M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le rapporteur général, le Gouvernement est sensible à votre proposition et lui donnera un avis favorable, preuve de sa volonté de mener un travail de concert.
Je ferai simplement quelques observations.
Le mérite de cet amendement est d’ouvrir largement le champ des travaux prévus dans le cadre du rapport, ce qui me paraît d’autant plus opportun que le système assurantiel ou de taxation s’appliquera dans un contexte international.
Il nous faudra, bien sûr, disposer d’une déclinaison régionale au niveau européen, probablement prévoir une mise en œuvre nationale et nourrir la réflexion internationale de nos propositions nationales et régionales. C’est véritablement un système qui, le jour où il s’appliquera, devra concerner l’ensemble des établissements, faute de quoi nous pénaliserions, dans notre pays, un secteur financier qui est en concurrence permanente avec l’ensemble des établissements financiers opérant au même niveau et fonctionnant avec des sièges, des superviseurs et des contrôleurs situés dans d’autres pays.
J’attire donc votre attention sur la dimension internationale du système assurantiel.
De surcroît, je veux mettre l’accent sur un souci particulier relatif au système assurantiel systémique dont nous discutons. Ce système devra être construit de telle sorte que les établissements bancaires n’aient ni le sentiment ni la certitude juridique ou matérielle que leurs risques seront pris en charge par le mécanisme d’assurance systémique auquel ils contribueront en tout ou partie, ce qui les mettrait finalement à l’abri de « l’aléa moral ».
Il ne faut surtout pas que les banques, parce qu’elles penseront que l’assurance est là pour les protéger, soient amenées à prendre davantage de risques, parfois de manière inconsidérée, comme cela s’est produit récemment.
Il faudra donc être attentif à l’aléa moral et à ne pas laisser fonctionner le système bancaire en lui faisant accroire que les risques seront pris en charge par l’État. Nous devons absolument éviter une telle situation.
Je veux porter à votre connaissance trois initiatives actuellement en cours.
Une première initiative est menée sous l’autorité du Fonds monétaire international, qui examine de quelle manière pourra être mis en place un tel système.
Une deuxième initiative a été lancée par le Premier ministre britannique, Gordon Brown, lors de la dernière réunion du G20 « finances » à Saint-Andrews afin que le groupe réfléchisse précisément à un mécanisme de ce type.
Une troisième initiative a été engagée par la Commission européenne, qui travaille sur la rectification de la directive relative à la garantie des dépôts pour mettre également au point un mécanisme de garantie. Ce mécanisme n’est pas similaire à celui que la commission des finances du Sénat propose puisque cette dernière réfléchit en termes de risques et d’assurance systémique et non de garantie des dépôts.
En revanche, j’ai personnellement demandé à la Banque centrale européenne, lors d’un récent ECOFIN, de réfléchir elle aussi à un mécanisme d’assurance systémique.
Le Gouvernement se rapportera aux trois travaux en cours et s’inspirera des remarques de la commission des finances pour alimenter les réflexions du Fonds monétaire international.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je vous remercie, madame le ministre, de l’avis encourageant que vous venez d’exprimer sur l’amendement de la commission.
Nous voulons clairement accompagner le Gouvernement dans sa volonté de freiner tout ce qui est de nature à délocaliser l’activité.
Or s’il y a une taxe pouvant être un facteur de délocalisation d’emplois, c’est bien la taxe sur les salaires. C’est ainsi que certains emplois passent de la place de Paris à celle de Londres.
M. Jean-Jacques Jégou. C’est pire que la TP !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cette taxe atteint rapidement 14,5 % du salaire brut, ce qui est considérable.
Notre préoccupation est donc de faire disparaître la taxe sur les salaires, Philippe Marini l’a dit, car, si c’est une recette pour l’État, c’est également une dépense pour la protection sociale.
Sa suppression ferait immédiatement baisser le poids des prélèvements obligatoires par rapport au PIB de 0,2 % à 0,3 %, et sans doute un peu plus puisque trois grands secteurs sont concernés : le secteur financier – assurances et banques –, la santé et le monde associatif.
Le monde associatif vit pour l’essentiel de subventions qui lui sont versées soit par l’État, soit par les collectivités territoriales. Il y a donc urgence à simplifier et à clarifier le dispositif. Il faut éviter de mettre en recouvrement une taxe n’ayant d’autre justification que celle selon laquelle on prélève une taxe sur les salaires lorsque la TVA ne s’applique pas.
Pour ce qui est des établissements financiers, je me réjouis, madame la ministre, de la réponse que vous venez de formuler. Nous nous inscrivons parfaitement dans cette démarche. Nous l’avons constaté à l’occasion de la crise, les États, et non pas seulement la France, ont proclamé bien vite qu’ils se portaient assureurs systémiques.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. L'amendement n° I-304 rectifié que j’ai défendu ce matin vise le même objectif que l’amendement n° I-518 de la commission.
Je ne ferai pas de procès d’intention, car nous sommes tous d’accord : nous ne voulons pas, lors d’une future crise financière, que les contribuables, par le biais de la puissance publique – banques centrales ou États –, soient les assureurs de dernier ressort.
Le rapporteur général et le président de la commission demandent que le Gouvernement remette un rapport au Parlement dans lequel il exposera la faisabilité d’une taxe ou prime d’assurance systémique. Je n’ai pas bien compris, madame la ministre, si vous étiez favorable à cette mesure.
Mme Nicole Bricq. Nous approuvons cette demande : un rapport nous permettra d’avancer.
En revanche, nous n’approuvons pas le codicille. L’intervention du président de la commission des finances le prouve, la finalité du dispositif est d’abord de supprimer la taxe sur les salaires, vieille revendication du monde bancaire, comme l’était en son temps la suppression de l’impôt de bourse pour les acteurs financiers.
Au bout de plusieurs demandes, ces derniers ont fini par avoir la peau de l’impôt de bourse, …
M. Jean Desessard. Ça n’arrête pas !
Mme Nicole Bricq. … sans que soit améliorée la compétitivité de la place financière de Paris.
Au cours du débat sur la proposition de résolution européenne déposée par le groupe socialiste et examinée par la commission des finances, nous avons demandé la mise en place d’une taxe assurantielle pour éviter les risques systémiques. Vous avez dit en commission, et vous l’avez redit du reste, que la contrepartie de la suppression de la taxe sur les salaires à hauteur de 2,4 milliards d’euros était équivalente au produit de ce que pourrait être la taxe assurantielle. À partir de là, en quoi la mesure est-elle dissuasive ?
Vous avez évoqué le problème des critères. Le critère essentiel est que les fonds propres des banques, comme des établissements financiers, soient relevés en fonction du risque excessif pris par ces derniers. Il faut un rapport entre la capitalisation et le risque.
Par conséquent, si vous supprimez, d’un côté, la taxe sur les salaires et que vous créez, de l’autre, une taxe assurantielle, vous neutralisez la mesure. Je ne vois pas ce qui encouragerait les banques à éviter le risque systémique.
C’est pourquoi votre argumentation en faveur de la remise d’un rapport nous pose problème.
L’objet principal de la mesure est d’éviter que les États, c'est-à-dire les contribuables, soient appelés à venir au secours des établissements financiers. Il faut absolument mettre cette mesure en place et étudier les conditions de son application.
Vous savez bien que toute crise favorise les concentrations. Nous assistons d’ailleurs à ce phénomène en Europe comme outre-Atlantique. Si nous ne faisons rien à court terme, les mêmes causes produiront les mêmes effets et nous subirons la règle du « too big to fail » : plus les établissements seront gros, et c’est ce qui ne manquera pas de se produire en raison de la concentration, moins nous pourrons les laisser choir.
Lorsqu’à Saint-Andrews, madame la ministre, M. Strauss-Kahn a avancé l’idée d’une taxe sur les banques, vous avez affirmé qu’il s’agissait d’une bonne chose, qu’il fallait étudier la proposition, mais qu’il faudrait un certain temps pour que tout le monde avance de conserve.
Sans plagier le sketch de Fernand Raynaud sur le refroidissement du fût du canon, c’est quoi un certain temps ? (Sourires.) Nous pensons, pour notre part, qu’il faut agir très vite et sans marchander une contrepartie.
Nous sommes favorables à la remise d’un rapport, mais nous ne voterons pas l’amendement de la commission puisque nous n’approuvons pas la contrepartie dont l’effet sera de neutraliser la mesure.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Je suis absolument d’accord avec ce que vient de dire à l’instant Nicole Bricq : nous partageons l’esprit de l’article 4 bis, mais nous ne partageons pas ses finalités.
Nous sommes opposés à ce que l’instauration d’une taxe ou prime d’assurance à laquelle devront souscrire les établissements financiers serve à justifier leur future exonération de la taxe sur les salaires.
Je sais que nous reviendrons sur cette question et que je pourrai à cette occasion détailler plus longuement mon avis, qui rejoint celui de Nicole Bricq.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je souhaite que Nicole Bricq participe aux travaux que nous mènerons en relation étroite avec le Gouvernement.
Mme Nicole Bricq. Ah oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Notre intention n’est pas de créer les conditions qui favorisent la chute des établissements et l’intervention de l’État. C’est parce que l’État sera assureur systémique qu’il pourra poser des règles particulièrement exigeantes pour prévenir de telles difficultés. C’est bien de cela qu’il s’agit.
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Dans notre esprit, il n’est pas question de dire aux établissements bancaires : « laissez-vous aller puisque vous êtes couverts par l’État ! »
Ce dispositif doit également intervenir comme une sorte de haute autorité de la concurrence pour les banques. Nous avons effectivement assisté à une concentration d’établissements, concentration qui a motivé l’intervention de l’État. C’est le principe du « too big to fail » : plus les établissements sont puissants, plus ils doivent être aidés, car leur chute serait trop préjudiciable à l’ensemble de l’économie et de la société.
Cela suppose que les autorités gouvernementales puissent exercer un contrôle a priori sur les concentrations d’établissements.
Est-ce une voie d’avenir que de laisser se concentrer à l’extrême de tels établissements ? Sommes-nous certains que ceux qui les dirigent ont encore une capacité à le faire dans la mesure où ces établissements atteignent une dimension considérable, à l’échelle mondiale, et créent des filiales un peu partout, y compris dans les espaces non coopératifs ?
La prime d’assurance systémique pourrait donc être calculée en fonction de l’importance de l’établissement. Dans certains cas, elle devrait permettre de s’opposer à de nouvelles concentrations.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame Bricq, une préoccupation nous réunit et une autre nous sépare.
Nous sommes d’accord sur la démarche tendant à construire un système d’assurance contre les risques spécifiques du secteur financier. Nous partageons aussi le souci d’asseoir la prime de la manière la plus précautionneuse et la plus utile possible, afin qu’elle joue bien tout son rôle et que l’État, en tant qu’assureur, dispose de moyens supplémentaires pour garantir la sécurité globale du dispositif.
En revanche, nos avis divergent sur la question de savoir si ce système s’élabore à niveau de prélèvements constant, ou non, sur le système bancaire.
Pour votre part, vous souhaitez augmenter les prélèvements sur le système bancaire : vous l’avez dit tout à l’heure, dans la précédente phase de nos délibérations, lors de la discussion de l’amendement majorant de 10 % les impôts sur les banques. Dans le même esprit, vous nous proposez maintenant de faire payer une prime supplémentaire aux mêmes acteurs, portant sur les mêmes comptes, mais sans réaliser que, plus l’effort demandé sera grand, plus il exercera une influence restrictive sur le crédit : c’est une loi technique, comptable et comportementale à la fois !
Plus vous limitez la rentabilité des banques, plus vous avez de chance d’exercer un effet malthusien sur l’offre de crédit. Quoi qu’il arrive, une autorité extérieure à la gestion de l’établissement financier ne va pas se substituer à lui pour prendre le risque d’octroyer un crédit. Que vous le vouliez ou non, cette réalité de l’économie d’entreprise est imparable !
Ensuite, vous manifestez votre attachement – et le groupe CRC-SPG peut-être encore plus que vous – au maintien de la taxe sur les salaires, malgré tous les inconvénients économiques et l’archaïsme de cette taxe et malgré la grande simplification administrative et fiscale qui résulterait de sa suppression totale dans tous les secteurs de l’économie et de la société où elle s’applique.
Voilà donc quels sont nos points de divergence et de convergence : ils ne nous empêchent pas de travailler ensemble pour définir le système. En tout état de cause, les réflexions engagées en France, comme l’a fort bien dit Mme Christine Lagarde, sont également très présentes dans le débat public et parlementaire aux États-Unis, en Grande-Bretagne, ainsi que dans les enceintes internationales. Il est tout à fait utile que la France soit un acteur de ce mouvement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l’amendement n° I-304 rectifié.
Mme Nicole Bricq. Nous voulons bâtir un système de prévention, ce qui pose le problème de savoir qui le gèrera, ce dont Mme la ministre a d'ailleurs parlé. Ce rôle sera assumé soit par les États, soit par les autorités prudentielles – nous avions, quant à nous, privilégié cette solution –, mais on peut aussi envisager de le confier aux banques centrales.
Dans la logique de prévention, quel que soit le détenteur de cet outil, que je serais tentée de comparer à l’arme nucléaire, celui-ci doit être dissuasif. Il s’agit d’éviter la formation de nouvelles bulles spéculatives. Ainsi que nous l’avons souvent dit, lorsqu’il existe un décalage aussi important entre l’activité financière et l’économie réelle, la bulle qui s’est créée finit par éclater. Or le capitalisme a toujours fonctionné de crise en crise.
M. Jean Desessard. De bulle en bulle !
Mme Nicole Bricq. Pour éviter la formation d’une nouvelle bulle, on peut imaginer que le montant de cette prime puisse être modulé dès que l’émergence d’un risque est constatée : il faut que cela coûte !
Notre amendement ne tend pas à taxer davantage les banques, tel n’est pas notre état d’esprit. En revanche, nous voulons éviter que les banques ne prennent des risques excessifs. En fonction du niveau de prise de risque, dont l’évaluation serait confiée à une autorité indépendante ou aux États, le taux de la prime serait modulé.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° I-304 rectifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4 bis, modifié.
(L’article 4 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 4 bis
M. le président. L’amendement n° I-382, présenté par Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Après l’article 4 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé:
I. - Au II de l’article 103 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006, l’année : « 2006 » est remplacée par l’année : « 2008 », et l’année : « 2008 » est remplacée par l’année : « 2011 ».
II. - L’article 220 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l’article 103 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 et de l’article 45 de la loi 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, est ainsi modifié :
A. - Dans le I, après les mots : « formats audiovisuels » sont insérés les mots : « ou de distribution à l’étranger d’œuvres cinématographiques » et après les mots : « programmes audiovisuels » sont insérés les mots : « ou d’œuvres cinématographiques ».
B. - Le II est ainsi modifié :
1° Dans le 2°, après les mots : « formats audiovisuels » sont insérés, à deux reprises, les mots : « ou à la distribution à l’étranger d’œuvres cinématographiques ».
2° Dans le 3°, après les mots : « formats audiovisuels » sont insérés les mots : « ou de distribution à l’étranger d’œuvres cinématographiques ».
C. - Le III est ainsi modifié :
1° Dans le 1, après les mots : « formats audiovisuels » sont insérés les mots : « et les œuvres cinématographiques ».
2° Dans le a du 2, après les mots : « œuvres audiovisuelles » sont insérés les mots : « ou cinématographiques ».
D. - Le IV est ainsi modifié :
1° Dans le premier alinéa du 1°, après les mots : « formats audiovisuels » sont insérés les mots : « et des œuvres cinématographiques ».
2° Dans le b du 1°, après les mots : « leurs propres programmes » sont insérés les mots : « ou œuvres cinématographiques ».
3° Dans le c du 3°, après les mots : « programmes audiovisuels » sont insérés les mots : « ou d’œuvres cinématographiques ».
E. - Dans le 2 du VI, après les mots : « œuvres audiovisuelles » sont insérés les mots : « ou d’œuvres cinématographiques ».
III. - Les dispositions des I et II ne s’appliquent qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.
IV. - La perte de recettes pour l’État est compensée par la création à due concurrence d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Cet amendement n’est pas soutenu.
Article 5
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l’article.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le réchauffement climatique dû à l’utilisation d’énergie produite par des combustibles fossiles représente un risque majeur pour notre société. Si cette prise de conscience, dorénavant partagée, est positive, le mécanisme proposé par « la taxe carbone », est décevant : il est fondé sur une ineptie sociale et risque de ne pas s’avérer efficace, tant il s’inscrit dans la continuité des pratiques actuelles.
En clair, cette nouvelle taxe représente annuellement 300 euros supplémentaires par ménage pour le seul chauffage, 7 à 8 centimes d’augmentation du prix du litre d’essence et 15 % d’augmentation prévisible du prix du gaz.
La proposition de taxe carbone met donc en avant, une nouvelle fois, le principe « pollueur-payeur » dont l’efficacité est contestée par de nombreux experts. Cette nouvelle taxe appelle un calcul simple : plus on polluera, plus elle rapportera.
Par ailleurs, cette taxe ne vise pas à résoudre le problème des émissions de gaz à effet de serre ni des modes de production, elle n’incite pas à la révolution énergétique pourtant nécessaire et elle consacre l’usager comme principal responsable de la pollution.
De cette manière, la machine à inventer de nouvelles taxes est réactivée : 8,3 milliards d’euros d’impôts nouveaux, dont plus de la moitié sera assumée exclusivement par les familles. C’est injuste et insupportable.
Pourtant, la taxe carbone devrait s’inscrire dans une remise à plat complète de notre fiscalité, au lieu de se limiter à un « bricolage » isolé de mesures fiscales.
Indubitablement nécessaire pour pouvoir atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction d’émissions, elle n’en est pas moins à la fois improductive et injuste dans la version que nous propose le Gouvernement.
Cette taxe est improductive tant qu’elle reste aussi limitée dans son prix comme dans son assiette. Sous sa forme actuelle, la taxe carbone ne permettra jamais d’atteindre l’objectif de division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 qui répond à nos engagements.
L’exclusion complète de la consommation électrique de l’assiette de la taxe pose deux problèmes : d’une part, elle n’incite pas à réduire la consommation d’électricité, alors que cette dernière pourrait être utilisée pour réduire les émissions dans d’autres secteurs, en particulier dans les transports ; d’autre part, elle renforce l’incitation au choix du chauffage électrique, une aberration énergétique de plus, tout le monde le sait !
Cette taxe n’est pas seulement improductive, elle est aussi injuste dans son fonctionnement. En effet, au prix proposé de la tonne de carbone, elle aboutira à alourdir la facture des plus modestes, sans pour autant dissuader les comportements les plus énergivores de ceux qui ont les moyens de l’acquitter.
Alors que cette taxe constituait, potentiellement, un formidable outil de justice fiscale, par la redistribution des richesses et la prise en compte des externalités négatives liées aux comportements de gaspillage, le Gouvernement ne nous propose qu’une redistribution du produit de cette taxe à l’aide d’un « chèque vert ».
Le renchérissement des énergies fossiles, dont les objectifs sont à la fois la réduction globale de la dépense d’énergie et le changement de source d’énergie, doit s’accompagner, selon nous, de politiques visant à développer l’offre de solutions de rechange à la consommation et les incitations à la transition énergétique, comme le préconisait, à juste titre, le rapport rendu par Michel Rocard. L’exclusion de la consommation électrique et l’absence de mesures d’aides aux foyers pour le changement de source d’énergie vont complètement à rebours de ces recommandations.
Comble de l’injustice, on nous demande de taxer les individus, alors qu’un marché a été proposé aux entreprises les plus fortement émettrices de gaz à effet de serre. La taxe vise les consommations d’énergie, mais les industries de production d’électricité, ainsi que l’ensemble des installations soumises au système européen de quotas de CO2, sont exemptées, afin de leur éviter une prétendue « double peine ».
En réalité, au lieu de s’attaquer directement aux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en leur fixant des objectifs contraignants de réduction de leurs émissions ou en instaurant une taxe sur les activités concernées, on leur permet de spéculer sur le prix de la tonne de carbone, en leur accordant des crédits d’émission gratuits jusqu’en 2013 ! Avec ce système contraire à la logique, les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre seront soumis aux obligations les moins contraignantes et la fiscalité du carbone pèsera essentiellement sur la consommation finale d’énergie, sans aucunement inciter à la réorientation en amont des modes de production de l’énergie, ni permettre, par exemple, le financement d’un fonds en faveur des énergies alternatives à l’aide du produit de la taxe sur les grands producteurs d’électricité.
En fin de compte, cette nouvelle taxe jouera une nouvelle fois contre l’emploi, les salaires et le pouvoir d’achat, alors qu’il serait urgent de conjuguer progrès écologique et progrès social.
En outre, les collectivités locales seront une nouvelle fois mises à mal par cette taxe. D’une part, elles ne bénéficieront d’aucun retour sur ce qu’elles auront versé, contrairement aux ménages ou à certaines entreprises qui seront carrément exemptées. D’autre part, le versement de cette taxe sera déduit de la valeur ajoutée des entreprises qui y sont assujetties, allégeant d’autant les ressources dont disposent les collectivités locales : celles-ci seront une nouvelle fois contraintes soit de diminuer leur offre de services, soit d’augmenter les impôts locaux.
Telles sont les observations qu’appelle de notre part cet article 5, source de nouvelles injustices que nous ne pouvons tolérer !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’engagement 65 du Grenelle de l’environnement portait sur la création d’une « contribution climat-énergie ». En conséquence, cet article 5 institue la « taxe carbone ».
M. le ministre du budget l’a réaffirmé lors de la discussion générale : le débat sur la taxe carbone est enfin ouvert et un signal est désormais adressé à nos concitoyens.
Oui, mais quel signal ? En voulant ménager la chèvre et le chou, vous brouillez ce signal aussi bien sur le plan environnemental que sur le plan social.
Sachons dépasser le discours simpliste « anti-taxe » et considérons nos responsabilités à l’égard de l’environnement et du réchauffement climatique !
Les experts internationaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui ont été récompensés par le prix Nobel 2007, sont unanimes : il ne nous reste plus qu’une petite dizaine d’années pour sauver le climat et limiter le réchauffement planétaire aux environs de deux degrés. Mais, pour cela, les pays développés doivent réduire de 25 % à 40 % leurs émissions de gaz à effet de serre à l’échéance de 2020.
À cet égard, dans nos économies de marché, le signal-prix est le levier incontournable – même s’il n’est pas suffisant – pour engager la reconversion nécessaire de nos systèmes productifs et le changement en profondeur de nos habitudes de consommation. La sobriété énergétique n’est pas un slogan : elle est tout simplement devenue vitale pour assurer le devenir des habitants de notre petite planète.
Et si cette sobriété énergétique relève désormais de l’impératif catégorique, l’instauration d’une contribution climat-énergie efficiente est pour nous, parlementaires, une « ardente obligation » – si je puis me permettre cette expression – au sens gaullien du terme !
Vous comprendrez aisément, madame la ministre, mes chers collègues, que l’on ne puisse se contenter des propositions faites dans ce projet de loi de finances : au lieu de mettre en œuvre une contribution « climat-énergie » telle qu’elle est actée dans les conclusions du Grenelle de l’environnement, c’est-à-dire une véritable taxe « énergie-carbone » frappant toutes les énergies, le Gouvernement se contente d’une piètre taxe « Sarkozy-carbone », qui relève pratiquement de la trahison de l’engagement donné.
En effet, les dispositions prévues dans le projet de loi de finances condamnent la taxe « Sarkozy-carbone » à l’échec !
À moins de 32 euros par tonne, tous les experts estiment que le signal-prix est parfaitement inaudible pour les agents économiques, qui ne seront pas conduits à modifier leurs comportements.
Sans cadrage et affichage précis de la progression du prix du carbone, censé atteindre 100 euros par tonne au plus tard en 2030, les entreprises seront dans l’incapacité de programmer les investissements nécessaires à la « décarbonation » de leurs activités.
L’électricité, notamment d’origine nucléaire, échappe à l’exigence de sobriété. Pourtant, les économies d’énergie, y compris électrique, devraient être prioritaires : il y a consensus sur cette question !
De plus, ces dispositions sont considérées comme très négatives, car injustes, par nos concitoyens.
La taxe « Sarkozy-carbone » pèse proportionnellement beaucoup plus sur les ménages modestes, puisque la fameuse compensation forfaitaire ne prend pas en compte les niveaux de revenus. Les ruraux, contraints de se déplacer en voiture, sont particulièrement pénalisés. Par ailleurs, de nombreuses dérogations bénéficient indûment à des secteurs et à des multinationales particulièrement émetteurs de gaz à effet de serre.
En l’état du projet, cette taxe est aussi inefficace qu’injuste ! Il revient donc à la Haute Assemblée de rectifier le tir et nous défendrons des amendements en ce sens. À défaut, cette taxe carbone sera le meilleur moyen de vacciner nos concitoyens contre toute contribution climat-énergie. (MM. Jacques Muller et Jean-Claude Frécon applaudissent.)