PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé la constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2010
La liste des candidats établie par la commission des finances a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean Arthuis, Philippe Marini, Gérard Longuet, Albéric de Montgolfier, Mme Nicole Bricq, M. François Marc et Mme Marie-France Beaufils.
Suppléants : MM. Charles Guené, Jean-Pierre Fourcade, Éric Doligé, Philippe Dallier, Edmond Hervé, Mme Michèle André et M. Michel Charasse.
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Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, préalable au Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de venir vous présenter, au nom du Gouvernement, les enjeux du Conseil européen des 10 et 11 décembre.
Ce Conseil européen, auquel participera le Président de la République sera le premier de la « nouvelle Europe », issue de l’entrée en vigueur, le 1er décembre dernier – voilà donc une semaine tout juste –, du traité de Lisbonne.
Vous pardonnerez à un ancien député, blanchi sous le harnais du Parlement, de simplement regretter que ce débat, sur un sujet aussi important, se tienne ce soir aussi tard, dans un hémicycle qu’on aurait pu souhaiter plus garni compte tenu de l’ampleur des enjeux, soit dit sans outrepasser le respect dû à l’institution parlementaire. Le Gouvernement est corvéable à merci, mais je suis franc : je regrette que ce débat est lieu si tard…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. On ne peut que vous approuver !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Merci, monsieur le président de la commission.
Vous le savez, l’ordre du jour de ce Conseil est extrêmement chargé et donne la pleine mesure des nombreux défis que l’Europe doit relever, maintenant que la page institutionnelle qui nous a occupés pendant tant d’années est derrière nous : les chefs d’État et de Gouvernement évoqueront, en effet, au cours de cette dernière réunion conduite sous présidence suédoise, outre les questions institutionnelles, malgré tout toujours présentes, le climat – la conférence de Copenhague venant de s’ouvrir –, les problèmes économiques et financiers et la préparation de la sortie de crise, l’asile et l’immigration, l’élargissement, ainsi que les questions internationales.
Permettez-moi d’évoquer, en premier lieu, le nouveau fonctionnement de l’Europe avec les institutions nouvellement mises en place.
L’entrée en vigueur du nouveau traité a impliqué, dès le 19 novembre, à l’issue d’un Conseil européen extraordinaire, la nomination du premier Président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, et du premier Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton.
Herman Van Rompuy, désigné à l’unanimité des chefs d’État et de Gouvernement pour deux ans et demi au poste de Président du Conseil européen…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est un bon choix !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … garantira la continuité de l’activité du Conseil européen et représentera l’Union européenne sur la scène internationale.
En tant que Premier ministre de Belgique, M. Van Rompuy a pleinement fait la preuve des qualités requises pour exercer cette responsabilité nouvelle : fort engagement européen, sens du compromis, connaissance des dossiers, confiance des autres chefs d’État et de Gouvernement.
Le Président de la République a reçu M. Van Rompuy vendredi dernier : il lui a dit toute l’importance que nous attachons à sa fonction et à son rôle d’impulsion et l’a assuré du plein soutien de la France dans l’accomplissement de sa mission.
J’ai, pour ma part, à l’issue du Conseil « Affaires générales » – celui-ci est désormais séparé du Conseil « Relations extérieures », où la France est représentée par M. Kouchner et qui s’est tenu ce matin – qui s’est réunie toute la journée d’hier à Bruxelles, rencontré Mme Catherine Ashton.
Mme Ashton devra, dans les semaines à venir, mettre en œuvre les orientations ambitieuses fixées par le Conseil européen d’octobre pour le futur « service européen pour l’action extérieure » et présenter sa proposition formelle de manière que le service soit officiellement établi d’ici à la fin du mois d’avril prochain.
C’est pour la France, j’y insiste, un sujet essentiel. Le service européen doit être l’un des instruments d’une Europe politique plus influente sur la scène internationale, capable de mobiliser au service de ses objectifs, de façon efficace et coordonnée, l’ensemble des instruments de la politique extérieure de l’Union européenne, en cohérence avec le Conseil, c'est-à-dire avec les États. C’est donc une tâche difficile mais passionnante, exaltante même, qui attend Mme Ashton. Je tiens à souligner, parce que certains commentaires ont été publiés dans la presse britannique, que la France jouera pleinement le jeu. D’ailleurs, au Quai d’Orsay, nous travaillons activement à la contribution de la France à ce service.
Par ailleurs, je me réjouis de la nomination de M. Pierre de Boissieu au poste tout à fait éminent de secrétaire général du Conseil.
Le deuxième temps fort du mois de novembre a été la désignation par le président Barroso des nouveaux membres de la Commission et la répartition des portefeuilles en son sein.
Nous nous réjouissons que José-Manuel Barroso ait attribué à Michel Barnier le portefeuille du marché intérieur et des services financiers. C’est un portefeuille important, que la France n’avait jamais obtenu dans le passé.
Les attributions dont Michel Barnier aura la responsabilité sont au cœur de la construction européenne et représentent un enjeu crucial pour la vie quotidienne des quelque 500 millions de citoyens de l’Union européenne. Le dossier du marché intérieur, notamment dans sa dimension relative à la régulation des services financiers, est fondamental pour contribuer à la sortie de crise, préparer les conditions du retour de la croissance en Europe et préserver le rôle moteur que l’Europe a acquis au sein du G20, sur l’initiative du Président de la République pendant la présidence française de l’Union européenne.
Les nouveaux commissaires devront être auditionnés par le Parlement européen lors de la session plénière de janvier, pour que la Commission soit pleinement opérationnelle le 1er février prochain.
Concernant l’augmentation du nombre de sièges au Parlement européen, la future présidence espagnole vient de manifester son intention de demander au Conseil européen de convoquer une conférence intergouvernementale pour apporter les modifications nécessaires au traité.
Le nombre de députés européens devrait ainsi être de 754 jusqu’en 2014, puis de 751 après les élections de 2014 – l’Allemagne perd trois députés –, conformément au traité de Lisbonne.
À titre transitoire, en attendant la ratification de cet acte modificatif par chacun des vingt-sept États membres et son entrée en vigueur, les États qui voient leur nombre de sièges augmenter sont invités – c’est une décision toute récente – à désigner des « observateurs » au Parlement européen.
Ces dispositions transitoires se traduiront pour la France par la désignation de deux observateurs issus des bancs de l’Assemblée nationale, qui deviendront députés européens de plein exercice lorsque toutes les procédures de ratification nationales seront achevées.
La décision du Premier ministre de demander à l’Assemblée nationale de procéder à la désignation de deux députés permet à la fois de respecter le principe constitutionnel de la sincérité du scrutin – en l’occurrence, celui de juin dernier – et de profiter de cette opportunité offerte par la décision du Conseil européen de décembre 2008, sous présidence française, pour rapprocher parlementaires nationaux et parlementaires européens.
J’en viens à la négociation sur le climat, qui sera, bien sûr, au cœur des échanges du Conseil européen, mais aussi, à Copenhague, pendant les quinze jours qui viennent, de la planète tout entière.
C’est peut-être la première fois dans l’histoire que tous les pays de la planète sont appelés à prendre conscience collectivement de leur communauté de destin et à faire le choix, ensemble, soit du salut soit du naufrage.
Pour tous les pays de l’Union européenne, le changement climatique est une question grave, qui menace nos territoires, notre agriculture et notre mode de vie. Mais, pour de nombreux pays, je pense à certains États insulaires comme les Seychelles ou les Maldives, lutter contre le changement climatique, c’est à très court terme une question de survie.
Soyons donc très clairs sur l’objectif : l’accord de Copenhague doit permettre de limiter le réchauffement mondial à moins de deux degrés par rapport à l’époque préindustrielle. Cet objectif signifie qu’il faut atteindre le plus tôt possible un « pic mondial des émissions » et réduire celles-ci d’ici à 2050 d’au moins 50 % par rapport à 1990.
Nous devons, dans cette optique, parvenir à rallier tous les pays partageant nos ambitions, pour peser à Copenhague sur les États qui sont aujourd’hui les plus réticents à s’engager. C’est le sens de la démarche commune engagée par le Président de la République avec le président brésilien Lula. C’est aussi le sens de la démarche engagée par Jean-Louis Borloo, avec son plan « justice-climat » pour les pays en voie de développement.
En termes de propositions concrètes, la lettre commune du président Sarkozy et du président Lula, publiée le 14 novembre dernier, est susceptible de constituer un point d’équilibre entre toutes les parties, dans la perspective d’un accord politique mondial à Copenhague. Cette lettre et ce raisonnement s’articulent autour de sept propositions.
Selon la première proposition, la réduction des émissions de CO2 sur le plan mondial se déclinerait en trois types d’engagements : pour les pays développés, une réduction de 80 % au moins de leurs émissions en 2050 par rapport à 1990, avec un objectif de réduction de leurs émissions à moyen terme, pendant la période 2020-2030, allant de 25 % à 40 % ; pour les pays émergents, c'est-à-dire les pays en développement les plus avancés, une déviation « significative », c'est-à-dire dans une fourchette comprise entre 15 % et 30 % de leurs émissions de CO2 par rapport à la tendance actuelle ; pour tous les pays, des plans nationaux de croissance à faible intensité en carbone, permettant une réduction substantielle des émissions.
Deuxième proposition : l’adaptation au changement climatique.
Un paquet « adaptation » doit permettre de répondre rapidement aux besoins des pays en développement. Le « plan justice-climat » présenté par Jean-Louis Borloo prévoit à ce titre un dispositif d’appui spécifique aux pays les plus vulnérables – Afrique, pays les moins avancés, pays insulaires en développement –, sur la base de projets identifiés, avec un financement dédié pouvant provenir notamment de mécanismes innovants de financement.
La troisième proposition concerne la coopération technologique. L’accord de Copenhague doit permettre le déploiement accéléré des technologies « bas-carbone » – captage et stockage du carbone, énergies renouvelables, nucléaire – et le partage des meilleures pratiques, notamment en matière d’efficacité énergétique.
Quatrième proposition : la mise en place de nouveaux financements pour les actions de lutte contre le changement climatique.
Nous défendons le principe d’une contribution universelle, telle celle qu’a proposée le Mexique, et le développement de mécanismes de financement innovants pour lutter contre le changement climatique.
Un financement public spécifique prévu pour les années 2010-2012, appelé fast start, à destination des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, devrait par ailleurs accompagner les actions immédiatement entreprises sur la base de l’accord dégagé à Copenhague.
La cinquième proposition a trait à un engagement global sur une réduction de moitié de la déforestation d’ici à 2020 et un arrêt de celle-ci d’ici à 2030, avec l’adoption de mesures concrètes pour atteindre ces objectifs. Nous souhaitons que 20 % du fast start y soit consacré.
Sixième proposition : la création d’un mécanisme de mesure, de communication et de vérification des actions engagées. Les pays qui ne prendraient pas des engagements comparables doivent être dissuadés de se comporter en « passagers clandestins ».
À cet égard, l’Union européenne ne doit pas s’interdire de recourir à un « mécanisme d’inclusion carbone », qui évitera à nos entreprises d’être injustement concurrencées par la production de pays moins regardants sur les normes environnementales.
Enfin, la septième proposition porte sur la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, qui aurait notamment vocation à assurer le suivi et le respect des engagements pris.
Le Conseil européen des 10 et 11 décembre doit permettre de définir une position commune sur l’ensemble de ces points.
Trois sujets sont encore, à ce stade, en débat.
Le premier sujet concerne la conditionnalité du passage de 20 % à 30 % de réduction des émissions de CO2 en 2020.
L’Europe doit, dans ce domaine, avoir une approche généreuse, certes, mais aussi réaliste. Pour passer à 30 % de réduction, il faut que les engagements pris par les autres parties soient réellement comparables. Ne nous laissons pas leurrer par des effets d’annonce !
Les États-Unis ont, par exemple, annoncé, le 25 novembre dernier, une réduction de leurs émissions de CO2 de 17 % en 2020, mais ce pourcentage est calculé par rapport à 2005. Ramené à l’année de référence retenue par les Européens, à savoir 1990, cet engagement ne correspond, en fait, qu’à une baisse de l’ordre de 4 % de leurs émissions.
L’Union européenne doit rester ferme sur ses ambitions pour la planète, et les conditions d’un relèvement éventuel de l’objectif européen, conformément aux conclusions du Conseil européen de mars 2007, devront être examinées, après Copenhague, sur la base d’une analyse précise de l’accord, en liaison étroite avec le Parlement européen.
Le deuxième sujet restant en discussion a trait au montant que la communauté internationale en général, y compris donc l’Union européenne, consacrera au financement fast start des actions à conduire dans les pays en développement entre 2010 et 2012.
Vous le savez, le Président de la République a souhaité, lors de son récent déplacement à Trinidad-et-Tobago, que la communauté internationale mobilise 7 milliards d’euros de crédits publics, dont 20 % seraient consacrés à la lutte contre la déforestation.
Le troisième sujet porte sur la référence explicite, dans les conclusions du Conseil européen, à la constitution d’une Organisation mondiale de l’environnement.
La conférence de Copenhague s’est ouverte lundi dernier et se clôturera le 18 décembre sur un ultime segment de négociation, auquel participeront 110 chefs d’État et de Gouvernement, y compris le président Obama. Le Président de la République, qui s’était entretenu de ce sujet avec lui voilà une semaine, a accueilli avec satisfaction l’annonce de cette présence du président américain.
Les négociations seront conduites à la fois pendant la conférence, mais aussi en marge, avec une réunion ad hoc sur l’articulation entre politique de développement et climat le 14 décembre prochain, et surtout le sommet sur la forêt en Afrique centrale, qui se tiendra le 16 décembre prochain à Paris, sur l’initiative du Président de la République, à la veille du dernier segment de la négociation.
Nous pensons aujourd’hui qu’un accord politique ambitieux à Copenhague est un objectif pleinement atteignable. La multiplication, ces derniers jours, d’annonces majeures, telles celles de la Chine ou de l’Inde quant à des réductions chiffrées de l’intensité carbone de leurs économies, sont autant de signaux politiques importants qu’il faut prendre très au sérieux.
J’en viens aux questions économiques et financières et à la préparation de la sortie de crise.
Dans le domaine financier, la présidence suédoise a tenu l’agenda ambitieux qui lui avait été fixé par le Conseil européen de juin dernier et qui consistait à dégager, au sein du Conseil, un accord complet sur la réforme de la supervision européenne, pour permettre au nouveau système d’être pleinement opérationnel en 2010. C’est un pas décisif pour renforcer la solidité du système financier en Europe, au lendemain de la terrible crise financière de 2008.
À la veille du précédent Conseil européen du mois d’octobre, la présidence suédoise était déjà parvenue à dégager un accord sur le volet « macrofinancier », qui prévoit la création d’un comité européen du risque systémique, chargé de prévenir l’apparition des très grands risques de marché, comme ceux que nous avons connus en 2008.
La présidence suédoise a obtenu un nouveau succès au conseil Ecofin du 2 décembre dernier, en dégageant un accord sur le volet « microfinancier ».
Conformément aux conclusions du Conseil européen de juin, l’accord prévoit la création de trois nouvelles « autorités » de surveillance des services financiers au sein de l’Union, respectivement chargées des banques, des assurances et des marchés et valeurs mobilières. Comme nous le souhaitions, ces autorités pourront exercer, dans le respect de certaines conditions, des pouvoirs contraignants sur les superviseurs nationaux. Elles seront dotées, par exemple, de la faculté d’intervenir en cas de désaccord entre superviseurs nationaux, et disposeront de pouvoirs accrus en situation d’urgence ou de crise.
Cet accord est un succès d’autant plus important qu’il y avait, faut-il le rappeler, des sensibilités différentes autour de la table.
Sur le volet économique, le Conseil européen était convenu, il y a un an, d’un « plan de relance européen », destiné à soutenir une activité économique profondément ébranlée par la crise. Ce plan européen et les mesures nationales adoptées par les États nous permettent d’observer aujourd’hui les premiers signes, certes fragiles, de la reprise, et une croissance de nouveau positive au second semestre de cette année.
Cette évolution encourageante doit encore être consolidée : il est trop tôt pour interrompre les mesures de soutien. Lorsque la croissance sera de nouveau solidement installée, nous devrons retirer graduellement ces mesures et engager un effort majeur pour consolider les finances publiques.
Mais nous devons également préparer l’avenir, car les peuples nous jugeront non pas sur nos institutions, mais sur nos résultats. Dans ce domaine, l’Europe doit être visionnaire si elle veut « faire et non subir le XXIe siècle », comme l’a souligné le Président de la République.
Le débat sur la stratégie UE 2020, appelée à prendre la suite de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi, est, de ce point de vue, absolument fondamental, car nous avons besoin, avec l’appui de la nouvelle Commission européenne et de tous les États membres, de construire maintenant et ensemble une Europe plus forte. En effet, l’Europe sort de la crise économique et financière la plus grave que le monde ait connue depuis 1929, et il nous faut donner à nos entreprises, notamment à nos PME, les moyens de retrouver rapidement le chemin d’une croissance élevée et durable.
En outre, l’Europe doit, avec l’émergence d’un monde multipolaire, pouvoir lutter à armes égales avec ses principaux grands concurrents économiques.
Si nous voulons réussir demain là où la stratégie de Lisbonne a échoué hier, nous devons doter la nouvelle stratégie européenne d’une colonne vertébrale plus forte, ce qui signifie concrètement que la stratégie de l’Europe ne doit pas se résumer à la somme de 27 stratégies nationales : la Commission européenne doit également prendre toute sa part dans cette démarche.
À ce sujet, je voudrais insister plus particulièrement sur six points, qui devraient se refléter dans la future Stratégie UE 2020 et que j’ai exposés tant à Mario Monti – je l’ai rencontré mercredi dernier –, chargé par le président Barroso d’une mission sur la relance du marché intérieur, qu’aux vingt-six autres États membres qui étaient réunis, vendredi 4 décembre, à Bruxelles, lors du Conseil « Compétitivité de l’Union européenne », où je représentais la France.
En premier lieu, l’Europe doit impérativement rechercher de nouvelles sources de croissance pour rester compétitive. Elle doit se tourner, sans hésitation, vers l’économie de la connaissance, l’innovation et les technologies vertes, faisant ainsi totalement écho aux priorités identifiées en France par la commission sur le grand emprunt. La démarche menée en France, consistant à identifier les priorités d’avenir, pourrait d’ailleurs parfaitement être « européanisée ». Nombre de projets envisagés chez nous dans le cadre de cette réflexion stratégique sont appelés à avoir une résonance profondément européenne.
En deuxième lieu, l’Europe doit parvenir à réconcilier son marché intérieur avec les 500 millions d’Européens, car celui-ci suscite encore bien souvent la méfiance de nos concitoyens, qui craignent l’affaiblissement de leurs droits sociaux, une diminution de la qualité des biens ou des prestations servies et, au final, une moindre protection.
Mme Annie David. Oui, mais les craintes sont fondées !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je souhaite un marché intérieur qui parvienne à concilier un fonctionnement efficace du marché, un niveau de protection élevé du consommateur et un respect de la cohésion sociale en Europe.
En troisième lieu, nous devons donner toute sa place à la dimension sociale dans notre stratégie.
La crise l’a bien montré, l’Europe de demain doit être plus soucieuse de la cohésion sociale, en anticipant les restructurations, en investissant dans nos systèmes éducatifs, en soutenant la formation et la reconversion des travailleurs.
Mme Annie David. C’est le contraire du budget que nous venons de voter !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. II est inconcevable qu’une multinationale étrangère comme General Motors impose aujourd’hui aux différents pays européens un chantage sur des milliers d’emplois, en échange d’aides publiques, en appliquant une stratégie de division et de surenchère entre les États de l’Union, comme le firent, jadis, les Horaces et les Curiaces, ce qu’on peut également appeler la tactique du salami.
En quatrième lieu, nous devons nous demander collectivement où l’Europe veut être dans les dix ou vingt prochaines années. Car le principal risque, c’est la marginalisation de l’Europe et l’accentuation de sa dépendance face aux pôles industriels émergents.
Soyons clairs : le mythe de l’Europe postindustrielle a vécu ! Nous avons besoin d’un socle industriel en Europe, nous avons besoin de ces emplois, car une économie uniquement fondée sur les services n’est pas viable à long terme.
M. Aymeri de Montesquiou. Bien sûr !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je l’ai constaté, même les plus libéraux des autres États de l’Union européenne ont le sentiment qu’il est urgent de prendre des mesures face aux risques de désindustrialisation.
Nous devons donc être capables de mettre au point, collectivement, une véritable politique industrielle et énergétique commune qui réponde au défi de la désindustrialisation européenne.
En cinquième lieu, l’Union européenne est aujourd’hui l’espace économique le plus ouvert au monde, et il n’est pas question de revenir sur cet acquis.
Toutefois, nous devons, à l’égard de tous nos partenaires, avoir une approche pragmatique : les combats idéologiques appartiennent au passé. À quoi sert la vertu entre nous si, en dehors de l’Europe, d’autres ne respectent pas les règles – parfois les plus restrictives au monde ! – que nous nous imposons ? Nous devons, bien évidemment, nous appliquer des règles justes et équitables mais, comme le souligne le Premier ministre, François Fillon, la question n’est pas seulement de savoir si la concurrence est parfaitement assurée entre la France et la Belgique ou l’Allemagne, par exemple, elle est aussi de savoir si l’Europe a les instruments nécessaires pour lutter contre la concurrence extrêmement forte des pays du Sud-est asiatique, de la Chine, de l’Inde ou du continent américain.
Ne soyons pas naïfs, comme le dit le président Barroso lui-même : l’Europe doit savoir se défendre et faire respecter ses normes, promouvoir ses intérêts et ses valeurs dans les domaines industriel, social ou environnemental. Autrement dit : n’attendons de cadeaux de personne ! De cela tout le monde semble commencer à prendre conscience.
En sixième lieu, enfin, l’ouverture européenne doit se concevoir dans un esprit de réciprocité, y compris s’agissant des marchés publics.
Alors que les plans de relance européens sont totalement ouverts aux entreprises hors zone, comme l’illustre, par exemple, le marché de près de 8,5 milliards d’euros gagnés par Hitachi en Grande-Bretagne au détriment de concurrents européens, Siemens ou Alstom, nos entreprises européennes se heurtent au « mur » de certains marchés publics étrangers...
M. Yves Pozzo di Borgo. Américains !