cette démarche, parce que l’égalité n’est pas seulement juste : elle est aussi source d’efficacité et de performance économique. À cet égard, je vous rejoins, madame Bricq, madame Des Esgaulx, et je partage votre avis commun : oui, le vivier potentiel de talents féminins existe !
Une réforme équilibrée implique que les entreprises bénéficient d’un délai minimum de mise en œuvre de ce nouveau dispositif et que le Gouvernement le calibre au mieux pour ne pas créer de contraintes supplémentaires sur les entreprises cotées en France ; sinon, nous pourrions envoyer un message qui ne serait pas compris. Pénaliser les entreprises reviendrait à pénaliser les salariés, donc l’emploi et finalement les femmes dans leur ensemble.
Au demeurant, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que les entreprises ne sont pas seules responsables de la situation existante, loin de là. Les résistances à l’égalité professionnelle proviennent d’abord de vieilles représentations du féminin et du masculin, diffusées par l’école, par les médias, ainsi que sur les nouveaux supports culturels.
Mme Nicole Bricq. Sans doute, mais ce n’est pas le sujet !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Notre tâche est de lutter contre les stéréotypes sexistes et les déterminismes qui en découlent. C’est à cela que nous nous employons, notamment en matière d’orientation. Je pourrais vous citer, par exemple, la commission de réflexion sur l’image des femmes, présidée par Michèle Reiser, réalisatrice et membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, commission qui a été créée afin d’élaborer des indicateurs de suivi des stéréotypes de genre dans les médias ; ses travaux seront achevés d’ici au mois de juin prochain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris : si l’esprit nous semble bon, sur le fond et sur la forme, cette proposition de loi ne peut malheureusement susciter l’approbation du Gouvernement. Néanmoins, quelles que soient nos divergences aujourd’hui, ce que je vous invite à retenir, c’est que nos débats ont d’ores et déjà provoqué un « électrochoc » au sein du monde des entreprises.
Mme Nicole Bricq. Oh, un tout petit électrochoc !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. L’AFEP et le MEDEF ont complété leur code sur le gouvernement d’entreprise pour poser l’objectif de 40 % de femmes dans les conseils des sociétés cotées dans les six ans qui viennent, avec un objectif intermédiaire de 20 % dans les trois ans. Dans de grandes entreprises – Alcatel-Lucent, Axa, BNP Parisbas, Bouygues, Capgemini, Crédit agricole… –, de toutes nouvelles administratrices viennent d’être nommées.
Mme Odette Terrade. Ah oui, toutes nouvelles !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. D’ici à l’été, selon les évaluations de l’AFEP, le taux de présence des femmes dans ces instances devrait passer de 10,8 % à 15,6 %, soit une amélioration de près de 50 %. Les choses bougent, elles avancent, et c’est grâce à la mobilisation, il faut bien le dire, des parlementaires et du Gouvernement. (Moues sceptiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Certains objecteront sans doute que tant la proposition de loi Zimmermann-Copé que celle qui est examinée aujourd’hui ne sauraient épuiser le sujet. Je leur répondrai que l’instauration de quotas dans les instances dirigeantes des entreprises cotées est un premier pas important et que, comme je l’ai indiqué, l’intention du Gouvernement est d’aller plus loin en traitant la question de l’égalité professionnelle dans sa globalité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en période de crise, d’incertitude économique et sociale, il existe toujours un risque : celui de voir les femmes devenir une variable d’ajustement économique.
Mme Nicole Bricq. Encore plus au niveau de l’emploi et de la rémunération des salariées que dans les conseils d’administration !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. L’examen, aujourd’hui, de cette proposition de loi relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance justifie le dépôt d’une motion de renvoi en commission. C’est avec confiance que je vous donne rendez-vous pour l’examen conjoint des deux propositions de loi : celle de Marie-Jo Zimmermann et Jean-François Copé, celle de Nicole Bricq, Michèle André et Richard Yung. Nous les aborderons, je le dis clairement, dans un esprit constructif. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Nicole Bricq. Vous ne pouvez pas faire autrement !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes engagés là dans un vrai débat de société, un débat politique au sens le plus noble du terme. Au cœur de ce débat, se trouve le problème de la concentration du pouvoir économique, étant entendu que ce problème est lié à celui de la parité, car, à mes yeux, la question de la diversité ne se résume pas à la question de la parité hommes-femmes.
Un État qui n’est pas capable de faire respecter des règles à ceux qui exercent le pouvoir – en premier lieu le pouvoir économique, au demeurant nécessaire et respectable – est un État qui ne saurait durablement imposer des contraintes sociales à ceux qui vivent dans la difficulté en perdant l’espoir de vivre mieux. Le lapidaire « Enrichissez-vous ! » de Guizot a marqué négativement notre histoire, car il y manquait la contrepartie de la justice et de la redistribution.
Les radicaux, initiateurs de l’école obligatoire et accessible à tous, des premiers droits du travail, de l’impôt sur le revenu, restent fidèles à des principes qu’ils ont toujours promus et dont le marasme actuel de nos sociétés, de l’échec soviétique aux crises du capitalisme, renforce encore l’évidence et l’actualité.
Pour nous, l’économie doit être au service de la société et non l’inverse. La liberté d’entreprendre, le jeu de la concurrence sont indispensables, mais ils doivent impérativement être soumis au pouvoir régulateur de l’État, garant du respect de l’équilibre social et du processus de redistribution indispensable à la cohérence de notre société et au respect de tous les citoyens.
Notre assemblée a eu l’occasion de se pencher sur la question du cumul des mandats sociaux à l’occasion de la discussion de la proposition de loi du groupe RDSE adoptée le 18 novembre dernier. Notre propos d’alors, dicté par la nomination du PDG d’une grande entreprise privée à la tête d’EDF, ne s’inscrivait pas tout à fait dans une perspective identique. Quoi qu'il en soit, contrairement à vous, madame la secrétaire d’État, nous sommes de ceux qui considèrent que ce mélange des genres, ce cumul, est extrêmement dangereux et conduit à une concentration du pouvoir économique particulièrement discutable.
La pertinence des questions soulevées à ce moment-là demeure. Le paysage que composent les dirigeants des grandes entreprises françaises reste marqué, on l’a dit, par une forte « endogamie », propre à alimenter les soupçons de collusion d’intérêts, voire de conflits d’intérêts. Oui, 98 personnes concentrent aujourd’hui 43 % des 500 mandats d’administrateurs des sociétés du CAC 40, et les femmes ne représentent que 10 % des administrateurs de ces mêmes sociétés.
Cette concentration des pouvoirs rompt les équilibres entre les pouvoirs fondamentaux de notre société.
Vient d’être publié le « palmarès » des rémunérations des dirigeants des entreprises du CAC 40. On apprend ainsi que, hors stock-options et actions gratuites, leur rémunération globale a augmenté de 4 % l’année dernière, les dirigeants de ces 40 entreprises se partageant un total de 79,5 millions d’euros. Bien sûr, on se réjouit pour le vainqueur de cette course effarante, qui a touché 4,4 millions d’euros en 2009. Mais on est piqué de curiosité à l’idée que le morcellement progressif des revenus en de multiples composantes intégrées à des packages – des contrats négociés de plus en plus complexes, mêlant salaire fixe et variable, retraite supplémentaire et stock-options – vise à mieux indexer la rémunération des dirigeants sur « les exigences de la place, des politiques et de l’opinion publique pour réduire les risques d’excès ou, tout du moins, de mieux lier la performance des dirigeants à leurs salaires », comme l’explique un grand quotidien économique.
Cette cascade de chiffres, encore plus aujourd’hui qu’hier, soulève l’indignation, la révolte – et je ne suis pas de ceux qui sont contre le système libéral ! –, au moment où nos compatriotes souffrent d’une crise économique provoquée par la spéculation financière et où le chômage repart de plus belle.
C’est pour lutter contre ces dérives que la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 avait limité à trois le nombre de mandats ; tous les mandats au sein des sociétés anonymes étaient visés. Malheureusement, madame la secrétaire d'État, votre majorité, revenue au pouvoir, s’est empressée de retourner à l’état antérieur du droit.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et comment !
M. Jacques Mézard. La loi du 29 octobre 2002 fixe l’état du droit toujours applicable aujourd’hui. Même si le code de bonne conduite du MEDEF et de l’Association française des entreprises privées recommande de limiter à trois le nombre de mandats cumulés, on sait que cette limite est assez peu suivie dans la pratique.
Madame la secrétaire d'État, qu’incarne cette concentration des pouvoirs si ce n’est la transposition, à la tête de nos grandes entreprises, d’un modèle de reproduction sociale qui favorise l’accès aux grandes écoles à une minorité toujours plus resserrée ? Il n’y a pas tant à s’étonner que des réseaux d’influence très restreints soient autant surreprésentés et pèsent d’un poids si grand et contraire à une véritable démocratie.
Cette situation est particulièrement ambiguë pour un État qui se targue d’être le héraut de la transparence et de la régulation financière internationale !
Mes chers collègues, à ce vice rédhibitoire s’ajoute la sous-représentation des femmes au sein des conseils d’administration. À cet égard, les exemples étrangers qui ont été cités éclairent d’un jour bien peu reluisant la situation française.
On a rappelé, à juste titre, l’article 1er, modifié, de la Constitution. Aujourd'hui, il nous faut aller de l’avant.
Je ne suis certes pas un adepte des quotas, dont la systématisation peut entraîner des effets pervers. Mes chers collègues, faudra-t-il instaurer un quota d’hommes à l’École nationale de la magistrature ? (Sourires.)
Mmes Michèle André et Jacqueline Gourault. Il le faudra peut-être !
M. Jacques Mézard. Je ne m’avancerai pas sur ce terrain, d’autant qu’une telle idée ne manquerait pas de susciter certaines oppositions.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Pour la sagesse des décisions, ce ne serait pas une mauvaise idée ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. C’est un autre débat !
Je le dis clairement, nous souscrivons à la proposition de loi de Marie-Jo Zimmermann et Jean-François Copé dans ses grandes lignes. Pour notre part, nous nous réjouissons que la représentation nationale se soit saisie d’une question maintes fois débattue, mais n’ayant finalement jamais été tranchée. Nous estimons que le volontarisme a besoin d’actes pour ne pas rester une vaine incantation. Notre assemblée est donc aujourd'hui pleinement dans son rôle.
Pour l’ensemble de ces raisons, la très grande majorité des membres du RDSE s’opposera à la motion tendant au renvoi en commission. Il faut donner des signes forts et, je le répète, avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après que nous avons eu récemment l’occasion de nous interroger sur les rémunérations des dirigeants d’entreprise, voici que nos collègues du groupe socialiste nous invitent aujourd'hui à réfléchir à la question du cumul des mandats de direction et à celle de la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Malheureusement, cette discussion risque fort de tourner court puisque Mme le rapporteur, tout en ayant démontré le bien-fondé de ces propositions, nous demandera tout à l'heure, par le biais d’une motion de procédure, de renvoyer ce texte en commission, au motif qu’une proposition de loi de l'Assemblée nationale portant sur le même sujet est actuellement en navette.
Sur le fond, vous le comprendrez aisément, mes chers collègues, nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation, car le travail parlementaire va, de fait, être interrompu avant même d’avoir commencé. Nous le regrettons d’autant plus que certaines des dispositions de la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq méritaient un examen plus approfondi.
Il en est notamment ainsi de celles de l’article 1er, qui visent à empêcher qu’une personne physique puisse exercer simultanément plus de trois mandats d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance ou du directoire de sociétés anonymes, ou plus d’un mandat de président de conseil d’administration ou de président de directoire. Car il faut savoir que, du fait du cumul des mandats, 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote au sein des conseils d’administration de ces mêmes sociétés ! Au demeurant, de telles dispositions constituent sans nul doute l’un des leviers nécessaires pour accroître la représentation des femmes au sein de ces instances de décision.
Ne pas poursuivre la discussion de cette proposition de loi est en soi regrettable, mais il convient également de relever que les propositions de loi déposées par les groupes d’opposition ou les groupes minoritaires semblent de plus en plus sujettes – je me fais ici l’interprète de Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC-SPG, et de notre collègue Yves Détraigne, tous deux ayant souligné ce point en commission – à faire l’objet d’un examen écourté.
C’est à croire que, par le renforcement des droits du Parlement, déjà largement rogné par le recours constant et régulier du Gouvernement à la procédure accélérée, certains parlementaires sont, d’une certaine manière, moins égaux que d’autres et que toute proposition qu’ils formulent, en dehors de toute considération sur la qualité de celle-ci, aurait de toute façon moins de chance d’être réellement examinée et, donc, d’aboutir.
Après ces considérations formelles sur des pratiques qui pervertissent le sens de la réforme constitutionnelle – à moins qu’elles n’en dévoilent, en fin de compte, le véritable contenu ! –, venons-en au fond.
S’il est un domaine où la place des femmes est largement minorée, c’est bien celui de la direction des plus grandes entreprises du pays ! Et, de ce point de vue, on ne peut pas dire que l’État montre l’exemple avec ses grandes administrations !
En ce qui concerne les grandes sociétés, hormis le cas de la PDG de la société AREVA – dont les capitaux sont d’ailleurs plutôt publics ! –, il n’y a pas de femme PDG parmi les valeurs vedettes de la place financière de Paris. La nomination récente de deux femmes fort connues au sein des conseils d’administration de sociétés prestigieuses ne changera pas fondamentalement le taux de présence des femmes…
Le rapport de la commission indique, sans plus de précision, que les femmes représentaient en 2009 environ 10 % des membres des conseils d’administration ou de surveillance des plus grandes sociétés cotées françaises.
Au demeurant, quelques-unes de ces entreprises, qui acceptent encore parmi leurs administrateurs des représentants des salariés, de par leur passé d’entreprises publiques ou nationalisées, doivent sans doute leur taux de présence féminine au sein de leurs instances dirigeantes à des dérogations prévues par la loi de 1983 de démocratisation du service public, qui permet à quelques militantes syndicales d’être élues sur les listes présentées par leur organisation.
Si l’on examine les fonctions exécutives les plus importantes – président de conseil d’administration ou de conseil de surveillance, directeur général délégué ou directeur financier –, on constate que, plus encore que dans la sphère politique, ces fonctions valorisantes dans les entreprises restent la chasse gardée des hommes, qu’ils soient diplômés de grandes écoles ou héritiers de grandes familles industrielles. La « démocratie actionnariale » semble donc encore moins vivante et réelle que la démocratie représentative !
Que le monde économique soit ainsi très largement masculin, ne laissant aux femmes que la portion congrue, est finalement assez logique ! Car c’est le même monde économique qui estime normal de confiner les femmes salariées dans les tâches les moins valorisantes, de pratiquer l’inégalité salariale, de généraliser le développement du stress au travail et des pressions les plus diverses !
La quasi-absence des femmes dans les organes de direction de nos plus grandes entreprises n’est en fait que la partie visible de l’iceberg, la partie immergée étant le développement de la précarité de l’emploi des femmes, la décote de 20 % des salaires pour les postes d’exécution et de 25 % à 30 % pour les postes d’encadrement, les discriminations à l’embauche, à la promotion sociale comme devant la formation, sans parler des changements de poste intempestifs après un congé maternité ou du harcèlement moral, reconnu comme violence dans la proposition de loi qu’ont examinée nos collègues de l’Assemblée nationale.
Tant que nous n’aurons pas résolu ces questions, que nous n’aurons pas réellement pris la mesure de ces enjeux, la question de la « représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance » restera assez symbolique.
Pour autant, nos collègues du groupe socialiste ont raison de vouloir agir à la fois sur le cumul des mandats d’administrateur et sur la « diversité des instances dirigeantes des sociétés anonymes ».
Mme Nicole Bricq. C’est lié !
Mme Odette Terrade. D’autres pays l’ont fait et se retrouvent aujourd’hui, telle la Norvège, avec une proportion record de 42 % de femmes membres des conseils d’administration de grandes sociétés, de 27 %, en Suède, ou de 24 %, en Finlande.
Avec un taux de 10 %, notre pays se situe à peine dans la moyenne des vingt-sept pays de l’Union européenne et loin derrière les pays les plus avancés.
Un rapport de la Commission européenne, publié le 25 mars dernier, et que Mme le rapporteur a cité tout à l'heure, considère que « l’accroissement de la place des femmes dans les organes dirigeants des entreprises contribue à l’amélioration de leurs performances économiques ».
Le même rapport pointe, à partir des expériences étrangères, que seule l’intervention du législateur permet d’accélérer ce processus. Dès lors, comme pour la parité en politique, laisser faire le mouvement naturel et spontané de l’arrivée des femmes ne suffit pas !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Nous sommes d’accord !
Mme Odette Terrade. Vous avez indiqué, madame le rapporteur, que cette simple évolution nous ferait attendre jusqu’à 2075 !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Eh oui !
Mme Odette Terrade. Pouvons-nous laisser patienter ainsi plusieurs générations de femmes, nos filles, petites-filles et arrière-petites-filles ?
Face à ce constat, il est de notre responsabilité de législateur de créer les outils susceptibles de faire évoluer les choses.
Tout en regrettant de ne pouvoir aller plus loin dans l’examen de cette proposition de loi, nous ne pouvons que répéter qu’il y a urgence à lutter contre l’ensemble des discriminations dont souffrent les femmes dans la vie professionnelle, qu’il s’agisse de la rémunération qu’elles perçoivent ou des fonctions et responsabilités qui leur sont confiées.
Nous déplorons donc vivement que la commission des lois concoure, une nouvelle fois, en présentant une motion tendant au renvoi en commission, au report de l’examen de ces questions pourtant urgentes et essentielles…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Pas du tout ! Nous lançons des auditions !
Mme Odette Terrade. … non seulement pour les femmes, mais également pour l’ensemble de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise ce matin nous permet d’aborder trois questions : tout d’abord, celle du cumul des mandats sociaux dans les entreprises ; ensuite, celle du cumul de fonctions dans des entreprises publiques et dans des entreprises privées ; enfin, celle de la place des femmes dans la gestion ou la direction des entreprises.
Concernant la question générale du cumul des mandats sociaux dans les entreprises, je me demande parfois si nous ne sommes pas en train de reculer.
Voilà une dizaine d’années, l’adoption d’un certain nombre de textes a conduit à introduire des changements dans les entreprises, qu’elles soient cotées ou non, y compris dans les PME.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. François Zocchetto. Puis, progressivement, du fait de lois, déjà évoquées, qui ont desserré ce que certains avaient vécu comme un étau ou un carcan – ce qui est, à mon avis, une erreur ! – et de la multiplication de nouvelles formes juridiques de société, comme les sociétés par actions simplifiées, dans lesquelles les dirigeants ne sont pas soumis à des règles de cumul,…
Mme Nicole Bricq. Tout à fait !
M. François Zocchetto. … nous avons observé un retour en arrière, c'est-à-dire une augmentation du cumul des mandats et des fonctions de direction dans les entreprises.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
M. François Zocchetto. C’est en tout cas ce que j’ai constaté sur le terrain.
Pour ma part, je déplore cette évolution.
Comme cela a été indiqué tout à l'heure, 98 personnes concentrent aujourd'hui 43 % des mandats d’administrateurs d’entreprises du CAC 40. Que dirait-on si une petite centaine d’élus gérait les quarante plus grandes villes de France ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Très bonne remarque !
M. François Zocchetto. Évidemment, ma comparaison peut sembler quelque peu audacieuse, …
Mmes Nicole Bricq et Odette Terrade. Pas du tout !
M. François Zocchetto. … mais elle ne l’est pas tant que cela, car elle nous permet de mesurer les problèmes qu’une telle situation pose en termes de disponibilité et d’inventivité. Elle ne peut donc perdurer.
Tout d’abord, il importe d’opérer des distinctions selon que la société est cotée ou non, que l’actionnariat est unipersonnel ou comprend plusieurs groupes d’actionnaires, que l’entreprise a une implantation internationale ou non, selon le nombre de salariés, etc.
Bref, il faut mener toute une réflexion préalable pour élaborer un dispositif qui ne soit pas trop brutal et, surtout, qui soit applicable.
Personnellement, je crois aux vertus de l’exemple, et il me semble que Mme Bricq s’est exprimée tout à l'heure dans le même sens : si les entreprises les plus importantes évoluent, les autres suivront.
Mme Nicole Bricq. Ce ne serait déjà pas mal !
M. François Zocchetto. Concernant le cumul de fonctions exercées dans une entreprise publique et une entreprise privée, pardonnez-moi, madame la secrétaire d’État, mais je ne suis pas d’accord avec vous.
M. François Zocchetto. Quelles que soient les compétences de M. Proglio – je n’hésite pas à citer son nom –, qui sont immenses et incontestables, il ne me semble pas possible, en termes de disponibilité, de gérer simultanément deux très grosses entreprises, même s’il n’exerce pas de fonctions exécutives dans l’une d’entre elles.
Par ailleurs, il faut opérer une distinction fondamentale entre l’entreprise publique et l’entreprise privée.
Si une entreprise publique existe, c’est qu’elle est chargée d’une mission d’intérêt général. Sinon, il faut immédiatement la transformer en entreprise privée ; c’est d’ailleurs ce qui s’est souvent produit, et je m’en félicite. Néanmoins, il reste des entreprises publiques, donc en charge d’une mission d’intérêt général, de l’intérêt des citoyens dans leur ensemble.
De leur côté, les entreprises privées gèrent, elles, des intérêts particuliers, même s’ils sont globalisés : ceux des actionnaires, ceux des salariés, ceux des clients de la société.
Dès lors, pour ceux qui dirigent à la fois une entreprise publique et une entreprise privée, le conflit d’intérêts est permanent, au point qu’à un moment les personnes concernées ne peuvent plus continuer à occuper les deux fonctions !
J’en viens à mon dernier point, et qui n’est pas mineur : la question de la proportion de femmes dans organes dirigeants des entreprises.
Je fais partie de ceux, nombreux, et pas seulement chez les hommes, qui sont spontanément plutôt défavorables à la méthode des quotas. Il est vrai que cette méthode n’est pas très satisfaisante. Néanmoins, force est de constater que, dans les collectivités publiques où elle a été appliquée, elle a produit des effets dont on ne peut que se féliciter.
Par conséquent, s’il faut passer par la méthode des quotas et des pourcentages, nous le ferons, et sans état d’âme !
De ce point de vue, le simple fait que des propositions de loi aient été déposées, discutées, et que l’une d’elles ait été votée, pour le moment par la seule Assemblée nationale, a conduit à des changements d’attitude au sein des sociétés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Exactement !
M. François Zocchetto. Comme par hasard, dans toutes les assemblées générales qui se tiennent en ce moment, des nominations de femmes au conseil d’administration ou de surveillance sont proposées ! Mme la secrétaire d'État a d’ailleurs dit tout à l'heure que, dans les sociétés du CAC 40, on allait passer en une seule année de 10 % à 15 % de femmes, soit une augmentation de 50 %, ce qui est considérable !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. On vérifiera !
Mme Nicole Bricq. Ah oui !
M. François Zocchetto. On va le vérifier, mais il est sûr qu’un changement d’attitude est perceptible.
Point n’est besoin, je crois, de convaincre tous nos collègues de l’intérêt d’obtenir une mixité dans les conseils d'administration et dans les équipes de direction. On le sait bien, et toutes les études le montrent, la présence des femmes améliore la gestion des entreprises. Je pense aux questions de disponibilité et de moindre cumul de mandats.
Mme Odette Terrade. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
M. François Zocchetto. On observe en effet, et c’est aussi vrai en politique, que les femmes sont moins attirées par le cumul.
Les femmes ont également une approche différente des problèmes. Mme le rapporteur a tout à l’heure évoqué l’appréhension des risques ; on peut aussi songer, entre autres, à la vision à moyen et long terme, à la gestion des personnels...
Bref, de nombreux éléments pratiques plaident aussi en faveur de la mixité. C’est aussi pourquoi je suis favorable au fait d’accroître la proportion de femmes dans les organes dirigeants des entreprises.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. C’est une valeur ajoutée !
M. François Zocchetto. La proposition de loi qui nous est présentée me paraît donc constituer une base très intéressante, tout comme les autres textes déposés, y compris la proposition de loi votée à l’Assemblée nationale.
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt non seulement l’exposé de Mme Bricq, mais également ce qu’a ajouté Mme Des Esgaulx, qui m’a paru tout à fait disposée à faire avancer les choses rapidement,...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Je le confirme !
M. François Zocchetto. ... en utilisant le travail accompli par Mme Bricq, Mme André et M. Yung.
En conclusion, je formule le souhait que, à la faveur de la transmission au Sénat de la proposition de loi Copé-Zimmermann, l’adoption de la motion de renvoi à la commission, que le groupe de l’Union centriste va voter,...
Mme Nicole Bricq. C’est dommage !
M. François Zocchetto. ... conduise très bientôt à l’élaboration d’un texte, sinon définitif, en tout cas applicable, adapté et conduisant rapidement à un changement dans les faits. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, en octobre 2009, les Français découvraient avec étonnement que M. Proglio, malgré sa nomination au poste de président-directeur général d’EDF, resterait président du conseil d’administration de Veolia, appelé ainsi à cumuler des fonctions de direction dans une entreprise privée et dans une entreprise publique de tout premier plan.
Même si, entre-temps, le problème a été réglé – je pense que nos remarques et nos critiques n’ont pas été complètement inutiles ! –, cela montre à nouveau ce mal français bien connu qui fait qu’une petite élite, souvent issue des mêmes milieux sociaux, des mêmes réseaux et des mêmes grandes écoles, cumule la direction de la majorité des entreprises du CAC 40. Et que l’on ne nous dise pas que c’est une garantie de qualité : il y a autant de fautes de gestion, de fautes stratégiques et de banqueroutes dans les sociétés ainsi dirigées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
C’est précisément ce mal de la gouvernance d’entreprise que nous souhaitons régler avec notre proposition de loi. Pour ce faire, nous proposons de limiter le cumul des mandats et d’interdire le cumul des fonctions dans les entreprises publiques et privées. L’appel d’air ainsi créé servira, nous l’espérons, à une féminisation des conseils d’administration et de surveillance ; et j’ajouterai : à une diversification.
Notre proposition de loi participe donc d’une véritable logique qui est, il faut le dire, différente de celle de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, même si les deux se rejoignent sur certains points, car celle de l’Assemblée nationale ne s’intéresse qu’à la féminisation des instances dirigeantes. Nous, nous traitons simultanément le cumul des mandats d’administrateur et la diversification des conseils d’administration.
Le MEDEF et l’AFEP nous vantent leur « code » sur la féminisation des conseils d’administration. Nous nous en réjouissons, mais cette modeste évolution est avant tout déclarative, de façade : cela fait penser à un « village Potemkine ». En effet, de même que, quand nous parlons de recours collectifs, on nous rétorque que c’est inutile puisque les entreprises développent l’arbitrage et la médiation, quand nous parlons de féminisation, on nous renvoie au code de l’AFEP !
D’autres collègues ont traité ou vont traiter de la question d’une représentation équilibrée des deux sexes qui nous permettra de rejoindre ce pays, ô combien vertueux, qu’est la Norvège !
Qu’on me permette simplement, sur ce point, de me réjouir de voir que, en France, le mouvement est manifestement amorcé puisque Mme Chirac a rejoint le conseil d’administration de LVMH et Mme Woerth, celui d’Hermès. Néanmoins, j’ai envie de dire : Français, encore un petit effort ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout quand ce sont des femmes de ministres qui entrent dans les conseils d’administration !
M. Richard Yung. Pour ma part, je voudrais insister sur le fait que ce texte s’inscrit dans la continuité de nos propositions tendant à réformer la gouvernance des entreprises, à améliorer le système par lequel les entreprises sont dirigées et contrôlées. Nous nous intéressons non seulement à l’organisation de la direction de l’entreprise, mais aussi à son contrôle et aux moyens d’expression des actionnaires.
Nous voulons renforcer l’indépendance et limiter le plus possible les complaisances qui existent entre les différents acteurs. Vous le savez, mes chers collègues, l’élection des administrateurs s’apparente le plus souvent à une aimable cooptation ! On a parlé d’« endogamie ». Je vous cite, madame le rapporteur : « 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote dans les conseils du fait du cumul des mandats. » Cela entraîne une concentration excessive, avec des nominations croisées et un soutien mutuel en matière de rémunération.
Permettez à quelqu’un qui a suivi de près des conseils d’administration de banques de la place de le dire, il est évident que, sauf cas extrême, on ne vote pas contre telle ou telle décision proposée par le président dans la mesure où ce dernier est un ami, qu’il siège dans votre propre conseil et que vous escomptez bien qu’il vous rende la pareille le jour où vous aurez besoin de faire voter une résolution !
Et c’est encore bien pis pour les rémunérations : on imagine aisément comment cela se passe au sein de ces comités composés de deux, trois, parfois quatre mandataires sociaux. De telles pratiques ne sont pas bonnes. Si ce n’est pas de la corruption, c’est une sorte de déviance morale et intellectuelle. Il faut donc, en fait, protéger ceux qui y siègent contre eux-mêmes !
Par ailleurs, nous avons sévèrement critiqué le cumul de type Proglio. Nous pensons que l’exercice des fonctions de dirigeant dans une entreprise privée n’est pas compatible avec l’exercice des fonctions de dirigeant dans une entreprise publique. Notre collègue M. François Zocchetto ayant parlé avec beaucoup de talent de cette incompatibilité, je n’insiste pas, sinon pour souligner qu’exercer la fonction de président de conseil d’administration ou de président de conseil de surveillance, c’est une responsabilité lourde et prenante quand il s’agit d’une grande entreprise. Ce n’est pas une fonction que l’on peut exercer à temps partiel ou seulement quand on en a le loisir !
S’ajoute à cela le cumul des rémunérations. L’écart entre le salaire médian des Français et celui des grands dirigeants, qui est déjà très important, se voit ainsi doublé !
À cet égard, nous n’avons pas été convaincus par la proposition de loi du groupe du RDSE telle qu’elle est sortie de nos débats, car la majorité l’a allègrement vidée de sa substance en ramenant en fait le dispositif à un avis donné au ministre des finances… je n’irai pas jusqu’à dire par un comité Théodule,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D’autant que ce sont des gens très bien !
M. Richard Yung. Absolument !
… mais par des hauts fonctionnaires des finances, sur un cumul des fonctions et des rémunérations !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. C’est très important !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si on les écoutait de temps en temps !
M. Richard Yung. Je ne développerai pas davantage, mais, très franchement, cela ne paraît pas très convaincant. C’est pourquoi, à l’article 4, nous avons repris les règles d’incompatibilité.
J’en viens aux sanctions. Selon vous, la nullité des délibérations serait une sanction trop lourde. Mais nous devons nous donner des moyens si nous voulons avancer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Des moyens adaptés !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Il y en a d’autres à trouver !
M. Richard Yung. S’il y en a d’autres, débattons-en ! Or, malheureusement, on botte en touche !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Mais nous allons en débattre !
M. Richard Yung. Oui, mais à la Saint-Glinglin !
Nous voulons introduire ces sanctions qui, selon nous, sont proportionnées et raisonnables. De plus, un délai est laissé aux entreprises : 20 % au minimum de représentants d’un même sexe au bout de trois ans, 40 % au bout de six ans. Cela nous paraît de nature à créer non pas l’insécurité juridique dénoncée par Mme le rapporteur, mais, au contraire, les conditions d’une avancée.
Cette proposition de loi est dans l’esprit du temps et de la modernisation de l’économie française. Elle est nécessaire. C’est pourquoi je vous demande d’en débattre et, par conséquent, de rejeter la motion de renvoi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis.
Mme Jacqueline Panis. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois que, à ce moment où j’interviens, le débat sur les propositions de Mme Nicole Bricq et de ses collègues du groupe socialiste est déjà bien entamé : c’est donc qu’il a lieu.
Ce texte vise, d’une part, à fixer une proportion des administrateurs de chaque sexe à un minimum de 40 % d’ici à six ans et, d’autre part, pour atteindre cet objectif, à libérer un nombre suffisant de postes par le renforcement de la règle du non-cumul des mandats sociaux.
C’est un vaste et laborieux chantier qui se poursuit avec cette proposition de loi ! En effet, favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail est, depuis la loi relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes du 22 décembre 1972, l’une de nos préoccupations majeures.
Sans retracer l’historique des évolutions apportées à notre droit du travail en la matière, je souhaite néanmoins présenter les réflexions du groupe UMP sur cette question, qui l’intéresse tout particulièrement.
D’abord, l’Observatoire de la parité a été créé sous le gouvernement de M. Alain Juppé, en 1995. Il a pour mission de promouvoir, par le biais de rapports, de recommandations et de propositions de réformes, l’égalité entre les deux sexes.
Par la suite, le Parlement a adopté plusieurs lois destinées à soutenir la parité lors des élections. La loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a ainsi été suivie de quatre lois, votées entre 2003 et 2008, toujours dans l’optique de renforcer la parité entre les hommes et les femmes pour ce qui concerne les listes électorales.
Enfin, par la volonté du Président de la République, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 a permis de préciser, à l’article 1er de la Constitution, que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Cette modification de la Constitution résulte de la censure, intervenue le 16 mars 2006, par le Conseil constitutionnel de certaines mesures prévues par la loi du 23 févier 2006 et relatives à une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les conseils exécutifs des sociétés françaises.
Je tiens également à souligner l’action menée par les organisations patronales, qui ont instauré un code de gouvernance commun et des accords d’entreprise incitant à la mixité au sein des organes exécutifs.
Malgré ces efforts continuellement soutenus par notre majorité, un travail considérable reste à accomplir dans le milieu professionnel, eu égard aux chiffres avancés par différentes études sur la présence de femmes aux postes de direction des sociétés du CAC 40, qui stagne aux alentours de 10%.
Notre collègue rapporteur, Marie-Hélène Des Esgaulx, l’a parfaitement indiqué, « l’évolution naturelle et l’autorégulation ne permettraient pas d’atteindre, dans un délai raisonnable, une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes sociétés ».
Vous avez d’ailleurs déclaré, madame la secrétaire d’État, être « favorable à une loi améliorant la parité dans les grandes entreprises françaises ». Nous nous réjouissons de la volonté du Gouvernement de rester attentif au domaine de l’égalité professionnelle. Vous pouvez compter sur mes collègues ici présentes aujourd’hui : grâce à leur pugnacité, ce dossier devrait trouver une issue au cours de cette année, même si les décisions ne sont pas prises aussi rapidement que certains d’entre nous le souhaitent.
Dans ce contexte, la proposition de loi prévoit de fixer un quota minimum pour la représentation des administrateurs du sexe sous-représenté. Ainsi, dans les entreprises qui emploient au moins 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros, la proportion de chaque sexe dans les conseils d’administration et de surveillance devra atteindre au moins 40 %.
Prenant exemple sur la législation norvégienne qui a imposé, depuis 2006, ce quota de 40 % à toutes les sociétés anonymes, cette disposition semble être bénéfique à l’accroissement de la mixité au sein des organes dirigeants des entreprises françaises, privées comme publiques. Nous avons pu, lors de la mission que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a effectuée l’an passé, nous en rendre compte sur place.
Pour parvenir à une telle situation, la proposition de loi prévoit que cette proportion de 40 % devra être atteinte au cours des six années à venir et fixe un palier de 20 % après trois ans. Dans cette perspective, il est nécessaire de libérer un nombre suffisant de postes, en limitant le cumul de mandats. Le non-respect de ces règles serait sanctionné par la restitution des rémunérations perçues pour le ou les mandats ne respectant pas le quota et par la nullité des nominations du sexe surreprésenté et des délibérations du conseil ne respectant pas la parité.
Cependant, comme l’a souligné notre rapporteur, ce texte converge fortement avec la proposition de loi de M. Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann, adoptée à l’Assemblée nationale le 20 janvier 2010. Certes, des différences apparaissent entre les deux textes, concernant notamment le champ des entreprises soumises à l’obligation de parité. Toutefois, ils instaurent, selon des modalités similaires, un quota minimum de 40 % de femmes au sein des conseils de surveillance et d’administration à atteindre sur six ans.
C’est pourquoi le groupe UMP et moi-même, en tant que membre de la délégation du Sénat aux droits des femmes, estimons essentiel d’attendre l’inscription de la proposition de loi issue de l’Assemblée nationale à l’ordre du jour du Sénat, afin de réaliser une articulation entre les deux textes.
De plus, la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq permet d’envisager utilement la limitation du cumul des mandats sociaux, en tant que levier efficace pour libérer des postes en vue d’obtenir la mixité, alors même que cette question n’est pas abordée par les députés.
Nous souhaitons donc attendre, mes chers collègues, l’examen par le Sénat de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, afin d’y apporter les améliorations que nous estimerons nécessaires. C’est un dossier qui, par sa complexité et son utilité, doit faire l’objet d’un véritable travail de fond, cohérent et efficace, de manière à aboutir au consensus le plus large possible.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Tout à fait !
Mme Jacqueline Panis. Au vu de l’ensemble de ces remarques, le groupe UMP votera la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’une réflexion engagée depuis plusieurs années et rendue possible par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà déjà deux ans !
Mme Michèle André. Eh oui, le temps passe vite, monsieur le président !
Si l’on exclut la proposition de loi portant sur le même sujet et émanant du groupe majoritaire de l’Assemblée nationale, le Parlement examine aujourd’hui pour la première fois un texte visant à réaliser l’objectif constitutionnel d’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, en l’occurrence dans les instances de décision des grandes entreprises. Il est en effet nécessaire de passer de la théorie à la pratique, des grandes intentions aux actes.
Aujourd'hui pourrait rester une date mémorable, car le sujet dont nous traitons en cet instant dépasse les clivages partisans, ainsi que l’intervention à l’instant de Mme Panis, première vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, l’a montré.
L’Assemblée nationale a en effet adopté, à la mi-janvier de cette année, une proposition de loi déposée conjointement par M. Jean-François Copé, président du groupe UMP, et Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Ce texte, comme celui que nous examinons ce matin, fixe un objectif de 40 % de femmes au sein des conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions, ainsi que dans les organes des entreprises publiques.
Quelles que soient nos appartenances politiques, nous faisons le même constat : les femmes sont sous-représentées dans les instances décisionnelles de l’entreprise. En tirons-nous les mêmes conclusions ? Faut-il se résigner, faut-il agir ? Comme dirait le poète, « faut-il pleurer, faut-il en rire ? » C’est du reste une question que nous nous posons souvent à propos des manquements à l’égalité entre les femmes et les hommes !
Ainsi que vous l’avez fort bien dit, madame la secrétaire d’État, il s’agit de libérer les femmes du statut de variable d’ajustement qui est trop souvent le leur dans le domaine économique.
En juillet dernier, à l’occasion d’un grand débat sur la place des femmes administrateurs dans les sociétés françaises cotées, nous avait été remise une étude brossant un tableau, sinon exhaustif, du moins largement représentatif de la situation des inégalités professionnelles. Les termes de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le « plafond de verre » y sont parfaitement décrits.
Le taux d’activité des femmes se rapproche de plus en plus de celui des hommes. Dans certaines professions, la féminisation est telle que c’est même la place des hommes qui se trouve menacée ; notre collègue Jacques Mézard a évoqué le cas de l’École nationale de la magistrature. Dans la mesure où la parité suppose l’égal accès aussi bien des hommes que des femmes à certaines fonctions, peut-être un jour les hommes nous remercieront-ils de l’avoir inventée : c’est alors eux que la parité protégera !
La proportion de femmes diplômées de l’enseignement supérieur tend à dépasser celle des hommes chez les moins de quarante-cinq ans. Malgré cela – les chiffres présentés dans l’étude que j’évoquais sont éloquents –, les femmes ne sont pas suffisamment présentes dans les instances de décision. Elles ne représentent globalement que 6 % ou 7 % des dirigeants d’entreprise et cette proportion est, hélas ! apparemment stable. La proportion des femmes dans les conseils d’administration est à peine supérieure : 10 % en moyenne, 14 % dans les petites entreprises, et 8 à 9 % dans les grandes et moyennes entreprises.
Même si l’on observe une légère amélioration de 2007 à 2008, convenons que ces chiffres sont faibles et homogènes. Ajoutons qu’une proportion notable d’entreprises sont dirigées par un conseil d’administration uniquement masculin.
Les comparaisons internationales ne sont guère flatteuses pour notre pays : nous sommes loin derrière la tant citée Norvège, mais aussi la Suède, la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas, ce qui confirme, une fois de plus, l’avance des pays nordiques en ce domaine. Or, dans ces pays, les pouvoirs publics ont pris la décision d’imposer des mesures contraignantes et obligatoires, à l’image de celles que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui.
J’ai pu me rendre compte de l’intérêt d’une telle politique lors d’un déplacement en Norvège que j’ai effectué avec ma collègue Jacqueline Panis, au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes, et Marie-Jo Zimmermann et Danielle Bousquet, qui représentaient la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes. À cette occasion, nous avons pu rencontrer le ministre norvégien qui avait été à l’origine du projet de loi ayant permis de mieux représenter les femmes au sein des conseils d’administration des entreprises.
Cet ancien ministre de l’industrie, un pêcheur – et, en Norvège, un pêcheur n’est jamais simplement propriétaire d’une petite barque ! –, nous a déclaré ne pas être féministe. Nous l’avons cru. Il a également expliqué qu’il avait à l’époque mené une étude très approfondie sur le caractère vertueux de la présence des femmes au sein de l’entreprise. Leur absence constituait, selon lui, un problème. Fort de ce constat, sans solliciter son président de groupe ni les partenaires qu’il aurait pu avoir – il appartenait au parti conservateur –, il a déposé un projet de loi dont les dispositions devaient s’appliquer en deux temps. Dans un premier temps, les entreprises devaient se mettre « à niveau » si elles voulaient éviter que le législateur intervienne de manière contraignante.
C’est alors que les conservateurs ont perdu les élections ; il s’est même demandé si cette proposition n’y avait pas été pour quelque chose ! (Sourires.) Quoi qu'il en soit, le nouveau ministre, social-démocrate, s’est emparé du dossier. Après avoir observé que les entreprises n’avaient pas tenu leurs engagements, il a imposé un quota de 40 % de femmes, et la sanction éventuelle était terrible : menacées de dissolution, les entreprises se sont très généralement soustraites à cette obligation.
On peut considérer que, en France, aujourd'hui, grâce aux différentes lois adoptées au fil du temps – Jacqueline Panis en a cité certaines, mais, pour ma part, je mentionnerai la loi Roudy sur l’égalité professionnelle –, l’égal accès des hommes et des femmes aux différentes professions est à peu près assuré. Par conséquent, nous en avons la certitude, madame la secrétaire d’État, dès lors que la loi impose, elle peut changer la donne.
Dans les entreprises norvégiennes, les effets ont été rapides. Certes, celles-ci disposaient d’un vivier de compétences féminines, mais n’oublions pas que les autorités se sont aussi évertuées à améliorer la situation. Bien sûr, c’est un pays riche. Mais c’est aussi un pays qui a une vraie volonté en matière de politique familiale : hommes et femmes peuvent bénéficier d’un congé pour l’éducation des enfants qui est sans doute le plus long du monde ; les hommes ont en outre droit à un congé de paternité d’une durée appréciable, et qui est respecté. Je précise que les jeunes parlementaires pères de famille ont également droit à un long congé de paternité, qui est rémunéré et pendant lequel ils sont remplacés par leur suppléant ; il est même mal vu par l’opinion publique de ne pas en profiter !
Nous n’en sommes pas là, mais sans doute devrons-nous également avancer sur ce chemin.
Mme Odette Terrade. Nous avons encore une grande marge de progression !
Mme Michèle André. C’est à la lumière de cet exemple que nous vous proposons aujourd’hui d’instaurer des quotas obligatoires visant à assurer une meilleure représentation des femmes dans les instances dirigeantes des sociétés : ainsi, la proportion des administrateurs de chaque sexe ne pourrait être inférieure à 40 % dans les conseils des sociétés de plus de 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et des dispositions analogues seraient prévues pour les conseils de surveillance des sociétés anonymes, ainsi que pour les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises publiques.
Nous vous proposons, en outre, d’instaurer des règles plus strictes de cumul de mandats sociaux.
Ce second volet, qui n’est pas abordé dans le texte voté par l’Assemblée nationale, me semble être la condition de base de la réussite du dispositif. En libérant des postes dans les conseils d’administration ou les conseils de surveillance, il devra permettre plus aisément de donner davantage de place aux femmes.
Je vous rappelle que, à l’heure actuelle, une petite centaine de personnes – 98 exactement, soit 22 % des administrateurs – détient 43 % des droits de vote des sociétés du CAC 40. La féminisation de ces instances devrait également permettre de rajeunir les conseils et de renforcer l’indépendance de leurs membres en limitant les risques de conflits d’intérêts.
Certes, les sanctions prévues dans notre proposition de loi sont sévères, notamment en ce qu’elles prévoient la nullité des délibérations auxquelles ont pris part les membres nommés irrégulièrement ou la démission d’office de tous les mandats en surnombre. Mais l’expérience prouve que cette sévérité est nécessaire.
La comparaison entre la Norvège et l’Espagne est instructive. Dans ce dernier pays, où le dispositif repose davantage sur l’incitation que sur une contrainte juridique ferme, les résultats sont modestes. Deux ans après l’adoption d’une loi visant à encourager la participation des femmes dans la vie économique, la proportion des femmes dans les conseils d’administration n’avait progressé que de 3 % dans le secteur public et restait de 10 % dans les sociétés privées.
Nous avons donc fait le choix d’une contrainte juridique ferme, à l’instar du dispositif norvégien, car c’est le choix de l’efficacité.
Je vous rappelle en effet que, là où la proposition de loi de l’Assemblée nationale ne concerne que les sociétés cotées, soit près de 700 entreprises, le texte que nous examinons aujourd’hui s’adresse à toutes les sociétés anonymes qui emploient au moins 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 30 millions d’euros.
J’estime par conséquent, madame le rapporteur, qu’il serait bien dommage de renvoyer la présente proposition de loi à la commission, car, plus contraignante dans son dispositif répressif et plus large dans son périmètre d’application que le texte de l’Assemblée nationale, elle serait aussi plus efficace pour faire avancer concrètement la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des sociétés.
Monsieur le président, je vous demande de vous faire notre interprète auprès de la conférence des présidents pour que la proposition de loi de Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann, adoptée par l’Assemblée nationale, soit inscrite d’urgence à l’ordre du jour du Sénat. Sinon, nous continuerons d’énoncer de beaux principes et nous nous désolerons du quotidien. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Ma chère collègue, je ferai part de votre souhait à la conférence des présidents, conjointement avec M. le président de la commission des lois et Mme le rapporteur.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Des Esgaulx, au nom de la commission, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, la proposition de loi relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance (n° 291, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme le rapporteur, auteur de la motion.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Monsieur le président, j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer, au cours de la discussion générale, les raisons qui ont motivé le dépôt de cette demande de renvoi à la commission.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, contre la motion.
Mme Nicole Bricq. Au préalable, je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues qui se sont exprimés. Ce faisant, ils ont non seulement marqué leur intérêt pour le sujet, mais encore démontré qu’ils en ont mesuré toute l’importance. Il n’est pas si fréquent qu’une proposition de loi présentée par l’opposition suscite une telle attention.
M’adressant plus particulièrement à notre collègue Jacques Mézard, je veux souligner qu’un pas vers l’égalité, si modeste soit-il, est toujours un grand pas vers l’humanité. Les femmes, comme les pauvres, se heurtent souvent à un plafond de verre. Or l’histoire nous enseigne que, quand la cause des pauvres et la cause des femmes n’ont pas progressé simultanément, cela a toujours très mal fini.
Madame le rapporteur, vous nous avez signifié votre volonté de travailler sur ce sujet. Je prends acte de votre détermination. Pourtant, aujourd’hui, vous refusez de faire le petit pas nécessaire et de procéder à l’examen des articles de notre proposition de loi. Mes chers collègues de la majorité, cette attitude habituelle qui consiste à mettre fin à l’examen des propositions de loi déposées par l’opposition avant même la discussion des articles nuit à la cause du Parlement. Pourquoi refuser ce débat, quitte à émettre in fine un avis défavorable sur ces articles ? C’est d’autant plus regrettable que les interventions des différents orateurs convergeaient sur de nombreux points.
Ainsi, M. Zocchetto a raison de ne pas vouloir se limiter aux seules sociétés anonymes dans la mesure où, depuis de nombreuses années, on assiste au développement de nouvelles formes juridiques de sociétés, dans lesquelles le cumul des mandats sociaux n’est soumis à aucune contrainte. Précisément, nous proposons de ne pas nous en tenir aux seules sociétés visées par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, mais d’élargir le périmètre de cette liste.
Madame la secrétaire d'État, nous ne créons pas un nouveau seuil ; nous nous contentons de reprendre celui qu’a fixé l’Union européenne pour définir ce qu’est une grande entreprise. Du reste, vous avez rappelé qu’on ne compte que 8 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des cinq cents premières sociétés françaises. Cela démontre bien que la situation doit évoluer ; en particulier, le régime des sanctions applicables doit être modifié.
Quand vous dites qu’il ne faut pas « infliger », pour reprendre votre propre terme, des contraintes supplémentaires aux entreprises cotées, je veux croire, madame la secrétaire d'État, que vos paroles reflètent plus la doxa du Gouvernement auquel vous appartenez – je peux néanmoins le comprendre – ou le courant de pensée dominant, que votre conviction intime.
Je conclurai mon propos sur une note grave. Depuis quelques semaines et, plus particulièrement, ces derniers jours, l’Union européenne est dans la tourmente d’une crise financière. La contrainte que les marchés financiers font subir aux entreprises cotées est autrement plus prégnante que celle que leur imposerait l’évolution législative que toutes et tous, dans cette enceinte, appelons de nos vœux. L’association française des entreprises privées comme le MEDEF feraient bien d’y réfléchir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement est évidemment favorable à cette motion tendant au renvoi à la commission.
Madame Bricq, je m’étais fermement prononcée en faveur d’une plus grande représentation des femmes au sein des conseils d’administration des entreprises. Toutefois, autant je considère que nous devons lutter pour que la situation évolue et pour obtenir des avancées, autant je ne peux ignorer que les revendications des femmes portent avant tout sur l’égalité salariale.
Par ailleurs, il conviendrait également de battre en brèche les stéréotypes véhiculés par les médias ou l’école, lesquels sont loin d’être anecdotiques. Vous avez cité l’exemple des pays d’Europe du Nord. En Suède, où j’effectuais récemment un déplacement, on étudie dès la crèche les types de jouets attribués aux filles et aux garçons, afin de combattre l’idée que le fer à repasser, la pelle et la balayette sont des jouets davantage destinés aux filles. C’est donc toute la société qu’il faut transformer, et nous devons nous retrouver pour mener ce travail ensemble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez montré la détermination du législateur à promouvoir une véritable égalité entre les hommes et les femmes. Il reste encore du chemin à parcourir vers la parité. Le Gouvernement veillera à ce que la conférence des présidents inscrive rapidement à l’ordre du jour du Sénat la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Contrats d'assurance sur la vie
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux contrats d’assurance sur la vie, présentée par M. Hervé Maurey (proposition no 2, texte de la commission no 373, rapport no 372).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi.
M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’assurance sur la vie est, vous le savez, le produit d’épargne préféré des Français.
Sa popularité ne se dément pas. En février 2010, près de 12 millions de nos concitoyens avaient, souscrit un contrat d’assurance sur la vie pour un montant total de 1 265 milliards d’euros, soit l’équivalent de 80 % du PIB français, plus de la moitié de l’encours des produits d’épargne longue et davantage que l’ensemble de la capitalisation boursière du CAC 40.
Le volume de l’épargne consacré à l’assurance sur la vie ne fait qu’augmenter puisque, en 2009, ce sont près de 5 millions de nouveaux contrats qui ont été souscrits, représentant une croissance de l’encours global de 12 % à 14 % selon les estimations. En douze ans, l’encours a presque triplé.
Une ombre plane toutefois sur ce produit phare de l’épargne française : la question des contrats d’assurance sur la vie non réclamés au décès de l’assuré.
Cette question est régulièrement évoquée depuis maintenant près d’une dizaine d’années. Elle est essentielle, car elle touche à la base même de toute relation contractuelle, en particulier dans le domaine de l’épargne : je veux parler de la confiance.
Il n’est pas acceptable que des encours soient conservés par les assureurs alors qu’ils devraient être versés aux bénéficiaires des contrats.
Ce n’est pas acceptable d’un point de vue éthique, car le doute ne peut pas exister en la matière. Les assurés doivent être certains que les sommes versées iront à leurs destinataires.
Ce n’est pas non plus acceptable d’un point de vue économique, car ces sommes seraient plus utiles si elles étaient réinjectées dans l’économie où elles produiraient, notamment, des recettes fiscales.
Le législateur a donc été conduit, en 2005, à poser un certain nombre de règles dans la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance.
Tout d’abord, il a prévu la possibilité, pour toute personne physique ou morale, de se renseigner auprès de l’Association pour la gestion des informations relatives aux risques en assurance, l’AGIRA, organisme crée par cette loi, de l’éventuelle existence d’une stipulation en sa faveur dans un contrat d’assurance sur la vie dont le souscripteur est décédé, dès lors qu’elle apporte la preuve du décès.
Il a ensuite prévu, sur proposition de notre collègue Yves Détraigne, le principe selon lequel la société d’assurance, dès lors qu’elle est informée du décès de l’assuré et qu’elle connaît les coordonnées du bénéficiaire du contrat, doit en informer ce dernier.
Comment d’ailleurs ne pas s’étonner qu’il ait fallu inscrire dans la loi cette mesure de bon sens qui répond, me semble-t-il, à l’honnêteté la plus élémentaire : prévenir le bénéficiaire du décès de l’assuré et de l’existence d’un contrat en sa faveur ?
La loi de 2005 constituait certes un incontestable progrès, mais elle restait insuffisante. Aussi le législateur a-t-il dû se saisir à nouveau de cette question dès 2007.
La loi du 17 décembre 2007, votée à l’unanimité par le Sénat, oblige les assureurs à s’informer de l’éventuel décès des souscripteurs et à rechercher, le cas échéant, les bénéficiaires.
Pour accomplir cette mission et savoir si un assuré est vivant ou décédé, la loi a ouvert aux assureurs la possibilité de consulter le répertoire national d’identification des personnes physiques, le RNIPP. Elle a également autorisé les traitements de données nominatives issues de ce répertoire, en vue de rechercher les bénéficiaires
Sans doute stimulés par ce texte, les assureurs se sont engagés à consulter ce fichier dès lors que l’assuré est âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, que l’encours de son contrat est supérieur à 2 000 euros et qu’il n’a pas donné de nouvelles depuis deux ans.
Ces avancées ont été incontestablement utiles et positives, et il convient de les saluer. Le fait que le fichier AGIRA II, institué par la loi de 2007, ait donné lieu à plus de huit millions de consultations en un an en atteste et démontre l’importance du phénomène.
Aussi, certains se sont interrogés sur l’utilité de légiférer à nouveau sur cette question.
Si j’ai souhaité déposer une proposition de loi sur ce sujet, c’est tout simplement parce que je crois le dispositif encore perfectible.
Permettez-moi de citer la célèbre maxime de Boileau :
« Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
« Polissez-le sans cesse et le repolissez ; ».
Elle semble faite pour ce sujet tant les réticences rencontrées nécessitent de se hâter lentement, sans perdre courage, et de remettre sur le métier l’ouvrage pour le polir et le repolir, de manière à en finir progressivement avec la situation scandaleuse que constituent les contrats d’assurance sur la vie non réclamés.
Légiférer efficacement, c’est savoir faire le point régulièrement sur un dispositif pour le faire évoluer et l’améliorer. C’est ce que certains appellent aujourd’hui – une expression que je n’aime pas beaucoup, même si j’en approuve le principe, – la clause de revoyure.
D’ailleurs, le Médiateur de la République, qui soutient notre démarche, a souligné à plusieurs reprises que, malgré les évolutions législatives, la situation actuelle n’était pas satisfaisante, les assureurs et les pouvoirs publics « ne jouant pas le jeu ».
Cette proposition de loi a pour objet, en premier lieu, de renforcer les obligations des assureurs en matière de recherche, puisque la loi de 2007 est peu contraignante sur ce principe et que les obligations que les assureurs se sont fixées sont, me semble-t-il, insuffisantes.
Le texte tend, en second lieu, et cet objectif est tout aussi important, à améliorer la transparence en matière de contrats d’assurance sur la vie non réclamés.
La commission des lois a bien voulu reconnaître l’utilité de cette proposition de loi, et je l’en remercie. Je tiens à saluer son travail, tout particulièrement celui de son rapporteur, Dominique de Legge, dont la capacité d’écoute, l’objectivité et le pragmatisme ont permis de trouver un équilibre satisfaisant.
Si la commission a sensiblement modifié le texte initial, elle a « pleinement souscrit à ses objectifs », et c’est là l’essentiel.
Elle est même allée au-delà de ce que je proposais en prévoyant l’obligation, pour les assureurs, de consulter chaque année le répertoire national d’identification des personnes physiques dès lors que l’encours du contrat est supérieur à 2 000 euros, et sans plus poser aucune condition quant à l’âge du souscripteur. C’est une avancée considérable par rapport à la situation actuelle, et je tiens à la saluer.
La commission des lois a également partagé mes objectifs en termes de transparence en prévoyant que les compagnies d’assurance rendent compte chaque année de leurs recherches et que les organismes professionnels publient un bilan de l’application des dispositifs AGIRA I et AGIRA II.
Sur d’autres aspects, mes propositions ne répondaient sans doute pas au précepte de Boileau selon lequel il convient de se « hâter lentement ». Peut-être devront-elles être remises sur le métier ultérieurement. Je pense notamment à la question de l’irrévocabilité de la clause bénéficiaire,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est un autre problème !
M. Hervé Maurey. … qui a pour conséquence qu’un certain nombre d’assurés préfèrent ne pas informer les bénéficiaires de l’existence même du contrat pour pouvoir, s’ils le souhaitent, changer librement de bénéficiaire. Mme Catherine Procaccia avait déjà évoqué ce sujet en 2007.
Je pense également à la nécessité de disposer d’un meilleur suivi des assurés tout au long de leur vie en s’informant de l’évolution de leur situation familiale et matrimoniale ou de leurs changements d’adresse. Un meilleur suivi permettrait de connaître plus aisément le décès de l’assuré et d’identifier plus rapidement le bénéficiaire du contrat.
À cet égard, il serait important d’être mieux informé sur les courriers retournés avec la mention NPAI, autrement dit « N’habite plus à l’adresse indiquée », sur leur nombre et leur suivi. Certains assureurs se sont d’ores et déjà saisis du sujet. Il serait souhaitable que la profession dans son ensemble prenne des engagements dans ce sens.
Conscient de la qualité de travail de la commission, je n’ai donc, avec mon collègue Yves Détraigne et les membres du groupe de l’Union centriste, déposé que deux amendements.
Le premier, de nature rédactionnelle, vise à préciser les obligations des assureurs en termes d’information sur les démarches qu’ils auront à effectuer en application du dispositif présenté par la proposition de loi.
Le second est, quant à lui, un amendement de fond. Il est extrêmement important,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est une proposition de loi à lui tout seul !
M. Hervé Maurey. … puisqu’il vise à nous permettre de mesurer enfin l’ampleur du phénomène des contrats d’assurance sur la vie non réclamés.
À cet égard, il existe ce que notre rapporteur appelle une zone grise : le montant des contrats d’assurance sur la vie non réclamés s’élèverait à 700 millions d’euros selon certains, à 5 milliards d’euros pour d’autres.
J’ai quelques doutes sur le premier chiffre qui correspond à l’estimation fournie par les assureurs voilà plus dix ans pour les contrats dont les assurés avaient plus de 103 ans, ce qui ne correspond pas vraiment à l’espérance de vie actuelle ! De surcroît, le nombre des encours a presque triplé pendant cette période.
La réalité se situe sans doute quelque part entre les deux chiffres, comme pour l’évaluation du nombre de participants à une manifestation, qui s’établit entre l’estimation des organisateurs et celle de la préfecture.
Le Médiateur de la République, pour sa part, a évoqué plusieurs milliards d’euros, considérant que cette situation était inacceptable.
Quel que soit le montant réel, il reste trop élevé. Il n’est pas tolérable, en effet, que nous soyons dans l’ignorance de l’ampleur de ce phénomène.
C’est pourquoi nous souhaitons sortir enfin de l’opacité qui règne sur cette question. Tel est l’objet de l’amendement présenté par le groupe de l’Union centriste : il prévoit que, chaque année, l’AGIRA communique le nombre et les encours des contrats non réclamés. Ainsi, nous devrions enfin être réellement informés et, puisque les assureurs ont déclaré dans la presse ne rien avoir à cacher, je ne vois pas ce qui pourrait les gêner !
Voilà, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous indiquer en ce début de discussion.
J’espère, comme ce fut le cas en 2007, que la Haute Assemblée sera unanime à voter ce texte, ce qui permettrait de manifester avec force notre volonté et notre exigence en termes de protection des épargnants et de leurs héritiers, de transparence et de moralisation de notre système financier. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique de Legge, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi d’Hervé Maurey, que nous examinons aujourd’hui, a pour objet de réduire le nombre des contrats d’assurance sur la vie « en déshérence », c’est-à-dire non réclamés par leurs bénéficiaires après le décès de l’assuré. Il s’agit incontestablement d’un problème dont la solution est délicate à établir de manière satisfaisante.
Pour mieux situer l’enjeu, rappelons que les contrats d’assurance sur la vie, au nombre de 30 millions, atteignent un encours de 1 265 milliards d’euros en 2010, que leur progression est de l’ordre de 10 % par an et qu’ils représentent 80 % du PIB.
Il est, par définition, difficile de connaître le nombre exact des contrats d’assurance sur la vie non réclamés, hors contrats souscrits dans le cadre d’emprunts. Selon les estimations, et les personnes interrogées, le montant des encours concernés se situerait entre 700 millions d’euros et 5 milliards d’euros. C’est une somme importante, mais qu’il faut rapprocher de l’encours total que j’évoquais à l’instant de 1 265 milliards d’euros.
Les raisons pour lesquelles un contrat n’est pas réclamé sont liées à des problèmes d’information : il se peut que l’assureur ne soit pas informé du décès de l’assuré, que le bénéficiaire ignore qu’un contrat a été souscrit à son profit, ou encore que l’assureur peine à trouver le bénéficiaire.
La loi du 15 décembre 2005 a permis aux assureurs de se regrouper, au travers d’un organisme dédié, l’AGIRA, afin de créer un guichet unique permettant à toute personne de s’informer de l’existence d’une stipulation en sa faveur.
L’AGIRA I a reçu 20 000 courriers en 2007, 26 000 en 2009. Depuis sa création, 7 499 contrats ont été détectés, pour un encours total de 205 millions d’euros.
La loi du 17 décembre 2007 est allée plus loin, en imposant aux assureurs l’obligation de s’informer sur le décès éventuel de l’assuré et en leur donnant la capacité juridique et technique de procéder à cette vérification par l’accès au répertoire national d’identification des personnes physiques. C’est le dispositif intitulé AGIRA II.
Dans le cadre d’accords nationaux, les assureurs sont convenus de faire porter prioritairement leur recherche sur les assurés de plus de quatre-vingt-dix ans et sur les contrats supérieurs à 2 000 euros Cette somme, définie par arrêté ministériel, s’applique à l’article L. 132-22 du code des assurances, qui prévoit une obligation d’information annuelle du souscripteur.
La mise en place du dispositif AGIRA II nécessitait une autorisation préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a été accordée en décembre 2008.
Les premiers résultats témoignent d’une forte utilisation. Depuis septembre 2009, on recense en moyenne 1 million de consultations mensuelles. Elles atteignent le nombre de 1,662 million pour le seul mois d’octobre 2009.
Déposée moins de deux ans après l’adoption définitive de la loi du 17 décembre 2007, et moins d’un an après la mise en place d’AGIRA II, la présente proposition de loi constitue une nouvelle étape législative. Son auteur, notre collègue Hervé Maurey, a souhaité ainsi, fort justement, renforcer le dispositif en place.
Si la commission des lois et moi-même adhérons pleinement à l’objectif visé par le texte, nous considérons toutefois qu’il intervient un peu tôt après la mise en application effective de la loi de 2007. Nous avons donc souhaité appuyer l’économie générale des mesures figurant dans la proposition de loi, en prenant soin de ne pas remettre en cause l’équilibre atteint par la réforme de 2007.
La commission des lois a ainsi souhaité, par le biais de ses amendements, d’une part, renforcer les obligations d’information des assureurs et, d’autre part, ne pas revenir sur la réforme de l’acceptation de la clause bénéficiaire.
Permettez-moi d’examiner plus en détail les quatre articles que contenait initialement la proposition de loi.
L’article 1er tendait, en premier lieu, à rendre annuelle l’obligation de s’informer de l’éventuel décès de l’assuré lorsque celui-ci n’a pas accusé réception de la communication annuelle à trois reprises consécutives, pour des contrats supérieurs à 2 000 euros.
Cette obligation a semblé trop restrictive à la commission, car elle aurait permis à l’assureur d’attendre un délai de trois ans sans accusé de réception avant de devoir procéder à la vérification du décès éventuel de l’assuré, et ce quel que soit l’âge de ce dernier. Depuis l’entrée en vigueur d’AGIRA II, les assureurs ont déjà procédé au contrôle des contrats pour lesquels la provision mathématique était supérieure à 2 000 euros et l’assuré âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, s’ils n’avaient pas de contact avec lui depuis au moins deux ans.
La commission a jugé souhaitable d’aller plus loin, de façon plus simple et plus systématique, en prévoyant une obligation annuelle de consultation du répertoire national d’identification des personnes physiques pour tous les contrats dont la provision est supérieure à 2 000 euros et sans condition d’âge du souscripteur.
L’article 1er visait, en deuxième lieu, à imposer une obligation de recherche du bénéficiaire du contrat lorsqu’il apparaît, à l’issue de la recherche, que l’assuré n’est pas décédé, mais qu’il n’a pas accusé réception à trois reprises consécutives. Pour la même objection de lourdeur matérielle, la commission n’a pas retenu cette mesure.
En troisième lieu, l’article 1er du texte initial prévoyait d’imputer au bénéficiaire les frais de vérification de l’éventuel décès de l’assuré, ainsi que les frais de recherche de ce bénéficiaire.
La commission a considéré qu’il était injustifié de faire peser sur ce dernier des coûts dont il n’est nullement responsable. Une telle disposition aurait ouvert la porte à des dérives très pénalisantes pour les bénéficiaires. Il appartient en outre à l’assureur de vérifier que la clause bénéficiaire du contrat a été rédigée de manière suffisamment claire pour que le bénéficiaire puisse être aisément retrouvé. La commission a donc écarté cette disposition.
En quatrième lieu, l’article 1er de la proposition de loi initiale prévoyait la publication annuelle, par les assureurs, d’un état indiquant le nombre et l’encours des contrats non réclamés répondant aux critères de montant, soit 2 000 euros, et d’âge, soit plus de quatre-vingt-dix ans, précédemment évoqués.
Une telle obligation de transparence n’a pas semblé, aux yeux de la commission, véritablement opérationnelle. Cette dernière a préféré créer, en insérant un article 1er bis dans le texte, une obligation d’annexer aux comptes annuels un état des démarches effectuées au titre des dispositifs AGIRA I et II, et ce quel que soit l’âge du souscripteur. Cela rejoint le souci de transparence exprimé par notre collègue Hervé Maurey.
L’article 2 du texte initial envisageait des formalités lourdes et coûteuses d’accusés de réception de la communication annuelle de l’assureur par le souscripteur et de notification d’un éventuel changement d’adresse de ce dernier.
La commission a préféré supprimer ces dispositions, là encore dans un souci de simplification. De surcroît, le texte proposé par la commission tend à imposer aux assureurs une obligation de vérification plus systématique.
Le même raisonnement a prévalu pour l’article 3 du texte initial, qui prévoyait l’intervention de tiers agréés pour la recherche des bénéficiaires.
Enfin, en ce qui concerne l’article 4 de la proposition de loi initiale, la commission a estimé que le caractère révocable de la stipulation par le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie en faveur du bénéficiaire du contrat remettait significativement en cause l’équilibre de la loi de 2007, ce que nous ne souhaitions pas. En conséquence, la commission a supprimé l’article.
Telles sont, mes chers collègues, les grandes lignes des propositions de la commission des lois. À l’évidence, nous avons travaillé en étroite concertation et dans la plus grande transparence avec notre collègue Hervé Maurey, dont je salue le travail, l’écoute et la compétence. Notre souci principal, avant d’envisager toute nouvelle disposition, était de ne pas compliquer ni alourdir les dispositifs AGIRA I et II, déjà opérationnels, et dont les effets semblent positifs.
Le sujet des assurances sur la vie non réclamées est sensible, particulièrement en un temps où l’espérance de vie ne cesse de s’allonger. Il méritait notre examen le plus attentif.
En conclusion, je ne sous-estime pas le débat sur ce qu’il est convenu d’appeler les contrats non réclamés ou en déshérence. Force est de reconnaître que des suspicions pèsent sur leur nombre, leurs montants et leurs origines. L’initiative de notre collègue Hervé Maurey, replacée dans l’esprit de la loi de 2007, a le grand mérite de dépasser ce débat, en s’attachant à l’aspect pragmatique du sujet. Il s’agit, en effet, de réduire le phénomène, en perfectionnant les dispositifs existants.
Plutôt que de chercher à définir ce qu’est un contrat tombé en déshérence, nous nous sommes attachés à faire en sorte que chaque contrat finisse par trouver son bénéficiaire. Tel est l’objet que s’est fixé la commission des lois, et qui a inspiré la réflexion de votre rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – MM. Jacques Mézard et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi de M. Hervé Maurey me semble bienvenue en raison des supputations, voire des fantasmes qui entourent les contrats non réclamés, compte tenu de la difficulté à évaluer le montant de ce prétendu trésor de Monte-Cristo, que d’aucuns chiffrent à 700 millions d’euros, d’autres à 5 milliards d’euros.
La transparence voulue tant par l’auteur de la proposition de loi que par la commission des lois me semble indispensable, car c’est l’un des piliers de la confiance.
En juin 2008, la profession de l’assurance publiait un baromètre de l’image de l’assurance en France, qui montrait que, pour un Français sur deux, le secteur de l’assurance était synonyme de « confiance ». Celle-ci m’apparaît essentielle pour deux raisons.
La première, comme l’a fort justement souligné Hervé Maurey, est que l’assurance sur la vie représente aujourd’hui le produit d’épargne préféré des Français. La « confiance » est impérative pour un produit qui concerne 22 millions de contrats et près de 41 % du patrimoine financier des ménages. Il s’agit donc là d’un enjeu important de consommation, auquel je suis naturellement particulièrement sensible compte tenu de mes responsabilités ministérielles.
La seconde raison est que l’assurance sur la vie ne peut tout simplement pas exister sans confiance, car, au moment du décès de l’assuré, c’est l’assureur qui a la responsabilité de verser les sommes aux bénéficiaires.
L’existence d’un stock, au demeurant difficile à évaluer, de contrats non réclamés constitue donc un échec à cet égard. La profession de l’assurance a, je crois, pleinement pris conscience de cet enjeu, qui est devenu une priorité de ses engagements déontologiques.
Pour autant, la confiance n’exclut pas de réguler, ce qui semble même indispensable pour la renforcer. Là encore, c’est le rôle du secrétaire d’État chargé de la consommation que d’y veiller, de concert avec d’autres acteurs.
Depuis trois ans, le Gouvernement a travaillé à renforcer les conditions de la confiance entre assureurs et assurés au bénéfice des consommateurs.
La loi du 17 décembre 2007 constitue de ce point de vue une avancée décisive, qui s’articule autour de trois actions clés.
Tout d’abord, cette loi oblige les assureurs à s’informer du décès de leurs assurés avant de pouvoir verser des sommes aux bénéficiaires.
Ensuite, elle donne aux assureurs les moyens de s’informer ; depuis mars 2009, les assureurs ont accès au fichier national qui recense les décès, le répertoire national d’identification des personnes physiques.
Enfin, la loi oblige les assureurs à rechercher les bénéficiaires une fois qu’ils ont connaissance du décès de l’assuré.
Toujours dans la loi de 2007, nous avons voulu réformer la clause bénéficiaire pour la rendre plus juste. Cette clause pouvait se retourner contre l’assuré. En effet, lorsque le bénéficiaire était informé de l’existence du contrat, il pouvait alors accepter la clause, la rendant ainsi irrévocable et privant l’assuré de toute possibilité de jouir de ses fonds, le cas échéant à son insu ou contre son gré. La loi a modifié le fonctionnement de la clause bénéficiaire. L’assuré peut désormais informer sans crainte son bénéficiaire. La sécurité des consommateurs est renforcée. Informer le bénéficiaire est encore la meilleure façon de garantir la réclamation du contrat au décès de l’assuré. Ces nouvelles mesures ont complété la loi de 2005, qui permet à tout particulier pensant avoir été désigné comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance de se le faire confirmer en formulant une demande unique à l’AGIRA, qui saisit à son tour l’ensemble des assureurs.
L’efficacité de ces dispositifs est aujourd'hui démontrée. Au mois de juin 2009, le Gouvernement a publié un rapport relatif aux contrats d’assurance sur la vie non réclamés.
En trois ans et demi, le dispositif AGIRA I de la loi de 2005 a permis, grâce aux demandes de particuliers qui pensaient être bénéficiaires de contrats d’assurance sur la vie, d’ouvrir 7 500 dossiers correspondant à 205 millions d’euros de capitaux à verser.
En 2009, le dispositif AGIRA II de la loi de 2007 qui permet aux assureurs de consulter le fichier national des décès a été fortement utilisé par les assureurs, comme Hervé Maurey l’a indiqué : plus de six millions d’interrogations ont été recensées, chiffre considérable. Elles ont permis d’identifier 14 000 décès, ce qui a entraîné le versement de 121 millions d’euros supplémentaires.
Au final, grâce à ces deux dispositifs, AGIRA I et AGIRA II, près de 330 millions d’euros ont, en quelque sorte, retrouvé leur chemin en direction des consommateurs.
Aujourd’hui, la proposition de loi présentée par Hervé Maurey nous donne l’occasion à la fois de faire le point sur le dispositif AGIRA, mais aussi de parfaire les dispositifs existants.
La commission des lois du Sénat, eu égard au remarquable travail accompli par son rapporteur, Dominique de Legge, et sous la présidence de Jean-Jacques Hyest, a réalisé un travail d’orfèvre pour identifier les insuffisances du dispositif de 2007, tout en s’inscrivant résolument dans la continuité des dispositifs AGIRA, qui sont en train de faire leurs preuves. Comme vous l’avez relevé, monsieur le rapporteur, l’intérêt de la présente proposition de loi est de se fondre dans les dispositifs existants, qui démontrent leur efficacité grandissante. Je tenais à vous en remercier.
Tout d’abord, le texte de la commission va jusqu’au bout de la logique de la loi de 2007, en tendant à imposer aux assureurs une obligation annuelle de croiser leur fichier d’assurés avec le fichier national des personnes privées.
Ensuite, il instaure formellement un principe de responsabilité des assureurs, qui n’est pas démenti par la pratique observée depuis la loi de 2007, en exigeant des assureurs qu’ils publient chaque année les démarches qu’ils ont entreprises pour rechercher les bénéficiaires de contrats non réclamés, ainsi que les résultats obtenus.
Ces avancées, de bon sens, prolongent la loi de 2007. Elles sont efficaces et proportionnées, à l’image de l’action de la commission des lois du Sénat. C’est pourquoi le Gouvernement sera favorable au texte issu des travaux de cette dernière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte sur une question que nous avons déjà eu l’occasion de traiter assez récemment.
Il n’en demeure pas moins que, de temps à autre, une discussion sur l’état d’avancement et de mise en œuvre de telle ou telle disposition législative n’est pas forcément malvenue.
L’assurance vie constitue l’un des placements préférés des Français. Au-delà du flux annuel des versements réalisés par les ménages épargnants, le montant des sommes actuellement capitalisées se révèle particulièrement significatif. Il dépasse en effet 1 200 milliards d’euros et, de par les choix prioritaires d’investissement réalisés par les compagnies d’assurance gestionnaires de ces contrats, cette situation amène nos compatriotes à être détenteurs d’une part importante de la dette de l’État, puisque le marché obligataire est largement sollicité par les opérateurs du secteur.
Il conviendra d’ailleurs, le moment venu, de s’interroger sur « l’entourage fiscal » de ce placement vedette qu’est l’assurance vie, puisqu’il a été profondément modifié. De surcroît, les mesures tendant à restreindre les avantages fiscaux associés à la souscription n’ont pas réellement ralenti le mouvement de souscription.
Toujours est-il que le succès de ce placement qu’est l’assurance vie comporte quelques contreparties qui sont moins connues, notamment le fait que les souscripteurs ne sont pas toujours très jeunes ni très fortunés et qu’une partie des contrats capitalisés se retrouve finalement en déshérence.
Tranchons d’entrée la question des montants en jeu, sur laquelle tout le monde peut avoir raison ou tort. Autrement dit, l’on pourrait retenir autant l’estimation basse de 800 millions d’euros selon les professionnels de l’assurance, que l’estimation haute, soit 5 milliards d’euros, selon certains cabinets ou associations, spécialisés dans l’appui aux bénéficiaires de contrats à la recherche de leur capital.
À vrai dire, il est sans doute difficile d’avoir une estimation précise à l’euro près ; effectivement, le suivi des contrats par les compagnies d’assurance elles-mêmes ne semble pas permettre de retracer l’ensemble du capital des contrats en déshérence à un moment donné.
Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi, s’est d’emblée orienté vers un renforcement des voies et moyens autorisant la récupération des contrats non réclamés, mais il l’a fait de manière généralement peu appropriée, puisqu’il a envisagé de donner aux compagnies d’assurance la possibilité d’imputer sur le capital finalement restitué les coûts exposés pour retrouver les bénéficiaires de la liquidation du contrat.
Je constate, à la lecture du rapport comme du texte de la commission des lois, que ces dispositions ont été heureusement retirées de la proposition de loi soumise à notre examen.
En ces matières, il convient de garder raison. Attendu que les sommes récupérées par les bénéficiaires sont en moyenne d’un montant réduit, s’élevant à un peu plus de 8 600 euros, et pour peu que les « détectives » de l’assurance aient forfaitisé leur intervention, une telle démarche aurait privé les bénéficiaires les plus modestement dotés d’une part importante du maigre capital à récupérer.
Le passage en commission de la proposition de loi aura au moins permis de pointer les limites fixées aux intentions de l’auteur de cette dernière.
En fait, ces limites tiennent à l’équilibre même du texte qui, selon nous, tendait à alléger les règles imposées aux assureurs relatives au suivi et à la recherche des bénéficiaires de contrats d’assurance vie et, accessoirement, à leur permettre d’externaliser une partie de leurs coûts normaux de fonctionnement au détriment des assurés.
Il s’agit bien de cela : sous des apparences sympathiques – j’en veux pour preuve la lecture de l’exposé des motifs –, la proposition de loi originale visait non pas à s’alarmer de la situation des contrats non réclamés, mais bien à donner aux assurances une plus grande latitude dans la gestion courante de ces contrats.
Quand on prévoit de mettre en œuvre la démarche figurant dans l’actuel cadre législatif trois ans après l’émission d’un accusé de réception infructueux, on laisse bien à la discrétion des compagnies l’utilisation de ce laps de temps pour user et abuser des montants « en sommeil ».
Le texte adopté par la commission des lois a fixé un cadre plus pertinent. Il crée notamment une obligation de résultat pour chaque compagnie d’assurance ou chaque mutuelle gestionnaire de produits de prévoyance pour ce qui concerne la recherche et la détection des contrats non réclamés.
Une telle orientation ne peut que recevoir un avis favorable de la plus grande partie des membres de notre assemblée, me semble-t-il.
Il va sans dire que les membres du groupe CRC-SPG ne s’opposeront pas à l’adoption du texte issu des travaux de la commission des lois.
Il nous importe, en dernière instance, que les assurés et les bénéficiaires qu’ils ont désignés puissent retrouver la pleine jouissance des sommes, d’un montant le plus souvent réduit, épargnées tout au long d’une vie de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui devrait permettre, je l’espère, de boucler le dispositif progressivement mis en place depuis 2005 pour régler le fameux problème des contrats d’assurance vie non réclamés.
Comme l’ont rappelé certains orateurs, aujourd’hui, on estime qu’il existe 22 millions de contrats d’assurance vie, correspondant à environ 12 millions de souscripteurs et représentant un encours total de plus de 1 200 milliards d’euros, soit deux fois la capitalisation boursière du CAC 40, si mes informations sont exactes. Les enjeux sont donc importants.
Mais comme on le sait également, pour un certain nombre de ces contrats, le versement des sommes qui sont dues à leur bénéficiaire en vertu de la volonté du souscripteur et à la suite du décès de ce dernier n’est pas effectif, tout simplement parce que nombre de bénéficiaires ignorant qu’un contrat a été souscrit à leur profit ne font aucune réclamation.
Il en résulte un problème à la fois juridique et moral. D’un point de vue juridique, l’une des stipulations du contrat, essentielle dans l’esprit du souscripteur, n’est pas respectée. Sur le plan moral, les sommes placées sur ces produits par les souscripteurs l’avaient été non pas pour rester dans les réserves de la compagnie d’assurance au-delà de leur décès, mais bien pour bénéficier à une personne qu’ils avaient eux-mêmes choisie.
Cette problématique a été soulevée une première fois en 2005 devant la Haute Assemblée, au travers d’un amendement que j’avais déposé au moment de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance. Cet amendement, complété par une précision souhaitée par le Gouvernement et adopté par le Sénat, a instauré l’obligation pour l’assureur, lorsqu’il a connaissance du décès de l’assuré, d’informer le bénéficiaire d’une assurance vie de la stipulation effectuée à son profit, si ses coordonnées sont portées au contrat. Certes, comme l’a fait remarquer Hervé Maurey, c’est peu de chose, mais encore fallait-il que la loi le prévoie.
Le mécanisme introduit en 2005 a ensuite été complété en 2007, notamment par une disposition qui a donné aux sociétés et aux mutuelles d’assurance les moyens d’identifier les contrats pour lesquels elles sont tenues de verser un capital et a renforcé les obligations de moyens qui pesaient sur elles visant, d’une part, à identifier les bénéficiaires et, d’autre part, à verser les sommes dues dans un délai maximal d’un mois.
À la suite de ces diverses dispositions, les assureurs ont mis en place l’Association pour la gestion des informations relatives aux risques en assurance, l’AGIRA, qui joue en quelque sorte un rôle de guichet unique pour répondre aux obligations de gestion et de recherche mises à leur charge. Par ailleurs, ils se sont engagés à procéder à des recherches sur des contrats dont l’assuré était âgé de plus de quatre-vingt-dix ans et avec lequel ils n’avaient eu aucun contact depuis deux ans. C’est un début.
Ce dispositif, qui va incontestablement dans le bon sens, n’est certes réellement opérationnel que depuis l’an dernier, mais on constate aujourd’hui que le fichier des personnes décédées qui en a résulté donne lieu à près d’un million d’interrogations chaque mois.
On constate donc une montée en puissance du dispositif instauré à partir de 2005 et amélioré en 2007 ; il n’y a probablement pas lieu de modifier en profondeur ce qui se met en place.
Il n’en reste pas moins vrai que le système peut être amélioré : fin 2009, on estime l’encours de contrats non réclamés entre 700 000 millions d’euros et près de 5 milliards d’euros. Avec un tel écart, on peut progresser !
Le travail accompli par la commission des lois, à partir de la proposition de notre collègue Hervé Maurey, va dans le bon sens. La commission n’a pas souhaité modifier sensiblement le dispositif mis en place en 2005 et en 2007. En effet, comme je le soulignais déjà voilà deux jours à cette tribune, lors de l’examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, il faut prendre le temps de l’évaluation avant de modifier une disposition législative.
Par ailleurs, l’assurance vie étant un produit d’épargne attractif, si l’on veut qu’il le reste, il convient de lui garantir une certaine stabilité.
Si elle n’a pas retenu l’ensemble des dispositions initiales de la proposition de loi, la commission, sous la houlette de son rapporteur Dominique de Legge, a néanmoins suivi l’auteur du texte sur plusieurs des mesures qu’il proposait.
Je pense à l’obligation annuelle de contrôle de l’éventuel décès de l’assuré, d’autant que les chiffres de consultation du dispositif évoqué à l’instant montrent que les assureurs sont en mesure de procéder à des recherches massives sur le portefeuille de leurs clients.
Je pense également à l’obligation faite aux assureurs de publier annuellement un état sur les démarches effectuées pour la recherche des assurés décédés et des bénéficiaires des contrats.
Ces dispositions vont dans le sens d’une plus grande transparence sur la situation de l’assurance vie qui – on le voit au travers de l’approximation des chiffres évoqués – n’est pas, aujourd’hui, des plus claires ! Par ailleurs, on évitera ainsi de voir se développer un certain nombre de rumeurs, voire de fantasmes, comme le disait M. le secrétaire d’État.
C’est dans le même esprit que j’ai cosigné les amendements proposés par Hervé Maurey, qui vont dans le même sens et tendent à compléter l’information annuelle prévue à l’article 1er bis de la proposition de loi.
Les échanges qui ont eu lieu en commission des lois, notamment entre l’auteur de la proposition et le rapporteur, sont de nature à parvenir à un texte conciliant au mieux transparence et efficacité, deux termes qui devraient nous servir de ligne de conduite pour la plupart des textes que nous examinons.
Je souhaite donc que nos débats de ce jour permettent d’adopter un texte garantissant cette transparence sur les actions menées pour régler au mieux le problème des contrats d’assurance vie non réclamés, aussi bien du côté des assureurs que de celui des bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey a pour objet de se préoccuper du sort réservé à l’épargne acquise par certains assurés qui disparaissent, tandis que les bénéficiaires désignés n’obtiennent pas le bénéfice des sommes déposées, faute de les avoir réclamées ou simplement d’en avoir eu connaissance.
Nous sommes face à un problème d’éthique : il s’agit de tout mettre en œuvre pour permettre à un vœu de s’exaucer, en l’occurrence le vœu de transmission qui avait été formulé par l’assuré défunt.
Nous sommes également confrontés à un problème économique : il s’agit également de tout mettre en œuvre pour faire en sorte que ces sommes soient réinjectées dans le circuit économique.
Ce dispositif d’épargne, cher aux Français, met en relation trois parties : les assureurs, les assurés – à ne pas confondre avec les souscripteurs, bien qu’ils soient souvent confondus dans la réalité – et, enfin, les bénéficiaires.
Ces trois parties ont des intérêts plus ou moins divergents et, en tout cas, différents.
S’agissant des assureurs, à l’évidence, l’intérêt de ces derniers est non pas de reverser les sommes en question, mais de les conserver et de les faire fructifier le plus longtemps possible.
Quant aux assurés ou aux souscripteurs, ils ont intérêt, puisqu’il s’agit d’un dispositif d’épargne, à conserver une certaine maîtrise de ce capital, avec la possibilité de changer éventuellement de bénéficiaire, au gré de la vie et de ses événements, ou celle de racheter tout ou partie du capital. Ce point ne doit pas être négligé dans notre réflexion.
Enfin, l’intérêt du bénéficiaire est de bénéficier de son droit, ce qui implique d’abord d’en être informé, puis de pouvoir l’exercer.
Les précédents intervenants l’ont souligné, nous sommes tous quelque peu choqués par la non-transparence concernant les contrats en déshérence, puisque les estimations de l’encours existant à cet égard fluctuent entre 700 000 millions d’euros et 5 milliards d’euros. La différence est de taille ! Ce manque de transparence n’incite pas à la confiance ni à l’établissement de meilleures relations entre les différentes parties.
Par ailleurs, il est également anormal que les assureurs puissent gérer pendant trente ans de l’argent qui ne leur appartient pas, alors que ces fonds ont un bénéficiaire potentiel, qui n’est pas informé ou n’a pas trouvé le moyen de réclamer ce qui lui est dû.
Certes, la situation a bien évolué. Les orateurs précédents ont évoqué les différentes étapes de cette évolution en 2005, en 2006 et en 2007.
D’abord, la mise en place du dispositif AGIRA I, qui a ouvert à tout bénéficiaire potentiel la possibilité de s’informer sur ses droits éventuels, était une première avancée.
Ensuite, les dispositions portant sur l’acceptation de la clause bénéficiaire, qui ne peut se faire à l’insu du souscripteur mais uniquement avec son accord, a sans doute aussi permis d’améliorer l’information des bénéficiaires.
Enfin, plus récemment, le dispositif AGIRA II, sur les résultats duquel nous avons encore peu de recul, oblige l’assureur à interroger le répertoire national d’identification des personnes physiques et à mettre à jour ses fichiers.
On peut aussi souligner au passage les incitations fortes pour les assureurs à verser les fonds rapidement une fois qu’ils ont retrouvé les bénéficiaires, sous peine de pénalités ou de versements supplémentaires.
Tous ces dispositifs ont permis d’instaurer un certain équilibre entre les droits des parties et d’améliorer les choses dans ce domaine.
La proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey va dans le même sens.
Elle vise à accroître les avancées, s’agissant notamment du dispositif AGIRA II. À cet égard, il faudra sans doute attendre l’avis de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Le fait de rendre la consultation annuelle et obligatoire pour les assureurs, sans attendre les trois courriers recommandés ni les trois informations non revenues, est un progrès très important.
L’abolition de la limite d’âge, afin de ne pas s’intéresser uniquement aux contrats souscrits par des personnes de plus de quatre-vingt-dix ans, est un point à souligner.
Par ailleurs, le texte tend à améliorer la transparence, grâce à la publication non seulement des démarches réalisées par les assureurs, mais aussi des sommes concernant les contrats encore en cours. Cette disposition, si elle est adoptée, permettra, au fil des ans, de mieux évaluer le stock des contrats en déshérence, ainsi que leur flux, et de juger de l’efficacité des démarches entreprises par les assureurs.
Au final, la présente proposition de loi apportera certainement un mieux, et nous attendons avec impatience la publication du prochain rapport sur l’ensemble de ce dossier.
Néanmoins, il reste des freins : certaines propositions auraient pu aller plus loin. Les assureurs que j’ai entendus, souvent très proches de leurs assurés, m’ont d’ailleurs suggéré des voies d’amélioration, dont nous aurons certainement l’occasion de discuter ultérieurement puisque ce sujet est sans doute appelé à revenir à l’ordre du jour de nos débats à plusieurs reprises.
Je regrette, par exemple, que la commission ait supprimé l’article 2.
Il aurait été souhaitable, en effet, de maintenir la communication annuelle obligatoire entre l’assureur et son assuré. Ainsi, il est bon de rappeler à l’assuré qu’il doit communiquer son changement d’adresse, même si l’on ne peut pas lui tenir rigueur de son manquement éventuel à cet égard. Il est également important de lui rappeler la possibilité dont il dispose de changer les bénéficiaires désignés sur son contrat d’épargne, tant qu’il n’existe pas de clause d’acceptation du bénéficiaire signée. De plus, il importe de l’informer du montant de son épargne, par lettre simple, ce qui serait tout à fait suffisant.
Sur les obligations de l’assureur concernant la formule de la clause bénéficiaire, les propositions auraient pu aller plus loin.
Dans la formule classique, « enfants nés ou à naître, à défaut, les héritiers », autrement dit les ayants-droit, il est assez facile de s’y retrouver. Mais si une autre personne est nommée comme bénéficiaire, il serait intéressant de préciser son nom, son prénom, ainsi que sa date et son lieu de naissance. Cela faciliterait les recherches pour retrouver le bénéficiaire lors de la disparition de l’assuré.
Il serait également opportun de s’intéresser aux courriers retournés portant la mention NPAI, « N’habite plus à l’adresse indiquée », qui représentent une proportion très importante de la disparition d’informations concernant les bénéficiaires. Aujourd’hui, ils sont renvoyés à l’assureur. Ne pourrait-on imaginer un dispositif d’enveloppes préparées, comme celui qui est utilisé pour les impôts ? Ainsi, celles qui portent la mention NPAI reviendraient non pas à l’assureur, mais, par exemple, à l’AGIRA, qui pourrait être chargée des premières recherches. Plus on recherche tôt une personne qui a changé d’adresse, plus on a de chances de la retrouver, de ne pas la perdre de vue.
Si le financement de la recherche des personnes doit effectivement incomber aux assureurs, ne conviendrait-il pas de transférer la responsabilité du résultat de la compagnie d’assurance à un autre organisme, l’AGIRA, par exemple ? Dans un tel système, les assureurs auraient tout intérêt à ce que les recherches aboutissent, et ce rapidement, pour réduire leur coût. Ainsi, la mutualisation des coûts de recherche sur l’ensemble des contrats serait maintenue, la charge financière serait laissée à l’assureur, mais la responsabilité du résultat serait transférée à une entité autre que la compagnie d’assurance.
En ce qui concerne la clause du bénéficiaire acceptant, il est important de donner davantage de droits à l’assuré, autrement dit au contractant.
Très souvent, l’assurance est un contrat aux termes duquel une garantie est donnée au bénéficiaire en échange d’une créance, ce qui implique des engagements réciproques. Il me paraît utile, dans cette forme d’épargne, que l’on ne puisse pas revenir sur la clause bénéficiaire.
En revanche, si le bénéficiaire n’est qu’un récipiendaire et l’assuré un donneur, pourquoi ne pas laisser à ce dernier le droit de revenir sur sa décision ? Dans ce cas, il ne faudrait pas qu’il y ait systématiquement cette notion de contrat entre l’assuré et le bénéficiaire, car cela empêcherait toute modification, alors même que la vie peut être riche de rebondissements et conduire l’assuré à certains changements.
Au total, le régime de l’assurance vie a beaucoup évolué depuis 2005 ; il en avait sans doute besoin. Certes, nous aurions pu aller plus loin dans les contraintes, notamment en matière de résultats s’agissant des assureurs. Nous aurions pu être plus protecteurs pour l’assuré quant à la conservation de ses droits sur son capital et son épargne. J’adhère donc à la citation faite par M. Maurey : il faudra remettre l’ouvrage sur le métier.
Néanmoins, le texte, tel que modifié, nous semble faire avancer les choses. Pour ces raisons, et dans l’attente de la suite des événements, notamment du prochain rapport promis par le Gouvernement, nous voterons ce texte. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Récupérer son épargne est non pas un privilège, mais l’exécution d’un contrat selon les principes du droit civil.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez rappelé qu’un Français sur deux faisait confiance aux assureurs. Ce n’est pas un résultat merveilleux !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Par rapport à la politique, ce n’est pas mal ! Tout est relatif ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Ça se discute, monsieur le président de la commission des lois !
Nous savions qu’il existait des niches fiscales très controversées, cependant incluses dans les lois de finances ; nous constatons qu’il existe des niches d’assurances à hauteur de plusieurs milliards d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez parlé de fantasmes, et même de « trésor de Monte-Cristo ». Mais la différence, c’est que ce dernier a été retrouvé, alors que nous sommes ici à la recherche de quelques trésors !
M. Jacques Mézard. La question des contrats d’assurance vie non réclamés par leurs bénéficiaires à la suite du décès de l’assuré est très importante de par le montant considérable des sommes en jeu. À cet égard, je salue le travail que l’auteur de la proposition de loi, la commission des lois et le rapporteur ont réalisé sur ce texte et j’indique d’ores et déjà que les membres de mon groupe le voteront unanimement.
Le phénomène que nous évoquons ne devrait, en principe, concerner qu’une faible partie des encours des contrats d’assurance sur la vie, dans la mesure où, ce type d’assurance étant utilisé comme produit d’épargne, les fonds ont vocation, dans la plupart des cas, à revenir au souscripteur.
Toutefois, le contrat d’assurance sur la vie repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui et, de ce fait, il constitue non pas seulement un simple produit d’épargne, mais aussi un moyen de verser au profit d’un bénéficiaire un capital ou une rente, prévus au contrat, en cas de décès de l’assuré.
Le texte que nous examinons prévoit de renforcer les obligations des sociétés d’assurance, ce qui est très positif, afin de rendre effectif le versement des sommes dues au titre de l’assurance vie et de garantir ainsi les droits des assurés et des bénéficiaires.
L’auteur de la proposition de loi a évoqué des « situations scandaleuses ». Il a parfaitement raison. En tout cas, il existe dans ce domaine un fort besoin de transparence et, tout simplement, de déontologie, il faut le souligner.
Cela a été évoqué, le phénomène des contrats d’assurance sur la vie non réclamés demeure, par définition, difficile à quantifier avec précision. C’est tout à fait regrettable, car, dans d’autres cas de figure, on consacre bien plus de soin et de travail à rechercher les sommes qui ne sont pas utilisées ou qui ont disparu.
S’agit-il de contrats non réclamés du fait de la non-connaissance du décès de l’assuré ou de l’ignorance de l’existence d’un tel contrat par le bénéficiaire ? S’agit-il de difficultés d’identification ou de localisation de ce dernier ? On le voit, les problèmes rencontrés nécessitent de prendre en compte les spécificités de chaque cas.
Pour une large part, ce phénomène résulte de l’ignorance, de la part les bénéficiaires, de la stipulation faite à leur profit. En effet, l’acceptation de cette clause ayant un caractère irrévocable, le souscripteur hésite souvent à faire connaître son intention au bénéficiaire, préférant la maintenir secrète afin de conserver la libre disposition des sommes capitalisées.
Dans ces conditions, sauf à retrouver des documents relatifs à l’existence d’un tel contrat après le décès de l’assuré, qui est généralement le souscripteur, le bénéficiaire n’est pas réellement en mesure d’en avoir connaissance.
Selon les chiffres qui nous ont été indiqués, les sommes en jeu varieraient entre 700 millions d’euros et 5 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien ! Même si ces montants paraissent mineurs par rapport aux 1 265 milliards d'euros qui constituent l’encours de l’assurance sur la vie, ce dossier a tout de même une importance considérable.
L’enjeu juridique et financier de la présente proposition de loi est tout à fait primordial pour un placement qui a la préférence des Français. Nous considérons donc qu’il est tout à fait indispensable de compléter les textes régissant aujourd'hui l’assurance vie.
Nous partageons pleinement les objectifs visés au travers des deux dispositions principales de cette proposition de loi. En premier lieu, ce texte crée l’obligation pour les assureurs de s’informer, au moins annuellement, de l’éventuel décès de l’assuré, sans néanmoins mettre les coûts de recherche à la charge de l’assuré ou des bénéficiaires, ce qui eût été un comble ! En second lieu, le texte introduit pour les assureurs une obligation de dresser chaque année un état de leurs démarches, ce qui, là encore, paraît bien le moins pour identifier les assurés décédés et les bénéficiaires des contrats.
Je constate qu’il est souvent reproché au législateur de légiférer trop – je l’ai moi-même affirmé à plusieurs reprises – et trop souvent. En l’espèce, si le Parlement est obligé d’agir, c’est à cause des errements constatés dans le comportement des assureurs. Il faut le dire très clairement, me semble-t-il, parce que telle est la réalité et parce que ce texte porte sur des sommes considérables, puisqu’elles représentent des milliards d'euros. Réjouissons-nous donc d’avoir l’occasion de légiférer sur un tel dossier !
C'est pourquoi, je le répète, les membres de mon groupe voteront à l’unanimité cette proposition de loi, sur le rapport de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, affirmer que le contrat d’assurance sur la vie est le placement préféré des Français est sans doute devenu un lieu commun.
Pourtant, les chiffres sont là, comme l’a rappelé notre rapporteur, M. Dominique de Legge, qui attestent de la faveur de nos concitoyens pour cet instrument financier. Celui-ci, par sa souplesse, peut être utilisé par un particulier tant pour préparer sa retraite que pour opérer un placement à moyen terme ou transmettre une somme d’argent en franchise de droits.
Pour autant, la législation applicable au contrat d’assurance sur la vie suscite certaines difficultés pratiques récurrentes, malgré les avancées intervenues à l’occasion des lois de décembre 2005 et de décembre 2007. Or il est nécessaire d’éviter que ces difficultés ne ternissent la confiance que les Français placent dans cet instrument.
C’est pourquoi le groupe UMP salue l’initiative de M. Hervé Maurey, qui permet de poursuivre nos efforts en vue de la résorption des contrats non réclamés par leurs bénéficiaires. En effet, trop nombreux sont encore les contrats qui peuvent ne pas être mis à exécution au décès de leur souscripteur, contrairement à ce qui était prévu dans la loi. La combinaison des règles juridiques et l’ancienneté des assurances sur la vie ont entraîné, au fil des décennies, la constitution d’un stock très important de contrats dits « en déshérence », qui sont arrivés à leur terme sans qu’aucun des acteurs en présence réagisse : le souscripteur ne donne plus signe de vie, mais l’assureur n’a pas la preuve qu’il est décédé ; aucun bénéficiaire ne se manifeste.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, le total des contrats non réclamés pourrait atteindre des sommes qui, sans qu’il soit possible à ce jour d’en évaluer le montant exact, ne sont pas négligeables.
Dès lors, trouver leurs bénéficiaires permettrait de dénouer ces contrats, de libérer les fonds qui s’y sont accumulés et de soutenir utilement l’effort de consommation, dans la mesure bien sûr où cet argent ne serait pas immédiatement réinvesti dans de nouveaux contrats d’assurance sur la vie.
De ces réflexions était né, en 2005, un interlocuteur unique pour les citoyens en matière d’assurance vie, l’AGIRA.
En plusieurs années d’existence, cet organisme a permis de répondre à bon nombre de demandes de versements dus. Le fonctionnement de l’AGIRA, mais aussi les travaux des compagnies d’assurance, offrent un cadre satisfaisant pour envisager, comme le propose M. le rapporteur, l’obligation annuelle pour les assureurs de s’informer de l’éventuel décès de l’assuré, tout en excluant la possibilité d’imputer leurs frais de recherche sur les sommes devant revenir aux bénéficiaires.
Le groupe UMP est satisfait de cette proposition. En effet, compte tenu des sommes en jeu et de la responsabilité qui incombe à l’assureur de rechercher les bénéficiaires des contrats qu’il commercialise, il est raisonnable d’écarter toute possibilité d’imputer ces frais sur les sommes versées, ainsi que de créer une profession agréée.
Enfin, il est impératif de ne pas transformer ce sujet en aubaine commerciale pour des entreprises plus soucieuses de leur chiffre d’affaires que de l’intérêt des héritiers, d’autant que ceux-ci, souvent très heureux de toucher un legs inattendu, se laissent imposer une commission parfois exorbitante.
Parallèlement, il était indispensable, comme l’a envisagé la commission des lois, de prévoir pour les assureurs l’obligation de dresser chaque année un état de leurs démarches de recherche des assurés décédés et des bénéficiaires.
Tout en respectant les dispositifs adoptés successivement en 2005 et en 2007, la commission des lois a su maintenir l’équilibre entre le respect des droits des assurés et les moyens mis à la disposition des entreprises d’assurance pour assumer leurs responsabilités, entre l’attractivité des contrats d’assurance sur la vie et les obligations qui y sont attachées, entre la liberté contractuelle et les contraintes légales.
C’est pourquoi le groupe UMP votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, s’agissant des assurances, il ne vous étonnera pas que j’évoque tout d’abord, en quelques mots, la loi du 19 décembre 2008.
Comme vous le savez, puisqu’il a été adopté à l’unanimité, ce texte comporte un article sur les contrats obsèques. Il dispose que les sommes versées au titre de ces conventions sont revalorisées chaque année au taux d’intérêt légal. Ce principe, simple et clair, a été adopté à l’unanimité par le Sénat et l’Assemblée nationale.
Or, moins de deux mois plus tard, monsieur le secrétaire d’État, une ordonnance paraissait, émanant de votre administration, qui rayait d’un trait de plume cet article.
Bien entendu, nous avons été choqués du procédé. Derechef, le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté la même disposition à l’unanimité, car cette ordonnance était utilisée de façon très choquante ; d'ailleurs, je n’ai jamais su ni pu comprendre d’où elle venait et qui avait eu l’idée saugrenue de supprimer cet article.
Monsieur le secrétaire d’État, comme je suis ce dossier avec une grande attention, je constate que cet article de loi n’est toujours pas mis en œuvre aujourd’hui, alors même qu’il est d’application directe et qu’aucun décret n’est nécessaire.
Vous comprendrez donc que j’aie une question simple à vous poser : êtes-vous d'accord pour estimer que le Gouvernement doit veiller à l’application de la loi, et qu’allez-vous faire pour que cette disposition soit mise en œuvre comme elle doit l’être ?
En second lieu, je veux moi aussi me réjouir de l’excellente proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey. Ce texte était nécessaire. L’enjeu financier des contrats d’assurance sur la vie en déshérence n’est pas mince, puisque ceux-ci représenteraient, selon les sources, entre un et cinq milliards d’euros.
La présente proposition de loi tend à renforcer les obligations des assureurs dans la recherche des bénéficiaires de ces contrats. Elle contraint les sociétés d’assurance à s’informer annuellement sur le décès éventuel du souscripteur, à faire preuve de transparence sur les encours concernés et à prouver l’effectivité des recherches entreprises.
Monsieur Maurey, comme l’a excellemment souligné Virginie Klès, nous soutiendrons cette proposition, que nous voterons pour au moins deux raisons : l’une, morale, tient au respect de la volonté du contractant ; l’autre, économique, se fonde sur l’inefficacité des montants ainsi mobilisés.
En effet, ces sommes doivent être, d’une part, mises à la disposition des bénéficiaires de ces contrats conformément à la volonté des souscripteurs, et, d’autre part, réinjectées dans l’économie, surtout par les temps qui courent, afin de favoriser l’activité.
Monsieur le rapporteur, je veux saluer les amendements proposés par la commission des lois, car ils sont tout à fait positifs, me semble-t-il. En cette circonstance, je rappelle que nous approuvons la suppression de l’article 4 du texte initial de la proposition de loi, qui aboutissait, même si telle n’était pas l’intention de M. Maurey, à défaire l’équilibre défini par la loi du 17 décembre 2007.
En effet, cet équilibre implique que l’acceptation par le bénéficiaire, dont l’accord est obligatoire pour tout rachat ou modification, ne peut se faire qu’avec le consentement du stipulant. Or la libre révocation par le souscripteur de l’acceptation par le bénéficiaire, qui était prévue par le texte initial, ouvrait la porte à une requalification en simple contrat de capitalisation de l’assurance sur la vie.
Nous pensons que la transparence est toujours bonne, sauf dans quelques domaines. Aussi ne sommes-nous pas pour l’abolition du « secret défense », encore que celui-ci soit trop souvent invoqué ! (Sourires.)
À cet égard, il nous paraît sage de connaître le nombre de contrats qui n’ont pas été honorés et réclamés après la mort du souscripteur et les encours correspondants. C’est pourquoi nous avons déposé un sous-amendement, qui tend à introduire une mesure simple, claire, transparente, bénéfique, afin que les compagnies d’assurance ou organismes compétents délivrent chaque année ces informations.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On ne peut pas !
M. Jean-Pierre Sueur. Telle est la disposition complémentaire que nous soumettrons à la Haute Assemblée.
À la suite de Virginie Klès, je souligne à mon tour combien ce texte est positif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur les travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lorsque j’ai appris qu’un texte sur les contrats d’assurance sur la vie était inscrit à l’ordre du jour de nos travaux de ce jeudi 29 avril, je me suis demandé pourquoi ce sujet était encore une fois abordé.
En effet, ces dernières années, le Sénat a été à la pointe dans ce domaine. Je n’ai pas le sentiment que, ni sous la houlette de Philippe Marini en 2005, lors de l’examen du texte devenu la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance, ni sous celle de Jean Jacques Hyest, lors de la discussion du texte devenu la loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d’assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés en 2007, nous ayons mal travaillé, bien au contraire. J’associe à ces travaux Yves Détraigne, puisque nous y avions tous deux participé.
Non seulement nous avons permis que de véritables avancées aient lieu, en assurant une réelle information des assurés, mais surtout nous avons créé les bases durables et efficaces permettant dorénavant aux assureurs d’accéder au fichier des personnes décédées, ce qu’ils ne pouvaient pas faire jusqu’en 2009. Sans cette disposition, je ne vois pas comment ils pouvaient découvrir que l’un de leurs assurés était décédé, sauf s’il avait dépassé l’âge de cent-dix ans !
D’ailleurs, je doute que les banques se posent de telles questions si un compte est sans mouvement. Elles ne réagiront que lorsque le compte sera à découvert. Cela me conduit à vous demander, monsieur le secrétaire d'État, ce que deviennent les sommes des comptes bancaires ou des livrets d’épargne que nous offrons à la naissance des enfants, même si les montants sont plus faibles que pour un contrat d’assurance sur la vie. Une procédure est-elle prévue en ce domaine ?
Le rapport de Dominique de Legge m’a rassurée. Ce dernier n’a pas remis en cause le travail législatif antérieur qu’il connaissait parfaitement. Il s’est interrogé, lui aussi, sur l’opportunité de modifier un système récent qui commence tout juste à être opérationnel.
Le pragmatisme dont il a fait preuve a été souligné par Hervé Maurey. Je fais miens ces propos, car, en matière d’assurances, le pragmatisme doit l’emporter sur l’idéologie.
Les contrats en déshérence sont un sujet médiatique et font facilement la une des journaux. Ils sont notre monstre du Loch Ness : des millions, voire des milliards d’euros, ignorés de milliers de bénéficiaires, dormiraient chez les assureurs comme Nessie au fond du lac ! Or, pour l’instant, personne n’a vraiment vu ces sommes et le monstre en question n’est peut-être qu’un gros saurien qui fait rêver : n’aurions-nous pas, quelque part, un oncle ou une cousine richissime dont nous serions l’héritier et qu’un généalogiste bienveillant va retrouver pour nous ?
Les assureurs ne sont pas irréprochables. Jusqu’au xxie siècle, peu d’entre eux s’étaient préoccupés de ces contrats dormants avant l’intervention du législateur.
Les assurés ne le sont pas non plus. Et je veux profiter de cette tribune pour émettre un avis tout à fait personnel et faire part de mon étonnement quant à la sollicitude que nous manifestons à l’égard des personnes qui ne se préoccupent pas du capital qu’elles placent et qui leur rapporte pourtant des intérêts. C’est tout de même faire preuve de beaucoup de négligence ! Moi qui souscris ce type de contrat depuis que j’ai commencé à travailler, je sais où se trouvent les sommes que j’ai ainsi placées et qui en sont les bénéficiaires ! Si certains assurés sont trop vieux pour se souvenir qu’ils ont souscrit des contrats, tous ne sont pas dans ce cas. C’est pourquoi Hervé Maurey me paraît avoir été bien confiant en croyant qu’un courrier pourrait corriger le comportement de ces personnes désinvoltes.
J’approuve par conséquent la sagesse de la commission, qui a supprimé la référence à un accusé de réception. Une non-réponse aurait en effet été plus souvent due à la négligence qu’au décès du contractant, et cette mesure aurait été lourde en termes de coûts de gestion pour les assurés.
C’est pourquoi je souhaite avoir des précisions sur les dispositions que la commission a intégrées à l’article 1er concernant la recherche annuelle. Qui fixera les modalités pratiques de cette dernière ? Sera-t-elle obligatoire même si l’assuré a été, dans l’année, en contact avec sa compagnie d’assurance pour un autre contrat d’assurance, pour son automobile ou son habitation, par exemple, ou avec la banque auprès de laquelle il a souscrit le contrat d’assurance sur la vie, car il s’agit, comme c’est majoritairement le cas, de celle où il a ouvert un compte bancaire ?
Je sais que les assureurs ont accepté cette procédure. Toutefois, il nous faut être lucides : ce sont les assurés, c'est-à-dire nous, qui paieront les frais de cette gestion supplémentaire ! Dans ces conditions, autant limiter cette procédure aux seules personnes qui n’ont eu aucun contact avec l’entreprise gestionnaire.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, pourrez-vous m’apporter des précisions à ce sujet ?
Comme je suis fidèle à mes convictions et que j’ai de la suite dans les idées, je regrette que la commission n’ait pas retenu deux dispositions prévues par la proposition de loi initiale, car il s’agit de mesures que j’avais moi-même défendues en 2005 et en 2007.
La première disposition concerne la communication obligatoire annuelle du souscripteur du contrat d’assurance sur la vie. Lui rappeler qu’il doit informer son assureur de son déménagement et qu’il peut modifier ou compléter la clause bénéficiaire faciliterait les choses ! Il me semble cependant que les assureurs pourraient d’eux-mêmes prendre cette initiative qui leur permettrait de tenir à jour leur fichier. Peut-être suffit-il, monsieur le secrétaire d'État, de le leur suggérer avec insistance ? (Sourires.)
La seconde disposition concerne le caractère irrévocable de l’acceptation de la clause bénéficiaire. Certes, depuis la loi de 2007, les assurés sont explicitement prévenus si leur contrat est accepté. Pour autant, en mesurent-ils toujours les conséquences ?
Ce principe me paraît non seulement contraire à tout ce que nous votons pour améliorer la protection de l’assuré, mais également dépassé à une époque où un mariage sur trois se termine par un divorce et où une libéralité accordée à l’âge de trente ans peut vous contraindre pendant cinquante ou soixante ans, eu égard à l’allongement de la durée de la vie.
Je continue donc à contester l’existence de cette clause dans les contrats d’assurance sur la vie, et je me réjouis de constater que nous sommes maintenant au moins deux dans ce cas ! (Sourires.)
Certes, cette clause tombera en partie en désuétude, grâce aux dispositions de la loi de 2007, mais cela ne concerne que les nouveaux contrats. J’ai toujours en mémoire le cas de personnes âgées qui ne peuvent faire face à leurs dépenses courantes, car l’acceptant ne donne pas son accord, même pour un rachat partiel.
Et si j’ai la consolation de constater que, trois ans après, la commission réserve le même sort à la mesure proposée par Hervé Maurey qu’à la mienne, cela ne me satisfait pas vraiment.
Monsieur le secrétaire d'État, pour les contrats d’assurance sur la vie, n’y aurait-il pas moyen de moduler cette clause et de permettre des rachats partiels et limités, par exemple à l’issue d’un délai de vingt ans ?
Enfin, j’approuve tout à fait la position de la commission concernant la création d’une nouvelle profession agréée. Ces personnes qui, depuis 2005, m’écrivent, m’agressent parfois, parce que nous, législateurs, ne leur offrons pas sur un plateau un marché nouveau, me paraissent nettement moins fiables que des assureurs contraints par la loi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette discussion générale et avant que nous n’abordions l’examen des amendements, je répondrai à l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés.
Je me félicite tout d’abord de l’unanimité qui semble se dégager sur l’ensemble des travées. C’est toujours très agréable, et je m’en réjouis d’autant plus que j’ai eu ce privilège à plusieurs reprises. (Sourires.)
Monsieur Détraigne, j’aurai l’occasion de vous répondre plus précisément lors de l’examen des amendements dont vous êtes cosignataire.
Madame Klès, je partage votre souci : l’assuré doit conserver la maîtrise de son capital. C'est la raison pour laquelle la loi du 17 décembre 2007, mentionnée également par Mme Procaccia, a réformé le fonctionnement de la clause bénéficiaire pour prévoir que celle-ci ne puisse devenir irrévocable qu’à la condition qu’elle soit signée par l’assuré et par le bénéficiaire. Ainsi, cette clause ne pourra plus se retourner contre l’assuré.
Vous avez aussi proposé que l’assureur soit tenu d’enregistrer les nom et adresse des bénéficiaires, lorsque ceux-ci sont nommément désignés. Cette précaution utile n’a toutefois pas besoin d’être ajoutée, puisqu’elle figure déjà à l’article A 132-9 du code des assurances qui prévoit également que le contrat doit comporter une information sur les conséquences de la désignation du ou des bénéficiaires. Cet article dispose : « Il est indiqué au souscripteur ou à l’adhérent que, lorsque le bénéficiaire est nommément désigné, il peut porter au contrat les coordonnées de ce dernier qui seront utilisées par l’entreprise d’assurance en cas de décès de l’assuré ».
Mme Virginie Klès. Et la date et le lieu de naissance ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Madame Troendle, je vous remercie du soutien que, comme d’autres, vous avez apporté à ce texte.
Monsieur Sueur, vous m’avez interpellé sur les contrats obsèques. La pleine et entière application des lois est une obligation, vous l’avez rappelé.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ce gouvernement, comme d’autres, bien sûr, y est particulièrement attentif.
M. Jean-Pierre Sueur. Excellent !
Mme Catherine Procaccia. Excellent gouvernement ? (Sourires.)
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. La loi relative à la législation funéraire que vous avez citée n’échappe pas à cette règle.
Toutefois,...
M. Jean-Pierre Sueur. Ah ! J’attendais ce « toutefois » ! (Nouveaux sourires.)
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. ... il demeure que cette disposition est contraire à une directive européenne qui fixe les exigences prudentielles des assureurs.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une position que nous ne partageons pas !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous sommes face à un conflit d’objectifs entre, d’une part, la directive européenne qui vise à garantir la solidité des assureurs afin que l’assureur soit encore là le jour où il doit payer le bénéficiaire et, d’autre part, la loi du 19 décembre 2008 qui tend à prévoir une clause d’indexation généreuse.
Les assureurs souhaitent engager un dialogue pour résoudre ce conflit entre la norme nationale et la norme européenne. Le risque est que la Commission européenne remette en cause la loi dont vous êtes à l’origine.
M. Jean-Pierre Sueur. Pour le moment, elle ne l’a pas fait !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Un dialogue permettrait probablement d’aboutir au résultat que vous souhaitez.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais apporter.
Mme Catherine Procaccia. Qu’en est-il des avoirs des banques ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je vous remercie encore une fois du climat consensuel qui préside à l’examen de cette proposition de loi.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
Article 1er
I. – Le I de l’article L. 132-9-3 du code des assurances est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elles s’informent selon une périodicité au moins annuelle pour les contrats dont la provision mathématique est égale ou supérieure au montant visé au premier alinéa de l’article L. 132-22 du présent code. »
II. – Le I de l’article L. 223-10-2 du code de la mutualité est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elles s’informent selon une périodicité au moins annuelle lorsque les capitaux garantis sont égaux ou supérieurs au montant visé au premier alinéa de l’article L. 223-21. »
Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.
Article 1er bis (nouveau)
I. – Le code des assurances est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 132-9-3, il est inséré un article L. 132-9-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-9-4. – Les organismes professionnels mentionnés à l’article L. 132-9-2 publient chaque année un bilan de l’application des articles L. 132-9-2 et L. 132-9-3. » ;
2° Après l’article L. 344-1, il est inséré un article L. 344-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 344-2. – Les entreprises d'assurance mentionnées au 1° de l'article L. 310-1 du présent code ainsi que les institutions de prévoyance et unions régies par le titre III du livre IX du code de la sécurité sociale retracent, dans un état annexé à leurs comptes, les démarches qu’elles ont effectuées au cours de l’exercice correspondant au titre des articles L. 132-9-2 et L. 132-9-3, ainsi que les sommes dont le versement au bénéficiaire est résulté de ces démarches. »
II. – Le code de la mutualité est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 223-10-2, il est inséré un article L. 223-10-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 223-10-3. – Les organismes professionnels mentionnés à l’article L. 223-10-1 publient chaque année un bilan de l’application des articles L. 223-10-1 et L. 223-10-2. » ;
2° Après l’article L. 114-46, il est inséré un article L. 114-46-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 114-46-1. – Les mutuelles et unions ayant pour objet la réalisation d'opérations d'assurance mentionnées au b du 1° du I de l'article L. 111-1 retracent, dans un état annexé à leurs comptes, les démarches qu’elles ont effectuées au cours de l’exercice correspondant au titre des deuxième et dernier alinéas de l’article L. 223-10-1 et de l’article L. 223-10-2, ainsi que les sommes dont le versement au bénéficiaire est résulté de ces démarches. »
Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Maurey, Détraigne et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
, qui comporte le nombre et l'encours des contrats d'assurance sur la vie, souscrits auprès de leurs membres, répondant à des critères fixés par arrêté du ministre chargé de l'économie, dont les capitaux ou les rentes dus n'ont pas été versés au bénéficiaire
II. - Alinéa 8
Compléter cet alinéa par les mots :
, qui comporte le nombre et l'encours des contrats d'assurance sur la vie, souscrits auprès de leurs membres, répondant à des critères fixés par arrêté du ministre chargé de l'économie, dont les capitaux ou les rentes dus n'ont pas été versés au bénéficiaire
La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Je souhaiterais à mon tour remercier tous les orateurs, qui ont dans l’ensemble apporté leur soutien à cette initiative. Je me réjouis aussi des échanges extrêmement positifs et consensuels qui ont eu lieu, y compris avec nos collègues de l’opposition.
Cet amendement n° 4 rectifié bis, auquel j’ai fait référence lors de la discussion générale, me paraît fondamental, puisqu’il tend à ce que nous disposions enfin de chiffres réels et fiables sur la situation des contrats d’assurance vie non réclamés. Il vise à nous libérer de ce que certains ont appelé le « fantasme », ou d’autres, « le monstre du Loch Ness », en connaissant enfin la réalité des choses.
L’amendement, tel qu’il vous est proposé, prévoit que l’AGIRA communique chaque année le nombre total des contrats d’assurance vie, ainsi que leur encours. Il prévoit également que la notion de « contrats d’assurance vie », qui doit bien répondre à un critère, soit définie par un arrêté du ministre chargé de l’économie.
À ce sujet, j’avais imaginé, dans une version initiale, un critère qui me semblait pertinent. Il consistait à considérer comme contrat non réclamé tout contrat souscrit par une personne décédée depuis plus d’un an. En effet, comme vous le savez, le droit successoral dispose que la succession doit être déclarée dans les six mois suivant le décès. Au bout d’un an, on pourrait donc considérer qu’un contrat qui n’a pas été réclamé est par définition un contrat non réclamé.
Certains m’ont fait remarquer que le critère n’était pas pertinent, et comme je ne voulais pas que la définition du critère soit un facteur bloquant, j’ai accepté qu’on remplace le critère par un renvoi à un arrêté du ministre chargé de l’économie. Néanmoins, lorsque vous me répondrez, monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais que vous puissiez vous engager sur le fait que cet arrêté précisant les critères définissant la notion de contrat d’assurance vie non réclamé sera pris dans des délais raisonnables, et ne se fera pas attendre des mois, voire davantage.
Comme vous souhaitez que cet arrêté soit pris en concertation avec l’ensemble des parties intéressées, je pense que rien n’interdit, avant même l’adoption définitive de ce texte par l’Assemblée nationale, de se pencher sur cette question. Je le répète, il faut que nous puissions très rapidement savoir si le chiffre réel est plus proche de sept cents millions ou de cinq milliards d’euros. L’opacité dans laquelle nous nous trouvons n’est pas tolérable, et cet amendement doit permettre d’en sortir.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 5, présenté par M. Sueur, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Supprimer les mots :
répondant à des critères précisés par arrêté du Ministre en charge de l'économie,
II. - Alinéa 6
Supprimer les mots :
répondant à des critères précisés par arrêté du Ministre en charge de l'économie,
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je vais bien sûr présenter ce sous-amendement, vous me permettrez cependant, à cette occasion, de revenir sur les propos de M. le secrétaire d’État.
En effet, monsieur le secrétaire d’État, vous m’avez ressorti en la matière la vulgate de Bercy, que je connais parfaitement puisqu’elle me fut expliquée à maintes reprises.
Or, tout d’abord, je voudrais vous faire observer que la directive que vous citez précise expressément que les dispositions qu’elle contient ne s’appliquent pas aux contrats d’assurance obsèques. C’est un point de fait ! La vulgate de Bercy, je le sais, dit aussi que je lis mal ; mais, que voulez-vous, moi, je lis cela !
Ensuite, je vous ferai remarquer que, à ma connaissance, les instances européennes ne se sont en rien émues de cette affaire. Je demande donc, tout simplement, que vos collègues ministres de Bercy et vous-même fassiez en sorte que la loi s’applique. Si les instances européennes nous saisissent par la suite, alors nous verrons bien ; mais pour le moment, elles ne nous saisissent pas. Je ne fais absolument pas la même interprétation de cette directive qui ne concerne pas les contrats d’assurance obsèques.
Par ailleurs, il n’est tout de même pas excessif de demander qu’une somme qui est déposée soit revalorisée au taux légal. Il ne s’agit pas d’un taux usuraire, mais bien du taux légal, et cette disposition a été adoptée par le Parlement ! Aussi, je demande seulement que ce qui a été voté par le Parlement soit appliqué : cela me paraît très simple.
Monsieur le secrétaire d’État, vous vous donnez beaucoup de souci avec cette histoire de contrat d’assurance obsèques, alors qu’il suffirait que vous ne fassiez rien d’autre que d’appliquer la loi.
Au travers de ce sous-amendement, que j’ai l’honneur de présenter, je veux aussi vous simplifier la tâche. Vous pouvez constater que ma sollicitude est grande à votre égard. (Sourires.) En effet, M. Maurey a prévu que les organismes concernés devraient publier des informations sur le nombre et l’encours des contrats en déshérence, qui n’auront pas donné lieu à versement, selon des critères précisés par arrêté du ministre en charge de l’économie. Je propose tout simplement de supprimer le dernier membre de phrase relatif aux critères.
Moins de travail, plus de simplicité, une loi qui s’applique directement ! Finalement, monsieur le secrétaire d’État, ce que nous demandons est simple. Premièrement, combien de contrats n’ont pas donné lieu à versement ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh bien, tous ceux qui sont souscrits !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un chiffre. Il suffit de le publier.
Deuxièmement, quel est l’encours correspondant aux contrats qui n’ont pas donné lieu à versement ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tous ceux qui sont en cours !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un autre chiffre. Il suffit donc que, tous les ans, chaque organisme publie deux chiffres. Ainsi, nous atteignons le niveau de transparence souhaitable. Je crois donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne verrez que des avantages à ce sous-amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. Au travers de cet amendement et de ce sous-amendement, nous touchons à la définition de la notion de contrat non réclamé.
Le phénomène des contrats non réclamés, nous l’avons dit voilà quelques instants, suscite beaucoup de débats, voire des fantasmes. En tout état de cause, il y aura toujours un flux de contrats pour lesquels le délai de versement des sommes est supérieur à la moyenne, en particulier lorsque l’identification et la recherche du bénéficiaire prennent beaucoup de temps.
Peut-on dire pour autant que de tels contrats sont d’authentiques contrats en déshérence ? Si je devais me risquer à une définition d’un contrat en déshérence, je dirais qu’il s’agit d’un contrat pour lequel l’assureur ne recherche pas le bénéficiaire alors qu’il sait que l’assuré est décédé, ou qu’il devrait le savoir, quel que soit le capital et le montant souscrit. (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
Pour répondre à la remarque précédente de M. Hervé Maurey, permettez-moi de dire quelques mots sur la raison pour laquelle nous n’étions pas favorables au critère des douze mois.
Nous avons inscrit à l’article 1er une obligation de consulter AGIRA annuellement. Prenons le cas d’une personne qui décéderait au mois de mai alors que l’assureur aurait consulté le fichier pour cette personne au mois d’avril. Cela veut dire qu’il y a potentiellement un risque que l’assureur n’ait connaissance du décès que dans dix, onze ou douze mois. (M. le secrétaire d’État opine.)
S’agit-il pour autant d’un contrat en déshérence ? Si nous devions aller jusqu’au bout de cette logique, il faudrait pratiquement exiger une consultation d’AGIRA tous les jours ! On voit bien que la consultation annuelle apporte déjà quelque chose de positif et de très concret ; cependant, il existe forcément un décalage entre le moment du décès et le moment de la consultation.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on sait que la personne est décédée que l’on connaît immédiatement le bénéficiaire du contrat. Et même lorsqu’on a connaissance du bénéficiaire, certains cas sont plus compliqués que d’autres. Comme cela a été évoqué tout à l’heure par un certain nombre de collègues, la clause n’est pas toujours très claire. C’est pourquoi le critère des douze mois ne nous paraissait pas particulièrement opérant.
Pour autant, il nous semble souhaitable d’arriver à une définition du contrat en déshérence. C’est pourquoi l’amendement présenté par M. Maurey nous convient tout à fait.
Monsieur Sueur, si j’examine votre sous-amendement, je crains que nous n’arrivions exactement à l’effet inverse de ce que vous recherchez. En effet, pour définir ce qu’est un contrat en déshérence, je fais pour ma part plus confiance au ministre et à son administration, au moyen d’un arrêté, qu’aux acteurs de l’assurance ! N’y voyez pas un acte de défiance à leur endroit ; cependant, comme un certain nombre d’entre vous nous l’ont expliqué, il y aurait peut-être quelques négligences.
J’estime donc tout à fait essentiel de maintenir l’amendement de M. Maurey en l’état, parce qu’il répond à votre souci, monsieur Sueur.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur le sous-amendement et un avis favorable sur l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur Sueur, malgré le désir que j’aurais de vous être agréable (Sourires.) – désir qui, comme vous le savez, m’assaille souvent, bien que, force est de le reconnaître, il soit parfois fugace (Nouveaux sourires.) –, je veux vous répondre, en premier lieu, sur les frais d’obsèques.
Tout d’abord, parler de « vulgate de Bercy » à propos des fonctionnaires qui travaillent au ministère de l’économie est difficilement acceptable.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne mettais nullement en cause les fonctionnaires, monsieur le secrétaire d’État !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je me dois de défendre les fonctionnaires de Bercy devant certaines paroles quelque peu délicates à prononcer...
M. Jean-Pierre Sueur. Mais le mot « vulgate » n’est pas péjoratif !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Parfois, si ! Et, en l’occurrence, le mot était plus péjoratif que laudatif. En termes de sémantique, je suis sûr d’avoir raison !
Mais je voudrais surtout réaffirmer que la direction des affaires juridiques de Bercy confirme que la directive européenne s’applique à la question de revalorisation des contrats d’assurance obsèques.
M. Jean-Pierre Sueur. Je l’avais compris !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Cependant, je suis prêt à organiser une concertation entre la direction des affaires juridiques et vos équipes pour que nous puissions aboutir à quelque chose de plus clair.
M. Jean-Pierre Sueur. Merci !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Alors M. Sueur retire son sous-amendement. (M. le secrétaire d’État sourit.)
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Enfin, concernant votre sous-amendement, j’attire votre attention sur le fait que l’amendement de M. Maurey prévoit que les assureurs devront publier chaque année le montant des contrats non réclamés répondant à des critères fixés par arrêté. Ce faisant, nous visons à provoquer le versement de l’encours des contrats en déshérence à leurs bénéficiaires.
De votre côté, vous proposez la publication de la totalité des contrats non réclamés. Or, comme l’a excellemment indiqué le rapporteur de la commission des lois, tout contrat non réclamé n’est pas forcément un contrat en déshérence.
Je vais vous donner un exemple. Lorsqu’un assuré décède – cela a été indiqué par Dominique de Legge – et que son conjoint est bénéficiaire, celui-ci mettra peut-être plusieurs mois après le décès avant de réclamer le bénéfice du contrat. Pour autant, ce contrat n’est pas en déshérence ; et donc, finalement, votre sous-amendement plein de bonne volonté impose la publication d’un nombre de contrats bien plus grand à terme que les seuls contrats en déshérence.
Comme le précisait M. le rapporteur, votre sous-amendement risque de provoquer un effet d’optique et d’alimenter, au sujet du montant des contrats non réclamés, les fantasmes du trésor de Monte-Cristo. C’est pourquoi je suis au regret, monsieur le sénateur, d’indiquer que le Gouvernement est défavorable à votre sous-amendement.
En revanche, il émet un avis favorable sur l’amendement de M. Maurey. Nous savons qu’il existe aujourd’hui un débat sur le montant des contrats non réclamés. Comme l’a dit le rapporteur M. de Legge, les estimations varient entre sept cents millions et cinq milliards d’euros. Votre amendement, monsieur Maurey, vise à mettre fin au débat en demandant à l’AGIRA de publier chaque année le montant des contrats répondant à un certain nombre de critères fixés par arrêté. C’est, je crois, une grande avancée en ce qui concerne la transparence, maître mot de nos débats sur cette question des contrats non réclamés.
Monsieur le sénateur, vous me demandez de publier rapidement l’arrêté qui fixera ces critères. Je prends ici l’engagement que cet arrêté sera publié dans les trois mois qui suivront la publication de la loi. (M. Hervé Maurey fait un signe de satisfaction.) Je le ferai, bien sûr, après concertation avec les associations de consommateurs et les assureurs, pour définir les critères pertinents. Voilà les engagements que je voulais prendre au nom du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote
Mme Catherine Procaccia. Je voudrais non seulement expliquer mon vote sur l’amendement de M. Maurey, mais aussi évoquer l’arrêté du ministre.
Je m’interroge beaucoup sur la définition de ces contrats non réclamés : à partir du moment où l’assureur, après consultation du fichier, sait que la personne est décédée, il a normalement l’obligation de rechercher le bénéficiaire, qui peut se trouver à l’étranger, ou ne pas avoir de coordonnées. Cependant, cela me paraît concerner un nombre de cas très limité. Aussi, je ne vois pas en quoi cet amendement représente un apport substantiel, hormis pour permettre de nouveau aux médias de publier des chiffres impossibles deux fois par an.
Je veux bien faire confiance à la vigilance du ministère, mais je préfère m’abstenir sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Je rejoins les propos de M. Sueur sur les contrats d’assurance obsèques, car il me paraît en effet anormal qu’une telle disposition ne soit pas appliquée.
Naturellement, je partage son souhait de rendre le dispositif immédiatement applicable, et, sur le principe, je ne peux que souscrire à son sous-amendement. Cela étant, d’un point de vue juridique, je vois mal comment l’on pourrait s’exonérer d’une définition des critères.
Il ne faut surtout pas confondre assurance vie non versée et assurance vie non réclamée : ce n’est pas la même chose. Très souvent, c’est précisément parce que le bénéfice de l’assurance vie est réclamé par plusieurs personnes que celle-ci n’est pas versée, en raison de conflits dans la succession.
Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État de nous avoir donné des assurances très fortes, en nous garantissant que l’arrêté sera pris dans les trois mois suivant la publication de la loi. Il s’agit d’un engagement extrêmement important, et j’espère que les parlementaires qui ont travaillé sur le sujet pourront être associés à la réflexion.
Compte tenu de tous ces éléments et de la position exprimée par la commission des lois, je ne voterai pas le sous-amendement de M. Sueur. Bien entendu, je soutiendrai mon amendement. (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Maurey, Détraigne et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 5
Après les mots :
les démarches
insérer les mots :
, y compris le nombre de recherches ainsi que le nombre et l'encours des contrats correspondants,
II. - Alinéa 10
Après les mots :
les démarches
insérer les mots :
, y compris le nombre de recherches ainsi que le nombre et l'encours des contrats correspondants,
La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Par cet amendement de clarification rédactionnelle, le groupe centriste souhaite simplement exprimer son souci de voir préciser à l'article 1er bis la portée des démarches effectuées. Celles-ci doivent en effet nous permettre de connaître, chaque année, le nombre de recherches mises en œuvre ainsi que le nombre et l’encours des contrats correspondants.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. M. Maurey vient de le dire, il s’agit d’un amendement de précision. À la vérité, la rédaction actuelle de l'article fait déjà obligation aux assureurs de publier leurs statistiques. Néanmoins, dans la mesure où le débat que nous venons d’avoir a posé avec insistance l’exigence de transparence en la matière, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le Gouvernement, comme la commission, est favorable à l’adoption de cet amendement, qui permettra d’apporter une précision utile, de nature à garantir que l’objectif d’une plus grande transparence de la part des assureurs sera plus facilement atteint.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er bis, modifié.
(L'article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
(Supprimé)
Article 4
(Supprimé)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bravo !
8
Accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la proposition de loi tendant à faciliter l’accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux, présentée par M. Nicolas About et Mme Sylvie Desmarescaux (proposition n° 190, texte de la commission n° 397, rapport n° 396).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Desmarescaux, coauteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales.
Mme Sylvie Desmarescaux, coauteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont M. Nicolas About a pris l’initiative et que j’ai cosignée, vise à remédier aux difficultés que rencontrent actuellement les étudiants en travail social pour trouver des structures d’accueil acceptant de les prendre en stage.
Elle s’inscrit dans un contexte qu’il me paraît important de rappeler pour bien comprendre le sens de notre démarche.
Nous le savons, les stages permettent aux étudiants non seulement de mettre en œuvre les connaissances qu’ils ont acquises dans le cadre des enseignements théoriques, mais aussi de leur donner une expérience du monde professionnel et de ses métiers. Ils apportent aux jeunes, outre un premier contact effectif avec le monde du travail, un complément de formation et une expérience qu’ils peuvent valoriser lors de leur entrée dans la vie active.
De leur côté, les structures d’accueil ont tout intérêt à faire découvrir aux étudiants leur secteur d’activité, d’autant que les stagiaires sont souvent en mesure de leur apporter un petit complément de main-d’œuvre bien utile.
Cependant, l’expérience a montré que certains stages peuvent être utilisés comme une modalité de pré-embauche, ou même correspondre à un véritable emploi mais sans contrat de travail. Les abus constatés nous ont conduits à encadrer le déroulement des stages.
Ainsi, l’article 9 de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, qui vise les stages en entreprise réalisés dans le cadre du cursus pédagogique des étudiants en formation initiale – hors apprentissage –, prévoit : d’une part, la conclusion d’une convention de stage entre l’entreprise d’accueil, le stagiaire et son établissement d’enseignement, afin de prémunir les étudiants contre les pratiques abusives et de leur assurer de bonnes conditions de travail durant leur stage : d’autre part, la gratification des étudiants lorsque la durée de leur stage est supérieure à trois mois consécutifs. On peut en effet considérer qu’un stage effectué sur une longue période permet aux étudiants de dépasser le simple niveau de familiarisation avec leur futur secteur professionnel et que ces derniers doivent être rétribués pour le travail accompli. Outre, bien évidement, le remboursement des frais liés au stage – je citerai comme exemple les frais de transport et de restauration –, l’étudiant reçoit donc une gratification correspondant à sa participation dans la vie de l’entreprise.
Je précise que nous devons le choix du terme « gratification » au rapporteur du texte qui est devenu la loi pour l’égalité des chances, Alain Gournac, membre de notre commission des affaires sociales, par analogie avec le nom de la rémunération des jeunes en première phase de formation d’apprenti junior, cette rémunération n’ayant pas le caractère juridique d’un salaire.
Depuis 2006, la réglementation des stages a fait l’objet de trois modifications importantes.
En 2008, la mesure a été élargie, par décret, aux stages effectués au sein d’une association, d’une entreprise publique ou d’un établissement public à caractère industriel et commercial.
Cette extension s’est poursuivie en 2009 puisqu’un décret a prévu la même gratification pour les stagiaires accueillis dans les établissements publics de l’État et les administrations.
Enfin, la récente loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a ramené de trois à deux mois consécutifs la durée minimale du stage à compter de laquelle une gratification est due au stagiaire.
J’en viens à l’application concrète de ces mesures : ont-elles été favorables aux étudiants ? Il faut bien le reconnaître, elles n’ont pas eu que des effets positifs.
L’expérience montre en effet que la gratification des stages a entraîné, à l’usage, un résultat contre-productif : la restriction sensible de l’offre de stages. Sont particulièrement concernés les secteurs sanitaire, social et médico-social, pour lesquels les stages de longue durée occupent une part importante de la formation des étudiants et doivent obligatoirement être validés pour l’obtention des diplômes.
Il s’avère que de nombreuses structures d’accueil se sont désengagées de la formation des étudiants, estimant ne pas disposer des moyens financiers suffisants pour assumer les dépenses de gratification. Faute de proposition, de plus en plus de jeunes se retrouvent donc dans l’incapacité de valider des stages longs et d’achever leur cursus pédagogique. À terme, leur formation se trouve ainsi menacée.
Paradoxalement, cette situation a conduit certains étudiants à s’élever contre la gratification, pourtant destinée à leur apporter un soutien financier au cours de leurs études et, ainsi, à les protéger.
Nous avons déjà pu le constater lors de l’examen du texte qui est devenu la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », de la part des étudiants en orthophonie qui, face à la pénurie d’offres, demandaient à être exemptés de l’obligation de gratification lors de leurs stages. Le texte définitif, à l’article 59 de la loi, a d’ailleurs accordé cette exemption à l’ensemble des étudiants auxiliaires médicaux pour les mêmes motifs.
M. Jean-Pierre Godefroy. Ce n’est pas ce que l’on a fait de mieux !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Désormais, le mouvement de contestation provient des étudiants travailleurs sociaux : ces deux dernières années, tous les centres de formation en travail social ont été affectés, à des degrés divers, par des mouvements de grève et de blocage des cours ; de nombreuses manifestations d’étudiants ont été organisées à Paris et en province, et ce encore très récemment.
Je rappelle que les travailleurs sociaux suivent une formation pour être assistants de service social, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, conseillers en économie sociale et familiale, assistants familiaux ou encore auxiliaires de vie sociale. Dans leur cursus pédagogique, enseignement théorique et formation pratique alternent à quasi-parité.
Les employeurs du secteur social et médico-social se sont engagés et ont su prendre toute leur part dans ce dispositif d’alternance, qui a d’ailleurs démontré sa pertinence et son efficacité en termes d’apprentissage des métiers et d’insertion professionnelle.
Or, ce système est aujourd’hui menacé par la pénurie de stages suscitée par l’obligation de gratification, qui a créé trois difficultés.
La première tient à l’inégalité entre le public et le privé.
Initialement, seuls les établissements et services sociaux et médico-sociaux de droit privé – ils sont le plus souvent gérés par une association – étaient tenus de rétribuer les stagiaires ; ce n’était pas le cas des administrations et des établissements publics administratifs. Il en résultait une inégalité de traitement entre les étudiants effectuant leurs stages dans le privé et ceux qui avaient choisi de les réaliser dans le public.
Depuis lors, ce problème a été en partie résolu, puisque le champ d’application de l’obligation de gratification a été étendu en 2009 aux administrations et établissements publics de l’État. En revanche, cette obligation ne concerne toujours pas les administrations territoriales et les établissements publics qui leur sont rattachés.
La deuxième difficulté a trait à l’appauvrissement quantitatif et qualitatif des lieux de stage.
Dès la mise en place des gratifications, les établissements et services sociaux et médico-sociaux ont fait savoir qu’ils rencontreraient des difficultés pour assumer cette nouvelle charge financière. Il s’est ensuivi un net désengagement de leur part dans l’accueil des étudiants en travail social.
À cet égard, la raréfaction de l’offre concerne essentiellement les établissements sociaux et médico-sociaux de droit privé, puisque ce sont les premiers à avoir été soumis à l’obligation de rétribution des stagiaires. Le secteur associatif, gestionnaire historique de ces structures, a été contraint soit de chercher de nouveaux financements, soit de se désengager de la formation.
Cette réduction de l’offre apparaît moins sensible dans les établissements sociaux et médico-sociaux financés par l’État – celui-ci a encouragé ces derniers à assumer la charge de la rémunération – que dans ceux qui sont financés par les départements.
Elle se traduit par la diminution du nombre de stages longs au profit des stages courts, qui sont, bien évidemment, moins propices à l’acquisition de connaissances pratiques approfondies.
Enfin, le troisième écueil concerne la remise en cause des projets personnels de formation.
Il est demandé à chaque étudiant en travail social de s’engager dans un processus de formation personnalisée destiné à lui donner une vision d’ensemble des secteurs où il pourra être amené à intervenir à l’avenir.
La contraction de l’offre de stage a fortement altéré ce processus. Actuellement, il n’est pas rare que les étudiants soient contraints d’accepter des stages sans rapport avec les impératifs pédagogiques de leur formation, uniquement pour respecter l’obligation qui leur est faite d’en réaliser un certain nombre.
Il est malheureusement clair que le principal obstacle à l’accueil des stagiaires est d’ordre financier : les établissements sociaux et médico-sociaux ne s’estiment pas en mesure de prendre en charge les dépenses de gratification.
Aussi, pour répondre à leurs inquiétudes, la DGAS, la direction générale de l’action sociale, a pris en 2008 deux circulaires destinées à préciser les modalités de financement de la mesure.
Celles-ci rappellent tout d’abord que la gratification « constitue une dépense qui s’impose aux employeurs qui les accueillent et, partant, à vocation à être couverte par les tarifs ». Autrement dit, elle doit être prise en charge par les budgets des établissements.
Elles indiquent ensuite que, s’agissant des ESMS, les établissements et services médico-sociaux financés par l’État, via l’assurance maladie, il appartient aux DRASS et aux DDASS, les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales, de prendre en compte ces dépenses dans le cadre des financements qu’elles leur octroient.
Pour ce qui concerne les ESMS tarifés par les conseils généraux, la DGAS se contente de rappeler que les dépenses afférentes aux gratifications sont imputables sur les budgets. Elle estime donc avoir pris, selon ses termes, « les dispositions nécessaires » pour que l’accueil des stagiaires ne se heurte pas à un obstacle financier, du moins pour ce qui relève des structures financées par l’État.
Malgré les recommandations des syndicats d’employeurs, les efforts des services de l’État et l’engagement d’un certain nombre de conseils généraux, les établissements de formation en travail social continuent de rencontrer de sérieuses difficultés pour garantir les temps de formation pratique, du fait – j’y insiste – d’une diminution du nombre de lieux de stages.
C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Celle-ci vise un unique objectif : permettre aux étudiants travailleurs sociaux d’achever leur cursus et d’obtenir leur diplôme au moment où le secteur social et médico-social connaît d’importants besoins de recrutement.
Son dispositif s’inspire directement de la solution retenue pour les auxiliaires médicaux dans la loi HPST : exclure les stages intégrés à la formation des étudiants travailleurs sociaux de l’obligation de gratification, à l’exception, bien évidemment, des indemnités justifiées par les contraintes liées à ces stages.
À court terme, cette solution nous semble la plus à même de faciliter rapidement l’accès aux stages.
Cependant, elle ne peut être que temporaire, car il n’est, bien sûr, pas question de remettre en cause le principe de gratification que la commission a vigoureusement soutenu en 2006. Je suis, et vous l’êtes aussi sûrement, très attachée aux objectifs qui lui ont été assignés, notamment l’amélioration des conditions de vie des étudiants.
La mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes, dont j’ai fait partie, a montré combien la précarité étudiante était une réalité alarmante : un jeune de dix-huit à vingt-quatre ans sur cinq dispose de revenus inférieurs au seuil de pauvreté – inférieur donc à 800 euros par mois –, ce qui représente plus de 1 million de personnes.
L’objectif n’est donc pas de « démonter » progressivement, secteur par secteur, l’obligation de gratification, mais de chercher les moyens d’en atténuer les effets contre-productifs et de faire en sorte que les structures d’accueil soient en mesure d’assurer leurs obligations légales.
En décembre dernier, l’IGAS a été chargée d’évaluer l’incidence de la réglementation des stages, ce qui suppose, au-delà de la question de la gratification, d’engager aussi une réflexion sur l’organisation du cursus pédagogique des étudiants travailleurs sociaux. Après un point d’étape prévu pour mai, l’IGAS devrait remettre son rapport définitif en juillet prochain.
M. Jean-Pierre Godefroy. Alors, attendons !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Pour ces motifs, et à la suite d’une longue discussion, la commission a adopté, sur ma proposition, un amendement visant à suspendre temporairement la gratification des stages des étudiants travailleurs sociaux, cela jusqu’au 31 décembre 2012, et à demander au Gouvernement le bilan de la mise en œuvre de cette mesure de suspension, en incluant l’étude des conditions dans lesquelles les conseils régionaux pourraient ensuite prendre en charge le remboursement de la gratification des stagiaires.
Cette solution a le mérite, d’une part, d’apporter une réponse immédiate à la pénurie de l’offre de stages, d’autre part, de laisser le temps d’étudier les pistes d’aménagement possibles du financement de l’obligation de gratification dans le secteur social et médico-social.
Aussi la commission vous demande-t-elle, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi dans la rédaction qu’elle a retenue. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. Madame la présidente, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a très tôt voulu préciser une situation perçue souvent comme « trop floue » ou « dépourvue de cadre juridique clair », à savoir celles des étudiants stagiaires.
Ces périodes de mise en contact avec leurs futures réalités professionnelles sont essentielles pour les étudiants. Mais, dans les faits, certaines pratiques étaient discutables, pour ne pas dire abusives.
Sans revenir sur l’ensemble des raisons qui nous ont conduits à élaborer un cadre juridique clair et précis pour les étudiants stagiaires, je rappellerai quelques-unes des grandes caractéristiques du cadre construit depuis la loi pour l’égalité des chances, texte dont l’examen en première lecture par le Sénat s’était achevé le 5 mars 2006.
Je veux évoquer aussi une difficulté d’application, dans un secteur précis, à laquelle cette proposition de loi apporte une solution aussi efficace que réfléchie.
Il s’agit en effet d’être efficace au plus vite pour répondre au désarroi des étudiants travailleurs sociaux : faute de stage, certains des 29 700 étudiants travailleurs sociaux actuellement en formation pourraient ne pas être diplômés à l’issue de leur cursus. Pour autant, il ne s’agit pas d’apporter une réponse de circonstance ou de renoncer trop rapidement à l’application d’une mesure dont le bien-fondé n’est pas en cause. Nous devons prendre le temps de l’analyse et de la réflexion, pour inscrire la réalisation des stages des travailleurs sociaux dans une perspective claire, précise et pérenne, point sur lequel je reviendrai.
Au préalable, je souhaite redire ici tous les efforts que ce gouvernement a faits pour doter les stages d’un cadre juridique, dans l’intérêt des étudiants mais aussi des entreprises et établissements d’accueils.
Depuis plusieurs années, les étudiants avaient alerté les pouvoirs publics sur l’imprécision des règles juridiques applicables aux périodes de stages. Ne relevant pas vraiment d’un contrat de travail mais plus vraiment de la formation initiale, ces périodes tombaient dans une zone de flou relatif.
De nombreuses entreprises accueillant des stagiaires s’en plaignaient régulièrement, et plusieurs questions ont été posées ici même à ce sujet.
D’autres entreprises, plus rares, profitaient de cette situation pour accueillir des stagiaires pour des périodes de stage qui ou n’avait aucune valeur pédagogique, ou aurait justifié la conclusion d’un contrat de travail.
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. La loi pour l’égalité des chances a mis un terme à cette situation.
Désormais, la conclusion d’une convention de stage entre l’entreprise d’accueil, l’établissement de formation et l’étudiant stagiaire est rendue obligatoire, de même que l’existence d’une gratification des étudiants stagiaires.
Il s’agissait par là de reconnaître que l’activité des étudiants était productive d’une certaine forme de valeur pour l’entreprise ou l’établissement d’accueil et que cette valeur devait être reconnue à défaut d’être rémunérée par un salaire. À cet égard, je considère d’ailleurs avec Mme le rapporteur l’appellation « gratification », dont la commission des affaires sociales et, plus particulièrement, Alain Gournac ont l’entière paternité, comme excellente.
Dans un premier temps, cette gratification a été rendue obligatoire pour les seuls stages d’une durée supérieure à trois mois consécutifs, mais, dans le cadre des travaux sur la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, la durée minimale des stages y ouvrant droit a été abaissée à deux mois consécutifs.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris soin, par deux décrets, d’étendre cette obligation de gratification aux stages s’effectuant dans l’immense majorité du secteur public.
Dans ce cadre clair et complet, une exception fut pourtant consacrée aux formations en orthophonie.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Les étudiants concernés ont indiqué que l’obligation de gratification, censée leur profiter en théorie, les pénalisait en réalité.
M. Jean-Pierre Godefroy. Bien sûr que non !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Pourquoi ? Tout simplement parce que les orthophonistes libéraux, qui travaillent souvent seuls mais accueillent beaucoup de stagiaires, ont considéré que cette obligation de gratification n’était pas compatible avec l’état des finances de leur cabinet et qu’elle méconnaissait le temps qu’ils passaient à parachever la formation de l’étudiant.
Il en est résulté une raréfaction de l’offre de stage très importante, conduisant à l’adoption de l’article 59 de la loi « hôpital, patients, santé et territoires », que vous connaissez aussi bien que moi.
Une nouvelle question nous est posée, qui ne concerne plus les auxiliaires médicaux mais bien les étudiants travailleurs sociaux. À cette question, qui mêle désarroi et urgence, il faut répondre vite et de façon efficace.
Pour étayer cette affirmation, je voudrais partager avec vous quatre considérations.
Première considération, les cursus pédagogiques conduisant aux métiers de travailleurs sociaux sont essentiellement construits « en alternance » : la part du temps passé en stage représente près de la moitié du temps total de la formation dans l’essentiel des cursus. Je pense, par exemple, à la formation d’éducateur de jeunes enfants, que je connais bien, qui prévoit un stage de huit mois et trois stages de trois mois chacun ; l’ensemble de ces stages représente plus de 40 % du temps total de leur cursus pédagogique.
Deuxième considération, le passage de trois mois à deux mois de l’obligation de gratification a multiplié par deux le nombre de stages devant donner lieu à gratification : il ne s’agit donc pas d’un simple ajustement à opérer, mais bien d’un bouleversement structurel pour ce secteur. Sur l’ensemble des cursus, cela représente plus de 17 000 stagiaires !
Troisième considération, nombre d’étudiants nous interpellent chaque jour, en tant qu’élu, via les associations ou les syndicats étudiants, sur la raréfaction sans précédent des offres de stages. Cette diminution conduit à privilégier les stages courts au détriment des stages longs, ce qui pénalise l’acquisition de connaissances et leur mise en pratique. Surtout, elle menace jusqu’à l’obtention même du diplôme de certains étudiants qui ne trouvent tout simplement personne pour les accueillir en stage.
Or, et ce sera la quatrième et dernière considération que je souhaitais partager avec vous, à cet impératif de temps s’ajoute un impératif d’activité : il ne s’agit pas simplement de garantir l’accès à un diplôme aux étudiants qui le méritent ; il s’agit également de prendre en compte le fait que nous avons des besoins de recrutement pour les éducateurs spécialisés, les éducateurs de jeunes enfants, les assistants de service social. D’ici à 2015, il faudra ainsi recruter 400 000 personnes dans le secteur médico-social et 60 000 dans celui de la petite enfance !
Il y a donc urgence et la proposition de loi de M. About et de Mme Desmarescaux, que le Gouvernement soutient, répond au désarroi et à l’appel des étudiants…
M. Jean-Pierre Godefroy. Mais non !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. … avec diligence et pragmatisme.
Je voudrais souligner, et j’en terminerai par là, que cette proposition de loi vise effectivement à aménager une salutaire phase de transition pour nous permettre d’asseoir le principe d’une gratification de manière plus stable et plus pérenne encore.
Le souci qui guide cette proposition de loi n’est pas de revenir sur le principe de la gratification des stages, comme cela a pu être craint. Il ne s’agit pas non plus d’ouvrir la porte à de nombreuses exceptions qui videraient, petit à petit, le principe de la gratification de tout contenu tangible. (M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.) Il s’agit encore moins de déconsidérer les étudiants travailleurs sociaux par rapport à d’autres filières de formation, en actant que certains stages devraient être rémunérés et d’autres non.
La détermination du Gouvernement est intacte : ce n’est pas simplement le cadre juridique du stage que nous avons cherché à préciser ; c’est toute la singularité mais aussi la valeur ajoutée du stagiaire que nous avons voulu reconnaître au-delà d’un certain temps passé en situation d’activité. Sur ce point, nous ne transigerons pas.
M. Jean-Pierre Godefroy. Tiens !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. En revanche, nous devons chercher à mieux comprendre les spécificités du secteur social et médico-social, ainsi que les problématiques particulières qu’il rencontre face à cette obligation de gratification.
À l’enjeu de financement auquel chacun pense, se rajoutent sans doute des enjeux d’organisation des établissements de formation en travail social : rares sont, par exemple, ceux qui disposent d’une cellule de recherche de stage au profit de leurs étudiants. L’organisation des cursus elle-même, qui fait une si grande place aux stages dès les premières années, mérite sans doute une analyse qu’il ne me revient pas d’entamer aujourd’hui.
Confrontés à ces questions, nous devons disposer d’informations claires et objectives. Tel est le sens de la mission que le ministre du travail, en lien avec le ministère de l’éducation nationale et le secrétariat d’État à la jeunesse, a choisi de confier à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche le 18 décembre dernier.
Nous leur avons précisément demandé d’évaluer l’impact de l’introduction de la gratification sur l’offre de stages dans les administrations, les établissements publics et les organismes ou entreprises devant accueillir des stagiaires. Le rapport de cette mission devrait être rendu avant l’été, sans doute au mois de juin ou tout début juillet.
J’ai remarqué que votre commission des affaires sociales avait choisi d’adopter un amendement relatif aux questions de financement de cette gratification. Sur ce point, j’attire votre attention sur le fait que les circulaires de la direction générale de l’action sociale, citées tout à l’heure par Mme le rapporteur, datent de 2008 : à cette époque, seuls les stages de plus de trois mois devaient être gratifiés. Quoi qu’il en soit, et même si je me doute que ce point sera abordé lors des débats, ce n’est pas en nous perdant dans de longs échanges pour savoir qui doit prendre en charge quoi que nous pourrons répondre à l’urgence de la situation des étudiants.
Mais le Gouvernement ne souhaite éluder aucune question. Si les modalités de prise en charge de la gratification doivent être débattues au Parlement, ce débat aura lieu. Cependant, comme tout débat, il doit reposer sur des éléments d’information préalables et objectifs. C’est la raison pour laquelle je souscris au principe que ce rapport voulu par votre commission prenne en compte les questions de financement sans l’y cantonner.
Nous avons tous à cœur, aujourd’hui, de répondre au désarroi de ces étudiants qui nous interpellent avec de plus en plus d’insistance et qui renoncent au parcours de formation qui les intéresse, faute d’établissement d’accueil. Pour autant, nous ne saurions nous satisfaire d’une simple mesure de suspension sine die, et encore moins d’un renoncement au principe de la gratification. (M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.)
Pour éclairer nos débats, des rapports sont nécessaires. Celui que le Gouvernement a demandé apportera des éléments d’information dans les prochains mois. Votre commission des affaires sociales en souhaite un autre ; grâce à un délai de réflexion plus important, il sera encore plus riche d’enseignements. Le Gouvernement souscrit à ce principe. Il approuve également cette proposition de loi qui permet de répondre à l’urgence du moment…
M. Jean-Pierre Godefroy. Pas du tout !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. … tout en préservant le temps de la réflexion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Madame la présidente, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui ne vise pas à remettre en cause le principe de la gratification des stages, inscrit dans la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, et qui est une mesure d’équité.
La gratification des stages constitue indiscutablement une avancée.
D’une part, elle permet de pallier les difficultés financières de nombreux étudiants en situation de précarité. Le montant de la gratification a été fixé par décret à 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale, ce qui représente 417 euros pour un stage effectué à plein temps. Or, comme l’a souligné notre rapporteur, un jeune de 18 à 24 ans sur cinq dispose de revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
D’autre part, la gratification permet de lutter contre les pratiques abusives de certaines entreprises, qui adoptent comme système de fonctionnement la multiplication des stages non rémunérés. Les stagiaires sont trop souvent utilisés comme une main-d’œuvre à bon marché.
Cependant, la difficulté d’application du texte pour certains secteurs est rapidement apparue. Les étudiants en orthophonie, tout d’abord, nous ont alertés sur les problèmes qu’ils rencontraient pour trouver des stages, dès lors qu’ils devaient être rémunérés. Après examen de la situation, notre Haute Assemblée a prévu, dans la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, de créer une exemption à l’obligation de gratification des stages pour les étudiants en orthophonie et l’ensemble des étudiants auxiliaires médicaux.
La question se pose de nouveau aujourd’hui, cette fois-ci dans les filières formant les travailleurs sociaux, c’est-à-dire les assistants sociaux, les éducateurs, etc. Ces filières prévoient en effet de nombreux stages d’application, qui, dans certains cas, représentent près de la moitié du temps total de la formation.
Or de nombreux établissements ou associations ne sont pas en mesure de faire face à cette charge nouvelle. Aussi a-t-on pu constater que les offres de stages se raréfiaient, au point que de nombreux étudiants ont rencontré des difficultés pour valider leur année. C’est ce qui s’est produit, dans ma région, pour des étudiants des écoles de Strasbourg et de Mulhouse : j’ai perçu, en tant que président de l’Institut supérieur social de Mulhouse, que cette crise concernant les stages était révélatrice de difficultés plus globales affectant la formation des travailleurs sociaux.
Les refus de stages remettent en question la validation des formations de travailleurs sociaux et, plus largement, la légitimité des formations en alternance, ce qui est infiniment regrettable.
La professionnalisation des travailleurs sociaux passe par l’alternance. Le temps passé au contact du public, de l’usager et des institutions est lié à l’enseignement plus théorique dispensé par le centre de formation. La question de la gratification n’est qu’un élément de la problématique. Un stage de qualité nécessite la présence de formateurs, mais aussi de formateurs de formateurs, ainsi que le suivi et l’évaluation des rapports et missions formatrices effectués par l’étudiant.
Cela devrait nous éloigner du concept d’ « utilisation » du stagiaire. Ce dernier est, de toute façon, dans l’incapacité juridique de se substituer au professionnel, sous peine de courir un risque.
La réforme des formations sociales a été engagée en 2004 par la loi de modernisation sociale, puis par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, et par la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Tous ces textes constituent des acquis très positifs.
Le stage permet aux jeunes de découvrir la vie active et d’approcher le secteur professionnel auquel ils se destinent. Il joue un rôle majeur d’insertion, tout d’abord parce qu’il permet de se projeter dans une profession, mais aussi, concrètement, parce qu’il ouvre bien souvent les portes vers une première embauche.
Il faut prendre en considération la grande diversité de situations des stagiaires. Selon une étude du ministère de la santé de 2006, la majeure partie des étudiants bénéficie d’une prise en charge financière. Parmi les futurs assistants de service social, par exemple, 53 % des étudiants recevaient en 2004 une bourse d’État et 13% étaient rémunérés par un conseil régional ou un conseil général.
Je rappelle que dans les formations aux métiers sociaux, le nombre d’étudiants a plus que doublé en vingt ans. En 1985, le nombre d’étudiants inscrits dans les dix filières de formation aux professions sociales ne dépassait pas 20 000. En 2004, on en comptait 53 600. Ces formations sont donc particulièrement importantes et doivent pouvoir se dérouler au mieux.
Sans doute aurait-il fallu réaliser des études d’impact sur la question de la gratification des stages avant l’adoption de la loi. Toujours est-il que le ministère du travail a demandé à l’IGAS, en décembre 2009, d’évaluer l’incidence de la réforme sur l’offre de stages, en particulier dans le secteur médico-social. Mais nous ne découvrons pas le problème !
Le recours à un rapport officiel est une pratique classique, qui ne doit pas nous permettre de nous décharger et de laisser à d’autres les forces de propositions. Nous pouvons attendre des constats de gestion, des axes de réflexion, mais pas des réponses. C’est à nous de tenter, à présent, de trouver des solutions en rapport avec des réalités de terrain.
Un rapprochement avec les collectivités territoriales serait intéressant, mais pas, comme on nous l’a proposé, pour créer ou gérer un fonds de plus, pris sur des moyens constants et non pérennes. Il ne s’agit pas de transférer des compétences. La région, partenaire direct dans le financement du fonctionnement des instituts de formation, devrait avoir la liberté de négocier les besoins adaptés. Des conventions passées avec les conseils généraux, grands employeurs de travailleurs sociaux et financeurs des associations recevant les stagiaires, devraient permettre d’adapter l’accueil de ces jeunes dont ils bénéficieront en tant que futurs professionnels.
Nous reconnaissons qu’il faut faire le point sur la gestion de la gratification des stagiaires : se limiter à des préconisations financières dans ce contexte ne nous permettra pas d’améliorer la qualité du stage. Les représentations de la formation doivent changer. L’évolution des réformes et les conduites de changement doivent influer sur le stagiaire, qui n’est pas dans une posture de service, mais de formation.
Dans ces conditions, la gratification – que nous ne mettons pas en question ! – est une aide. Le stagiaire n’est pas un professionnel ; considéré comme tel, il deviendrait l’enjeu d’un emploi au rabais. Il est donc nécessaire de ne pas l’intégrer dans une structure en difficulté avec des emplois vacants. Il n’est pas un remplaçant : lui confier une charge de travail ne peut signifier lui demander un rendu dans le seul intérêt du service, sous couvert de formation. Former par le stage correspond à un processus évolutif permettant une progression.
Le lieu d’accueil doit pouvoir offrir une convention de formation, et avoir le souci de développer des référentiels de formation validés par la profession et l’État.
La solution proposée par la commission semble justifiée : il s’agit, en l’attente de solutions permettant le financement des stages, de suspendre la gratification des stages des étudiants travailleurs sociaux jusqu’au 31 décembre 2012. L’intérêt de cette mesure est de supprimer l’angoisse face à l’échéance du diplôme. Mais combien de demandes d’apprentissage, par ailleurs, ne trouvent-elles pas d’issue, du fait de l’absence de lieu d’accueil dans d’autres professions ?
Une réflexion éthique s’impose. Le stagiaire n’est pas en situation d’emploi, avec un travail à produire. Il ne peut être laissé seul en situation de travail et doit bénéficier de règles déontologiques.
Nous souhaiterions invoquer la responsabilité sociale de l’entreprise, ou mieux, des institutions accueillant le stagiaire.
Il est reproché aux directions des ressources humaines, quelquefois à juste titre, d’occulter leur responsabilité sociale dans les entreprises de production ou de services. On pourrait espérer que les institutions sociales et médico-sociales soient exemplaires en matière de responsabilité sociale, c’est-à-dire de formation de leurs futurs professionnels. Des gratifications dans un contexte médiocre sont aussi insupportables professionnellement qu’une absence de gratification.
Il est indispensable de mener une réflexion plus large sur l’organisation même des stages. Il s’agit d’évaluer les différences de situations selon les départements, et de voir comment les besoins pourraient être mieux anticipés par les directions des ressources humaines.
Les conditions d’accueil des stagiaires sont perfectibles. Je tiens à souligner, à cet égard, l’importance des « formateurs » de stage. Les travailleurs sociaux expérimentés intègrent cette mission dans l’exercice de leur profession. Il s’agit même d’un fondement de l’identité en travail social.
Voilà les quelques pistes de réflexion dont je souhaitais vous faire part.
Cette proposition de loi est très attendue. Plusieurs fédérations de travailleurs sociaux viennent d’écrire au nouveau ministre de la jeunesse et des solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, pour protester contre l’application de la gratification des stages, qui n’est pas adaptée à leur secteur.
Par ailleurs, l’Association française des organismes de formation et de recherche en travail social, l’AFORTS, que nous connaissons de longue date, en association avec le Groupement national des instituts régionaux du travail social, le GNI, appelle à une grande manifestation, le 6 mai prochain, pour préserver l’alternance dans toutes les formations sociales. Des manifestations se tiendront dans chaque région de France et une conférence de presse aura lieu le même jour, à Paris. Ce sujet est donc bien d’actualité. C’est la première fois que l’AFORTS organise une manifestation nationale, ce qui montre combien l’enjeu est important et les inquiétudes réelles.
Nous devons être attentifs aux institutions de formation, proches des collectivités et des besoins de l’usager, et liées à l’Université. Diverses commissions professionnelles spécialisées dans le travail social et les interventions qui y sont liées peuvent ainsi inspirer notre réflexion.
Le principe de gratification des stages ne doit pas prévaloir sur le droit pour tout étudiant de bénéficier d’une formation de qualité visant à la professionnalisation, à l’accès à l’emploi et à l’obtention d’un diplôme. Aussi notre groupe votera-t-il cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui revêt tous les aspects d’une mauvaise réponse à une vraie difficulté.
Comme cela a été dit lors des travaux de la commission des affaires sociales, tout le monde s’accordera à reconnaître que les élèves et étudiants travailleurs sociaux rencontrent d’importantes difficultés dans l’accès aux stages. De la même manière, les membres du groupe CRC-SPG considèrent qu’il est impératif et urgent de trouver une solution pérenne.
La formation des travailleurs sociaux – par alternance –, dont la durée globale est occupée pour près de 50 % par des périodes de stage, exige que nous fassions preuve de créativité politique. Nous devons trouver une réponse qui tienne compte de trois impératifs : permettre l’accès de tous les élèves et étudiants travailleurs sociaux aux stages ; garantir l’égalité de tous les élèves et étudiants, indépendamment de leurs filières ; répondre au formidable enjeu d’avenir qu’est la satisfaction de l’ensemble des besoins sociaux de notre pays.
Ainsi, c’est sous le prisme de ces trois enjeux que nous avons examiné la proposition de loi de nos collègues Nicolas About et Sylvie Desmarescaux et c’est la raison pour laquelle nous voterons contre.
En effet, la proposition de loi, en l’état, ne permettra pas de garantir l’égalité des élèves et des étudiants, puisque, temporairement du moins, elle créera une situation d’exception, supprimant aux élèves et étudiants travailleurs sociaux le droit à la gratification des stages. Une gratification qui, bien que n’étant pas à la hauteur des besoins des jeunes en bénéficiant, permet tout au moins de limiter les abus de certains employeurs et donne aux stagiaires la possibilité de survivre moins difficilement que sans cette gratification.
Comment ignorer que plus de 100 000 étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et que plus d’un tiers des étudiants sont contraints de travailler pour financer leurs études ?
Selon une étude menée par l’institut de sondage IPSOS, un étudiant français dépense en moyenne 521 euros par mois et cela peut atteindre jusqu’à 800 euros pour les étudiants contraints de se loger auprès d’un bailleur privé.
Supprimer cette gratification…
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. La suspendre !
Mme Isabelle Pasquet. … aurait pour effet immédiat de faire basculer les étudiants concernés par cette proposition de loi de la précarité vers l’extrême précarité, ce qui est pour nous inconcevable, même de manière temporaire.
Par ailleurs, cette proposition de loi, si elle était adoptée, pourrait avoir pour effet d’écarter des formations de travailleurs sociaux les étudiants les plus pauvres, c’est-à-dire ceux dont le soutien familial est le plus faible.
Or, on sait déjà que ces formations ne sont pas suffisamment attrayantes et l’on estime que le manque de professionnels formés, en comparaison des personnels nécessaires, serait de l’ordre de 30 %.
Selon Marcel Jaeger, professeur titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers, le CNAM : « Dans les instituts de formation, le constat est fait d’une baisse significative du nombre de candidats aux admissions. La filière la plus touchée est celle des assistants de service social. » Il ajoute : « Très souvent, les instituts ne disposent pas d’un nombre de candidats suffisant pour procéder à une réelle sélection, voire pour remplir une liste complète de candidats admis ».
Et pourtant, dans un avenir proche, en raison même de la pyramide des âges et, de manière plus globale, de la prise en charge de la dépense, les besoins seront colossaux. Déjà aujourd’hui, les besoins ne sont pas satisfaits et, contrairement au secteur sanitaire où les réponses aux besoins en nombre – et pas nécessairement en implantation géographique – suivent les évolutions de la société, le secteur social est en grande difficulté.
La paupérisation de tout un pan de la société, la précarisation du travail et de la vie dans son ensemble, la crise économique durable dont sont victimes nos concitoyens nous montrent chaque jour l’importance des différentes formes d’aides sociales.
Prendre une mesure qui reviendrait à demander aux élèves ou étudiants travailleurs sociaux de financer eux-mêmes leurs études, alors que, dans d’autres secteurs, ils bénéficieraient d’une gratification aussi insuffisante soit-elle, pourrait avoir pour effet de les écarter de cette formation, creusant encore un peu plus l’écart entre les besoins constatés sur le terrain et le nombre de professionnels pour y répondre.
Disant cela, nous n’écartons pas le débat réel sur l’impossibilité pour les structures accueillant habituellement les stagiaires à financer les gratifications qui sont délivrées à ceux-ci et, par voie de conséquence, leur impossibilité à répondre favorablement aux demandes de stages.
Il s’agit en fait d’une question de ressources financières, ce qui rend encore plus inacceptable la suppression de cette gratification.
Incontestablement, le montant du prix de journée ne permet pas à lui seul, comme le préconise la direction générale des affaires sociales dans sa circulaire du 27 juillet 2008, de couvrir les dépenses liées à la gratification des stages.
C’est donc bien ailleurs qu’il faut trouver les ressources nécessaires pour garantir le maintien de la gratification.
À ce titre, je précise – mais j’y reviendrai plus tard – que la disposition proposée dans le dernier alinéa de l’article unique constituant la proposition de loi, qui revient à transférer cette charge des structures ou établissements aux régions, n’est pas acceptable. D’ailleurs, les organisations d’élèves et d’étudiants ne s’y sont pas trompées. En effet, dans un courrier en date du 22 avril dernier adressé aux sénatrices et sénateurs, elles ne demandaient pas moins que le retrait de cette proposition de loi et invitaient les parlementaires à trouver une solution nationale pour financer les périodes de stages des travailleurs sociaux, considérant que le renvoi aux régions serait un gage d’inégalités territoriales.
Ainsi, aussi tentante soit-elle en ce qu’elle permettrait une réponse immédiate aux difficultés que rencontrent les élèves et étudiants travailleurs sociaux, cette proposition de loi n’est pas acceptable.
Pour notre part, nous entendons profiter de l’occasion qui nous est donnée par la discussion de cette proposition de loi pour réaffirmer, avec force, notre attachement au principe de la gratification des périodes de stages et nous proposerons pour ce faire un autre mécanisme, ainsi que la suppression de la disposition introduite lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, qui constitue la première atteinte à un principe important, ayant même fait en avril 2009 l’objet d’un engagement présidentiel : « Il n’est pas normal que les stages soient synonymes de précarité ». (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Madame le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte sur une question clé en matière d’insertion professionnelle des jeunes, celle de la gratification des stages de formation initiale.
Cette proposition de loi a été déposée par Nicolas About et Sylvie Desmarescaux et cette dernière nous l’a présentée tout à l’heure.
La recherche de stage est souvent un parcours du combattant. En tant que maire, je sais que les jeunes viennent souvent nous voir pour trouver des stages, pour savoir si nous connaissons une personne pouvant les accueillir, notamment dans une entreprise, dans une association ou dans un hôpital.
Mme Catherine Procaccia, vice-présidente de la commission des affaires sociales. En permanence !
Mme Jacqueline Gourault. Nous sortons d’une campagne pour les élections régionales au cours de laquelle nous avons beaucoup réfléchi, même si je n’étais pas candidate. Je suis de celles qui pensent que la région, lorsqu’elle aura une compétence claire dans le domaine économique en plus de celle de la formation, devrait être en charge de l’accompagnement des jeunes en matière de recherche de stages, car il y a, me semble-t-il, une véritable carence actuellement dans notre société.
Il existe aussi des abus dans ce domaine, cette remarque a déjà été formulée, mais je voudrais la souligner. Ce qui ne se voyait pas il y a encore quelques années est devenu monnaie courante, c'est-à-dire des jeunes ultra-diplômés embauchés à 417 euros par mois, souvent plusieurs mois d’affilée, parfois plus d’un an, avant de pouvoir prétendre même à un simple CDD. Et ce, sachant que les divers frais, tels que les déplacements et la restauration, s’imputent la plupart du temps sur l’indemnisation. L’effet d’aubaine est parfois trop facile pour certaines entreprises, il faut le souligner.
Dans ces conditions, bien sûr, un statut du stagiaire s’imposait.
Ce qui est étonnant, c’est qu’il ait fallu attendre 2006 et la loi pour l’égalité des chances pour qu’un tel statut soit mis en place. L’article 9 de cette loi légalise la convention de stage et prévoit que les stages longs en entreprise doivent faire l’objet d’une gratification.
C’est en soi un immense progrès, mais il s’agit encore d’un cadre embryonnaire. Dès 2006, le groupe de l’Union centriste avait défendu la nécessité d’aller plus loin en garantissant une gratification égale à 50 % du SMIC, en limitant la durée maximale des stages, en imputant la période de stage sur la période d’essai lorsqu’un contrat de travail est conclu à son issue, ou encore en soumettant la convention de stage aux dispositions du code du travail.
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. C’est pourquoi nous n’avons pu que saluer les avancées consécutives à l’adoption de la loi de 2006 telles que l’élargissement de son champ aux stages effectués au sein d’une association, d’une entreprise publique, d’un établissement public ou des services de l’État.
Cependant, dans le même temps, nous avons défendu et voté l’article 59 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST, qui exempte les employeurs de stagiaires auxiliaires médicaux de l’obligation de gratification.
Dès lors, pourquoi cautionner ce qui peut apparaître, à première vue, comme un recul ? Je me suis beaucoup interrogée.
Nicolas About et un certain nombre de mes collègues étant absents aujourd’hui, ont m’a demandé d’intervenir dans la discussion de cette proposition de loi. Je me suis renseignée, notamment auprès de personnes en qui j’avais totalement confiance. Ces dernières m’ont dit qu’il fallait adopter cette proposition de loi par réalisme. En effet, cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, le principe général de la gratification des stages a, paradoxalement, conduit à fragiliser certains parcours de formation.
Ainsi avions-nous, au départ, été alertés par les étudiants en orthophonie sur les problèmes qu’ils rencontraient pour trouver des structures ou des professionnels pouvant les accueillir en stages de longue durée. Or, la validation des périodes de stage est indispensable à l’obtention de leur diplôme. On voit bien le problème et on comprend mieux aussi la solution d’exemption adoptée avec l’article 59 de la loi HPST.
Le même problème se pose aux étudiants et élèves travailleurs sociaux. D’où la présente proposition de loi, qui vise à exempter également ces stages de l’obligation de gratification.
Attention danger ! alerte le collectif « Génération précaire »…
M. Jean-Pierre Godefroy. Il n’y a pas qu’eux !
Mme Jacqueline Gourault. … et il indique qu’en multipliant les exemptions on met le doigt dans un engrenage vicieux pouvant conduire à vider le principe de toute substance. La question se pose sérieusement. Demain, d’autres secteurs d’activité pourront, à bon droit, faire valoir leur spécificité. Des spécificités qui d’ailleurs n’en seront pas, puisque, aujourd’hui, des périodes de stages à valider sont incluses dans à peu près toutes les formations initiales.
C’est pour parer à ce risque réel que le texte initial a été amendé par la commission des affaires sociales.
Soyons clairs : il s’agit maintenant d’un texte de transition destiné à répondre à l’urgence des élèves et étudiants travailleurs sociaux, qui aujourd’hui peinent à trouver un stage.
Je fais confiance à Mme Desmarescaux, de par sa formation, et à d’autres personnes qui m’ont bien expliqué la situation. Mais il est prévu que l’exemption soit étroitement limitée dans le temps. Elle prendra fin le 31 décembre 2012. Le délai qui va s’écouler d’ici là permettra de trouver une solution satisfaisante et pérenne.
Le texte prévoit que le Gouvernement doit étudier les conditions dans lesquelles les conseils régionaux pourraient prendre en charge le remboursement de la gratification des stagiaires. Mme le secrétaire d’État est intervenue sur ce point.
Cette étude viendra en complément des travaux de la mission d’inspection commandée à l’IGAS afin d’évaluer l’incidence de la réforme de la réglementation des stages.
On pourrait évidemment évoquer aussi les cursus, mais cela ne se décrète pas du jour au lendemain et c’est un autre sujet.
Le texte résultant des travaux de la commission des affaires sociales nous semble donc relativement équilibré. Cependant, il est encore perfectible.
Il nous semble indispensable de préciser que l’exemption de gratification ne doit s’appliquer qu’aux stages accomplis au sein d’associations. (M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.) Seules ces dernières sont affectées par l’obligation de gratification et doivent donc bénéficier de la mesure. Nous vous présenterons un amendement en ce sens.
Par ailleurs, il existe des exemptions sectorielles : par exemple, les collectivités territoriales et leurs regroupements sont aujourd’hui exclus de l’obligation de gratification, ce qui conduit à des situations arbitraires.
Personnellement, je ne prends jamais un stagiaire sans le rémunérer. Il faut tout de même le rappeler : ce qui n’est pas obligatoire n’est pas interdit. (Mme le secrétaire d’État opine.) Évidemment, je sais bien que si ce n’est pas obligatoire, certains ne le font pas. Il convient de réaliser une avancée au sein des collectivités territoriales avec cette zone de non-obligation ; il faudra y revenir.
Il faut demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la pratique des gratifications accordées au sein des collectivités territoriales et de leurs groupements. Il faut faire avancer la gratification dans le sens de son universalisation, tout en créant une exemption temporaire de très courte durée pour les étudiants travailleurs sociaux dans les associations.
Madame le rapporteur, je sais que vous avez beaucoup travaillé. La présidente de la commission des affaires sociales, Mme Muguette Dini, m’a beaucoup informé. Les collègues de mon groupe membres de la commission Anne-Marie Payet, ici présente, et Jean-Marie Vanlerenberghe m’ont bien expliqué le dossier. Si nous adoptons cette démarche avec toutes les garanties de non-pérennisation, c’est pour répondre à la situation un peu difficile des personnes qui ne trouvent pas de stage. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entrerai directement dans le vif du sujet : comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire en commission, le groupe socialiste est opposé à l’adoption de cette proposition de loi, qui, selon nous, apporte une mauvaise, une très mauvaise réponse à un vrai problème.
Je rappelle que c’est à l’issue d’une longue mobilisation – celle du collectif Génération précaire et des organisations étudiantes, qui ont alerté l’opinion sur le scandale des stages étudiants non rémunérés – que la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a posé le principe de la gratification obligatoire des stages étudiants d’une durée supérieure à trois mois. En novembre 2009, ce seuil a été abaissé à deux mois, ce qui est une excellente chose.
Il est donc dorénavant impossible qu’un stagiaire soit recruté par une entreprise sans qu’une convention de stage entre le chef d’entreprise, l’étudiant et l’établissement d’enseignement ait été conclue.
Le décret du 29 août 2006, reprenant les termes de la charte des stages étudiants en entreprise signée par M. Gérard Larcher, alors ministre du travail, précise qu’aucune convention de stage ne peut être conclue pour remplacer un salarié absent ou licencié, pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire d'activité de l'entreprise ou pour occuper un emploi saisonnier. C’est là encore une excellente chose.
Le stagiaire perçoit une gratification, et non une rémunération au sens du code du travail. Elle n’est donc pas assortie de cotisations sociales ni génératrice, à terme, de prestations. C’est là, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un aspect qu’il faudra revoir, lors de la prochaine réforme des retraites, dans l’esprit de la proposition de loi que j’avais eu l’honneur de déposer ici même en 2006.
La question du montant de la gratification a suscité de nombreux débats. Pour mémoire, on peut rappeler l’existence d’une proposition de loi de Valérie Pécresse, alors député des Yvelines, précisant en mars 2006 que « les stages d’une durée de plus de trois mois donnent lieu au versement d’une indemnité mensuelle au moins égale à 50 % du salaire minimum de croissance ». Mme Gourault nous a à l’instant rappelé que le groupe de l’Union centriste avait formulé la même demande, tout comme je l’avais fait dans la proposition de loi que j’avais déposée.
En fin de compte, le décret du 29 août 2006 a repris le montant correspondant précédemment à la franchise de cotisations fixée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, soit 360,22 euros mensuels, les sommes versées au-delà de ce montant étant assujetties aux cotisations et contributions sociales ; car, il est important de le rappeler, et nous y reviendrons, la gratification est exonérée de charges sociales. Le montant en franchise de cotisations a été revalorisé et s’élève depuis le 1er janvier 2010 à 417 euros mensuels. Il ne s’agit néanmoins que d’une gratification minimale, celle-ci demeurant fixée par accord collectif ou, à défaut, par le chef d’entreprise.
À titre personnel, je souhaiterais que nous allions beaucoup plus loin dans l’encadrement des stages, comme en témoigne la proposition de loi que j’avais déposée en juin 2006 et qui a été repoussée par le Sénat le 13 février 2007, au demeurant dans des conditions peu glorieuses pour notre assemblée : je le rappelle, les travées de la majorité étaient désertes ce jour-là et il avait fallu suspendre la séance près de trois quarts d’heure avant de trouver un sénateur du groupe UMP qui veuille bien se rendre dans l’hémicycle pour, grâce au recours au scrutin public, faire échouer la proposition de loi.
Mme Jacqueline Gourault. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, je me permettrai une parenthèse concernant notre assemblée : un sénateur qui dépose 140 bulletins de vote et fait échouer une proposition de loi qui aurait été adoptée si seuls avaient voté les sénateurs présents dans l’hémicycle, c’est en soi, me semble-t-il, un réquisitoire contre ce mode de scrutin totalement antidémocratique,…
Mme Jacqueline Gourault. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. … voire anticonstitutionnel, et, à tout le moins, encourageant l’absentéisme parlementaire. (Mme Jacqueline Gourault applaudit.)
Mais je referme la parenthèse et je reviens, madame la secrétaire d’État, à des sujets qui vous concernent plus directement.
Pour mémoire, la proposition de loi en question visait à poser un cadre législatif complet pour clarifier le régime juridique des stages et apporter davantage de garanties aux stagiaires. Elle allait plus loin que les quelques mesures prévues dans la loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances ou dans la charte des stages étudiants en entreprise, notamment en matière de rémunération des stages et de droits acquis ; nous y reviendrons lorsque nous aborderons le problème des retraites.
A contrario, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui met l’accent sur ce que ses auteurs appellent « les effets pervers » de la législation relative aux stages et a pour objet de faciliter l’accès aux stages des étudiants et élèves en travail social. À cette fin, mes chers collègues, vous vous appuyez sur le précédent créé par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST » : à la demande initiale des orthophonistes – mais le dispositif fut finalement étendu à l’ensemble des auxiliaires médicaux, qui n’en demandaient pas tant : on voit déjà les premiers effets de contagion ! –, son article 59 a prévu que les stagiaires accueillis dans leur cabinet puissent « bénéficier de l'indemnisation de contraintes liées à l'accomplissement de leurs stages, à l'exclusion de toute autre rémunération ou gratification au sens de l'article 9 de la loi no 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances ». Énoncé clairement, cela signifie qu’ils ne percevront aucune gratification pour le travail accompli. Or, cela a été rappelé tout à l’heure, si ces stages demandent que le praticien consacre du temps à la formation du stagiaire, l’apport de celui-ci n’en est pas moins réel.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Pas les premiers mois !
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous y reviendrons ! Bien entendu, le groupe socialiste n’a jamais voté cet article, considérant qu’il ouvrait une première brèche très importante dans le dispositif. Il se confirme aujourd’hui que l’on peut s’y engouffrer. Qui plus est, nous avons toujours eu du mal à croire que les orthophonistes libéraux sont incapables de rémunérer un stagiaire 400 euros par mois exonérés de charges sociales. Au demeurant, nul n’est obligé d’accueillir un stagiaire si cette somme « exorbitante » risque de mettre en péril l’équilibre financier du cabinet !
Vous affirmez, mes chers collègues, que cette proposition de loi n’a pas pour objet de supprimer le principe de la gratification, mais qu’elle vise à répondre au cri d’alarme des étudiants travailleurs sociaux qui, faute de stages, ne pourraient pas valider leur diplôme.
Je n’ignore pas qu’il y a un véritable problème d’offres de stage, nous le savons tous. Mais peut-être faudrait-il préciser que les étudiants et tous les acteurs du secteur social et médico-social, en particulier les organismes de formation et les fédérations d’établissements, ne remettent pas en cause le principe de la gratification : ils demandent les moyens financiers correspondants afin de pouvoir rémunérer les stagiaires.
Mes chers collègues, vous avez reçu comme moi cette lettre du collectif national des étudiants en travail social dans laquelle ils demandent très clairement le rejet de cette proposition de loi, qui « ne répond ni à [leurs] attentes, ni à [leurs] exigences » et qui se disent « très attachés au principe de gratification, qui permet, d’une part, la reconnaissance et la valorisation de [leur] travail et, d’autre part, de lutter contre la précarité étudiante, pendant la période des stages ». C’est pourquoi ils s’opposent « de toutes [leurs] forces à votre proposition de loi, qui ne ferait que repousser le problème financier sans proposer de réelles solutions ». On ne saurait être plus clair !
En fait, ce problème de la gratification révèle avant tout les difficultés financières auxquelles est confronté l’ensemble du secteur social et médico-social – aide à la personne, maintien à domicile… Celui-ci traverse une crise financière sans précédent, qui l’asphyxie peu à peu. Il faudrait que la commission des affaires sociales aussi bien que le Gouvernement se penchent sur cette question, qui, je le sais, préoccupe tout le monde.
La présente proposition de loi est un très mauvais signal donné à ce secteur. Elle va à l’encontre des dispositions adoptées par le législateur en 2006 et contredit les préconisations de la commission Hirsch et de la mission commune d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes : favoriser l’insertion professionnelle et l’autonomie de la jeunesse. En suspendant la gratification, elle entérine la situation de précarité dans laquelle se trouvent aujourd’hui de nombreux étudiants et elle dévalorise la filière sociale, qui a pourtant besoin de recruter. Enfin, elle crée une discrimination entre la filière sociale et les autres formations, mais aussi entre les étudiants eux-mêmes selon qu’ils seront ou non soutenus financièrement par leurs parents pendant leur période de stage : les plus démunis, les plus pauvres seront les plus pénalisés.
J’estime qu’il vaudrait mieux se pencher sur les incohérences du système de rémunération des jeunes en formation. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point : si des moyens financiers sont dégagés pour rémunérer les élèves de Polytechnique ou de l’École nationale de la magistrature, pourquoi n’en irait-il pas de même pour les étudiants de la filière sociale et médico-sociale ? Il me paraît impensable que le législateur puisse vouloir supprimer la gratification pour ces jeunes alors que la précarité étudiante est une réalité alarmante, qui mène souvent à de vrais drames : on sait à quelles extrémités sont malheureusement conduits certains afin de pouvoir financer leurs études ! Les textes que nous avions adoptés avaient réglé ce problème, et voilà que vous revenez en arrière. Car la proposition de loi concernera beaucoup de personnes !
Une véritable solution au problème du financement de cette mesure doit être trouvée, et il faut y travailler dès à présent. En aucun cas les stagiaires travailleurs sociaux ne sauraient être moins bien traités que les autres, d’autant qu’ils sont souvent chargés d’interventions éprouvantes auprès de familles en difficulté. Ce sont eux qui seront pénalisés, et aucun autre, nous y reviendrons dans le cours du débat.
Lors de l’examen du texte en commission, madame le rapporteur, vous avez fait adopter un amendement prévoyant que la mise en œuvre de cette dérogation serait limitée dans le temps, à savoir jusqu’au 31 décembre 2012. Madame la secrétaire d’État, le choix du 31 décembre 2012, c’est-à-dire après les élections présidentielle et législatives, relève-t-il du hasard ? Après cette date, il reviendrait à l’État de formuler des propositions pour que les conseils régionaux puissent prendre en charge – allons-y gaiement ! – le remboursement de la gratification des stagiaires au motif qu’ils ont des compétences en matière de formation.
Madame la secrétaire d’État, l’IGAS vous remettra un rapport dès le mois de mai : nous avons tout le temps de prendre des dispositions ! Et si vraiment il faut une mesure de suspension, madame le rapporteur, de grâce, pas jusqu’au 31 décembre 2012 !
Ce que vous nous proposez, c’est un enterrement définitif de la gratification des stages des professions sociales ! Faut-il tant de temps pour élaborer des propositions ? Je pose la question ! De plus, il est pour nous inacceptable que l’on veuille a priori faire supporter la charge de cette mesure par les régions. Et si tel devait être le cas, encore faudrait-il que celles-ci disposent des moyens financiers adéquats : à tout transfert de compétence doit correspondre un transfert de moyens, c’est maintenant constitutionnel !
Aujourd’hui, le cursus de formation des étudiants et élèves travailleurs sociaux est fixé non par la région, mais par l’État. Puisqu’il est du ressort de l’État de prendre en charge le coût de la formation initiale, la dépense entraînée par les rétributions des stagiaires doit logiquement lui revenir aussi : elle fait partie du coût global de la formation.
C’est pourquoi nous avons rédigé, avec le concours de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, deux amendements visant à conforter le principe de la gratification obligatoire des stages étudiants dans le secteur médico-social et à le rendre effectif en créant au sein de l’ONDAM médico-social une enveloppe financière à la charge des ministères sociaux responsables de ces diverses formations.
S’il était adopté, ce dispositif permettrait, d’une part, d’apporter un soutien financier aux étudiants et, d’autre part, de ne pas pénaliser les structures d’accueil des stagiaires, aujourd’hui fortement invitées à s’inscrire dans des logiques de maîtrise des coûts et de convergence tarifaire. En effet, il conduirait, au sein des différentes enveloppes de crédits limitatifs pour le financement de ces structures, à dédier des fonds au financement des stages, qui sont de véritables missions d’intérêt général puisqu’ils sont essentiels à la validation des formations des étudiants en travail social.
J’espère, madame le rapporteur, que vous accueillerez favorablement cette proposition, même si la discussion a déjà pris une tonalité qui m’amène à en douter. Quoi qu’il en soit, en l’état, le texte est pour nous totalement inacceptable, et vous le savez bien puisque nous avons eu l’occasion d’en débattre longuement.
Madame la secrétaire d’État, le début de votre intervention m’a donné à espérer que l’accord qui régnait jusqu’à présent sur la question des stages allait persister. Mais la fin de votre propos m’a déçu. Je vous pose la question, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues : ne craignez-vous pas, à force d’exceptions, de vider totalement ces textes de leur substance ? Et que répondrez-vous quand on vous adressera d’autres demandes en ce sens ? Que répondrez-vous, par exemple, au secteur de l’automobile, au secteur des banques, qui se disent en crise ?
Madame la secrétaire d’État, ce qui est tout à fait dramatique dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, c’est que seront seuls pénalisés ceux qui s’engagent dans ce travail social que vous connaissez bien et qui est si important, et ce jusqu’en 2012 ! D’exception en exception, les bonnes dispositions vont finir par disparaître.
Quand des dispositions ont été prises en 2006, quand le décret a été pris en 2009, on s’est forcément posé le problème du financement ! Peut-on imaginer que l’on aurait sciemment « dégagé en touche » en laissant les suivants se débrouiller ? Je n’ose ! Si pourtant cet aspect a été effectivement négligé, il nous revient aujourd’hui de réparer cela très vite, parce qu’il n’y a aucune raison que ce soient les étudiants qui soient pénalisés, absolument aucune ! Ils seraient pénalisés parce que nous avons manqué, tous, disons-le ainsi, à notre devoir d’anticipation sur le financement qu’il fallait prévoir ?
Dans ces conditions, ce texte est, à nos yeux, inacceptable.
Mes chers collègues, lorsque nous légiférons – même sur des textes que nous ne votons pas ! –, il ne faut pas penser que nous pourrons revenir sur certains textes et pas sur d’autres ! Pour être très clair, il est possible de revenir sur un texte relatif aux stages des étudiants, qui concerne donc des jeunes en formation, en leur ôtant toute gratification – 417 euros par mois, pour éviter l’hyperpauvreté ! –, mais tel n’est pas le cas pour les dispositions relatives au bouclier fiscal, aux stock-options ou encore à la fiscalisation des retraites chapeau, car elles sont sanctuarisées !
Mme Catherine Procaccia, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Ah, cela faisait longtemps que nous n’en avions pas entendu parler ! Cela nous manquait !
M. Jean-Pierre Godefroy. Ne vous inquiétez pas, nous y reviendrons !
Moi, je voudrais que l’on sanctuarise les 417 euros versés aux stagiaires ! (Mme Isabelle Pasquet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte de la proposition de loi qui est aujourd’hui soumis à l’examen de notre assemblée consiste à lever l’obligation de gratification afin de faciliter l’accès aux stages des étudiants en travail social et, donc, de ne pas compromettre leur formation.
Introduite par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, la gratification obligatoire des stages visait plusieurs objectifs : lutter contre les pratiques abusives de certaines structures d’accueil des stagiaires, redonner aux stages toutes leurs vertus en matière d’insertion professionnelle et combattre la précarité des jeunes étudiants.
Or, notamment dans les secteurs sanitaire, social et médico-social, cette mesure semble avoir produit un effet pervers qui n’avait pas été anticipé : celui de réduire l’offre de stages.
En effet, faute de propositions, de plus en plus d’étudiants se trouvent dans l’incapacité de valider des stages et, donc, d’achever leur formation. Cette mesure provoque notamment une diminution tant quantitative que qualitative des terrains de stages, une remise en cause des projets personnels de formation des étudiants et l’apparition de disparités régionales. Tous ces points ont été largement décrits par les orateurs qui m’ont précédé.
Les organisations professionnelles craignent que l’ensemble du dispositif de formation en alternance des travailleurs sociaux ne soit en danger.
Le 18 janvier dernier, la Direction générale de la cohésion sociale, la DGCS, organisait une table ronde sur l’alternance dans les formations sociales. À cette occasion, elle avait annoncé le lancement d’une mission commune pilotée par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAENR, pour mesurer les conséquences de la gratification sur l’offre de stages. Le rapport est très attendu et, comme cela a été indiqué, il sera probablement disponible d’ici au mois de juillet prochain.
La proposition de loi de nos collègues répond à un réel besoin. Il est, en effet, nécessaire d’agir rapidement, car, sur le terrain, la situation des stagiaires s’est fortement dégradée en raison de l’extension des gratifications aux stages de deux mois et plus. La plupart des étudiants doivent se contenter de formations tronquées par une offre de stages réduite et subissent de fortes inégalités suivant le statut de l’organisme dans lequel ils effectuent leur stage et la nature même du stage.
Les associations regrettent que cette situation conduise à de nombreux aménagements des stages pour échapper au versement de la gratification. Certains étudiants acceptent de ne pas être gratifiés afin de pouvoir accéder à un stage qui correspond à leur cursus de formation. D’autres sont parfois contraints de signer un engagement à ne pas réclamer de gratification. Cette situation est inacceptable et menace directement la qualité et l’existence même de l’alternance.
De plus, ainsi que l’a affirmé le Président de la République le 24 avril 2009 : « Il n’est pas normal que les stages soient synonymes de précarité ».
En effet, le principe de gratification permet la reconnaissance et la valorisation du travail des stagiaires et évite que des employeurs mal intentionnés ne profitent d’une main-d’œuvre surdiplômée, docile et gratuite.
Aussi, supprimer une disposition censée apporter aux étudiants un soutien financier et les protégeant de certaines dérives est une décision sans doute grave. C’est la raison pour laquelle la proposition de loi ne peut être qu’une solution d’appoint très temporaire.
Eu égard à la réalité du problème posé par les élèves et étudiants concernés et à la nécessité de trouver des solutions urgentes dans un cadre légal, les membres du groupe RDSE ne voteront pas contre le texte de la commission, la majorité d’entre eux s’abstiendront.
Nous pensons en effet, madame la secrétaire d'État, qu’il est nécessaire et urgent de réfléchir à une solution de fond qui écarte la gratuité des stages. Certains ont d’ailleurs évoqué avant moi, sous certaines conditions, un mode de financement public à la fois par l’État et par les collectivités territoriales.
J’espère donc que le débat d’aujourd'hui sera prolongé, sans désemparer, par celui, plus général, de l’accès aux stages obligatoires inclus dans les cursus diplômants, pour l’ensemble des étudiants, dans le secteur médico-social comme dans les autres, car le problème se pose avec acuité pour un certain nombre d’autres formations.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d'État, nous comptons sur vous pour prendre ce problème à bras-le-corps et nous proposer rapidement un texte concernant l’ensemble des étudiants, qui permettra de juguler la pénurie d’offres de stage, sans remettre en cause les principes et objectifs de la loi du 31 mars 2006. (Mme Brigitte Bout applaudit.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
Articles additionnels avant l'article unique
Mme la présidente. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par M. About et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Avant l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois suivants la promulgation de la loi n°... du... tendant à faciliter l'accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la pratique des gratifications accordées aux étudiants et élèves effectuant un stage au sein des services des collectivités territoriales ou de leurs groupements.
La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la pratique des gratifications accordées aux jeunes effectuant un stage au sein des collectivités territoriales ou de leurs groupements, dans les six mois suivant la promulgation du texte.
Aujourd'hui, le principe de la gratification des stages de formation initiale s’impose non seulement au secteur privé, mais également à la plus grande part du secteur public.
Les décrets du 31 janvier 2008 et du 21 juillet 2009 ont étendu le principe aux entreprises et aux établissements publics, ainsi qu’aux services de l’État. Seules les collectivités territoriales demeurent hors du champ de ce principe. Nous avions initialement déposé un amendement visant à étendre le principe de gratification à ces collectivités, mais il a tout naturellement été frappé par l’article 40 de la Constitution.
Reste la solution du rapport. Il s’agit, par ce biais, d’avancer vers l’universalisation du principe de gratification, en mettant au jour l’arbitraire auquel conduit l’absence d’obligation.
L’amendement n° 13 rectifié qui viendra en discussion tout à l’heure est un amendement de conséquence. Si l’amendement n° 11 rectifié était adopté, il faudrait modifier l’intitulé de la proposition de loi qui ne porterait plus exclusivement sur la situation particulière des étudiants et élèves travailleurs sociaux. Nous proposerons de rebaptiser celle-ci : « proposition de loi tendant à renforcer l’obligation de gratification accordée aux stagiaires et à faciliter l’accès aux stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Chacun se le rappelle, dans sa version initiale, cet amendement prévoyait que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la pratique des gratifications accordées aux étudiants et élèves effectuant un stage au sein des services de l’État, des collectivités territoriales ou de leurs groupements.
Or il s’avère que, depuis le décret du 21 juillet 2009, les services de l’État sont soumis à l’obligation de gratification des stagiaires qu’ils accueillent. En revanche, comme cela a déjà été précisé plusieurs fois cet après-midi, cette obligation ne concerne toujours pas les administrations territoriales et leurs groupements, ce qui crée bien évidemment une inégalité de traitement entre les étudiants qui réalisent leur stage au sein des services de l’État et ceux qui ont choisi ou sont obligés de le faire au sein des services des collectivités territoriales.
Cet amendement a donc été rectifié afin de restreindre le champ du rapport à la pratique des gratifications accordées au sein des services des collectivités territoriales ou de leurs groupements.
Cette nouvelle rédaction, qui tient compte des remarques formulées en commission, est beaucoup plus satisfaisante.
En outre, ce rapport offre l’occasion de lancer un débat sur une éventuelle extension de l’obligation de gratification aux collectivités territoriales.
C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Je précise à notre collègue Jean-Pierre Godefroy que nous légiférons non pas pour supprimer les gratifications, mais pour les suspendre, voire les étendre aux collectivités territoriales.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Je veux vous donner quelques explications, madame la sénatrice, qui vont sans doute vous inciter à retirer votre amendement.
L’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche élaborent actuellement un rapport sur l’impact de la loi du 31 mars 2006 concernant les stages.
La lettre de mission est très claire : elles devront évaluer précisément l’impact de la gratification sur l’offre de stages pour tous les organismes qui accueillent des stagiaires, ce qui inclut non seulement les associations et les établissements publics, mais également, bien sûr, les collectivités territoriales et leurs groupements.
Les conclusions de cette mission seront rendues avant l’été. Elles permettront donc au Parlement d’avoir accès aux informations que vous souhaitez obtenir au travers de cet amendement.
C'est pourquoi je vous suggère de retirer votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Les propos de Mme la secrétaire d'État m’incitent à revenir sur la date qui a été fixée, soit le 31 décembre 2012.
Vous disposerez, madame la secrétaire d'État, d’un rapport avant l’été. Dès lors, pourquoi attendre le 31 décembre 2012 pour prendre une décision ?
L’idée de suspendre les gratifications ne m’est certes pas agréable, mais si nous avions la certitude qu’il s’agit ici de régler un problème ponctuel, comme vous l’avez tous souligné, pour les stages de cette année, nous pourrions en débattre. Toutefois, vous aurez à la fin de l’année 2010 tous les éléments nécessaires afin de pouvoir, le cas échéant, nous faire des propositions concernant les stages dans le cadre de la procédure budgétaire, qu’il s’agisse du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et rendre de nouveau active la gratification dès le début de l’année 2011. Pourquoi donc attendre le 31 décembre 2012 pour commencer à réfléchir à cette question ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Madame Gourault, j’aimerais vous poser une question. L’amendement n° 11 rectifié prévoit que, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la pratique des gratifications accordées aux étudiants et élèves effectuant un stage au sein des services des collectivités territoriales ou de leurs groupements. Ce rapport concerne-t-il, comme je semble l’avoir compris, l’ensemble des pratiques des gratifications accordées par les collectivités territoriales ou porte-t-il uniquement sur celles qui sont versées aux étudiants et élèves travailleurs sociaux ?
Mme Jacqueline Gourault. Il porte sur l’ensemble !
Mme Catherine Procaccia. Dans ces conditions, le délai de six mois me paraît totalement impossible à tenir. Mes chers collègues, vous êtes élus de collectivités territoriales, et certains d’entre vous sont même président de conseil général. Comment demander aux collectivités territoriales de faire un rapport – encore un ! – sur cette question dans un laps de temps aussi court. Certes, je n’avance pas le même argument que Mme le secrétaire d’État, mais, ma chère collègue, il me semble difficile de leur demander une telle chose.
Mme la présidente. Madame Gourault, l'amendement n° 11 rectifié est-il maintenu ?
Mme Jacqueline Gourault. Je dis les choses avec transparence : vous le savez, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de cet amendement. (Sourires.)
Madame la secrétaire d'État, si vous m’assurez que le rapport de l’IGAS concerne également les stages dans les collectivités territoriales…
Mme Jacqueline Gourault. Si vous l’avez dit...
Mme Jacqueline Gourault. … et si vous me l’assurez, je retire l’amendement, car, si j’ai bien compris, le rapport sera remis très rapidement.
Mme la présidente. L'amendement n° 11 rectifié est retiré.
L'amendement n° 14, présenté par MM. Godefroy, Daudigny, Jeannerot, Cazeau, Gillot et Teulade, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Demontès, Schillinger, Campion, Alquier, Printz, Ghali et San Vicente-Baudrin, MM. Desessard, Kerdraon, S. Larcher, Le Menn et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 4381-1 du code de la santé publique est abrogé.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. L’article 59 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, devenu l’article L. 4381-1 du code de la santé publique, dispense les auxiliaires médicaux de verser une gratification aux stagiaires qu’ils accueillent.
Comme le montre l’existence même de la présente proposition de loi, cette disposition constitue un précédent regrettable qui ouvre la porte à une cascade d’exceptions potentielles. Elle ne repose sur aucune spécificité particulière de l’ensemble de ces professions par rapport à d’autres. Elle n’apparaît donc pas particulièrement justifiée par des difficultés insurmontables que rencontreraient les auxiliaires médicaux pour accueillir et offrir la gratification due aux stagiaires.
Au demeurant, il n’existe pas pour les professionnels qui seraient en proie à de telles difficultés d’obligation d’accueil de stagiaires. Il n’y a donc pas lieu de pénaliser tous les stagiaires potentiels, alors que de nombreux cabinets peuvent certainement financer la gratification.
Cette exception crée donc une injustice à l’égard des jeunes qui veulent s’orienter vers ces professions et qui sont pénalisés par rapport à d’autres. Elle donne aussi une image négative de ces professions qui n’offrent pas de gratification aux stagiaires, ce qui peut dissuader des jeunes de condition modeste de s’y consacrer.
La disposition est totalement inopportune ; aussi convient-il de la supprimer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Monsieur Jean-Pierre Godefroy, l’amendement que vous venez de présenter vise, je l’ai bien compris, à supprimer la disposition qui a été adoptée à l’occasion de la discussion de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, et qui prévoit une exception à l’obligation de gratification des stages pour les élèves auxiliaires médicaux.
Je vous rappelle que nous avons été submergés de demandes, entre autres par les orthophonistes.
Cette exception répond de plus à une demande des étudiants eux-mêmes à laquelle beaucoup d’entre nous ont été sensibles. Ces jeunes ont en effet de plus en plus de difficultés à trouver des stages – nous en avons parlé cet après-midi et hier –, particulièrement chez les libéraux qui sont installés et qui ne peuvent pas prendre de stagiaires.
Vous l’aurez compris, la mesure votée devrait permettre de débloquer la situation et d’apporter des réponses aux auxiliaires médicaux.
Par conséquent, la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 15 rectifié, présenté par MM. Godefroy, Daudigny, Jeannerot, Cazeau, Gillot et Teulade, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Demontès, Schillinger, Campion, Alquier, Printz, Ghali et San Vicente-Baudrin, MM. Desessard, Kerdraon, S. Larcher, Le Menn et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Il est inséré dans le code de l'action sociale et des familles un article L. 314-4-1 ainsi rédigé :
« Une enveloppe indicative peut-être identifiée au sein de l'objectif défini à l'article L. 314-3 pour permettre le financement de la gratification des stages que les étudiants et élèves travailleurs sociaux effectuent dans les établissements et services mentionnés à l'article L. 314-3-1.
Le montant annuel dédié à ce financement est réparti en dotations régionales dans les mêmes conditions que l'ensemble des enveloppes mentionnées aux L. 314-3, L. 314-3-2 et L. 314-4.
« L'autorité de tarification compétente au niveau régional fixe par arrêtés les forfaits afférents au financement de la gratification des stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux.
« Ces forfaits font l'objet d'une imputation comptable, dans les établissements et services, distincte de celle afférente aux produits de la tarification.
« L'utilisation de ces forfaits fait l'objet d'un compte rendu d'exécution et d'un compte d'emploi propres.
« Les forfaits afférents au financement de la gratification des stages des étudiants et élèves travailleurs sociaux peuvent être attribués directement aux sièges sociaux agréés mentionnés au VI de l'article L. 314-7 et aux groupements de coopération sociaux et médico-sociaux mentionnés aux articles L. 312-7 et L. 451-2.1.
« L'utilisation de ces forfaits fait l'objet d'un compte rendu d'exécution et d'un compte d'emploi propres. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous entrons dans le vif du sujet !
Cet amendement vise à présenter une proposition remplaçant le dispositif envisagé, afin de conforter le principe de la gratification obligatoire des stages étudiants dans le secteur médico-social et de le rendre effectif.
Il n’est en effet pas concevable que des jeunes qui souhaitent dédier leur vie professionnelle à des actions fondées sur un esprit altruiste et le souci de l’autre soient pénalisés par rapport aux jeunes qui se dirigent vers d’autres professions, souvent plus rémunératrices et moins contraignantes.
La suspension de la gratification, qui risquerait d’aboutir à sa suppression. En effet, vous le comprenez bien, avec ce délai du 31 décembre 2012, autant dire qu’il s’agit d’un enterrement définitif. C’est bien le signe d’une dévalorisation du travail social !
Le travail social doit au contraire bénéficier de notre particulière attention, car c’est un élément important de maintien ou de rétablissement du lien social dont notre pays a aujourd’hui grand besoin.
Notre amendement vise donc à la création d’une enveloppe spécifique pour les établissements médico-sociaux destinée à financer les stages des élèves ou étudiants en travail social. Le coût de ces gratifications a été estimé à 22 millions d’euros par la Direction générale de la cohésion sociale. Celle-ci affirme avoir prévu les financements dans la gestion des enveloppes de crédits dès 2008. Ces gratifications, me dit-on, ont d’ailleurs été versées en 2008 et en 2009. Ce montant peut donc bien faire l’objet de redéploiements modestes.
Il convient de le rappeler, les ministères sociaux soulignent que c’est plus une question d’ingénierie financière qu’un problème financier. La dispersion entre 35 000 établissements et services concernés rend impossibles le suivi des crédits et leur redistribution chaque année.
L’amendement vise à permettre le financement de ces gratifications via les sièges sociaux des associations gestionnaires et les groupements de coopération.
Les formations initiales longues et les formations continues des professionnels dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux ont toujours reposé sur l’alternance entre les centres de formation et les institutions.
Ces structures accueillent donc sur des périodes longues de nombreux stagiaires, qui doivent désormais recevoir des gratifications financières.
Le dispositif proposé permet, d’une part, d’apporter un soutien financier aux étudiants et, d’autre part, de ne pas pénaliser les structures d’accueil des stagiaires. En effet, ces structures sont aujourd’hui fortement invitées à s’inscrire dans des logiques de maîtrise des coûts et de convergence tarifaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Chacun l’a compris, cet amendement revient en quelque sorte à créer au sein de l’ONDAM médico-social un sous-objectif destiné à financer la gratification.
Sur le fond, je dirai, pour être aimable, que cette proposition est intéressante. Mais elle pose plusieurs difficultés.
Elle revient à faire financer la gratification par l’impôt. Or la solidarité nationale n’a pas à intervenir dans la reconnaissance de la valeur ajoutée des périodes d’activité en entreprise ou en établissement.
De plus, on crée ici une exception pour le secteur du travail social. À quel titre les autres cursus de formation ne pourraient-ils pas aussi être concernés ?
Dissociant le lien entre financeurs de la gratification – les structures d’accueil – et bénéficiaires – les stagiaires –, cette proposition risque d’alimenter les conduites de « consommateurs de stagiaires » que nous avons toujours souhaité combattre et qui pourraient être dénuées de tout objectif pédagogique.
En revanche, la création d’un éventuel fonds mutualisé pour financer la gratification est une piste à explorer. Je suppose aussi que l’IGAS – Mme la secrétaire d’État nous le confirmera – étudie cette possibilité dans le cadre de la mission qui lui a été confiée en décembre dernier.
Par conséquent, laissons-nous le temps. J’émettrai un avis de sagesse, souhaitant entendre l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Je confirme à Mme Desmarescaux que cela figurera bien dans le rapport de l’IGAS.
Votre amendement, monsieur Godefroy, ne me convainc pas, mais il appelle quelques considérations plus techniques.
Pour les établissements financés par les crédits de l’ONDAM, les charges liées à l’accueil des stagiaires sont, au titre des charges obligatoires, déjà prises en compte par les autorités de tarification.
Ouvrir la possibilité d’identifier une enveloppe qui, de plus, ne sera qu’indicative n’apporte rien. Au contraire, cela va à l’encontre des mécanismes de dotation globale qui visent à respecter l’autonomie des choix de gestion de chaque établissement.
De plus, cet amendement prévoit des arrêtés de tarification spécifique, des imputations comptables distinctes, des comptes rendus d’exécution et des comptes d’emplois propres, sachant que les établissements accueillent en général un stagiaire par an, voire deux stagiaires au plus.
De telles complexités de gestion administrative pour 417 euros par mois de stage, c’est, sur le plan comptable et en termes de gestion administrative pure, tout à fait disproportionné, pour ne pas dire qu’il s’agit d’une usine à gaz !
Enfin, cet amendement ne change rien pour tous les établissements – et ils sont nombreux ! – qui ne sont pas financés par des crédits de l’assurance maladie. Or nous devons apporter une réponse structurelle à la question qui nous est posée.
C’est pourquoi, selon le Gouvernement, il est nécessaire que l’ensemble de ces enjeux figurent dans le champ du rapport qu’il devra remettre au Parlement avant le 31 décembre 2012 et qui devra donc porter sur l’ensemble de ces aspects de financement et pour tous les établissements.
Voilà pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame Desmarescaux, il faudrait, dites-vous, faire payer la gratification par le contribuable. Mais cela existe déjà !
Je vous ai parlé de l’École polytechnique, de l’École nationale de la magistrature. Pourquoi les formations des travailleurs sociaux ne seraient-elles pas placées au même niveau que celles de ces écoles prestigieuses ? Mais peut-être considère-t-on précisément qu’elles ne sont pas suffisamment prestigieuses pour que la nation s’en préoccupe…
Mme Catherine Procaccia, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Ah non, pas un tel procès à Sylvie Desmarescaux !
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est bien pour cela qu’il ne faut pas le dire ! Nous nous connaissons suffisamment bien et nous nous apprécions assez pour le savoir. Vous avez bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel destiné à favoriser l’émergence d’une solution.
Je réitère mon propos, madame la secrétaire d’État : je comprends que, face à un problème ponctuel pour 2010, il y ait une exception. Ce n’est pas enthousiasmant, mais cela peut raisonnablement se concevoir, à condition toutefois que vous nous annonciez que des propositions seront faites en 2011, dans le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’ONDAM, afin que cette solution exceptionnelle ne perdure pas !
Il est aberrant de maintenir cette date du 31 décembre 2012, alors que vous êtes en pleine étude et que vous avez, je n’en doute pas, la volonté d’aboutir, madame la secrétaire d’État !
Dans le texte de M. Nicolas About et de Mme Sylvie Desmarescaux, il faut donc avancer la date, et retenir comme butoir la fin de l’année prochaine. Cela permettrait d’ouvrir la discussion sur cette exception destinée à répondre au problème ponctuel qui se pose pour 2010.
Au fond, nous nous sentons tous interpellés et nous avons tous l’envie d’aboutir, mais cette limite au 31 décembre 2012 revient, pour la gratification des étudiants travailleurs sociaux, à un enterrement de première classe !
Une exception pour 2010, oui, mais, au-delà, nous devons en discuter !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Monsieur Godefroy, je peux partager certains de vos propos, mais nous avons besoin de temps, d’une part, parce que nous attendons les conclusions de l’IGAS sur le problème de la gratification et, d’autre part, parce que nous devons revoir la question du cursus.
Ce sont bien deux questions qui nous sont aujourd’hui posées, mon cher collègue.
Nous sommes tous d’accord, et M. Jean-Louis Lorrain l’a dit, il faut retravailler le dossier avec les formateurs et les écoles de travailleurs sociaux, afin de ne pénaliser personne.
Le délai paraît long, mais le temps passe vite, et cela nous donnera surtout l’occasion de travailler de façon constructive sur le cursus des élèves et étudiants travailleurs sociaux, point sur lequel j’insiste particulièrement.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cela peut se dissocier facilement !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article unique
Après l’article L. 451-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 451-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 451-1-1. - Les travailleurs sociaux concourent à la formation des élèves et étudiants travailleurs sociaux dans les conditions visées à la section 3 du titre V du livre IV du présent code.
« À ce titre, ils participent à la formation initiale des étudiants et élèves travailleurs sociaux et peuvent les accueillir, pour des stages à finalité pédagogique, dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux visés à l’article L. 312-1.
« Les stagiaires bénéficient de l’indemnisation des contraintes liées à l’accomplissement de leur stage, à l’exclusion de toute autre rémunération ou gratification prévue par des dispositions légales et réglementaires.
« Les dispositions du présent article sont applicables jusqu’au 31 décembre 2012. Un bilan de leur mise en œuvre est transmis par le Gouvernement au Parlement avant cette date afin de déterminer les conditions dans lesquelles les conseils régionaux prennent en charge le remboursement de la gratification des stagiaires. »
Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Malgré l’évolution notable obtenue à l’occasion de l’adoption du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, qui a porté de trois à deux mois les périodes de stage ouvrant droit à rémunération, la situation des stagiaires et des étudiants demeure plus que précaire.
En effet, selon l’Observatoire de la vie étudiante, dont la dernière étude date de 2006, 225 000 étudiants français connaîtraient de grandes difficultés à financer leurs études et bien plus encore à financer leur autonomie ; 45 000 d’entre eux seraient même dans une situation de très grande précarité.
Chacun se souvient des reportages télévisés qui ont accompagné l’ouverture, au sein d’une résidence universitaire, d’une banque alimentaire, laquelle connaît, signe des temps et de la paupérisation grandissante de la population étudiante, un grand succès.
L’article unique qui compose cette proposition de loi aurait donc pour conséquence de faire peser les coûts financiers de son adoption sur les stagiaires eux-mêmes, au risque de les plonger dans d’importantes difficultés financières. Disant cela, je pense particulièrement aux élèves et étudiants travailleurs sociaux qui ont déjà commencé leur formation et qui comptaient sur cette gratification pour financer une partie de leur autonomie, et cela d’autant plus, chacun le sait, que les stagiaires sont régulièrement appelés à se déplacer dans d’autres départements, ce qui n’est pas sans incidence financière.
Cette mesure aurait pour conséquence directe d’ajouter de la précarité à la précarité.
Pourtant, il est effectivement urgent d’agir, afin de permettre aux élèves et aux étudiants d’intégrer les stages nécessaires à la validation de leurs formations.
Différentes associations représentant les élèves et les étudiants ont fait part récemment de leur opposition à ce texte et ont proposé une réponse différente, reposant sur un principe simple : maintien de la gratification par la mobilisation de ressources financières nationales dont la distribution pourrait passer par une tierce structure.
De son côté, l’Assemblée des départements de France invite le Gouvernement à créer, au sein des objectifs nationaux de dépenses des établissements médico-sociaux, un sous-objectif précisément destiné à financer la gratification des périodes de stage des étudiants et travailleurs sociaux. Le coût de ces gratifications est estimé par la Direction générale de la cohésion sociale à 22 millions d’euros, somme qu’il ne nous paraît pas impossible de mobiliser.
Bref, du côté des collectivités territoriales comme du côté des étudiants concernés, la solution proposée fait contre elle l’unanimité. C’est pourquoi, afin de nous donner collectivement le temps de trouver une réponse permettant aux élèves et aux étudiants de continuer à recevoir la gratification légalement prévue, ainsi qu’un mode de financement pour cette dernière ne reposant plus sur les établissements ou les structures d’accueil, je vous invite à voter cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. On nous propose ici de supprimer l’article unique de la proposition de loi.
Je voudrais être très claire : cette proposition de loi, initiée par Nicolas About et dont je suis la cosignataire et le rapporteur, n’a pas pour objet de pénaliser les étudiants ni, surtout, les travailleurs sociaux.
On a évoqué les études effectuées à l’École polytechnique ou à l’École nationale de la magistrature. Pour ma part, après avoir suivi une formation de travailleur social, j’ai exercé ce métier durant de très nombreuses années, et d’ailleurs, quelque part, je n’ai jamais cessé de l’exercer. À mes yeux, c’est une profession très honorable.
Chacun l’aura compris, nous souhaitons tous apporter une réponse à la demande formulée par des étudiants qui rencontrent de grandes difficultés pour trouver des stages.
Je l’ai dit à plusieurs reprises, l’objet de ce texte n’est pas de supprimer la gratification des étudiants stagiaires. Personne ici ne le souhaite. Il s’agit de suspendre cette gratification, pendant une période, afin d’apporter une réponse aux élèves et étudiants travailleurs sociaux, qui ont poussé un véritable cri d’alarme.
Naturellement, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame le rapporteur, personne ne doute, vous le savez bien, de votre engagement en faveur des travailleurs sociaux.
Si, aujourd’hui, des jeunes en arrivent, en désespoir de cause, à renoncer volontairement à leur gratification pour obtenir leur stage, donc leur diplôme - et nous ne parlons ici que du seul secteur social et médico-social -, il est de la responsabilité du Parlement et du Gouvernement de ne pas les laisser éternellement dans cette situation.
C’est dans cette mesure que cet article unique pose un vrai problème. De grâce, ne maintenez pas la date butoir du 31 décembre 2012 ! En effet, cela revient à demander un effort énorme, que les étudiants n’acceptent que parce qu’ils sont dos au mur, non seulement à ceux qui doivent effectuer un stage cette année, mais aussi à ceux qui devront l’effectuer l’année prochaine, et même l’année suivante !
Il faut donc restreindre ce délai : telle est la responsabilité du Gouvernement et du Parlement ! Reporter la résolution de ce problème après les élections présidentielle et législatives, c’est inacceptable pour les personnes concernées. Pour ma part, si j’étais un étudiant travailleur social, la décision que nous allons prendre ne manquerait pas d’influencer fortement mon vote !
Chère Sylvie Desmarescaux, comment peut-on imaginer que les parlementaires et le Gouvernement laissent aussi longtemps dans le doute ces étudiants ?
Et, même s’il y a besoin de temps pour revoir le problème du cursus, il est possible de régler dès aujourd’hui celui de la gratification. Il suffira de procéder à des adaptations ensuite. Vouloir considérer tous les problèmes en même temps, c’est se condamner à n’en régler aucun aujourd’hui !
Si vous conservez la date butoir du 31 décembre 2012, les étudiants travailleurs sociaux seront pénalisés pendant très longtemps, jusqu’en 2012, voire 2013 ! Ce n’est pas possible !
Je m’adresse à vous, madame le rapporteur – Mme le secrétaire d’État n’est pas à l’origine du libellé de cet alinéa –, pour vous demander instamment de ne pas poursuivre dans cette voie.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je souscris pleinement aux propos de Mme Sylvie Desmarescaux : bien évidemment, notre objectif est d’aider les étudiants du secteur médico-social. Il ne s’agit pas de les laisser dans la difficulté !
La date butoir du 31 décembre 2012 a été retenue, mais, bien entendu, nous souhaiterions pouvoir régler le problème plus rapidement. Toutefois, sachant que les financements des établissements sont extrêmement complexes - ce sont des financements croisés qui engagent l’État, la région, les départements et les associations -, nous ne pouvons pas affirmer qu’une solution efficace aura été trouvée dans six mois ou un an. Ne nous racontons pas d’histoires ! Puisque nous sommes entre nous, nous pouvons nous dire la vérité les yeux dans les yeux !
Il faut sortir ces étudiants de la difficulté dans laquelle ils se trouvent à l’heure actuelle, étant rappelé que le stage peut représenter jusqu’à 50 % d’un cursus. Nous sommes réunis aujourd’hui pour leur apporter une réponse.
M. Jean-Pierre Godefroy. Faisons disparaître cette date butoir !
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
I. - Le second alinéa de l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Tout stage en entreprise, à l'exception de ceux qui relèvent de la formation professionnelle continue ou de ceux visés aux articles L. 4153-1 du code du travail et D. 331-1 du code de l'éducation et ceux limités à une phase d'observation font, sans condition de durée, l'objet d'une rémunération dont le montant ne peut être inférieur à la moitié du salaire minimum de croissance visé à l'article L. 3231-2 du code du travail.
« Un décret précise les modalités d'application de cet article, notamment les conditions dans lesquelles la rémunération visée à l'alinéa précédent est proportionnelle à la durée totale du stage en entreprise. »
II. - L'article L. 4381-1 du code de la santé publique est abrogé.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, avec votre accord, je défendrai en même temps les amendements nos 1 et 2 qui, bien que différents, s’inscrivent dans la même logique.
Mme la présidente. Je vous en prie, ma chère collègue.
Mme Isabelle Pasquet. Comme vous le savez, le groupe CRC-SPG est attaché au maintien de la gratification des stagiaires. Mais, au delà, nous continuons d’exiger, dans l’intérêt des stagiaires, que cette gratification ne soit plus subordonnée à une durée plancher. Tout travail mérite salaire, et nous entendons que l’adage bien connu puisse s’appliquer aux stagiaires.
Nous proposons de porter cette gratification à hauteur de 50 % du SMIC, comme le réclame de longue date le collectif Génération précaire. Ce montant correspond, nous l’avons dit lors de notre intervention dans la discussion générale, à la dépense moyenne des étudiants français.
Considérant également que la qualité du travail fourni par le stagiaire s’accroît au fur et à mesure du déroulement du stage, il nous semble légitime que cette gratification soit proportionnelle. Partant du principe que l’accroissement des compétences est source, pour l’entreprise, d’un accroissement de richesse et de productivité, la gratification doit être également proportionnelle à la durée du stage.
Par ailleurs, nous entendons supprimer la dérogation introduite à l’occasion de l’adoption de la loi HPST, qui a eu pour effet d’exclure les élèves auxiliaires médicaux de l’obligation de gratification. Nous craignions alors que cette dérogation ne soit la première d’une longue série. Cette proposition de loi nous donne raison, puisqu’elle s’appuie, précisément, sur cette situation pour justifier la nouvelle dérogation proposée.
Au passage, on oublie de dire que, contrairement aux élèves orthophonistes, qui ne faisaient pas de contre-proposition, les élèves et étudiants travailleurs sociaux réclament, quant à eux, le maintien de la gratification, à condition que la loi garantisse un financement national et durable, ce qui fait aujourd’hui cruellement défaut.
Toutefois, nous entendons tenir compte non seulement des difficultés particulières auxquelles sont confrontés les établissements médico-sociaux, mais aussi des observations d’élèves ou d’étudiants de certaines spécialités qui, sous prétexte que leurs stages se limiteraient à la simple observation et ne créeraient pas de richesses, demandent eux-mêmes à être écartés de leur droit à gratification.
Je pense particulièrement aux élèves orthophonistes. Pour eux, il faut imaginer une solution nationale et solidaire. C’est précisément ce que nous proposons par l’amendement n°2, qui prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport portant sur la création d’une allocation nationale de stage.
Chacun l’aura compris, au-delà de ce seul rapport, nous aurions souhaité proposer directement la création d’une telle allocation. Nous n’ignorons pas toutefois qu’un tel amendement serait tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution…
Vous le voyez, chers collègues, notre position est parfaitement cohérente. Tel n’est pas le cas de la proposition de loi, dont les auteurs n’hésitent pas, d’une part, à réaffirmer la légitimité d’une gratification, et, d’autre part, à créer une nouvelle exemption.
Mme la présidente. L'amendement n° 19, présenté par Mme Desmarescaux, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
dans les conditions visées à la section 3 du titre V du livre IV du présent code
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par M. About et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
Les stagiaires
insérer les mots :
qui effectuent leur stage au sein d'une association
La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. L'objet de cet amendement est de cantonner l'exception temporaire de non-gratification des étudiants et élèves travailleurs sociaux aux seuls stages effectués dans des associations. En effet, seules ces dernières, qui manquent des moyens nécessaires, sont pénalisées par l'obligation générale de gratification et doivent donc bénéficier de l'exception créée par la présente proposition de loi.
Les autres structures, notamment publiques, disposent a priori des budgets leur permettant de faire face à la dépense liée au principe de gratification.
Mme la présidente. L'amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Gournac et Mmes Procaccia et Malovry, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
l'accomplissement de leur stage
insérer les mots :
, dans des conditions fixées par décret
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Cet amendement vise uniquement à prévoir que les conditions d'indemnisation des contraintes liées à l'accomplissement des stages seront précisées par décret.
En effet, faute de précisions dans le texte ou de dispositif d'encadrement auquel se référer, les modalités de remboursement de ces contraintes demeurent imprécises et posent de multiples questions concrètes : quelle limite maximale pour la prise en charge des frais de déplacement ? Quelles modalités de prise en charge des frais d'hébergement en hôtellerie ? Quel forfait pour le remboursement des frais de repas ?
Le renvoi à un décret, nous en sommes persuadés, permettrait de combler cette lacune.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 5, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
II. - Après l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... -. Le Gouvernement remet, au plus tard le 1er février 2011, un rapport portant sur la création d'une allocation nationale à destination des élèves et étudiants réalisant un stage en entreprise dans les conditions définies à l'article 9 de la présente loi, dès lors que celui-ci est strictement limité à l'observation et ne comporte aucune mise en pratique ou qu'il concerne des élèves ou étudiants travailleurs sociaux. »
Cet amendement a été défendu.
L'amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Gournac et Mmes Procaccia et Malovry, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Un bilan de leur mise en œuvre est transmis par le Gouvernement au Parlement avant cette date afin de déterminer notamment les conditions dans lesquelles est prise en charge la gratification des stagiaires.
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Cet amendement vise, d’une part, à ouvrir le champ et les finalités du rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement, s’agissant notamment des filières et cursus pédagogiques ; d'autre part, à poser clairement la question des modalités de financement de l'obligation de gratification afférente à ces stages, sans préjuger de la solution qui sera retenue.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Supprimer les mots :
afin de déterminer les conditions dans lesquelles les conseils régionaux prennent en charge le remboursement de la gratification des stagiaires
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Si nous étions déjà opposés à cette proposition de loi avant son examen par la commission des affaires sociales, nous sommes aujourd’hui pleinement convaincus que, en plus d’être injuste et inégalitaire, elle constitue un mauvais coup porté aux régions.
En effet, passé la période de deux ans durant laquelle les étudiants et élèves travailleurs sociaux se verraient injustement privés de leur droit à gratification, il reviendrait aux régions de se substituer aux établissements médico-sociaux, auxquels l’État n’accorde pas les financements nécessaires.
Ainsi les étudiants seraient-ils les premiers à payer temporairement le manque de volonté politique de l’État et du Gouvernement en faveur de la mobilisation des ressources financières qui permettraient de valoriser la profession de travailleur social. Ce serait ensuite au tour des régions.
Une telle situation est d’autant moins acceptable que, depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, régulièrement qualifiée d’« acte II de la décentralisation », les régions sont déjà particulièrement mises à contribution.
Si la formation des travailleurs sociaux a un double visage, pour reprendre une expression communément utilisée, il n’existe plus aujourd’hui qu’un seul financeur. L’État se limite à créer et organiser les diplômes, ce qui leur confère – c’est heureux – un caractère national, tandis que les régions financent les centres de formation, du fait de la compétence des régions en matière de formation.
Ce transfert de compétence, comme souvent, n’a pas bénéficié d’un transfert complet de financement. La Cour des comptes a pointé dans un rapport paru en 2006 cette insuffisance, due notamment à un mode de calcul des subventions qui ne tient compte ni des progressions des effectifs étudiants, pourtant programmées, ni de l’augmentation du nombre d’heures de formation théorique liée à la réforme des diplômes d’assistant de service social, d’éducateur de jeunes enfants et d’éducateur technique spécialisé.
Par ailleurs, les régions, par le biais des bourses qu’elles délivrent déjà aux étudiants et élèves travailleurs sociaux – ces derniers ne peuvent pas bénéficier des bourses nationales délivrées par les CROUS – font déjà acte de solidarité envers les futurs travailleurs sociaux.
Ce que nous proposent nos collègues ne constitue donc rien d’autre qu’un transfert de dépenses supplémentaire de l’État aux régions. Financer les infrastructures et assumer les dépenses pédagogiques, cela ne donne aux régions aucune compétence concernant la qualité de vie des étudiants. Cette mission, dont la dimension est nationale, relève de l’État, qui doit s’assurer que toutes celles et tous ceux qui, demain, rendront service à la société, ne sont pas aujourd’hui en situation de grande précarité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. S’agissant de l’amendement n° 1, je rappelle que c’est l’article 9 de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances qui a permis une avancée significative dans la lutte contre les pratiques abusives de certaines structures d’accueil des stagiaires et dans l’amélioration des conditions de vie des étudiants.
Le principe de la gratification a été voté en 2006, par la majorité à laquelle j’appartiens. Je tenais à le rappeler pour qu’il soit bien clair que nous avons tous la volonté de défendre les travailleurs sociaux et pour unique objectif de leur permettre de bénéficier de cette gratification. À la suite de Mme la secrétaire d’État, je précise que le 31 décembre 2012 est une date butoir ; rien n’empêche que le rapport soit remis plus tôt.
Lors de l’examen de la loi pour l’égalité des chances, la commission, par la voix de son rapporteur, Alain Gournac, avait jugé utile de dénommer la rémunération des stages « gratification », à l’instar du nom retenu pour la rémunération des jeunes en première phase de la formation d’apprenti senior.
En ce qui concerne les élèves auxiliaires médicaux, la disposition adoptée lors de l’examen de la loi HPST répondait à une demande des étudiants eux-mêmes, beaucoup d’entre eux ne parvenant pas à obtenir un stage. En particulier, nous avions été sensibles à la demande des orthophonistes, qui avaient appelé notre attention sur ce point. Cette mesure devrait permettre à ces auxiliaires médicaux d’être accueillis en stage chez les professionnels libéraux susceptibles de leur en proposer un.
La commission émet un avis défavorable.
L’amendement n° 12, présenté par Mme Gourault, vise à limiter le champ d’application de l’exception temporaire de gratification aux seuls stages effectués dans les associations.
Il soulève d’abord un problème d’ordre rédactionnel : tel qu’ils l’ont rédigé, ses auteurs sous-entendent que seuls les stagiaires en association pourraient bénéficier de l’indemnisation des contraintes liées à l’accomplissement de leur stage. Ce n’était sans doute pas le but...
Sur le fond, il est vrai que la raréfaction des possibilités de stage concerne essentiellement les établissements sociaux et médico-sociaux de droit privé, qui sont, pour des raisons historiques, le plus souvent gérés par des associations. Avec l’obligation de gratification, celles-ci ont été contraintes soit de chercher de nouveaux financements, soit de se désengager de la formation.
Cependant, par souci d’égalité de traitement entre les étudiants qui effectuent leur stage dans des associations et ceux qui ont choisi de le réaliser dans un autre type de structure d’accueil, il est préférable de maintenir le champ d’application initial de la mesure.
C’est pourquoi, ma chère collègue, je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 18 rectifié tend à prévoir que les conditions d’indemnisation des contraintes liées à l’accomplissement des stages, tels les frais de transport ou de restauration, soient précisées par décret.
La commission émet un avis favorable.
L’amendement n° 2 vise notamment à supprimer la disposition selon laquelle le bilan de la mise en œuvre de l’exemption temporaire de gratification inclut l’étude des conditions dans lesquelles les conseils régionaux pourraient prendre en charge le remboursement de la gratification des stagiaires.
Le texte de la commission a pour objet non pas de transférer la charge de la gratification des stages aux conseils régionaux, mais de permettre d’étudier, dans le cadre du rapport que remettra le Gouvernement au Parlement, les conditions dans lesquelles ceux-ci pourraient être amenés à rembourser la gratification due aux stagiaires, au terme des deux années de dérogation.
Cette proposition n’est pas illogique dans la mesure où, en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la région est chargée de définir et de mettre en œuvre la politique de formation des travailleurs sociaux.
Cependant, une rédaction plus satisfaisante de la deuxième phrase de l’alinéa 4, qui ne fait pas référence aux conseils régionaux, est proposée à l’amendement n° 17 rectifié de M. Gournac. Celle-ci devrait satisfaire les auteurs du présent amendement. C’est pourquoi je leur demande de bien vouloir retirer celui-ci ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Précisément, l’amendement n° 17 rectifié, présentée par Mme Procaccia, vise à réécrire la dernière phrase de l’alinéa 4 dans le but de clarifier les finalités du rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement.
La rédaction proposée est satisfaisante. D’une part, elle permet de ne pas circonscrire le champ du rapport à la seule question de la prise en charge de la gratification des stagiaires. Le rapport pourra, par exemple, aborder la question, plus globale, de l’organisation du cursus pédagogique des étudiants travailleurs sociaux. D’autre part, cette rédaction permet de ne pas préjuger la solution qui sera retenue pour le financement de la gratification. Toutes les pistes possibles pourront être envisagées.
La commission émet un avis favorable.
Enfin, l’amendement n° 3 vise à supprimer la disposition selon laquelle le bilan de la mise en œuvre de l’exemption temporaire de gratification inclut l’étude des conditions dans lesquelles les conseils régionaux pourraient ensuite prendre en charge le remboursement de la gratification des stagiaires.
Je le répète, le texte de la commission a pour objet non pas de transférer la charge de la gratification des stages aux conseils régionaux, mais simplement de permettre d’étudier, dans le cadre du rapport remis par le Gouvernement au Parlement, les conditions dans lesquelles ceux-ci pourraient être amenés à rembourser la gratification due aux stagiaires, au terme des deux années.
C’est pourquoi je demande à son auteur de bien vouloir retirer l’amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le Gouvernement fait siens les avis qu’a émis la commission sur l’ensemble de ces amendements. En particulier, il partage son analyse sur l’amendement n° 12.
Madame Gourault, le Gouvernement a demandé à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche d’accorder une attention particulière au secteur social et médico-social dans la réalisation de leur rapport.
À ce stade, on ne peut pas affirmer que seules les associations seraient pénalisées par l’obligation générale de gratification et qu’elles devraient donc bénéficier de l’exception créée par la présente proposition de loi.
Aussi, dans l’attente de la publication de ce rapport, je vous invite, comme la commission, à retirer cet amendement, madame la sénatrice ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Gourault, l'amendement n° 12 est-il maintenu ?
Mme Jacqueline Gourault. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Ma position rejoint celle qu’ont exprimée la commission et le Gouvernement.
Cette proposition de loi, si elle est adoptée, consacrera déjà une première discrimination envers les étudiants et élèves travailleurs sociaux. Comme si cela ne suffisait pas, cet amendement tend, ni plus ni moins, à créer une seconde discrimination au sein de ces mêmes élèves et étudiants travailleurs sociaux, en distinguant deux sous-catégories, entre ceux qui pourront bénéficier d’une gratification et ceux qui ne le pourront pas, ces derniers étant constitués de ceux qui se dirigeront vers les associations.
Je vous laisse imaginer la course aux stages gratifiés qui s’ensuivra et les dérives – j’ose le mot – auxquelles celle-ci donnera lieu.
En effet, les élèves et les étudiants s’efforceront d’obtenir en priorité des stages faisant l’objet d’une gratification, par exemple dans les conseils généraux. Les associations, quant à elles, accueilleront ceux qui auront échoué dans leur tentative.
Notre collègue Nicolas About ne souhaitait certainement pas créer cette nouvelle ségrégation. Très sincèrement, j’estime que cet amendement est réellement problématique, et c’est pourquoi je souscris pleinement aux propos de Mme la secrétaire d’État et de Mme le rapporteur.
Mme Jacqueline Gourault. Je demande la parole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Puisque tout le monde le demande, et n’étant pas une spécialiste de la question, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme Catherine Procaccia, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Nous dirons à M. About que vous l’avez défendu jusqu’au bout ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 12 est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l’amendement n° 18 rectifié.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement met en relief l’imprécision du texte et la complexité dans laquelle on s’engage, alors que la gratification est d’un maniement beaucoup plus simple et beaucoup plus clair pour les stagiaires. Avec des remboursements ponctuels, on se dirige vers des disparités et des conflits que l’on pourrait éviter.
De plus, la gratification comporte un plancher exonéré de cotisations sociales qui est un bon indicateur pour les entreprises et les organismes d’accueil.
Aujourd’hui, rien n’empêche un employeur de rembourser des frais aux stagiaires, en plus de la gratification.
En fait, avec cet amendement, nous craignons la généralisation du remboursement des frais sur justificatifs et, à terme, la disparition de la gratification obligatoire, comme le demandent un certain nombre d’organisations professionnelles.
La publication d’un décret permettrait en effet de donner une nouvelle base juridique, plus précise, à ces remboursements, et il n’y aurait plus alors qu’à basculer vers ce dispositif.
C’est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
Mme la présidente. Madame Pasquet, maintenez-vous l'amendement n° 2 ?
Mme Isabelle Pasquet. Compte tenu des explications de Mme la secrétaire d'État et de Mme le rapporteur, bien que je considère que l’amendement n° 2 soit plus complet, je le retire au profit de l’amendement n° 17 rectifié de M. Gournac.
Mme la présidente. L'amendement n° 2 est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'amendement n° 17 rectifié.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il me semble important de rappeler les termes de l’alinéa 5 de l’article unique dans la rédaction de la commission : « Les dispositions du présent article sont applicables jusqu’au 31 décembre 2012. » Loin de moi l’idée de faire un procès d’intention, mais cette formulation signifie bien qu’il est possible d’aller jusqu’au 31 décembre 2012. Mais je poursuis ma citation : « Un bilan de leur mise en œuvre est transmis par le Gouvernement au Parlement avant cette date afin de déterminer les conditions dans lesquelles les conseils régionaux prennent en charge le remboursement de la gratification des stagiaires. » Voilà donc pour le texte actuel.
La modification rédactionnelle de l’alinéa 5 que propose, à travers son amendement, notre collègue Alain Gournac présente un double avantage : premièrement, il n’est plus fait mention des conseils régionaux, ce qui évite une provocation inutile à mon sens (Mme la vice-présidente de la commission approuve) ; deuxièmement, l’ajout de l’adverbe « notamment » permet d’envisager une réflexion plus globale sur le financement des formations des travailleurs sociaux, laquelle me paraît nécessaire.
En conséquence, même si nous n’approuvons pas cette proposition de loi, nous voterons néanmoins l’amendement de M. Gournac, qui apporte une modification utile.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié.
(L'amendement est adopté à l’unanimité des présents.)
Mme la présidente. L'amendement n° 3 n'a donc plus d'objet.
Je mets aux voix, modifié, l'article unique de la proposition de loi.
(L'article unique de la proposition de loi est adopté.)
Articles additionnels après l'article unique
Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Dans la première phrase du 2° de l'article L. 1111-2 du code du travail, après les mots : « salariés temporaires » sont insérés les mots : « et stagiaires au sens de l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances ».
II. - Après l'article L. 1111-3 du code du travail, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Une entreprise ne peut accueillir simultanément un nombre de stagiaires supérieur à un taux correspondant à 15 % de son effectif total tel que définit à l'article L. 1111-2.
« Un décret précise les modalités d'application du présent article.
« Le comité d'entreprise est informé sur le nombre de stagiaires accueillis dans l'entreprise et les perspectives d'emplois des stagiaires en son sein. »
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Les entreprises, particulièrement en période de crise, cherchent à réduire considérablement le coût du travail.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit concernant le recours massif aux stages en lieu et place des contrats d’intérim ou des contrats à durée déterminée, mais il n’en demeure pas moins que c’est un véritable mouvement de dumping social interne qui s’installe durablement dans notre pays.
Il s’installe tant et si bien que, aujourd’hui déjà, des opérateurs privés de placement, qui sont censés participer au service public de l’emploi, proposent aux jeunes diplômés des stages et les incitent, pour ce faire, à préparer un diplôme universitaire de technologie ou un brevet de technicien supérieur ou à s’inscrire dans les universités ou les écoles permettant la signature d’une convention de stage.
Pour remédier à cette situation, qui marque le grand retour des stages abusifs, il est impératif de prévoir un encadrement sérieux. Ne rien faire aurait inévitablement pour conséquence la mise en concurrence croissante des stagiaires et des salariés, ainsi que le report de l’entrée des stagiaires dans la vie active. Ce serait particulièrement grave du fait, d’une part, de la nature de la réforme des retraites que concocte le Gouvernement et, d’autre part, de l’affaiblissement grandissant de notre système de protection sociale, asphyxié sous le poids des dispositions qui autorisent les employeurs à ne pas cotiser.
Des stages bien encadrés, s’inscrivant dans un véritable cursus pédagogique et correctement gratifiés, peuvent avoir des effets positifs sur le déroulement de la future carrière des élèves et des étudiants, ainsi que sur leur situation sociale. Mais cela exige que les pouvoirs publics soient vigilants sur la manière dont les employeurs recourent aux stages. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela n’est pas suffisamment le cas actuellement.
Cet amendement vise donc à mieux encadrer les conditions d’accueil des stagiaires dans l’entreprise, en prévoyant notamment qu’ils sont intégrés dans les effectifs, dans les mêmes conditions que les salariés temporaires.
L’amendement prévoit également une information du comité d’entreprise sur le nombre de stagiaires accueillis et sur leurs perspectives d’embauche dans l’entreprise. Cet élément est nécessaire pour appréhender la volonté réelle des employeurs, notamment dans les cas, fréquents, de recours massifs et successifs à des stagiaires jamais embauchés à l’issue de leur période de stage. Ces stagiaires sont recrutés avec la seule volonté de les voir successivement occuper des postes qui, compte tenu de la charge de travail qu’ils représentent, devraient être confiés à un salarié en contrat à durée indéterminée.
Enfin, toujours dans le souci d’éviter le recours infondé aux stagiaires, et pour limiter le nombre des entreprises susceptibles de généraliser la précarisation des personnes qu’elles font travailler, nous proposons, comme nous le faisons régulièrement pour les contrats précaires et atypiques, de créer un taux maximum d’emploi de stagiaires qui ne peut excéder 15 % de la masse globale des salariés de l’entreprise.
C’est à ce prix, celui d’un encadrement précis des recours aux stages, que nous parviendrons à limiter les abus, abus créateurs d’injustice sociale et néfastes au monde du travail dans son ensemble
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Madame Pasquet, avec cet amendement, vous visez un double objectif.
En premier lieu, vous souhaitez que les stagiaires soient pris en compte dans les effectifs des entreprises, même si cette mesure n’est pas explicitée dans l’objet de l’amendement.
En second lieu, vous voulez interdire à une entreprise d’accueillir simultanément un nombre de stagiaires supérieur à un taux qui correspond à 15 % de son effectif et vous prévoyez l’information du comité d’entreprise sur le nombre de stagiaires accueillis.
Intégrer les stagiaires dans les effectifs des entreprises aurait pour effet pervers de décourager l’offre de stages, qui seraient alors moins nombreux. En effet, chacun le sait, pour une entreprise, le franchissement de certains seuils d’effectifs de salariés se traduit par des obligations et des dépenses supplémentaires, telles que la mise en place d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Par ailleurs, je considère que cette disposition n’est pas judicieuse dans cette proposition de loi. Oserais-je dire qu’il s’agit d’un cavalier ?
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Permettez-moi, sans vouloir allonger la discussion, d’expliquer brièvement mon vote.
Je ne suis absolument pas favorable à une intégration des stagiaires dans les effectifs de l’entreprise. Une telle disposition serait en effet très risquée, car elle reviendrait, en quelque sorte, à reconnaître l’emploi dissimulé.
En revanche, je suis pour une information des comités d’entreprise afin que l’on connaisse le nombre de stagiaires présents dans l’entreprise et que l’on puisse vérifier que les stages ne sont pas des emplois dissimulés.
Comme nous y avons fait allusion tout à l’heure en évoquant la réforme des retraites, le problème des stages de longue durée va se poser.
Pourra-t-on en rester à des gratifications qui, dans certaines entreprises, sont bien supérieures au minimum prévu de 417 euros ? Compte tenu de la difficulté que rencontreront les salariés pour totaliser les annuités nécessaires, sans doute faudra-t-il réfléchir à la nécessité de donner un statut aux stages longs rémunérés, afin de permettre aux stagiaires de cotiser pour leur retraite. Ce serait un moyen d’améliorer les possibilités de cotiser tout au long de la vie pour sa retraite.
C’est un problème très complexe, j’en ai conscience, qu’il ne sera pas aisé de résoudre. Nous serons sans doute amenés à réfléchir sur ce point lorsque nous examinerons la réforme des retraites.
Pour l’heure, adopter cet amendement serait vraiment plus que risqué !
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l'article L. 1221-24 du code du travail, les mots : «, sans que cela ait pour effet de réduire cette dernière de plus de la moitié, sauf accord collectif prévoyant des stipulations plus favorables. » sont supprimés.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Cet amendement vise, comme les suivants, à améliorer les conditions de vie des stagiaires en général, et pas uniquement celles des élèves et des étudiants travailleurs sociaux.
Il s’agit de revenir sur une disposition qui avait fait l’objet d’échanges assez vifs lors de l’examen par le Sénat du projet de loi portant modernisation du marché du travail, à savoir la prise en compte de l’intégralité de la durée du stage dans la période d’essai que doit effectuer le stagiaire s’il est embauché à l’issu de son stage.
À l’époque, souvenez-vous, votre majorité avait décidé d’allonger considérablement les périodes d’essai, les portant jusqu’à huit mois, renouvellement compris. Or, ne vous en déplaise, pendant les périodes d’essai, la quasi-totalité des droits du travailleur sont mis entre parenthèses. Les employeurs disposent ainsi d’un temps très long pour évaluer le salarié. Ce temps est particulièrement long pour le salarié, car il est soumis à une pression constante, soit qu’il craigne le renouvellement de sa période d’essai, soit qu’il redoute qu’au bout de huit mois on ne le remercie sans autre justification.
À l’heure où nous débattons des méthodes de management responsables de troubles psychosociaux, il serait sans doute utile de revenir sur ces dispositions. Les périodes d’essai sont des moments juridiques extrêmement sensibles puisque la dépendance du salarié est alors totale. Il convient donc de les examiner avec beaucoup de soin.
De la même manière, le stagiaire, qui espère toujours que son stage constituera une porte d’entrée dans l’entreprise, est placé dans une situation de dépendance extrême à l’égard de son employeur, notamment en raison de l’absence de protections spécifiques. Nous reviendrons sur ce sujet.
Vous n’êtes pas sans savoir que, dans certaines entreprises, les périodes de stage, qui peuvent durer jusqu’à six mois, constituent de véritables phases de prérecrutement.
Dans l’état actuel du droit, si un employeur cumule la durée du stage et celle de la période d’essai, il peut disposer d’un an pour « tester les capacités » du jeune concerné. Un an, reconnaissez que c’est plutôt long et source d’instabilité sociale…
C’est pourquoi nous proposons, avec cet amendement, qu’en cas d’embauche consécutive à un stage la durée du stage soit, sans limitation aucune, déduite de la période d’essai : si un employeur propose à un ex-stagiaire d’intégrer son entreprise, c’est qu’il est à tout le moins satisfait de sa prestation !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Cet amendement vise à modifier l’article L. 1221-24 du code du travail.
Dans sa rédaction actuelle, cet article prévoit qu’en cas d’embauche dans l’entreprise à l’issue d’un stage qui est intégré dans un cursus pédagogique, la durée du stage est déduite de la période d’essai, sans que cela conduise à réduire cette période de plus de la moitié.
Vous souhaitez aller beaucoup plus loin en permettant de réduire la totalité de la durée du stage de la période d’essai.
La commission est partagée sur ce sujet, mais il est probable que, dans leur majorité, ses membres considéreraient avec moi qu’il faut distinguer la période de stage et la période d’activité salariée : lorsqu’une personne effectue un stage, elle n’a pas le statut de salarié.
Cela dit, même si l’on peut considérer que votre amendement est fondé, il s’agit d’un cavalier, et il n’a pas sa place dans la présente proposition de loi. Je ne puis donc qu’y est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le livre II de la sixième partie du code du travail, il est inséré un livre II bis ainsi rédigé :
« Livre II bis
« Le stage en entreprise
« Art. L... - Sont considérés comme des stages en entreprise les stages visés au 3° de l'article L. 611-2 du code de l'éducation.
« Art. L... - Les stages en entreprise permettent d'accomplir une prestation ou réaliser un objectif lié directement aux études ou à la formation.
« Art. L... - I. - La convention de stage, signée par l'employeur, le futur stagiaire et l'établissement scolaire ou universitaire, comporte un terme fixé avec précision dès sa signature. Cette durée ne peut être supérieure à trois mois sur l'année scolaire de référence sauf pour les formations de certaines professions spécifiques déterminées par décret. Elle précise également les activités confiées au stagiaire en fonction des objectifs de formation, la durée hebdomadaire maximale de présence du stagiaire en entreprise qui ne peut être supérieure à la durée de travail applicable dans l'entreprise.
« Les stagiaires ne peuvent réaliser d'heures supplémentaires.
« II. - La convention de stage ne peut être conclue dans les cas suivants :
« 1° Remplacement d'un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement ;
« 2° Exécution d'une tache régulière de l'entreprise correspondant à un poste de travail ;
« 3° Occupation d'un emploi à caractère saisonnier ou accroissement temporaire d'activité de l'entreprise.
« III. - Toute convention de stage conclue en méconnaissance des dispositions visées au II, constitue un contrat de travail à durée indéterminée au sens de l'article L. 1221-2.
« Lorsqu'un conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification du stage en contrat de travail, l'affaire est portée directement devant le bureau de jugement qui doit statuer au fond dans le délai d'un mois suivant sa saisine. La décision du conseil de prud'hommes est exécutoire de droit à titre provisoire. Si le tribunal fait droit à la demande du stagiaire et requalifie le stage, il doit, en sus, lui accorder, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
« IV. - La convention de stage ne peut être renouvelée qu'une fois pour le même stagiaire dans la même entreprise ou administration. Les conditions de renouvellement sont stipulées dans la convention ou font l'objet d'un avenant à la convention soumise au stagiaire et à l'établissement d'enseignement avant le terme initialement prévu.
« V. - L'employeur est tenu d'adresser une déclaration préalable à l'inspection du travail qui dispose d'un délai de huit jours pour s'y opposer dans des conditions définies par décret.
« Cette déclaration, à laquelle est joint un exemplaire de la convention de stage, comporte la durée du travail et de la formation, le nom et la qualification du tuteur, les documents attestant que l'employeur est à jour du versement de ses cotisations et contributions sociales.
« VI. - Lorsque la constatation de la validité de la convention devant un tribunal donne lieu à une requalification en contrat de travail, et qu'il est démontré que le contrôle du suivi pédagogique n'a pas été effectif, le représentant de l'établissement d'enseignement, signataire de la convention de stage, est puni des sanctions prévues par l'article L. 152-3.
« Art. L. ... - L'élève ou l'étudiant qui réalise un stage dans le cadre de l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a droit aux congés payés visés à l'article L. 3141-1 dans les conditions visées à l'article L. 3141-3.
« Pour la préparation directe des épreuves, le stagiaire a droit à un congé supplémentaire de cinq jours ouvrables. Ce congé, qui donne droit au maintien de la gratification, est situé dans le mois qui précède les épreuves. Il s'ajoute aux congés payés prévus à l’article L. 3141-1.
« Art. L. ... Le stagiaire bénéficie des dispositions prévues aux articles L. 3131-1, L. 3131-2, L. 3132-1, L. 3132-2, L. 3132-3 du code du travail.
« Art. L. ... -. Le stagiaire se voit garantir, dans des conditions fixées par décret, le maintien de sa gratification par l'employeur, dès le premier jour d'arrêt et pour une durée limitée définie par décret, en cas :
« 1° D'incapacité physique, médicalement constatée, de continuer ou de reprendre le travail ;
« 2° D'accident du travail ou de maladie professionnelle. »
II. - Après l'article L. 1411-3 du code du travail, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... -. Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges qui peuvent s'élever à l'occasion de la réalisation d'un stage au sens de l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances entre les employeurs, ou leurs représentants et le stagiaire. »
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Les stagiaires qui évoluent temporairement dans l’univers du travail sont, nous le savons tous, dans une situation d’extrême précarité, d’autant que leur double situation d’étudiant et de travailleur les place en quelque sorte au milieu du gué.
Contrairement aux autres salariés avec lesquels ils sont appelés à travailler, les stagiaires ne bénéficient d’aucune protection dans le cadre de leur activité professionnelle.
Pour remédier à cette situation de véritable non-droit, il est urgent d’apporter aux stagiaires la reconnaissance de leur spécificité. Nous devons instaurer, pour ce qui relève des activités professionnelles qu’ils réalisent dans le cadre de leur stage, une véritable protection, identique à celle à laquelle ont droit tous les salariés. Cela passe par la création, dans le code du travail, d’un livre qui leur serait spécialement dédié.
Je n’ignore pas que, dans leur ensemble, les organisations syndicales, salariales et étudiantes, n’ont pas encore tranché cette question. Elles considèrent que les stagiaires doivent conserver leur statut d’étudiant, et nous n’entendons pas revenir sur ce point.
Ce que nous tentons de faire, avec cet amendement sans doute perfectible, c’est de tenir compte du principe de réalité. Il suffit d’écouter les stagiaires pour se convaincre qu’elles et ils sont de fait placés dans une situation de dépendance envers leur maître de stage. Ils ne disposent d’aucune protection en cas d’abus, si ce n’est la rupture du stage, qui n’est pas sans conséquence.
En effet, les stagiaires sont les plus précaires des précaires. Je ne citerai qu’un exemple. Dans l’état actuel du droit, un stagiaire dont la durée totale du stage est de six mois – cela n’est pas rien – n’a légalement pas accès aux congés payés. Et en cas de conflit, les stagiaires ne disposent d’aucun recours pour faire reconnaître leurs droits.
C’est pourquoi, en nous inspirant pour partie des dispositions applicables aux apprentis - ces derniers sont de fait des étudiants à qui l’on reconnaît des droits en fonction du leur temps qu’ils consacrent à l’activité professionnelle - nous souhaitons qu’un livre entier du code du travail soit consacré aux stagiaires, afin de codifier le droit aux congés payés, la création d’un congé de préparation aux épreuves scolaires, la compétence de la juridiction prud’homale pour les conflits liés à l’exécution du travail, ou encore l’interdiction légale pour les stagiaires de réaliser des heures supplémentaires, ce qui est plus que légitime compte tenu de la faiblesse des gratifications.
Permettez-moi de revenir sur les objections qui nous ont été opposées en commission.
Certaines dispositions prévues dans cet amendement ont déjà été discutées lors de l’adoption de la loi de 2006. Si nous avons décidé de les reprendre dans cet amendement, c’est qu’elles relevaient soit du domaine réglementaire, ce qui constitue une protection insuffisante, soit du code de l’éducation. Or, comme nous voulons créer dans le code du travail un livre dédié à une véritable protection du stagiaire, il faut que les deux codes se fassent écho.
Enfin, certains craignent que l’adoption de cet amendement n’ait pour effet de priver les stagiaires de leur statut d’étudiant.
Nous avons me semble-t-il fait la démonstration que nos propositions garantissent au contraire le maintien de ce statut. Mais force est de constater que, dans les entreprises, les stagiaires sont placés dans une relation de subordination par rapport à leurs maîtres de stage. Compte tenu de cette relation, il faut leur apporter une protection.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Cet amendement vise à encadrer de manière très rigide les stages en entreprise. Or je considère qu’il est nécessaire de maintenir une certaine souplesse si l’on veut encourager la pratique des stages.
Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont été prises pour encadrer le déroulement des stages, et donc pour lutter contre les mauvaises pratiques.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, insérer un article ainsi rédigé :
« Art. L... - Les gratifications résultant de la réalisation d'un stage visé à l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances sont assujetties aux cotisations visées à l'article L. 241-13. Un décret précise les modalités d'application de cette disposition.
« Un décret précise la part de la gratification qui est soumise à la part salariale des contributions visées à l'article L. 242-1 ainsi que les modalités de recouvrement et de validation des droits acquis. »
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Cet amendement, symbolique à l’heure où le Président de la République dit vouloir trouver les réponses permettant de sauver notre système de retraite par répartition, prévoit d’assujettir les gratifications versées aux stagiaires aux cotisations patronales et, dans une moindre mesure, aux cotisations salariales, étant entendu que cette proposition s’inscrit dans une mesure plus globale de revalorisation des gratifications, que nous entendons porter à un minimum de 50 % du SMIC et dont le montant serait proportionnel à la durée du stage.
Car, vous le savez, mes chers collègues, même si la loi a limité à six mois la durée des stages, il n’est pas rare que de jeunes gens qui n’ont pas droit au RSA ou aux indemnités chômage s’inscrivent dans des écoles ou à l’université dans le seul but d’obtenir des stages, qu’ils espèrent être autant d’occasions de recrutement par la suite. Au final, certaines personnes peuvent cumuler jusqu’à 189 mois de stages, ce qui constitue autant de manques à gagner pour les comptes sociaux.
Dans ce contexte, nous souhaiterions vous inviter à ne pas oublier les propos du Président de la République, qui, au sujet de la réforme à venir, annonçait vouloir tout mettre sur la table.
Cette question de l’assujettissement des gratifications aux cotisations revêt avec la crise une importance encore plus grande que par le passé. De 800 000 en 2006, les stagiaires seraient aujourd’hui 1 200 000, soit une augmentation de presque 50 % ! Cela permet de réduire d’autant les statistiques des demandeurs d’emploi, de vider les agences de Pôle emploi, bref, de dissimuler l’ampleur réelle de la crise.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, une entreprise spécialiste du jouet pour enfant s’est récemment fait décerner la médaille d’or de l’abus de stages par le collectif Génération précaire pour avoir réussi à augmenter de 68 % le recours aux stagiaires, ce qui lui a permis de diminuer de 35 % le recours aux contrats à durée déterminée, qui sont coûteux, ou de 23 % le nombre d’auxiliaires de vacances.
On le voit bien, en l’absence d’assujettissement aux cotisations sociales, les stages apparaissent pour certaines entreprises comme une manière de disposer en France même d’une véritable solution de dumping social.
Avec la crise, les stages abusifs explosent de nouveau, « plombent » les comptes sociaux et font le bonheur des actionnaires, qui disposent d’encore plus de dividendes à se partager.
Cette situation ne peut plus durer ; c’est pourquoi nous vous invitons à adopter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. La mesure que vous proposez présenterait l’inconvénient majeur d’accroître fortement le coût des stages, madame Pasquet. Elle découragerait leur pratique et aggraverait finalement la pénurie actuelle. Ce n’est pas notre objectif.
En conséquence, l’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 16, présenté par MM. Godefroy, Daudigny, Jeannerot, Cazeau, Gillot et Teulade, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Demontès, Schillinger, Campion, Alquier, Printz, Ghali et San Vicente-Baudrin, MM. Desessard, Kerdraon, S. Larcher, Le Menn et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L.451-2-1 du code de l'action sociale et des familles, est complété par six alinéas ainsi rédigés :
« Les établissements de formation agréés par la région peuvent constituer des groupements de coopération prévus à l'article L.312-7 avec les organismes gestionnaires d'établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant de l'article L.312-1 et les établissements d'accueil des enfants de moins de six ans relevant de l'article L.2324-1 du code de la santé publique, afin d'assurer, notamment, les missions suivantes :
« a) l'accompagnement du tutorat des étudiants en travail social en stage ;
« b) la gestion des lieux de stages ;
« c) le versement des gratifications prévues à l'article 9 de la loi n°2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.
« Le groupement de coopération peut verser les gratifications prévues à l'article 9 de la loi n°2006-396 du 31 mars 2006 par l'égalité des chances pour le compte de ses membres. Dans ce cas, les autorités de tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux adhérents peuvent fixer par arrêtés annuels le montant des participations financières pour la prise en charge des missions du groupement dans le cadre des enveloppes de crédits limitatifs mentionnées aux articles L.313-8 et L.314-3 à L.314-5.
« Les participations financières des régimes d'assurance maladie sont versées par la caisse primaire d'assurance maladie dans la circonscription de laquelle est situé le siège social du groupement de coopération. »
Cet amendement n’a plus d’objet.
M. Jean-Pierre Godefroy. En effet, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Pasquet, David et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au plus tard le 30 novembre 2010 un rapport sur l'impact des stages sur le marché du travail et les conséquences sur les stagiaires notamment en matière d'accès à l'emploi et de conditions de vie des stagiaires.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Selon une estimation du Conseil économique et social, les stagiaires représenteraient 4 % de la population active, sans compter les stages de formation professionnelle continue, et cette part déjà importante aurait tendance à augmenter sous l’effet de la crise et de la volonté des entreprises de réduire toujours plus le coût du travail.
Récemment, on a même vu une grande entreprise agroalimentaire française – Danone, pour ne pas la citer – mentionner dans l’espace « Carrière » de son site internet qu’elle recherchait un « stagiaire pour travailler sur le recrutement des stagiaires »…. Cette annonce, qui en dit long sur la conception que les entreprises se font des stages en entreprise, devrait nous interpeller.
Avec cet amendement, qui prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement – un de plus, me direz-vous ! –, nous entendons nous doter d’un outil permettant de mesurer de manière qualitative et quantitative l’impact des stages.
Il s’agit d’évaluer leur impact sur le marché du travail, lequel pâtit à n’en pas douter des possibilités illimitées offertes aux employeurs de recourir aux stages pour pourvoir les postes manquants, notamment en cas d’accroissement temporaire de l’activité.
Il s’agit également d’évaluer les conséquences de ce recrutement régulier de stagiaires sur les rémunérations des salariés, mais aussi sur les comptes sociaux, qui sont deux fois perdants, d’une part, en raison de l’absence d’assujettissement aux cotisations sociales des gratifications versées au titre des périodes de stages, d’autre part, en raison de la substitution des conventions de stages aux contrats de travail, et enfin sur les conditions de vie des stagiaires eux-mêmes, qui voient leur entrée dans la vie active reculer en même temps que les périodes de stage se multiplient.
Ce sont tous ces éléments qu’il faut mesurer aujourd’hui pour comprendre les conséquences de cette généralisation des périodes de stage et, je l’espère, prendre le cas échéant les mesures nécessaires pour éviter qu’elles ne remplacent les véritables contrats de travail et que leur nombre n’explose.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Avis défavorable.
Attendons le rapport de l’IGAS, qui devrait nous éclairer sur ces questions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 8.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. About et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Après les mots :
Proposition de loi tendant
insérer les mots :
à renforcer l'obligation de gratification accordée aux stagiaires et
Cet amendement n’a plus d’objet.
Mme Jacqueline Gourault. En effet, madame la présidente.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 4 mai 2010 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente et le soir :
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (n° 633, 2008-2009).
Rapport de M. Jean-Léonce Dupont, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 418, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 419, 2009-2010).
3. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement (n° 504 rectifié, 2008 2009).
Rapport de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 412, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 413, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART