M. François Trucy, rapporteur. Tout le monde est, à des degrés divers, soucieux que le calendrier qui a été prévu soit respecté. Ce serait la réussite de la loi. Les choses seraient enfin en ordre. En outre, même si ce n’est pas l’objectif principal du Sénat, dont l’ambition est surtout d’élaborer le meilleur texte possible, l’application de la loi créerait les conditions nécessaires pour que la Coupe du monde soit une réussite.
Peut-on pour autant accepter votre proposition, chers collègues de Montgolfier et Pozzo di Borgo ?
Plaçons-nous dans un scénario catastrophe : nous ne parvenons pas à respecter le calendrier, la loi n’est pas promulguée avant la Coupe du monde. Elle ne peut donc être appliquée puisque, dans les faits, elle n’existe pas.
Or vous proposez, sous certaines conditions, d’accorder des agréments provisoires aux opérateurs non historiques dans l’attente de la promulgation de la loi. Mais si la loi n’existe pas, il n’y aura aucun critère pour accorder ces agréments. Aucune des mesures prudentielles que la loi prévoit pour ce genre d’agrément ne pourrait être mise en place. Vous seriez alors amenés à accepter toutes les demandes, à titre provisoire, sans disposer des garanties qui figurent dans la loi en matière de protections sanitaires ou sociales, ou encore de taxes, par exemple.
En outre, et c’est une difficulté supplémentaire, il se présentera des gens que vous auriez voulu laisser à la porte, à qui vous n’auriez pas accordé d’agrément, et qui profiteront de cette période transitoire pour entrer par la fenêtre.
Le temps passe, après une période de trois mois, six mois, voire un an, la loi est enfin adoptée puis promulguée. Vous engagez les procédures d’agrément de l’ARJEL. Vous serez alors à coup sûr amenés à refuser un agrément définitif à une multitude d’opérateurs à qui vous aurez pourtant donné satisfaction pendant la période provisoire. Vous vous exposerez ainsi à un nombre colossal de contentieux.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances souhaite le retrait de ces deux amendements. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Je ne vous étonnerai pas en disant que je partage l’appréciation de M. le rapporteur.
C’est un début provisoire, mais on ne peut pas aller vers la reconnaissance mutuelle. C’est un point très important, que nous défendons contre vents et marées depuis plusieurs années. La France doit garder la liberté d’agréer qui elle souhaite sur son sol dans le domaine des jeux ; c’est un domaine sensible qui touche à l’ordre moral, à l’ordre social et à l’ordre public. Nous avons déjà amplement évoqué ces aspects depuis le début de la discussion.
La reconnaissance mutuelle n’est pas acceptable et elle ne sera pas acceptée, même dans la période intermédiaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous a fallu accomplir un travail considérable pour arriver là où nous sommes. Il va encore falloir mettre en place l’ARJEL. Et il faudrait soudain, pendant une période déterminée, le temps que les agréments soient délivrés, accepter sur notre sol des opérateurs qui seraient acceptés sur un autre sol ! Et je ne parle même pas de la définition du périmètre des jeux concernés. Je ne peux pas être favorable à une telle démarche. C’est une position de principe que je ne cesserai de défendre.
Les opérateurs historiques peuvent développer leurs initiatives. Il n’y a pas de raison de les handicaper.
Quant aux autres opérateurs, donc les nouveaux entrants sur le marché, je prends l’engagement que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour être prêts pour ce grand moment sportif qu’est la Coupe du monde. Mais il s’agit bien évidemment d’un engagement d’objectif, pas d’un engagement de résultat. Bien des événements peuvent survenir. Des grains de sable peuvent enrayer le déroulement des procédures. Vous connaissez suffisamment bien la question pour que je n’aille pas plus loin.
Nous travaillons beaucoup en temps masqué. Des décrets sont d’ores et déjà prêts. On dit toujours que les lois devraient être prêtes avec les décrets. En l’occurrence, c’est quasiment le cas. Il nous restera à les mettre à jour après le vote du projet de loi. En tout état de cause, le cadre général d’activité sera prêt.
Nous devrons certes composer avec des délais incompressibles, mais c’est jouable. Nous devons en rester là et surtout ne pas nous diriger vers la reconnaissance mutuelle, car plus rien ne serait alors tenable. Comment pourrait-on considérer que ce qui a été valable un jour ne le soit plus le lendemain ?
M. le président. Monsieur de Montgolfier, l’amendement no 36 rectifié est-il maintenu ?
M. Albéric de Montgolfier. J’ai évidemment le souci de ne pas rouvrir le débat sur la reconnaissance mutuelle, d’autant que, compte tenu de la lecture qui doit avoir lieu à l’Assemblée nationale, cela pourrait rendre plus compliquée l’adoption du projet de loi.
Monsieur le ministre, j’ai été rassuré de vous entendre dire que les avant-projets de décrets étaient prêts. J’espère que leur examen par le Conseil d’État et par la Commission européenne ne prendra pas trop de temps.
Toutefois, je souhaite avoir quelques précisions supplémentaires. Sommes-nous également dans les délais en ce qui concerne le cahier des charges des opérateurs ? En l’état actuel, sauf grains de sable, l’ARJEL sera-t-elle en mesure de délivrer des agréments en avril ou en mai ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Le cahier des charges est prêt et il sera en ligne dès que le projet de loi aura été adopté. Les opérateurs pourront ainsi se préparer. L’idée, c’est que les opérateurs soient prêts, qu’ils puissent proposer des offres conformes au cahier des charges. Lorsque tout sera officiel, il ne restera qu’à lancer le cahier des charges selon la voie normale. Les opérateurs pourront alors présenter leur demande d’agrément en toute connaissance de cause. On travaille en temps masqué, je le répète, et on lance le dispositif dès que la situation le permet.
Vous l’avez sans doute constaté, l’ARJEL est préfigurée depuis quelques mois. Ils ont donc travaillé, je le confirme.
M. le président. Monsieur de Montgolfier, qu’advient-il de l’amendement n° 36 rectifié ?
M. Albéric de Montgolfier. Soucieux de ne pas ouvrir le débat sur un autre sujet et fort des engagements de M. le ministre, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 36 rectifié est retiré.
Monsieur Pozzo di Borgo, l’amendement n° 88 est-il maintenu ?
M. Yves Pozzo di Borgo. M. de Montgolfier a fort bien posé les données du problème.
Pour ma part, plutôt que de légiférer sous la pression du calendrier, j’aurais souhaité que l’on prenne le temps d’approfondir la réflexion sur ce point.
Cela étant dit, après avoir entendu les propos de M. le rapporteur et de M. le ministre, dans la mesure où je souscris aux arguments de M. de Montgolfier, et parce qu’il faut gagner la Coupe du monde, je ne peux que retirer mon amendement.
M. le président. L’amendement no 88 est retiré.
Je mets aux voix l'article 57.
(L'article 57 est adopté.)
Article additionnel après l'article 57
M. le président. L'amendement n° 31 rectifié, présenté par M. A. Dupont, au nom de la commission de la culture, est ainsi libellé :
Après l'article 57, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Les opérateurs de paris en ligne dont le siège social est établi, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, et qui sont habilités dans cet État et sous son contrôle à proposer des paris hippiques ou sportifs en ligne, peuvent exercer cette activité à condition de se conformer aux obligations définies dans la présente loi et de demander l'agrément prévu à l'article 16 dans le délai de trois mois à compter de la publication du décret prévu au VI du même article.
II. - Cette faculté cesse de plein droit à la date à laquelle l'Autorité de régulation des jeux en ligne rend sa décision sur la demande d'agrément mentionnée au I.
III. - Par dérogation à l'article 4 bis de la présente loi, toute communication commerciale est interdite aux opérateurs visés au I jusqu'à l'obtention de l'agrément délivré par l'Autorité de régulation des jeux en ligne.
Cet amendement est assorti de quatre sous-amendements.
Les deux premiers sont identiques.
Le sous-amendement n° 46 est présenté par M. de Montgolfier.
Le sous-amendement n° 90 est présenté par M. Pozzo di Borgo.
Ces deux sous-amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2 de l'amendement n° 31 rectifié
Remplacer les mots :
et qui sont habilités dans cet État et sous son contrôle à proposer des paris hippiques ou sportifs en ligne
par les mots :
et qui exercent une activité de jeu ou de pari en ligne
Les deux sous-amendements suivants sont également identiques.
Le sous-amendement n° 39 est présenté par M. de Montgolfier.
Le sous-amendement n° 89 est présenté par M. Pozzo di Borgo.
Ces deux sous-amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 4 de l'amendement n° 31 rectifié
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 31 rectifié.
M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis. Cet amendement répond à la même préoccupation que celle qui a animé les auteurs des précédents amendements. Il traduit la volonté de la commission de la culture de rendre possible l’ouverture des jeux en ligne pour la Coupe du monde. Toutefois, monsieur le ministre, dans la mesure où vous avez répondu par avance à mes observations, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 31 rectifié est retiré.
En conséquence, les sous-amendements nos 46, 90, 39 et 89 n’ont plus d’objet.
Article 58
Dans un délai de dix-huit mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport d’évaluation sur les conditions et les effets de l’ouverture du marché des jeux et paris en ligne est adressé par le Gouvernement au Parlement. Ce rapport propose, le cas échéant, les adaptations nécessaires de la présente loi.
Le Gouvernement remet un rapport au Parlement avant le 31 décembre 2011 sur la mise en œuvre de la politique de lutte contre les addictions au jeu. Ce rapport étudie notamment les systèmes d’information et d’assistance proposés par les opérateurs de jeux ou de paris. Il propose, le cas échéant, la mise en place d’une procédure d’agrément pour ce type de structure.
M. le président. L'amendement n° 187, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
les addictions au jeu
par les mots :
le jeu excessif ou pathologique
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Cet amendement, qui n’est sans doute pas le plus brillant de tous (Sourires), est un amendement de coordination rédactionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Trucy, rapporteur. Que puis-je dire ? Favorable !
M. le président. Je mets aux voix l'article 58, modifié.
(L'article 58 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis.
M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis. Je tiens à remercier M. le ministre et ses collaborateurs de l’attention qu’ils ont portée à mes amendements, par lesquels, j’en suis bien conscient, je posais parfois des questions qui n’étaient pas simples, mais le sujet lui-même n’est pas simple. Je me réjouis des réponses qui m’ont été apportées.
Mes remerciements s’adressent également à M. le rapporteur de la commission des finances, qui est un spécialiste de longue date de la question des jeux en ligne, ainsi qu’aux services de la commission de la culture.
Ce projet de loi, qui traite d’un sujet difficile, était nécessaire. Je souhaite qu’il soit couronné de succès, même s’il n’est pas parfait.
Le jeu n’est pas une activité ordinaire, pas plus qu’internet, et je sais que ce n’est pas le terme qui convient, monsieur le rapporteur.
Monsieur le ministre, il nous faudra revenir sur ces questions. Je tiens à saluer les ouvertures que vous avez faites au cours du débat. La clause de revoyure nous permettra de continuer à réfléchir, et c’est bien car nous n’en avons pas fini avec ce sujet.
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le ministre et ses services ainsi que notre rapporteur pour l’ensemble des réponses qu’ils ont apportées à nos questions, et pour l’attention qu’ils ont accordée à nos propos et à nos amendements. Même si, à notre grand regret, beaucoup de ces amendements n’ont pas trouvé grâce à leurs yeux, je tenais à saluer leur travail.
En guise d’explication de vote, je souhaite rapprocher deux informations. D’une part, vous le savez, des matchs de football auront lieu au mois de juin prochain ; ceux qui l’ignoraient ont pu l’entendre à maintes reprises au cours de nos discussions. D’autre part, et cette information est plus grave, aujourd’hui, compte tenu de l’augmentation en janvier, on dénombre 4 103 000 demandeurs d’emplois en France, départements d’outre-mer compris.
Même si cela peut paraître curieux, ces deux informations doivent être rapprochées car, cela a été noté, les joueurs en ligne sont souvent des inactifs. Les demandeurs d’emploi, dans l’espoir d’un avenir meilleur, peuvent être tentés de jouer en ligne. Nous l’avons constaté dans le passé, beaucoup d’entre eux jouent à des loteries ou engagent des paris. Cela augure d’une situation grave et inquiétante à l’avenir, raison de plus pour être vigilant quant au modèle de société que nous proposons pour les années qui viennent.
Je ferai huit observations.
Premièrement, force est de le constater, ces deux derniers jours ont été vécus sous la pression de l’instant. La loi est, d’une certaine façon, mise au service de la fièvre du jeu puisque, de nombreux orateurs l’ont rappelé, il fallait être prêt avant l’ouverture de la Coupe du monde et la loi devait donc être très vite votée. Or, légiférer dans ces conditions n’est jamais très rassurant.
Deuxièmement, ce texte rompt avec la tradition républicaine, forgée par l’expérience et qui a conduit ces dernières décennies à maintenir un régime exigeant et contrôlé du secteur du jeu. Nous ne pouvons manquer de nous interroger sur le bouleversement de l’équilibre ainsi atteint.
Troisièmement, rien, du moins pas l’Union européenne, n’oblige aujourd’hui à mener un projet de ce type sur les jeux. L’arrêt Santa Casa a déjà longuement été évoqué, mais l’on pourrait aussi se référer à certaines déclarations, notamment celle de Michel Barnier, commissaire au marché intérieur, que j’ai déjà cité. Il doit, d’ici à la fin de l’année, essayer de trouver des lignes directrices pour réglementer le secteur des jeux en Europe. Nous aurions pu nous aligner sur ce calendrier.
Quatrièmement, ce projet de loi a été justifié, notamment hier par M. le ministre, par l’absence de régulation du marché à l’heure actuelle. Nous serions ainsi forcés de réagir. D’après moi, 90 % du marché est régulé, puisque toutes les activités qui relèvent du PMU, de la Française des jeux ou des casinos sont contrôlées d’une façon relativement stricte. Ainsi, seule une partie des jeux en ligne échappe aujourd’hui à cet encadrement. Avons-nous véritablement essayé de trouver d’autres solutions pour réguler ces 10 % de jeux qui échappent à la réglementation ? Je n’en suis pas totalement convaincu. J’eusse aimé entendre, monsieur le ministre, des propos concernant les solutions alternatives susceptibles d’être imaginées à ce sujet. La réflexion n’a, selon moi, pas été assez approfondie.
Cinquièmement, ce texte menace l’équilibre financier. Nous connaissons aujourd’hui le montant des rentrées fiscales et des prélèvements, nous en avons à nouveau parlé cet après-midi. Cela représente 5,5 milliards d’euros. Nous le savons bien, les recettes seront moindres à l’avenir puisque vous avez décidé de baisser les taux de façon assez drastique. L’équilibre financier va être très largement déficitaire. À une période où les finances publiques ont tant besoin de l’attention du Parlement et des décideurs publics, ce projet de loi va incontestablement à l’encontre des exigences actuelles de l’équilibre des finances publiques dans notre pays. Cela est très inquiétant. D’ailleurs, on a du mal à comprendre. D’après ce que j’ai cru comprendre, M. le ministre n’était pas très favorable aux niveaux des taux arrêtés et à l’évolution vers une situation un peu plus difficile sur le plan financier. J’interprète peut-être, monsieur le ministre, mais c’est mon impression. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas très satisfaisant pour notre pays.
Sixièmement, ce texte annonce un déferlement de la publicité sur nos concitoyens. Nous avons tenté, sans succès, de réglementer cette publicité tous azimuts. Nous avons proposé un certain nombre de correctifs et d’instruments de régulation, et des mécanismes pour restreindre l’accès de la jeunesse à ces publicités. Aucun de nos amendements n’a été adopté à ce sujet. À mes yeux, il s’agit de l’un des points noirs de ce débat parlementaire au Sénat.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Marc. Nous n’avons en effet pas été entendus sur la nécessité de protéger les plus jeunes et les plus modestes face à cette vague publicitaire qui va apparaître ces prochaines semaines.
M. le président. Veuillez conclure.
M. François Marc. Je termine, monsieur le président.
Septièmement, concernant le rôle de l’ARJEL, nous aurions souhaité le renforcement et l’extension de sa mission. Les amendements que nous avons présentés à cet égard ont été rejetés.
Enfin, huitième et dernier point, le coût social de ce texte risque d’être relativement lourd. Les conséquences du jeu sont connues, notamment en matière d’addictions. Dès lors, en voulant aujourd’hui construire cette société-casino en France, avec toutes les addictions et les dramatiques conséquences sociales qu’elle va engendrer, le Gouvernement prend un pari très risqué. Nous ne nous associerons pas à cette démarche et voterons bien sûr contre ce projet de loi.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, au terme de la discussion de ce projet de loi, faire quelques observations.
Ce projet de loi ne prend la défense de l'intérêt général, ce qui est pourtant la raison d’être de la loi, que dans ses articles initiaux.
Le jeu d'argent n'est pas une activité économique ordinaire ni un commerce ordinaire. Il est potentiellement générateur de troubles à l'ordre public, à la sécurité publique et à la santé publique. Il participe donc d'une série d'activités réglementées sur lesquelles la règle européenne de concurrence libre et non faussée n'a pas à être plaquée aveuglément, sans y regarder d'un peu plus près. Il conviendra sans doute de nous demander, dans le cadre d'une procédure constitutionnelle, si le principe de subsidiarité ne doit pas trouver à s'appliquer plus largement qu'aujourd'hui sur ces questions, puisque, à défaut d'une directive générique, les décisions de la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE, nous permettront de nous déterminer. L’arrêt Santa Casa le montre, des limites peuvent être posées aux potentiels abus des opérateurs de jeux en ligne, et ce en fonction d'impératifs propres à la situation de chaque pays.
Sur le fond politique, ce n’est pas l’intérêt général qui est défendu par le texte du projet de loi. C'est en effet plutôt, ainsi que le précise le rapport au fond, le « modèle économique » porté par les opérateurs.
En d’autres termes, mes chers collègues, voter cette loi revient à faire primer des intérêts privés sur toute autre considération, au détriment notamment des principes de prévention du risque d’addiction lié au développement du jeu, ou encore des recettes fiscales de l'État et de celles de la sécurité sociale.
Nous l’avons dit, la filière équine, dans son ensemble, sera fragilisée par le modèle économique porté par le texte. Or, avec 35 000 emplois directs et autant d'emplois induits, elle est le premier vecteur d'emplois de l'ensemble de la filière du jeu et du tourisme de loisir.
Le second secteur le plus en difficulté est celui des casinos en dur. Comme chacun le sait, toutes les stations thermales, balnéaires ou climatiques susceptibles d’accueillir un casino n'en sont pas nécessairement pourvues aujourd'hui. S’il y a en effet 197 casinos sur le territoire métropolitain et outre-mer, on dénombre, par exemple, plus de 150 stations thermales, dont une bonne part est parfaitement dépourvue d'un tel équipement. Plusieurs communes ont d'ailleurs lancé des procédures d’appels d'offres, demeurées pour l’heure infructueuses.
Par ailleurs, le secteur des casinos est l'objet, depuis plusieurs années, d'une forte concentration. Celle-ci se traduit par l'expansion de groupes intégrés, dont les activités de jeu vont de pair avec des activités touristiques, thermales et autres. Mais la contraction du produit des jeux constatée ces derniers temps risque fort de créer, notamment pour les groupes de casinos d'implantation régionale ou les indépendants, des menaces de rupture de concession ou de fermeture, si tant est que le casino « virtuel » rencontre un certain succès.
Ainsi, un second secteur d'activité, employant plus de 20 000 personnes – une centaine en moyenne par établissement – pourrait subir le contrecoup de cette loi.
Au final, selon nous, les quelques incertaines recettes fiscales perçues par l'État sur les mouvements enregistrés au titre des paris sportifs, des courses hippiques en ligne ou des jeux de cercle en réseau risquent fort d'être largement compensées par le coût social engendré par la disparition des emplois dans les filières existantes.
Or, à ce jeu de qui perd gagne, nous pouvons le supposer, les salariés du secteur, les collectivités locales ou les organismes d'assurance chômage garderont dans leur main les mauvaises cartes.
Pour autant, nous ne pouvons être certains de protéger l'éthique sportive des risques de dérive, et les parieurs de l'addiction et des indélicatesses d'opérateurs rapidement défaillants.
Décidément, rien ne peut nous inciter à modifier notre position initiale : nous voterons contre le texte résultant de nos travaux.
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, pour explication de vote.
M. Albéric de Montgolfier. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le groupe UMP se réjouit que le projet de loi que nous nous apprêtons à voter soit arrivé à un point d’équilibre, fruit d’un compromis entre des intérêts parfois contradictoires.
Nous regrettons sincèrement que nos amis de l’opposition ne souhaitent pas voter un texte qui améliore pourtant très largement la situation actuelle.
Ne pas légiférer, c’est en effet laisser le jeu illégal se développer, et s’accrocher à des monopoles obsolètes en faisant fi de la réalité économique du jeu en France.
Laisser 2 à 3 milliards d’euros dans la nature, sur lesquels l’État ne prélève aucune taxe, nous semble plutôt incongru, sans parler des risques élevés de blanchiment. À cet égard, le texte comporte de réelles avancées, comme en matière de protection des mineurs ou de protection de la santé publique.
Nous tenons à remercier M. le ministre pour la qualité de son écoute. Le dialogue a été permanent entre les collaborateurs du ministre, les services de Bercy, la commission des finances, les divers rapporteurs et, pour ce qui nous concerne, le groupe UMP. Beaucoup de problèmes ont pu ainsi être déminés en amont.
Cela nous permet de voter un texte qui devrait recueillir, nous l’espérons, l’assentiment de nos collègues députés, lesquels l’avaient déjà largement amélioré et enrichi.
En outre, vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, sur les délais de publication des décrets et sur la délivrance des agréments par l’ARJEL.
Aussi pouvons-nous – j’ose l’expression – faire le pari mutuel d’une ouverture du marché et d’une entrée en vigueur des nouvelles dispositions avant la Coupe du monde de football en juin.
L’équilibre auquel nous sommes arrivés est aussi le résultat du travail de longue haleine de notre collègue rapporteur au fond de la commission des finances, François Trucy. Nous tenons à saluer la qualité remarquable de son travail.
L’état des lieux des jeux en France qu’il a dressé dans son rapport montre la connaissance très fine et précise qu’il a de ce sujet, sur lequel il travaille depuis de nombreuses années. J’avais d’ailleurs fait allusion à ses deux rapports précédents dans mon propos introductif.
Nous tenons également à féliciter les deux autres rapporteurs, Nicolas About et Ambroise Dupont, ce dernier s’étant fait, à raison, le défenseur d’une filière équine que nous soutenons comme lui, et que nous devons absolument préserver, pour des raisons économiques, mais aussi culturelles.
La clause de rendez-vous, dans dix-huit mois, sera l’occasion de s’en assurer et, le cas échéant, d’adapter de nouveau notre législation aux éventuelles évolutions de la situation des jeux en France, de manière pragmatique.
La mission qui devrait être confiée à notre collègue François Trucy, au nom de la commission des finances, dès l’entrée en vigueur de la présente loi, devra permettre d’éclairer plus rapidement encore la Haute Assemblée.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité de mon groupe s’abstiendra sur ce texte.
Certes, nous saluons les efforts qui ont été faits pour régler un certain nombre de problèmes.
De même, les rapporteurs ont effectué un travail particulièrement intéressant, et les débats ont été d’une bonne tenue.
Nous regrettons toutefois que le souffle fort de l’État n’ait pas traversé ce texte.
Ce projet de loi était l’occasion d’opérer un rééquilibrage, notamment dans le domaine sportif, pour protéger les petites fédérations, qui vont se trouver relativement démunies par rapport aux grosses fédérations très argentées.
Nous voyons actuellement ce qui se passe aux jeux Olympiques de Vancouver, avec, d’un côté, le ski alpin, sorte d’eldorado des disciplines représentées et, de l’autre, des sports de pauvre, dans lesquels nous obtenons d’ailleurs de nombreuses médailles.
Quand on regarde la prestigieuse et remarquable prestation des handballeurs tricolores et que l’on compare leurs émoluments à ceux de certains footballeurs, on ne peut qu’être interpellés.
Il aurait sans doute fallu profiter de ce texte pour renforcer les fédérations les plus démunies.
Certes, il est noble de vouloir préserver la filière équine. Mais la protégera-t-on de toutes les dérives au travers des jeux ? C’est moins évident.
On a également effleuré le problème du dopage. Mais l’on sait parfaitement que le dopage et le trucage peuvent nous échapper. Ainsi, deux équipes de football qui voudraient arranger un résultat peuvent très bien feindre de disputer un match en se contentant d’échanger gentiment des ballons – on a pu encore le constater lors de la Coupe d’Afrique des nations. Je remarque au passage que les entraîneurs qui suggèrent à leurs joueurs de se comporter de la sorte ne sont pas très intelligents. Ils devraient plutôt leur conseiller de se battre comme des fous, tout en demandant à l’arrière central de provoquer trois penalties au cours de la rencontre… Ni vu ni connu ! (Sourires.)
Je ne suis pas certain que ce projet de loi permette de régler toutes ces difficultés. Encore faudrait-il les appréhender dans leur globalité. D’ailleurs, si vous avez prévu une clause de revoyure, monsieur le ministre, c’est sans doute que vous pensez que ce texte contient un certain nombre de vices cachés. Dix-huit mois ne seront sans doute pas de trop pour essayer d’en déceler quelques-uns.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 160 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 140 |
Le Sénat a adopté.