5
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des finances a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jean-Pierre Fourcade membre du conseil d’administration de l’établissement public de réalisation de défaisance et M. Yvon Collin, membre du conseil d’orientation stratégique du fonds de solidarité prioritaire et membre suppléant du conseil d’administration de l’Agence française de développement.
Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Pierre Leleux membre du conseil d’administration de France Télévisions.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Mandats sociaux dans les sociétés anonymes
Renvoi à la commission d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance, présentée par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 291, rapport n° 394).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, on assiste, depuis quelques semaines, à un intéressant mouvement de nominations de femmes, certaines « illustres », en tout cas « emblématiques » et membres du réseau habituel, aux conseils d’administration de quelques fleurons du CAC 40, et j’ai remarqué que l’industrie du luxe, notamment, était très à la pointe. (Sourires.) C’est donc bien que des places étaient libres pour celles-ci, puisque les conseils d’administration n’ont jamais autant de membres qu’il y a de sièges à pourvoir.
Dans le même temps, on a constaté que les organisations patronales que sont le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et l’Association des entreprises privées, l’AFEP, menaient une campagne de communication vantant les mérites de l’autorégulation. Elles signifient, par là même, leur refus qu’on recoure à la loi,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq. … reprenant ainsi le discours qu’elles avaient tenu lorsqu’il s’était agi des grosses rémunérations.
Je veux donc croire que le mouvement opéré par le législateur, tant à l’Assemblée nationale avec l’adoption de la proposition de loi présentée par M. Copé, Mme Zimmermann et plusieurs députés de l’UMP qu’au Sénat avec le dépôt de la proposition de loi du groupe socialiste que je défends aujourd'hui, a été l’élément déclencheur de ces nominations et de cette opération de communication, ce qui, mes chers collègues, ne doit pas manquer de réconforter le législateur que nous sommes ! (Sourires.)
J’ai d’ailleurs la conviction que c’est là l’un des rôles du législateur, et je vous propose donc, mes chers collègues, de ne pas nous arrêter en si bon chemin !
La proposition de loi que mon groupe a déposée s’inscrit dans la continuité de notre volonté de réformer la gouvernance des entreprises.
En novembre 2008, nous avons défendu devant vous une proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations. Aujourd’hui, nous nous intéressons à la concentration des pouvoirs et – je ne crains pas d’utiliser ce terme – à l’« endogamie » qui en résulte, notamment au sein des sociétés cotées.
Que voulons-nous ? Notre objectif, auquel je crois pouvoir rallier la totalité de cet hémicycle, a fortiori sur fond de crise financière, est de favoriser la prise en compte par les entreprises, notamment les entreprises cotées, du long terme dans leur gestion, de prévenir les conflits d’intérêts et de permettre une représentation diversifiée dans la prise de décision économique.
Il importe donc de renforcer l’implication et l’indépendance des mandataires sociaux dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance. Et il nous semble que le meilleur moyen pour y arriver est de limiter les possibilités de cumul de leurs mandats, exécutifs et non exécutifs.
En effet, le cumul des mandats, souvent déraisonnable, est un frein à la diversité des sexes et des nationalités, mais aussi à la diversité sociologique, à l’indépendance des mandataires sociaux et à l’amélioration de ce qu’il est convenu d’appeler la « bonne gouvernance » des entreprises.
Le code de gouvernement d’entreprise de l’AFEP le précise lui-même : « L’administrateur doit consacrer à ses fonctions le temps et l’attention nécessaires. Lorsqu’il exerce des fonctions exécutives, il ne doit, en principe, pas accepter d’exercer plus de quatre autres mandats d’administrateur dans des sociétés cotées, y compris étrangères, extérieures à son groupe. » Voilà qui est parler d’or !
Hélas ! la réalité est fort éloignée de ces beaux principes. Nous ne pouvons donc croire aux vertus spontanées de l’autorégulation.
Ainsi, sur un total de 500 administrateurs de sociétés inscrites au CAC 40, quatre-vingt-dix-huit personnes concentrent aujourd'hui encore 43 % des mandats.
Quant à la féminisation de l’encadrement, elle est toute relative. Si, dans les sociétés du CAC 40, les femmes représentent, en moyenne, 28 % des cadres supérieurs, ce taux n’a, jusqu’à présent, pas reçu de traduction à l’échelon des organes de décision exécutifs : rapporté à la seule composition des conseils d’administration, il tombe, en moyenne, à 10,5 % !
C’est ainsi que la banque Natixis vient juste de nommer une femme à son conseil d’administration : elle est la seule femme parmi les quinze administrateurs que compte celui-ci. Quant au conseil d’administration du Crédit Agricole, sur vingt et un membres, il compte trois femmes. Les femmes, on le sait, sont pourtant très nombreuses dans les activités bancaires, y compris dans l’encadrement !
Nous en sommes convaincus, pourvoir à la libération des sièges d’administrateurs, exécutifs et non exécutifs, est donc un préalable au rééquilibrage en faveur des femmes.
La spécificité de notre proposition de loi par rapport à celle de l’Assemblée nationale repose sur deux mouvements qui, à notre avis, doivent être concomitants.
Nous proposons de réduire le nombre de mandats que peut détenir une personne physique à trois mandats légaux, soit cinq mandats réels possible par le jeu des dérogations et la comptabilisation des mandats dans les filiales, tant dans des sociétés sur le territoire français que dans des sociétés étrangères, comme le recommande du reste l’AFEP dans son « code de bonne conduite ».
Nous nous situons là dans la continuité des dispositions que nous avions défendues et que le Parlement avait adoptées dans le cadre de la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, dite « loi NRE », qui avait limité à cinq le nombre de mandats qu’une personne peut exercer dans plusieurs sociétés.
Cependant, la portée de cette loi a été fortement limitée, je veux le rappeler, après l’élection présidentielle et les élections législatives de 2002, par une autre majorité parlementaire. Quelques jours avant la date couperet du 16 novembre 2002, fixée pour obliger les mandataires sociaux à se mettre en conformité avec les dispositions de la loi NRE, est en effet intervenue la loi modifiant certaines dispositions du code du commerce relatives aux mandats sociaux du 29 octobre 2002, qui a assoupli la loi NRE s’agissant à la fois de la sévérité de la sanction et des exceptions aux règles de cumul.
On peut ainsi disposer aujourd'hui de trois mandats exécutifs et cumuler neuf mandats non exécutifs. Et, comme on ne compte pas les mandats détenus dans les filiales, ce seuil théorique est, en réalité, largement dépassé. Cette situation nous semble tout à fait déraisonnable !
Aussi proposons-nous de réduire le nombre de mandats d’administrateur à trois dans les sociétés qui ont leur siège sur le territoire français ou hors du territoire, de réduire le nombre de mandats exécutifs à un, de limiter les dérogations à un mandat d’administrateur exécutif supplémentaire dans une filiale et de comptabiliser les mandats d’administrateur non exécutif détenus dans les filiales non cotées pour un seul mandat dans la limite de trois.
Cette dernière limitation peut paraître sévère, j’en conviens, mais nous acceptons de débattre de ce point, madame le rapporteur. En effet, comme je vous l’ai dit lors de mon audition, ce qui compte, c’est l’objectif.
Je pense tout particulièrement à la limite du cumul des mandats dans les filiales, cotées ou non.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. En effet, en matière de stratégie industrielle, on peut comprendre la nécessité qu’il y a à siéger dans les instances des filiales, en cas de restructuration, par exemple. Il n’en reste pas moins qu’il nous faudra bien fixer une limite raisonnable.
En application de nos propositions, les administrateurs auraient trois mois après l’entrée en application de la loi pour se mettre en conformité. À défaut, ils seraient réputés démissionnaires de tous leurs mandats et les délibérations auxquelles ils auraient pris part seraient réputées invalides.
Cependant, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, nous sommes également ouverts à la discussion sur ce mode de sanction, qui est inspiré par le même esprit que celui qui a présidé à la rédaction de la loi NRE.
Enfin, il n’aura échappé à personne que l’une des spécificités de cette proposition de loi est de rendre incompatible l’exercice d’un mandat exécutif dans une société publique avec la détention d’un mandat dans une société privée. Mon collègue Richard Yung reviendra en détail sur ce point, auquel, comme lui, le groupe socialiste tient beaucoup.
S’agissant de la répartition équilibrée entre hommes et femmes, j’ai déjà dit que nous estimions – et je vais le démontrer – que les limites au cumul des mandats « donneraient de l’air » aux conseils d’administration et aux conseils de surveillance.
Ayant, comme Mme le rapporteur l’a certainement fait, elle aussi, pris l’attache de l’Institut français des administrateurs, l’IFA, que préside par M. Lebègue, je sais qu’un vivier de femmes est rapidement mobilisable pour occuper les places qui seraient libérées.
Je tiens d’autant plus à y insister que nous entrons dans la période au cours de laquelle les assemblées d’actionnaires se réunissent et procèdent aux nominations dans les conseils d’administration. Je vais donc appuyer mon propos sur quelques chiffres significatifs.
Aujourd'hui, il y a un total de 1 482 sièges d’administrateur dans le SBF 120 – qui regroupe cent vingt sociétés cotées –, dont 577 pour les sociétés du CAC 40.
Sur ces 1 482 sièges, 1 000 personnes cumulent plusieurs mandats, de la manière suivante : 121 personnes, dont 11 femmes, ont deux mandats ; 42 personnes, dont une seule femme, ont trois mandats ; 14 personnes, dont aucune femme, ont 4 mandats ; 8 personnes, dont une femme, ont 5 mandats ; enfin, 3 personnes, dont aucune femme, ont 6 mandats. Ces chiffres démontrent que les femmes ne sont guère concernées par le cumul des mandats sociaux…
L’IFA estime que, à l’approche des assemblées générales des mois de mai et juin prochains, 130 renouvellements de mandats sont à prévoir pour les sociétés du CAC 40 et 166 renouvellements de mandats pour le SBF 120. Si l’on proposait ces 296 postes, on atteindrait le seuil de 20 % en une seule année, et celui de 40 % en trois ans ! C’est dire que, si on le veut, on peut aller vite !
Certes, notre texte dépasse le périmètre des sociétés cotées. Notre référence est la définition européenne des grandes sociétés, c’est-à-dire celles qui emploient plus de 250 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros. Là encore, on peut discuter du seuil, mais, je le répète, nous voulons fixer un objectif. Qui veut le plus, peut le moins !
En tout cas, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, je suis prête à parier qu’appliquer la parité dans les sociétés cotées aura valeur d’entraînement pour toutes les sociétés.
L’objectif est de parvenir à une proportion des administrateurs de chaque sexe qui ne peut être inférieure à 40 %. Nous rejoignons ici la proposition de loi de Mme Zimmermann et de M. Copé qu’a adoptée l’Assemblée nationale : six mois pour remédier à l’absence de représentation d’un des deux sexes, trois ans pour atteindre le seuil de 20 %, six ans pour parvenir à 40 %. Mais je viens de démontrer que l’on pouvait aussi aller plus vite.
S’agissant des sanctions, en revanche, nous nous éloignons de cette proposition de loi. Nous proposons que les nominations intervenues en violation du principe de représentation de chaque sexe à hauteur de 40 % au moins soient réputées nulles, ainsi que les délibérations du conseil. Celui-ci doit procéder à des nominations provisoires dans un délai d’un mois et à de nouvelles nominations dans un délai de trois mois.
Est-ce trop sévère ? Compte tenu du délai dont disposent les sociétés pour se préparer à appliquer les nouvelles règles, nous ne le pensons pas. Si vous nous prouvez, madame le rapporteur, que la nullité des seules délibérations non conformes auxquelles ont pris part les administrateurs suffit, nous sommes prêts à l’admettre. Ce que nous voulons atteindre, encore une fois, c’est un objectif.
Nous souhaitons débattre, et nous sommes ouverts aux modifications utiles à un objectif qui peut être partagé par tous : limiter le cumul des mandats et diversifier les administrateurs. Je consulte chaque jour la liste des nominations au sein des grands groupes du CAC 40. Cette lecture me conduit à penser qu’en nommant des femmes présentant toutes le profil sociologique habituel, nous n’aurons fait qu’une partie du chemin. Le but à atteindre est d’appréhender la modernisation des pratiques de gouvernance dans leur ensemble.
Selon l’IFA, au terme des six années, sur la base des 1 482 mandats du SBF 120, ce sont 592 mandats qui devront être libérés pour les femmes afin d’atteindre l’objectif de 40 %.
Mes chers collègues, sommes-nous capables de prendre la suite de l’État le plus avancé en la matière en Europe, à savoir la Norvège ? Depuis 2003, dans ce pays, chacun des deux sexes doit être représenté à hauteur d’au moins 40 %.
La méthode employée par les Norvégiens est intéressante. Ils ont commencé par appliquer le quota aux entreprises publiques et ils ont fait confiance aux entreprises privées pour s’adapter. Ayant constaté, très rapidement, que ces dernières ne s’adaptaient pas, ils ont décidé de leur appliquer la loi : elles ont eu deux ans pour réaliser l’objectif des 40 %, qui a été atteint en 2008. Cela montre toute l’importance de la loi, y compris dans des pays qui n’y recourent pas de façon habituelle et privilégient la voie de la convention, de la négociation, du contrat.
Je vois que vous m’écoutez attentivement, madame la secrétaire d’État, et je tiens à vous en remercier, car ce n’est pas le cas de tous les membres du Gouvernement !
Madame le rapporteur, vous m’avez avertie courtoisement que vous demanderiez le renvoi en commission afin d’attendre l’examen de la proposition de loi de nos collègues députés. Mais permettez-moi de douter que, compte tenu de l’encombrement législatif, elle soit inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée avant la fin de la session.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce sera fait !
Mme Nicole Bricq. Il semble même qu’il ait été décidé, pour faire passer la loi de modernisation de l’agriculture, que notre assemblée abandonnerait une de ses semaines d’initiative parlementaire au Gouvernement. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.) Vous me direz ce qu’il en est, monsieur Hyest ; peut-être ai-je mal compris.
En tout cas, moi, je pense qu’il faut aller vite sur ce sujet. Je ne suis pas du tout convaincue que la proposition de loi de Mme Zimmermann et de M. Copé viendra en discussion avant la fin de la session. Et je redoute, avec mes collègues socialistes, de devoir en rester aux codes de bonne conduite, dont nous savons, par expérience, qu’ils ne sont pas, ou très peu et très lentement, suivis d’effet.
Je m’adresserai directement au groupe majoritaire, l’UMP : il doit prendre l’initiative, car il en a le pouvoir. S’il ne le fait pas avant la fin de la session, nous en conclurons qu’il n’a pas la volonté d’aboutir. Le vote intervenu à l’Assemblée nationale n’aura donc été qu’un moulinet, qu’une éolienne brassant du vent, sans produire l’énergie nécessaire pour parvenir à bonne fin !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a parfois des vents contraires ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Nous trouvons gênante votre proposition de renvoi en commission, alors même que le groupe socialiste du Sénat et le groupe UMP de l’Assemblée nationale partagent le même objectif : il faut se lancer sans perdre de temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous sommes saisis d’une proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq relative aux règles de cumul et d’incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Notre collègue part du constat objectif – et je pèse mes mots ! – de la sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir économique que sont les conseils d’administration et de surveillance. Elle estime qu’une limitation plus stricte du cumul de mandats sociaux sera un levier efficace pour les ouvrir aux femmes.
Cette question relève de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et de l’égal accès aux fonctions de direction économique et sociale. Cette intéressante initiative parlementaire vient après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : l’article 1er de la Constitution affirme désormais que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. (M. le président de la commission des lois opine.)
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est à rapprocher de celle qui est relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, déposée par Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann, et adoptée par l’Assemblée nationale le 20 janvier dernier. La convergence de ces deux initiatives parlementaires est incontestablement un signe fort de la volonté du Parlement d’agir dans ce domaine.
Cette sous-représentation des femmes est indiscutable, persistante et regrettable.
Tout d’abord, elle est indiscutable. Si les entreprises françaises, dans leur globalité, comptent environ 17 % de femmes dirigeantes, ce pourcentage est légèrement supérieur dans les entreprises de moins de dix salariés, où il atteint 18,5 %. Mais il fléchit très vite au sein des entreprises de grande taille, et tombe à 8 % dans celles de 200 salariés et plus.
Tous les rapports, tous les états des lieux le montrent, et Mme Bricq l’a également rappelé : s’agissant des entreprises du CAC 40, la représentation des femmes dans les conseils d’administration et de surveillance est seulement d’un membre sur dix. Cinq entreprises ne comptent aucune femme dans leur organe de direction : Cap Gemini, EADS, ST Microelectronics, Vallourec, Veolia Environnement. Quatre ont une représentation supérieure à 20 % : BNP Paribas avec 28,5 %, Michelin avec 25 %, L’Oréal avec 21,4 %, Pernod Ricard avec 21,4 %. À titre de comparaison, les pourcentages atteignent 24 % en Finlande, 27 % en Suède et 42 % en Norvège. La moyenne de l’Union européenne est à 11 % et les États-Unis sont à 15 %.
Ensuite, cette sous-représentation est persistante. En effet, l’évolution annuelle récente de la place des femmes dans les conseils d’administration des plus grandes capitalisations boursières reste très modérée. Dans le cadre des entreprises du CAC 40, les femmes étaient 57 en 2008 et 56 en 2009 ; en 2003, elles représentaient 5 % des administrateurs. Si l’on appliquait ce coefficient d’évolution naturelle, il faudrait attendre l’année 2075 pour atteindre l’objectif visé !
Le 19 avril dernier, l’AFEP et le MEDEF ont intégré dans le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées une recommandation relative à la représentation des femmes au sein des conseils.
Mme Nicole Bricq. Comme par hasard !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. L’AFEP indique, par ailleurs, que le pourcentage de femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance des entreprises du CAC 40 passerait, pour les assemblées publiées à ce jour au bulletin des annonces légales obligatoires, le BALO, de 10,80 % à 15,6 % en 2010.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas mal !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Il existe donc un mouvement naturel et spontané, en France comme en Europe, d’accroissement de la place des femmes. Mais je considère que ce mouvement demeure trop lent. L’évolution naturelle ne permettra pas d’atteindre, me semble-t-il, une représentation équilibrée dans un délai raisonnable. L’autorégulation ne marche pas. Je pense donc qu’il est devenu impératif d’agir. Les initiatives législatives prises en ce domaine sont, par conséquent, les bienvenues.
Enfin, cette sous-représentation est regrettable. La mixité des sexes est, en effet, une valeur ajoutée pour l’entreprise. Si la mixité au sein des directions d’entreprise peut être prônée pour des raisons juridiques, notamment au nom de l’affirmation du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, elle peut aussi l’être en fonction de considérations d’ordre économique et financier.
De nombreuses études ont été publiées en ce sens et montrent, par exemple, que la diversité au sein des conseils d’administration aboutit à des discussions stratégiques plus constructives et à des approches différentes des enjeux. Les femmes ont un style de management qui leur est propre, et l’analyse de l’attitude envers le risque montre qu’elles répondent d’une manière différente et appréhendent mieux le risque.
Un rapport commandé par la Commission européenne relève que l’accroissement de la place des femmes contribue à l’amélioration des performances économiques ; excusez du peu ! La féminisation ouvre les conseils d’administration et de surveillance sur de nouvelles perspectives, tout en améliorant leur fonctionnement.
Il est dit, dans le même rapport, que si l’Europe entend sortir réellement de la crise et devenir, grâce à une croissance intelligente et solidaire, compétitive sur le plan économique, nous devons mieux exploiter les compétences et les talents féminins. L’égalité entre les hommes et les femmes se situe donc, par là même, au cœur de la stratégie européenne.
J’ajoute qu’il est de la plus haute importance, dans la situation économique actuelle, de mobiliser tous les talents. Il n’est plus question de gaspiller des compétences et un potentiel économique à cause d’une perception obsolète du rôle des femmes et des hommes et de leur capacité à diriger.
L’aspect des compétences est, comme vous l’avez dit, madame Bricq, un point clé de l’accélération du changement. À ce sujet, la question de l’existence ou non d’un vivier suffisant de femmes ne se pose plus aujourd’hui. Disons-le clairement, les entreprises comptent suffisamment de femmes qui répondent aux exigences de compétence et d’expérience professionnelle pour rejoindre les conseils d’administration ou de surveillance.
J’affirme donc que le vivier des compétences existe bel et bien chez les femmes !
Mme Nicole Bricq. Absolument !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. J’en viens à la levée du verrou constitutionnel.
Le 16 mars 2006, le Conseil constitutionnel a censuré la loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, considérant que le principe d’égal accès des femmes et des hommes ne s’appliquait qu’aux élections à des mandats et fonctions politiques. Il a précisé : « la Constitution ne permet pas que la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes de droit public ou privé soit régie par des règles contraignantes fondées sur le sexe des personnes. »
Mes chers collègues, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de lever ce verrou : le second alinéa de l’article 1er de la Constitution dispose maintenant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
J’ai plaisir à rappeler que c’est sur l’initiative du président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, que cette disposition figure désormais à l’article 1er de notre loi fondamentale, car l’Assemblée nationale l’avait initialement inscrite à l’article 34 de la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. J’en viens maintenant à la convergence des deux initiatives parlementaires.
Nous sommes saisis aujourd’hui de la proposition de loi présentée par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste, mais il convient aussi de rappeler l’initiative prise, à l’Assemblée nationale, par nos collègues Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann.
Mme Nicole Bricq. Zimmermann-Copé !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Vous avez raison, ma chère collègue, mais je crois aussi que la signature d’un président de groupe politique a donné toute son autorité et toute sa force à cette proposition de loi. Peut-être n’aurait-elle pas été adoptée par l’Assemblée nationale si le président du groupe UMP n’avait pas, en apposant sa signature, donné de l’importance à ce texte. Je considère, ma chère collègue, que la cosignature de Jean-François Copé n’est pas anodine dans cette affaire.
L’Assemblée nationale a donc adopté, en première lecture, cette proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle. Et elle a été officiellement transmise au Sénat, je tenais à le souligner.