Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine, M. Jean-Noël Guérini.
2. Afghanistan – Débat d'initiative sénatoriale
M. le président.
M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste ; Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
MM. Josselin de Rohan, Nicolas About, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Gautier, Jean-Louis Carrère, Aymeri de Montesquiou, Mmes Dominique Voynet, Monique Cerisier-ben Guiga.
MM. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes ; Hervé Morin, ministre de la défense.
MM. Jean-Pierre Bel, Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.
M. le président.
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
4. Numérisation du livre. – Discussion d'une question orale avec débat
M. Jack Ralite, auteur de la question.
M. Ivan Renar, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Serge Lagauche, François Fortassin, Jacques Legendre, Mme Bernadette Bourzai, MM. Jean-Pierre Leleux, Yann Gaillard.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
M. Jack Ralite.
Clôture du débat.
5. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
6. Imposition des revenus de source locale à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. – Adoption de deux propositions de loi organique en procédure accélérée (Textes de la commission)
M. le président.
Discussion générale commune : MM. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin ; Michel Magras, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy ; Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois.
MM. Bernard Frimat, Daniel Marsin, Mme Odette Terrade.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.
Clôture de la discussion générale commune.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement no 1 de M. Louis-Constant Fleming. – MM. Louis-Constant Fleming, le rapporteur, Mme la ministre. – Retrait.
Amendement no 7 du Gouvernement. – Mme la ministre, M. le rapporteur. – Adoption.
Amendement no 6 rectifié de la commission. – M. le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 2 de M. Louis-Constant Fleming. – MM. Louis-Constant Fleming, le rapporteur, Mme la ministre. – Retrait.
Adoption de l'article.
Amendement no 3 de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement no 4 de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement no 5 de M. Bernard Frimat. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement no 8 du Gouvernement. – Mme la ministre, M. le rapporteur. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
MM. Jacques Gillot, Bernard Frimat.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi organique.
Amendement no 1 du Gouvernement. – Mme la ministre, M. le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 2 du Gouvernement. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
M. Michel Magras.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi organique.
7. Recherches sur la personne. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Amendement n° 29 de la commission. – Mmes Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. – Adoption.
Amendement n° 1 de M. Nicolas About. – Mmes Muguette Dini, le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement n° 2 de M. Nicolas About. – Mmes Muguette Dini, le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement n° 30 de la commission. – Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement n° 21 de M. François Autain. – M. François Autain, Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 23 rectifié bis du Gouvernement. – Mmes la ministre, le rapporteur. – Rejet.
Amendement n° 31 de la commission. – Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement n° 32 de la commission. – Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement no 39 rectifié du Gouvernement. – Mmes la ministre, M. le rapporteur. – Rejet.
Amendement n° 22 rectifié bis de Mme Catherine Procaccia, repris par la commission. – Mmes la présidente de la commission, la ministre. – Retrait.
MM. Jean-Pierre Godefroy, François Autain.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 13 de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la ministre, M. François Autain. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Nicolas About. – Mmes Muguette Dini, le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 14 de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement n° 36 du Gouvernement. – Mme la ministre, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 3
Amendement n° 15 de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Articles 4 à 4 quater. – Adoption
M. Jean-Pierre Godefroy.
Amendement n° 35 rectifié du Gouvernement. – Mmes la ministre, le rapporteur, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° 19 de M. François Autain. – M. François Autain, Mmes le rapporteur, la ministre. – Rejet.
Amendement n° 20 de M. François Autain. – M. François Autain, Mmes le rapporteur, la ministre. – Rejet.
Amendement n° 33 de la commission. – Mmes le rapporteur, la ministre. – Adoption.
Amendement n° 34 de la commission et sous-amendement no 38 du Gouvernement. – Mmes le rapporteur, la ministre. – Rejet du sous-amendement ; adoption de l’amendement.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 17 de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Articles 4 septies et 5. – Adoption
MM. François Autain, Jean-Pierre Godefroy, Mme la ministre, la présidente de la commission.
Adoption de la proposition de loi.
8. Mise au point au sujet d'un vote
Mme Nathalie Goulet, M. le président.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Jean-Noël Guérini.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Afghanistan
Débat d'initiative sénatoriale
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’initiative sénatoriale sur l’Afghanistan.
Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, depuis 2001, près de 4 000 soldats français sont présents en Afghanistan dans le cadre de la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, sous commandement de l’OTAN. Cette opération, décidée par le Président de la République, a été autorisée par notre assemblée.
Cet engagement suscite un certain nombre d’interrogations, dans notre pays comme chez nos alliés, et il m’a paru important que notre assemblée ait, à la suite de la demande formulée par le groupe socialiste et le groupe CRC-SPG, un débat de fond sur les enjeux de notre présence en Afghanistan.
Afin de préparer ce débat, nous nous y sommes rendus du 26 au 29 octobre. Avec Gérard Longuet, président du groupe UMP, Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, et Nicolas About, auxquels s’était jointe Michelle Demessine, qui représentait la présidente du groupe CRC-SPG, ainsi qu’avec Jacques Gautier, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous sommes allés sur le terrain, à la rencontre des militaires français, dans les camps de Nijrab et de Tagab, dans la vallée de la Kapisa. Nous avons également rencontré dans leur camp les hommes du kandak 32 – autrement dit, un bataillon – de l’armée nationale afghane, soutenus et formés par des militaires français.
Je crois me faire l’interprète de tous en exprimant notre reconnaissance à nos forces armées. La mission de guerre contre-insurrectionnelle menée par nos forces aux côtés des forces afghanes, dans des conditions rudes, est éprouvante. Nous avons vu des hommes et des femmes bien préparés, bien équipés, dont le moral était élevé. Nous avons mesuré leur professionnalisme et leur sens du service de la France.
Je forme par ailleurs des vœux pour la mission que nos gendarmes entament dès ce soir,…
M. Jean-Louis Carrère. Il y a encore des gendarmes ?
M. le président. … mission consistant à encadrer et former la police afghane.
Trente-six de nos militaires ont perdu la vie en Afghanistan depuis 2001, dont vingt-neuf tués au combat. Nous nous inclinons devant leur mémoire et nous nous associons à la douleur de leurs familles.
Je pense également à tous ceux qui perdent la vie en Afghanistan : des militaires des autres contingents de la coalition et, bien sûr, hélas, de nombreux civils afghans, car la population paie un lourd tribut ; les civils – hommes, femmes et enfants – sont en effet les premières victimes de cette insurrection dont le but est d’instaurer un régime fondamentaliste qui priverait les plus faibles, notamment les femmes, de droits qui sont pour nous élémentaires, je pense notamment au droit à l’éducation.
Je suis certain que ce déplacement nous permettra d’aborder ce débat de façon très concrète, en ayant pleinement conscience des réalités complexes de notre engagement dans ce pays, aux côtés du peuple afghan.
Je donnerai d’abord la parole aux deux principaux orateurs des groupes qui ont demandé ce débat.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec émotion que je tiens, à mon tour, à rendre hommage aux soldats tombés depuis huit ans en Afghanistan. J’ai une pensée pour tous, mais, chacun le comprendra, une pensée particulière pour ce jeune Ariégeois que j’ai accompagné une dernière fois dans ses montagnes natales.
Je me dois également de saluer l’ensemble de nos forces armées présentes en Afghanistan, où elles accomplissent leur mission avec courage et dévouement, dans des circonstances souvent difficiles.
Je mesure, moi aussi, le poids considérable de notre responsabilité : le sort, c’est-à-dire la vie, de nos soldats est en jeu. Notre passage récent, avec la délégation sénatoriale, sur les théâtres d’opérations nous a fait mesurer les difficultés et les dures conditions auxquelles nos soldats sont confrontés, face à des adversaires déterminés évoluant sur leur terrain naturel. Le danger est partout et il ne cesse de s’accroître.
Qui peut s’étonner que nous ayons voulu ce débat ? Chacun doit pouvoir être précisément informé de la nature des missions confiées à nos soldats ainsi que de notre stratégie !
Force est de constater que la perplexité domine. Je crois pouvoir dire que tel fut le sentiment de l’ensemble de la délégation sénatoriale conduite par le président Gérard Larcher, dans laquelle les groupes politiques étaient représentés. Beaucoup de doutes et d’interrogations portent sur les objectifs, la sécurisation du territoire, l’éradication du terrorisme, la construction d’un État de droit, l’aide au développement...
N’est-il pas légitime dans notre fonctionnement démocratique de se poser des questions essentielles : faut-il poursuivre l’effort engagé ? Faut-il le réorienter ou bien tout simplement l’arrêter ?
Pour évacuer les fausses interprétations, je dirai que, au regard non seulement de ce que nous avons vu sur place, mais aussi de l’idée que l’on se fait de notre pays, des engagements internationaux et peut-être surtout de ce que les femmes et les hommes, en Afghanistan, dans leur grande majorité, attendent de nous, un désengagement immédiat et unilatéral n’a aucun sens.
Par contre, la question du retrait est posée, et pas seulement pour la France. Comment ne le serait-elle pas après une élection présidentielle décevante et au moment où une seconde révision stratégique américaine est en préparation, même si l’on tarde à l’expliciter.
Nous avons senti cet embarras lorsque nous avons rencontré le général McChrystal lui-même.
On se souvient du Vietnam ; il peut y avoir des tactiques opérationnelles en contradiction avec la stratégie globale affichée. Nous avons tous dit que la victoire ne se mesurait pas au nombre de talibans tués, car ils seraient vite remplacés, mais à une progression de notre crédibilité auprès des populations concernées.
Face aux pressions constantes des responsables de l’OTAN pour obtenir des renforts militaires, la position française n’est pas claire. Elle apparaît comme attentiste et peut-être aussi, permettez-moi de le dire, comme opaque.
Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, l’envoi de troupes en Afghanistan a été décidé conjointement par le Président de la République, Jacques Chirac, et par le gouvernement de Lionel Jospin afin de poursuivre des objectifs légitimes de sécurité collective, conformes aux intérêts de la France et inscrits dans le cadre d’un mandat de l’ONU.
Au-delà de la lutte contre le terrorisme, l’intervention de la France au sein de la coalition visait à conforter un régime démocratique en Afghanistan, à soutenir le développement et l’amélioration des conditions de vie des habitants. Ces objectifs ne nous alignaient pas derrière les États-Unis sur la seule lutte contre les talibans, souvent au détriment des populations civiles, qui perçoivent de plus en plus les forces de la coalition comme des troupes d’occupation.
Malheureusement, le nombre de soldats de la force internationale morts au combat ne cesse de s’accroître, ainsi que celui des victimes civiles, dans des attentats, comme du fait des bombardements de la coalition internationale.
Nous ne devons pas glisser vers une guerre d’occupation qui n’aurait plus de limites de temps et d’objectifs.
L’élection présidentielle afghane, marquée par la confusion, l’insécurité, la fraude et la corruption du régime n’a apporté aucune réponse à la crise dans laquelle est plongé le pays.
Cette situation pose la question des objectifs de l’intervention internationale, de la stratégie et des méthodes utilisées, des conditions de participation de la France et des pays de l’Union européenne, du calendrier et du terme fixé pour cette intervention.
Nous l’avons bien senti dans nos discussions avec le Président Karzaï et avec son concurrent, Abdullah Abdullah, la corruption et le trafic de drogue restent un véritable cancer dans la société afghane.
Le problème politique crucial est la « gouvernance » ; le vide politico-administratif génère de l’insécurité et favorise l’action aussi bien des talibans que des seigneurs de guerre locaux.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Bel. On aura beau former une armée afghane nombreuse, celle-ci ne se battra pas pour soutenir un régime corrompu, inefficace et impopulaire.
L’efficacité de l’aide internationale « civile » dépend aussi de ce facteur.
Après huit ans sur place, les conditions de notre présence doivent être profondément réexaminées, les objectifs clarifiés et des perspectives fixées.
Même aux États-Unis on en arrive à reconnaître la nécessité d’une remise en cause et d’un débat public devant le Congrès sur la définition d’une « nouvelle stratégie ».
Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, les parlements s’emparent constamment de la question du déroulement et des résultats de l’intervention. Pourquoi le Parlement français constituerait-il une exception ? Je rappelle que le dernier débat avec vote sur la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan a eu lieu au Parlement en septembre 2008. Cela commence à dater !
L’urgente nécessité d’une redéfinition stratégique saute aux yeux.
La position actuelle du Gouvernement sur l’Afghanistan consiste en un « ni-ni » dont le fondement stratégique n’est, en réalité, pas défini : ni nouvelle augmentation de troupes ni retrait. Le transfert de l’ensemble du dispositif français de Kaboul vers le commandement régional Est et l’offensive menée en ce moment même n’apportent pas forcément la lisibilité qui serait nécessaire.
Nous souhaitons une clarification des objectifs de l’intervention, une explication de la méthode et une définition, en lien avec les partenaires européens de la France dans la coalition internationale, d’une stratégie et d’un processus de sortie progressive d’Afghanistan.
Notre critique, raisonnée et raisonnable, part d’un constat : la stratégie employée a échoué et, chemin faisant, nous avons perdu de vue les buts de la guerre et peut-être égaré les objectifs politiques de l’intervention.
Les forces françaises, qui se battent avec courage et abnégation, doivent avoir confiance et savoir qu’elles obéissent à une vision claire, bien définie dans l’espace et dans le temps et démocratiquement acceptée par la représentation nationale.
La France, pas plus que la communauté internationale, n’a vocation à rester en Afghanistan : elle y est présente permettre à l’État afghan d’assurer lui-même, au plus tôt, la sécurité et la stabilité. Notre objectif central doit donc être l’accroissement et l’amélioration des forces de sécurité afghanes, leur formation, leur équipement, leur montée en puissance et l’établissement d’un État afghan légitime et stable.
Or les moyens actuellement mis en œuvre pour former les forces armées locales sont insuffisants et les méthodes utilisées à cette fin manquent d’efficacité. On peut en convenir quand on sait que l’effort militaire américain est d’un milliard de dollars par semaine, qu’un soldat américain en Afghanistan coûte environ un million de dollars par an, alors qu’un militaire ou un policier afghan est payé 75 dollars par mois.
Nous savons aussi que, sans le soutien de la population, la sécurisation du territoire est impossible. À ce titre, une révision des modalités d’action sur le terrain et la protection des populations doivent être les axes prioritaires.
La France doit sortir du « tout-militaire » en Afghanistan. La stabilisation de la situation du pays et le soutien des populations passent par le renforcement de l’aide civile consacrée au développement, aux infrastructures publiques, à la scolarisation, à la santé, qui représente aujourd’hui moins de 10 % de la dépense militaire.
J’aurais voulu faire des propositions, monsieur le président, mais le temps qui m’est imparti est largement dépassé. Aussi me bornerai-je, messieurs les ministres, mes chers collègues, à vous donner mon sentiment à l’issue de ce bref séjour en Afghanistan.
Je retiendrai deux moments. D’abord, le silence lourd et pesant à bord de l’avion militaire qui nous amenait à Kaboul en même temps que 250 soldats français, silence pesant alors que nous atterrissions, révélateur non pas de peur, mais de gravité et d’incertitude. Ensuite, l’appel à la France, à la France en particulier, parce que beaucoup d’Afghans lui reconnaissent une capacité propre à la fois pour sécuriser le territoire, mais aussi pour être auprès des populations, aider à construire un État de droit, une justice, des écoles, une administration fiable.
Mes chers collègues, puisse ce débat y contribuer ! Notre devoir, notre réussite sont à ce prix : à nous de ne pas décevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors même que nous entamons notre débat, une dépêche vient de nous parvenir, annonçant que deux roquettes sont tombées sur le village de Tagab – un village que nous avons visité lorsque nous nous sommes rendus en Aghanistan – pendant que se tenait une réunion entre les notables du village et des représentants de l’armée française. Ces tirs ont fait quatre morts, trente blessés, tous Afghans, dans une zone que l’armée française croyait en voie de sécurisation, les insurgés ayant été repoussés au fond de la vallée.
Le bilan de la mission menée en Afghanistan est extrêmement lourd, avec 1 400 militaires de la coalition, dont 36 Français, tués au combat.
Au début du mois de septembre, la mort de deux de nos soldats et les victimes civiles d’une frappe aérienne ont de nouveau soulevé la question de l’opportunité, de la durée, de l’efficacité et des buts précis de la mission conduite dans ce pays sous la bannière de l’OTAN. Le groupe CRC-SPG, ainsi que nos collègues socialistes, avait alors demandé que le Premier ministre, comme il l’avait fait un an plus tôt, vienne exposer sa politique et présenter les mesures qu’il conviendrait de prendre au vu de la dégradation de la situation. Excipant de façon spécieuse de l’article 35 de la Constitution, qui prévoit que les interventions d’une durée supérieure à quatre mois font l’objet d’une autorisation du Parlement, et arguant du fait que nous avions déjà voté un an plus tôt, le Premier ministre n’avait pas accepté ce débat.
Je remercie donc le président Larcher d’avoir malgré tout inscrit cette discussion à notre ordre du jour, mais je déplore que nous ne puissions à nouveau nous prononcer par un vote.
Pour préparer avec sérieux ce débat, le Président du Sénat avait souhaité se rendre sur place avec une délégation représentative de notre assemblée. Ayant participé à cette mission, j’ai pu me rendre compte de visu de la gravité et de la dégradation de la situation sécuritaire, politique et économique de ce pays. Cela a malheureusement conforté mon opinion selon laquelle la mission confiée aux troupes de l’OTAN en Afghanistan est à la fois inadaptée et inefficace.
Je voudrais pourtant saluer très sincèrement le professionnalisme, le courage et la volonté inébranlable de nos soldats qui combattent sur place pour mener à bien une mission aussi difficile. J’ai pu le mesurer et en faire concrètement l’expérience, lorsque nous nous sommes rendus sur les bases avancées de Nijrab et de Tagab, auprès des hommes du troisième RIMA ou auprès de ceux qui assuraient la protection de notre délégation.
Cela étant dit, l’opération qui, en 2001, ne devait pratiquement pas entraîner de morts puisque les talibans avaient été vaincus par les Américains et leurs alliés, est rapidement devenue une guerre anti-insurrectionnelle de plus en plus incomprise des opinions publiques des pays participant au conflit, de plus en plus meurtrière pour les populations civiles afghanes.
Pour qui et contre qui se battent nos troupes dans ce pays ? Ce qui pouvait être relativement clair au début tend maintenant à se brouiller.
Après huit années de présence militaire en Afghanistan, quelques progrès importants ont certes été accomplis, comme la construction de 14 000 kilomètres de routes, la scolarisation de six millions d’enfants, dont les petites filles, l’accès de 80 % de la population à des soins de base. Mais ces progrès sont limités au regard des besoins immenses, et surtout très éloignés des principaux objectifs initiaux.
Huit ans après, il est temps de regarder la réalité en face. La coalition a failli dans sa mission de reconstruction de l’État afghan. Les élections en Afghanistan n’ont été qu’une mascarade, les fraudes ont été massives, et le président Karzaï apparaît aujourd'hui aux yeux du peuple afghan comme la marionnette de l’Occident. La corruption gangrène tous les échelons du pouvoir afghan, qui pâtit d’un manque de légitimité croissant auprès des populations.
La situation ne cesse de se dégrader. Le bilan de cette guerre est effroyable. Selon l’ONU, pour la seule année 2008, 2 118 civils ont été tués, dont 828 du fait des forces progouvernementales, notamment lors de bombardements effectués par la FIAS.
En cherchant à tuer les talibans, les forces de l’OTAN n’épargnent pas les civils et violent fréquemment les droits de l’homme. Résultat : elles sont perçues par la population comme une armée d’occupation qui sévit en toute impunité. Au sein du peuple afghan, cette stratégie fondée sur l’intervention militaire a contribué à nourrir encore le sentiment d’hostilité à l’égard de l’Occident.
Sur le plan militaire et sécuritaire, nous menons des actions de guerre sans victoire et sans ennemis clairement identifiés. Bref, nous menons une guerre meurtrière, aux objectifs flous, sans perspective de sortie.
Les insurgés – nous avons pu le constater lors de notre séjour – sont aux portes de Kaboul. Ils sont dominants dans le sud, où les voies de communication ne sont pas sécurisées, ils menacent dans le nord, où la coalition tient les agglomérations dans la journée mais non la nuit, et ils contrôlent une quinzaine de villes importantes.
La nouvelle stratégie préconisée par les généraux américains Petraeus et McChrystal, qui consiste à « gagner les cœurs » et les esprits, c’est-à-dire la confiance des populations, en mettant l’accent sur les actions civilo-militaires de développement, mais sous réserve d’un nouveau renfort de 40 000 soldats demandé à la coalition, n’est pas de nature, me semble-t-il, à permettre d’inverser le cours des choses.
Cette confusion des genres entre actions militaires et actions de développement, dans laquelle nous nous inscrivons pleinement, ce qui nous décrédibilise, rappellera certainement aux plus anciens d’entre nous l’échec de tentatives similaires en Algérie avec les SAS, les sections administratives spécialisées.
Comme nous n’avions pu, à mon grand regret, nous entretenir avec des ONG à Kaboul, j’ai rencontré plusieurs d’entre elles opérant sur place dès mon retour à Paris. Je souhaite d’ailleurs qu’elles puissent être reçues par notre commission, afin que les sénateurs puissent disposer d’informations émanant de sources variées sur la réalité de la situation sur le terrain.
Leurs représentants m’ont tous fait part de leurs inquiétudes, voire de leurs critiques, sur la façon dont est abordée la question de l’aide au développement. Notre aide civile ne répond pas assez aux attentes et besoins des populations, car elle est trop souvent subordonnée aux stratégies de pacification et de ralliement des populations d’un secteur.
Nous consacrons dix fois plus aux actions militaires qu’aux programmes civils humanitaires. Certaines ONG craignent vraiment que leurs activités ne soient confondues avec celles des forces de l’OTAN, souvent vues comme des troupes d’occupation.
Elles déplorent que, loin de « gagner les cœurs et les esprits », cette stratégie engendre frustration et colère, crée des relations malsaines avec la population locale, nourrisse la corruption plus qu’elle ne la combat et parfois même apporte un renfort inespéré aux insurgés.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, vous le savez, la nouvelle stratégie de commandement de la FIAS repose sur trois piliers inséparables : la gouvernance, le développement, la sécurité.
Pour ce qui est de la gouvernance, les résultats, on l’a vu avec les élections, ne sont pas au rendez-vous !
Le développement, je viens d’en parler.
Quant à la sécurité, elle ne peut inspirer qu’un immense scepticisme quand on voit ce qu’il en est du processus d’afghanisation de l’armée, présenté comme un élément essentiel de la nouvelle stratégie.
Aujourd’hui, les forces de sécurité afghanes comptent 90 000 soldats et 80 000 policiers. Le général McChrystal a fixé à 400 000 hommes, armée et police confondues, l’effectif nécessaire pour assurer la sécurité du pays. Notre délégation s’est particulièrement attachée à s’enquérir de la faisabilité d’un tel projet.
Si j’en crois une récente étude parue dans la lettre mensuelle du nouvel Institut de recherche stratégique de l’école militaire, l’IRSEM, le bilan de ce programme destiné à faire en sorte que les Afghans puissent, à terme, prendre en main leur sécurité est très décevant. Selon cette étude, 34 % de ces militaires afghans désertent, faute de solde suffisante et par manque de motivation. Les conflits ethniques entre stagiaires, l’absence de logement, les techniques de combat imposées par la coalition et l’inadaptation des équipements expliquent également ce bilan inquiétant. À tel point que l’expert militaire qui a réalisé cette étude a pu parler de « spirale vietnamienne » !
Au chapitre des objectifs initiaux non atteints, j’ajouterai que la création d’un État-nation est en panne, que les tensions interethniques s’accentuent et qu’une politique de réconciliation nationale est encore assez loin de voir le jour. En matière de santé et d’éducation, les choses n’avancent plus, et les droits des femmes afghanes sont quasiment inexistants.
Nous sommes frappés par l’absence de vision à long terme et par l’indécision dont fait preuve le Gouvernement. Votre indécision est la conséquence de notre perte d’autonomie stratégique depuis que nous avons pleinement réintégré le commandement militaire de l’OTAN sans exiger aucune contrepartie. Vous semblez ainsi suspendu aux mesures que doit annoncer le président Obama, qui a bien du mal à « debushiser » la doctrine américaine, c’est le moins que l’on puisse dire…
C’est la raison pour laquelle nous avons proposé ce débat, car la France est, là-bas, à la croisée des chemins.
Messieurs les ministres, notre pays attend du Gouvernement des réponses claires et précises sur les enseignements que vous tirez de huit années d’engagement militaire en Afghanistan ! Nous attendons que vous nous exposiez enfin vos solutions pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons au sein de cette coalition internationale.
Pour notre part, nous estimons que, si la stratégie globale des forces de l’OTAN est erronée et inefficace, il s’agit non plus simplement de l’adapter, comme le préconisent les États-Unis et leurs partenaires, mais d’en changer. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’il n’y a pas de solution militaire à ce conflit et que la seule issue procédera d’un règlement politique.
Pourtant, si nos troupes n’ont pas vocation à rester dans ce pays, nous savons aussi que nous ne pouvons le quitter sans qu’y soit rétablie la sécurité et sans que les Afghans retrouvent à la fois la maîtrise de leur destin et des conditions de vie décentes.
La construction d’un État viable et les bases d’un développement économique sont les préalables indispensables à la réalisation de ces objectifs. C’est en affirmant clairement des objectifs de paix qu’il faudra inscrire dans le même temps le processus de retrait de nos troupes.
L’enjeu est donc bien la reconstruction de ce pays. Le retour de la sécurité dépendra aussi de l’effort national et international qui sera entrepris pour répondre aux vrais besoins de développement.
Si la question de la sécurité est décisive, on ne peut la traiter en dehors du contexte régional et international, car tout est lié. Il faut réintégrer pleinement l’ONU dans la résolution de ce conflit. Elle doit reprendre le mandat qu’elle avait confié à l’OTAN. C’est pourquoi nous souhaitons que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, prenne l’initiative de proposer l’organisation d’une conférence régionale pour définir précisément les conditions d’une paix négociée et durable en Afghanistan, avec toutes les composantes du peuple afghan dans leur diversité. Cette conférence devrait réunir des voisins immédiats comme l’Iran ou le Pakistan, mais aussi associer l’Inde, la Chine, la Russie, la Turquie.
Pour être efficace, cette conférence pourrait être parrainée par des représentants des États-Unis et de l’Union européenne.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Michelle Demessine. Je conclus, monsieur le président.
Afin que l’ONU redevienne le principal acteur du rétablissement de la paix et de la sécurité, il reviendrait ensuite au Conseil de sécurité de garantir les conclusions de cette conférence régionale.
Enfin, pour que l’ONU reprenne complètement la main sur la résolution de cette crise, il serait nécessaire de définir, sur le fondement des conclusions de cette conférence régionale, un nouveau mandat axé sur les conditions de la reconstruction du pays. La mise en œuvre de ce mandat pourrait être confiée à des forces internationales, sous le drapeau des Nations unies, qui prendraient le relais de l’OTAN.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, une organisation militaire n’est pas en mesure d’offrir une solution politique ! Or l’OTAN est une organisation militaire : sa vocation n’est pas de proposer des solutions politiques.
M. le président. Ma chère collègue, votre temps de parole est épuisé.
Mme Michelle Demessine. Telles sont les propositions que nous versons au débat afin de mettre un terme à cette intervention militaire et sortir de l’impasse dans laquelle elle nous a conduits. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, chaque fois qu’un soldat tombe en Afghanistan, les mêmes questions nous sont posées de manière récurrente. Pourquoi sommes-nous en Afghanistan ? Quels sont nos objectifs ? Pour combien de temps y sommes-nous ? Quelle sera l’issue du conflit ? Et, chaque fois, nous nous heurtons à plusieurs réalités.
Sur le plan sécuritaire, la situation s’est dégradée depuis huit ans. Pour reprendre les termes utilisés par le général Stanley McChrystal, commandant la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, dans son rapport au secrétaire d’État à la défense américain Robert Gates : « La menace a crû régulièrement et subtilement, non compensée par une riposte équivalente. »
L’insurrection contrôle des zones entières dans l’ouest, le sud et l’est du pays. Les attentats à Kaboul se sont multipliés. Les forces américaines et celles de la FIAS ont subi des pertes croissantes. Un expert qui a assisté le général McChrystal dans l’élaboration de son rapport constate : « Ce qui devrait être un effort intégré civilo-militaire avec pour priorité de gagner sur le terrain est une gabegie dysfonctionnelle centrée sur Kaboul et handicapée par des visions bureaucratiques auxquelles s’ajoutent la corruption afghane, les tensions entre membres de l’OTAN et la FIAS, et les caveat des États membres. »
Miné par la corruption, le trafic de l’opium et le tribalisme, l’État afghan peine à se construire. L’autorité du président Hamid Karzaï ne s’est guère affirmée depuis son élection et ne s’étend que sur une faible partie du territoire. Les seigneurs de la guerre ont conservé tous leurs pouvoirs, et les talibans, dans les zones qu’ils dominent, ont créé des contre-pouvoirs. La corruption de la police est notoire, d’autant qu’elle est sous-payée, tout comme l’Armée nationale afghane. Les trafiquants de drogue sont présents dans les plus hautes instances de l’État et 90 % de l’opium mondial est produit en Afghanistan. Quant à l’autorité morale du président Karzaï, elle a été durement affectée par la fraude massive qui a entaché l’élection présidentielle.
Enfin, les sommes pourtant très importantes consenties pour l’aide au développement par divers États ou organisations, en dépit des efforts prodigués par les missions d’assistance ou les ONG, ont très souvent été mal employées ou détournées de leur objet et n’ont pu être utilisées aux fins qui leur étaient assignées.
Au sommet de Bucarest, en avril 2008, les buts de la coalition en Afghanistan ont été réaffirmés. Il s’agit de faire en sorte « que l’extrémisme et le terrorisme ne constituent plus une menace pour la stabilité, que les forces de sécurité nationales afghanes aient la direction des opérations et soient autonomes, et que le gouvernement afghan puisse faire bénéficier tous ses citoyens, dans l’ensemble du pays, de la bonne gouvernance, de la reconstruction et du développement ».
Ces ambitions nécessitent tout d’abord un changement de stratégie dans la conduite de la guerre. Fondée sur les principes de la contre-insurrection, la nouvelle stratégie proposée par le général McChrystal vise à reprendre l’initiative en agissant sur le rétablissement de la confiance des Afghans dans les instances dirigeantes. Cela suppose d’abandonner la logique de coercition et de donner la priorité aux actions de développement et à l’instauration d’un partenariat étroit avec l’Armée nationale afghane.
Il faut souligner, pour s’en féliciter, que les troupes françaises sur le terrain ont anticipé la stratégie proposée par le général McChrystal en obtenant des résultats significatifs. (M. le ministre des affaires étrangères et européennes approuve.)
La stratégie préconisée par le général McChrystal est, dans les circonstances actuelles, la mieux adaptée à la réalité. Elle implique sans doute des renforts en hommes, car on ne peut pas sécuriser un terrain sans avoir de troupes : cela ne s’est fait nulle part. (M. Jacques Gautier manifeste son approbation.)
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Josselin de Rohan. En outre, elle requiert un minimum de durée pour que son efficacité puisse être mesurée.
Voici à cet égard ce que dit l’un des meilleurs experts du contre-terrorisme et de la contre-insurrection, l’Australien David Kilcullen : « Ou bien nous pouvons déployer suffisamment de troupes pour contrôler l’environnement, ou bien nous pouvons communiquer de façon crédible sur notre intention de nous retirer. Les deux peuvent fonctionner. Il me semble que ces options sont toutes dangereusement proches d’un compromis mou, […] et le compromis est une position efficace en termes de politique intérieure, mais pas de stratégie. […] Ou bien on y va, ou bien on s’en va. »
Chacun mesure donc la lourde responsabilité qui pèse sur le président Obama dans le choix qu’il doit effectuer d’envoyer ou non des renforts en Afghanistan.
Cette stratégie suppose également le réaménagement du commandement. Le général McChrystal a donc scindé son état-major en deux. L’état-major de la FIAS aura la responsabilité de toutes les relations latérales avec les organisations internationales, le commandement afghan, les responsables des nations contributives et les autorités américaines. Un second état-major, placé sous ses ordres mais dirigé par le commandant en chef adjoint de la FIAS, lui-même secondé par un général français, sera chargé de la planification et de la conduite des opérations militaires. On attend de cette réforme une meilleure coordination de l’action entre les régions et une plus grande efficacité dans la conduite de la guerre.
Le plus important, le plus essentiel est que la population afghane ait confiance en son gouvernement et en son administration et soutienne leur action. La tâche est immense.
M. Jean-Louis Carrère. C’est certain !
M. Josselin de Rohan. Nous attendons du président Karzaï qu’il institue non pas une république jeffersonienne calquée sur les modèles constitutionnels occidentaux, mais une forme de gouvernement qui permette de réaliser le consensus le plus large autour de son action. Peut-être devra-t-il renouveler la Loya Jirga, la grande assemblée coutumière afghane, et rechercher avec elle les moyens d’obtenir un tel consensus, voire de réformer les institutions actuelles pour parvenir à ce résultat.
Il importe également qu’il s’emploie à bâtir une administration efficace et compétente, car il n’y a pas d’« afghanisation » possible si elle ne repose pas sur un socle administratif solide. Nous sommes en droit d’exiger de lui qu’il s’attaque autrement qu’en paroles aux fléaux qui minent son pays, principalement la corruption des agents publics et le trafic de drogue, et qu’il sévisse contre ceux qui s’y livrent.
À cet égard, il me semble qu’il faut conforter et renforcer l’action du représentant des Nations unies afin d’obtenir une meilleure gouvernance en Afghanistan. Celui-ci doit veiller à ce que les nécessaires réformes de l’administration afghane soient effectivement mises en œuvre et que la lutte contre le trafic d’opium, la corruption et les fraudes en tous genres soit intensifiée.
Une meilleure coordination de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, la MANUA, de la FIAS et de l’Union européenne doit être recherchée.
Il est indispensable aujourd’hui de mettre fin, dans le domaine de l’aide au développement et de la formation des civils et des militaires afghans, à l’empilement des structures et à la concurrence des actions, qui sont source de gâchis financier et de perte d’énergie. La supervision des actions civiles pourrait d’ailleurs incomber à l’ONU et la formation des militaires et des forces de sécurité à l’OTAN, qui devrait simplifier et unifier ses procédures.
Il s’agit non pas d’exercer un protectorat sur l’Afghanistan, mais bien de veiller à ce que les aides de la communauté internationale soient dépensées à bon escient et au profit de la population afghane.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Le 13 novembre dernier, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous indiquiez dans le journal Le Monde que vous prépariez avec des partenaires européens très engagés en Afghanistan une stratégie européenne, et vous regrettiez que les pays européens, qui ont engagé plus de 30 000 hommes sur le terrain, en soient réduits à attendre la décision américaine.
M. Josselin de Rohan. Une stratégie commune suppose la définition de règles d’engagement communes. Or nous savons par exemple que celles du contingent allemand diffèrent notablement des nôtres.
Cette stratégie, monsieur le ministre, est-elle différente de celle qu’a définie le Conseil européen du 27 octobre dernier ? Le plan d’action pour l’Afghanistan et le Pakistan qu’a adopté l’UE nous semble, il faut bien le dire, très vague dans ses objectifs et plutôt révélateur de nos indécisions et de nos divergences.
Comment nous Européens pouvons-nous être vraiment crédibles quand la mission EUPOL, chargée de former la police afghane, cherche toujours des volontaires et ne compte que 236 personnes au lieu des 400 promises pour 2008 ? Or la formation de la police afghane est l’un des axes majeurs de l’entreprise de sécurisation du pays.
Enfin, la reconquête par le Pakistan de son autorité sur ses provinces du Nord-Ouest doit être encouragée et soutenue avec force par la communauté internationale. Nous savons tous que, tant que les insurgés afghans et les chefs d’Al Qaïda continueront de trouver refuge, armes et appui au Waziristan ou dans d’autres portions du territoire pakistanais, l’insurrection ne prendra jamais fin. L’armée pakistanaise mène sur son sol un combat courageux et méritoire contre les talibans : il doit être poursuivi jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à l’élimination définitive d’Al Qaïda et de ses complices. La communauté internationale se doit de soutenir cet effort.
L’Inde doit donner au Pakistan l’assurance qu’elle n’exercera pas de pressions sur ses frontières, afin de permettre à ce dernier de consacrer les forces nécessaires au succès de son offensive à l’ouest. Notre diplomatie pourrait s’employer, avec d’autres, à favoriser la reprise du dialogue entre l’Inde et le Pakistan ébauchée lors des rencontres entre le président Zardari et le Premier ministre Manmohan Singh.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d’accord !
M. Josselin de Rohan. Les différends entre les deux pays du sous-continent indien retentissent sur la solution du conflit afghan, et il est de l’intérêt de tous de les aplanir.
Messieurs les ministres, ne soyons pas insensibles aux demandes de fourniture d’armements destinés à combattre le terrorisme qui émanent des autorités pakistanaises. Veillons simplement à ce qu’ils ne soient pas détournés de leur destination. Sous cette réserve, répondons à l’appel qui nous est lancé.
Nos interlocuteurs pakistanais, indiens, russes ou chinois rencontrés lors de nos missions en Inde, au Pakistan ou aux Nations unies, ont souligné à l’envi combien notre présence et celle de nos alliés américains étaient indispensables en Afghanistan pour éviter que le pays ne retombe sous l’influence des djihadistes et des terroristes. Leurs exhortations contrastent avec leur absence d’engagement militaire ou politique, exception faite du Pakistan.
Notre départ ne conduirait pas seulement à replonger l’Afghanistan dans l’univers rétrograde et barbare des islamistes : il mènerait inéluctablement à la reconstitution de son sanctuaire par la centrale du crime qu’est Al Qaïda. Il ébranlerait profondément la région, où les djihadistes, confortés par leur victoire, disposeraient de relais et de complices qui déstabiliseraient les États voisins.
Qu’adviendrait-il de la paix dans la région si le Pakistan, puissance atomique, tombait aux mains des islamistes extrémistes ?
Cependant, si nous devons continuer la guerre, nous ne pouvons la mener seuls. Le combat des pays de l’OTAN en Afghanistan n’est pas exclusivement celui des membres de l’Alliance atlantique, il est aussi celui de l’ensemble de la communauté internationale : prenons garde qu’il ne soit présenté comme le combat des Occidentaux contre les Orientaux ou des « infidèles » contre l’islam.
La lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme est l’affaire de tous, tout particulièrement des pays proches et riverains de l’Afghanistan. Le trafic de l’opium a transformé en narco-États certains pays d’Asie centrale et a considérablement accru la consommation d’héroïne en Iran, en Chine et même en Russie. À titre indicatif, 40 % de l’opium produit en Afghanistan est exporté au Pakistan, 30 % en Iran et 25 % en Asie centrale.
La conférence internationale sur l’Afghanistan qui doit se tenir en janvier prochain à la demande de la France et du Royaume-Uni doit être l’occasion d’impliquer davantage les pays voisins de l’Afghanistan, mais aussi la Russie et l’Inde, dans la lutte contre les extrémistes. (M. le ministre des affaires étrangères et européennes approuve.) Qu’il s’agisse du trafic d’opium, du trafic d’armes ou du terrorisme, seule une coopération étroite et efficace entre toutes les parties intéressées, l’Iran compris, peut y mettre un terme. Les nations riveraines pourraient s’engager à garantir la neutralité et l’indépendance d’un Afghanistan décentralisé, stabilisé et réunifié, et à œuvrer en commun contre le terrorisme et le djihadisme de toute provenance.
En tout état de cause, nous devons mettre en garde tous ceux qui pensent que nous ferons longtemps la guerre par procuration. Les opinions publiques occidentales s’émeuvent de plus en plus devant les pertes occasionnées par des guerres qui leur paraissent distantes et peu compréhensibles. Si les pays les plus proches de l’Afghanistan, pour des raisons diverses, ne s’impliquent pas davantage contre l’ennemi commun, ils courent le risque de voir la lassitude gagner ceux qui, depuis huit ans, supportent le poids de la guerre. Les talibans le savent et misent sur notre découragement.
Le président du Sénat et la délégation qui l’accompagnait, tout comme la mission de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont eu l’occasion de rendre visite à nos troupes en Afghanistan. Nous avons tous été impressionnés par l’ardeur, le courage et la grande compétence dont elles font preuve dans les tâches qui leur sont confiées, qui plus est dans un environnement particulièrement difficile.
Nous pensons particulièrement à ceux qui sont morts cet été, victimes de leur devoir, et nous nous inclinons devant la peine de leurs familles. Rien ne serait plus outrageant pour leur mémoire que de dire que leur sacrifice était vain. (M. le ministre de la défense approuve.) Ces soldats sont morts pour que les terroristes d’Al Qaïda ne trouvent pas de refuge pour perpétuer leurs crimes, pour que les Afghans vivent dans l’indépendance et dans la paix,…
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Josselin de Rohan. … et pour qu’ils puissent accéder aux soins, à l’instruction, à la culture et à la libre expression de leurs opinions. Tel est le sens qu’ils donnent à leur action et à leurs missions quotidiennes. Telle est la raison pour laquelle ils méritent notre gratitude et notre admiration.
À cet égard, permettez-moi ce jour de dire combien j’ai trouvé indigne le titre d’un journal de ce matin : « Afghanistan, l’honneur perdu de la France ». (M. Josselin de Rohan montre depuis la tribune la une de L’Humanité.)
M. Jacques Gautier. Scandaleux !
M. Josselin de Rohan. Non ! La France n’a pas perdu son honneur en Afghanistan ! Les soldats français qui s’y trouvent continuent d’être ceux que Clemenceau appelait les « soldats de l’idéal ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout n’a pas commencé le 11 septembre 2001 !
Pays d’une superficie un peu plus grande que celle de la France, enclavé au carrefour des civilisations persane, turque, arabe, indienne, chinoise et russe, l’Afghanistan, par sa position géostratégique, a toujours entraîné des luttes pour l’appropriation de son territoire.
Mais l’Afghanistan est une forteresse naturelle qui a toujours su résister à l’envahisseur. Tous en ont fait l’expérience, d’Alexandre le Grand, fondateur de Kaboul, de Kandahar et d’Hérat, jusqu’aux Soviétiques dans un passé récent. La coalition y est aujourd’hui confrontée.
À la fin des années soixante, la famine et ses 100 000 morts, l’apparition de groupes révolutionnaires tant communistes qu’islamistes, sonnent le glas de la monarchie afghane et font le lit du coup d’État du mois d’avril 1978, puis de celui du mois de décembre 1979 et, enfin, de l’entrée des troupes soviétiques venues, selon les déclarations officielles, « soutenir » le gouvernement de Kaboul dans sa lutte contre les moudjahidin.
Le déclin du pouvoir soviétique, l’arrivée de Ronald Reagan, l’aide militaire et financière de la CIA aux groupes fondamentalistes, l’aide pakistanaise, modifient les données du conflit.
Des centaines de milliers, voire des millions d’Afghans se réfugient au Pakistan et en Iran. Leurs enfants sont pris en main par les ultra-islamistes dans les madrasa, écoles où leur sont enseignés le Coran et la fabrication des bombes.
Après dix ans de guerre, 620 000 combattants soviétiques qui s’y sont succédé, 25 000 morts et 50 000 blessés, les 118 000 soldats soviétiques présents se retirent d’Afghanistan en 1989.
La guerre civile se poursuit jusqu’en avril 1992, date de la prise de Kaboul par une coalition de Tadjiks, d’Ouzbeks et de Hazaras soutenue par le Pakistan et les États-Unis.
Un nouveau mouvement armé est fondé au mois d’août 1994 par le mollah Omar : le mouvement des talibans, c’est-à-dire des « étudiants en théologie » issus de ces écoles coraniques. Financés par l’Arabie saoudite, soutenus par l’armée et les services secrets pakistanais, les talibans reprennent Kaboul en septembre 1996 aux troupes du commandant Massoud. Ils contrôlent alors les deux tiers du pays. Leur pouvoir reste cependant fragile en raison de l’opposition armée persistante dirigée par le commandant Massoud jusqu’au 9 septembre 2001, date de son assassinat par les talibans.
Ce n’est que le surlendemain, le 11 septembre 2001, qu’ont lieu les attentats à New York et à Washington, qui font plus de 3 000 morts.
Quel lien réel existe entre ce pays martyrisé, dirigé par des extrémistes, et ces attentats ? Une chose est certaine : le gouvernement américain accuse aussitôt l’Afghanistan et son protégé, le Saoudien Oussama ben Laden, d’en être responsables.
Le 7 octobre 2001 à dix-huit heures quarante-cinq, heure française, les bombardements commencent sur l’Afghanistan. Le prix est lourd : entre le 7 octobre et le 10 décembre, on dénombre 3 767 tués parmi les civils, auxquels s’ajoutent les 10 000 morts militaires afghans. Le premier objectif des Américains, punir et chasser les talibans, est vite atteint.
Le 22 décembre 2001, le pouvoir est confié à Hamid Karzaï.
L’incapacité des Américains à installer un pouvoir stable à Kaboul et la haine naturelle envers l’occupation étrangère ont vite permis aux talibans de revenir sur le devant de la scène, au point qu’ils seraient déjà revenus à Kaboul si la capitale n’était défendue par la coalition occidentale.
Pour sortir de la guerre, qui vise à instaurer en permanence un équilibre entre les pouvoirs locaux et entre ceux-ci et le pouvoir central, il faudrait inventer un espace nouveau, fondé sur une nouvelle solidarité.
Quelle doit en être la base ? La tribu ? L’ethnie ? Ce n’est pas évident ! Les tribus en tant que telles ne sont pas présentes partout, et jouer le jeu ethnique reviendrait à s’interdire toute stratégie nationale.
Cette guerre interminable, expression d’un mode de société, est une forme d’équilibre qui suppose un État central suffisamment fort pour préserver le lieu du pouvoir de la convoitise des groupes en conflit, mais aussi, hélas ! suffisamment faible pour laisser les groupes gérer leurs rivalités.
Alors, que sommes-nous venus faire dans cette galère ? Participons-nous à la lutte de l’Occident contre le terrorisme ? Je pense que non ! Dans le cas contraire, nous serions en guerre aussi avec leurs financeurs…
La base afghane, si elle a compté, n’a joué qu’un rôle accessoire dans l’attentat du 11 septembre 2001, préparé en Occident par des éléments occidentalisés. La coordination policière entre Occidentaux explique bien mieux le reflux du terrorisme que d’obscurs combats dans les vallées du Panchir.
Le problème majeur réside non pas dans le risque d’un Afghanistan islamiste, même s’il faut le combattre, mais bien dans la situation fragile du Pakistan, pays très peuplé, à la gouvernance catastrophique, travaillé par les intégrismes, disposant de l’arme nucléaire et pourtant protégé par les États-Unis.
Obtenir une victoire militaire durable n’a aucun sens en Afghanistan ! C’était vrai pour Alexandre le Grand, cela le reste encore pour nous, deux mille cinq cents ans plus tard.
Les 12 742 tonnes de bombes larguées sur l’Afghanistan entre 2001 et avril 2009 n’ont rien réglé. Les 64 500 soldats venus de 42 pays, sans compter les 16 000 autres aux côtés du gouvernement d’Hamid Karzaï, n’apportent que des résultats peu encourageants, et ce même si nos soldats apprennent vite et bien et même si l’armée française profite de cet engagement dans le cadre de l’OTAN pour maintenir, et c’est nécessaire, son haut niveau de technicité et de performance.
Dans le cadre de l’OTAN et dans l’esprit de la résolution 1378 de l’ONU, nous nous sommes engagés à mettre en place un gouvernement afghan légitime et une administration efficace, dont une armée et une police capables d’assurer leur maintien durable.
La Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, a pour ambition de créer en Afghanistan des conditions de stabilité qui reposent sur quatre principes : la détermination, qui doit se traduire par un engagement à long terme ; le soutien aux populations, qui impose la prise en charge de leur sécurité ; la coordination des efforts militaires et civils par la mise en œuvre d’une approche coordonnée globale ; enfin, une coopération régionale, qui exige l’engagement de tous les États voisins.
Les deux premiers principes sont facilement acceptés par tous. Mais, confrontées aux pertes de la coalition, les opinions nationales des quarante-deux pays membres doutent de plus en plus du bien-fondé de l’engagement et du maintien de leurs troupes sur le sol afghan.
Et, comme le rappelait à l’instant le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. de Rohan, il paraît bien improbable de voir assurer globalement et durablement, en tout cas rapidement, le quatrième principe, c’est-à-dire la coopération régionale, qui est pourtant indispensable.
Le général de Gaulle le soulignait à juste titre : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » Les situations pakistanaise et iranienne montrent le peu d’espoir que l’on peut placer dans ce principe de coopération régionale, mais il n’est point nécessaire d’espérer pour entreprendre… Tout doit être tenté, sans oublier l’implication tant des pays voisins ou proches que des pays qui financent les insurgés : sans eux, rien ne sera possible.
Alors, que faire ? Un proverbe afghan dit : « Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? ». Mais le même proverbe ajoute : « Si la chance est contre toi, pourquoi te hâter ? ». (Sourires.) Hâtons-nous, mes chers collègues, lentement mais sûrement, et, par une démarche réaliste et exigeante, mettons tout de même la chance de notre côté !
Cette guerre montre la faiblesse des États-Unis et les limites de l’OTAN, qui reproduit les erreurs commises par les Soviétiques. Surtout, elle marque cruellement l’absence totale de politique européenne de sécurité et de défense : certains contingents européens sont paralysés par les restrictions de mission qui leur sont imposées par leur gouvernement, leur Parlement ou leur Constitution !
À mon sens, les Britanniques ont une vision trop « grand large » de l’Europe et de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.
Cette guerre fait apparaître la méfiance persistante des États-Unis à l’égard de leurs alliés, ceux qui n’appartiennent pas à la « bande des quatre », au sens de la règle « four eyes only ». Ces réticences font même naître chez certains des alliés la crainte d’être un jour abandonnés, comme au Liban.
Cette guerre montre en outre l’insuffisance préoccupante de la coopération militaire et civile. Les diplomates suivent les opérations financées par leur pays et n’en rendent compte qu’à leur gouvernement. Les organisations non gouvernementales, les ONG, refusent de collaborer avec les militaires, mais ne peuvent opérer sans leur protection. Les militaires, quant à eux, ne sont acceptés par les populations que si leur présence débouche rapidement sur des réalisations concrètes. Voilà la difficulté !
Faut-il envoyer plus de soldats français en Afghanistan, comme le réclame le général McChrystal ? Le Président de la République a répondu non. À mon sens, il a politiquement raison.
Pourtant, il est humainement et matériellement impossible, dans la configuration actuelle de 70 000 hommes, d’atteindre les objectifs fixés. Souvenons-nous que les Soviétiques, avec 118 000 soldats, contrôlaient seulement 20 % du territoire afghan. Or nous sommes encore loin d’avoir mis en place une armée nouvelle afghane, comme le souhaite la coalition.
Chaque jour, l’adage « un Afghan ne se vend pas, il se loue » complique le recrutement, la formation et la fidélisation des militaires et des policiers afghans. Personne ne l’ignore, les talibans paient trois fois plus cher les soldats et les policiers qui les rejoignent…
M. Nicolas About. Nous sommes très loin de satisfaire le souhait du général McChrystal de recruter, de former et de fidéliser 400 000 policiers et militaires. Comment, sans fournir d’effectifs supplémentaires, répondre à cette exigence de disposer de militaires pour former la future armée et la future administration, sécuriser les villes et les moyens de communication, soutenir les réalisations dans les villes et les villages et permettre aux ONG de poursuivre leurs missions ?
Ce défi n’est pas impossible à relever, au moins pendant un certain temps, si nous soulageons nos troupes des travaux inutiles et en externalisant certaines missions qui ne relèvent pas de la compétence de nos soldats. (MM. les ministres marquent leur étonnement.)
La France doit confier à des entreprises privées les tâches d’accompagnement et de soutien aux contingents militaires. L’intendance, la maintenance et la réparation des matériels, le nettoyage des installations, l’organisation des transports et de toute la logistique, voire certains travaux liés à l’informatique, peuvent faire l’objet de cette politique d’externalisation.
Les Américains, les Canadiens et les Britanniques en font un usage important en Irak, à hauteur de 1 pour 10 000, me semble-t-il. C’est par exemple le cas avec Blackwater et ses filiales, telle Paravant, ou la société Saladin. Cette sous-traitance ne se limite pas à des fonctions classiques vouées à compléter l’action des militaires sur le terrain. Elle touche d’abord d’autres sortes de missions, notamment la réalisation d’ouvrages spéciaux, l’élaboration d’études particulières, la formation et même le renseignement, voire des opérations militaires.
Mais si la France, comme je le propose, s’oriente vers cette solution, qui respecte l’engagement du Président de la République tout en permettant une optimisation de nos soldats présents sur le terrain, il nous faut évidemment interdire la participation de ces sociétés à des opérations de type militaire.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, M. Hervé Morin, ministre de la défense, et M. Jean-Pierre Chevènement. Ah bon !
M. Nicolas About. L’utilisation de nos réservistes pourrait être aussi envisagée pour remplir certaines de ces missions d’accompagnement et de soutien.
Comment conclure ?
Nous avons encore un rôle à jouer en Afghanistan. Notre action doit s’inscrire dans un projet européen. Nos missions, dans le cadre de ce projet, ne peuvent réussir qu’avec le soutien ou pour le moins, dans un premier temps, la neutralité bienveillante des Afghans. Elles doivent s’inscrire dans le cadre non seulement de l’approche globale de la coalition, mais également d’un accord régional élargi.
En outre, nous devons intégrer au projet de la coalition la prise en compte du rôle incontournable des autorités et des chefs de guerre locaux, talibans compris, sans lesquels aucune administration future afghane n’est sérieusement envisageable.
La vraie victoire de la coalition et de nos soldats sera le retour de la paix civile dans un pays reconstruit et administré par les Afghans eux-mêmes. Nos soldats ne sont pas là pour gagner une guerre, mais pour construire les conditions de la paix. Par le même raisonnement, la défaite, l’échec de la coalition serait non pas celui de nos soldats, qui œuvrent de manière exemplaire, mais celui des politiques européens, occidentaux et régionaux.
En attendant de parvenir à cette paix respectueuse du droit des Afghans à décider eux-mêmes de leur destin et respectueuse des droits de l’homme, notre gouvernement doit maintenir l’effort exceptionnel mis en place tout particulièrement depuis deux ans et salué par tous sur le terrain.
La France ne doit pas oublier ses soldats, dont le comportement auprès des populations afghanes et des membres de la coalition est exemplaire.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Nicolas About. En terminant, je veux m’incliner devant tous ceux qui sont tombés encore hier pour servir la France et défendre en Afghanistan les valeurs qui sont les nôtres. Que leurs familles trouvent dans ces quelques mots l’expression de notre reconnaissance et de notre sympathie.
Le cœur de nos soldats était pur ; leur combat était juste. La mort de chacun d’entre eux porte une exigence de paix. Puissent les dirigeants du monde être à la hauteur de leur sacrifice ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, dans l’interview que vous avez donnée il y a deux jours au journal Le Monde, vous affirmez : « Nous en sommes encore à attendre la décision du président Obama sur sa stratégie. On ne va pas s’opposer aux Américains en Afghanistan. Mais pour discuter, nous avons besoin d’une stratégie européenne. »
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous ne sauriez avouer plus crûment votre absence de stratégie ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Vous ajoutez : « Nous préparons un papier à ce sujet, avec des partenaires européens très engagés en Afghanistan. »
Vous vous retranchez derrière une Europe de papier pour ne pas répondre à la question de savoir ce que la France fait en Afghanistan ! Parlez-nous plutôt de la France, monsieur le ministre !
Il est vrai que, dans la même interview, vous déclarez : « S’il y a un haut représentant fort, nous, les ministres des affaires étrangères, nous aurons moins d’importance. »
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement. Et vous concluez : « C’est comme ça. Il faut croire à l’Europe. »
Mme Dominique Voynet. Hors sujet, c’est du radotage !
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais si vous n’avez déjà plus aucune importance, monsieur le ministre, pourquoi organiser ce débat ?
Je m’étonne, au passage, qu’un gouvernement dont le ministre des affaires étrangères revendique aussi fort son effacement veuille encore nous parler de l’identité nationale de la France et de son indépendance, ravalée au rang des accessoires par le « mini-traité » de Lisbonne.
Faisons un rêve, monsieur le ministre : vous êtes resté le ministre des affaires étrangères de la France. Le Président de la République, dont vous tirez votre légitimité, et vous-même devez faire connaître, avant même que M. Obama ait pris sa décision sur l’envoi ou non de renforts, la position de la France.
Les buts politiques de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan, que je distingue de la stratégie militaire, ne sont pas aujourd’hui clairement définis. Il n’est donc pas opportun d’appuyer les demandes de renfort exprimées par le général McChrystal, commandant l’ISAF, l’International Security Assistance Force.
Les raisons de l’intervention de 2001 étaient justifiées au départ : priver Al Qaïda d’un sanctuaire. Elles ont largement évolué depuis lors vers la construction d’un État démocratique, comme cela a été affirmé au sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, M. Bush étant encore président des États-Unis. Cette tâche est aujourd’hui hors de portée, à supposer qu’elle ait été jamais accessible !
On ne peut en effet occulter l’énorme effet de pollution exercé par l’invasion de l’Irak en 2003 sur l’évolution du conflit afghan. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien ! CQFD !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le temps perdu ne se rattrape pas !
Il n’est pas possible d’exporter la démocratie dans un pays étranger, a fortiori quand il s’agit d’un pays aussi différent des pays occidentaux que l’Afghanistan. On ne peut pas plaquer du dehors une constitution à l’occidentale pour imposer à l’Afghanistan nos conceptions en matière de gouvernance et d’État de droit.
C’est l’élection d’un nouveau président américain, Barack Obama, et la rupture qu’il a déclaré vouloir opérer dans les relations des États-Unis avec les pays musulmans qui autorisent aujourd’hui une réévaluation de la situation. L’objectif de l’ISAF ne peut être de s’installer durablement en Afghanistan, où la tête d’Al Qaïda ne se trouve vraisemblablement plus.
Sept ans après son accession au pouvoir, le président Karzaï ne dispose plus d’une légitimité suffisante. La restauration de l’État afghan est le préalable de tout, comme l’a d’ailleurs souligné M. Josselin de Rohan. Le retrait doit donc être affirmé comme l’objectif normal de l’intervention militaire, sous certaines conditions.
Pour cela, il faut redéfinir les objectifs politiques de la présence militaire de l’OTAN.
D’abord, il faut envisager le rejet par la révolte nationale pachtoune du terrorisme internationaliste d’Al Qaïda.
Ensuite, il faut prévoir la constitution d’un gouvernement d’union nationale n’excluant aucune composante du peuple afghan et ratifié par une Loya Jirga, conformément à la tradition du pays.
Enfin, il faut organiser la neutralisation de l’Afghanistan dans le cadre d’une conférence internationale incluant les pays voisins.
C’est seulement en attendant que ces conditions soient réunies qu’il est légitime de maintenir une pression militaire reposant sur un principe d’économie des forces, mais sans engagement de calendrier.
La définition des objectifs politiques ne doit pas être laissée aux militaires : ils demandent toujours des renforts ! L’OTAN doit choisir une stratégie soutenable à long terme, avec des moyens limités. L’opinion publique occidentale doit pouvoir, en effet, soutenir cette stratégie et ne pas être pour celle-ci un facteur d’affaiblissement.
Aucune stratégie en Afghanistan, enfin, ne peut faire l’économie de la coopération active du Pakistan, dont la communauté internationale doit soutenir la réorientation démocratique et la modernisation. Pour y parvenir, il faut rechercher la normalisation des rapports indo-pakistanais et sino-indiens. Les pays voisins doivent aider à la restauration de la paix en Afghanistan. C’est d’abord leur affaire, pas la nôtre !
Voilà, monsieur le ministre, la voix que la France devrait faire entendre au président Obama avant qu’il n’arrête sa décision !
La présence en Afghanistan de 3 500 soldats français, au courage et au stoïcisme desquels je veux rendre hommage, vous oblige à prendre, au nom de la France, une position raisonnée. Si elle l’est, et si le Président Sarkozy sait l’exprimer avec force, elle sera entendue.
Ne vous réfugiez pas derrière un papier « européen » qui ne dira rien, à supposer qu’il voie le jour, et dont les Américains, bien sûr, ne tiendront aucun compte !
Faites entendre la voix de la France, monsieur le ministre. C’est comme ça : il faut y croire ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos concitoyens suivent régulièrement, notamment au travers des médias, l’évolution de la situation en Afghanistan et l’engagement de nos soldats dans un environnement difficile.
Les deux déplacements organisés par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, et par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Josselin de Rohan, ainsi que ce débat, nous permettent de dépasser cette simple vision, parfois tragique mais naturellement réductrice, et d’essayer de faire, ensemble, un point le plus objectif possible sur l’état du pays, l’action de nos troupes et les perspectives qui s’offrent, notamment, à la communauté internationale.
Après plus de dix années d’invasion soviétique, de combats particulièrement meurtriers et destructeurs, l’Afghanistan a connu la chape de plomb du régime taliban et s’est transformé en base arrière et en camp de formation des terroristes d’Al Qaïda.
Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis sont intervenus militairement, chassant les talibans de Kaboul, les repoussant dans les montagnes et au Pakistan, et traquant les groupes terroristes d’Al Qaïda.
Une force internationale d’assistance à la sécurité, appelée FIAS ou, en anglais, ISAF, a été mandatée par la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies pour stabiliser le pays et créer les conditions d’une paix durable. Cette sécurisation, on le comprend, est le fondement de toute perspective crédible de reconstruction et de développement.
Aujourd’hui, les observateurs internationaux comme les pays engagés relèvent des progrès en matière d’infrastructures, de développement économique, d’éducation – notamment pour ce qui concerne les filles, mes chers collègues – et de santé, ainsi que dans la mise en place des institutions.
Cependant, face à la dégradation de la sécurité et au net durcissement des actions des talibans, ils constatent aussi les limites et les échecs de la stratégie passée ainsi que, reconnaissons-le, l’inadaptation du modèle démocratique occidental à un pays en guerre depuis trente ans, aux ethnies multiples, parfois antagonistes, aux traditions tribales fortes.
Les raisons de ces échecs sont multiples. J’en soulignerai quatre.
Premièrement, l’effort sécuritaire que nous avons réalisé dès 2003 était insuffisant, notamment en raison de l’intervention américaine en Irak, et inadapté, car essentiellement militaire.
Deuxièmement, l’aide internationale, pourtant très importante, n’a pas bénéficié d’une stratégie claire et aucun responsable n’a été désigné par l’ONU pour définir les priorités et piloter ces actions. Les errements dans ce domaine, mes chers collègues, mériteraient à eux seuls un débat !
Troisièmement, la reconstruction de l’appareil de l’État n’a pas suffisamment été considérée comme faisant partie des priorités.
Quatrièmement, cela a déjà été indiqué par les orateurs qui m’ont précédé, la dimension régionale de la crise afghane a été sous-estimée.
La volonté de tirer les enseignements de ces erreurs et de modifier radicalement notre action se dessine au niveau tant politique que militaire. Le sommet de l’OTAN de Bucarest, en avril 2008, a arrêté des principes majeurs : détermination partagée de maintenir un engagement dans la durée ; soutien aux autorités afghanes pour leur permettre de prendre en charge, progressivement, leur sécurité ; approche globale internationale tant militaire que civile, puisque la sécurité et la reconstruction sont les deux piliers indispensables ; accroissement de la coopération régionale avec les pays voisins.
Le rapport du général McChrystal, qui commande tout à la fois les troupes américaines de l’opération Enduring Freedom et les soldats des quarante-deux pays alliés au sein de l’ISAF, va dans le même sens, même si les médias n’ont souvent retenu que la demande d’un renfort de 40 000 hommes qu’il a adressée au président Obama.
Je tiens à souligner, comme M. Josselin de Rohan avant moi, que le volet civilo-militaire du rapport du général McChrystal est déjà décliné par le contingent français, qui, après avoir préparé cette transition en amont, vient de remettre le commandement et la responsabilité de la région de Kaboul à l’autorité militaire afghane, en liaison avec les Turcs.
Quelle est donc la situation réelle des troupes françaises en Afghanistan ?
Notre dispositif est divers et en cours d’évolution. Il comporte un contingent air, soit 450 hommes environ, à Kandahar et à Douchanbé, au Tadjikistan ; une centaine de personnels de la mission Héraclès mer ; 3 100 soldats, très majoritairement de l’armée de terre, qui assurent des missions de sécurisation. Celles-ci, d’abord concentrées dans la région de Kaboul, ont été progressivement étendues à l’est de la capitale, dans la province de Kapisa et le district de Surobi, secteur dans lequel nous recentrerons notre action, au début du mois de décembre, grâce à la mise en place de la brigade La Fayette.
Par ailleurs, et c’est essentiel, nous assurons la formation d’éléments de l’Armée nationale afghane, qui est passée de 3 000 hommes en 2002 à près de 96 000 hommes aujourd’hui. Nous avons formé durant cette période 6 000 cadres militaires et 3 000 commandos, et nous accueillons maintenant 4 700 soldats afghans pour des périodes de formation accélérée de deux mois.
M. Jean-Louis Carrère. Et combien sont passés chez les talibans ?
M. Jacques Gautier. Parallèlement, plus de 300 officiers et sous-officiers français conseillent les unités afghanes au sein des OMLT, les Operational Mentor and Liaison Teams, vivant avec elles et les accompagnant dans les opérations sur le terrain.
Enfin, cinq groupes de coopération civilo-militaire, dits CIMIC, interviennent dans les zones que nous sécurisons pour réaliser sur le terrain de mini-programmes de reconstruction, en liaison étroite avec les populations et les représentants de l’armée afghane. Je reviendrai ultérieurement sur ce point.
Lors de notre déplacement, nous avons rencontré des soldats français, notamment dans les Forward Operating Bases, ou FOB, de Kapisa, Nijrab et Tagab. Comme l’ont fait sur place le président du Sénat et les présidents des groupes politiques de la Haute Assemblée, je tiens à rendre un hommage appuyé à ces hommes et à ces femmes, qui sont dotés d’un haut moral et ont une grande conscience de l’importance de leur mission. Nous avons admiré et salué leur professionnalisme, leur détermination et leur sens élevé du service de la France. Vous devez savoir, mes chers collègues, qu’avant la projection en Afghanistan ils bénéficient d’une préparation opérationnelle spécifique de six mois, avec, bien sûr, déclinaison des fondamentaux du combat, mais aussi prise de connaissance du théâtre afghan au travers de nos retours d’expérience.
Après le net durcissement des combats, à l’été 2008, et la généralisation de la pose par les talibans d’Improvised Explosive Devices, ou IED – ces mines artisanales, souvent de forte puissance, qui ont causé 75 % des pertes alliées –, il a fallu faire évoluer nos équipements individuels et nos matériels. C’est chose faite grâce à d’importants crédits d’urgences opérationnelles via la mise en place des « crash programmes » : 108 millions d’euros en 2008 et 180 millions d’euros en 2009. Cet effort a été complété par le déploiement en 2009 de trois hélicoptères Tigre et d’un hélicoptère Caracal supplémentaire et l’envoi de huit canons de 155 millimètres Caesar. Merci, monsieur le ministre de la défense !
Les missions dites en « tache d’huile » sont conduites en collaboration avec le 32e kandak de l’armée afghane, bataillon qui travaille totalement avec nous et bénéficie de conseillers français. Elles permettent, après la sécurisation d’un village ou d’une zone, de réunir une shura, qui est une assemblée de notables, et de rencontrer les sages, les malek, afin de définir avec eux les travaux à réaliser d’urgence dans la zone et de les engager immédiatement avec la participation active des villageois.
Je note d’ailleurs qu’un lien étroit s’établit maintenant dans la région de Kapisa et dans le district de Surobi entre nos troupes et les soldats afghans, d’une part, et la population locale, d’autre part.
Je voudrais citer deux exemples : dans les zones dont nous nous occupons, le taux de participation au premier tour de l’élection présidentielle, le 20 août dernier, a été supérieur à la moyenne nationale ; mais surtout, sur les vingt-quatre derniers IED qui ont été découverts et neutralisés, seize avaient été signalés par les habitants eux-mêmes.
La population afghane en général, et particulièrement dans les zones que nous sécurisons depuis un an, aspire à vivre en paix, à retrouver la tranquillité après trente ans de guerre et refuse majoritairement les talibans.
M. Jean-Louis Carrère. Alors, allons-nous-en !
M. Jacques Gautier. Cependant, l’opinion publique occidentale, spécialement en France et en Grande-Bretagne, se pose toujours la question légitime d’un retrait possible, face à la durée et au durcissement du conflit, notamment après la perte, depuis le début de l’engagement en 2002, de 1 300 soldats, dont 36 Français. Je tiens à saluer la mémoire de ces hommes tombés en Afghanistan pour assurer la mission qui leur a été assignée et participer à la sécurisation et à la reconstruction de ce pays.
Les forces alliées sont fortes de 76 000 hommes, dont 3 694 Français, ce qui fait de notre pays le cinquième contributeur. Elles disposent de moyens militaires importants et d’un niveau technologique élevé, même si le ratio entre le nombre de soldats alliés et la population n’est que de 12 pour 1 000 – je voudrais que vous reteniez ce chiffre, mes chers collègues ! –, alors qu’il s’élève à 29 pour 1 000 en Irak. Même si nous obtenions le renfort demandé de 40 000 hommes, ce ratio n’atteindrait que 18 pour 1 000 : on voit que le général McChrystal cherche à réduire ce différentiel !
Face à ce potentiel, l’insurrection disposerait d’effectifs estimés entre 30 000 et 50 000 hommes. Elle est dispersée et animée par des motivations diverses : religieuses, tribales, politiques, mais aussi mafieuses.
Néanmoins, la force d’une insurrection est ailleurs, et nos concitoyens doivent le comprendre. Les insurgés savent qu’ils ne peuvent pas gagner militairement,…
M. Jean-Louis Carrère. Et nous, le pouvons-nous ?
M. Jacques Gautier. … mais, au travers d’attentats, d’attaques suicides, de destructions par IED ou d’embuscades très ciblées, ils visent directement non pas les militaires, mais les opinions publiques occidentales, pour qu’elles fassent pression sur leurs gouvernements afin qu’ils retirent leurs soldats.
Après nos déplacements sur place, où nous avons participé à des échanges et des rencontres diverses, il apparaît comme évident qu’un désengagement à court terme est inenvisageable. Au-delà de la « défaite médiatique » de l’ONU et de l’OTAN et des répercussions qu’un tel retrait aurait, dans l’avenir, sur les autres crises que ces deux organisations auraient à gérer, il ramènerait l’Afghanistan à la situation de 2001, avec le retour rapide des talibans et la reconstitution d’un refuge pour les terroristes internationaux. Il signifierait pour les populations le retour de l’obscurantisme, la fin des droits de l’homme et, surtout, de la femme. Enfin, la situation serait aggravée, certains l’ont déjà évoqué, par une instabilité accrue dans la région. Pour toutes ces raisons, l’ensemble des voisins de l’Afghanistan et des acteurs régionaux majeurs, telles l’Inde, la Chine et la Russie, souhaitent le maintien dans la durée de notre présence en Afghanistan.
Sur l’initiative de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, une conférence internationale devrait se tenir dans quelques mois, peut-être à Kaboul même, pour acter les grands principes de l’engagement international, mais aussi ceux du gouvernement afghan. Il me semble que notre pays, en s’appuyant sur les préconisations du sommet de Bucarest et le rapport du général McChrystal, fasse preuve de fermeté sur un certain nombre de points.
Premièrement, il convient, en liaison avec l’ONU, de réduire les déficits en matière de gouvernance et d’État de droit, grâce à un gouvernement renouvelé et d’ouverture s’appuyant sur des compétences qui existent dans le pays,…
Mme Michelle Demessine. Cela a échoué !
M. Jacques Gautier. … et d’accomplir un effort significatif dans la lutte contre la corruption et contre la culture du pavot, au niveau aussi bien de l’État central que des provinces, en remplaçant certains gouverneurs devenus des symboles de la corruption.
Deuxièmement, cela a déjà été souligné, nous devons encourager une croissance rapide de l’armée nationale et de la police afghanes en développant le recrutement et la fidélisation, liés en partie à la revalorisation des soldes – je rappelle que les soldats et policiers touchent en moyenne de 80 dollars à 100 dollars par mois, alors que les talibans perçoivent 300 dollars ! Il conviendrait également d’améliorer la formation, le tutorat ainsi que l’intégration des unités opérant sur le terrain. Un effort tout particulier doit être réalisé en direction de la police, et je me félicite de l’arrivée de 150 gendarmes français.
Troisièmement, il faut concentrer l’effort de sécurité et de reconstruction dans les secteurs peuplés et, comme le demande le général McChrystal, dans les zones où la population est le plus menacée par la violence, la peur, l’intimidation des talibans, qui éliminent les « barbes blanches », les anciens, et mettent en place des dirigeants radicaux extrémistes.
Quatrièmement, notre pays, pour sa part, doit maintenir ses troupes en Afghanistan au minimum au niveau des effectifs actuels et recentrer son action sur la province de Kapisa et le district de Surobi.
Cinquièmement, au niveau diplomatique, la coalition devrait apporter une réponse régionale à la situation en Afghanistan en obtenant un engagement accru du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme, ce qui suppose aussi une coopération avec l’Inde, dont le Pakistan craint une attaque sur ses zones frontalières. Cette action doit être générale et menée avec l’ensemble des acteurs que j’ai déjà cités, y compris avec l’Iran, qui est envahi par la drogue venue d’Afghanistan.
Sixièmement, l’ONU doit nommer un haut responsable de l’aide internationale, doté de pouvoirs décisionnels, pour organiser, rationaliser, optimiser le flux des centaines de millions de dollars déversés sur le pays. En ce qui concerne l’action de la France, je salue les efforts réalisés dans ce sens en 2008 et 2009, mais il faut aller plus loin et concentrer le plus de moyens possible au plus près du terrain, en liaison étroite avec nos troupes et les CIMIC. Les résultats obtenus dans la vallée de Shamali comme les premiers retours à l’est de Kaboul montrent l’efficacité de ces actions, qui obtiennent l’adhésion des populations ou, au minimum, les incitent à rester neutres. Les travaux de la route Vermont, dans le district de Surobi, financés par les Américains, montrent l’attente des habitants et leur soutien à une infrastructure qui facilitera leurs déplacements, au nord, vers Bagram, puis Kaboul, pour la vente de leurs produits agricoles.
À ce sujet, monsieur le ministre des affaires étrangères, je crois profondément, comme beaucoup d’acteurs sur le terrain, diplomates ou militaires, nous l’ont indiqué, qu’il faut décharger l’Agence française de développement, l’AFD, d’une partie de ses missions et de ses moyens sur place. Si cette agence réussit parfaitement en Afrique et pour les soutiens au gouvernement afghan ou aux ONG, elle n’est pas adaptée au financement de microprojets à réaliser en urgence après la tenue des shuras. Je plaide donc pour le transfert direct de crédits supplémentaires aux CIMIC, peut-être sous le contrôle de l’ambassade.
Enfin, et je rejoins sur ce point le président de notre commission des affaires étrangères, il convient de fixer avec l’ONU et l’OTAN un calendrier contraint et réaliste pour un retrait progressif du pays au fur et à mesure de la réalisation des objectifs arrêtés en commun. Quatre ou cinq ans me semblent constituer une perspective raisonnable, même s’il est certainement nécessaire de prévoir, à plus long terme, une présence minimale d’encadrement des troupes afghanes, de soutien aérien et de renseignement technologique.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Gautier. Aujourd’hui, nous devons donner sans hésitation une chance à l’« afghanisation » de la sécurité, à une meilleure gouvernance, à une certaine démocratisation et à la reconstruction du pays pour les populations. Cela signifie, dans la durée, un effort soutenu de nos soldats, auxquels nous devons apporter, c’est notre responsabilité commune, tous les moyens dont ils auront besoin, en les assurant du soutien de la représentation nationale et de la nation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. « Une sortie d’Afghanistan progressive, calculée et planifiée, mais une perspective de sortie confirmée et débattue », voilà, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce que nous aurait proposé Jean-Pierre Bel s’il en avait eu le temps.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la connivence du régime des talibans avec Al Qaïda constituait, en effet, une grave menace pour la sécurité du monde.
Outre ses buts militaires reconnus, le Premier ministre d’alors, Lionel Jospin, avait assorti l’intervention en Afghanistan d’objectifs diplomatiques et politiques précis. Au regard de la situation actuelle, il est essentiel de les rappeler : reconstruire l’Afghanistan sur la base du droit, du dialogue et d’un système représentatif ; apporter une aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités afin d’asseoir leur légitimité ; assécher le narcotrafic et la contrebande de matériaux chimiques ; favoriser la solution négociée et juste des conflits au Proche-Orient afin d’ôter toute légitimation au recours à la violence terroriste.
Je vous laisse juges du résultat et vous pose une première question, puisque vous êtes membres du Gouvernement et que je suis l’un des représentants de l’opposition : comment combattre efficacement les forces insurgées avec un pouvoir central délégitimé ? Comment, dans ce conflit, qui est aussi une guerre civile fratricide entre Afghans, surmonter le sentiment hostile, ou pour le moins négatif, qui grandit au sein de la population à l’égard du gouvernement et de son alliée, la coalition militaire internationale ?
Les propos publiés par le colonel Goya confirment pleinement le constat que je viens d’énoncer : « La coalition apparaît comme une immense machine tournant un peu sur elle-même, et souvent pour elle-même, en marge de la société afghane. »
Le Premier ministre nous avait vanté, il y a un an, les mérites quasi magiques de la politique d’« afghanisation » du conflit. Cependant, nous savons que l’« afghanisation » passe surtout par la formation des militaires de ce pays. Or le dispositif actuel de formation ne marche pas. Plutôt que de multiplier les assertions gratuites, je me permets de citer à nouveau le colonel Goya : « L’ensemble du système de formation de l’armée afghane apparaît comme une machine à faible rendement, alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. » Sans parler, mes chers collègues, des désertions au sein de l’armée afghane, qui atteignent des niveaux considérables au fil des mois : 12 % des sous-officiers et 34% des militaires du rang – je m’étonne d’ailleurs de la discrétion qui règne sur ce sujet.
Paradoxe des paradoxes : nos formateurs améliorent la formation de soldats afghans qui, quelque temps plus tard, se retrouvent dans les rangs des talibans et les combattent ! Ne sous-estimez pas cet aspect de la situation ! L’évidence s’impose, messieurs les ministres : il faut changer de stratégie !
La France ne peut pas conserver sa position actuelle, avec un Président de la République qui s’agite au milieu des contradictions : d’un côté, il annonce la volonté de rester en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire » ; de l’autre, il explique qu’il n’envisage pas d’y envoyer de nouvelles troupes françaises tout en approuvant les propositions de l’OTAN destinées à augmenter la présence de la coalition sur place. Que l’on m’explique la trame de la pensée présidentielle !
Alors, messieurs les ministres, quelle est la position de la France ? Faut-il se résigner à une augmentation rampante, silencieuse et cachée des effectifs des troupes françaises ?
Selon les dernières dépêches de presse, le président Obama « réfléchit toujours ». La seule certitude que nous ayons, c’est que les priorités de l’administration américaine dans la région se réorientent vers une stratégie, dite « AfPak », qui, et c’est tout à fait nécessaire, lie les deux théâtres de l’Afghanistan et du Pakistan.
Certes, il s’agit d’une première décision, et ses conséquences militaires sont évidentes. Mais nous oblige-t-elle et, dans l’affirmative, jusqu’où nous engage-t-elle ? Messieurs les ministres, avez-vous participé un tant soit peu à la prise de décision relative à cette extension du champ de bataille régional ?
Pour rester bref, je pense que nous devons exiger d’être associés à la redéfinition de la stratégie de la coalition en Afghanistan et dans la région et, pour cela, nous devons faire bloc avec nos amis de l’Union européenne. Concrètement, pourriez-vous, messieurs les ministres, nous préciser comment et dans quelle mesure la France est associée aux décisions du commandement militaire intégré de l’OTAN ? Pourriez-vous nous indiquer les démarches engagées pour harmoniser les positions des pays européens ?
Bien qu’étant pris par le temps, je souhaiterais évoquer, très rapidement, le problème de la drogue. Il ne semble pas retenir toute l’attention nécessaire des membres de la coalition internationale présente en Afghanistan. Pourtant, au-delà de la nocivité même de ce type de trafic et de ses conséquences sur nos populations, la culture du pavot présente pour nous deux autres dangers.
D’une part, la drogue alimente un système de corruption qui traverse toute la société afghane, jusque dans ses cercles les plus élevés, talibans et administration gouvernementale compris. D’autre part, elle est à l’origine d’un trésor de guerre, capté par les talibans, qui trouvent ainsi un financement commode et, pour l’instant, inépuisable. Messieurs les ministres, quelle action le Gouvernement envisage-t-il pour que ce dossier soit pris à bras-le-corps par les forces de la coalition et par les autorités afghanes ?
En conclusion, messieurs les ministres, il est temps de changer de stratégie !
Nous considérons qu’il est crucial de demander au Conseil de sécurité des Nations unies la tenue dans les meilleurs délais d’une conférence internationale élargie à tous les pays voisins de l’Afghanistan, ainsi qu’à l’Inde et aux pays de la péninsule arabique, pour redéfinir les objectifs de l’engagement militaire, exiger du gouvernement de Kaboul une action déterminée contre la corruption, la drogue et le terrorisme, et assurer au peuple afghan le développement économique du pays.
Nous souhaitons qu’une sortie progressive, calculée et planifiée soit définie et effectivement annoncée. Ne tardez plus, messieurs les ministres, vous avez déjà trop tardé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a huit ans, presque jour pour jour, dans la nuit du 12 novembre 2001, un millier de voitures emportaient les chefs et les cadres taliban qui s’échappaient de Kaboul, se scindant en deux colonnes, l’une vers Kandahar, l’autre vers Djalalabad. C’est une énigme, car tous les véhicules qui avaient bravé le couvre-feu américain les nuits précédentes avaient immédiatement été détruits.
Nous devions apporter aux Afghans la paix, la sécurité, la démocratie sous la forme d’élections libres. Aujourd’hui, les combats sont de plus en plus âpres contre des taliban mieux aguerris ; le nombre des victimes collatérales est inacceptable ; des attentats ensanglantent chaque semaine les villes.
Les élections n’ont été qu’une pantomime pour laquelle les électeurs afghans ont risqué leur vie. Ce scrutin devait désigner un chef d’État incontesté. Les nombreuses tricheries soulignées et instrumentalisées par les taliban lui ont ôté toute valeur. Ainsi, des journalistes ont testé les urnes en votant à plusieurs reprises et sous des noms les plus farfelus, figurant sur leur carte d’électeur – Britney Spears, Michael Jackson,... Ces élections, insultantes pour les Afghans, ont infiniment moins de valeur à leurs yeux, et à raison, qu’une loya jirga ou le pachtounwali.
Tout discours sur l’Afghanistan doit être humble !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est sûr !
M. Aymeri de Montesquiou. Personne ne peut être péremptoire sur un sujet aussi complexe. J’affirmerai seulement que la porte de la paix ne peut être ouverte que par la clef de la confiance retrouvée du peuple afghan.
Les Afghans éprouvent un ressentiment haineux pour des tenants du régime dont les palais insultent leur misère et leur salaire de base de 30 dollars. On retrouve une atmosphère proche d’Apocalypse now. Des piliers du régime, membres de l’Agence centrale de renseignement américaine, la CIA, sont suspectés de trafic de drogue. Ainsi, le ministre chargé de la lutte contre la drogue, le général Khodaidad, a déclaré au début du mois que les troupes étrangères bénéficiaient de l’argent de la drogue en taxant l’opium produit dans les régions sous leur contrôle. Comment, avec un tel comportement, « gagner le cœur des Afghans » ?
On ne sait si cette guerre, qui comprend aujourd’hui le Pakistan, peut être gagnée, mais on n’a pas le droit de la perdre.
Cela signifierait une très grande fragilisation des pays d’Asie centrale, que les taliban m’avaient désignés comme cible pour les transformer en émirats.
Cela signifierait le triomphe de l’obscurantisme en Afghanistan avec son cortège de privation de libertés, allant de la possibilité d’écouter de la musique à l’égalité entre hommes et femmes.
Cela signifierait, dans les pays musulmans, une exploitation de l’aversion contre l’arrogance occidentale, pouvant dégénérer en violence aveugle.
Cela signifierait une très forte instabilité dans le monde musulman, recelant les deux tiers des hydrocarbures mondiaux.
Si les solutions au conflit sont très complexes, on peut néanmoins mettre en place de simples solutions de bon sens. Je n’aborderai pas l’aspect militaire. Mais je proposerai, 34 % des soldats désertant, le doublement de leur solde. Cela ne coûterait que 300 millions de dollars par an, comparés au milliard de dollars consacré chaque semaine à la guerre.
La culture du pavot finance les taliban et tue notre jeunesse. Elle doit être éradiquée en garantissant des revenus aux agriculteurs par d’autres cultures subventionnées, afin de ne pas générer une rancœur supplémentaire.
Depuis 2001, 25 milliards de dollars ont été promis et seulement 15 milliards de dollars ont été versés. De l’aide internationale, quelle part arrive réellement à la population ? Certaines organisations non gouvernementales font un travail formidable, mais nombreuses sont celles dont les frais de fonctionnement dépassent de très loin les investissements et dont les réalisations se font à des prix exorbitants. De surcroît, le déséquilibre entre les salaires des expatriés internationaux et ceux des fonctionnaires afghans est humiliant pour ces derniers.
Ce gâchis, cette iniquité exaspèrent et révoltent la population. Une surveillance doit impérativement être mise en place pour que l’argent devienne le « nerf de la paix », selon la belle formule de Winston Churchill.
L’action menée en Afghanistan l’est par les seules forces occidentales. Il s’agit non pas d’imposer nos valeurs, mais de faire participer aussi, entre autres États, les pays directement concernés par leur proximité : le Pakistan, trop longtemps pays refuge des taliban, sans réaction internationale forte ; le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan qui seraient les premiers à subir les assauts, les infiltrations et la déstabilisation par le fondamentalisme ; l’Iran dont le chiisme est insupportable aux wahhabites taliban. Il y a là une occasion pour tenter de renouer avec ce pays qui, au-delà d’un régime aux déclarations inacceptables, est essentiel à l’équilibre de toute la région.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Aymeri de Montesquiou. Je conclus, monsieur le président.
Nous devons avoir à l’esprit la réalité d’un monde indo-persan dont l’Afghanistan constitue le cœur. L’objectif immédiat de cette guerre doit être de retrouver la confiance du peuple afghan, sinon, comme les Soviétiques, nous garderons une plaie au flanc pendant des années. Nous avons perdu la confiance des Afghans et, sans elle, nous aboutirons à un humiliant retrait, sans avoir atteint nos objectifs de stabilisation du pays et de défense des libertés. Pour y parvenir, une homogénéisation du type d’actions menées par les différents contingents est indispensable.
Tous les alliés s’interrogent, aujourd’hui, sur la pertinence de leur présence dans cette zone. On ne peut prendre le risque d’un effet domino de retraits successifs : un calendrier doit lier les différents contingents.
Je conclurai, avec Gordon Brown, qu’« un Afghanistan plus sûr, plus stable et doté d’un gouvernement efficace contribuera à un monde plus sûr ». (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Louis Mermaz applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames, messieurs, c’est aujourd’hui à l’initiative des groupes de l’opposition que nous devons ce débat sur l’Afghanistan, un débat indispensable, qui, hélas ! ne débouchera probablement sur rien.
Mme Dominique Voynet. Je n’ai pas l’illusion de croire, mesdames, messieurs, que l’une ou l’autre de nos interventions serait en effet de nature à convaincre le Président de la République, sinon de changer d’avis, du moins de regarder la situation d’un œil neuf.
Je suis pourtant persuadée, plus que jamais, qu’un examen approfondi et contradictoire de la situation afghane est indispensable si nous voulons nous extraire du bourbier actuel.
Examinons donc, sérieusement et sans trop d’idées préconçues, la situation.
Je ne suis évidemment pas spécialiste de l’Afghanistan. Je pense que sur ces travées peu d’entre nous le sont, y compris parmi ceux qui y sont allés quelques jours ou quelques semaines et qui en reviennent avec plus de questions que de réponses. Nous devons donc fonder nos choix et nos décisions sur les informations et les analyses que nous recueillons, les uns et les autres, aussi bien auprès de spécialistes civils de la région qu’auprès des officiers d’état-major qui, depuis 2001, ont appris à connaître l’extraordinaire complexité de la situation régionale.
Ce que nous savons, donc, pourrait se résumer dans une hypothèse du journaliste Jean-Dominique Merchet : « Imaginez un instant que vous soyez né en Afghanistan en 1960 ». Vous avez survécu, au sortir de l’enfance, à une famine qui a provoqué des dizaines de milliers de morts ; l’année suivante, à un coup d’état appuyé par des officiers communistes ; puis à la prise du pouvoir par les communistes seuls au terme d’un nouveau coup d’état, débouchant lui-même sur une guerre civile qui amènera elle-même l’intervention soviétique. Dans les douze années qui suivirent, vous avez vécu l’occupation des Soviétiques et le maintien d’un pouvoir qui leur était acquis ; une guerre civile qui a opposé le pouvoir pro-soviétique aux moudjahidin du commandant Massoud ; le retrait des troupes soviétiques, puis la victoire de Massoud, entrant dans Kaboul en 1992. Quatre ans plus tard, il est lui-même chassé par les talibans et assassiné le 9 septembre 2001, deux jours avant les attentats du World Trade Center, qui allaient précipiter l’intervention armée des Américains et de leurs alliés.
C’était il y a sept ans. Et si l’on s’attarde sur ces sept années, il est malaisé de mesurer ce que nous avons gagné, et même de dire si nous avons gagné quelque chose.
Les talibans ont été chassés du pouvoir très vite, mais ils se sont redoutablement renforcés depuis. Les forces alliées qui, en 2001, étaient vécues comme des forces de libération se sont peu à peu muées, pour les Afghans eux-mêmes, en armée d’occupation étrangère.
M. Jean-Louis Carrère. Exactement !
Mme Dominique Voynet. Le président Karzaï a été installé au pouvoir, mais il a fallu que les opérations de vote soient arrangées, et le pluralisme rudement malmené, pour qu’il puisse y être maintenu.
Alors, imaginez que vous êtes cet Afghan né en 1960.
Voici l’enseignement que Jean-Dominique Merchet nous propose de tirer de cette suite ininterrompue de désastres, enseignement qu’il est crucial que nous puissions partager : « Oublier que tous ces événements se sont déroulés en l’espace d’une demi-vie d’un homme ordinaire, c’est passer à côté de l’essentiel ».
Cette leçon, messieurs les ministres, j’essaie de la faire mienne. Parce qu’elle me semble le meilleur antidote à l’ivresse de la toute-puissance qui saisit les chefs d’État lorsqu’ils s’aventurent dans des territoires qu’au fond les stratèges, les états-majors et les services de renseignement connaissent moins bien qu’il ne le faudrait.
Ce sentiment de toute-puissance, c’était celui de George W. Bush au moment de déclencher la seconde guerre d’Irak, entraînant la catastrophe qu’on a constaté ensuite.
Ce sentiment de toute-puissance, c’est celui qui a empêché les forces alliées, après avoir chassé les talibans du pouvoir, de redéfinir les priorités de leurs actions.
Je suis d’accord avec le président de Rohan, citant David Kilcullen : une cote mal taillée ne répond qu’à des considérations de politique intérieure, et aucunement à une stratégie compréhensible sur le territoire, même en Afghanistan.
Le problème n’est pas de savoir si nous envoyons ou non quelques centaines, voire quelques milliers d’hommes supplémentaires en Afghanistan, mais de savoir pour quoi faire. Pour six mois, pour un an ou pour deux ans, là n’est pas non plus la question.
Alors même qu’il n’y a jamais eu véritablement de stratégie française en Afghanistan, puisque notre commandement et nos troupes sont intégrés à une stratégie plus large, sous commandement des seuls États-Unis, malgré, donc, cette subordination de fait de nos choix à ceux de nos alliés américains, le Président de la République, en décidant seul et presque contre tous le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, a choisi d’aggraver notre soumission.
La question de nos choix se pose à peine, puisque nous nous sommes coupé les mains et privés de la capacité de choisir. Nous en sommes donc réduits à attendre l’oracle, suspendus plus que jamais aux seules décisions stratégiques de la Maison Blanche. Ce n’est pas moi qui le dis, monsieur le ministre des affaires étrangères, c’est vous dans une interview au Monde, le 13 novembre dernier.
Je ne suis pas rassurée non plus par les déclarations assurant que les forces de l’OTAN resteront en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire ». Instruits par l’expérience, nous devrions savoir que, lorsque les engagements sont si flous, ils permettent à peu près toutes les contorsions et amènent à tous les enlisements.
Le problème, c’est donc de savoir comment rester.
Personne, messieurs les ministres, ne dit que la guerre est facile. Personne ne dit non plus qu’il faudra abandonner demain matin les Afghans à leur sort, bien au contraire ! Je voudrais ici, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous demander d’intervenir activement pour que le gouvernement français renonce à renvoyer de jeunes Afghans dans un pays qu’ils ont fui parce qu’il était en guerre et qu’ils n’y voyaient pas d’autre avenir que la misère, la violence et la mort.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Dominique Voynet. Personne, donc, ne dit que la guerre est facile. Chacun, sur ces travées, est même convaincu de la difficulté de la tâche. Chacun sait que, alors même que nous débattons à Paris, nos soldats sont engagés dans ces opérations, que leur vie est exposée au combat et que les pertes sont déjà lourdes.
Pour ma part, je suis convaincue que nous devons désormais définir et préparer les conditions réalistes de notre désengagement. Des conditions « réalistes », j’insiste sur ce point, car il faudra bien avoir le courage ou l’honnêteté d’admettre que le discours consistant à dire que les forces étrangères resteront en Afghanistan tant qu’il n’existera pas un État, des dispositifs sécuritaires et d’organisation civile qui nous satisfassent pleinement est un discours qui prépare les pires désillusions.
Si nous tenons ce discours, nous savons qu’il sera difficile de se retirer d’Afghanistan tant la présence des armées étrangères est déjà, et le sera plus encore à terme, un facteur de blocage de « l’afghanisation » du conflit, dont on ne cesse pourtant de dire que c’est le but recherché.
Il faudra bien un jour quitter ce pays. En refusant de l’admettre, nous préparerions le scénario le plus noir, celui d’un retrait précipité et désordonné, qui adviendra au moment où nous n’aurons plus d’autres choix, au moment où, aux États-Unis, en France et dans les autres pays alliés, l’idée même de notre maintien sur place sera devenue totalement intolérable aux opinions publiques, ce qui viendra sans doute bien après que les Afghans eux-mêmes ne le supportent plus du tout.
Je crains que ce jour ne soit plus proche que beaucoup veulent le croire !
Je ne dis pas qu’il n’y a qu’une solution. En revanche, je suis assez solidement convaincue qu’il y a au moins une nécessité impérative, celle d’abandonner l’illusion d’une solution militaire, d’accepter dans le même mouvement de faire aussi vite que possible confiance aux Afghans eux-mêmes pour bâtir les conditions d’un Afghanistan plus prospère, plus stable, plus démocratique.
D’ici là, nous pouvons faire beaucoup, assurer effectivement l’accès aux biens publics de base : l’eau, l’énergie, la santé, l’éducation pour les filles et pour les garçons.
À chaque rencontre, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous nous dites que c’est là le point le plus positif du bilan. Sans doute, à condition d’admettre que ce qui est possible et partiellement vrai à Kaboul ne l’est pas ailleurs. L’aide de la France représenterait environ 1 % du total des contributions : c’est bien peu !
Je ne veux pas me résoudre à ce que se répète, une à deux fois par an dans cette assemblée, ce qui pourrait s’apparenter à un dialogue de sourds dont les répliques paraîtraient être écrites comme pour le théâtre.
M. le président. Veuillez conclure, madame Voynet.
Mme Dominique Voynet. C’est pourquoi je voudrais insister sur un point qui est également essentiel : le droit et le fonctionnement des institutions.
Des institutions malmenées par les hommes mis en place par les États occidentaux, notamment par le premier d’entre eux, des institutions qui discréditent l’idée même de démocratie, des institutions plaquées de façon artificielle sur la réalité afghane.
Le grand rendez-vous, ce sont les élections législatives de 2010. Nous devons faire autrement. Nous devons faire passer un message de fermeté sur les conditions de tenue de ces élections et accepter d’ouvrir réellement le débat avec la société civile afghane. De tout cela, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Michelle Demessine et M. Ivan Renar applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga. (MM. Jean-Louis Carrère et Louis Mermaz applaudissent.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je regrette d’être le dernier orateur à devoir infliger un monologue à tout l’hémicycle et j’espère, monsieur le président, que, dans le cadre de la rénovation de notre mode de vie parlementaire, ce type de débat deviendra interactif et organisé de manière que nous ne nous répétions pas les uns après les autres.
M. le président. Chère madame, ce débat résulte d’une décision de la conférence des présidents. Donc, nous appliquons cette décision.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais, pour l’instant, le débat n’est toujours pas interactif.
M. Nicolas About. Cela peut quand même être intéressant !
M. Nicolas About. C’est quand on s’exprime les uns après les autres ! (Sourires.)
M. le président. Nous ne sommes pas ici pour organiser le débat.
Vous avez la parole sur le sujet, madame le sénateur !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J’en viens au sujet.
La situation est grave dans la région du monde dont nous parlons aujourd’hui. En 2009, il existe au moins cinq arcs de crise entre la Méditerranée et l’Himalaya, au centre desquels se place la guerre d’Afghanistan : le conflit israélo-palestinien qui déstabilise le Levant, le conflit irakien, la crise entre l’Iran, l’Occident et les pays de la péninsule arabe, le conflit indo-pakistanais, auxquels nous devons ajouter la présence d’Al Qaïda à cheval sur les zones afghane et pakistanaise des tribus pachtounes.
Tous ces points de tension et ces guerres ouvertes sont interconnectés et font de cet ensemble géopolitique le pont entre l’Europe et l’Asie, le lieu de tous les dangers.
Depuis 2001, pensez-vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, que, nous, Français, ayons réellement pesé… (M. Josselin de Rohan, président de la commission, s’entretient avec M. Roger Romani.)
M. le président. Madame Cerisier-ben Guiga, veuillez poursuivre, je vous prie.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Non, monsieur le président, je vais attendre que l’on veuille bien m’écouter.
M. le président. Madame le sénateur, vous n’allez pas donner des leçons à tout l’hémicycle ! Poursuivez !
M. Jean-Louis Carrère. Oh là là ! Il est courroucé parce que ce sont ses amis qui ne se tiennent pas bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, je peux aussi m’arrêter.
M. Robert del Picchia. Alors, c’est terminé !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais il est préférable que nous gardions tous notre bonne humeur…
Depuis 2001, disais-je, pensez-vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, que nous, Français, ayons réellement pesé dans les aspects militaires et civiles de l’intervention ?
Sur le plan militaire, nous constatons que les Américains mènent leur propre guerre – Enduring Freedom – et continuent à nous imposer leurs options au sein de l’OTAN.
Rien n’a changé depuis que nous avons réintégré le commandement unifié : par exemple, le général McChrystal a été nommé à la tête de l’ISAF – International Security Assistance Force – sans concertation aucune.
Pendant sept ans, la stratégie américaine a privilégié, d’une part, la mise à l’abri des troupes dans leurs cantonnements et, d’autre part, les bombardements, dont les victimes civiles sont évaluées à 100 000. Nous devons peser fortement sur le commandement américain pour que ces tactiques militaires changent. Êtes-vous décidé à le faire ?
Mais huit ans de perdus dans une mauvaise stratégie font que les Américains et nous avec eux sommes perçus par les Afghans et les peuples de toute la région comme une armée d’occupation, armée « chrétienne » de surcroît, en pays musulman.
En Afghanistan, la reconstruction civile n’a représenté que 8 % des sommes dépensées. L’essentiel est allé à l’effort de guerre. La France va-t-elle décider, au moins pour elle-même, de rééquilibrer quelque peu cette proportion ?
Comment les paysans afghans, qui représentent 80 % de la population et qui n’ont été aidés ni à reconstruire leurs routes rurales ni leurs systèmes d’irrigation et pour lesquels l’électricité reste une chimère, pourraient-ils croire que les Occidentaux sont venus dans leur intérêt rétablir des conditions de vie décentes ?
Aujourd’hui, le pouvoir central est déliquescent. Pour rendre la justice dans leurs villages, les Afghans en sont réduits à faire appel aux talibans. Il faut aussi rappeler que, hors des villes, les filles afghanes restent largement bannies de l’école et que les femmes restent soumises à un statut dégradant.
Il est certain que notre présence demeure nécessaire en Afghanistan. Mais rester avec des chances de succès suppose que la France, dirigée par le Président Sarkozy, cesse d’être à la remorque des Américains. Êtes-vous prêt à reconquérir l’autonomie nécessaire ?
Nous devons exiger d’être partie prenante d’une redéfinition des objectifs de l’ensemble des armées engagées. Il faut impérativement que l’action de la coalition soit recentrée et coordonnée.
Nous savons qu’une guerre asymétrique ne peut être gagnée face à un adversaire qui dispose d’un réservoir inépuisable de guérilleros aguerris. Il n’y aura pas de victoire militaire.
Il faudra négocier et, pour cela, il nous faudra reconquérir une position de force et le soutien d’au moins une partie de la population. Ne soyons pas amnésiques, nous sommes tombés dans le même piège que les Soviétiques et nous imaginons en sortir par le même moyen : l’afghanisation. Après notre départ, elle ne durera pas trois mois avec Hamid Karzaï.
Pensez-vous comme nous qu’il faut traiter le problème en associant toutes les parties sans exclusive : les composantes de la société afghane, l’Iran, le Pakistan, l’Inde, la Russie, la Chine, toutes les parties prenantes ?
Une conférence internationale sous l’égide de l’ONU s’impose. Nous avons tous des devoirs envers les Afghans. Ne partons pas en les laissant entre les griffes de mafias ; nous devons les accompagner dans la mise en place d’institutions adaptées à leur société et qui garantissent un minimum d’État de droit. Il y va de la sécurité de tout le Moyen-Orient, du Pakistan, de l’Inde et donc de la paix mondiale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Michelle Demessine et M. François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec la plus grande attention ce qui vient d’être dit.
M. Jean-Louis Carrère. Pas toujours !
M. Jean-Louis Carrère. À peu près !
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. Bernard Kouchner, ministre. Permettez-moi donc de vous répondre avec la plus grande franchise.
Nous sommes engagés en Afghanistan sur une route étroite et très difficile : d’un côté, le despotisme taliban, de l’autre, le vide de l’anarchie.
Je n’ignore aucune des difficultés que vous avez soulignées. Au contraire, c’est parce que nous connaissons ces difficultés que nous travaillons à une stratégie. Je partage nombre de vos inquiétudes et des analyses que vous nous avez livrées, à gauche comme à droite de cet hémicycle.
Notre intelligence collective est mise à rude épreuve et notre courage est mis à l’épreuve. Deux dangers nous guettent : perdre de vue notre objectif et nous tromper sur les moyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plus de deux ans, la France a travaillé sans relâche pour clarifier les objectifs – dont vous avez parlé vous-mêmes – et pour repenser les moyens.
C’est elle qui a été à l’origine du cadre stratégique adopté au printemps 2008 à Bucarest. C’est la France, monsieur Chevènement, qui a également organisé la conférence de Paris la même année sur l’Afghanistan. Nous avons convaincu tous nos alliés, y compris les Américains, monsieur Chevènement, madame Voynet,…
M. Jean-Pierre Chevènement. Eh bien, c’est grave !
M. Bernard Kouchner, ministre. … qu’il fallait s’approcher de la population afghane et non livrer combat contre elle. C’est ce que nous avons fait et c’est ce qui a été plus ou moins suivi à Bucarest comme à la conférence de Paris.
Nous avons mis l’accent sur la nécessité de sécuriser certaines zones. Et quelles zones ! Car, à propos de moyens, comme on ne peut ni occuper ni sécuriser tout l’Afghanistan, nous devons, comme d’ailleurs l’avaient fait les Soviétiques, choisir un certain nombre de zones dans lesquelles nous pourrons convaincre les Afghans que ce que nous leur proposons, avec leur gouvernement quel qu’il soit, est plus utile pour leurs familles que ce que les talibans leur offrent. Voilà ce que nous devons faire en particulier !
Notre aide civile est passée de 15 millions d’euros par an en moyenne à 40 millions par an depuis 2008. Ce n’est sans doute pas assez mais c’est mieux qu’il y a cinq ans.
Nous avons mis l’accent sur la nécessité de transférer les responsabilités aux autorités afghanes. Ainsi que nombre d’entre vous l’ont souligné, nous l’avons fait dans la zone de Kaboul.
Pour cela, il faut former l’armée : quels effectifs et combien cela va-t-il coûter ? Les soldats afghans sont payés 70 à 100 dollars par mois, alors que les talibans leur offrent 300 dollars, ce qui n’est pas acceptable et commence un peu à changer.
Pour cela, nous formons le plus possible – la France n’est pas seule à le faire – la police et l’armée. Personne ne m’a offert ici le moyen de faire autrement.
Nous avons mis l’accent sur la nécessité de trouver une solution régionale. Vous nous conseillez une conférence régionale, mais nous avons été les premiers à le faire, à la Celle-Saint-Cloud, et, depuis, il y a eu huit conférences des voisins de l’Afghanistan. C’est nous qui avons initié ce processus. Effectivement, l’Inde et la Chine y ont participé. Nous avons dit : il n’y aura pas de solution autre que régionale en Afghanistan.
Concernant la drogue, c’est pareil : il n’y aura pas d’autre solution que régionale, car tout cela circule à travers les frontières.
Voilà ce que la France a fait et elle l’a fait sans attendre.
Mais avec 3 750 vaillants soldats français, que je respecte comme vous et que je visite le plus souvent possible, comme je le ferai d’ailleurs dans trois jours, on ne peut pas prétendre commander la coalition autrement que sur un papier. Je note d’ailleurs que, me reprochant ce papier, vous en lisiez un autre, monsieur Chevènement, votre papier !
Tout commence par des papiers. Ainsi que nous l’avions promis sous M. Bush, à la fin de la présidence française, nous avons envoyé à tous nos amis un document stratégique sur les rapports transatlantiques et cela y figurait. Maintenant, sous présidence suédoise, il y a aussi, comme vous le dites, monsieur Chevènement, un « papier ».
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est vous qui le dites…
M. Jean-Pierre Chevènement. … dans votre interview au Monde !
M. Bernard Kouchner, ministre. S’il vous plaît ! J’ai bien entendu, j’étais très attentif.
Ce papier n’est pas suffisant, évidemment, mais c’est à partir de cela qu’on parle avec les autres et que l’on peut éventuellement décider d’une stratégie. Nous ne pouvons pas, avec nos 3 750 vaillants soldats, dicter aux autres leur conduite, ne pas parler avec eux, en particulier avec la coalition. Nous le faisons le plus possible et personne parmi cette coalition n’a fait plus que les Français.
Mme Michelle Demessine. C’est parce qu’on parle de zones militaires !
M. Bernard Kouchner, ministre. Je voudrais que vous le reconnaissiez. Il ne s’agit pas d’être triomphants, mais nous nous sommes efforcés d’agir et nous continuons à le faire avec obstination. Cette stratégie produit des résultats. C’est une stratégie des petits pas, mais ces pas sont les seuls qui ont été accomplis.
M. Jean-Louis Carrère. Mais ce n’est pas sur le terrain militaire !
M. Bernard Kouchner, ministre. C’est aussi sur le terrain militaire et je vais vous donner deux exemples.
Il y a aujourd’hui un papier sur une ville qui s’appelle Dajnak et qui explique comment les petits projets civils et même les microcrédits marchent très bien dans cet endroit.
La corruption, que vous dénoncez très justement, concerne surtout les grands projets et l’aide internationale, qui a été gâchée puisque l’on pense qu’à peine un dixième de cette aide parvient à destination.
Là, nous avons commencé à agir, monsieur Carrère. L’hôpital de Kaboul en est l’un des exemples et c’est peut-être le meilleur. Il n’est pas gardé, il est dirigé par des Afghans, les infirmières, les médecins sont afghans, et ses portes sont ouvertes. Même si, pour le moment, l’hôpital n’est que pédiatrique, il sera agrandi pour que les mères se fassent soigner, et peut-être y aura-t-il un hôpital général dans quelque temps.
Voilà un exemple de ce que les Français ont fait pour permettre la réussite de ces petits projets.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. Le projet de l’hôpital de Kaboul, réalisé sous l’égide de la fondation Aga Khan, est exactement le modèle que nous devrions suivre pour l’hôpital français. Donner le pouvoir aux Afghans, c’est ce que nous essayons de faire. Ce n’est pas simple.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant répondre aux questions qui m’ont été posées par chacun des orateurs.
Depuis 2001, le nombre de centres médicaux a augmenté de 60 % et 3 600 écoles ont été construites.
Mme Dominique Voynet. Nous devrions être contents alors…
M. Bernard Kouchner, ministre. Ce n’est pas suffisant. Elles sont fréquentées par les petites filles, ce qui, lorsque j’étais médecin en Afghanistan, pardonnez-moi d’évoquer ce souvenir personnel, était inimaginable. À l’époque, l’existence même d’une école était inconcevable.
Monsieur Bel, je suis moi aussi perplexe. Sommes-nous sûrs de nos moyens et de notre stratégie ? Non, bien évidemment ! Mais nous sommes au plus près de ce que nous croyons. Nous partageons la même analyse : il faut absolument partir, le plus vite possible mais je ne donnerai pas de date parce que nous ne la connaissons pas et qu’il ne faut rien indiquer à cet égard, pour confier la direction du pays à un gouvernement afghan. Vous avez tous souligné les conditions très précaires, voire caricaturales, dans lesquelles ce dernier a été élu. Certes, mais maintenant l’élection est passée. Nous devons respecter les quelque 40 % d’électeurs qui ont risqué leur vie pour aller voter – pour une femme afghane, tremper son doigt dans l’encre indélébile alors que les talibans lui ont promis de lui couper la main, sinon plus, c’est vraiment un acte de courage. Nous ne devons pas les trahir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Madame Demessine, je viens de le dire, nous ne sommes pas sous la conduite des États-Unis. Simplement, il faut bien reconnaître qu’ils sont, et de loin, les forces les plus importantes de la coalition.
Mme Michelle Demessine. C’est bien là le problème !
M. Bernard Kouchner, ministre. Nous ne pouvons pas raisonner sans eux. L’inverse est également vrai, même si c’est à une échelle moindre.
Nos efforts, le dévouement de nos soldats, notre souci de la population civile en Kapisa comme à Surobi font que l’on vient visiter ces endroits considérés non pas comme des exemples – ne soyons pas prétentieux –, mais comme des succès. Ainsi, 20 000 paysans ont reçu des semences et des engrais, ce qui n’est déjà pas si mal !
Monsieur About, vous voulez que l’on donne le pouvoir à d’autres. Nous l’avons fait ! Qui travaillent en Kapisa et à Surobi ? Des contracteurs afghans.
M. Nicolas About. C’est vrai.
M. Nicolas About. Oui !
Mme Michelle Demessine. Avec quels résultats ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Madame Demessine, ce sont les Nations unies qui administrent le pays en appliquant la résolution 1386, renouvelée chaque année. Alors, ne tentez pas de leur donner le pouvoir, car elles l’ont déjà ! Le représentant spécial des Nations unies en Afghanistan, M. Kai Eide, a dirigé l’ensemble des opérations électorales. Qu’il ait eu raison ou tort, il l’a fait. Son adjoint, qui avait exigé un deuxième tour, l’a payé durement. Le rôle de Kai Eide ne doit donc pas être effacé ainsi, et nous nous en rendons compte.
S’agissant des réunions avec les pays voisins, madame Demessine, je le répète, c’est ce que nous avons fait.
Oui, monsieur de Rohan, nous avons maintenant un nouveau plan d’action, adopté sous présidence suédoise. Certes, ce n’est pas suffisant pour être suivi. Mais s’il n’y a pas de plan d’action, il n’y aura aucune possibilité d’être suivi. Que voulez-vous que l’on fasse d’autre ? Personne ne nous a demandé de nous en aller. Tout le monde a dit : il faut quitter le pays le plus vite possible. Nous le savons.
M. Jean-Louis Carrère. C’est quoi, ce plan d’action ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Le plan d’action de la présidence suédoise prévoit, dans un certain nombre de zones du monde, une plus forte participation de l’Europe, aussi bien en termes de financement qu’en termes de prise de décisions.
Les Américains ont revu leur stratégie partout dans le monde, mais pour l’Afghanistan, aucune décision n’a encore été prise. Je ne leur jette pas la pierre : il est difficile de décider du nombre d’hommes nécessaires : 18 000, 40 000 ou 80 000 ? Le 19 novembre, une étape supplémentaire sera franchie : nous avons rendez-vous avec les principaux partisans européens de cette démarche collective qui ont des troupes sur place et avec Mme Clinton qui représentera les États-Unis.
Monsieur de Rohan, je m’emploie donc à mettre en œuvre ce plan. Mais il ne suffit pas de le dire, il faut que les messages soient acceptés non seulement par chacun des pays européens – ce qui a été fait –, mais également par nos interlocuteurs afghans. Sans contact avec eux, comment voulez-vous que cela fonctionne ?
Enfin, un plan de mise en œuvre sera développé. Nous avons déjà remis à M. Karzaï le plan en neufs points de la France, et je le tiens à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs. Il comporte l’idée d’un secrétariat du Gouvernement, car, vous le savez, la Constitution ne prévoit pas de Premier ministre. Il s’agit de tenir au plus près les engagements et de programmer le financement en fonction des progrès sur ces neuf points, qui comprennent notamment la gouvernance et l’irrigation.
Monsieur About, notre action vise précisément à prendre en compte le contrôle régional. Mais pour ce faire, il faut mettre ensemble les acteurs concernés. Madame Demessine, si nous avons proposé à l’OTAN qu’aucune réunion consacrée à l’Afghanistan ne se tienne sans la participation des Russes, c’est parce qu’ils ont une expérience « formidable », si j’ose dire,…
Mme Nathalie Goulet. La connaissance du terrain !
M. Bernard Kouchner, ministre. … en tout cas une expérience que nous devrions assimiler. D’ailleurs, ils sont d’accord. Ils ont participé à une réunion qui vient de se tenir sur ce sujet à Bruxelles.
Comment donner aux Afghans la possibilité de relancer leur économie et leur gouvernance ? Seuls, ils n’y arriveront pas. Nous devons être à leurs côtés, sans rien leur imposer, tout en leur proposant la direction des projets. Avouez que ce n’est pas facile ! C’est pourtant ce que nous voulons faire.
Je n’ai pas le temps de parler de la situation au Pakistan. Bien évidemment, les deux situations sont liées. Monsieur About, la ligne Durand, qui sépare les Pachtouns, nous n’allons pas décider seuls d’en modifier le tracé.
M. Nicolas About. Il fallait le faire en 1947 !
M. Bernard Kouchner, ministre. Maintenant, c’est un peu tard... Il faut tenir les promesses que nous faisons non pas aux ethnies, mais à tous les groupes, qu’il s’agisse des Pachtouns, des Tadjiks, des Hazaras, etc. Nous devons équilibrer notre soutien. C’est ce qui devrait être fait.
Quant à la dimension européenne telle que vous la souhaitez, je la souhaite également ainsi : c’est une coordination et une stratégie commune. Nous avons plus de 30 000 soldats européens présents en Afghanistan, nous devons bien sûr en tenir compte.
J’ai la tristesse de vous annoncer que dix civils, et non pas trois comme cela avait été annoncé, ont été tués à Tagab au moment où se tenait une shura avec le général français venu exposer notre plan.
Oui, monsieur Jacques Gautier, nous avons une certaine avance, je l’ai dit, à Surobi et en Kapisa. Que les autres contingents viennent voir comment les choses s’y passent est tout de même un bel hommage rendu à nos soldats.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. Cela ne signifie pas que nous pouvons tout changer ; nous n’allons pas non plus faire pleuvoir ! Malheureusement, il n’y a que des cailloux là-bas, et il est difficile de planter des arbres. Ils font pousser des grenadiers, alors nous construisons des hangars pour étaler la vente des fruits dans le temps et attendre que les prix montent. Ce sont des choses élémentaires, mais nous les faisons.
La formation de la police afghane est prioritaire. Chaque jour, entre six et dix policiers meurent (M. Jean-Louis Carrère s’exclame) pour le prix que je vous ai indiqué tout à l’heure. Il faut augmenter leurs salaires pour les rendre, pardonnez-moi ce terme horrible, « compétitifs ». Ils choisissent la police non par idéologie, mais parce qu’ils doivent nourrir leur famille. On ne le dira jamais assez, l’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Comment faire pour aider le pays à se développer ? Je connais les ONG qui s’y attachent depuis vingt-cinq ans. Elles n’ont malheureusement pas trouvé la recette miracle. Ces organisations ne nous demandent pas de partir, elles veulent que nous séparions les zones de sécurisation et les zones où elles travaillent. La tâche est ardue car il est extrêmement difficile de distinguer les unes des autres. Si vous ne sécurisez pas une zone, il n’est pas possible d’y travailler et si vous la sécurisez, c’est bien sûr avec l’armée.
Monsieur Gautier, vous appelez à une meilleure gouvernance. Oui, mais la leur. Ce n’est pas nous qui l’avons choisie. La France souhaite qu’il y ait une unité nationale, que M. Karzaï travaille avec M. Abdullah Abdullah. Nous allons encore nous y employer dans les prochains jours.
Les alliés agissent selon les résolutions des Nations unies. C’est une direction des Nations unies qui a été attaquée par les talibans et le personnel qui avait organisé les élections est mort.
Mme Michelle Demessine. Ils s’en vont !
M. Bernard Kouchner, ministre. Dès que M. Abdullah Abdullah a annoncé qu’il ne participerait pas au second tour, le personnel des Nations unies qui s’occupait des élections est parti, ce qui me paraît tout à fait normal.
Monsieur Carrère, comment surmonter l’hostilité de la population à l’égard du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Carrère. Pas en jouant aux cow-boys.
M. Jean-Louis Carrère. De ceux qui nous ont transportés en Afghanistan lorsque nous y sommes allés. C’était absolument insupportable pour la population !
M. Bernard Kouchner, ministre. À mes yeux, la seule réponse, et encore, je le dis très humblement, est de rendre visibles les progrès réalisés en matière de sécurité et de développement. Les populations civiles doivent siffler la fin de notre présence, lorsqu’elles constateront que le développement que nous avons accompagné leur permet de « s’autonomiser ». Tant que nous n’en serons pas là, notre présence s’imposera. Je précise également qu’il n’y a pas d’alternative à la formation de la sécurité afghane.
Monsieur de Montesquiou, vous avez parlé d’élections « insultantes ». Oui, mais selon nos critères occidentaux. Toutefois, reconnaissez qu’une idée occidentale sur l’Afghanistan, cela correspond mal. Ce qu’il faut retenir, je le répète, c’est que les quelque 38 % d’électeurs, selon les derniers chiffres, qui sont allés voter sont des personnes exceptionnellement courageuses.
M. Aymeri de Montesquiou. Je l’ai dit !
M. Bernard Kouchner, ministre. Merci de l’avoir dit ! Ils sont allés voter au péril de leur vie, et cela justifie pleinement les élections. Ce taux de participation était une bonne surprise ; la prochaine fois, ils seront plus nombreux. Par ailleurs, il faut, vous avez raison, mieux payer les soldats.
Madame Voynet, j’ai beaucoup apprécié votre récit de la vie d’un Afghan qui aurait connu tous ces épisodes. Depuis quarante ans, les Afghans voient passer la nuit dans leurs villages des soldats en armes qui se ressemblent tous dans leurs tenues de camouflage et qui ne s’arrêtent jamais pour leur parler. Cette situation est insupportable. Mais demandez-leur s’ils veulent nous voir partir tout de suite. Ils ne le veulent pas. Ils souhaitent nous voir partir seulement lorsqu’ils pourront prendre en mains leur destin. Ceux qui ont voté, ceux qui protestent sont ceux qui nous demandent de rester. (Mme Michelle Demessine s’exclame.)
M. Jean-Louis Carrère. Là, vous interprétez ! Demandez-leur vraiment !
M. Bernard Kouchner, ministre. J’interprète assez bien car j’ai vécu en Afghanistan pendant près de sept ans.
Si nous sommes présents en Afghanistan, c’est précisément pour permettre aux afghans de mettre fin à la spirale de la guerre. Soyons lucides face aux difficultés, mais restons déterminés. D’ailleurs, madame Voynet, vous n’avez pas réclamé notre départ immédiat. Vous avez souhaité qu’on parte besogne faite. Définissons-la, de la façon la plus précise et détaillée possible, c’est-à-dire Afghan par Afghan.
La stratégie de l’OTAN ne nous est pas extérieure. Nous y sommes partie. L’OTAN est peut-être le seul endroit, madame Voynet, où l’on peut véritablement parler de stratégie puisque tout le monde y est représenté.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n’y êtes pas trop entendu !
M. Bernard Kouchner, ministre. Je le répète, j’ai demandé que les Russes participent aux discussions.
Madame Cerisier-ben Guiga, vous avez tenu des propos trop durs. Honnêtement, que pouvons-nous faire d’autre ? J’ai toujours été partisan de débats réguliers avec vous, mais qu’avez-vous proposé que nous ne faisons pas ? Quelle autre perspective nous avez-vous offerte ?
M. Jean-Pierre Chevènement. D’autres objectifs politiques, et à cela, vous n’avez pas répondu !
M. Bernard Kouchner, ministre. Eh bien, monsieur, je vous réponds : l’objectif politique est de lutter contre le terrorisme. Nous le faisons, car il nous menace aussi et les Afghans sont à nos côtés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l’heure avancée et de la longue réponse apportée par Bernard Kouchner, je me limiterai à formuler quelques observations complémentaires.
Bernard Kouchner a évoqué le bilan de la présence française en Afghanistan. Ce bilan n’est pas aussi négatif que d’aucuns veulent bien le dire. Toutes celles et tous ceux qui sont allés en Afghanistan ont constaté la construction de routes, d’écoles, la scolarisation des jeunes filles, etc.
Pour ma part, je veux évoquer le bilan sécuritaire. Le président de Rohan a fait remarquer la dégradation de la situation, mais l’Afghanistan, c’est un kaléidoscope, un puzzle. La situation est extrêmement différente entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud, d’une vallée à l’autre. Elle varie profondément en fonction de l’ethnie dominante dans telle ou telle vallée. En général, les vallées tadjiks ou hazaras sont relativement calmes, les choses étant plus difficiles en zones pachtounes.
Considérer que la situation en Afghanistan est extrêmement difficile sur la totalité du territoire est une vision occidentale. En vérité, même dans une zone où la sécurité et la stabilité sont assurées, nul n’est à l’abri d’une incursion talibane, d’un IED, un engin explosif improvisé. De ce fait, la population française comme la communauté occidentale et internationale ont l’impression que la situation ne s’améliore pas.
En vérité, les forces militaires ne doivent pas faire face à un front et ne gagnent pas vallée après vallée : elles doivent assurer la sécurité et la stabilité en courant en permanence le risque de mourir, de voir éclater un IED. Et lorsqu’un tel engin éclate, la communauté internationale craint que, in fine, il n’y ait pas de solution.
En termes de stratégie – sujet que Bernard Kouchner a évoqué –, conjointement et simultanément doivent être recherchées la stabilité et la sécurité. Nos forces doivent être présentes en permanence pour montrer nos muscles et la capacité française à sécuriser la zone.
M. Nicolas About. Oui !
M. Hervé Morin, ministre. Dans le même temps, concomitamment – plusieurs orateurs qui se sont rendus sur le terrain l’ont indiqué –, il faut faire en sorte que le développement, la construction de ponts, d’écoles, de routes soient assurés. C’est cette absence de coordination qui, bien souvent, nous amène à perdre rapidement le contrôle d’une situation.
M. Nicolas About. C’est clair !
M. Jean-Louis Carrère. On n’a pas assez d’argent !
M. Hervé Morin, ministre. À chaque fois que je me suis rendu en Afghanistan et que j’ai rencontré des Maleks, ils m’ont garanti que les troupes françaises ne courraient aucun risque si le développement et la reconstruction du pays étaient assurés. Celles et ceux qui sont allés dans la province de Surobi, par exemple, ont pu constater que, aujourd'hui, le calme règne. Nous reconstruisons des écoles, nous construisons des routes. La situation s’est nettement améliorée par rapport à celle qui existait voilà deux ou trois ans. (Mme Michelle Demessine s’exclame.)
Pour arriver à un tel résultat, les forces de la coalition ne doivent pas se comporter en « cow-boys », selon l’expression employée par certains, mais doivent avoir en tête un élément majeur : le respect des traditions de la population afghane ! L’expérience militaire prouve la nécessité d’engager le dialogue. Les populations afghanes ne doivent pas avoir le sentiment de forces qui passent en déployant des moyens militaires importants, puis qui retournent dans leur base, sans qu’aient été créées les conditions du dialogue et de la confiance. À cette fin doivent être respectées les traditions, la culture et les familles afghanes. (Mme Michelle Demessine s’exclame de nouveau.)
Le renforcement militaire – et je tiens ces propos en ma qualité de ministre de la défense – est probablement nécessaire pour répondre à tel ou tel besoin ponctuel. Mais le renforcement militaire permanent constituerait une fuite en avant si n’étaient pas menées conjointement une véritable coordination et une réelle politique de développement, d’amélioration de la gouvernance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous laisse apprécier le constat que j’ai fait la dernière fois que je suis allé en Afghanistan. Sur le terrain, 3 000 soldats français – 3 700 hommes si on prend en compte l’ensemble des éléments de soutien – sont présents dans deux vallées ou deux districts et couvrent à peu près 1 % du territoire, voire 2 % à 3 % si l’on exclut les zones montagneuses, où personne ne vit. Si nous voulions déployer des troupes en nombre comparable sur l’ensemble du territoire, le volume des forces serait considérable et inatteignable.
La France a toujours contesté l’idée selon laquelle la solution serait seulement militaire. Elle a toujours soutenu que, certes, des moyens militaires devaient être déployés pour assurer la sécurité et que, dans le même temps, des moyens devaient être consacrés au développement et à la reconstruction du pays.
À ce titre, je partage les propos de Nicolas About – certains d’entre vous me rétorqueront que c’est assez normal puisqu’il est président du groupe de l’Union centriste ! (Sourires) –, la reconstruction politique de l’Afghanistan ne peut à l’évidence suivre un schéma purement occidental. (M. le président de la commission de la défense opine.) Comparer la nation afghane ou l’État afghan à ce que nous, nous connaissons en Europe ou dans le monde occidental…
Mme Michelle Demessine. Qui le fait ?
M. Hervé Morin, ministre. … est une erreur de l’esprit absolue. La reconstruction de l’Afghanistan envisagée selon un comportement ethnocentrique ne peut mener nulle part.
M. Jean-Louis Carrère. Je vous rassure, monsieur le ministre : personne ne l’a proposé !
M. Hervé Morin, ministre. L’Afghanistan est un pays tribal, ethnique, clanique, féodal. Par conséquent, vouloir reconstruire politiquement l’Afghanistan sur un modèle identique au modèle occidental n’a pas de sens !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n’a dit cela !
M. Hervé Morin, ministre. Il faut donc s’appuyer sur les structures et les institutions traditionnelles de l’Afghanistan, et notamment sur les institutions locales, pour mettre en place une gouvernance stable, compréhensible par les Afghans et s’appuyant sur un État central qui respecte quelques canons démocratiques. Voilà ce que nous devons construire politiquement !
Faut-il penser en termes de renforcement militaire des éléments de la coalition ? Bernard Kouchner a cité des chiffres. Pour ma part, je me suis fait communiquer le coût de l’opération. Selon les estimations, le coût pour les Américains s’élève à 100 milliards de dollars par an. La France, quant à elle, engage 500 millions d'euros. L’ensemble de la coalition – 30 000 Européens sont présents en Afghanistan –, si l’on admet que le coût des soldats européens est à peu près identique, consacre 5 milliards d'euros à l’opération, soit 7,5 milliards de dollars. Le coût total atteint environ 110 milliards de dollars.
Notre pays a déployé, je le rappelle, 3 000 soldats sur le terrain pour un coût de 450 millions d'euros. La présence d’un soldat français en Afghanistan coûte 150 000 euros. Avec cette somme, on pourrait rémunérer 100 ou 150 officiers de l’armée nationale afghane dont la solde s’élève à 350 dollars par mois, soit 4 200 dollars par an.
Mme Michelle Demessine. Mais que se passera-t-il le jour où on arrêtera de payer ?
M. Hervé Morin, ministre. Deux éléments doivent guider notre réflexion. Comment consacrer éventuellement plus d’argent à la formation et à la rémunération de l’armée nationale afghane pour qu’elle connaisse une montée en puissance plus rapide et que les soldats désertent moins, les officiers commettant peu d’actes de désertion ? Comment adapter avec pertinence nos moyens ?
Lorsque l’on se rend dans un certain nombre de bases, notamment à Kandahar, on peut s’interroger réellement sur les effectifs de nos forces qui sont effectivement sur le terrain et participent à la reconstruction de la stabilité.
Mme Michelle Demessine. Tout ça, c’est de la théorie !
M. Hervé Morin, ministre. Je m’en voudrais de ne pas évoquer deux derniers sujets.
Nous avons parlé de la politique européenne de sécurité et de défense et de la présence de l’Europe. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, la problématique est plus générale. Disons clairement les choses : aujourd'hui, l’Europe serait incapable de conduire une opération identique à celle qui est menée dans le cadre de l’Alliance atlantique, parce que les Européens ont démissionné en grande partie en matière d’effort de défense.
Je vous rappelle que l’essentiel de l’effort de défense est aujourd'hui consenti par trois ou quatre pays européens, et essentiellement par deux d’entre eux, la Grande-Bretagne et la France.
L’insuffisance de la volonté européenne en matière de sécurité et de défense est dramatique ; nous la subissons sur tous les théâtres extérieurs : les moyens militaires ne sont pas à la hauteur du message politique que nous voulons faire passer sur la scène internationale.
M. Jean-Louis Carrère. Allez-vous envoyer des troupes ?
M. Hervé Morin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été très heureux d’entendre l’hommage que vous avez tous rendu à nos forces et à nos soldats.
M. Jean-Louis Carrère. C’est évident !
M. Hervé Morin, ministre. À travers les témoignages que vous avez pu recueillir en Afghanistan, vous avez pu constater à quel point le dévouement, le courage et le professionnalisme de nos soldats sont exceptionnels.
M. Robert del Picchia. C’est vrai !
M. Hervé Morin, ministre. Globalement, tous les officiers généraux, quel que soit leur pays d’origine, constatent que l’armée française est à la hauteur de sa réputation et de sa mission et que l’action qu’elle mène peut servir d’exemple pour l’ensemble de la communauté internationale.
M. Jean-Louis Carrère. Nos soldats, nous les préférons vivants que morts !
M. Hervé Morin, ministre. J’ai été très heureux de constater que la représentation nationale s’était associée à l’hommage rendu à l’armée française. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean-Pierre Chevènement applaudissent également.)
M. le président. Je tiens à rendre hommage en cet instant aux personnels diplomatiques, à notre ambassadeur et aux personnels civils, qui font un travail remarquable sur le terrain.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour répondre au Gouvernement.
M. Jean-Pierre Bel. En cet instant, je ne souhaite pas répondre au Gouvernement.
Je ne me plaindrai pas du fait que ce débat ait eu lieu cet après-midi au Sénat, alors que nous n’avons aucune visibilité sur l’organisation d’un tel débat à l’Assemblée nationale.
Malgré la grande qualité des propos tenus par les différents intervenants, nous ressentons une certaine frustration, ce pour deux raisons.
Tout d’abord, le temps qui nous était imparti étant fort limité,…
M. Jean-Louis Carrère. Une heure vingt-six pour l’ensemble des orateurs !
M. Jean-Pierre Bel. … un certain nombre d’orateurs ont dû « ravaler » une grande partie de leurs remarques. L’opposition sénatoriale a disposé d’à peu près quarante minutes. C’était insuffisant, compte tenu de l’importance des sujets que nous avons traités.
Par ailleurs, j’aurais souhaité que ce débat émane du Sénat tout entier – nous l’avions proposé –, afin qu’il revête un caractère plus solennel. Or, monsieur le président, vous avez indiqué en introduction que ce débat se déroulait sur l’initiative du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
M. Nicolas About. Nous nous y sommes associés !
M. Jean-Pierre Bel. Non pas que nous ne voulions pas reprendre à notre compte l’organisation nécessaire de ce débat, mais il aurait été préférable que le cadre soit plus général.
Nous aurons d’autres occasions pour répondre au Gouvernement,…
M. Jean-Louis Carrère. Ah oui, on lui répondra !
M. Jean-Pierre Bel. … que ce soit au sein de notre commission ou au cours des débats qui auront lieu dans cet hémicycle. En effet, nous avons beaucoup sur le cœur, beaucoup de choses à dire sur l’engagement de notre pays en Afghanistan. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Nicolas About applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je me félicite du débat qui vient de se dérouler et de sa qualité. Qu’il soit à l’initiative de nos collègues du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ou d’un autre groupe, il était important qu’il ait lieu. La tenue de débats dépend de l’ordre du jour qui nous est imposé et de la « niche » qui nous est impartie.
J’ai noté une convergence très générale sur le fait que nous ne pouvions pas quitter l’Afghanistan du jour au lendemain et laisser les talibans et les terroristes revenir en Afghanistan comme en 2001 pour exercer leur triste dictature.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je me félicite de cette unanimité. Elle est importante : nos soldats présents en Afghanistan constateront que la représentation nationale parle d’une même voix.
Je veux maintenant revenir sur les propos qui viennent d’être tenus. La conclusion de M. le ministre de la défense paraît chaque jour plus forte, à savoir l’absence de l’Europe dans ce débat. Nous ne pouvons pas déplorer la place que prennent les États-Unis dans la conduite de la politique en Afghanistan en étalant, comme nous le faisons, nos nuances, nos dissensions et nos divergences.
M. Nicolas About. Bien sûr !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Mes chers collègues, comment voulez-vous que nous soyons pris au sérieux par nos alliés quand certains contingents ont reçu comme consigne de ne pas bouger de la zone où ils sont cantonnés et de ne faire feu que si on leur tire dessus ?
Comment voulez-vous que nous soyons pris au sérieux quand certains contingents ont reçu l’ordre de ne pas sortir après six heures du soir ? On n’avait jamais fait la guerre de cette façon !
Comment voulez-vous que nous soyons pris au sérieux quand certains de nos partenaires nous disent qu’ils quitteront l’Afghanistan en 2011, quand d’autres – je pense aux Allemands – se demandent s’ils ne vont pas finalement se retirer dès l’année prochaine, quand d’autres, enfin, posent d’innombrables conditions à leur maintien ?
Nous compterons seulement quand existera cette politique européenne de sécurité et de défense dont l’urgence se fait sentir chaque jour. (M. Jacques Legendre applaudit.) Ce doit être une priorité du Gouvernement, faute de quoi nous serons éternellement à la remorque des États-Unis ! D'ailleurs, qui paye commande et ceux qui disposent du plus fort contingent sont évidemment plus écoutés que les autres…
Au demeurant, le président Obama doit trancher en ce moment même la question très difficile de savoir s’il va, ou non, envoyer en Afghanistan un contingent supplémentaire, donc davantage de soldats qui exposeront leur vie. Mes chers collègues, quand des nations alliées affirment que, en aucun cas, elles ne s’engageront, que voulez-vous que pensent l’opinion et les dirigeants des États-Unis ?
Telle est la leçon qu’il faut tirer de ce débat : aujourd'hui, nous devons être les plus ardents à réclamer une politique européenne de sécurité et de défense. Or, mes chers collègues, je reviens de l’assemblée parlementaire de l’OTAN et il reste un énorme travail à accomplir en la matière, croyez-moi, parce que nous sommes très peu nombreux à constater l’urgence et la nécessité de cette politique.
Messieurs les ministres, la deuxième leçon que je voudrais tirer de ce débat est la nécessité d’un relais international. L’OTAN ne peut à elle seule mener la guerre contre les talibans, le trafic d’opium et le terrorisme international !
Nous ne devons pas accepter que les Russes, les Chinois et même les Indiens nous disent : « Surtout, ne quittez pas l’Afghanistan, mais comprenez que nous ne puissions y envoyer un seul soldat russe, après ce qui s’est passé dans les années 1980, ni un seul combattant indien – qu’en diraient les Pakistanais ? –, ni un seul militaire chinois, parce que les Indiens pourraient en prendre ombrage. »
La question de l’Afghanistan intéresse les Nations unies dans leur ensemble. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Ce sont elles qui doivent mener ce combat, en s’engageant davantage qu’elles ne le font !
Mme Michelle Demessine. Il faut un nouveau mandat !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C'est pourquoi, monsieur le ministre des affaires étrangères, mieux vaudrait ne pas tenir de conférence internationale si celle-ci ne doit pas aboutir à des résultats concrets en matière de lutte coordonnée contre le terrorisme et le trafic de drogue, notamment !
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Or il est possible d’y parvenir, à condition bien entendu que les Russes et les Chinois, qui sont membres du Conseil de sécurité, acceptent d’assumer leurs responsabilités. Il s'agit là d’un problème de maintien de la paix, qui intéresse donc l’ensemble des Nations unies.
Mme Michelle Demessine. Voilà pourquoi il faut un nouveau mandat !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pour conclure ce débat, je voudrais former le vœu que nous n’ayons pas de nouveau à déplorer un été meurtrier pour nos forces en Afghanistan, comme nous en avons connu l’an passé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste. – Mme Michelle Demessine applaudit également.)
M. Jean-Louis Carrère. Bravo !
M. le président. Messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous avons consacré à ce débat plus de deux heures et demie, en partageant notre temps de façon égale entre les sénateurs de la majorité et de l’opposition.
L’intervention de M. de Rohan vient parfaitement conclure les travaux qui ont été préparés tant par la commission que par notre déplacement en Afghanistan.
(M. Guy Fischer remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
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Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle avait procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
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Numérisation du livre
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 51 de M. Jack Ralite à M. le ministre de la culture et de la communication sur la numérisation du livre.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jack Ralite rappelle à M. le ministre de la culture et de la communication que, depuis 2004, Google a engagé un programme international de numérisation de grandes bibliothèques qui atteint à ce jour des millions de livres. Ce projet arrive en France, via le récent accord au contenu toujours secret de la bibliothèque de Lyon avec le moteur de recherche américain et les discussions non publiques entamées avec lui par les ministères domiciliés à Bercy et par la Bibliothèque nationale de France.
« Nous souhaitons bien sûr saisir l’immense et heureuse possibilité, aujourd’hui concrète, de permettre à tous et à chacun le libre accès au “livre de la famille humaine”. Il ne faut pas prendre de “retard d’avenir”, mais pas à n’importe quel prix.
« Or si Google, devenu un géant, diversifiant toujours plus ses interventions sur le livre, notamment avec Google Édition, annonce offrir gracieusement aux institutions publiques les moyens de la numérisation, cette gratuité est illusoire et dangereuse. On a pu parler de “pacte faustien” nous mettant d’abord et avant tout sous la tutelle d’un véritable monopole, s’appropriant le patrimoine des bibliothèques publiques à des fins exclusivement commerciales, au mépris du droit d’auteur et du droit moral, du bien public, de ses animateurs et de ses destinataires. Les auteurs américains ont déjà dû recourir à la justice.
« L’enjeu est fondamental pour le devenir du “grenier à mémoire” de nos sociétés, pour le livre, la lecture, les lecteurs, la librairie, l’édition, les bibliothèques et les initiatives à développer vite et fort que sont Gallica, vivement encouragée par la francophonie, Europeana et la très récente bibliothèque numérique universelle créée par l’UNESCO.
« Quelles mesures nationales, quelles propositions au plan européen et international entend prendre le Gouvernement français face à cette grave perspective dominée par l’esprit des affaires contre les affaires de l’esprit ?
« Il lui demande quel est le plan de numérisation du livre dans notre pays, ses priorités et son coût. Quelles sont les possibilités industrielles existantes ou à créer en France ou en Europe pour la numérisation ? Quel est son avis sur la nécessité d’avoir un ou plusieurs “pôles de compétitivité” sur la numérisation, comprenant la recherche publique, la recherche privée et l’industrie ? Est-il admissible que l’entreprise Google exige le secret sur les accords qu’elle passe avec des services publics et sur la propriété des œuvres numériques qu’elle revendique pour un grand nombre d’années ? Que lui inspire l’incertitude sur la pérennité de la conservation numérique ? Quel montant du grand emprunt envisage-t-il de consacrer à la numérisation ?
« La magnifique bibliothèque du Sénat mène actuellement une numérisation de son fonds concernant d’abord les débats menés sous la Ve République dans le cadre d’un partenariat public-privé en France qui n’entache pas la responsabilité publique. Tout cela “bourdonne d’essentiel” dirait René Char.
« Beaucoup de grandes bibliothèques dans le monde s’étaient félicitées de la réaction française face à Google en 2004. Elles ne comprendraient pas que la France renonce à cette attitude en adoptant une politique d’impuissance démissionnaire.
« Comment dire non aux règles autoritaires du chiffre et de l’argent et oui à la liberté humaine de déchiffrer le monde ? “L’Histoire n’est pas ce qu’on subit mais ce qu’on agit”, dirait Boulez. »
La parole est à M. Jack Ralite, auteur de la question.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le grave sujet dont nous débattons aujourd’hui n’est pas neuf pour notre assemblée. Le Sénat a souvent porté intérêt au livre et aux nouvelles technologies.
Quand les dirigeants de Google présentent leurs objectifs, on a l’impression qu’il s’agit de la réalisation du rêve d’une bibliothèque universelle ! Borges dans sa nouvelle « La Bibliothèque de Babel » écrit : « Quand on proclama que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant ». L’immensité de l’émerveillement, du vertige d’accéder depuis son domicile, par un simple clic, aux livres du monde entier et de l’histoire du monde, d’une certaine manière, à l’éternité future du monde, à « l’histoire minutieuse de l’avenir ».
Toutefois, Borges ajoutait : « à l’espoir éperdu succéda [...] une dépression excessive ». Pour ma part, je garde espoir et je refuse la dépression.
Camus nous a alertés pour toujours : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Tout est mal nommé dans le dossier Google, rédigé pour que l’interlocuteur se soumette. Quatre faits invalident les promesses du groupe.
Premièrement, en février dernier, l’historien américain Robert Darnton, directeur de la bibliothèque de Harvard, que son prédécesseur avait liée à Google, écrivait : « Quand les entreprises comme Google considèrent une bibliothèque, elles n’y voient pas nécessairement un temple du savoir, mais plutôt un “gisement” de contenus à exploiter à ciel ouvert ».
Deuxièmement, aux États-Unis, un procès opposait jusqu’à samedi dernier – il n’est pas encore totalement réglé – les titulaires des droits d’auteur, auteurs et éditeurs, à Google. Cette entreprise a numérisé et diffusé des œuvres sans l’autorisation des titulaires des droits. C’est un coup de force inversant la logique en usage. Ce sont les auteurs et les éditeurs qui doivent faire les démarches pour que leurs œuvres ne soient pas diffusées, alors que, auparavant, c’était au diffuseur de demander l’accord. Le droit suit le rapport de force, ce qui est une façon de légitimer le vol.
Aux États-Unis, vous le savez, mes chers collègues, on finit par négocier commercialement, avec des indemnités, risquant ainsi de liquider le droit d’auteur, notamment le droit moral. C’est l’appropriation privée d’un bien public. Le président de l’Association des éditeurs de livres du Canada s’entendit dire par Google : « Mais enfin je ne comprends pas, je veux votre bien » ; l’éditeur répondit : « Pardonnez-moi, je préfère le conserver ». (Sourires.)
Troisièmement, Google est un géant, un quasi-monopole mondial. Il se finance à 93 % avec de la publicité, ce qui équivaut à 50 % du marché publicitaire sur le Net, soit 23 milliards de dollars. Il a numérisé dix millions de livres, plusieurs trillions de pages. Google, c’est la page d’accueil et le moteur de recherche d’une majorité d’internautes...
Quatrièmement, le contrat conclu entre Google et la ville de Lyon pour numériser 1 342 000 documents patrimoniaux, dont 500 000 livres, autorise la firme à s’octroyer de façon exclusive « la pleine propriété sans limitation dans le temps des fichiers originaux » qu’elle produit, en échange d’une simple copie digitale remise à la bibliothèque. Or celle-ci appartient au domaine public et relève du droit administratif, qui interdit une telle pratique.
Nous sommes donc loin de l’histoire à l’eau de rose servie par Google, d’ailleurs déjà attaqué en justice en France, en Italie, en Belgique et même, tout récemment, par le groupe Murdoch...
Le Sénat, a contrario, manifeste dans ce domaine une pratique que l’on pourrait qualifier – je reste prudent – de « responsabilité publique ».
Tout d’abord, il y a quatre ans, a été édité un livre sur la bibliothèque du Sénat, dont le fonds, de 400 000 volumes, est d’une extrême richesse. Les bibliothécaires ont choisi cinquante-quatre trésors, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, avec de très belles illustrations. Vingt-quatre sénateurs y ont écrit aux côtés de personnalités. L’ouvrage intitulé D’Encre et de Lumières révèle ainsi pour autrui des œuvres de cette bibliothèque… inconnue.
Le Sénat, répondant aux demandes de ceux qui veulent mieux connaître son travail, a décidé, dans une première étape, de numériser les débats de la Ve République. Il a passé un appel d’offres remporté par l’entreprise Azentis de Saint-Ouen, où travaillent trente-cinq spécialistes.
J’ai discuté avec le directeur de cette société, M. Neukirch, prestataire de services pour une tâche élaborée et maîtrisée dans son développement par la bibliothèque du Sénat, et elle seule. Les trente-cinq employés interviennent sur trente-quatre autres chantiers, en y exerçant le vrai métier de numérisation, à ne pas confondre avec une numérisation en vrac, à la Google.
Il existe d’autres entreprises de cette nature en France qui veulent se développer, ce qui relève d’une volonté du politique et des moyens que celui-ci décide d’y affecter.
Le Sénat en 2008 a abondé le financement de la numérisation de journaux anciens conservés à la BNF.
Enfin, notre commission des affaires culturelles a auditionné en 2006 M. Jean-Noël Jeanneney, qui présidait à cette date la BNF. Un fait rare s’était alors produit : des applaudissements à la fin de son propos. Revenant au Sénat en septembre dernier, à l’invitation du président Legendre, il fut encore salué par des applaudissements. Il a publié un ouvrage précieux et roboratif intitulé Quand Google défie l’Europe. Plaidoyer pour un sursaut, aux éditions des Mille et une nuits.
Évoquons à cet instant un fait choquant. Comment se fait-il que Gallica et Europeana, que le Président de la République Jacques Chirac avait soutenues, ainsi que vingt-deux bibliothèques nationales européennes, ont été presque abandonnées, leurs crédits ayant été chichement mesurés, tandis que Google devenait un groupe mondial, avec la prétention orgueilleuse d’être incontournable pour ces questions et « d’organiser l’information du monde dans le but de la rendre accessible et utile à tous » ?
Il n’est pas démocratique que, depuis huit mois, à l’instigation ou avec le soutien du ministère de l’économie, le directeur de la BNF ait été conduit à négocier avec Google.
Cette situation me rappelle l’après-guerre. Le gouvernement des États-Unis, dès 1945, tenait une session sur le cinéma : profitant de l’affaiblissement de l’industrie française, Washington a exigé, en compensation du plan Marshall, que la programmation nord-américaine soit majoritaire dans les salles de cinéma. Il a fallu des manifestations de milliers d’artistes à Paris pour que le cinéma français reconquière une place plus importante dans nos salles. Toutefois, les coups avaient été portés, et ils continuent de se faire sentir en Europe et dans le monde, puisque les images anglo-saxonnes sont dominantes sur les écrans.
En ce qui concerne Google, à l’étranger, un tel changement de la politique française surprend. Dans une récente réunion des personnels des grandes bibliothèques japonaises, un mot revenait sans cesse : « stupéfaction ».
Dans le domaine de l’esprit, plus que dans tout autre, la confiance que notre pays s’est acquise grâce à ses artistes et à leurs rencontres avec la population est ébranlée. Or on ne joue pas impunément avec la confiance.
On répond alors : « Mais Google est trop fort, et même si nous regrettons ce rapport de force, il nous faut en profiter ! ».
Lise Bissonnette, directrice générale de la bibliothèque et des archives nationales du Québec jusqu’à cette année, critique, au contraire, ceux qui affirment qu’« il faut saisir le magot quand il passe, à cheval donné ne regardant pas la bride » ; mes chers collègues, cette expression française médiévale signifie : « Il faut toujours être content d’un cadeau reçu, quand bien même aurait-il un défaut ».
Il y a dans ceux qui cèdent une « impuissance démissionnaire ». Nous sommes de plus en plus nombreux, fort heureusement, à penser que « la politique, c’est rendre possible ce qui est apparu jusqu’ici comme impossible ».
Et la fatalité technologique ! Il y a quinze ans, lors d’un colloque organisé au Sénat, le ministre Alain Madelin déclarait : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle. » Nous devons dire non à la fatalité technologico-financière, instrumentalisée comme un fatum ! Le facteur essentiel aujourd’hui, c’est la capacité de l’homme à maîtriser les systèmes complexes qu’il rencontre, conçoit et utilise.
De plus, le 6 décembre 2006 a été fixée la feuille de route stratégique de la France sur la connaissance et la culture. Il s’agit du rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel, qui traite l’homme de « capital humain ». Ces « idées » deviennent dans la vie de « simples actifs comptables ». Ce rapport compte soixante-huit recommandations, dont une a tout son sel aujourd’hui : faire financer les sites publics d’administration en ligne par la publicité, sur le modèle de Google. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire ! On a vu comment le rapport Rigaud a été suivi en rejetant la notion d’aliénabilité de certaines œuvres. « On ne saurait conclure que le plus sûr moyen de "valoriser au mieux le patrimoine de la nation" soit de le vendre », soulignait-il sur cette vision déplorable qui fait songer à Google.
Dans la foulée de ce rapport se tint au cours de l’année 2008 en Avignon un forum, l’une des plus grandes assemblées des industries culturelles d’Europe et des États-Unis, qui fut saluée comme le « Davos de la culture ». Il est des comparaisons dont il faut se méfier.
Mme Catherine Tasca. Oui !
M. Jack Ralite. Il en a été dit des vérités éternelles et le monde entier tremble de ces éternités. Voilà de quoi méditer.
Nous voulons respirer et symboliser, comme dit Pierre Legendre, ce qui implique de ne pas se soumettre à Google. C’est un choix politique.
En Espagne, la Bibliothèque nationale fait assurer sa numérisation par Telefonica, entreprise nationale des nouvelles technologies. En France, les revues savantes sont numérisées sans Google – voir les sites persee.fr et revues.org.
Il me faut évoquer aussi la grande question de principe, le statut du livre, de l’œuvre, donc du droit d’auteur. C’est une question capitale concernant le livre, la lecture, les lecteurs, la librairie, l’édition, les bibliothèques et les initiatives à développer vite et fort que sont Gallica, vivement encouragée par la francophonie, Europeana et la très récente bibliothèque numérique universelle lancée par l’UNESCO.
Le livre ne peut être confondu et réduit à de l’information. Les bibliothèques ne sont pas des banques de données. Le livre fait sens, fait œuvre, que celle-ci soit poétique, narrative ou argumentative. Le livre a deux éléments constitutifs : sa matérialité comme support, son âme comme œuvre. Julien Gracq affirme : « Pour s’enrichir pleinement de la lecture, il ne suffit pas de lire, il faut savoir s’introduire dans la société des livres, qui nous font alors profiter de toutes leurs relations et nous présentent à elles de proche en proche à l’infini. »
La lecture sur écran n’est pas la lecture d’une œuvre dans sa cohérence et son intégrité. Elle favorise la fragmentation du texte et de la lecture. Elle désintègre les œuvres, mutilant le droit moral. Un texte n’est pas une somme de fragments, une juxtaposition. Quand on pense à la visée publicitaire de Google, on voit bien que le texte n’est qu’un prétexte. Google ne s’intéresse qu’aux pages et non aux ouvrages considérés comme un tout. Signaler des pages, c’est autre chose que signaler des œuvres.
Le risque majeur est de mettre en ordre selon des critères de fréquence de consultation, de hiérarchiser les ouvrages selon l’audimat. Ce qui ramène à la formule « du temps de cerveau humain disponible » de Patrick Le Lay, ancien directeur de TF1. C’est la politique de la tête de gondole, comme dans les grandes surfaces. La numérisation en vrac est un danger absolu. Ce n’est pas le cas du numérique en soi, qui provoque des évolutions des pratiques de lecture et même d’écriture, ce qui est une bonne chose : selon moi, en effet, cela ne remet pas en cause la distinction entre l’écrivant, l’écrivain et l’auteur.
Il faut dissiper une autre confusion. Les livres numériques, qui naissent numériques et sont conçus pour la diffusion numérique, ne sont pas des livres traditionnels numérisés. Aux États-Unis, ils représentent seulement 3 % des ventes. L’enjeu porte donc sur la numérisation des livres papier sur laquelle Google rêve de régner en maître.
Le droit d’auteur est aujourd’hui fragilisé dans toutes ses dimensions. Mon collègue Ivan Renar traitera des œuvres orphelines et des œuvres épuisées.
Il y a aussi la dangereuse orientation de la politique européenne de Mme Reding, qui est « google-phile » et qui veut réformer le droit d’auteur dans le cadre de la création, écoutez bien, d’un marché européen des droits d’auteurs. Cela accompagne l’absurde idée de tout numériser. Les bibliothèques nationales ont la dimension de « cimetières de livres », surtout avec le dépôt légal. L’historien Le Roy Ladurie rapporte que, entre la Révolution qui fonda la BNF et son départ de la direction de cette institution en 2000, deux millions d’ouvrages n’avaient jamais été consultés. Pourquoi dépenser tant d’énergie à vouloir tout numériser ?
Se pose aussi le problème de la qualité de la numérisation. Il suffit de faire référence aux limites et aux erreurs de Wikipedia. Il faut une politique intelligente de numérisation, ce qui suppose de faire des choix. Songeons aussi qu’à vouloir tout numériser on crée un risque majeur pour la fréquentation des bibliothèques.
La numérisation peut conduire à un appauvrissement de la lecture. Quand on sait qu’il est impossible de garantir la durée de vie de la numérisation, il ne faut pas choisir aveuglément le tout-numérique, pour faire moderne.
Avant de vous interroger, monsieur le ministre, tout en avançant des propositions, je ne peux pas oublier que, en 2009, à la Foire du livre de Francfort, Google a décidé de devenir un libraire mondial, d’élargir son intervention au-delà de « Google books », sur tout le champ d’existence du livre, qui est le grenier de mémoire de l’humanité.
Il y a aussi le danger du « profilage » de tous les utilisateurs de Google, qui permettra à ce dernier de se constituer des bases de données incroyables sur les consommateurs du monde entier, rendant ainsi la concurrence « non libre et très faussée » et favorisant les publicités ciblées. Et je n’évoquerai pas la menace sur le respect de la vie privée, sur les libertés.
Monsieur le ministre, je présente douze propositions.
Premièrement, et cela intéresse directement le Sénat, il revient à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de créer une mission pour définir une véritable politique de la numérisation du livre. Cette mission serait non pas suiveuse de Google, mais exploratrice des nouveaux mondes créés ou en création par ces technologies. Après une consultation sans exclusive, elle donnerait ses recommandations à la fin du printemps prochain.
Deuxièmement, il faut revivifier le processus enclenché en 2005-2006, sur l’initiative de Jean-Noël Jeanneney et avec le soutien du Président Chirac, à l’échelon national et européen, en faveur de la numérisation des livres avec Gallica et Europeana, et depuis avec l’UNESCO, dans la stricte fidélité à la diversité culturelle. Europeana avait réuni la majorité des pays européens, notamment l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Pologne, la Hongrie et bien sûr la France, la Commission européenne et vingt-deux bibliothèques nationales sur vingt-quatre.
Troisièmement, il convient d’appuyer et de faire vivre la création d’une bibliothèque numérique francophone, à la définition de laquelle le Canada avait apporté sa pierre, le président de la francophonie, M. Abdou Diouf, ayant soutenu ce projet.
Quatrièmement, il importe de soutenir le développement d’une industrie française et européenne pour améliorer la rapidité et les techniques de numérisation. Cela suppose des interventions publiques importantes, des partenariats public-privé et du mécénat, tout cela contribuant à la diminution des coûts, sous pilotage public bien entendu.
Cinquièmement, la création d’au moins un pôle de compétitivité sur la numérisation des fonds des bibliothèques, avec un partenariat entre les universités, le CNRS et les industries privées françaises, notamment des PME, s’impose. C’est un grand enjeu industriel à inscrire – il y aurait du concret – dans le cadre des états généraux de l’industrie.
Sixièmement, il est nécessaire d’obtenir une réunion européenne sur la question stratégique de la numérisation, d’autant que les votes au Parlement seront pris non plus à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée, ce qui oblige à un renforcement des initiatives françaises à Bruxelles.
Septièmement, nous devons obtenir que toutes les initiatives et les contrats publics relatifs à la numérisation des bibliothèques soient accessibles, comme le prévoit la loi d’accès aux documents administratifs, et que toute clause secrète, comme Google les pratique – il n’est qu’à prendre l’exemple de Lyon – soit interdite.
Huitièmement, il importe de développer la formation et les apprentissages à la lecture du livre avec une dimension critique, à l’école et en soutenant l’éducation populaire.
Neuvièmement, il faut veiller au pluralisme linguistique dans le choix des ouvrages numérisés, notamment les livres rédigés initialement en français. Rappelons-nous l’aventure de notre ex-collègue Victor Hugo, dont les œuvres furent d’abord numérisées par Google en anglais ou en allemand, dix-neuf fois en anglais et une fois en allemand sur vingt !
Dixièmement, il convient d’amplifier la démocratisation de l’accès au livre, par l’animation des bibliothèques, le renforcement des émissions à la radio et à la télévision, le soutien au réseau des libraires, notamment des petits, et des éditeurs indépendants.
Onzièmement, nous devons fixer le besoin de financement de la politique de numérisation, en faisant appel avec précision et garantie au grand emprunt, comme vous l’avez proposé plusieurs fois, monsieur le ministre, ainsi que Mme la secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, le 10 septembre dernier. Le gouvernement japonais vient de dégager 90 millions d’euros pour numériser 900 000 ouvrages sur deux ans. En France, les calculs avaient évoqué des chiffres similaires et très raisonnables : 10 millions d’euros pour 100 000 livres.
Douzièmement, enfin, il convient d’appliquer systématiquement le principe constitutionnel interdisant toute appropriation privée du domaine public.
En conclusion, la numérisation des livres est un enjeu intellectuel, moral et civique de premier plan, qui doit dire non aux règles autoritaires du chiffre et de l’argent et oui à la liberté humaine de déchiffrer le monde. Les états généraux de la culture ont décidé de tenir une rencontre approfondissant toutes ces questions au mois de décembre prochain.
La culture, donc le livre ne peuvent être réduits à un échange sordide – j’ai produit, tu achètes –, alors qu’ils sont une rencontre, un échange, un mouvement de nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités, car ils sont le nous extensible à l’infini des humains. C’est cela qui se trouve en danger et qui requiert notre mobilisation.
Nous devons y contribuer sans crampes mentales, sans retard d’avenir et en affirmant notre intérêt pour la notion de bien public. Les biens publics et les biens marchands n’ouvrent pas le même type de relations entre les humains. Pour les biens marchands, il est un profit et sert un intérêt individuel. Pour les biens publics, il provient d’un effort de la collectivité pour produire, protéger quelque chose d’essentiel. Le marché est articulé à la demande solvable, le bien public est la garantie que quelque chose existe, même là où il n’y a pas de demande solvable. Ainsi, le bien public correspond au statut de protection de ce qui fait lien.
Comme l’affirme Roger Chartier, professeur au Collège de France, dans un admirable article publié dans le Monde, « si l’urgence aujourd’hui est de décider comment et par qui doit être faite la numérisation du patrimoine écrit, [il faut dire] que la "république numérique du savoir" ne se confond pas avec ce grand marché de l’information auquel Google et d’autres proposent leurs produits ».
C’est une question de dignité et pas seulement pour le livre de la famille humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mmes Catherine Tasca et Bernadette Bourzai ainsi que MM. François Fortassin et Jacques Legendre applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai la conviction que nous sommes au cœur d’une période tumultueuse, voire chaotique, assurément de transition.
Nous sommes dans une période de transition, parce que le numérique met à l’épreuve notre droit d’auteur, mais aussi parce que les nouvelles technologies se sont imposées si rapidement et si violemment que c’est la nature même de l’œuvre qui s’en est trouvée modifiée. Le législateur, donc la législation, se trouve en retard d’une guerre, si j’ose dire.
Mais cette période de transition pourrait malheureusement se révéler déterminante. Google veut profiter de cette confusion pour démanteler le droit d’auteur. En réalité, Google ne fait que profiter de l’espace que nous lui abandonnons.
Notre responsabilité est immense dans cette affaire, parce que cela engage le devenir de notre patrimoine écrit, l’avenir de notre mémoire et le futur de notre création. Nous devons nous en saisir sans plus attendre, en refusant que cette entreprise amorale puisse profiter du vide juridique qui lui est laissé pour attaquer en profondeur le droit d’auteur, ce dernier n’étant pour Google qu’un obstacle à ses velléités hégémoniques.
Ce vide public et juridique plonge les bibliothèques françaises et européennes dans une grande difficulté.
Le mythe de la bibliothèque numérique universelle, auquel nous voulons croire, n’est valable que dans la mesure où la bibliothèque regroupe l’ensemble des ouvrages. Cela inclut bien sûr les ouvrages du domaine public, dégagés du droit d’auteur, dont il est ouvertement question aujourd’hui dans les négociations entre Google et la Bibliothèque nationale de France. Mais cela ne doit pas faire oublier que le véritable enjeu, pour les bibliothèques comme pour Google, réside dans la numérisation des œuvres sous droit.
Si les bibliothèques ne se confrontent pas à la question de la numérisation des œuvres sous droit, qui comprend les œuvres orphelines et les œuvres épuisées, elles courent le risque de devenir des bibliothèques patrimoniales, devenant alors de simples « musées du livre ». En abandonnant les œuvres sous droit, qui sont les plus récentes et les plus demandées, le risque est de perdre totalement le contact avec le public.
Il ne faut pas non plus occulter la question juridique précise des œuvres orphelines, c’est-à-dire les œuvres dont l’auteur ou leurs ayants droit n’ont pu être identifiés ou retrouvés après des recherches sérieuses et avérées, qui ne sont ni commercialisées ni encore entrées dans le domaine public, ainsi que les œuvres épuisées. Selon la British Library, elles représentent potentiellement 40 % des documents des bibliothèques.
La législation française actuelle ne favorise pas la numérisation massive des œuvres sous droit et encore moins celle des œuvres orphelines et épuisées.
La numérisation d’œuvres protégées nécessite une autorisation préalable pour chaque ouvrage. Elle implique même un recours devant le juge pour les œuvres orphelines attestant de recherches sérieuses et avérées des ayants droit ou des auteurs. Cette procédure, trop lente et bien trop complexe, a conduit les bibliothèques à abandonner la numérisation de millions d’œuvres, vécue à juste titre comme un obstacle à l’accès universel au patrimoine culturel.
Afin de résoudre la question de l’accès numérique aux livres sous droits, la BNF, par le biais de sa plateforme Gallica, renvoie vers le lien commercial de l’éditeur concerné pour un éventuel achat du livre, ce qui est, on en conviendra, plus proche d’une fonction de « librairie numérique » que de « bibliothèque numérique ».
Les bibliothèques françaises sont donc démunies et elles risquent de l’être encore davantage si Google réussit son entreprise.
Google tente, en effet, de s’arroger un monopole de fait, en violation des règles imposées par le droit d’auteur, pour capter un marché que ni les bibliothèques, pour des raisons juridiques, ni les éditeurs, pour des raisons commerciales, ne sont en mesure de capter.
Google insiste sur la dimension patrimoniale de son projet, mais ce n’est qu’un leurre. La preuve en est que, sur ses dix millions de références numérisées, seules 10 % sont tombées dans le domaine public. Cela signifie que 90 % des documents numérisés par Google sont des œuvres protégées, dans des conditions par ailleurs inacceptables, parce que ce sont celles qui offrent les perspectives financières les plus intéressantes pour Google.
L’expérience américaine est, à ce titre, révélatrice du mépris de Google pour les auteurs, les éditeurs et la création dans son ensemble.
Google a numérisé la totalité des ouvrages des bibliothèques américaines avec lesquelles a été passé un accord, qu’ils soient libres de droit ou non, orphelins ou épuisés.
Google interprète dès lors le copyright américain, pourtant plus souple que le droit d’auteur à la française, de la manière la plus large possible afin, il faut bien le dire, de créer les conditions qui l’arrangent !
L’entreprise Google Books a ainsi mis la totalité des ouvrages numérisés en ligne, estimant qu’il revenait à l’auteur ou à l’éditeur de manifester sa volonté de retrait de l’ouvrage en ligne.
C’est un véritable renversement du droit d’auteur qui s’opère et qui permet à l’entreprise de s’accaparer à bon compte les œuvres sous droits et les œuvres orphelines, ce qui n’a pas manqué de soulever la colère des éditeurs et auteurs américains, et même celle du département antitrust américain !
En France, Google est actuellement poursuivi en justice par les éditeurs, puisque Google Books s’est arrogé le droit de mettre en ligne des extraits de livres français contenus dans les bibliothèques américaines sans avoir obtenu l’accord des éditeurs et des auteurs, au mépris du droit de la propriété intellectuelle.
Quant aux œuvres orphelines, Google interprète, là encore, la législation dans un sens qui lui est favorable. L’entreprise exploite de manière illicite la législation en vigueur en ne cherchant pas l’autorisation des auteurs ou des ayants droit, sous le prétexte que ceux-ci seraient inconnus et ne peuvent être retrouvés, se contentant d’une simple mention « droit réservé » qui n’est en rien légale.
Le dernier compromis intervenu entre Google Books et les auteurs et éditeurs américains prévoit quelques modifications qui ne sont que des aménagements et ne changent malheureusement pas l’esprit du projet Google. Il n’atténue pas nos inquiétudes.
C’est donc pour préserver notre droit d’auteur que nous devons l’adapter. C’est aussi pour le sauvegarder que nous devons refuser que Google puisse numériser la Bibliothèque nationale de France.
Notre responsabilité, c’est de créer les conditions qui permettent aux bibliothèques de numériser leurs contenus, tous leurs contenus, afin qu’elles prolongent leurs compétences traditionnelles dans l’environnement numérique : collecter les livres, les organiser et les mettre à la disposition du public.
Il est de notre devoir de refuser qu’une entreprise privée puisse remettre en cause la loi française en matière de droit d’auteur, au service du profit et de ses propres intérêts.
Nous souhaitons que soit comblé le vide juridique concernant les œuvres orphelines et épuisées, en créant une véritable société publique de gestion collective, qui permette la numérisation de masse dans le respect des droits d’auteur, assurant ainsi la survie numérique de l’œuvre.
C’est pourquoi nous proposons qu’une partie du grand emprunt soit affectée à la BNF. Il est indispensable également de favoriser des négociations globales, entre les éditeurs et les bibliothèques, de libération des droits, qui permettent une mise en ligne des œuvres sous droits et une consultation gratuite pour les utilisateurs, comme c’est le cas pour les versions « papier ».
Il est donc de notre devoir de trouver les solutions à la numérisation des bibliothèques publiques et de la faciliter, tout en protégeant le droit d’auteur, sans quoi ni les bibliothèques publiques numériques ni le droit d’auteur ne survivront face à l’entreprise de destruction massive qu’entreprend Google.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous devions voter à l’issue de ce débat, je voterai sans hésiter pour les douze propositions que mon ami Jack Ralite vous a présentées voilà un instant. Elles peuvent être améliorées ou amendées, certes, mais elles permettraient de sortir par le haut de ce grand chantier de la numérisation des bibliothèques. Cela n’a pas de prix, même si cela a un coût. Mais, surtout, n’ayons pas à regretter, dans les années à venir, qu’ici ou là on ait poussé à de biens maigres économies pour de bien grands dégâts, pour reprendre les mots de Victor Hugo.
Jack Ralite évoquait, tout à l’heure, la république numérique du savoir. Monsieur le ministre, cette république est en danger. Certes, le pire n’est pas certain – il n’y a pas de fatalité –, mais à la seule condition que l’esprit des affaires ne se substitue pas, une fois de plus, aux affaires de l’esprit ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Jacques Legendre et Jean-Pierre Leleux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 18 août dernier, à la suite des déclarations de Denis Bruckmann, le doute et l’inquiétude se sont répandus dans le secteur de l’édition et dans le monde politique.
Le directeur général adjoint et directeur des collections de la Bibliothèque nationale de France annonçait que les négociations avec Google « pourraient aboutir d’ici à quelques mois » et que « ce changement de stratégie avait été motivé par le coût extrêmement élevé de la numérisation des livres ».
Depuis, les dirigeants de la BNF ont voulu apaiser la situation en précisant que, à l’heure actuelle, aucune décision n’était prise.
Aussi, à ce stade et à l’heure où la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, que vous avez souhaitée, monsieur le ministre, étudie l’opportunité d’un partenariat entre Google et les institutions publiques, il est primordial que notre assemblée débatte de ce sujet, comme l’avait d’ailleurs demandé la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, ou FNCC.
Aussi, je remercie notre collègue Jack Ralite, grâce auquel ce débat a lieu en séance plénière, et notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour le soutien qu’elle lui a apporté.
Le débat qui nous réunit aujourd’hui ne porte pas sur la question de la numérisation des œuvres littéraires ou des documents écrits en tout genre. Bien fou serait celui qui décrierait aujourd’hui cette extraordinaire possibilité pour l’humanité d’accès généralisé au savoir et aux connaissances. Nous ne pouvons que nous réjouir à l’idée que, dans quelques années, nous pourrons sans doute tous, où que nous soyons, consulter un ouvrage rare, archivé dans une bibliothèque à l’autre bout du monde. Tous les livres pour chaque lecteur : rêve de l’accès universel et intemporel aux savoirs, pour l’instant conservés dans les bibliothèques !
Cela étant dit, l’enjeu est de permettre, grâce à internet et aux nouvelles technologies, l’accès au plus grand nombre des œuvres culturelles, sans pour autant s’en laisser déposséder par des acteurs dont les motivations peuvent poser question et, surtout, dans des conditions conformes à ce qu’il convient d’appeler une véritable politique culturelle.
Tout d’abord, rappelons que Google a lancé, dès 2004, Google Books. À l’heure actuelle, l’entreprise a déjà numérisé 10 millions de livres et imprimés, dont 1,5 million d’ouvrages tombés dans le domaine public, 1,8 million d’ouvrages soumis volontairement par les éditeurs et 6,7 millions d’ouvrages appartenant à cette fameuse zone grise que nous avons évoquée.
L’entreprise a également signé des partenariats avec 29 bibliothèques et 25 000 éditeurs. De ce fait, en cinq ans, Google a réussi à s’imposer comme le seul groupe capable de numériser rapidement et massivement.
Pour autant, on peut s’interroger sur les raisons de cette course folle vers la numérisation. Deviendrait-il tout à coup urgent de rendre immédiatement disponible l’ensemble du patrimoine universel ?
Ne nous y trompons pas : en réalité, il s’agit de prendre de court les acteurs traditionnels du livre pour imposer un modèle de consommation du livre numérisé, d’imposer son format, sa bibliothèque et son moteur de recherche.
Quand on sait ce que coûte la numérisation des œuvres, l’offre de la firme de Mountain View est, en effet, très attractive. Mais la réalité, derrière la promesse de la gratuité, c’est de créer du trafic, forcément sponsorisé, plus que du savoir.
L’objectif final est bien de maximiser le revenu obtenu en amenant les internautes à cliquer sur les liens sponsorisés. Le moteur de recherche Google s’adresse – on peut le dire – davantage au consommateur qu’à l’homme ou à la femme de savoir.
Selon moi, l’accord que Google propose jusqu’à présent aux bibliothèques publiques est, à ce stade, risqué pour plusieurs raisons.
Il ne s’agit pas de contester les bénéfices des partenariats public-privé. Le principe d’octroi d’une mission de service public à un opérateur du marché n’est pas contestable en soi, mais cela doit se faire à la condition d’en conserver le contrôle et d’en maîtriser la finalité.
Je rappelle que le groupe, qui déclare vouloir favoriser une législation sur les livres orphelins, a tout de même profité du vide législatif pour numériser près de 7 millions de documents tombés dans cette fameuse zone grise, ce qui lui vaut d’ailleurs des problèmes avec les justices américaine et française.
S’il est évident que Google ne respecte pas les droits d’auteur, comment un partenariat peut-il désormais être envisagé en toute sérénité avec cette société ?
N’avez-vous pas dit, monsieur le ministre : « La numérisation de tous les patrimoines doit se faire dans une garantie d’indépendance nationale absolue et de protection des droits d’auteurs absolue. Cela tient à l’identité, à la mémoire collective et à un certain nombre de valeurs qui vont bien au-delà des aspects techniques » ?
Ensuite, les numérisations qui ont déjà été effectuées comportent des erreurs de datation, d’indexation et de classification, comme l’a souligné Geoffrey Nunberg dans The Chronicle of Higher Education.
Rappelons que les millions de contenus dont Google veut se saisir ont été retracés, répertoriés et rassemblés depuis des années, voire des siècles, par des générations de bibliothécaires et de conservateurs soucieux de donner du sens aux collections. Peut-on accepter que ce travail soit tout à coup bradé ? Non !
Un autre risque, et non des moindres, réside dans la clause d’exclusivité et de confidentialité du contrat imposée par Google. Certes, l’entreprise américaine numérise gratuitement les fonds des bibliothèques, mais, en contrepartie, elle obtient l’exclusivité de l’indexation des ouvrages sur internet pour un temps déterminé, qui reste à la discrétion de chaque partenaire. De fait, cela exclut tous les autres moteurs de recherche. Google posséderait alors une grande partie du patrimoine historique et culturel international, qu’il pourrait indexer et commercialiser à sa guise sans contre-pouvoir.
En annonçant, le 14 octobre dernier, à la Foire du livre de Francfort, la création de Google Editions, la librairie numérique payante, les objectifs du groupe sont alors devenus limpides. Dès 2010, les internautes pourront s’offrir une version numérique des titres numérisés par le moteur de recherche et la lire depuis n’importe quel terminal connecté.
Comme le souligne le journaliste Alain Beuve-Méry, «Google est en passe de devenir à la fois la bibliothèque la plus riche et la librairie la plus puissante du monde ». Ce risque réel de monopole a incité d’autres opérateurs tels que Amazon, Microsoft et Yahoo à rejoindre la coalition Open Book Alliance.
Le plus inquiétant à mes yeux est cet objectif annoncé « d’organiser l’information mondiale », l’idée que l’individu puisse alors être dominé par l’information : Google, en passe de devenir le Big Brother du XXIe siècle, saura qui a lu quoi et quand !
Les centristes, qui plaident pour une charte des droits numériques, ont déjà alerté sur le danger au travers d’internet d’une accumulation de données qui peuvent être exploitées.
Devant de tels risques que faire ? De quelles alternatives disposons-nous pour éviter d’avoir pour seul choix le recours à ceux qui prétendent vouloir ainsi dominer le monde, organiser notre mémoire et notre pensée ?
En premier lieu, j’évoquerai nos propres plates-formes numériques, Europeana et Gallica.
La première est un portail d’accès aux ressources numériques des différents pays européens et un moteur de recherche qui regroupe cinquante partenaires et propose 4 millions de documents accessibles en vingt-six langues.
Confier la gestion numérique de la BNF à Google porterait un préjudice irrémédiable à ce projet de bibliothèque numérique européenne, laquelle représente un formidable outil pouvant contribuer à une Europe de la culture.
Quant à la seconde, Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, en huit ans, elle n’est parvenue à numériser qu’un million d’ouvrages. Or elle dispose de vingt-quatre millions de pages d’œuvres entrées dans le domaine public. Le projet reçoit une aide de l’État de 8 millions d’euros, financés par le biais du Centre national du livre.
Ces projets européens sont gage de qualité, mais manquent de ressources financières eu égard à l’ampleur de la tâche.
Ainsi, le coût de la seule numérisation des œuvres réalisées pendant la IIIe République, soit 20 % des collections de la BNF, serait de l’ordre de 50 à 80 millions d’euros. C’est en effet une somme importante et nous ne pouvons pas la soustraire du budget de la culture.
Mais, comme le rappelait Jean-Noël Jeanneney, c’est avant tout un choix politique. Sur ce sujet, vous avez évoqué, monsieur le ministre, la possibilité de recourir au grand emprunt pour financer une partie de la numérisation.
Mes collègues du Nouveau centre et moi-même partageons tout à fait ce point de vue ; c’est d’ailleurs l’une des propositions que nous avons exprimées auprès du Premier ministre.
Derrière cette problématique de numérisation, c’est aussi une question beaucoup plus large qui est posée. La révolution numérique entraîne un bouleversement complet des conditions de production et de diffusion des œuvres. Aujourd’hui, le secteur du livre se trouve confronté aux mêmes problèmes que ceux qui fragilisent l’industrie de la musique et de l’audiovisuel.
La nouvelle donne numérique impose donc, comme pour les autres secteurs, que la concertation entre ceux que l’on peut appeler les acteurs de la chaîne du livre s’établisse au plus vite.
Le rapport Patino plaide pour une offre légale et attractive. Nous ne pouvons qu’être d’accord.
À l’heure où s’engage un autre combat autour de l’invention de l’« i-Tunes » du livre et de la mise en circulation par les firmes d’un lecteur équivalant à l’« i-Pod », il faut des règles du jeu claires et transparentes permettant de garantir les droits de chacun.
À cet égard, monsieur le ministre, quelles solutions envisagez-vous ? Une adaptation du prix unique à l’univers numérique, des barrières au moment de la sortie sur le modèle des DRM, ou digital rights management, ou l’harmonisation des taux de TVA à 5,5 % ? Mais peut-être avez-vous encore d’autres pistes à évoquer.
L’autre point que je souhaite aborder est la définition du livre numérique.
Si la question est simple, a contrario la réponse ne l’est pas. Comme l’indique d’ailleurs le rapport Patino, il est impossible de définir ce qu’est un livre numérique puisque c’est un fichier qui varie selon le contenu et le mode d’utilisation.
Il me semble pourtant prioritaire de définir l’objet qui fait débat et j’aurais aimé, monsieur le ministre, que cet objectif apparaisse également dans les axes de travail que vous avez donnés à la commission Tessier.
Monsieur le ministre, les décisions éclairées que vous prendrez dans les semaines à venir sont déterminantes. Il nous semble, à nous centristes, important de mettre en œuvre une stratégie de soutien à la numérisation et à la multiplicité des biens culturels.
Je rappelle le rôle moteur qu’a joué la France en 2005, en concertation avec le Québec et le Canada, dans l’établissement de la convention pour la diversité culturelle de l’UNESCO, à laquelle une centaine de pays se sont ralliés depuis.
Le débat qui nous occupe aujourd’hui a bien une dimension européenne et internationale, et nous ne devons pas la négliger.
Enfin, je serai particulièrement attentive, comme vous tous, mes chers collègues, aux événements qui vont se dérouler dans les semaines à venir.
D’abord, le 15 décembre, la commission Tessier rendra ses conclusions. Ensuite, le 18 décembre, le tribunal de grande instance de Paris rendra son jugement sur le recours déposé par le groupe La Martinière associé au Syndicat national de l’édition, le SNE, et à la Société des gens de lettres, la SGDL, contre Google. Ce jugement pèsera sans aucun doute considérablement sur l’avenir du livre. Enfin, le 18 février 2010, le juge new-yorkais, Denny Chin, devrait rendre son avis final sur l’accord proposé par Google ce vendredi 13 novembre aux éditeurs qui avaient intenté un recours contre le groupe.
Nous ne devons pas l’oublier, l’histoire de l’écrit a connu de nombreuses évolutions techniques, qui sont à l’origine des mutations culturelles et économiques fondant notre société actuelle.
Dans cette dynamique – si elle est maîtrisée –, la numérisation signe non pas la fin du livre, mais plutôt son renouveau contemporain. L’intérêt du livre numérique est réel, même s’il n’est pas opposable à l’intérêt du livre papier, qui conservera sa durabilité.
Nous devons simplement trouver les bonnes réponses face à l’ampleur de cette tâche difficile mais exaltante.
On le voit bien, les enjeux du débat que nous avons aujourd’hui sont multiples et complexes, ils sont à la fois culturels, financiers, économiques et politiques.
Conscients de toutes ces dimensions et de l’urgence de la situation, nous serons attentifs à ce que notre patrimoine historique et culturel, celui qui a forgé notre République, soit préservé. Nous veillerons à nous méfier d’un « meilleur des mondes virtuels » qui, si l’on n’y prenait garde, exercerait une forme de suprématie et menacerait la culture d’appauvrissement.
Comme le dit Hervé Gaymard, le livre « est le fruit d’un combat pour la liberté de l’esprit, d’une prouesse technique, et d’une chaîne complexe qui va de l’écrivain au lecteur. ». C’est un combat pour la liberté de l’esprit, ne l’oublions pas ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste. – Mme Bernadette Bourzai et M. Jacques Legendre applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche. (Mme Catherine Tasca applaudit.)
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinq ans après le lancement de son programme de numérisation de livres intitulé « Google Books », ou « Google Livres », 10 millions d’ouvrages ont d’ores et déjà été mis en ligne par le plus célèbre moteur de recherche américain.
Ce travail gigantesque de numérisation de plusieurs centaines de millions de pages n’a été rendu possible qu’à la suite des accords et partenariats conclus entre Google et 29 bibliothèques réparties dans le monde, dont la plupart sur le sol nord-américain, mais pas uniquement.
Comme chacun le sait, la méthode employée par Google, à savoir la numérisation en masse et de manière indifférenciée d’ouvrages tombés dans le domaine public et d’autres encore protégés par le droit d’auteur, a déclenché, à juste titre, mais de manière pernicieuse dans sa résolution, la colère des ayants droit.
Le droit moral des auteurs et des éditeurs des ouvrages piratés par Google a donc ouvertement et sciemment été bafoué. C’est un fait qui n’est contesté par personne.
De manière pernicieuse, ai-je dit, puisque cette colère des auteurs et éditeurs nord-américains pourrait se résoudre par un accord – le « Règlement Google Livres » – dont les effets, s’il devait être validé par la justice américaine, pourraient s’avérer désastreux tant pour les auteurs et éditeurs français que pour l’ensemble des ayants droit européens d’ouvrages présents dans les fonds des bibliothèques américaines et donc voués à une numérisation aveugle.
Les éditeurs français, italiens et allemands ont notifié à la justice américaine leur ferme opposition à cet accord tandis que le groupe La Martinière, le Syndicat national de l’édition et la Société des gens de lettres ont, pour leur part, assigné Google devant le tribunal de grande instance de Paris pour avoir scanné des livres sans autorisation préalable.
Si ce protocole d’accord devait être validé par la justice américaine, un déséquilibre majeur pourrait en effet exister dans l’accès au savoir et à la connaissance entre les États-Unis et l’Europe. L’Interassociation archives, bibliothèques, documentation, l’IABD, s’en est d’ailleurs inquiétée le 7 septembre dernier par le biais d’un communiqué de presse dans lequel elle dénonce ce risque de déséquilibre.
Cet accord signé entre la firme californienne, la Guilde des auteurs et l’Association des éditeurs américains, Association of american publishers, ou AAP, permettrait en effet de rendre accessible, par le service « Google Livres », une partie importante du patrimoine européen uniquement depuis le sol des États-Unis, rendant de ce fait les modalités de son accès plus restreintes et plus onéreuses pour les citoyens et les chercheurs européens.
Quel paradoxe ! Si aucune initiative publique française et européenne n’est prise rapidement pour concurrencer Google, nos chercheurs et citoyens accéderont plus difficilement aux œuvres françaises et européennes que les chercheurs et citoyens américains ! Voilà la triste réalité dont pourra arguer la multinationale californienne pour convaincre les bibliothèques européennes de contracter avec elle.
Or cet accord constitue un vecteur de menaces importantes. Selon les termes du règlement en cause, Google pourrait exclure de sa base de données 15 % des livres épuisés mais encore sous droits. Cette faculté lui ouvre donc la possibilité de rayer des pans entiers du patrimoine, selon des critères dont il garde la maîtrise, et sans garantie contre les éventuelles pressions de groupes d’intérêts, voire de Gouvernements, comme le fait craindre l’acceptation par Google du verrouillage de son propre moteur de recherche dans certains pays.
À ce titre, dans l’hypothèse d’un partenariat tel qu’il est envisagé entre la BNF et Google, j’y reviendrai, il me paraît absolument indispensable – comme l’a proposé l’actuel président de la Bibliothèque nationale de France, M. Bruno Racine, lors de son audition devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat – de définir une charte déontologique de partenariat entre les institutions publiques patrimoniales et les partenaires privés.
La firme américaine présente son entreprise de numérisation massive comme un progrès dans l’accès au savoir pour tous, mais cette philanthropie déclarée ne résiste pas à l’analyse des termes de l’accord.
Google propose certes la numérisation gratuite des fonds des bibliothèques, mais exige en contrepartie une exclusivité sur l’indexation et l’accès au contenu numérisé par ses soins. Voilà les réelles motivations du moteur de recherche aux 21,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires et aux 4,2 milliards de dollars de bénéfices nets !
Google est le leader incontournable des moteurs de recherche sur internet, mais il sait également qu’il n’est pas intouchable et qu’il peut perdre sa place au profit d’un concurrent, voire d’un nouveau venu.
C’est pourquoi la contrepartie de l’exclusivité exigée par Google, en échange de la gratuité des opérations de numérisation des fonds des bibliothèques, est si stratégique et déterminante pour lui. Avec de tels accords, Google est en train de se construire une position ultra-dominante, quasi monopolistique, sur l’accès à l’ensemble du patrimoine écrit de l’humanité. Les perspectives de recettes publicitaires pour Google sont faramineuses.
Cette exclusivité d’accès, qui est la disposition maîtresse du « Règlement Google Livres » et des accords d’ores et déjà passés avec des dizaines de bibliothèques de par le monde, est-elle compatible avec les principes de libre accès à l’information, que nous défendons tous comme démocrates et républicains ?
Je ne le crois pas. Je suis même persuadé du contraire. Si un tel dispositif devait se généraliser à l’échelle mondiale, il ferait de Google le point d’accès unique au savoir de l’humanité.
Le véritable enjeu du « Règlement Google Livres » est donc la mise en œuvre d’un droit exclusif sur l’accès au livre. Il ne s’agit pas de faire progresser la diffusion des connaissances, il s’agit de capter le marché des œuvres épuisées et orphelines, que ni les éditeurs ni les bibliothèques ne sont aujourd’hui en mesure de diffuser numériquement, les premiers pour des raisons commerciales, les seconds parce qu’ils ne le peuvent pas juridiquement.
Dans la composition du corpus de « Google Livres », seulement 5 % des œuvres sont sous droits commercialisés, 20 % appartiennent au domaine public et 75 % ne sont plus commercialisées, sont orphelines ou ont un statut incertain.
S’il se généralisait, le « Règlement Google Livres » aboutirait à reconnaître à la firme américaine un droit exclusif pour numériser, diffuser et commercialiser les œuvres orphelines et épuisées du monde entier, empêchant tout autre acteur, public ou privé, d’agir dans ce domaine, quand bien même il aurait acquis ces œuvres dans le monde analogique.
On est donc loin de l’idée généreuse d’une bibliothèque numérique universelle accessible à tous. Nous sommes plutôt devant la constitution d’un quasi-monopole de librairie en ligne sur les œuvres orphelines et épuisées. « Google Livres » est un projet mercantile, pas un projet patrimonial !
On ne peut apprécier les négociations actuellement en cours entre Google, la BNF et d’autres bibliothèques nationales européennes qu’à l’aune du précédent américain que constitue le « Règlement Google Livres ».
Pour sa numérisation, la BNF dispose d’un budget de 7 millions d’euros par an, ce qui est déjà sans équivalent en Europe : 5 millions d’euros proviennent du Centre national du livre, le CNL, et 2 millions d’euros de ses crédits propres qu’elle réserve aux collections rares.
Or, vous nous l’avez redit en commission, monsieur le ministre, le projet de numérisation du patrimoine concerne non seulement les fonds de la BNF mais aussi ceux de toutes les institutions culturelles, les musées, les cinémathèques et même l’état civil.
L’investissement global s’élèverait à 700 millions d’euros, dont 130 millions pour la BNF !
S’agissant du patrimoine cinématographique et audiovisuel, qu’il est également essentiel de numériser, vous m’avez d’ores et déjà indiqué que le projet du Gouvernement était de faire supporter par le grand emprunt national et les investisseurs privés un plan total de 255 millions d’euros, dont 175 millions proviendront de financements publics.
Vous nous avez également annoncé votre intention de faire appel à ce grand emprunt pour accompagner les bibliothèques publiques dans les démarches de numérisation de leurs fonds. En parallèle, vous avez confié à M. Marc Tessier le soin de vous remettre le 15 décembre 2009 un rapport sur ce dossier que vous présentez comme l’une des actions les plus importantes de votre ministère.
Nous sommes d’accord avec vous. Il s’agit d’un véritable défi lancé par une multinationale à l’ensemble des États européens. Vous le savez, la BNF est une des institutions culturelles les plus respectées de par le monde et ses initiatives en la matière ne manqueront pas d’influencer celles que prendront ses partenaires européens et mondiaux.
Il est vrai que la tâche est difficile. Elle l’est d’autant plus que le projet de bibliothèque numérique européenne, Europeana, marque le pas et s’avère pour l’instant décevant, son contenu étant pour l’heure essentiellement constitué d’œuvres graphiques et sonores.
Ce défi est d’autant plus lourd à relever que l’actuel président de la BNF, M. Bruno Racine, a constaté, lors de la dernière conférence des bibliothèques nationales européennes qui s’est tenue à Madrid à la fin du mois de septembre dernier, que, hormis la France, aucun État européen n’était prêt à investir de manière significative dans la numérisation.
M. Bruno Racine, avec son homologue britannique, et en rupture frontale avec la politique de la BNF menée par son prédécesseur M. Jean-Noël Jeanneney, a d’ores et déjà proposé d’élaborer une charte commune des bibliothèques pour leurs négociations avec Google ou d’autres opérateurs privés.
Nous savons, monsieur le ministre, avec quelle fermeté vous avez réagi à la divulgation dans la presse des négociations actuellement en cours entre la BNF et Google. Mais, force est de le constater, tout se passe comme si de tels partenariats entre la multinationale californienne et les bibliothèques nationales européennes étaient les options les plus probables.
Sans vouloir diaboliser de tels accords ni les exclure a priori, le groupe socialiste du Sénat est cependant convaincu qu’une alternative est possible pour redonner à la puissance publique nationale et européenne la place légitime qu’il lui incombe de tenir sur ce dossier majeur pour la conservation du patrimoine et pour sa transmission aux générations futures.
Oui, une alternative publique est encore possible !
Pour répondre au défi lancé par Google, plusieurs pistes peuvent être explorées.
Tout d’abord, il nous faut réfléchir pour savoir dans quelles mesures l’emprunt national pourrait être utilisé pour libérer les droits sur les œuvres orphelines et épuisées. Cela permettrait, moyennant, bien entendu, une juste compensation pour les auteurs et éditeurs, de lever l’obstacle juridique à la numérisation de ces œuvres.
Ces livres numérisés seraient versés dans le corpus de la bibliothèque numérique européenne Europeana, pour enrichir son contenu et conforter sa position au niveau mondial. La problématique est peu ou prou la même que celle des photographes créateurs, qui proposent une gestion collective obligatoire des œuvres orphelines visuelles diffusées de manière peu élégante – car non rémunératrice –, avec la mention « droit réservé ».
Ensuite, il convient d’explorer une autre piste, qui consisterait à utiliser l’emprunt national pour participer à la création d’une entreprise spécialisée dans la numérisation de l’écrit. On pourrait parfaitement imaginer qu’une telle entreprise, constituée essentiellement par des capitaux provenant des États européens partenaires, prenne une forme comparable à celle d’un groupement européen d’intérêt économique.
Il s’agirait donc de susciter, autour de cet impératif majeur pour la conservation du patrimoine littéraire européen, le regroupement de sociétés, de droit public et/ou privé, décidant de mettre en commun leurs moyens pour accompagner les institutions culturelles européennes dans le processus de numérisation de leurs fonds.
Créatrice d’emplois et de technologies innovantes, une telle entité européenne serait en mesure d’alimenter Europeana de manière substantielle. Elle pourrait, par ailleurs, facturer ses services aux éditeurs européens, afin de numériser les œuvres littéraires toujours sous droit, commercialisées et épuisées. Pourquoi ne pas imaginer, comme l’appelle de ses vœux Arnaud Nourry, président-directeur général d’Hachette Livre, que les éditeurs rassemblent leurs moyens pour créer une plateforme commune constituant une offre commerciale légale et attractive, au service de tous les lecteurs, de tous les contenus et de tous les libraires ?
Une telle plateforme commerciale européenne, alimentée grâce aux moyens logistiques et techniques d’un groupement européen d’intérêt économique dédié à la numérisation de l’écrit, constituerait une formidable réponse au piratage des livres numériques qui se développe de manière tout à fait inquiétante.
Pour l’heure, monsieur le ministre, et sur la base de ces réflexions, nous vous demandons la poursuite du projet de bibliothèque numérique européenne Europeana, la relance à ce sujet de la concertation européenne, pour que l’ensemble des États membres de l’Union européenne contribue à la construction de cette bibliothèque qui peut et doit être le symbole de l’Europe de la culture, la pérennisation et l’accroissement des financements publics en faveur de ce projet.
Nous voulons croire qu’une alternative publique est encore possible pour répondre au défi lancé par Google.
L’urgence est aujourd’hui de décider par qui et comment doit être faite la numérisation du patrimoine écrit. Il vous faut agir pour que la « République universelle des savoirs » chère à Roger Chartier, éminent historien des pratiques culturelles, ne soit pas dévoyée par la création d’une vaste banque de données. La « République numérique du savoir », pour laquelle plaide l’historien américain Robert Darnton, en convoquant l’esprit des Lumières, ne doit pas se confondre avec le grand marché de l’information auquel Google et d’autres ne font que proposer des produits. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir bouleversé les industries de la musique et de l’audiovisuel, la révolution numérique touche aujourd'hui le livre. C’est une nouvelle étape dans l’histoire de l’écrit. Nous devons donc revoir notre conception du livre et, surtout, gérer la réorganisation de son économie.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que le livre connaît des bouleversements liés à l’évolution des techniques. Celles-ci ont fait évoluer le support, le contenu, mais aussi les modes de lecture. Mais, aujourd’hui, c’est à une révolution extraordinaire que nous assistons : celle de l’accès au savoir grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il ne faut pas perdre de vue le considérable potentiel que cela représente en termes d’accès libre de tous à la lecture et à la culture.
Les téléphones multifonctions, les ordinateurs miniatures, les liseuses de poche se multiplient, se perfectionnent et offrent de nouveaux supports de lecture, autres que le papier. Si leur essor est, pour l’instant, marginal concernant la lecture, on ne saurait les ignorer et imaginer que leur développement ne sera jamais exponentiel.
C’est bien pour cette raison que nous ne devons pas laisser passer une telle opportunité, ni laisser à des géants du commerce international la gestion de ce qui constitue, selon nous, une mission de service public : la transmission du patrimoine, notamment aux générations futures.
La numérisation du patrimoine écrit est une nécessité, nul ne peut le contester. Cependant, elle doit se faire dans le respect de l’idéal républicain, que nous ne devons pas abandonner, quelles que soient nos sensibilités.
Les géants de l’internet ont déjà pris les choses en main, surtout les Américains, dotés de considérables moyens financiers. Nous n’en sommes qu’à l’aube de la vie numérique du livre, et il importe de ne pas laisser à ces seuls acteurs privés et financiers tout pouvoir pour organiser celle-ci. Si leurs objectifs diffèrent des nôtres, au moins pouvons-nous espérer agir de façon complémentaire, sans opposition ni hostilité. Quelles que soient les évolutions technologiques auxquelles nous devrons faire face, nous devons nous attacher à préserver l’âme, l’esprit de la culture.
À l’heure où les bases de données sont encore d’une taille relativement peu importante, n’est-ce pas le moment pour les Européens et les Américains d’admettre la cohérence et l’intérêt de procéder à une numérisation raisonnée et partagée ?
Le géant de la recherche sur internet, Google, ne fait pas les choses à moitié, c’est le moins que l’on puisse dire. Il va lancer en Europe, au premier semestre 2010, sa bibliothèque numérique dotée d’une base de 500 000 titres proposés aux internautes.
En France, la grande majorité des éditeurs contestent, à juste titre, d’ailleurs, un tel comportement, en invoquant notamment la défense des droits d’auteurs sur internet. Il est en effet impensable que la numérisation des ouvrages puisse avoir lieu sans tenir compte de cette protection. La propriété littéraire et les auteurs doivent être protégés avant tout. Sans auteurs, plus de livres : c’est un lieu commun que de le dire. Sans ce souffle de l’inspiration, sans cette protection indispensable aux écrivains, la création littéraire ira à l’évidence en s’affaiblissant.
Les Européens, quant à eux, travaillent sur la base de données Europeana, un projet encore balbutiant devant permettre la consultation d’œuvres et d’ouvrages appartenant aux fonds des bibliothèques et des musées de l’Union européenne tout entière. Cette base de données est censée représenter l’outil idéal de valorisation du patrimoine culturel européen, capable de dynamiser les universités européennes pour faire face à la concurrence. Mais, pour l’instant, nous en sommes bien loin, et le coût considérable des numérisations rend le développement du projet lent et très incertain.
Aujourd’hui, c’est bien le coût insupportable des numérisations projetées qui pousse la Bibliothèque nationale de France à se rapprocher de son concurrent américain pour compléter sa base de données « Gallica ».
Le secteur musical n’avait pas vu venir la vague internet ; son économie a vacillé et souffre toujours. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, nous ne cessons de légiférer ces derniers mois pour tenter d’endiguer les problèmes liés au téléchargement illégal de musique sur internet.
Il est donc fondamental d’anticiper en ce qui concerne le livre numérique. Il faut développer et consolider le plus rapidement possible une offre légale, même payante.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous précisément aujourd’hui ? Au nom du groupe RDSE, je me réjouis que notre collègue Jack Ralite ait souhaité inscrire sa question à l’ordre du jour. Je tiens à saluer son remarquable exposé, qui témoigne de sa parfaite connaissance en la matière.
Ce sujet est passionnant et fondamental pour l’avenir de notre mémoire collective. Toutefois, si la numérisation du livre s’avère indispensable, n’oublions jamais que le support papier demeure encore le meilleur moyen pour créer un moment de plaisir et d’émotion forte, un lien invisible entre l’auteur et le lecteur ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est utile, important, et le nombre des orateurs membres de la commission de la culture qui m’ont précédé à cette tribune illustre l’engagement de notre commission sur ce sujet majeur de la numérisation des bibliothèques.
Dès le début du mois de septembre dernier, j’ai souhaité que nous nous saisissions de cette question en organisant une série d’auditions sur ce thème. Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de nos travaux, puisque nous entendrons demain le directeur de la bibliothèque de Lyon, puis Mme Viviane Reding, commissaire européenne chargée de la culture. Cette question sera au cœur de nos réflexions de l’année 2010, en liaison d’ailleurs avec la commission des finances et la commission des affaires européennes.
Cher collègue Jack Ralite, le point central de votre demande est donc déjà satisfait, puisque la commission a décidé de créer, en son sein, une mission d’information pour traiter de ce sujet essentiel.
À ce stade du débat, cependant, la question orale déposée par le groupe CRC-SPG nous permet un échange de vues intéressant, qui contribuera, je n’en doute pas, à la réflexion que vous avez engagée, monsieur le ministre, avec la création de la commission, présidée par Marc Teissier, sur la numérisation des œuvres culturelles.
La numérisation des œuvres est un enjeu essentiel des années à venir : nous partageons tous ce constat. Force est de le reconnaître, dans un premier temps, nous nous sommes enthousiasmés pour cette numérisation universelle du patrimoine littéraire, qui permettrait un accès universel aux contenus culturels : tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit, c’est la réalisation d’un gigantesque musée virtuel ouvert à tous les citoyens du monde et, en quelque sorte, la concrétisation du rêve d’André Malraux d’un musée imaginaire universel.
J’avais moi-même été amené, alors que je présidais la commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à faire adopter, en 2007, une motion approuvant la création d’une bibliothèque numérique européenne.
Mme Nathalie Goulet. Excellente initiative !
M. Jacques Legendre. Dans un monde où internet est devenu pour un grand nombre de nos concitoyens, notamment les jeunes, l’un des principaux moyens d’accès à la culture et au savoir, il nous était en effet apparu indispensable de garantir l’accès de tous au patrimoine culturel européen, d’assurer sa préservation pour les générations à venir et de constituer ainsi notre mémoire collective.
Ce projet reposait sur une mise en commun des œuvres libres de droits de toutes les bibliothèques européennes, invitait les musées à numériser leurs archives pour qu’elles soient intégrées au projet et encourageait les États membres à accélérer le rythme de la numérisation.
Force est cependant de reconnaître que la réalisation de ce projet européen est quelque peu décevante : Europeana patine. Monsieur le ministre, la mobilisation en sa faveur est inégale, c’est le moins que l’on puisse dire : un certain nombre d’États européens semblent ne pas se préoccuper de l'Europe de la culture !
Or la numérisation est un sujet majeur pour les bibliothèques : c’est d’ailleurs ce thème qui a été retenu pour leur conférence internationale annuelle, qui s’est tenue à Rome en août dernier.
Partout autour de nous, à la BNF, dans nos collectivités, les responsables des bibliothèques sont unanimes pour reconnaître la nécessité de la numérisation, mais s’interrogent sur la meilleure façon d’y parvenir. À commencer par la bibliothèque du Sénat, puisque le dernier conseil de questure a débattu de cette question. Je m’en réjouis, car son cas illustre parfaitement la problématique qui nous réunit aujourd’hui : pour une bibliothèque parlementaire, la numérisation permet de concilier la fermeture au public, contrepartie de la priorité attachée aux élus, et la volonté d’ouverture et de transparence des parlements, soucieux de mettre à disposition des citoyens une information complète sur leurs activités législatives et de contrôle, ainsi que des éléments de leur patrimoine.
Lors d’une récente audition, on nous avait signalé le retard de la bibliothèque du Sénat concernant la numérisation des débats. C’est exact, par comparaison avec l’Assemblée nationale ou avec certains Parlements européens, notamment anglais, italien, grec ou hongrois. La numérisation a été engagée pour les débats de 1958 à 1996 et il faut progresser.
Mais il convient de souligner que notre bibliothèque a achevé en 2009, après trois ans de travail, l’inventaire de son fonds et qu’elle dispose désormais d’un catalogue entièrement informatisé de l’ensemble de son fonds, ce qui est rare.
Je forme donc le vœu que les efforts continuent, même en ces temps de rigueur budgétaire, et qu’au-delà des débats parlementaires nous puissions, comme l’Assemblée nationale, numériser des éléments de notre patrimoine pour faire accéder le public à nos collections prestigieuses et parfois uniques.
Ce petit détour me permet de revenir sur la difficulté majeure de la numérisation : son coût. En effet, la numérisation est très onéreuse, ce qui explique que certaines bibliothèques aient été séduites par des offres d’entreprises privées attractives et aient commencé à passer des accords, notamment avec Google, qui offre une solution « clés en main ». La tentation est forte, dans la mesure où les budgets réguliers ne permettent pas une numérisation rapide.
Les initiatives individuelles fleurissent : on nous cite les bibliothèques universitaires de Harvard, Stanford, Oxford, la bibliothèque de Tokyo ou celle de Lyon, qui ont déjà signé des accords avec la firme américaine. Le succès est au rendez-vous puisque, Google Livres, ce sont déjà dix millions d’ouvrages numérisés, des accords avec vingt-neuf bibliothèques lui permettant d’envisager de numériser trente millions d’ouvrages.
Mais c’est la rumeur concernant la Bibliothèque nationale de France qui a déclenché le débat d’aujourd’hui dans cet hémicycle, tant il est apparu choquant de confier cette tâche à une entreprise non seulement privée, mais en situation de monopole. Car si rien n’est encore définitif s’agissant de la BNF, des questions se posent et des inquiétudes sont apparues. Il y va, en effet, de notre mémoire collective, et même de notre identité nationale, pour faire écho à un débat actuel ! La Bibliothèque nationale de France renferme le trésor de notre mémoire. Nous y sommes donc très attentifs.
De la même façon, le contrat passé entre Google et la municipalité de Lyon nous interpelle, car il autoriserait l’entreprise américaine à s’octroyer « la pleine propriété sans limitation dans le temps » des fichiers originaux qu’elle a produits, en échange d’une simple copie digitale. Je parle au conditionnel, puisque le plus grand mystère règne sur ce contrat que la ville de Lyon n’a pas souhaité rendre public, les données étant couvertes, selon elle, par le secret commercial. Ce manque de transparence est regrettable et nourrit toutes les critiques !
C’est pourquoi les responsables politiques que nous sommes doivent être attentifs aux conditions dans lesquelles ces opérations vont se réaliser. Le danger n’est pas de signer avec une entreprise privée – ce n’est pas le diable ! – ni même une entreprise américaine. Je n’exclus pas a priori cette entreprise californienne, dont nous utilisons tous les facilités offertes en matière de messagerie, d’agenda ou de cartes géographiques. Mais il est légitime de s’interroger pour l’avenir : rien n’assure que, dans le futur, l’entreprise n’imposera pas de droits d’accès ou des prix de souscription considérables, en dépit de l’idéologie du bien public et de la gratuité qu’elle affiche aujourd’hui.
Et l’annonce à la dernière Foire du livre de Francfort de la création de Google Edition, sa librairie payante, n’est pas de nature à nous rassurer. C’est une façon d’avoir un retour sur investissement de la numérisation des ouvrages depuis des années. Si ce retour sur investissement est légitime dans certains secteurs, il pose des problèmes dans d’autres.
L’inquiétude naît, en outre, de l’utilisation par Google des données collectées auprès des utilisateurs. Certains chiffres sont de nature à nous effrayer : le chiffre d’affaires publicitaire de Google a été estimé, en 2008, à 800 millions d’euros, soit plus que celui qui est prévu pour TF1 en 2009 ? On peut se demander qui, dans ces conditions, consomme « du temps de cerveau » disponible, pour reprendre délibérément une expression célèbre qui nous a particulièrement choqués.
Nous ne pouvons donc pas nous accorder avec le géant de l’internet sans qu’un minimum de précautions soient prises. Nous ne pouvons aliéner notre mémoire collective et vous ne serez pas surpris que le gaulliste que je suis soit très attaché à l’indépendance nationale de notre pays.
Mais, à l’évidence, il nous faut éviter tout a priori et bien étudier ce qui nous est proposé par Google, ou par d’autres.
Trois points sont, à mes yeux, essentiels.
Le premier point concerne la protection du droit d’auteur. Il serait tout de même paradoxal d’avoir bataillé, à l’occasion de l’examen de la loi HADOPI, contre les jeunes internautes qui téléchargent et de se taire face aux agissements d’une multinationale, quelle qu’elle soit ! Bruxelles vient de réaffirmer sa volonté d’harmoniser des textes encore trop fragmentés sur les droits d’auteur avant que Google ne négocie, pays par pays. Il nous faudra, à cet égard, régler très vite le problème des œuvres dites « orphelines », dont les ayants droit sont inconnus et qui représenteraient 7 millions d’ouvrages publiés entre 1923 et 1964. Une loi sera sans doute nécessaire, monsieur le ministre, pour rémunérer les ayants droit qui se présenteraient.
Nous ne pouvons cautionner le piratage et nous soutenons fermement les actions des éditeurs, tant américains qu’européens, pour faire respecter leurs droits. Mais j’estime qu’en contrepartie ils devront s’unir pour favoriser la distribution numérique. La France dispose du plus grand réseau de points de vente avec ses 12 000 librairies, mais celles-ci doivent se positionner sur ce marché pour que le livre numérique ne reste pas l’apanage des géants américains tels Google ou Amazon.
Le deuxième point, c’est la coordination des politiques publiques dans ce domaine : elle me paraît indispensable au niveau tant européen que national. Il nous faut réfléchir à la manière dont les institutions non commerciales, désireuses de propager le savoir, pourront travailler ensemble à long terme, en assurant la conservation pérenne des données. La France et la Grande-Bretagne ont fait des propositions à la dernière conférence des bibliothèques nationales qui s’est tenue à Madrid, début octobre. Je soutiens pleinement l’idée d’élaborer une charte commune des bibliothèques sur un niveau d’exigence commun minimal dans les négociations avec Google.
Enfin, troisième point essentiel, il faut garantir la diversité culturelle par la mise en place d’un ensemble de ressources techniques propres à faciliter la création, la recherche et l’utilisation de l’information et ne pas se contenter d’un catalogue numérisé des œuvres. L’intégration des contenus au sein d’un système de recherche commun permettra d’éviter le moteur de recherche unique.
À ces conditions, la numérisation des bibliothèques constitue une chance. J’estime, mes chers collègues, qu’il ne faut pas renoncer à cette belle idée et faire en sorte que sa réalisation ait lieu dans des conditions qui préservent l’intérêt général et la mémoire de notre pays. Je ne suis pas opposé à des partenariats avec des entreprises privées si cela permet une plus large diffusion des œuvres françaises et le rayonnement de notre culture Mais nous ne pouvons pas laisser Google organiser comme il l’entend l’offre et la présentation des livres.
En conclusion, mes chers collègues, soyez assurés que, pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, les problèmes évoqués sont fondamentaux. Elle restera vigilante au cours des prochains mois et elle attend du Gouvernement qu’il soit ferme dans la définition d’une politique qui permette une numérisation de qualité et rapide, mais sans aliénation : la numérisation, oui ; l’aliénation, non ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier notre collègue Jack Ralite d’avoir eu l’heureuse idée de proposer un débat sur la numérisation des livres et des bibliothèques. De retour de la Foire du livre de Brive, à laquelle nous avons eu le plaisir de participer ensemble, monsieur le ministre, je vais plus vous parler de livres que de numérisation.
Ces deux aspects ne sont pas exactement identiques. Ils gagnent à être mis en perspective l’un par rapport à l’autre, ne serait-ce que parce que, pour le citoyen, le lecteur ou l’internaute, ils se confondent. Ils sont liés aussi parce que la numérisation des bibliothèques est l’une des manières de viser à la numérisation exhaustive de tous les livres. La question est féconde ; elle est juridique et économique, elle est éminemment politique.
L’histoire de l’écrit et du livre est marquée par deux tendances contradictoires : la mise en œuvre de techniques facilitant l’accès au contenu et la préoccupation de certains pouvoirs de dominer la création intellectuelle, acquise ou en devenir, en contrôlant son support de diffusion.
Parmi les progrès qui ont marqué l’histoire de l’écrit et du livre, on peut citer, dans l’Antiquité, la transition du rouleau au codex, qui permit l’accès direct à un passage, ou encore, aux époques moderne et contemporaine, l’apparition d’éditions bon marché qui ont démocratisé l’accès au livre, celle de la Bibliothèque bleue sous l’Ancien Régime ou les collections de poche aujourd’hui.
L’étape la plus significative a été évidemment l’invention de l’imprimerie, qui, en multipliant le nombre de livres, a permis de multiplier le nombre des lecteurs, c’est-à-dire le nombre d’individus pouvant exercer leur propre esprit critique. À cette époque, l’enjeu autour duquel se sont nouées les guerres de religion était l’accès à un livre bien particulier, la Bible, en s’affranchissant des clercs.
Le savoir et la culture constituant un pouvoir, leur diffusion a toujours remis en cause les autorités établies et leur contrôle a toujours été la marque des régimes autoritaires.
Encouragement à l’esprit critique ou non, ouverture à la diversité du monde connu ou non : hier comme aujourd’hui, au travers de la question de l’accès au livre, les enjeux sont là.
La numérisation des bibliothèques par la firme Google n’oppose pas, de prime abord, le progrès à l’obscurantisme. Mais elle met en porte-à-faux, de façon dérangeante, les notions de diffusion et d’ayant droit. Elle oppose deux aspects du progrès, et la confusion ainsi créée constitue une menace sérieuse de régression.
Il y a un an, nous discutions de la création de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, ou HADOPI. À bien des égards, la problématique est comparable. Mais avec le livre, elle a sa spécificité. Peut-être celle-ci nous permettra-t-elle d’échapper aux errements du débat de la loi dite « HADOPI » et aux difficultés de lutter contre le piratage.
Pour la clarté de mon propos, sachez que je considère, à l’inverse de Google et de ce que son représentant en France nous a dit en commission lorsqu’il nous a expliqué sa démarche, que l’intérêt de l’accès au livre ne se résume pas à l’accès à une information. On s’aventurerait là sur un terrain très dangereux, marginalisant aux yeux du grand public les livres « pensés » au bénéfice des livres « catalogues », composés d’informations.
Sans doute les informations, segmentées et monnayables, correspondent-elles mieux aux tendances à la « marchandisation » du monde. Pour moi, un livre, une œuvre, portent des réflexions, des analyses, une esthétique, qui ne sont pas réductibles à une information. Mais je considère aussi que tous les livres pourront a priori être numérisés et accessibles, via internet, au plus grand nombre.
Il existe, certes, une distinction entre un usage qui peut se satisfaire d’un accès par écran, lorsqu’il s’agit de vérifier une référence ou de lire quelques pages, et un usage qui n’aurait pas de sens sans l’utilisation du papier.
Mais les imprimantes et les machines à imprimer, notamment l’Expresso book machine, élue invention de l’année par le magazine Time, qui permet de fabriquer un livre de poche à partir d’un fichier en quelques minutes, doivent nous amener à considérer qu’accéder au contenu d’un livre par internet n’est pas contradictoire avec la possibilité de finir par l’avoir entre ses mains sous forme d’objet.
La question est de savoir si l’accès au contenu des livres par internet va constituer un usage qui fera reculer l’édition classique des livres en s’y substituant en partie ou s’il s’agit, au contraire, d’un moyen d’accès complémentaire au contenu du livre. Nous sommes ici plus proches des problématiques de la presse écrite que de celles des vendeurs de disques.
Concernant les œuvres écrites, d’autres problématiques relèvent de l’économie du livre, qui est fragile, et de l’utilité sociale des acteurs physiques de la distribution du livre, notamment les libraires. À cet égard, et c’est le cœur de mon propos, il convient de noter que croire avoir potentiellement accès au livre, ce n’est pas exactement la même chose qu’avoir réellement accès à sa richesse. Il y a même le risque de tomber dans des contresens. Le commentaire autour du livre, le cheminement intellectuel vers son contenu ont leur utilité. C’est sans doute ce qui distingue le livre et l’article, qui est lui-même un commentaire.
Il est évident, au travers de nombreux exemples, que l’accès direct, l’accès « sec » à un ouvrage n’a pas de sens. Faire croire le contraire relèverait, au mieux, de la naïveté, au pire, de la manipulation. Qu’un mécène – et avec Google, on n’en est pas là, puisqu’il y a des contreparties secrètes ! – propose de mettre gracieusement à disposition des procédés et des moyens industriels permettant la numérisation du patrimoine constituerait une bonne chose, mais en partie seulement. En effet, cela ne règle pas la question de l’accès éclairé au livre, de l’appareil critique.
Le rôle de l’éditeur, comme celui des libraires, des préfaciers, des professeurs ou des critiques, est essentiel, dès lors que le livre a échappé à la lisibilité que lui donne la publicité du débat lors de sa sortie, dans un contexte que connaissent ses premiers lecteurs. Tous ces acteurs s’adressent à leurs contemporains, qui ne sont pas forcément ceux de la première sortie du livre. Car entre un lecteur contemporain et le lecture d’un livre qui a déjà une histoire – a fortiori un livre qui est tombé dans le domaine public – il y a un élément non détachable constitué soit d’un appareil critique, soit du vide de l’ignorance et du contresens.
Il faut, au minimum, mettre en œuvre un système de notices critiques et de fléchages. Ce système doit être validé scientifiquement et être issu d’une confrontation de plusieurs points de vue. Si dire la vérité n’est pas le rôle de l’État, c’est encore moins celui d’une firme privée internationale monopolistique.
À cet égard, si l’on met à part les livres tombés dans le domaine public ayant fait l’objet de rééditions, dont l’appareil critique est soumis aux droits d’auteurs, je doute qu’il reste beaucoup d’ouvrages susceptibles d’intéresser de manière urgente un lectorat plus large que le cercle de quelques érudits ou de passionnés. Je m’interroge ainsi sur l’utilité évidente ou la réelle urgence du travail de mormon que prétend réaliser Google. Je me demande si les éditeurs ne sont pas déjà capables, techniquement, de proposer sous format informatique, sur internet, ce que l’opinion s’attend à trouver dans les numérisations de Google.
Google veut se rendre incontournable dans l’accès aux livres qui ont une dimension patrimoniale, en arguant d’une position actuellement prédominante qu’il souhaite sanctuariser. Il est dans une logique de domination de marché, et je ne reviendrai pas ici sur les dangers qui ont été soulignés par tous les intervenants avant moi. Or il me semble que nous touchons là à ce qui doit constituer une mission de service public.
Google se donne le beau rôle en prétendant apporter un savoir-faire industriel pour la numérisation. Mais il ne faut pas oublier que Google ne prétend pas numériser tous les livres de la planète un à un : il entend utiliser les regroupements déjà effectués dans les fonds des bibliothèques. L’essentiel est donc déjà fait !
Une bibliothèque se construit au fil du temps, notion que ceux qui vivent d’internet voudraient ignorer. Une bibliothèque est le résultat d’une somme d’efforts ; les investissements financiers publics n’en représentent pas la moindre partie. Face à ces efforts, l’apport de Google me semble finalement anecdotique. Mais il faut le prendre au sérieux. Dans l’histoire de l’accès au contenu des livres, la numérisation est une étape. Ce n’est pas un point de départ avant lequel il n’y aurait rien eu.
La numérisation relève d’une logique de service public, puisqu’il s’agit de compléter le service public des bibliothèques. En même temps, elle ne participerait pas complètement d’un service public si elle ne s’accompagnait pas de la mise en place d’un outil d’accès critique au contenu des livres. Je crois qu’il y a là matière à chercher des solutions numériques satisfaisantes pour tous : lecteurs, éditeurs et auteurs.
Nous avons là l’occasion de faire valoir notre modèle de service public, de sortir des difficultés juridiques sur la délimitation du domaine privé et du domaine public, de rejoindre les préoccupations anti-trust de pays qui ne partagent pas notre vision du rôle de la puissance publique dans l’économie, comme les Etats-Unis, par exemple.
Comment mettre en place ce service public ? Il faudrait que les acteurs du livre se concertent et qu’un procédé commun soit instauré entre les éditeurs pour éclairer le lecteur utilisateur d’internet. C’est le travail de réédition qui fait vivre les fonds des bibliothèques. Cela garantirait le pluralisme et la diversité, et ce serait une garantie de professionnalisme.
Les bibliothèques existantes pourraient contribuer à définir ce langage commun à partir des réflexions sur leurs propres démarches de numérisation. Le coût financier serait alors certainement plus bas que celui que Google prétend faire économiser. Je crois d’ailleurs que, dans cette perspective, l’État doit jouer un rôle d’impulsion et d’arbitrage, ainsi que celui de garant de l’intérêt général. Cela correspond à vos déclarations, monsieur le ministre !
Il y a quelques années, des analyses ont été menées, notamment par la Bibliothèque nationale de France, sur l’utilité de la numérisation et la manière d’y procéder. Sa réalisation se heurte à certaines limites, en particulier financières, qui ont conduit à s’intéresser aux propositions de Google.
Pour autant, beaucoup de ces analyses de fond restent valides. Je souhaite que l’on trouve les moyens de les concrétiser plutôt que de les sacrifier à la logique de l’hégémonie économique qui se cache derrière une fausse facilité matérielle. Car les vertus se perdent dans l’intérêt comme les rivières dans la mer.
Monsieur le ministre, j’espère que ce débat et les conclusions qui vous seront remises dans un mois par la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, présidée par M. Marc Tessier, vous inciteront à aller dans ce sens, en vous appuyant sur les propositions de M. Ralite, dans le cadre tant national qu’européen. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour remercier notre collègue Jack Ralite de sa question, qui a reçu le soutien de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, notamment de son président Jacques Legendre. Cela nous donne l’opportunité de faire aujourd’hui le point sur le projet de mise en accès numérisé des millions de livres détenus par les bibliothèques publiques, et tout particulièrement par la Bibliothèque nationale de France
Ce sujet est, certes, débattu depuis de nombreuses années, mais il revêt ces temps-ci une acuité particulière en raison de l’importance des enjeux. Monsieur le ministre, n’avez-vous pas dit récemment : « Nous sommes dans une situation d’urgence où la numérisation se présente comme un tsunami qui déferle sur l’Europe. Soit nous regardons l’émergence du numérique se faire […], soit nous prenons la question à bras-le-corps » ?
La diversité des initiatives prises et des arguments entendus en ce domaine illustre une véritable révolution dans notre relation au livre et dans la transmission de ce patrimoine qui nous est cher.
En 2004, l’annonce d’un programme intitulé « Recherche de livres » par Google avait provoqué une véritable levée de boucliers en Europe. L’un des critiques les plus engagés était le président de la Bibliothèque nationale de France de l’époque, Jean-Noël Jeanneney, qui dénonça une menace de « domination écrasante de l’Amérique dans la définition de l’idée que les prochaines générations se feront du monde ». Cela l’avait conduit à soutenir ardemment le projet d’une bibliothèque numérique européenne, Europeana, dont le fonds français, Gallica, représente une part modeste, certes, mais déjà prépondérante.
Depuis, des partenariats ont été conclus entre Google et de grandes bibliothèques mondiales, telles que celle d’Oxford, ou, pour le volet francophone, avec les villes de Lausanne, Gand et Lyon. Au total, vingt-neuf bibliothèques sont déjà associées au géant américain. Le partenariat signé en 2008 avec la ville de Lyon prévoit la numérisation de 500 000 ouvrages en français au cours des dix prochaines années.
Aujourd’hui, l’actuel président de la Bibliothèque nationale de France, Bruno Racine, envisage la possibilité de confier à un partenaire privé la numérisation d’un certain nombre de collections et d’engager des discussions avec Google au sujet des ouvrages français déjà numérisés.
À la demande du président de la commission de la culture, Jacques Legendre, nous avons reçu, le 7 octobre dernier, l’actuel et l’ancien président de la Bibliothèque nationale de France. Ces auditions nous ont permis de confronter deux visions différentes de la situation.
L’actuel président de la Bibliothèque nationale de France est convaincu que nous allons trop lentement par rapport aux attentes des internautes, qui souhaiteraient pouvoir accéder à l’exhaustivité des œuvres. Cela n’est pas réalisable financièrement sans l’intervention de Google. La Bibliothèque nationale de France dispose en effet d’un budget de 5 millions d’euros par an pour sa base Gallica, alors que, selon son directeur adjoint, il faudrait entre 50 millions et 80 millions d’euros pour numériser les seuls fonds de la IIIe République, soit soixante-dix ans d’une activité éditoriale intense.
L’ancien président de la BNF juge, quant à lui, une telle exhaustivité contraire au principe même de l’effort, qui selon lui, « consiste précisément à choisir parmi l’immensité des parutions, afin d’offrir un fil d’Ariane dans l’exploration de notre héritage culturel, évitant ainsi son ennemi : le vrac ». La mise à disposition d’une sélection d’ouvrages sur Gallica pourrait se faire au moyen d’une indexation définie par la bibliothèque elle-même.
Ces avis nous conduisent à nous poser plusieurs questions. Quelle ambition devons-nous donc avoir face à l’évolution inévitable de la numérisation des œuvres ? Quelle stratégie construire ? Avec quels acteurs ? L’enjeu est important : il s’agit de favoriser la diffusion des œuvres, donc d’assurer la démocratisation de l’accès à la culture. À nous d’en fixer les règles et d’être, autant que faire se peut, les acteurs de ce mouvement.
Je me réjouis donc de votre décision, monsieur le ministre, de dépassionner le débat en mettant en place une commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, présidée par M. Marc Tessier.
L’État pourra ainsi mieux apprécier les risques et les avantages d’un partenariat entre un géant économique comme Google et nos institutions publiques. Vous avez fixé au 15 décembre 2009 la remise du rapport de cette commission. C’est là, je le reconnais, un défi en termes de calendrier, mais notre commission souhaite pouvoir l’étudier rapidement et vous proposer le fruit de sa réflexion.
L’étude de la possibilité d’un partenariat avec le secteur privé doit nous conduire à nous poser les questions essentielles. Quels moyens permettront d’assurer la préservation des droits d’auteurs ? Qui sera le propriétaire des fichiers numérisés ? Quelle sera la liberté d’accès des bibliothèques ? Comment les ouvrages seront-ils répertoriés, indexés, hiérarchisés ? Comment concilier une démarche strictement culturelle et patrimoniale avec le souhait, non dissimulé, d’un partenaire privé soucieux de « rentabiliser » son dispositif ?
La prise en charge de la numérisation par une société privée soulève également la question de la pérennité à long terme des fichiers numérisés. Nombreux, enfin, sont les sujets juridiques et techniques à traiter.
Il faut se demander si la mise en place d’une bibliothèque à l’échelle mondiale favorise une culture dominante, qui sera plus représentée et citée, ou, au contraire, des cultures minoritaires, qui n’ont jamais disposé d’un tel outil de promotion.
Dans un communiqué publié le mois dernier, notre commission a manifesté sa crainte de voir tout un pan de l’accès à la culture capté par une multinationale en situation de quasi-monopole, les intérêts commerciaux risquant de prévaloir sur les enjeux nationaux et européens en termes de culture, d’industrie et de démocratie. Cette crainte est partagée par nos voisins européens. Il s’agit non pas de se plaindre que Google numérise des millions de livres, mais plutôt de regretter l’absence de projet équivalent en Europe, porté par des institutions publiques.
Certes, depuis presque un an, le prototype d’une bibliothèque numérique européenne, Europeana, tente de s’imposer sur internet. Mais celle-ci est actuellement plus axée sur l’image que sur l’écrit. Elle compte, pour le moment, quatre millions de livres, tableaux, partitions, bandes sonores ou télévisuelles, dont plus de la moitié a été fournie par la BNF et l’INA.
Les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et l’Allemagne ont également enregistré des éléments de leur patrimoine sur Europeana, mais modestement. Le budget et la taille d’Europeana restent dérisoires face au géant Google. J’aimerais, monsieur le ministre, connaître votre sentiment sur ces débuts difficiles.
Parallèlement à l’annonce de la création d’une commission, vous avez déclaré souhaiter que la commission sur le grand emprunt national, présidée par MM. Juppé et Rocard, retienne des projets de numérisation du patrimoine culturel de l’Etat. Pourriez-vous nous en dire plus à ce propos, notamment quel montant pourrait être investi et dans quelles directions ?
Créer une grande bibliothèque immatérielle est un projet fascinant et enthousiasmant. Riche d’un exceptionnel patrimoine culturel, la France doit prendre une part déterminante dans la réalisation de ce projet. Il s’agit bien d’un enjeu fondamental pour la diffusion des connaissances et la valorisation de la diversité culturelle.
Dans le cadre du combat qui est le vôtre, monsieur le ministre – j’essaye de décliner celui-ci à Grasse, ville dont je suis maire –, de lutte contre « l’intimidation sociale » et en faveur de l’accessibilité de tous à notre patrimoine écrit, j’ai relevé dans un éditorial récent une métaphore intéressante : « Et qu’importe le vecteur, pourvu qu’on ait l’accès […] ? Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? »
Mais soyons vigilants. Il est des lendemains d’ivresse difficiles à vivre. Et s’il est un domaine où le principe de précaution devra s’appliquer, c’est bien celui que nous traitons aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l’histoire séculaire du livre, la numérisation est le chapitre le plus récent, le plus actuel, et certains diront le plus angoissant ; il déborde largement notre débat d’aujourd’hui et celui sur les bibliothèques qui a agité, le mois dernier, notre commission de la culture, et qui a vu l’affrontement des deux derniers présidents de la Bibliothèque nationale de France, MM. Jeanneney et Racine. C’est dire la passion et l’inquiétude que la numérisation suscite parmi les bibliothécaires, les libraires, les éditeurs et les lecteurs.
Je ne suis pas inquiet, pour ma part, d’une prise de contrôle par Google. Ce qui me préoccupe surtout, c’est une question à laquelle je n’ai pas la réponse : le livre papier survivra-t-il au livre électronique, ou celui-ci permettra-t-il à lui seul la sauvegarde de la culture française telle que nous l’avons connue au cours de toutes les étapes de l’histoire du livre, sinon au temps du liber antique, du moins dans les différents siècles du codex, lequel ne date pas seulement de Gutemberg.
Il convient, face à de telles perspectives, de s’exprimer avec une certaine modestie, et de ne pas s’en prendre uniquement à cette entreprise américaine, même si son énormité et sa capacité nous inquiètent. Plutôt que de lui faire la guerre, mieux vaudrait tenter d’établir avec elle des rapports de coopération.
Constatons que le monde actuel est numérique et que, même sous sa forme papier, ce livre auquel nous sommes attachés aura été précédé d’une mise en forme numérique. Il y a donc coexistence des deux formes, et elle durera sans doute longtemps. Cette préoccupation a guidé nos deux commissions de la culture et des finances, au cours des derniers mois, dans l’élaboration d’un rapport conjoint.
Il s’agit non pas uniquement du problème de la numérisation des bibliothèques, mais du sort du livre tel que nous l’avons connu et aimé.
Je souhaite, en toute modestie, insister sur certains points.
Premier point : notre pays s’est-il donné les moyens budgétaires suffisants pour mener à bien la numérisation du livre ? Notons d’emblée que ces moyens sont essentiellement consacrés aux bibliothèques, et d’abord à la BNF, pour un montant de moins de 10 millions d’euros, ce qui est peu pour mener à bien une opération si importante.
Le ministère de la culture et de la communication estime qu’il manque au Centre national du livre 12 millions d’euros, sur un budget de 40 millions d’euros environ, pour assumer l’ensemble de ses missions, relatives ou non au numérique. Il juge donc nécessaire une nouvelle réforme de la taxe sur les appareils de reproduction ou d’impression, qui serait cette fois étendue aux consommables. Il laisse également entendre que si les recettes du Centre national du livre n’étaient pas accrues, celui-ci pourrait se trouver dans l’impossibilité de continuer de participer au financement de Gallica.
Deuxième point : il a été fortement question, au cours des dernières semaines, du programme de numérisation de la Bibliothèque nationale de France. Le choix n’a pas encore été fait entre une politique purement française – à supposer que le grand emprunt national suffise à la rendre possible – et le recours à des moyens internationaux, pour ne pas parler de Google. On sait que la numérisation de certaines bibliothèques françaises, notamment celle de Lyon, est menée en liaison avec cette grande entreprise internationale, que certains dépeignent comme un monstre ou comme un chef-d’œuvre du capitalisme.
À votre demande, monsieur le ministre, la BNF a suspendu ses contacts avec Google, en attendant la remise du rapport de la commission Tessier. Attendons donc ce rapport avant de nous livrer à une chasse aux sorcières !
Troisième point : les amoureux du livre, et tous les membres de notre assemblée le sont – il suffit pour s’en convaincre de nous écouter ! (Sourires.) –, ne peuvent s’empêcher d’éprouver une certaine angoisse quant à l’avenir du livre papier. Sachons raison garder ! Les œuvres de l’esprit se sont incarnées dans le papier ; elles continueront à s’exprimer sous la forme numérique.
Le PDG d’Amazon, qui vend à la fois des livres papier, des livres numériques et des tablettes de lecture, a annoncé que, s’agissant des ouvrages disponibles à la fois en format papier et en format électronique, le nombre d’exemplaires vendus sous l’aspect de fichiers électroniques représentait 35 % des ventes.
La question se pose malgré tout, et nul ne peut y répondre à coup sûr aujourd’hui, d’une cannibalisation du livre papier par le livre numérique. Cette perspective, je le répète, m’inquiète bien plus que l’énormité de Google. Ce phénomène de cannibalisation aura certainement lieu, d’une manière ou d’une autre, mais nul ne peut avancer de chiffre ou de date.
Quatrième point : les éditeurs français ont tout récemment demandé au Gouvernement de mettre au point un dispositif juridique qui leur permettrait de garder la maîtrise du prix du livre numérique, mais qui ne serait pas une transposition pure et simple de la loi Lang.
Tels sont les problèmes que vous devrez régler, monsieur le ministre. Je serais heureux, puisque vous nous avez donné le temps de la réflexion, que nous puissions tous ensemble découvrir ce continent nouveau du numérique. Sachons l’explorer avec prudence, tout en gardant la part d’audace nécessaire à notre vision de l’avenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Je voulais d’abord vous remercier, cher Jack Ralite, de votre question ; elle me donne l’occasion de vous exposer, ainsi qu’aux divers intervenants qui ont participé à ce débat et ont tant contribué à l’enrichir, non seulement les principes de mon action, mais aussi ma conception de la méthode à suivre.
D’abord et avant tout, dès mon arrivée rue de Valois, j’ai identifié la révolution numérique comme le grand enjeu pour notre politique en matière de culture et de communication, et pour tout ce qu’elle implique pour les évolutions de notre lien social. Cette analyse de fond qui est, en même temps, un constat de bon sens, a été largement confirmée par les résultats de l’enquête décennale sur les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique, récemment publiée par mon ministère. Cette enquête, dont la presse s’est fait à juste titre l’écho, a confirmé en chiffres ce que chacun pouvait voir chez lui et autour de lui : le numérique représente un bouleversement sans précédent, à moins de remonter à l’invention de l’imprimerie, dans nos vies, et singulièrement dans les comportements culturels, surtout chez les jeunes générations, en particulier ceux que l’on appelle les « natifs d’internet ».
C’est dans ce contexte que s’inscrit la question cruciale de la numérisation de notre patrimoine, notamment des imprimés et des livres, mais pas seulement, car cette politique concerne aussi les images, les collections de nos musées, les archives manuscrites, etc.
Ce contexte correspond, et vous avez raison de le souligner, à une mise en demeure : il met en question notre capacité, à un moment où une révolution technique pourrait creuser des fractures, et dans un pays marqué par une démographie à la fois dynamique et vieillissante, à renforcer le lien entre les générations, c’est-à-dire notamment à garantir la transmission intergénérationnelle, qui est un élément crucial de la cohérence de la nation, de son identité à la fois fidèle et évolutive, ainsi que de la qualité de notre « vivre ensemble ».
Il est évident que le numérique, sans remplacer aucun des autres supports, sera par excellence le lieu où nous pourrons, à l’avenir, consolider ce lien. Le numérique doit être demain l’un des hauts lieux de la rencontre des Français, notamment des jeunes, avec leur patrimoine, c’est-à-dire avec leur culture et leur mémoire, une sorte de « journée du patrimoine » virtuelle, certes, mais constante, aux « portes ouvertes » toute l’année.
Bien entendu, la question de la numérisation des imprimés n’est pas uniquement celle de l’accès de tous et, comme j’aime à le dire, de chacun, dans sa particularité, philosophique, géographique, rurale ou urbaine, à notre patrimoine. La numérisation des ouvrages n’est pas seulement un instrument exceptionnel de ce que j’appelle « la culture pour chacun ». Il s’agit aussi d’offrir à la recherche, à la construction des connaissances, notamment en sciences humaines et sociales, un champ d’investigation démultiplié par rapport au temps de l’imprimé. En un sens, aussi, il s’agit bien de construire une « économie de la connaissance » qui repose sur une « économie de la culture et de la communication à l’ère numérique » : j’aurais l’occasion d’évoquer ces enjeux lors du grand forum « Culture et économie » qui aura lieu cette semaine à Avignon.
C’est dans ce contexte, cher Jack Ralite, qu’interviennent votre question et la problématique liée à l’intervention du géant américain Google dans le patrimoine littéraire de l’Europe. Votre analyse et vos propositions rejoignent, bien évidemment, celles d’Ivan Renar, que j’ai plaisir à saluer.
La technologie numérique a ses champions. L’extraordinaire force de frappe et la puissance d’innovation des universités californiennes, qui n’est plus à démontrer, a permis à cette entreprise de franchir avec une rapidité stupéfiante les étapes de la croissance qui, en quelques années, transforment une « jeune pousse » en une végétation quelque peu tentaculaire et, à certains égards, en une plante dont on peut se demander si elle n’est pas carnivore. Je maintiens le terme de « tsunami » que vous avez cité, monsieur Leleux, dans votre intervention très pertinente et très nourrie.
Vous l’avez souligné, j’ai tout de suite considéré le débat autour de Google comme une question centrale parce qu’exemplaire de notre approche des problématiques posées par la « révolution numérique », comme l’atteste si bien votre intervention, madame Morin-Desailly.
Je l’ai dit d’emblée, cette question est trop complexe pour être laissée aux oppositions frontales, aux caricatures et aux invectives. Nous ne devons être ni dans la complaisance, ni dans la parodie d’un sursaut national, ni dans l’indulgence envers le risque de monopole, ni dans la nostalgie du monolithisme d’État.
La question est complexe et, à certains égards, nouvelle. C’est pourquoi elle nécessite avant tout de ne pas céder aux démons de la polémique, de ne pas ouvrir la boîte de Pandore d’un anti-américanisme facile en confondant Google et l’Amérique, comme pouvait le faire jadis General Motors en déclarant « ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Amérique » ; j’ai le sentiment que Yann Gaillard partage ce point de vue.
Il ne faut pas non plus sombrer dans l’angélisme et sous-estimer le risque de voir s’établir et s’imposer par le Net une « culture dominante », pour reprendre les termes que vous avez employés, monsieur Leleux, avec une gueule de bois à la clé... (Sourires.)
Il est nécessaire de prendre le temps de la réflexion, de la délibération et de la consultation. C’est aussi la démarche – et je m’en félicite, monsieur le président Legendre – de la commission de la culture, qui organise les auditions indispensables sur un thème aussi ardu et aussi important. Je précise d’ailleurs que, en vertu de la loi de 1978, la Commission d’accès aux documents administratifs a considéré que le contrat passé entre la bibliothèque de Lyon et Google devrait être accessible, ce qui est une très bonne nouvelle. Le secret entourant les négociations était évidemment peu favorable à une évaluation constructive de la situation.
Nous connaissons les risques d’un partenariat avec Google : la durabilité de la conservation et de l’archivage des fichiers numérisés ; la question de la propriété de ces fichiers ; les incertitudes sur la stratégie et le devenir de cette société. Malgré tout, des partenariats sont passés avec la firme californienne par de grandes bibliothèques, en Europe et dans le monde.
Il est normal de s’interroger sur la pertinence d’un accord au regard des objectifs d’intérêt général dont nous avons la responsabilité. C’est ce que j’ai fait personnellement, pendant quelques mois, en rencontrant de nombreux acteurs et experts de cette importante question. J’ai pu constater que les avis étaient parfois divergents, partiels, voire partiaux et que la voie à suivre ne faisait pas encore l’objet d’un consensus.
Où en sommes-nous vraiment ? Vous avez eu raison de poser la question, monsieur Fortassin.
Fort de cette interrogation, j’ai décidé de confier une mission de réflexion sur le thème de la numérisation des bibliothèques à des personnalités incontestées, afin d’éclairer le débat. J’ai ainsi mis en place une commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, qui est présidée par Marc Tessier, ancien directeur général du Centre national du cinéma, ancien président de France Télévisions, institutions à la tête desquelles il a accompli un travail reconnu et exemplaire, et actuellement président de Video futur entertainment group. Marc Tessier est familier de l’univers numérique et de ses enjeux, qu’il contrôle et maîtrise parfaitement. Il est accompagné dans sa tâche par Emmanuel Hoog, président de l’Institut national de l’audiovisuel, dont la politique de numérisation connaît le succès exceptionnel que l’on sait. Il a aussi à ses côtés Olivier Bosc, conservateur en chef des bibliothèques au château de Chantilly, Alban Cerisier, directeur des fonds patrimoniaux et du développement numérique aux éditions Gallimard, et François-Xavier Labarraque, directeur du développement et de la stratégie de Radio France. Enfin, Sophie-Justine Lieber, maître des requêtes au Conseil d’État, sera le rapporteur des travaux et donc la cheville ouvrière d’une équipe que j’ai voulue aussi informée, motivée et pluridisciplinaire que possible.
Cette mission permettra d’éclairer une décision finale à l’aune de l’appréciation des risques et des avantages d’un partenariat entre Google, ou un autre opérateur privé, et nos institutions publiques. Je précise que ce partenariat n’est qu’éventuel. J’ai demandé à la mission d’avoir à l’esprit non seulement l’aspect technique du problème, mais aussi sa portée politique, au sens noble du terme, c’est-à-dire la visée de l’intérêt général et de l’indépendance nationale fondamentale en matière de culture, en particulier de valorisation du patrimoine, le tout sans préjugé idéologique.
Bien entendu, ces réflexions resteront fidèles à un certain nombre de principes, notamment à notre tradition républicaine, qui repose sur la régulation, c’est-à-dire l’établissement de règles du jeu garantissant leurs droits à tous les acteurs, ainsi d’ailleurs qu’à nos concitoyens.
Le droit de nos concitoyens, c’est d’abord le droit d’accès libre et gratuit au patrimoine dès lors qu’il est « tombé », comme on dit – mais je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une chute –, dans le domaine public, une expression que je trouve, en revanche, très juste et très belle.
Le droit des professionnels, c’est avant tout le droit d’auteur, les droits des auteurs, qui ont été une longue conquête des Lumières, un « acquis social » qui a permis aux artistes de sortir de la position de marginalité et parfois de misère dans laquelle ils ont été longtemps confinés. C’est pourquoi, en parfaite cohérence avec ce que propose la loi dite HADOPI, j’ai pris parti clairement pour la défense des droits d’auteur à l’ère numérique, c’est-à-dire de la juste rémunération des créateurs pour leur travail, face à toutes les tentatives de telle ou telle entreprise afin d’en capter indûment les bénéfices.
Vous le savez, le Gouvernement est intervenu auprès du juge américain qui doit se prononcer sur le projet de règlement entre Google et les auteurs et éditeurs américains. Le gouvernement français, par le biais d’une lettre dite amicus curiae, a alerté le juge des problèmes que soulève ce projet d’accord. C’est également la position que les autorités françaises ont développée lors de l’audition menée par la Commission européenne à Bruxelles, le 7 septembre dernier.
La France ne peut accepter le principe du fair use, comme on parle de fair play, c’est-à-dire de l’usage prétendument loyal dont argue le géant californien pour justifier la numérisation de millions d’auteurs sans leur autorisation. Il s’agit là, à l’évidence, d’un leurre juridique.
Je souhaite construire une alternative politique forte, et je veux que notre solution soit le résultat d’une réflexion non seulement approfondie, mais également partagée, c’est-à-dire qu’elle fédère nos partenaires européens. C’est pourquoi j’ai pris contact avec la directrice de la Bibliothèque nationale allemande ; j’ai obtenu son appui. Je vais rencontrer très rapidement les ministres de la culture espagnol et roumain, après le ministre de la culture polonais, au Forum d’Avignon dont je vous ai parlé, et où, bien entendu, le numérique occupera une place centrale.
J’ai également prévu d’évoquer ce sujet essentiel lors de la rencontre des ministres de la culture de l’Union qui aura lieu à la fin du mois, à Bruxelles.
Je sais que la parole du ministre français de la culture et de la communication a du poids en Europe, car chacun connaît, cinquante ans après la création du ministère par André Malraux, le rôle moteur que la France a joué dans la reconnaissance politique des enjeux culturels ; vous ne me contredirez pas, cher Serge Lagauche.
Je suis fermement convaincu qu’il s’agit pour l’Europe d’un enjeu à la fois culturel et économique, mais aussi politique, au sens le plus élevé et le plus moral du terme. C’est d’ailleurs une conviction pleinement partagée par mon homologue allemand, Bernd Neumann, avec qui nous travaillons étroitement, et par la plupart des pays européens, comme j’ai pu d’ores et déjà le constater à l’occasion des nombreux entretiens bilatéraux que j’ai eus avec d’autres ministres de la culture des États membres de l’Union.
La présidence suédoise de l’Union européenne a prévu un débat sur la numérisation du patrimoine lors du prochain Conseil des ministres de la culture, le 27 novembre prochain. Ce rendez-vous, qui intervient à un moment où chacun des pays européens est en train d’engager une réflexion sur ces questions, doit nous permettre d’élaborer ensemble une réponse européenne à une question cruciale : comment construire la mémoire numérique de notre continent ?
Je disposerai, avant la tenue de ce Conseil, d’un premier état des réflexions de la commission Tessier qui me permettra d’affiner les propositions françaises. Celles-ci iront naturellement dans le sens d’une intensification de la numérisation de notre patrimoine. Mais nous veillerons à définir ensemble, je l’espère, une approche européenne commune permettant de déterminer les conditions de partenariats public-privé acceptables pour le citoyen européen et la construction de l’Europe de la culture et de la connaissance.
Ce Conseil des ministres de la culture travaillera aussi au projet de bibliothèque numérique européenne Europeana, auquel je suis très attaché, qui résulte d’une initiative française. Le prototype a en effet été porté par la France et lancé sous la présidence française de l’Union, en novembre 2008. La France en est également le premier contributeur.
Je défendrai la nécessité d’une impulsion nouvelle, de moyens accrus et d’une reconfiguration de ce projet porteur, afin d’améliorer sa conception, en intégrant notamment, à terme, une éditorialisation de ses contenus.
Il faut s’attacher aussi à créer les conditions juridiques nécessaires pour que les œuvres orphelines et épuisées aient toute leur place dans la bibliothèque numérique Europeana. À cet égard, la directrice de la Bibliothèque nationale allemande est particulièrement attentive au sort des œuvres orphelines. C’est d’ailleurs elle qui anime Europeana.
Notre action d’influence auprès de la Commission se double, en France, d’un engagement déjà important de l’État. Je rappelle que le Centre national du livre consacre 11,5 millions d’euros par an à la numérisation des livres : 10 millions d’euros pour la Bibliothèque nationale de France et 1,5 million d’euros pour les projets de numérisation portés par les éditeurs ou les diffuseurs. Mais nous avons besoin d’un effort accru.
J’ai donc proposé au Président de la République et au Premier ministre un projet d’envergure dans le cadre du grand emprunt. J’ai demandé à la commission du grand emprunt de consacrer pas moins de 753 millions d’euros à la numérisation des contenus culturels (Mme Morin-Desailly et M. Legendre applaudissent), …
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. … dont 130 millions d’euros à la seule Bibliothèque nationale de France pour son plan de numérisation étendu sur cinq ans, afin d’enrichir considérablement l’offre de Gallica, sa bibliothèque numérique.
Un autre enjeu des propositions que j’ai faites dans le cadre du grand emprunt est de permettre la structuration de « pôles de compétitivité sur la numérisation » – vous m’avez interrogé à ce sujet, monsieur Ralite – et, plus généralement, de développer une filière numérique porteuse de valeur et d’emplois. À cet égard, je dois saluer l’initiative récente et prometteuse du pôle Cap Digital qui a lancé le projet « Dem@t-Factory », associant des entreprises et un laboratoire de l’université de Paris VI. II faut mentionner, en son sein, le projet Sylen, ou système de lecture nomade, qui vise à stimuler l’innovation dans le développement des supports de lecture à encre électronique. Car votre question inclut évidemment le sujet du livre numérique sur lequel nous devons nous tenir prêts.
L’enjeu est de proposer une alternative crédible à l’offre qu’est en train de construire le géant américain. Cette alternative passe par la mise en place d’une offre légale et attractive de livres numériques. C’est une nécessité pour éviter la dérive vers le piratage, que nous avons connue pour d’autres secteurs.
Cela requiert de réunir toutes les conditions techniques, juridiques et économiques nécessaires. Vous pouvez compter sur l’implication de mon ministère pour faire avancer ce dossier. À la suite des principales préconisations de l’excellent rapport de Bruno Patino, remis à mon prédécesseur en juin 2008, je veillerai à ce que l’accompagnement public des éditeurs soit le plus efficace possible. Vous pouvez, là aussi, compter sur mon engagement.
À cet égard, le projet d’une plateforme unique d’accès à l’offre numérique en matière de livres devra réunir les éditeurs français ; nous n’en sommes pas encore là ! Il s’agit d’un projet stratégique et, là encore, d’une offre alternative à ce que propose Google. Je veillerai particulièrement à l’accompagnement offert par mes services pour faire aboutir ce projet indispensable.
La mission que j’ai confiée par ailleurs à Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerrutti permettra aussi de déterminer les premières conditions qui favoriseront ce développement.
Vous le voyez, le Gouvernement a pris pleinement la mesure des enjeux non seulement culturels, mais aussi sociaux qui sous-tendent votre question, monsieur Jack Ralite, c’est-à-dire la problématique passionnante et complexe de la révolution numérique.
Que ce soit en France, avec les réflexions et les missions que j’ai lancées et qui vont bientôt aboutir, avec les propositions que j’ai faites d’un soutien renforcé à cet investissement nécessaire pour l’économie de demain, ou encore par notre action résolue au niveau européen, vous trouverez ici, je l’espère, monsieur le sénateur, plus d’un élément de réponse à votre si légitime interrogation ; je la fais mienne, n’en doutez pas ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Je dois dire que j’ai pris intérêt, de bout en bout, à la discussion d’aujourd'hui, aux propos de chaque sénateur et, pour les éclaircissements qu’il nous a apportés, du ministre de la culture.
La façon dont la commission de la culture a décidé de travailler dès le mois d’août montre que l’on peut faire progresser la question. Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, pour constater qu’un changement qualitatif capital objectif s’engage avec le numérique et que nous devons, pour le maîtriser, « explorer », comme le dit Georges Ballandier. Ainsi que l’indiquait l’un de mes amis, Predrag Matvejevic : « Nous avons tous un héritage que nous devons défendre, mais dans un même mouvement nous en défendre. Autrement nous aurions des retards d’avenir, nous serions inaccomplis. » Or, comme l’a écrit René Char, « l’inaccompli bourdonne d’essentiel ». Cette phrase, je la répète à l’envi tant elle me paraît fondamentale.
J’ai entendu, dans les propos qu’a tenus M. le ministre, de nombreux éléments de réponse tracés, voire par moments dessinés avec un crayon qui marque. J’en prends acte !
Je voudrais tout de même ajouter une remarque à propos de Google.
Le 28 septembre dernier, au Sénat, s’est tenue la journée de réflexion des États généraux de la culture, consacrée aux problèmes liés à la protection des droits d’auteur, à internet et à la responsabilité publique. Nous tenions avec acharnement à la présence de tous les acteurs, et nous y sommes parvenus : il y avait là Microsoft, Orange et Free, les six plus grandes organisations d’auteurs, plusieurs groupements d’internautes, trois des plus importants juristes français sur la question, beaucoup de chercheurs ; bref, nous étions 146 dans une salle de réunion de 117 places, avec un seul objectif : enfin, nous écouter pour construire !
Je retiens votre volonté d’écoute, monsieur le ministre, mais il reste des contradictions, en particulier sur Google. Je ne ferai pas l’insulte à un ministre qui a créé, dans sa jeunesse, un cinéma d’art et essai avant l’heure, dans un quartier proche d’ici – je l’ai beaucoup fréquenté –, de penser qu’il a oublié ce qui s’est passé à la sortie de la guerre, à propos de la programmation majoritaire des films américains dans les salles de cinéma.
À l’époque, parce que les gens étaient sevrés de films américains – on n’en est plus là ! –, certains ne voulaient pas, déjà, que l’on cherche un bouc-émissaire. La France s’est insurgée. J’étais à la manifestation des artistes et de leurs publics entre l’Opéra et la Madeleine, immense pour l’époque, et nous avons eu gain de cause en France, mais nulle part ailleurs. La France avait été naïve avec le vainqueur qui avait contribué à la victoire : cela ne voulait pas dire qu’il allait contribuer à la victoire du cinéma… c’était sa politique. J’ai suffisamment fréquenté Jack Valenti, aux Rencontres de Beaune, pour savoir qu’ils n’ont pas bougé d’un iota !
Je ne parlerai pas de « chasse aux sorcières » à propos de Google, mais il faut savoir que cette entreprise ne paye aucune de ses matières premières, qu’elle gagne des sommes fabuleuses avec la publicité, qu’elle numérise en vrac et réclame le secret des accords qu’elle passe avec chacun. Comme le souligne avec force Antoine Gallimard dans Le Monde : « Ces clauses de confidentialité qu’impose Google aux institutions qui lui confient cette tâche tranchent curieusement avec cet esprit de transparence que donne à voir la firme californienne. Et il n’est guère acceptable qu’une bibliothèque classée comme celle de la ville de Lyon ait pu ainsi accepter de faire la courte échelle à Google ». J’ajoute qu’elle s’est installée en Irlande, où elle échappe à toute fiscalité.
Une tentative a échoué à la Libération sur le cinéma ; nous devons rester fidèles à l’esprit qui régnait alors pour opérer les changements qui s’imposent.
Donc Google n’est pas une sorcière, mais elle a des pratiques sorcières dans l’éventail de ses activités. Nous devons donc rester extrêmement vigilants, surtout en temps de crise. N’oublions pas qu’Hollywood a le monopole sur l’audiovisuel et le cinéma, Microsoft sur les logiciels, Intel sur les composants, Amazon et eBay sur les plateformes d’achat, Google sur les moteurs de recherche…
Nous sommes parfaitement d’accord, monsieur le ministre, sur la nécessité de se rencontrer et d’agir rapidement au niveau européen.
Le débat qui nous a réunis aujourd'hui a été riche et positif et j’ai pris acte de nombre de vos propos, monsieur le ministre. Rêvons, mais ne soyons pas naïfs : il y a des forces qui s’opposent à ce que vous voulez construire autour de la création, aujourd'hui en danger dans de si nombreux domaines.
En tout cas, j’ai été heureux de ce débat ; j’ai même applaudi des sénateurs que d’ordinaire je n’applaudis pas ! (Applaudissements.)
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Ce débat a honoré notre Haute Assemblée et je vous en remercie toutes et tous infiniment.
5
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : Mme Muguette Dini, MM. Alain Vasselle, Gérard Dériot, Dominique Leclerc, Bernard Cazeau, Mme Christiane Demontès et M. Guy Fischer ;
Suppléants : MM. François Autain, Yves Daudigny, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Jean-Jacques Jégou, André Lardeux, Mme Raymonde Le Texier et M. Alain Milon.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Imposition des revenus de source locale à Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Adoption de deux propositions de loi organique en procédure accélérée
(Textes de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin, présentée par MM. Louis-Constant Fleming, Jean-Paul Virapoullé et Mme Lucette Michaux-Chevry (proposition n° 634, 2008-2009, texte de la commission n° 57, rapport n° 55), et de la proposition de loi organique tendant à permettre à Saint-Barthélemy d’imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans, présentée par M. Michel Magras (proposition n° 517, 2008-2009, texte de la commission n° 56, rapport n° 55).
Ces deux textes feront l’objet d’une discussion générale commune.
Je vous rappelle que M. le président du Sénat avait saisi le 20 octobre 2009 le représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, en vue de la consultation des conseils territoriaux de ces deux collectivités.
Par lettres en date du 12 novembre 2009, M. le président du Sénat a reçu de M. le représentant de l’État les délibérations de ces deux conseils territoriaux.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, en plus d’être essentielle à un meilleur fonctionnement de notre jeune collectivité d’outre-mer, revêt un caractère symbolique fort.
En effet, c’est avec une grande satisfaction que je prends la mesure du chemin accompli lorsque je repense au vote de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer auquel j’avais assisté ici-même depuis la galerie des visiteurs.
Deux ans et demi plus tard, c’est en tant que premier sénateur de Saint-Martin que je vous prie de bien vouloir amender cette loi dans un souci principal de clarification de la compétence fiscale qui a été transférée à la collectivité de Saint-Martin.
Comme vous le savez, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, désormais régie par l’article 74 de la Constitution, doit maintenant exercer les compétences qui étaient celles de la commune, du département et de la région de Guadeloupe, ainsi que certaines autres compétences qui lui ont été transférées par l’État.
Or l’exercice de ces compétences, qui représentent surtout des obligations d’assurer des missions d’intérêt général, se traduit évidemment par des coûts budgétaires, financés principalement par le produit des impositions que la collectivité applique sur la base de la compétence fiscale qui lui a été transférée.
Aux termes du I de l’article L.O. 6314-3 – créé par la loi de 2007 – du code général des collectivités territoriales, la collectivité fixe les règles applicables en matière d’ « impôts, droits et taxes dans les conditions prévues à l’article L.O. 6314-4. » Cependant, ces conditions posent problème et entravent le plein exercice de sa compétence fiscale par la collectivité. En effet, l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales fixe une règle dite « des cinq ans », selon laquelle, pour être considérées comme fiscalement domiciliés à Saint-Martin, les personnes physiques ou morales auparavant domiciliées dans un département de métropole ou d’outre-mer doivent avoir résidé à Saint-Martin au moins cinq années.
L’édiction de cette règle visait à prévenir le risque éventuel de délocalisation de particuliers ou de sociétés vers Saint-Martin, dont on supposait que le régime fiscal serait particulièrement attractif. Ce préjugé n’a pu être vérifié, et la fiscalité de la collectivité de Saint-Martin, nécessaire au financement de ses charges, n’a strictement rien de celle d’un paradis fiscal, ni pour ses résidents ni pour d’éventuels opérateurs internationaux.
Mais telle n’est pas la question en débat. Les autorités économiques et financières de l’État ayant souhaité le maintien de cette règle des cinq ans, nous en prenons acte. La question est celle des effets de cette règle sur la compétence fiscale de la collectivité et, par voie de conséquence, sur ses ressources propres.
Pour la collectivité de Saint-Martin, et sans doute pour le législateur organique de 2007, la règle des cinq ans est une simple règle de domicile. Elle fixe un critère de domicile additionnel aux critères usuels permettant de déterminer la résidence fiscale d’une personne physique ou morale. Son effet sur la compétence fiscale de la collectivité se résume au fait que celle-ci ne peut imposer, en tant que contribuables domiciliés à Saint-Martin, selon le régime prévu pour cette situation, que les contribuables répondant, notamment, à la condition d’une résidence d’au moins cinq années à Saint-Martin. Cette règle spéciale de domicile n’affecte pas le droit de la collectivité, propre à toute juridiction disposant de la compétence fiscale, de taxer, suivant le régime des non-résidents, les revenus trouvant leur source sur son territoire, réalisés par des personnes ne pouvant y être considérées comme domiciliées.
Toutefois, c’est une autre interprétation qui, d’emblée, a été retenue par les administrations financières de l’État : la règle des cinq ans est une règle de compétence, ce qui signifie que la collectivité de Saint-Martin n’a le droit d’exercer sa compétence fiscale qu’à l’endroit des personnes pouvant être considérées comme fiscalement domiciliées sur son territoire.
Une telle contradiction dans les interprétations a conduit le Gouvernement à solliciter l’avis du Conseil d’État. Celui-ci, statuant en tant que conseiller du Gouvernement, a estimé, dans un avis du 27 décembre 2007, que la règle des cinq ans laissait à la collectivité le droit d’imposer les revenus de source saint-martinoise des personnes domiciliées hors d’un département de métropole ou d’outre-mer, mais la privait du droit d’imposer les revenus de même source, réalisés, soit par une personne qui, venant de métropole ou d’un DOM, se trouverait à Saint-Martin, mais depuis moins de cinq ans, soit même par des personnes physiques ou morales n’ayant jamais cessé d’être domiciliées dans un tel département de métropole ou d’outre-mer.
La restriction de la compétence fiscale transférée à la collectivité l’a privée des ressources fiscales propres qui pouvaient être attendues de l’imposition, notamment, des bénéfices réalisés par les sociétés françaises exploitant à Saint-Martin un établissement, mais ayant leur siège en métropole ou dans un DOM, ou à Saint-Martin, mais depuis moins de cinq ans ; des revenus fonciers et des plus-values immobilières de source saint-martinoise réalisés par des contribuables – ils sont nombreux – domiciliés dans un département de métropole ou d’outre-mer ; des dividendes de source saint-martinoise distribués à des bénéficiaires domiciliés en métropole ou dans un DOM ; des salaires versés à des personnes ayant transféré leur domicile à Saint-Martin depuis un département de métropole ou d’outre-mer sans répondre à la condition d’une résidence de cinq années.
Parallèlement, la collectivité de Saint-Martin, en dépit d’une politique de dépenses publiques et d’adaptation de sa fiscalité propre particulièrement prudente, se trouve confrontée à de très sérieuses difficultés de trésorerie et de financement, principalement liées aux conditions, pas toujours suffisamment anticipées, du changement statutaire.
Il s’agit, en particulier, de la suppression du versement mensuel par l’État de douzièmes provisoires calculés par rapport aux montants émis des anciens impôts directs locaux, ce qui oblige la collectivité à recourir systématiquement à des avances de trésorerie auprès d’établissements financiers, dont il n’a pas été prévu de compenser la charge ; de la suppression de la ressource permettant de financer les charges communales transférées, que représentait le produit d’octroi de mer auparavant versé à la commune de Saint-Martin ; de retards dans la récupération effective, par la collectivité, de montants de divers produits fiscaux collectés – droits de mutation, plus-values immobilières, taxe sur les conventions d’assurances… –, dus à l’inadaptation des circuits financiers au changement statutaire ; du défaut total ou partiel de perception effective d’impositions dues à la collectivité ou votées par elle, pour des raisons diverses, par exemple, en ce qui concerne la taxe d’habitation, pour inexistence d’un logiciel d’application opératoire.
Ces difficultés de trésorerie et de financement ont convaincu les administrations économiques et financières de l’État de la nécessité de reconnaître à la collectivité de Saint-Martin, sans remettre en cause la règle des cinq ans, une pleine compétence de juridiction fiscale « de source » sur les revenus trouvant leur source à Saint-Martin, y compris lorsqu’ils sont réalisés par des contribuables domiciliés en France métropolitaine ou dans un DOM, ou à Saint-Martin, mais depuis moins de cinq ans.
Tel est l’objet principal des dispositions de l’article 1er de la proposition de loi organique, qui reconnaît cette compétence.
Le risque de double imposition résultant du concours des juridictions fiscales de l’État et de Saint-Martin sera éliminé par les dispositions, dans ces conditions largement conformes au modèle de l’OCDE, de la convention contre la double imposition à conclure entre l’État et la collectivité. Nous ne voyons pas d’obstacle à ce que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de cette convention, la double imposition soit éliminée par les mesures en matière de crédit d’impôt prévues dans la proposition de loi organique telle qu’elle est proposée par la commission des lois.
Par ailleurs, nous avons souhaité que certaines précisions utiles ou nécessaires soient apportées au dispositif statutaire concernant les compétences fiscales de la collectivité et l’application par les agents de l’État des impositions créées par elle. Il s’agit, d’une part, de la précision selon laquelle c’est le préfet, représentant de l’État dans la collectivité, ou, sur délégation, le directeur des services fiscaux qui rendent exécutoires les rôles d’impôts directs perçus pour la collectivité et, d’autre part, de la possibilité que des personnels de la collectivité placés sous l’autorité de l’administration de l’État apportent leur concours à l’exécution des opérations d’assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts. Il est particulièrement important, pour des raisons d’emploi et de meilleure acceptation du devoir contributif, que de jeunes Saint-Martinois puissent être associés à de telles opérations.
Nous vous proposons également, par voie d’amendement, que soit reconnue au conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin la possibilité de prévoir le recours aux règles prévues par les lois et règlements de l’État en matière douanière pour l’application d’impositions assises sur des importations, comme la taxe sur les carburants. En effet, la collectivité ne dispose pas de la compétence douanière et n’entend pas l’exercer.
Mais, en certaines circonstances, les règles de la procédure douanière permettent, le cas échéant avec le concours partiel de l’administration des douanes, l’application effective d’impositions créées ou maintenues par la collectivité, dans le cadre de sa compétence fiscale.
Toujours en matière fiscale, l’article 2 de la présente proposition de loi organique vise à préciser quelle est l’autorité chargée de délivrer les agréments ouvrant droit à un avantage fiscal. Il est proposé que ce soit le conseil exécutif ; celui-ci jouerait ainsi, en quelque sorte, le rôle d’un ministre du budget.
De même, il est suggéré que le conseil exécutif puisse jouer un rôle supplétif en matière de désignation des membres des commissions administratives dans le domaine fiscal, en cas d’inertie des organismes professionnels initialement compétents.
Si la proposition de votre commission des lois de maintenir dans la compétence du conseil exécutif la délivrance des permis de construire est retenue, il y aura lieu de prévoir que ce même conseil exécutif détermine l’assiette et la liquidation des taxes d’urbanisme. Tel est l’objet d’un amendement que nous avons déposé sur l’article 2.
En effet, le strict respect des dispositions existantes de la loi statutaire, réservant les opérations d’assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts à la seule administration fiscale de l’État, exclurait l’application pratique des taxes d’urbanisme, communément assurée par les services d’urbanisme des collectivités ; une autorité y est compétente pour délivrer les permis de construire et instruit en conséquence les dossiers, y compris dans leurs aspects financiers et fiscaux.
Enfin, la proposition de loi organique qui est aujourd'hui soumise à votre examen comporte quelques dispositions accessoires relatives à des domaines autres que la fiscalité : elles visent à améliorer le fonctionnement général de la collectivité.
Conformément à la demande du président du conseil territorial de Saint-Martin, ces mesures concernent, notamment, les compétences du président du conseil territorial et du conseil exécutif ; il s’agit des articles 3 et 5 de la proposition de loi organique, dans la rédaction proposée par votre commission des lois.
L’article 5 a pour objet de favoriser un remplacement rapide du président du conseil territorial, en précisant que les dispositions de l’article L.O. 6321-22 du code général des collectivités territoriales, prévoyant l’envoi d’un rapport aux conseillers territoriaux douze jours avant la réunion du conseil territorial, ne s’appliquent pas à la réunion convoquée aux fins de renouvellement du conseil exécutif.
L’article 3 concerne les pouvoirs respectifs du président du conseil territorial et du conseil exécutif en matière de direction de l’administration territoriale, d’animation et de contrôle de celle-ci.
Pour ces deux articles, nous nous en remettons à la sagesse de la commission des lois pour son appréciation des éléments de clarification à apporter au dispositif statutaire.
Nous approuvons pleinement les dispositions relatives à l’environnement que la commission des lois propose d’introduire dans le statut de Saint-Martin.
En outre, l’ensemble de ces articles ont reçu un avis favorable du conseil territorial de Saint Martin le 29 octobre 2009.
Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition que je soumets à votre approbation aujourd’hui a pour objectif principal de préciser et de clarifier l’exercice de la compétence fiscale de la collectivité de Saint-Martin dans un souci d’efficacité et de rationalisation.
Il s’agit de prendre encore plus en considération les spécificités de Saint-Martin dans le respect des engagements pris par moi-même dans le cadre de mes missions parlementaires, mais également par le chef de l’État, qui souhaite plus de respect de nos différences ultra-marines.
Car il est vrai que chaque territoire d’outre-mer est particulier et qu’une mesure vitale pour une collectivité peut se révéler superflue pour sa voisine. Cela justifie bien que chaque collectivité, département ou territoire d’outre-mer doive pouvoir jouir de sa représentation nationale propre et dédiée. Mais il s’agit là d’un autre débat...
Pour conclure, je souhaiterais simplement vous redire à quel point il est primordial que Saint-Martin puisse exercer sa pleine compétence de juridiction fiscale « de source ». Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra fonctionner en toute autonomie financière, telle qu’elle en détient le potentiel.
Je reste convaincu que si, parallèlement, nous parvenons également à consolider un réel partenariat avec l’État, la collectivité de Saint-Martin pourra s’ériger comme modèle au sein de notre République dans le cadre, notamment, de la réforme des collectivités territoriales.
Je vous remercie de votre attention et de votre soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy.
M. Michel Magras, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à débattre de la proposition de loi organique dont j’ai l’honneur d’être l’auteur et qui vise à permettre à Saint-Barthélemy d’imposer les revenus de source locale des personnes résidant depuis moins de cinq ans sur le territoire de la collectivité. À ce titre, il m’appartient donc de vous exposer au préalable les motivations et les objectifs de ma démarche.
En réalité, la présente proposition de loi organique est avant tout un ajustement de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, qui a, comme vous le savez, érigé la commune de Saint-Barthélemy en collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie.
En permettant à la collectivité d’imposer les revenus trouvant leur source localement, il s’agit de parachever le processus d’autonomie budgétaire et statutaire engagé dès les années soixante-dix et ponctué d’étapes significatives jusqu’à cette loi organique du 21 février 2007.
Car si le statut fiscal particulier de Saint-Barthélemy a sa source historique et juridique dans le traité de rétrocession de l’île par la Suède à la France, il a trouvé dès le début des années soixante-dix une résonnance politique concrète dans la pratique de la gestion locale.
D’abord, le droit de quai, institué par la loi de finances de 1974, a été et reste encore aujourd’hui l’un des fondements de l’autonomie budgétaire de la collectivité.
Puis, dès les premières lois de décentralisation, préfigurant en cela le principe de subsidiarité, Saint-Barthélemy, alors commune, a demandé et obtenu le droit de gérer les infrastructures portuaires et aéroportuaires, qui étaient jusqu’alors des biens et des compétences du département. La commune a fait de ces infrastructures les poumons économiques de l’île, sources de développement, créateurs d’emplois et générateurs de recettes tirées essentiellement des redevances instaurées sur les passagers et le mouillage des navires.
Par la suite est venue la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, qui a permis à la commune d’exercer certaines des compétences départementales ou encore d’instaurer une taxe sur les carburants, aujourd’hui inscrite dans le code des contributions locales.
Bref, vous l’aurez compris, autant de dispositifs par lesquels Saint-Barthélemy a conquis progressivement son autonomie budgétaire et s’est ainsi donné les moyens de réussir son évolution statutaire.
Chacune de ces étapes a été l’aboutissement d’une pratique politique responsable, s’appuyant largement sur les ressources locales, sans pour autant être exempte du respect des principes républicains.
Toutes ces années de gestion ont été animées d’une volonté farouche de trouver localement les ressources pour la mise en œuvre du projet de développement de l’île.
Certes, aux termes du traité de rétrocession, la France s’était engagée à maintenir le statut de port franc, ce qui a valu et vaut encore à l’île de nombreuses critiques.
Mais il faut savoir que plus tard, s’il en était besoin, l’évaluation des charges et du potentiel fiscal transféré a montré que, pour l’État et pour les collectivités de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy constitue plus une source de recettes que de dépenses. Cette position a été entérinée par la loi de finances rectificative de 2008, avec l’inscription d’une dotation globale de compensation, la DGC, des charges négative.
Désormais, la collectivité ne perçoit donc plus de dotation de l’État. Au contraire, elle verse annuellement 5,6 millions d’euros au budget de l’État.
Cela n’est d’ailleurs pas sans lien avec le texte qui vous est aujourd’hui soumis, car le mode de calcul de la DGC a suscité de nombreuses interrogations sur l’étendue du transfert de la compétence fiscale.
Pour connaître les ressources et les charges transférées à la collectivité, l’impôt sur le revenu a été pris en compte dans le calcul du potentiel fiscal de Saint-Barthélemy. Aux termes de ce calcul, on peut donc considérer que l’État a transféré non pas la compétence fiscale à Saint-Barthélemy, mais sa compétence fiscale. En effet, sur la base du calcul de la DGC, toutes les recettes qu’il percevait ont été considérées comme transférées à la collectivité ; s’y ajoutent celles qui sont perçues par le département et la commune.
Dans ces conditions, la question de la compétence de la collectivité pour imposer les revenus de source locale n’aurait normalement pas dû se poser. Toutefois, en raison de la clause dite « de résidence », en vertu de laquelle le statut de résident fiscal ne s’acquiert qu’après cinq années de résidence, on s’aperçoit en réalité que l’État perçoit doublement l’impôt sur le revenu pour une part de la population loin d’être négligeable. Il est perçu, d’une part, par le biais de la DGC et, d’autre part, par l’imposition directe des non-résidents fiscaux qui continuent d’être considérés comme étant fiscalement domiciliés en métropole. J’avais eu à le démontrer lors de la discussion de l’article de la loi de finances rectificative pour 2008 instituant la DGC négative.
Un an après, cette discussion m’offre l’occasion de faire un constat : la nécessité de modifier la loi organique pour permettre à la collectivité d’imposer une partie des revenus des non-résidents fiscaux prouve bien que l’imposition directe de ces derniers échappe à la collectivité, alors qu’elle « rembourse » ce trop perçu par la DGC.
Or l’intention du législateur organique – je m’exprime ici sous le contrôle de M. le rapporteur –, était bien de transférer à Saint-Barthélemy la compétence en matière fiscale sur son territoire et l’objectif de la clause de résidence était, du point de vue de l’État, de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales. Le législateur ne s’est en effet pas prononcé ex nihilo ; il a légiféré en pleine connaissance du statut fiscal de Saint-Barthélemy.
L’article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales dispose : « Les personnes physiques ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy qu’après y avoir résidé pendant cinq ans au moins. » Idem pour les personnes morales, qui doivent satisfaire à cette condition s’agissant de l’installation du siège effectif ou du contrôle de leur direction. Dans le cas contraire, la loi organique précise que ces personnes sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole.
La loi fixe donc un principe de domiciliation fiscale, sans toutefois préciser explicitement comment est opérée la répartition du droit d’imposer ni du bénéfice de l’imposition.
Ce point ayant donné lieu à des divergences d’interprétation, un avis du Conseil d’État du 27 décembre 2007 est intervenu pour trancher cette question. Il établit que la règle des cinq années de résidence doit être interprétée comme un droit exclusif de l’État d’imposer les revenus et la fortune des personnes physiques et morales ne pouvant pas être considérées comme résidentes fiscales à Saint-Barthélemy. Pourtant, l’avis du conseiller du Gouvernement n’a pas clos le débat.
En effet, dans une décision du 15 février 2007, le Conseil Constitutionnel observait, pour sa part, que les dispositions de l’article L.O. 6214-4, c'est-à-dire l’instauration de la clause de cinq ans, « ne sauraient avoir pour objet ni pour effet de restreindre l’exercice des compétences conférées au législateur organique par l’article 74 de la Constitution, notamment dans les cas où cette convention – il s’agissait de la convention fiscale – ne pourrait aboutir ou ne permettrait pas de lutter efficacement contre l’évasion fiscale ».
S’appuyant notamment sur cette décision, une autre lecture de la loi organique considère que, par son avis, le Conseil d’État a au contraire réduit le champ de la compétence fiscale transférée à la collectivité.
Dès lors, un projet de convention fiscale transcrivant strictement l’avis du Conseil d’État a été soumis à la collectivité. En conséquence, il dispose que lorsque l’État impose, la collectivité n’a pas compétence pour imposer. Autrement dit, aux termes du projet de convention, l’État impose exclusivement les revenus des non-résidents fiscaux.
En l’état actuel de la rédaction de la loi organique, la convention fiscale ne peut en aucun cas prévoir une imposition partagée réglée par le biais d’un crédit d’impôt. À cet égard, monsieur le rapporteur, vous aviez d’ailleurs pris soin de souligner que la convention fiscale aurait dû pouvoir y remédier.
Toujours à propos de l’intention du législateur organique, les débats parlementaires montrent qu’en instituant une condition de résidence l’objectif était uniquement d’introduire un mécanisme de prévention de l’évasion fiscale, et en aucun cas de restreindre l’étendue de la compétence fiscale de Saint-Barthélemy. C’est encore un point que vous rappeliez récemment, monsieur le rapporteur.
L’enjeu de cette proposition de loi organique est donc d’éliminer toute source d’ambiguïté et de conformer le texte de la loi statutaire à l’intention du législateur.
Après vous avoir exposé, j’espère de manière concise et précise, le contexte de ma démarche, j’en arrive maintenant à la problématique posée par la modification de la loi organique que je vous soumets.
Mes chers collègues, il vous est proposé, ni plus ni moins, de clarifier la loi organique statutaire afin de permettre à Saint-Barthélemy d’imposer les plus-values immobilières réalisées sur le territoire de la collectivité par les personnes y résidant depuis moins de cinq ans.
Il est impératif, pour une collectivité, de disposer des ressources budgétaires nécessaires à son autonomie. Or, en la privant, par application de la clause de résidence, du droit d’imposer les gains immobiliers réalisés sur son territoire par les non-résidents, on l’ampute d’une partie de son potentiel fiscal, et donc de son autonomie budgétaire.
Par ailleurs, afin d’apprécier pleinement la portée du présent dispositif, il faut savoir que, contrairement à bien des idées reçues, nourrissant des accusations portées contre Saint-Barthélemy, l’impôt sur les plus-values immobilières est plus élevé et plus systématique dans notre collectivité qu’en métropole.
Par exemple, durant les cinq premières années suivant l’acquisition d’un bien, l’impôt s’établit à 37,1 % de la plus-value réalisée, dont 25 % pour la collectivité, le reste étant constitué des contributions sociales fixées et perçues par l’État.
Il faut également souligner qu’en maintenant le droit exclusif de l’État en matière d’imposition des non-résidents fiscaux, on arrive à une situation paradoxale, où la spéculation immobilière à Saint-Barthélemy devient plus avantageuse pour les personnes considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole. Croyez-moi, Saint-Barthélemy n’y a pas intérêt, car la spéculation immobilière exerce une pression à la hausse sur les prix de l’immobilier et du foncier.
De même, considérant que l’impôt sur les plus-values est moins élevé en métropole, comment ne pas imaginer que les résidents fiscaux qui souhaiteraient spéculer ne soient pas tentés d’installer leur société en dehors du territoire fiscal de la collectivité, pour bénéficier, par exemple, d’un taux de taxe sur les plus-values moins élevé ? Une telle démarche entraînerait une diminution des recettes de la collectivité et hypothéquerait rapidement son autonomie financière.
En outre, au regard de la raison d’être de la clause de résidence, permettre à la collectivité d’imposer ces revenus viendra en réalité renforcer les effets attendus en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Songez qu’un contribuable métropolitain qui vend sa résidence principale bénéficie, en l’état actuel de la loi, d’une exonération fiscale totale sur la plus-value réalisée.
Il n’est donc pas nécessaire, me semble-t-il, d’aller plus loin pour vous prouver qu’il existe des moyens d’utiliser la législation fiscale à des fins en totale contradiction avec les objectifs que nous visons ici.
Au contraire, les niveaux d’imposition fixés par le code des contributions locales de Saint-Barthélemy constituent un facteur dissuasif par la diminution du gain attendu d’une opération immobilière spéculative.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez très opportunément souhaité préciser la rédaction initiale de la proposition de loi déposée en introduisant, dès le stade de la loi organique, un mécanisme d’élimination des doubles impositions. Je tiens à indiquer que je m’en réjouis.
Cette précision donne toute sa portée à la convention fiscale entre l’État et la collectivité de Saint-Barthélemy. Le 3° de l’article L. O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales prévoit, en effet, la conclusion d’une convention fiscale afin « de prévenir l’évasion fiscale et les doubles impositions et de définir les obligations de la collectivité en matière de communication d’informations à des fins fiscales ».
Il faut dire que la rédaction du projet de convention, en application de l’avis du Conseil d’État que j’ai cité, a rendu totalement caduc le volet relatif à l’élimination des doubles impositions de la convention, en raison de la répartition exclusive du droit d’imposer qu’elle opérait.
Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi organique vient parachever le statut de collectivité autonome de Saint-Barthélemy.
Les volontés de l’État inscrites dans la loi organique sont respectées, puisque les résidents depuis moins de cinq ans restent soumis en priorité à la fiscalité nationale et que l’État continue à percevoir toutes les contributions sociales sur les plus-values immobilières.
Les moyens financiers de la collectivité sont améliorés, car celle-ci retrouve ainsi le droit de lever une contribution sur les gains immobiliers de source locale, déjà inscrite dans son code des contributions. Elle garantit ainsi son autonomie budgétaire et affiche clairement sa volonté de limiter et de maîtriser la spéculation sur son territoire.
En outre, le nouveau résident de l’île participe au budget de sa collectivité d’accueil et bénéficie, parallèlement, d’un crédit d’impôt déductible de son impôt national.
Pour conclure, la convention fiscale prévue par la loi organique devient, dès lors, indispensable, au grand bénéfice de l’État et de la collectivité de Saint-Barthélemy.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte tel que modifié par la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, lorsque nous avons adopté le statut de Saint-Martin et celui de Saint-Barthélemy, par le vote, en février 2007, de la loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, dite loi DSIOM, nous avons permis à deux communes du département de la Guadeloupe de s’ériger en collectivités d’outre-mer autonomes, disposant de compétences importantes, notamment en matière fiscale.
C’est la raison pour laquelle, afin d’éviter toute tentation comme tout risque d’évasion fiscale, nous avons instauré un garde-fou par la mise en place d’une règle ne conférant la qualité de résident fiscal de ces collectivités qu’après une durée de résidence de cinq ans. Les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune en ont largement parlé.
Pendant cette période, les personnes physiques et morales sont considérées comme ayant leur domicile fiscal dans un département français – en pratique la Guadeloupe – et sont donc imposées en conséquence, des conventions fiscales permettant, en particulier, d’éviter les doubles impositions.
Ce dispositif dérogatoire par rapport à la compétence fiscale reconnue aux deux nouvelles collectivités ne mettait nullement en cause, pendant cette période de cinq ans, leur compétence de source, puisque des conventions fiscales de non-double imposition étaient prévues. D’ailleurs, aucune mesure d’interdiction pour ces collectivités ni d’imposition exclusive par l’administration fiscale française n’était édictée. Je tiens à le rappeler et à le souligner.
Ces dispositions nous avaient paru, à l’époque, suffisamment claires pour permettre, pendant cette période de cinq ans, l’imposition par l’administration fiscale française des personnes physiques et morales concernées sans préjudice de l’imposition de ces mêmes personnes par la collectivité pour leurs revenus de source locale, les conventions fiscales ayant précisément pour effet d’en régler les aspects pratiques.
Toute modification de la loi organique à ce sujet pouvait donc apparaître comme inutile. Dans ces conditions, pourquoi devons-nous, mes chers collègues, examiner ces deux propositions de loi organique dont l’objet consiste justement à préciser formellement cette compétence de source pour les deux collectivités pendant cette période de cinq ans ? Est-ce parce que nos ordres du jour seraient insuffisamment chargés ou parce que, ainsi que l’a déclaré dans cet hémicycle Charles Pasqua, citant le poète : « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile » ? Non, bien sûr ! Nous devons le faire parce que c’est malheureusement nécessaire.
Oui, c’est malheureusement nécessaire, car le Conseil d’État et les services fiscaux, à la lumière de l’avis rendu par celui-ci, ont interprété de manière non conforme à la volonté du législateur les dispositions de la loi organique statutaire relatives aux compétences fiscales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
La conséquence est importante, car ce refus de reconnaissance d’une compétence de source pendant une période de cinq ans a privé ces deux collectivités de ressources non négligeables sans que le Trésor public enregistre pour autant des rentrées d’argent correspondantes, pour des raisons multiples allant de difficultés de recouvrement à l’existence de taux plus élevés d’imposition au niveau de la collectivité. Notre collègue Michel Magras a parfaitement relaté ce qui s’était produit à Saint-Barthélemy, entraînant une perte d’argent importante pour l’État et pour la collectivité.
Ainsi, l’objet essentiel des deux propositions de loi organique déposées respectivement par nos collègues Louis-Constant Fleming, pour Saint-Martin, et Michel Magras, pour Saint-Barthélemy, est de préciser dans le statut des deux collectivités cette compétence de source pendant la période « dérogatoire » de cinq ans.
Comme je viens de le rappeler, cette compétence de source étant reconnue de manière implicite dans la loi organique portant statut de ces deux collectivités, la commission, vu l’interprétation inappropriée du texte législatif, n’a pu que souscrire aux propositions de loi qui ont été présentées. Quand la loi n’est pas parfaitement comprise, il convient de la modifier pour mieux en préciser les termes et éviter les ambiguïtés comme les conflits d’interprétation. C’est l’exercice, mes chers collègues, auquel nous nous livrons ce soir.
La commission des lois, dans la rédaction retenue, tient ainsi à affirmer clairement la compétence fiscale de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy à l’égard des revenus trouvant leur source dans ces collectivités. Il s’agit de faire prévaloir, par cette disposition, l’interprétation de la loi organique qui correspond à la volonté exprimée par le législateur en février 2007 sur celle qui a été retenue par le Conseil d’État dans son avis de décembre 2007.
Un crédit d’impôt compenserait les doubles impositions constatées entre le 1er janvier 2010 et la conclusion de la convention fiscale que chaque collectivité signera avec l’État.
En effet, compte tenu des difficultés rencontrées, il semble prudent de prévoir un dispositif provisoire évitant les doubles impositions, en attendant la mise en place de conventions fiscales.
La commission des lois, à la lumière de ces regrettables péripéties, s’est interrogée sur la pertinence à terme – je dis bien à terme – de cette règle dérogatoire de cinq ans, qui trouve son origine dans la transformation de deux communes d’un département en collectivités autonomes avec une fiscalité spécifique. Mais les autres collectivités avec compétences fiscales ne sont pas concernées par cette règle, qui pourrait laisser supposer, à terme, que la France entretient deux paradis fiscaux. Il est donc proposé qu’un rapport d’évaluation soit présenté au Parlement à l’issue d’une période de dix ans.
La commission a également conservé une suggestion inscrite à l’article 1er de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin visant à prévenir le risque de contournement de la règle des cinq ans par des personnes dont le domicile fiscal serait établi dans un département de métropole ou d’outre-mer et qui s’établiraient pendant un an à l’étranger ou dans une collectivité d’outre-mer. Cette suggestion, qui émane de l’auteur de la proposition de loi organique, montre bien que cette dernière ne reflète aucune volonté de favoriser l’évasion fiscale, puisqu’elle prévoit un verrou supplémentaire contre les risques évoqués tout à l’heure.
Une telle délocalisation temporaire dans un État étranger ou dans une collectivité d’outre-mer permettrait, en effet, selon les dispositions actuelles, de devenir résident fiscal de Saint-Martin dès l’installation dans la collectivité. Ce serait d’autant plus facile que l’île de Saint-Martin est partagée entre la France et les Antilles néerlandaises, avec libre circulation obligatoire entre les deux parties de l’île depuis le traité de Concordia qui a instauré cette partition.
Aussi le texte proposé par la commission vise-t-il à prévoir, comme la proposition de loi organique, que la condition de cinq ans de résidence s’applique aux personnes physiques ou morales dont le domicile fiscal était, dans les cinq ans précédant leur établissement à Saint-Martin, situé dans un département de métropole ou d’outre-mer. Il faudrait donc que ces personnes, dans tous les cas, respectent un délai de cinq ans de résidence à l’étranger ou à Saint-Martin pour que leur domicile fiscal soit établi dans la collectivité. Les règles pour devenir résident fiscal de Saint-Martin sont donc rendues plus restrictives.
La proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy se limite au seul aspect fiscal. En revanche, celle concernant Saint-Martin touche à d’autres aspects du statut. Or la commission estime qu’il est trop tôt, deux ans seulement après son entrée en vigueur, pour le modifier sensiblement. Elle juge donc nécessaire, du moins pour l’instant, de préserver la collégialité des décisions d’autorisation en matière d’urbanisme et de fonctionnement du conseil exécutif.
C’est pourquoi, à l’article 3 de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin, la commission a souhaité ne pas modifier les dispositions statutaires relatives à la responsabilité de chaque conseiller exécutif devant le conseil exécutif, au titre de la gestion des affaires et du fonctionnement des services dont il est chargé par le président du conseil territorial.
La commission a, par ailleurs, supprimé l’article 4 de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin, qui visait à confier au président du conseil territorial de Saint-Martin la compétence pour délivrer les autorisations d’utilisation ou d’occupation du sol et déterminer l’assiette ainsi que la liquidation des taxes auxquelles donnent lieu les opérations d’urbanisme et de construction.
Comme elle l’a fait pour la Nouvelle-Calédonie dans le cadre du Grenelle de l’environnement et souhaite le faire pour les autres collectivités d’outre-mer au fur et à mesure des aménagements statutaires, la commission a introduit dans le texte de chacune des deux propositions de loi organique des dispositions visant à prendre en compte les préoccupations environnementales : il s’agit de l’article 5 bis de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin et de l’article 1er bis de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy.
Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, avec les aménagements de précision prévus tant par les auteurs des deux propositions de loi organique que par la commission, la loi organique portant statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy pourra enfin être interprétée comme il se doit, et ce dans l’intérêt tant de l’État que des deux collectivités. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Daniel Marsin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner deux propositions de loi organique tendant à clarifier et à conforter la compétence fiscale des collectivités d’outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
Le sujet abordé aujourd’hui n’est pas inconnu à celles et ceux qui ont participé, au mois de juin dernier, au sein de cette assemblée, à l’examen du projet de loi organique relatif à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte. En effet, certainement motivé par l’urgence liée aux difficultés financières auxquelles est confrontée l’île de Saint-Martin, notre collègue Louis-Constant Fleming avait déposé, avant même que le rapporteur ne dépose les siens, un amendement relatif aux règles fiscales applicables à Saint-Martin. Lors de l’examen de ce projet de loi par la commission des lois, vous aviez retiré cet amendement, mon cher collègue, après nous avoir précisé que vous aviez obtenu du Gouvernement l’assurance qu’un projet de loi organique spécifique à Saint-Martin serait déposé à la rentrée de 2009.
Non seulement le Gouvernement n’a pas tenu son engagement de déposer ce projet de loi, mais il est apparu que les aménagements envisagés par la proposition de loi organique relative à Saint-Martin intéressaient également la collectivité de Saint-Barthélemy : notre collègue Michel Magras vient d’en faire la démonstration. La passivité du Gouvernement a donc pour conséquence d’obliger le Sénat à examiner deux textes de rattrapage dans l’urgence et dans le cadre de la semaine d’initiative sénatoriale.
Cette situation appelle plusieurs observations de ma part. Le Gouvernement aurait pu et aurait dû réagir plus tôt, car il disposait de l’avis rendu par le Conseil d’État le 27 décembre 2007, sur saisine du ministre de l’économie, pour trancher la divergence d’interprétation entre les services fiscaux et les deux collectivités. Cet avis a donc été rendu voilà près de deux ans ! Après deux années d’attente, nous débattons ce soir selon la procédure accélérée : admirez la cohérence !
Il est donc apparu très vite que les deux nouvelles collectivités créées en juillet 2007 se trouvaient dans l’incapacité d’exercer leur compétence fiscale « de source ». L’inaction du Gouvernement me semble d’autant plus blâmable que la décision du Conseil d’État a eu pour conséquence seconde de retarder la conclusion des conventions fiscales entre chacune des collectivités et l’État, dès lors que celui-ci se trouvait dans l’impossibilité de rétrocéder aux collectivités les sommes qu’il n’avait pas prélevées.
M. le rapporteur affirme que la volonté du législateur était claire – il l’a répété tout à l’heure – et, en commission, il a qualifié ces propositions de loi organique d’« inutiles ». Il estime que l’avis du Conseil d’État résulte d’« une interprétation erronée » des dispositions de la loi organique statutaire. Pourquoi, mon cher collègue, n’avez-vous pas déposé, en toute logique, une motion tendant à décider qu’il n’y avait pas lieu d’engager la discussion du texte du fait de son caractère superflu ? Cela eût au moins été agréable à ceux de nos collègues qui vont discuter, dans des conditions absolument impossibles et inacceptables, le dernier texte inscrit à l’ordre du jour, à partir de 23 heures environ. L’avis du Conseil d’État n’ayant aucune force contraignante, le Sénat aurait pu faire l’économie de ce débat.
Si, en définitive, votre choix a été différent, monsieur le rapporteur, c’est sans doute que la volonté du législateur n’était pas exprimée dans des termes suffisamment explicites, puisque le Parlement se saisit à nouveau de la question pour y apporter des clarifications.
Ces deux propositions de loi organique venant combler la carence du Gouvernement, est démontrée, une fois encore, l’existence d’une « porosité » certaine entre l’initiative parlementaire et la volonté de l’exécutif d’user de tous voies et moyens pour faire adopter ses textes au pas de charge, d’où le recours à la procédure accélérée, deux ans après que le Conseil d’État eut rendu son avis. Il faut bien convenir, mes chers collègues, que la procédure accélérée tend nettement à devenir, dans notre assemblée, la procédure dominante – j’en prends à témoin M. le président de la commission des lois –, contrairement à la volonté affirmée par tous, lors de la révision constitutionnelle, de limiter le recours à l’urgence. Certes, l’urgence n’existe plus, mais nous constatons une floraison de procédures accélérées, ce qui met en question le fonctionnement du bicamérisme et le principe même de la navette parlementaire.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Bernard Frimat. Mes chers collègues, puisqu’un problème se posait, c’était au Gouvernement, et non à vous, qu’il incombait de déposer un texte visant à modifier la loi organique.
Sur l’imposition des revenus de source locale, je n’ai pas de remarques particulières à formuler concernant la rédaction retenue par la commission des lois : elle conforte la compétence fiscale des deux collectivités ; elle détaille la répartition des compétences dans l’application des opérations fiscales ; elle apporte les précisions nécessaires pour éviter les doubles impositions ; elle renforce la règle des cinq ans de résidence, afin que cette dernière ne soit pas dévoyée au moyen de délocalisations temporaires organisées à seule fin d’échapper à l’impôt.
Mme Nathalie Goulet. Quel crime abominable !
M. Bernard Frimat. Échapper à l’impôt, lutter contre l’évasion fiscale : comme j’aurais aimé que le Gouvernement témoigne de la même volonté en élaborant le projet de loi de finances ! Or, au contraire, il organise un grand nombre de possibilités d’évasion par le biais des « niches fiscales », qui profitent majoritairement aux plus aisés. Permettez-moi de rappeler que de tels procédés, amplifiés par l’instauration du bouclier fiscal, portent atteinte à l’égalité et à la progressivité de l’impôt sur le revenu et écartent, dans les conditions économiques que nous connaissons, toute perspective réelle de retour à l’équilibre budgétaire : vous êtes les champions du déficit !
M. Jean-Pierre Bel. Très bien !
M. Bernard Frimat. À Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin, il serait utile que le Gouvernement indique quels seront les moyens de contrôle mis en œuvre par l’État pour vérifier le respect des conditions de domiciliation effective sur le territoire des deux collectivités,…
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Bernard Frimat. … ainsi que les procédures envisagées pour distinguer les revenus générés sur place de ceux ayant leur source en métropole ou dans les autres départements d’outre-mer. Là aussi, si l’État ne met pas en place des contrôles suffisants, l’évasion fiscale risque d’être importante. Il sera toujours simple, dans ce cas, de créer un siège social sur place et de continuer son activité à l’extérieur, comme si de rien n’était.
Mais les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy devront également jouer le jeu et veiller à transmettre à l’État toute information utile afin de faciliter la recherche et la répression des pratiques de fraude.
M. Christian Cointat, rapporteur. C’est dans leur intérêt !
M. Bernard Frimat. Il en va évidemment de la crédibilité du statut de collectivité d’outre-mer, car, j’insiste une nouvelle fois sur ce point, on ne peut pas, dans les conditions économiques et sociales actuelles, donner, en plus, un moyen d’échapper à l’impôt à tous ceux qui peuvent se délocaliser dans ces collectivités.
Bien qu’il faille prendre en compte, comme l’a rappelé notre collègue Fleming, l’histoire et la situation particulières de Saint-Martin – le partage de cette île entre la France et les Pays-Bas aurait pu justifier la présence parmi nous ce soir de M. Marleix, éminent spécialiste du découpage (Sourires) – et de Saint-Barthélemy, la compétition fiscale dans ce périmètre géographique ne peut tout justifier. Si l’on ne peut les qualifier de paradis fiscaux au sens strict utilisé pour les îles Caïmans et leurs semblables, Saint-Barthélemy et Saint-Martin restent néanmoins des territoires particulièrement cléments au regard de l’imposition.
Ainsi, Saint-Barthélemy ne connaît pas l’impôt sur le revenu pour ses résidents fiscaux et pour les revenus réalisés sur l’île. Quant à Saint-Martin, dès 2007, le conseil territorial a utilisé sa compétence fiscale pour supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune et voter une réduction générale de l’impôt sur le revenu. Chacun appréciera !
Étant donné l’objectif visé, à savoir la lutte contre l’évasion fiscale, nous ne nous opposerons pas à la clarification fiscale proposée, car un réel problème se pose, qu’il importe de résoudre. Toutefois, cela ne signifie par pour autant, mes chers collègues, que nous approuvons la situation particulière de ces collectivités d’outre-mer. Si la proposition de loi organique concernant Saint-Barthélemy s’en tient au seul objet fiscal, il n’en va pas de même de celle concernant Saint-Martin, qui comporte un chapitre II portant sur le fonctionnement du conseil territorial et du conseil exécutif, sans lien direct avec le chapitre Ier. D’ailleurs, le rapport de notre collègue Christian Cointat s’intitule Imposition des revenus de source locale à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy : l’insertion de ce chapitre semble donc inopportune et, en tout état de cause, non justifiée par l’urgence.
La commission des lois a supprimé l’article 4 : elle a bien fait ! Cela étant, les motivations sur lesquelles vous vous êtes appuyé, monsieur le rapporteur, pour supprimer l’article 4 s’appliquaient tout autant à l’article 3.
Quant à l’article 5, M. le rapporteur – je lui fais confiance sur ce point, puisqu’il a également rapporté le projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer – a lui-même jugé que cette disposition était inutile. Le statut de ces deux collectivités est seulement dans sa deuxième année d’application : il serait peut-être opportun d’attendre avant de procéder à de premiers aménagements pratiques, car nous ne disposons pas du recul nécessaire pour porter une appréciation d’ensemble sur ce qui fonctionne et ce qui mérite d’être ajusté.
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé plusieurs amendements tendant à supprimer le chapitre II de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin. Nous verrons bien quel accueil leur sera fait ; s’ils sont adoptés, ils auront le mérite de recentrer le texte sur son véritable objet.
Enfin, M. le rapporteur a procédé, pour les deux propositions de loi organique, à une « coordination environnementale » qui lui tient à cœur. Cette volonté de renforcer la protection et la mise en valeur des espaces naturels des îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy est louable, car la maîtrise du sol et la préservation de l’environnement constituent deux des conditions à remplir pour permettre le développement harmonieux de ces deux collectivités. Toutefois, ces dispositions apparaissent comme autant de cavaliers législatifs qui viennent se surajouter aux dispositions du chapitre II. Elles ne présentent aucun lien avec l’objet principal des deux propositions de loi organique. Au surplus, elles adaptent aux collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy des dispositions qui, si elles ont été adoptées par le Sénat, ne l’ont pas encore été définitivement par le Parlement : nous procédons donc à une adaptation du droit existant à une loi qui n’est aujourd’hui que virtuelle.
Ces propositions de loi organique étant déférées de droit au Conseil constitutionnel, nous aurons l’occasion d’apprécier la marge de tolérance qu’applique ce dernier quand il doit se prononcer sur la nature du lien existant entre un amendement et le texte que celui-ci tend à modifier.
Cette question n’est pas anodine, car elle intéresse directement la portée du droit d’amendement.
Tel est, mes chers collègues, le sentiment du groupe socialiste sur ces deux propositions de loi organique. Monsieur Fleming, monsieur Magras, nous vous donnons acte qu’un problème se pose pour les revenus de source locale et nous comprenons que, en tant que sénateurs de ces territoires, vous l’ayez soulevé : ce faisant, vous avez joué votre rôle de parlementaires. Il est, je le répète, tout à fait regrettable que le Gouvernement n’ait pas traité cette question en son temps. Cela nous aurait épargné beaucoup d’inconvénients, mais aussi le plaisir de nous retrouver ce soir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.
M. Daniel Marsin. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les deux propositions de loi organique relatives respectivement à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy tendent à corriger le régime fiscal des personnes physiques et morales souhaitant déclarer leur domiciliation fiscale dans ces deux territoires de la République.
Depuis plusieurs années, ces deux îles sont confrontées à des phénomènes d’évasion fiscale, sources de malentendus entre les services fiscaux de l’État et les collectivités territoriales concernées.
La loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer prévoit que les personnes physiques ou morales, qu’elles viennent d’un département de métropole ou d’outre-mer, d’une collectivité d’outre-mer ou de l’étranger, ne peuvent être considérées comme ayant leur résidence fiscale à Saint-Barthélemy qu’après y avoir résidé ou possédé le siège de leur direction pendant au moins cinq ans. Les personnes physiques ou morales qui ne satisfont pas à cette règle des cinq ans de résidence sont donc considérées comme ayant encore leur domicile fiscal en métropole. Parallèlement, une convention fiscale devait permettre d’éviter les phénomènes de double imposition.
Pour tenir compte de la situation financière difficile de Saint-Martin, la loi organique statutaire dispose que cette règle des cinq ans ne s’applique pas, dans cette collectivité, aux personnes physiques ou morales établies auparavant à l’étranger, notamment dans la partie néerlandaise de l’île. Ces personnes sont ainsi considérées comme étant domiciliées fiscalement à Saint-Martin dès leur installation.
Le législateur organique avait en outre conçu la compétence fiscale de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy comme autorisant ces collectivités à imposer les revenus de source locale des personnes installées sur leur territoire sans toutefois remplir le critère de cinq ans de résidence.
Or, il y a près de deux ans, le Conseil d’État, saisi par le Gouvernement, a rejeté la « compétence de source » non seulement pour Saint-Martin, mais également pour Saint-Barthélemy, de sorte qu’il est devenu impossible pour ces deux collectivités de soumettre à des impôts définis par elles les revenus trouvant leur source sur leur territoire des contribuables qui y résident depuis moins de cinq ans.
Il devenait donc urgent de permettre à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy d’imposer, à raison des revenus trouvant leur source sur leurs territoires respectifs, les personnes ne satisfaisant pas aux conditions de résidence fiscale définies par la loi organique. Ainsi, la compétence de chacune des deux collectivités pour soumettre les personnes ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d’outre-mer aux impôts qu’elle définit, à raison des revenus et de la fortune qui prennent source sur son territoire, sera clairement établie.
Tel est l’objet de ces deux propositions de loi organique.
Cette compétence est affirmée sans préjudice de la compétence générale de l’État pour imposer ces personnes. Il s’agit de faire prévaloir, par cette disposition, l’interprétation de la loi organique correspondant à la volonté exprimée par le législateur en février 2007 sur celle qui a été retenue par le Conseil d’État dans son avis de décembre 2007.
Ces textes, on le voit bien, participent à l’effort accompli depuis l’an dernier pour mettre fin aux niches fiscales, notamment outre-mer.
Néanmoins, après avoir constaté ces difficultés à interpréter la loi, on peut regretter que l’État n’ait pas compensé toutes les recettes provenant des autres niveaux de collectivités perdues par Saint-Martin, comme la loi organique le prévoyait. Cette absence de compensation, bien entendu, ne fait que placer Saint-Martin dans la même situation que les autres collectivités territoriales françaises : en réalité, dans ce domaine, il ne faut pas attendre grand-chose de l’État !
Je le dis avec d’autant plus de force qu’en ce moment même les maires de France, en particulier ceux d’outre-mer, sont réunis, comme tous les ans, à l’hôtel de ville de Paris, à la veille de l’ouverture officielle du congrès des maires de France et, surtout, à quelques jours du débat sur la suppression de la taxe professionnelle qui aura lieu ici même. Ce débat sera, à n’en pas douter, décisif pour toutes les collectivités territoriales de France, et donc d’outre-mer…
Madame le ministre, mes chers collègues, la majorité des membres du groupe RDSE s’abstiendra sur les deux textes qui nous sont aujourd’hui présentés. Pour ma part, en tant que sénateur de la Guadeloupe et en dépit des observations que je viens de formuler, je prends acte des avancées contenues dans ces textes. En responsabilité, pour accompagner mes collègues dans leur volonté de clarifier leurs missions et leurs compétences, je les voterai. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi donc il existe des propositions de loi sur lesquelles il importe de statuer au plus vite et qui méritent que le Gouvernement en appelle à la procédure accélérée !
C’est en effet devant deux objets législatifs pour le moins déroutants que nous sommes placés aujourd’hui, avec une proposition de loi organique modifiant le code général des collectivités territoriales et sa partie relative à Saint-Martin, d’un côté, et une proposition de loi organique relative au système fiscal applicable à Saint-Barthélemy, de l’autre.
Faut-il rappeler que, voici deux ans, la Guadeloupe s’est trouvée amputée de ce que l’on appelle les îles du Nord, c’est-à-dire la partie française de l’île de Saint-Martin et l’île de Saint-Barthélemy ? Nous ne reviendrons évidemment pas sur l’histoire et le fait, entre autres, que si les populations locales étaient favorables à l’émergence de deux nouvelles collectivités territoriales, il n’en allait pas de même pour la Guadeloupe, qui avait manifesté son désaccord avec cette scission des îles du Nord.
Nous voici donc aujourd’hui avec une collectivité territoriale de Saint-Martin comptant environ 35 000 habitants et une collectivité territoriale de Saint-Barthélemy en comptant un peu plus de 8 000.
Le renouvellement sénatorial de septembre 2008 a doté notre assemblée d’un représentant de chacune de ces deux collectivités, nos collègues MM. Magras et Fleming ayant chacun été élus par moins de vingt électeurs. Il s’en est fallu de peu que deux sièges de député soient également créés, un pour chaque collectivité là encore. Mais le Conseil constitutionnel a, si je puis dire, mis le holà, au nom du respect de l’équité démographique.
Le moment venu, notamment lors de la discussion du projet de loi relatif au découpage électoral en vue des élections législatives, il faudra sans doute se demander à nouveau s’il est souhaitable que 20 000 électeurs puissent déléguer deux représentants à l’Assemblée nationale – ou même seulement un – ou s’il ne serait pas plus logique qu’ils continuent à participer, comme par le passé, à l’élection du député de la quatrième circonscription de la Guadeloupe.
M. Robert del Picchia. Ce débat est clos !
Mme Odette Terrade. On notera que, lors du dernier scrutin européen, le taux de participation a atteint un peu plus de 11 % à Saint-Martin et un peu moins de 15 % à Saint-Barthélemy, données qui ne permettent en aucun cas de tirer les moindres conclusions quant à l’attachement des résidents à la collectivité nationale.
Notre groupe a déjà eu l’occasion de pointer les différences existant entre les deux collectivités territoriales.
Saint-Martin, en raison de la proximité d’un territoire néerlandais, est vouée à une économie touristique de masse, accueillant une foule que l’on espère croissante de retraités nord-américains suffisamment argentés, dont le séjour requiert le recrutement intensif d’un personnel venu de l’ensemble de la Caraïbe et des Antilles. Cette vocation engendre de fait une économie dépendante de l’évolution des cours respectifs du dollar et de l’euro, des retombées de l’activité touristique et des services associés, dans un contexte de moins-disant fiscal permanent, notamment dans la partie hollandaise de l’île.
La position géographique de Saint-Martin, entre les États-Unis et l’Amérique latine, en fait par ailleurs un point stratégique pour les échanges de services, notamment bancaires et financiers, entre les différentes parties du continent.
Ce sont donc les activités commerciales, liées au tourisme, et les activités de services qui guident l’économie locale.
Dans son plus récent rapport, celui de 2008, l’Institut d’émission d’outre-mer mettait en exergue, parmi les problèmes récurrents de l’économie locale, la dissimulation de salariés, la fausse sous-traitance – l’île compte en effet plus de 4 000 entreprises pour 35 000 habitants –, la dissimulation d’activité et la dissimulation d’heures supplémentaires.
C’est donc à une économie dont la production réelle est pratiquement impossible à déterminer que nous donnerions, en adoptant le texte concernant Saint-Martin, un système fiscal en grande partie « localisé ».
Saint-Barthélemy, pour sa part, s’apparente à un quartier huppé de la capitale ou de la banlieue ouest qui serait venu se fixer au milieu des Antilles. Là encore, l’économie touristique et les services liés occupent une place déterminante dans la production d’une richesse destinée à une population « choisie », plutôt aisée et plus européenne qu’antillaise.
Dans les deux cas, quoi qu’il en soit, un point essentiel est l’existence d’un univers fiscal particulièrement favorable aux entreprises et aux plus hauts revenus : aucun impôt de solidarité sur la fortune n’est dû dans les deux territoires, l’impôt sur le revenu y est allégé, la taxe sur la valeur ajoutée ne s’applique pas à Saint-Martin, etc.
Les deux textes qui nous sont soumis ne visent, dans les faits, qu’à donner force de loi aux codes fiscaux propres à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, déjà en vigueur, ainsi qu’à affirmer l’existence de deux paradis fiscaux sur le territoire de notre pays.
Dans le cas de Saint-Martin, ce paradis exclut cependant les bénéficiaires de la prime pour l’emploi, la PPE, celle-ci ayant fait l’objet d’une abrogation par le conseil territorial, au motif d’un coût trop élevé. Dans celui de Saint-Barthélemy, il est une réalité pour nombre de résidents qui semblent continuer d’avoir quelques difficultés à s’acquitter des impôts normalement dus.
Les deux textes qui nous sont présentés ne visent in fine qu’à préserver les apparences, d’autant qu’on semble compter sur la diligence des chambres de commerce pour établir avec une plus grande précision la réalité de la matière fiscale et que les revenus, quel que soit leur mode d’imposition, pourront continuer de bénéficier, dans les deux îles du Nord, d’un traitement assez particulier, pour tout dire très éloigné du principe de l’égalité devant l’impôt…
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera évidemment aucune de ces deux propositions de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’a cessé, chacun en convient, de démontrer sa détermination à permettre à chaque collectivité d’outre-mer d’adopter sa propre trajectoire, en décidant de son évolution statutaire.
D’ailleurs, vous vous êtes prononcés, en juillet dernier, sur la départementalisation de Mayotte, qui est l’aboutissement d’un processus historique, et vous aurez à débattre, dans quelques semaines, des consultations qui se dérouleront en Guyane et en Martinique en janvier prochain.
Les communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont choisi, lors de la consultation de 2003, un destin différent de celui de la Guadeloupe. Les interventions des sénateurs Michel Magras et Louis-Constant Fleming ont d’ailleurs rappelé que cette évolution statutaire recouvre deux réalités très différentes. Elle a entraîné de nombreux transferts de compétences, les deux collectivités nouvelles assumant aujourd’hui les compétences de la région, du département et des communes.
Parce qu’ils ont identifié des points de blocage concrets, après deux ans d’exercice, les sénateurs Fleming et Magras ont chacun pris l’initiative de déposer une proposition de loi organique visant à adapter les institutions locales aux besoins spécifiques de leurs collectivités.
Permettez-moi de vous rappeler qu’en juillet dernier, lors du vote des projets de loi organique et ordinaire sur l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte, le Gouvernement s’était montré favorable à ce que ces propositions de loi organique soient examinées rapidement. L’ordre du jour parlementaire l’a conduit à soutenir la démarche de MM. Fleming et Magras…
M. Bernard Frimat. Il aurait mieux fait de présenter un projet de loi !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. … afin de respecter l’échéance du 31 décembre 2009 et d’éviter d’avoir à utiliser un autre véhicule législatif, au risque d’y introduire des dispositions pouvant être considérées comme des cavaliers.
Je ne vais pas revenir sur l’ensemble des dispositions des deux textes qui sont débattus aujourd’hui. Je souhaite simplement souligner leur vertu de clarification.
Monsieur le rapporteur, vous avez utilement rappelé l’origine des divergences actuelles d’interprétation de la loi organique.
Il est important de reconnaître aux deux collectivités le droit d’imposer l’ensemble des revenus de source locale, y compris pour les personnes qui y sont établies depuis moins de cinq ans. Les conventions fiscales viendront régler les situations de double imposition. Voilà l’enjeu principal de ces deux textes.
Si ces deux propositions de loi organique sont adoptées avant le 31 décembre 2009, ces mesures concerneront les revenus de 2009. Elles auront donc une incidence financière dès 2010, et l’on sait combien c’est important pour les deux collectivités en question.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’insiste sur cet impératif de calendrier, qui a incité le Gouvernement à demander l’examen de ces textes selon la procédure accélérée.
En effet, Saint-Martin connaît de graves difficultés de trésorerie. M. Fleming vient de décrire cette situation, qui appelle des réponses rapides. Le dispositif que vous allez adopter aujourd’hui est donc déterminant pour résorber ce déficit, qui a des origines diverses. Parmi celles-ci, je mentionnerai avant tout la perte des recettes d’octroi de mer. Le manque à gagner est de douze millions d’euros, qu’il faut compenser par des recettes nouvelles.
Toutefois, ce déficit a aussi des causes structurelles. C’est pourquoi le Gouvernement a diligenté à Saint-Martin, dès le mois d’octobre, une mission des inspections générales des finances et de l’administration, afin d’aider la collectivité à faire face à ses difficultés de trésorerie et à mieux organiser le recouvrement des impôts.
Quant à Saint-Barthélemy, monsieur Magras, je relève que l’intérêt de votre proposition de loi organique est double.
D’une part, elle permettra la taxation des plus-values immobilières sur la résidence principale, ce qui favorisera la lutte contre les phénomènes de spéculation immobilière.
D’autre part, elle permettra à l’État de percevoir les cotisations sociales qui s’appliquent aux revenus et aux biens imposés par la collectivité.
Cette proposition de loi vise en fait à parachever le statut de collectivité autonome de Saint-Barthélemy.
Je remercie le groupe de l’UMP d’avoir choisi d’inscrire à son ordre du jour réservé ces deux propositions de loi organique.
M. Bernard Frimat. Ce n’est pas son ordre du jour réservé !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Je me félicite du grand intérêt suscité par l’outre-mer au Sénat. Votre assemblée avait déjà pris l’initiative d’une mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer, sujet dont j’ai pu débattre avec vous le 20 octobre dernier.
Enfin, je tiens à saluer l’initiative et la proactivité de MM. Fleming et Magras, dont les propositions de loi organique vont permettre d’améliorer les statuts de leurs collectivités, dans un souci de transparence et d’efficacité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
Saint-Martin
M. le président. Nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin.
Chapitre Ier
Fixation des règles en matière d’impôts, droits et taxes
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Fleming, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l'article L. O. 6314-3 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu'elle exerce sa compétence dans les matières mentionnées au 1°, la collectivité peut fixer comme règles de perception et de procédure celles prévues en matière douanière par les lois et règlements de l'État. »
La parole est à M. Louis-Constant Fleming.
M. Louis-Constant Fleming. Les dispositions de l'article L. O. 6314-3 du code général des collectivités territoriales ne prévoient pas le transfert au bénéfice de la collectivité de Saint-Martin de la compétence de fixation des règles en matière douanière.
Toutefois, certaines impositions, maintenues ou instituées par la collectivité de Saint-Martin, telles que celles qui sont assises sur des volumes de marchandises identifiés chez des importateurs, par exemple la taxe de consommation sur les produits pétroliers, relèvent nécessairement des règles de perception et de procédure prévues par la législation et la réglementation en matière douanière. Cet amendement a pour objet de clarifier la base juridique des prélèvements concernés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Cet amendement, qui se comprend très bien, peut sembler pertinent, mais il est apparu inutile à la commission des lois.
En effet, la compétence visée appartient à la collectivité. Il n’incombe donc pas à la loi d’en préciser les modalités. Si la collectivité est compétente, c’est à elle de décider ce qu’elle veut faire.
M. Bernard Frimat. Exactement !
M. Christian Cointat, rapporteur. Il n’est pas nécessaire que la loi précise les choses. Ce serait même dangereux, car cela impliquerait que tout ce qui n’est pas précisé dans la loi n’est pas autorisé. Ne donnons pas de grain à moudre à la puissance publique, qui a parfois du mal à comprendre que la loi est un cadre à l’intérieur duquel chacun exerce ses compétences et ses responsabilités.
Voilà pourquoi, mon cher collègue, tout en comprenant votre préoccupation, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. À travers cet amendement, monsieur Fleming, vous souhaitez clarifier et préciser les choses, mais nous partageons l’analyse de M. le rapporteur : dans le cadre législatif actuel, le conseil territorial est d’ores et déjà compétent. Il serait donc souhaitable, monsieur le sénateur, que vous retiriez votre amendement.
M. le président. Monsieur Fleming, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Louis-Constant Fleming. La garantie m’ayant été publiquement donnée – le compte rendu de nos travaux en fera foi – que la collectivité de Saint-Martin dispose bien de la compétence en question, je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.
Article 1er
I. — L’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Aux premier et second alinéas du 1°, les mots : « est établi » sont remplacés par les mots : « était, dans les cinq ans précédant leur établissement à Saint-Martin, établi » ;
b) Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d’outre-mer, ou étant réputées l’avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions en vigueur dans ces départements ;
« Sans préjudice des dispositions de l'alinéa précédent, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions définies par la collectivité de Saint-Martin pour les revenus ou la fortune trouvant leur source sur le territoire de cette collectivité. » ;
c) Le dernier alinéa est supprimé ;
1° bis (nouveau) Après le I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Les modalités d’application du I sont précisées par une convention conclue entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
« Avant l’entrée en vigueur de cette convention, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d’outre-mer ou à Saint-Martin, ont droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt dû dans le territoire où se situe leur domicile fiscal au titre de l’exercice ou de l’année civile au cours desquels le crédit est constaté, à raison des revenus provenant de l’autre territoire.
« Ce crédit d’impôt, égal à l’impôt effectivement acquitté à raison de ces revenus dans l’autre territoire, ne peut excéder la fraction d’impôt due au titre de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. Corrélativement, l’impôt acquitté à raison de ces revenus dans l’autre territoire n’est pas déductible de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. » ;
2° Le II est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette convention définit les modalités de rétribution des agents de l’État. » ;
b) Il est ajouté deux alinéas ainsi rédigés :
« Les impôts directs et les taxes assimilées de la collectivité sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par le représentant de l’État dans la collectivité. Celui-ci peut déléguer ses pouvoirs au directeur des services fiscaux compétent pour l’application de l’impôt dans la collectivité de Saint-Martin.
« Des personnels de la collectivité de Saint-Martin, placés sous l’autorité de l’administration de l’État, peuvent apporter leur concours à l’exécution des opérations visées au premier alinéa. »
II. – Le 1° et le 1° bis du I s’appliquent aux revenus afférents, suivant le cas, à toute année civile ou tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2010 et à l'impôt sur la fortune établi à compter de l'année 2010.
Les conséquences financières résultant pour l’État de l’application du I sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
III (nouveau). – Au cours de la dixième année suivant l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, l’application des conditions de résidence définies au 1° du I de l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales fait l’objet d’un rapport d’évaluation. Ce rapport est transmis aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat avant la onzième année suivant l’entrée en vigueur de ladite loi organique.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Extrêmement favorable ! (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Cointat, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :
IV.- Le dernier alinéa de l'article L. O. 6380-1 du code général des collectivités territoriales est supprimé.
V.- La perte de recettes résultant pour Saint-Martin des dispositions du IV est compensée par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement.
VI.- La perte de recettes résultant pour l'État du V est compensée par la majoration à due concurrence des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. L’explication que je vais donner nous permettra peut-être de mieux comprendre les raisons qui motivent l’examen de ces deux propositions de loi organique.
Lorsque nous avons élaboré la loi DSIOM de 2007 que j’évoquais tout à l’heure, nous avons peut-être voulu être trop subtils, et nous n’avons pas traité Saint-Martin de la même manière que Saint-Barthélemy.
En effet, alors que Saint-Barthélemy était une commune prospère de la Guadeloupe, Saint-Martin connaissait de grandes difficultés financières. De plus, une partie de Saint-Martin appartenait, comme on l’a dit, aux Antilles néerlandaises, qui témoignent d’un dynamisme tout à fait particulier.
Nous avons donc pensé qu’il serait normal d’appliquer ce que j’appellerai le « droit commun » à Saint-Barthélemy. Les personnes physiques ou morales, de nationalité française ou étrangère, qui résident à Saint-Barthélemy mais n’y ont pas, en application de la règle des cinq ans, leur résidence fiscale, sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole.
Quant à Saint-Martin, nous avons d’abord souhaité que la règle des cinq ans de résidence ne s’applique qu’aux personnes dont le domicile fiscal était précédemment établi dans un département de métropole ou d’outre-mer, et non aux contribuables dont le domicile fiscal était établi à l’étranger ou dans une autre collectivité d’outre-mer.
Ensuite, compte tenu des difficultés de recouvrement que nous avions constatées, nous avons pensé qu’il était préférable que l’État se substitue à la collectivité, prélève l’impôt et le reverse.
Voilà pourquoi une certaine ambiguïté est apparue, et c’est vraisemblablement à cause de cette trop grande subtilité que le Conseil d’État a cru que le législateur voulait une compétence exclusive en matière fiscale. En réalité, elle ne concernait que Saint-Martin, puisqu’il était prévu que l’État rembourse les sommes qu’il avait prélevées.
Ces difficultés d’interprétation nous ont incités à clarifier les choses et à ne plus faire de distinction : compétence de source et même traitement pour tout le monde.
Dans ces conditions, puisque la collectivité de Saint-Martin a la compétence de source pour tous les revenus –traitements, salaires, revenus du capital – et peut donc imposer directement les personnes qui, bien que n’étant pas encore domiciliées fiscalement sur le territoire de Saint-Martin, y résident physiquement, il n’y a plus de raison que l’État rembourse ce qu’il n’aura pas prélevé.
Il est donc impératif de supprimer le dernier alinéa de l'article L. O. 6380-1 du code général des collectivités territoriales, pour que l’État ne soit pas lésé.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le rapporteur, sous réserve que vous acceptiez de rectifier votre amendement en en supprimant les paragraphes V et VI, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Monsieur le rapporteur, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens souhaité par Mme la ministre?
M. Christian Cointat, rapporteur. Je ne peux que me réjouir de cette levée de gages, et je rectifie bien volontiers mon amendement.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Cointat, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
IV.- Le dernier alinéa de l'article L. O. 6380-1 du code général des collectivités territoriales est supprimé.
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – L’article L.O. 6353-4 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 5° Agréments et décisions desquels dépend le bénéfice d’un avantage prévu par la règlementation fiscale de la collectivité. »
II. – Après l’article L.O. 6353-4 du même code, il est inséré un article L.O. 6353-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L.O. 6353-4-1. – Le conseil exécutif peut participer à la désignation des membres des commissions administratives en matière fiscale, dans les conditions fixées par la réglementation fiscale de la collectivité. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Fleming, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Nonobstant les dispositions du II de l'article L. O. 6314-4, le conseil exécutif procède à la détermination de l'assiette et à la liquidation des taxes auxquelles donnent lieu les autorisations de construire et les autorisations d'utilisation et d'occupation du sol. Le conseil peut déléguer ses pouvoirs au responsable du service de l'urbanisme de la collectivité. »
La parole est à M. Louis-Constant Fleming.
M. Louis-Constant Fleming. La proposition de loi prévoyait à l'origine, à son article 4, deux dispositions distinctes. La commission a supprimé cet article dans sa globalité.
Si la suppression de la première disposition, ayant pour objet de conserver au conseil exécutif sa compétence en matière de délivrance des permis de construire, ne pose pas de problème, la suppression de la seconde disposition, touchant aux règles en matière d'assiette individuelle et de liquidation des taxes d'urbanisme, notamment de la taxe territoriale d'équipement créée par la collectivité de Saint-Martin en remplacement de la taxe locale d'équipement, présente un inconvénient sérieux.
En effet, l’article L. O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales réserve les opérations d’assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts, droits et taxes de la collectivité aux agents de l'État. Or l'administration fiscale de l'État à Saint-Martin ne dispose ni des agents ni des informations nécessaires à l'application individuelle de taxes d'urbanisme qui sont généralement assises et liquidées par les services d'urbanisme des collectivités dont les autorités sont compétentes en matière de permis de construire.
Le présent amendement, qui reprend la seconde disposition de l'article 4, vise à donner la possibilité au service de l'urbanisme de la collectivité, agissant par délégation de l'autorité compétente, de déterminer l'assiette individuelle et de liquider la taxe due à l'occasion de la délivrance d'un permis de construire.
Le conseil exécutif restant l'autorité compétente pour délivrer les permis de construire, il est logique de prévoir qu'il puisse également procéder aux opérations concernées, sous réserve de la faculté de délégation autorisant le bon fonctionnement, en pratique, du dispositif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Le II de l’article L. O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales est particulièrement explicite. Il répartit et définit clairement les compétences. La commission des lois a déjà introduit des aménagements à cet article en raison des difficultés rencontrées par la collectivité de Saint-Martin. Nous avons notamment fait inscrire dans la loi organique de février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer que la convention doit définir les modalités de rétribution des agents de l’État. Il a également été ajouté que des personnels de la collectivité de Saint-Martin placés sous l’autorité de l’administration de l’État peuvent apporter leur concours à l’exécution des opérations de recouvrement des impôts, droits et taxes de la collectivité.
Nous avons donc véritablement introduit dans cet article tous les éléments dont la collectivité de Saint-Martin a besoin pour exercer ses compétences, et il n’est pas nécessaire d’aller plus loin sur ce point.
De plus, cet amendement comporte un aspect tout à fait préoccupant. L’application de son dispositif reviendrait en effet à transférer les compétences du conseil territorial au conseil exécutif, ce qui ne correspond nullement à l’esprit de la loi organique de février 2007, dont nous devons respecter l’économie générale. C’est la raison pour laquelle la commission des lois ne peut donner un avis favorable à cet amendement.
Je souhaiterais souligner une nouvelle fois que puisque la loi confie clairement la compétence en matière fiscale à la collectivité, celle-ci a toute latitude pour l’exercer, d’autant que la commission des lois a levé les dernières difficultés en complétant le texte de la loi organique de 2007.
Dans ces conditions, mon cher collègue, je vous invite à retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement fait sienne cette analyse et considère qu’il s’agit de précisions relatives à la répartition des compétences entre le conseil territorial et le conseil exécutif. Le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat, à moins que M. Fleming ne retire son amendement…
M. le président. Monsieur Fleming, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Louis-Constant Fleming. Encore une fois, je suis satisfait d’entendre affirmer dans cette enceinte que la collectivité de Saint-Martin a toutes les compétences. Son président, qui assiste à nos débats, en aura lui aussi pris acte. Dans ces conditions, je retire l’amendement.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Chapitre II
Compétences du président du conseil territorial et du conseil exécutif
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Frimat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cette division et son intitulé.
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Puisqu’ils sont liés, je présenterai les amendements nos 3, 4 et 5 simultanément.
Si je peux comprendre qu’il soit urgent de régler un problème fiscal, il me semble déplacé de profiter de cette occasion pour essayer de modifier des dispositions statutaires entrées en application voilà deux ans à peine, ce qui ne nous donne pas le recul nécessaire pour les évaluer.
Tel est l’esprit dans lequel j’ai déposé ces trois amendements de suppression. Il convient que le texte soit conforme au titre du rapport de M. Cointat et ne porte que sur l’imposition des revenus de source locale.
J’ajoute, madame la ministre, qu’il n’y a pas d’espace réservé à l’UMP dans l’ordre du jour, puisque la Constitution n’en a prévu que pour les groupes minoritaires et d’opposition. Ces textes viennent en discussion aujourd’hui parce que la conférence des présidents a jugé qu’il fallait donner satisfaction à leurs auteurs dans le cadre de la semaine d’initiative sénatoriale, pour remédier à l’inertie du Gouvernement depuis deux ans.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Je suis un peu embarrassé, car lorsque j’ai commencé à examiner ces deux propositions de loi organique, j’ai d’abord partagé l’analyse de M. Frimat : il me semblait que nous devions nous attacher uniquement à résoudre le problème fiscal soulevé par leurs auteurs, lui seul présentant un véritable caractère d’urgence. J’ai donc failli déposer des amendements identiques à ceux de M. Frimat…
M. Bernard Frimat. Laissez-vous aller ! (Sourires.)
M. Christian Cointat, rapporteur. Cependant, après avoir dialogué avec M. Fleming et pris l’attache de personnes concernées par ces questions, il nous est apparu que, peut-être, il serait utile d’apporter quelques aménagements mineurs ne portant pas sur le volet fiscal. Pour qui connaît Saint-Martin, ces aménagements ne sont cependant pas si négligeables.
Cela étant, je ferai observer que nous n’avons conservé qu’une faible partie du texte initial de M. Fleming. Peut-être eût-il été préférable d’insérer ces dispositions dans la loi organique DSIOM, mais, dans la mesure où elles ne sont pas d’une portée considérable, il nous a semblé opportun de profiter du véhicule législatif intéressant que nous proposait M. Fleming.
Je me suis donc laissé convaincre, monsieur Frimat, et peut-être suivrez-vous mon exemple en retirant vos amendements !
M. Bernard Frimat. N’y comptez pas trop !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Compte tenu du contexte à Saint-Martin, nous considérons que les dispositions en question sont nécessaires, notamment en matière environnementale. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Madame la ministre, mes amendements ne portent pas sur les dispositions environnementales du texte. Il reviendra donc au Conseil constitutionnel de déclarer s’il s’agit de cavaliers ou non : je me contente d’ouvrir l’écurie ! (Sourires.)
Par ailleurs, M. Cointat nous dit que le projet de loi organique de 2007 était mal rédigé, imprécis et incomplet.
M. Christian Cointat, rapporteur. Je n’ai pas dit cela !
M. Bernard Frimat. Je comprends donc qu’il puisse vouloir améliorer ce texte, mais si le recours à la procédure accélérée peut se justifier quand il s’agit de pallier la carence gouvernementale, il n’est pas nécessaire en ce qui concerne les dispositions du chapitre II. Nous maintenons donc nos amendements.
Enfin, je donne acte du fait que le texte concernant Saint-Barthélemy s’en tient strictement aux questions fiscales.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Le Conseil constitutionnel ayant validé le chapitre sur l’environnement que nous avions ajouté au texte relatif à la Nouvelle-Calédonie, nous nous sommes sentis autorisés à procéder de la même manière pour ces propositions de loi concernant Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Nous agirons de même, bien sûr, pour les autres collectivités d'outre-mer.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3
I. – L’article L.O. 6352-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le président du conseil territorial peut charger chacun des membres du conseil exécutif d’animer et de contrôler un secteur de l’administration de la collectivité. »
II. – L’article L.O. 6353-3 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est supprimé ;
2° La deuxième phrase du second alinéa est complétée par les mots : « en application de l’article L.O. 6352-3 ».
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Frimat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 4.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je rappelle que l’article 4 a été supprimé par la commission.
Article 5
(Non modifié)
La seconde phrase du premier alinéa de l’article L.O. 6322-2 du même code est complétée par les mots : «, et sans que les dispositions de l’article L.O. 6321-22 trouvent à s’appliquer à la réunion du conseil territorial convoquée à cette fin ».
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Frimat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
La commission et la Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
CHAPITRE III
Dispositions relatives à l’environnement
(Division et intitulé nouveaux)
Article 5 bis (nouveau)
I. – Le premier alinéa de l’article L.O. 6323-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le conseil économique, social et culturel comprend en outre des représentants d’associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de l’environnement et des personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence en matière d’environnement et de développement durable. »
II. – Après l’article L.O. 6351-11 du même code, il est inséré un article L.O. 6351-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L.O. 6351-11-1. – Avant l'examen du projet de budget de la collectivité, le président du conseil territorial présente au conseil territorial le rapport du conseil exécutif sur la situation de Saint-Martin en matière de développement durable et sur les orientations et programmes visant à améliorer cette situation. » – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Jacques Gillot, pour explication de vote.
M. Jacques Gillot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je partage totalement l’analyse de M. Frimat, et j’étais donc tenté de m’abstenir, comme l’ensemble du groupe socialiste. Cependant, compte tenu de la stratégie financière de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy et par solidarité avec ces deux collectivités, je voterai les deux textes.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. J’ai dit tout à l’heure que nous ne nous opposerions pas à ces textes. Cependant, nos amendements ayant été refusés, nous nous abstiendrons.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 211 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 106 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 22 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jacques Gillot et Daniel Marsin applaudissent également.)
SAINT-BARTHÉLEMY
M. le président. Nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy.
Article 1er
I. – Le I de l’article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions en vigueur dans ces départements ;
« Sans préjudice des dispositions de l'alinéa précédent, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d'outre-mer, ou étant réputées l'avoir en vertu des dispositions du 1°, sont soumises aux impositions définies par la collectivité de Saint-Barthélemy pour les revenus ou la fortune trouvant leur source sur le territoire de cette collectivité. » ;
2° Le dernier alinéa est supprimé.
II. – Après le I de l’article L.O. 6214-4 du même code, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Les modalités d’application du I sont précisées par une convention conclue entre l’État et la collectivité de Saint-Barthélemy en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
« Avant l’entrée en vigueur de cette convention, les personnes physiques ou morales ayant leur domicile fiscal dans un département de métropole ou d’outre-mer ou à Saint-Barthélemy, ont droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt dû dans le territoire où se situe leur domicile fiscal au titre de l’exercice ou de l’année civile au cours desquels le crédit est constaté, à raison des revenus provenant de l’autre territoire.
« Ce crédit d’impôt, égal à l’impôt effectivement acquitté à raison de ces revenus dans l’autre territoire, ne peut excéder la fraction d’impôt due au titre de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. Corrélativement, l’impôt acquitté à raison de ces revenus dans l’autre territoire n’est pas déductible de ces mêmes revenus dans le territoire où se situe leur domicile fiscal. »
III. – Le I et le II s'appliquent aux revenus afférents, suivant le cas, à toute année civile ou tout exercice commençant à compter du 1er janvier 2010 et à l'impôt sur la fortune établi à compter de l'année 2010.
Les conséquences financières résultant pour l’État de l’application du II sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
IV. – Au cours de la dixième année suivant l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, l’application des conditions de résidence définies au 1° du I de l’article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales fait l’objet d’un rapport d’évaluation. Ce rapport est transmis aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat avant la onzième année suivant l’entrée en vigueur de ladite loi organique.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Cet amendement, comme le suivant, a pour objet la suppression d’un gage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
I. – Le deuxième alinéa de l’article L.O. 6223-1 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le conseil économique, social et culturel comprend en outre des représentants d’associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de l’environnement et des personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence en matière d’environnement et de développement durable. »
II. – Après l’article L.O. 6251-11 du même code, il est inséré un article L.O. 6251-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L.O. 6251-11-1. – Avant l'examen du projet de budget de la collectivité, le président du conseil territorial présente au conseil territorial le rapport du conseil exécutif sur la situation de Saint-Barthélemy en matière de développement durable et sur les orientations et programmes visant à améliorer cette situation. » – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Les pertes de recettes résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Favorable.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je voudrais remercier tous les intervenants dans ce débat, et clarifier deux points à l’intention notamment de M. Frimat et de Mme Terrade.
En 1996 et en 1998, le congrès de Guadeloupe s’est prononcé, à la quasi-unanimité, pour la transformation de Saint-Barthélemy en collectivité d’outre-mer. Par ailleurs, à Saint-Barthélemy, 95,5 % de la population a voté en faveur de l’évolution institutionnelle, le taux de participation s’élevant à 75,5 %.
En ce qui concerne le risque de voir Saint-Barthélemy devenir une terre d’évasion fiscale, je rappellerai simplement que la fiscalité locale ne s’applique qu’aux seuls revenus gagnés sur le territoire de la collectivité. Ainsi, bien que domicilié fiscalement à Saint-Barthélemy, j’acquitte à l’État les impôts sur les revenus tirés de ma fonction.
J’espère, par cette explication, vous avoir tous convaincus, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi organique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 76 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 210 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 106 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 22 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jacques Gillot et Daniel Marsin applaudissent également.)
7
Recherches sur la personne
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative aux recherches sur la personne (proposition n° 177 rectifié, texte de la commission n° 35, rapport n° 34).
Nous reprenons la discussion des articles, que nous avions dû interrompre au terme de notre séance du jeudi 29 octobre dernier.
Au sein de l’article 1er, nous en sommes parvenus à l’amendement n° 29.
Article 1er (suite)
I. – L’intitulé du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi rédigé : « Recherches clinique ou non-interventionnelle impliquant la personne humaine ».
II. – Le même titre est ainsi modifié :
1° L’article L. 1121-1 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Les deuxième à quatrième alinéas sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Il existe deux catégories de recherches sur la personne :
« 1° Les recherches interventionnelles, qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle.
« Parmi les recherches interventionnelles, on distingue celles qui ne portent pas sur des médicaments et ne comportent que des risques et des contraintes minimes dont la liste est fixée par voie réglementaire ;
« 2° Les recherches non-interventionnelles, qui ne comportent aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic, de traitement ou de surveillance, les actes étant pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle. » ;
c) La première phrase du cinquième alinéa est remplacée par une phrase ainsi rédigée :
« La personne physique ou la personne morale qui est responsable d’une recherche impliquant la personne humaine, en assure la gestion et vérifie que son financement est prévu est dénommée le promoteur. » ;
d) Au dernier alinéa, les mots : «, sur un même lieu ou » sont supprimés ;
e) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Si, sur un site, la recherche est réalisée par une équipe, l’investigateur est le responsable de l’équipe et peut être appelé investigateur principal. » ;
2° L’article L. 1121-3 est ainsi modifié :
a) Le sixième alinéa est ainsi rédigé :
« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et qui n’ont aucune influence sur la prise en charge médicale de la personne qui s’y prête peuvent être effectuées sous la direction et la surveillance d’une personne qualifiée. Le comité de protection des personnes s’assure de l’adéquation entre la qualification du ou des investigateurs et les caractéristiques de la recherche. Les recherches non interventionnelles peuvent être effectuées sous la direction et la surveillance d’une personne qualifiée en matière de recherche. » ;
b) À la deuxième phrase du septième alinéa, après les mots : « autres recherches », est inséré le mot : « interventionnelles » ;
c) Le septième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et les recherches non-interventionnelles, des recommandations de bonnes pratiques sont fixées par voie réglementaire. » ;
d) Au dernier alinéa, le mot : « biomédicale » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine » ;
3° L’article L. 1121-4 est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et les recherches non-interventionnelles ne peuvent être mises en œuvre qu’après avis favorable du comité de protection des personnes mentionné à l’article L. 1123-1.
« Lorsque les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 figurent sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, le comité de protection des personnes s’assure auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé que l’utilisation des produits sur lesquels porte la recherche ne présente que des risques négligeables.
« En cas de doute sérieux sur la qualification d’une recherche au regard des deux catégories de recherches impliquant la personne humaine définies à l’article L. 1121-1, le comité de protection des personnes peut saisir pour avis l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Le comité n’est pas tenu par l’avis rendu. » ;
4° Après l’article L. 1121-8, il est inséré un article L. 1121-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1121-8-1. – Les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale ou bénéficiaires d’un tel régime peuvent être sollicitées pour se prêter à des recherches impliquant la personne humaine si ces recherches sont non interventionnelles. » ;
5° Le cinquième alinéa de l’article L. 1121-11 est supprimé ;
5° bis (nouveau) L’article L. 1121-11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À titre dérogatoire, le comité de protection des personnes peut autoriser une personne qui n’est pas affiliée à un régime de sécurité sociale ou bénéficiaire d’un tel régime à se prêter à des recherches interventionnelles impliquant la personne humaine. Cette autorisation est motivée. » ;
6° À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1121-13, après les mots : « pour une durée déterminée, lorsqu’il s’agit de recherches », sont insérés les mots : « interventionnelles à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 » ;
7° L’article L. 1121-15 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et les recherches non-interventionnelles sont inscrites dans un répertoire rendu public dans des conditions définies par voie réglementaire.
« Les résultats des recherches impliquant la personne humaine sont rendus publics dans un délai raisonnable, dans des conditions définies par voie réglementaire. » ;
8° Au premier alinéa de l’article L. 1121-16, après les mots : « fichier national », sont insérés les mots : « consultable par tout investigateur » ;
9° L’article L. 1123-6 est ainsi rédigé :
« Avant de réaliser une recherche impliquant la personne humaine, le promoteur est tenu d’en soumettre le projet à l’avis du comité de protection des personnes désigné de manière aléatoire par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
« Toutefois, en cas d’avis défavorable du comité, le promoteur peut demander un second examen du dossier à la commission mentionnée à l’article L. 1123-1-1. » ;
9° bis (nouveau) Il est inséré un article L. 1123-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 1123-7. – Tout promoteur ayant son siège en France, envisageant de réaliser une recherche sur la personne dans un pays tiers à l’Union européenne, peut soumettre son projet à un comité de protection des personnes.
« Le comité de protection des personnes rend son avis sur les conditions de validité de la recherche au regard des principes énoncés à l’article L. 1121-2. » ;
10° À l’article L. 1123-9, après les mots : « du comité et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches interventionnelles à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, », et sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la demande de modification substantielle engendre un doute sérieux sur la qualification d’une recherche au regard des trois catégories de recherches impliquant la personne humaine définies à l’article L. 1121-1, le comité de protection des personnes saisit l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
« En cas d’avis défavorable du comité, le promoteur peut demander au ministre chargé de la santé de soumettre le projet de recherche, pour un second examen, à un autre comité désigné par le ministre, dans les conditions définies par voie réglementaire. » ;
11° Au 1° de l’article L. 1126-5, après les mots : « personnes et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches mentionnées au premier alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, » ;
12° L’article L. 1126-10 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1126-10. – Dans le cadre d’une recherche interventionnelle, le fait pour le promoteur de ne pas fournir gratuitement aux investigateurs les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs utilisés pour les administrer ainsi que, pour les recherches portant sur des produits autres que les médicaments, les produits faisant l’objet de la recherche est puni de 30 000 € d’amende. » ;
13° L’intitulé du chapitre II est ainsi rédigé : « Information de la personne qui se prête à une recherche impliquant la personne humaine et recueil de son consentement » ;
14° L’article L. 1122-1 est ainsi modifié :
a) Au 2°, après le mot : « attendus », sont insérés les mots : « et, dans le cas de recherches interventionnelles » ;
b) Au début des 3° et 4°, sont insérés les mots : « Dans le cas de recherches interventionnelles, » ;
c) Au 5°, après les mots : « mentionné à l’article L. 1123-1 et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches interventionnelles à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, » ;
d) Le huitième alinéa est ainsi rédigé :
« Il informe la personne dont la participation est sollicitée ou, le cas échéant, les personnes, organes ou autorités chargés de l’assister, de la représenter ou d’autoriser la recherche, de son droit de refuser de participer à la recherche ou de retirer son consentement ou, le cas échéant, son autorisation à tout moment, sans encourir aucune responsabilité ni aucun préjudice de ce fait. » ;
e) À la première phrase du neuvième alinéa, les mots : « ne porte que sur des volontaires sains et » sont supprimés ;
f) (nouveau) La deuxième phrase du dernier alinéa est remplacée par une phrase ainsi rédigée : « À l’issue de la recherche, la personne qui s’y est prêtée est informée de la date effective de la fin de recherche et de la date limite de recevabilité d’une première réclamation éventuelle ; son droit de recevoir les résultats globaux de cette recherche et les modalités correspondantes lui sont rappelées. » ;
g) (nouveau) Au premier alinéa, les mots : « ou un médecin qui le représente, » sont remplacés par les mots : « un médecin qui le représente ou, lorsque l’investigateur est un professionnel de santé qualifié ou une personne qualifiée en matière de recherche, le professionnel de santé qualifié ou la personne qualifiée en matière de recherche qui le représente » ;
15° L’article L. 1122-1-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1122-1-1. – Aucune recherche interventionnelle ne peut être pratiquée sur une personne sans son consentement libre et éclairé, recueilli par écrit ou, en cas d’impossibilité, attesté par un tiers, après que lui a été délivrée l’information prévue à l’article L. 1122-1. Ce dernier doit être totalement indépendant de l’investigateur et du promoteur.
« Aucune recherche non-interventionnelle ne peut être pratiquée sur une personne lorsqu’elle s’y est opposée. » ;
16° L’article L. 1122-1-2 est ainsi modifié :
a) Dans la première phrase, le mot : « biomédicales » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine » et, après les mots : « qui y sera soumise, », sont insérés les mots : « lorsqu’il est requis, » ;
b) (nouveau) Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Le protocole peut prévoir une dérogation à cette obligation en cas d’urgence vitale immédiate laissée à l’appréciation de ce comité. » ;
17° L’article L. 1122-2 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
a bis) (nouveau) Après le quatrième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une personne mineure se prêtant à une recherche devient majeure dans le cours de sa participation, la confirmation de son consentement est requise après délivrance d’une information appropriée. » ;
a ter) (nouveau) Après le dernier alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’au moment de la date de la fin de la recherche la personne mineure qui s’y est prêtée a acquis la capacité juridique, elle devient personnellement destinataire de toute information communiquée par l’instigateur ou le promoteur. » ;
b) Le III est ainsi rédigé :
« III. – Le consentement prévu au huitième alinéa du II est donné dans les formes de l’article L. 1122-1-1. Les autorisations prévues aux premier, sixième, huitième et neuvième alinéas du même II sont données par écrit. » ;
18° (nouveau) La dernière phrase du cinquième alinéa de l’article L. 1521-5 et la dernière phrase du seizième alinéa de l’article L. 1541-4 du code de la santé publique sont supprimées.
III. – Le titre II du livre Ier de la première partie du même code est ainsi modifié :
1° Aux articles L. 1121-1, L. 1121-2, L. 1122-1, L. 1122-2, L. 1123-6, L. 1126-3, L. 1126-5 et L. 1126-7 et au premier alinéa des articles L. 1121-10 et L. 1121-11, les mots : « recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « recherche impliquant la personne humaine » ;
2° Au premier alinéa des articles L. 1121-2 et L. 1123-6, les mots : « sur l’être humain » sont supprimés ;
3° Au troisième alinéa de l’article L. 1121-3, les mots : « l’essai » sont remplacés par les mots : « la recherche » ;
4° Aux premier et cinquième alinéas de l’article L. 1121-3, au deuxième alinéa de l’article L. 1121-11, au premier alinéa de l’article L. 1121-13 et au 12° de l’article L. 1123-14, le mot : « biomédicales » est supprimé ;
4° bis Au premier alinéa de l’article L. 1121-14, le mot : « biomédicale » est supprimé ;
5° À la première phrase du septième alinéa de l’article L. 1121-3 et du troisième alinéa de l’article L. 1121-11, aux articles L. 1121-15, L. 1121-16, L. 1125-2 et L. 1125-3, le mot : « biomédicales » est remplacé par le mot : « interventionnelles » ;
6° Aux articles L. 1121-4, L. 1121-12, L. 1123-8, L. 1123-11 et L. 1125-1, le mot : « biomédicale » est remplacé par le mot : « interventionnelle » ;
7° Aux articles L. 1121-5, L. 1121-6, L. 1121-7 et L. 1121-8 le mot : « biomédicales » est remplacé par les mots : « interventionnelles » ;
8° À l’article L. 1121-9 et au quatrième alinéa de l’article L. 1121-10, le mot : « biomédicale » est remplacé par les mots : « interventionnelle » ;
8° bis (nouveau) Le quatrième alinéa de l’article L. 1121-10 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans le cas où la personne qui s’est prêtée à la recherche est âgée de moins de dix-huit ans au moment de la fin de celle-ci, ce délai minimum court à partir de la date de son dix-huitième anniversaire. » ;
9° (Supprimé)
10° À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 1121-10, les mots : « La recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « Toute recherche interventionnelle » ;
11° a) (Supprimé)
b) Au deuxième alinéa de l’article L. 1123-11, le mot : « administrative » est supprimé ;
c) Le quatrième alinéa de l’article L. 1123-11 est ainsi rédigé :
« Le promoteur avise le comité de protection des personnes compétent et l’autorité compétente mentionnée à l’article L. 1123-12 du début et de la fin de la recherche impliquant la personne humaine et indique les raisons qui motivent l’arrêt de cette recherche quand celui-ci est anticipé. » ;
12° Le quatrième alinéa de l’article L. 1121-11 est supprimé ;
13° À la première phrase de l’article L. 1123-2, le mot : « biomédical » est remplacé par les mots : « de la recherche impliquant la personne humaine » ;
14° À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 1121-13 et au dernier alinéa de l’article L. 1125-1, le mot : « biomédicales » est supprimé et, à l’article L. 1126-10, le mot : « biomédicale » est supprimé ;
15° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 1123-10, après le mot : « recherche », sont insérés les mots : « impliquant la personne humaine » et, à la première phrase du second alinéa du même article, après la référence : « L. 1123-9 », sont insérés les mots : « et pour toutes recherches impliquant la personne humaine » ;
16° Le dernier alinéa de l’article L. 1123-12 est supprimé ;
16° bis (nouveau) L’article L. 1122-1-2 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, le mot : « biomédicales » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine » ;
b) À la première phrase, après les mots : « personne qui y sera soumise », sont insérés les mots : « lorsqu’il est requis » ;
c) Dans l’avant-dernière phrase, après les mots : « L’intéressé est informé dès que possible et son consentement », sont insérés les mots : « lorsqu’il est requis » ;
17° Au 9° de l’article L. 1123-14, les mots : « l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé » sont remplacés par les mots : « la Haute Autorité de santé », et le même article est complété par un 13° ainsi rédigé :
« 13° Le champ des recherches interventionnelles. »
IV. – L’article L. 1221-8-1 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « biomédicale, », la fin de la deuxième phrase et la troisième phrase sont remplacées par les mots : « soit dans le cadre d’une recherche impliquant la personne humaine. » et, à la dernière phrase, les mots : « lorsque le sang ou ses composants sont prélevés ou utilisés dans le cadre d’une activité de recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « relatives aux recherches impliquant la personne humaine » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés.
IV bis. – Au dernier alinéa de l’article L. 1333-4 du même code, le mot : « biomédicale » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine ».
IV ter. – Le 2° de l’article L. 1521-5 du même code est ainsi rédigé :
« 2° À l’article L. 1121-11, le dernier alinéa n’est pas applicable ; ».
V. – (Supprimé)
VI. – Les deux premiers alinéas de l’article 223-8 du code pénal sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le fait de pratiquer ou de faire pratiquer sur une personne une recherche interventionnelle sans avoir recueilli le consentement libre, éclairé et, le cas échéant, écrit de l’intéressé, des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur ou d’autres personnes, autorités ou organes désignés pour consentir à la recherche ou pour l’autoriser, dans les cas prévus par le code de la santé publique, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
« Les mêmes peines sont applicables lorsque la recherche interventionnelle est pratiquée alors que le consentement a été retiré.
« Les mêmes peines sont applicables lorsqu’une recherche non-interventionnelle est pratiquée alors que la personne s’y est opposée. »
VII. – Dans l’ensemble des autres dispositions législatives, les mots : « recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « recherche impliquant la personne humaine », et les mots : « recherches biomédicales » sont remplacés par les mots : « recherches impliquant la personne humaine ».
VIII. – (nouveau) Les types de tests de produits cosmétiques ou alimentaires non soumis à l’examen des comités de protection des personnes sont déterminés par arrêté du ministre en charge de la santé pris après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
M. le président. L'amendement n° 29, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Remplacer les mots :
mentionnées au premier alinéa du 1° de l'article L. 1121-1
par le mot :
interventionnelles
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la commission des affaires sociales. Il s’agit d’un amendement de coordination, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. About, Amoudry, Borotra et Deneux, Mmes Dini et Férat, M. A. Giraud, Mmes Morin-Desailly et Payet et MM. Pignard et Vanlerenberghe, est ainsi libellé :
Alinéa 47
Après les mots :
Dans le cadre d'une recherche interventionnelle
insérer les mots :
, à l'exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Cet amendement a pour objet de faire sortir de la catégorie des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro nécessairement fournis gratuitement par leurs promoteurs ceux d'entre eux qui sont le fruit de recherches interventionnelles ne comportant que des risques et des contraintes minimes.
Cet amendement n'a pas à être gagé, puisque son adoption n'impliquerait nullement une augmentation des charges de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. About, Amoudry, Borotra et Deneux, Mmes Dini et Férat, M. A. Giraud, Mmes Morin-Desailly et Payet et MM. Pignard et Vanlerenberghe, est ainsi libellé :
Alinéa 47
Après le mot :
investigateurs
insérer les mots :
pendant la durée de la recherche
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec le troisième alinéa de l'article 2 de la proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 30, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 52
Supprimer cet alinéa
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il s’agit à nouveau d’un amendement de coordination, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes David, Hoarau, Pasquet et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 56
Après les mots : « résultats globaux de cette recherche, », sont insérés les mots : « après consultation du comité de protection des personnes concerné, » ;
La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Les comités de protection des personnes, les CPP, ont pour mission de veiller sur les participants à un protocole de recherche médicale. Ils sont ainsi chargés de concilier ce qui relève de la protection individuelle des personnes et ce qui comporte un intérêt pour toute la société dans le champ de la recherche médicale.
De ce fait, les CPP doivent être saisis obligatoirement pour émettre des avis sur les protocoles. Ils rendent ainsi des avis délibératifs sur les projets de recherche biomédicale et des avis consultatifs sur les collections d’échantillons biologiques humains ou sur les projets de recherche visant à évaluer les soins courants.
Dans le prolongement du code de Nuremberg, les comités de protection des personnes sont chargés non seulement de veiller au libre consentement des personnes qui se soumettent aux recherches médicales, mais aussi de faire en sorte que ce consentement soit éclairé. C’est ainsi que la loi Huriet-Sérusclat leur a confié, dès leur création, le contrôle a priori de l’information délivrée aux candidats.
L’amendement n° 21 vise à étendre la compétence des CPP au contrôle a posteriori de l’information délivrée aux personnes s’étant prêtées à des recherches.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Adopter la mesure proposée alourdirait la procédure et confronterait les CPP aux résultats de la recherche, alors qu’il est prévu de leur confier un rôle exclusivement éthique.
La commission vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement, monsieur Autain.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement était favorable à cet amendement… (Mme la présidente de la commission des affaires sociales rit.)
En effet, cette proposition me semble de qualité, dans la mesure où il est effectivement essentiel que l’information délivrée soit intelligible pour les participants à la recherche. Cette extension de compétence s’inscrit pleinement dans les missions des CPP.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. À la suite des observations de Mme la ministre, la commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. L’amendement n° 23 rectifié bis, qui doit maintenant être appelé en discussion, a été déposé très tardivement par le Gouvernement. Je vous demande, monsieur le président, de bien vouloir suspendre la séance quelques minutes, afin que la commission puisse l’étudier.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente, est reprise à vingt-trois heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
L'amendement n° 23 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 60
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
« Le comité de protection des personnes peut, par exception au premier alinéa de l'article L. 1122-1-1, autoriser qu'au sein des recherches mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 1121-1, une recherche en santé publique soit réalisée sous réserve que les conditions suivantes soient réunies :
« - la recherche a pour objet d'améliorer la santé publique ;
« - la recherche ne porte pas sur un produit mentionné à l'article L. 5311-1 ;
« - la recherche n'est effectuée ni sur des personnes qui font l'objet d'une mesure de protection légale, ni sur des personnes majeures hors d'état d'exprimer leur consentement, ni sur des personnes privées de liberté, ni sur des personnes hospitalisées sans leur consentement, ni sur des personnes admises dans un établissement sanitaire et social à d'autres fins que la recherche ;
« - le recueil du consentement individuel, écrit et exhaustif pour l'ensemble des personnes concernées est rendu matériellement quasi impossible du fait de la nature de la recherche ou de ses exigences méthodologiques ;
« - les personnes concernées doivent être informées collectivement, préalablement au début de la recherche, de la nature de la recherche, de leur possibilité de refuser d'y participer. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. En imposant de recueillir l’avis d’un comité de protection des personnes pour toutes les recherches impliquant la personne humaine, cette proposition de loi marque un vrai progrès.
Bien entendu, il est indispensable que les modalités de recueil du consentement soient adaptées à la nature de la recherche et aux risques que les personnes encourent éventuellement. Nous en avons déjà longuement débattu : il n’y a aucune raison de prévoir les mêmes exigences pour les recherches interventionnelles, qui comportent un degré de risque certain, et pour des recherches en santé publique, pour lesquelles ces dangers sont minimes, pour ne pas dire nuls.
Il ne faut pas que des contraintes disproportionnées rendent impossibles certaines recherches, par exemple celles qui porteraient sur l’évaluation de campagnes d’information, d’éducation ou d’application de règles d’hygiène. Il serait tout de même extravagant d’exposer les investigateurs à trois ans de prison s’ils ne respectent pas strictement les modalités formelles de recueil du consentement ! Nous risquerions même d’étouffer ces recherches en créant des barrières presque infranchissables.
Je propose donc que le CPP puisse autoriser les recherches impliquant la personne humaine, et uniquement celles-ci, à la condition que les personnes concernées bénéficient d’une information collective sur la recherche, à laquelle elles auront bien évidemment la possibilité de ne pas participer.
L’amendement a pour objet de préciser que ces recherches ne peuvent porter, bien entendu, ni sur les produits de santé ni sur les populations vulnérables. Par ailleurs, grâce à l’adoption d’un amendement de Mme le rapporteur le 23 octobre dernier, si le protocole prévoit une séquence comportant une intervention individuelle, telle qu’une vaccination ou un traitement, un consentement écrit sera automatiquement requis pour cette séquence.
En outre, la proposition de loi prévoit que le niveau de risque est apprécié par les CPP, qui ont ainsi la possibilité de requalifier la recherche si celle-ci ne remplit pas les conditions énoncées dans l’amendement en question, après avoir interrogé l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, s’ils le souhaitent.
Ainsi, puisque cette catégorie de recherche n’est soumise pour l’instant à aucun comité de protection, l’amendement vise à élever le niveau d’exigence par rapport à la législation en vigueur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Cet amendement me semble complexe et plein de sous-entendus.
En effet, il est sous-tendu par la nécessité d’un recueil du consentement, puisqu’il fait référence au cas où le recueil du consentement individuel est rendu matériellement quasiment impossible. D’ailleurs, qu’est-ce, dans un tel cas, qu’une quasi-impossibilité matérielle ?
En outre, je suis très réservée sur le principe de l’information collective des participants. Est-ce à dire que le temps des chercheurs est trop précieux pour être consacré à expliquer précisément aux patients ce à quoi ils s’engagent ?
Enfin, la dérogation prévue au profit des recherches présentant un risque minimal revient sur le fondement même des principes posés par la commission. Cette dernière a indiqué que le consentement écrit ne serait pas nécessaire quand une recherche comporte un volet interventionnel, mais qu’il serait obligatoire quand elle implique une intervention sur la personne.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 31, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 74
Supprimer la référence :
L. 1123-6,
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il s'agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 32, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 75
Remplacer les mots :
des articles
par les mots :
de l'article
et supprimer la référence :
et L. 1123-6
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il s'agit également d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 39 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 93
Remplacer les mots :
« impliquant la personne humaine »
par les mots :
« interventionnelles à l'exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1 ».
II. - Après l'alinéa 93
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Le premier alinéa de l'article L. 1123-10 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les évènements et les effets indésirables, définis pour chaque type de recherches mentionnées au second alinéa du 1°) de l'article L. 1121-1 et pour les recherches non-interventionnelles, sont notifiés respectivement de l'investigateur au promoteur et par le promoteur à l'autorité compétente. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. J’ai déjà longuement évoqué le rôle des CPP. Ceux-ci donnent des avis sur les recherches, mais ils n’ont pas pour mission de suivre ces dernières.
S’ils sont aujourd'hui destinataires des informations relatives aux événements indésirables graves, les CPP sont incapables d’exploiter utilement ces notifications, dont ils sont d’ailleurs submergés.
De surcroît, il s'agit d’une procédure redondante, puisque l’AFSSAPS est déjà destinataire de toutes les informations relatives à la vigilance, y compris donc celles qui portent sur les événements et les effets indésirables, et dispose seule de pouvoirs d’inspection et de police sanitaires.
Il convient donc de mieux cibler cette obligation de notification, tout en respectant la directive européenne de 2001, qui impose la notification des effets indésirables graves aux CPP et à l’autorité compétente, uniquement pour les recherches interventionnelles à risque.
Très logiquement, l’amendement que je vous présente, mesdames, messieurs les sénateurs, a donc pour objet de limiter l’obligation de notification aux CPP des événements et des effets indésirables au seul périmètre des recherches interventionnelles à risque. Il s'agit d’un amendement de simple bon sens !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’information des comités de protection des personnes sur les événements indésirables survenus lors des recherches interventionnelles à risque minime ou des recherches observationnelles.
La commission n’a pas souhaité limiter ainsi l’information des comités de protection des personnes sur les événements indésirables, puisque celle-ci doit, le cas échéant, leur permettre de s’assurer que les personnes participant au protocole de recherche ont bien été informées et que leur consentement est maintenu, même si le risque est minime – par exemple, s’il existe un risque d’infarctus de l’ordre de 1 %.
Il est vrai, madame la ministre, que les comités de protection des personnes sont techniquement désarmés pour traiter un à un les événements indésirables qui leur sont notifiés, contrairement à l’AFSSAPS, mais cette observation est valable pour tous les types de recherche. Il faut que les comités de protection des personnes puissent se prononcer sur des synthèses.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. La commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. L’abondance des notifications de cas individuels noie les comités de protection des personnes sous un déluge d’informations !
M. François Autain. Ils ne se plaignent pas !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ces données sont totalement inutilisables !
Il n’est pas question de priver les comités de protection des personnes d’information ! Les cas d’effets indésirables provoqués par des recherches sont notifiés à l’AFSSAPS, qui transmet une synthèse aux comités de protection des personnes. Il va de soi que ceux-ci sont informés s’agissant des recherches interventionnelles.
M. le président. L'amendement n° 22 rectifié, présenté par Mmes Procaccia, Desmarescaux, Giudicelli et Debré, MM. Milon, Laménie et Lardeux et Mme Bout, est ainsi libellé :
Alinéa 113
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cet arrêté est pris dans les deux mois à compter de la publication de la présente loi.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Je le reprends au nom de la commission, monsieur le président !
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 22 rectifié bis.
Vous avez la parole pour le présenter, madame la présidente de la commission.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. L'enjeu, pour les sociétés du secteur des cosmétiques ou de l'alimentaire, est suffisamment important pour qu'un délai de parution de l'arrêté prévu à l’alinéa 113 de l’article soit fixé.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Si Mme Procaccia avait été là, je lui aurais demandé de retirer cet amendement, qui vise à imposer au pouvoir réglementaire de prendre dans un délai de deux mois, à compter de la publication de la loi, l’arrêté qui exemptera certains types de tests de produits cosmétiques ou alimentaires de l’examen d’un comité de protection des personnes.
Je partage le souci de l’auteur de l'amendement et le vôtre, madame la présidente de la commission, de voir les textes d’application de la loi publiés rapidement, car il faut que tous les acteurs, y compris les promoteurs et les patients, puissent bénéficier des avancées permises par le texte.
Toutefois, je ne peux pas m’engager à ce que cet arrêté paraisse dans un délai aussi court ! Certains d’entre vous connaissent certainement le mécanisme de publication des textes réglementaires, notamment les impératifs à observer en matière de concertation. J’en appelle à votre bon sens, car nous ne pouvons avoir une approche complètement théorique et déconnectée de la réalité !
M. le président. Madame la présidente de la commission, l'amendement n° 22 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Ayant entendu l’appel au bon sens de Mme la ministre, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 22 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'article 1er.
M. Jean-Pierre Godefroy. En procédant à un mélange des genres entre des recherches de nature différente, cet article tend à banaliser les recherches biomédicales, ce qui risque d’être préjudiciable à la protection des personnes, en raison notamment de la dénaturation du rôle des CPP.
En effet, si ce texte crée bien un socle commun à l’ensemble des recherches sur la personne, il ne permettra pas pour autant, aux termes du rapport de Mme Hermange, « aux comités de protection des personnes de juger du caractère éthique de toutes les recherches menées et [ne] mettra [pas] fin aux contournements possibles par le jeu des qualifications entre recherche biomédicale, recherche en soins courants et recherche observationnelle ».
Pour les recherches interventionnelles qui ne portent pas sur les médicaments et ne comportent que des risques et des contraintes minimes – nous vous avons d’ailleurs interrogée sur la notion de « contraintes minimes », madame la ministre –, comme pour les recherches non interventionnelles, les chercheurs pourront saisir à leur guise les comités de protection des personnes. En effet, si ces derniers auront peut-être besoin d’un avis favorable du comité de protection des personnes pour publier les résultats de leurs recherches, il n’en ira pas de même pour mettre celles-ci en œuvre !
La raison en est simple : si l’article 1er complète bien l’article L. 1121-4 du code de la santé publique, en prévoyant que ces recherches ne peuvent être mises en œuvre qu’après avis favorable du comité de protection des personnes, en revanche aucune sanction pénale n’est prévue en cas de manquement à cette obligation ! La proposition de loi limite le champ de l’infraction aux seules recherches interventionnelles, qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par la prise en charge habituelle. Est-ce un oubli ? L’absence de sanction ne peut que rendre nulle la volonté que vous affichez de protéger les personnes participant à des recherches impliquant la personne humaine et rétablira l’opacité qui entoure certaines pratiques.
Par ailleurs, un amendement tendant à ouvrir, par voie dérogatoire, la possibilité d’effectuer des recherches sur des personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale a été adopté à l’article 1er. Nous avons souligné que nous ne pouvons l’accepter. En effet, il s’agira bien souvent de personnes migrantes ou sans papiers. Comment pourra-t-on les identifier et les retrouver pendant la durée de la recherche, qui pourra atteindre plusieurs mois ? Ces personnes auront-elles la certitude de pouvoir rester sur le territoire français pendant cette période ou seront-elles toujours expulsables ? De deux choses l’une : ou bien elles sont expulsables, et à quoi bon alors les intégrer au protocole de recherche ; ou bien elles ne le sont pas, ce qui risque de les amener à accepter de participer à un protocole de recherche pour bénéficier d’un traitement, d’une part, et pour éviter d’être reconduites à la frontière, d’autre part.
Enfin, comment, en cas de problème, retrouvera-t-on les personnes ayant participé à un protocole de recherche une fois qu’elles auront été reconduites à la frontière ? Quels seront leurs moyens de recours ? Comment pourront-elles faire valoir leurs droits en cas de problème lié au protocole de recherche ?
Comme nous n’avons obtenu aucune réponse à ces questions, et même si nous reconnaissons que, grâce au travail de la commission des affaires sociales, ce texte contient des avancées très importantes par rapport au texte de l’Assemblée nationale, nous nous abstiendrons sur cet article. Toutefois, il s’agit d’une abstention plutôt positive. (M. Robert del Picchia s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Je souhaite rendre hommage au travail de la commission des affaires sociales, en particulier de Mme le rapporteur, qui a permis d’améliorer considérablement cet article.
Ainsi, les recherches non interventionnelles ont été tirées du vide juridique dans lequel elles se trouvaient. Il s’agit là d’une avancée réelle.
Cela étant, il faut prendre en considération les inquiétudes légitimes exprimées par M. Godefroy. Je reconnais qu’intégrer à un protocole de recherche des personnes qui ne sont pas couvertes par l’assurance maladie présente un risque. Néanmoins, dans la mesure où ce ne pourra être qu’à titre dérogatoire, après avis motivé du comité de protection des personnes, nous disposons à mon sens d’une garantie suffisante. C'est la raison pour laquelle le groupe CRC-SPG votera cet article.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
L’article L. 1121-16-1 du code la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 1121-16-1. – On entend par recherches à finalité non commerciale, les recherches interventionnelles dont les résultats ne sont pas exploités à des fins lucratives, qui poursuivent un objectif de santé publique et dont le promoteur ou le ou les investigateurs sont indépendants à l’égard des entreprises qui fabriquent ou qui commercialisent les produits faisant l’objet de la recherche.
« Pendant la durée de la recherche interventionnelle, le promoteur fournit gratuitement les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs médicaux utilisés pour les administrer, ainsi que, pour les recherches portant sur des produits autres que les médicaments, les produits faisant l’objet de la recherche.
« Les caisses d’assurance maladie prennent en charge les produits faisant l’objet de recherches à finalité non commerciale dans les conditions suivantes :
« 1° Les médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché ou faisant l’objet d’une autorisation temporaire d’utilisation mentionnée au a de l’article L. 5121-12, inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 5123-2 ou sur la liste prévue à l’article L. 5126-4, ainsi que les produits inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ou pris en charge au titre des prestations d’hospitalisation mentionnées à l’article L. 162-22-6 du même code, lorsqu’ils sont utilisés dans le cadre d’une recherche à finalité non commerciale autorisée dans les conditions ouvrant droit au remboursement ;
« 2° À titre dérogatoire, les médicaments ou produits faisant l’objet d’une recherche interventionnelle autorisée à finalité non commerciale ou d’une recherche mentionnée au 2° de l’article L. 1121-1, ayant reçu l’avis favorable d’un comité de protection des personnes, à finalité non commerciale, lorsqu’ils ne sont pas utilisés dans des conditions ouvrant droit au remboursement, sous réserve de l’avis conforme de la Haute Autorité de santé et de l’avis conforme de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie. Ces instances s’assurent de l’intérêt de ces recherches pour la santé publique et notamment pour l’amélioration du bon usage et pour l’amélioration de la qualité des soins et des pratiques. La décision de prise en charge est prise par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.
« Dans les cas mentionnés aux 1° et 2° du présent article, le promoteur de la recherche s’engage à rendre publics les résultats de sa recherche.
« Lorsque la recherche ayant bénéficié d’une prise en charge ne répond plus à la définition d’une recherche à finalité non commerciale, le promoteur reverse les sommes engagées pour les recherches concernées aux régimes d’assurance maladie selon les règles prévues à l’article L. 138-8 du code de la sécurité sociale. Le reversement dû est fixé par décision des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale après que le promoteur concerné a été mis en mesure de présenter ses observations. Le produit du reversement est recouvré par les organismes mentionnés à l’article L. 213-1 du même code désignés par le directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Le recours présenté contre la décision fixant ce reversement est un recours de pleine juridiction. Les modalités d’application du présent alinéa sont fixées par décret. »
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Printz, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, Alquier et Campion, M. Cazeau, Mmes Chevé et Demontès, MM. Daudigny et Desessard, Mme Ghali, MM. Gillot, Jeannerot et S. Larcher, Mme San Vicente-Baudrin, M. Teulade et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. L’article L. 1121-16-1 du code de la santé publique définit les conditions de prise en charge par l’assurance maladie des médicaments utilisés dans le cadre d’une recherche biomédicale.
Actuellement, cette prise en charge intégrale ne s’applique que si le promoteur de la recherche est public.
Or, selon le rapport Jardé sur la médecine légale, cette disposition, introduite par la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, serait contraire au droit communautaire, notamment à l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne, puisqu’elle se fonde sur une distinction de catégorie juridique pour justifier une aide d’État.
L’article prévoit donc de substituer à la notion de promoteur public celle d’essai non commercial. En s’attachant à la finalité de la recherche plutôt qu’à la nature du promoteur, l’article permettra que la prise en charge intégrale par l’assurance maladie s’applique que le promoteur soit public ou privé.
On comprend bien la démarche : pour rendre le promoteur privé éligible à la prise en charge par l’assurance maladie et pour faire taire les suspicions, il est créé une catégorie des recherches à finalité non commerciale.
Or définir ce que sont des « recherches à finalité non commerciale » n’est pas évident. Le concept est même assez incohérent.
Faire référence à des recherches à finalité non commerciale sous-entend qu’il existe des recherches à finalité commerciale. Par ailleurs, la catégorie des recherches à finalité non commerciale au sens strict exclut a priori tout dépôt de brevet. Le flou qui entoure cette définition ne risque-t-il pas d’aboutir à un élargissement du champ de prise en charge par l’assurance maladie à l’ensemble des promoteurs ?
Face à ce risque, qui n’est pas neutre pour une sécurité sociale dont on connaît déjà l’ampleur du déficit, peut-on se contenter d’invoquer l’intérêt d’une telle disposition pour la recherche institutionnelle, notamment pour les recherches comparatives entre médicaments ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il s’agit d’un problème complexe.
La suppression de cet article serait une perte pour la recherche institutionnelle. En effet, la notion de recherche à finalité non commerciale, catégorie dont le régime est défini par cet article, découle d’une directive européenne relative aux essais cliniques sur les médicaments.
Le Parlement européen a estimé qu’à côté des recherches destinées à déboucher sur une autorisation de mise sur le marché, il fallait prévoir un cadre légal simplifié pour les recherches médicales qui, sans aboutir à une commercialisation, permettent cependant un gain en matière de santé publique.
Certains estiment que les recherches à finalité non commerciale ne produisent pas d’innovations et ne sont donc pas de la véritable recherche. Pourtant, cette catégorie recouvre toutes les recherches que les laboratoires n’ont aucun intérêt à mener, par exemple des études comparant les effets de deux médicaments pour une même pathologie ou tendant à déterminer la forme de prise en charge la plus efficace pour une pathologie.
De telles recherches sont rarement sources de profits, mais elles sont sources d’économies et de mieux-être pour les malades. De fait, presque toutes sont prises en charge par les acteurs institutionnels de la recherche, comme les CHU. Il n’est donc pas anormal que des dispositions financières spécifiques leur soient consacrées.
Par ailleurs, les recherches qui aboutiraient à une découverte ayant un potentiel commercial peuvent parfaitement être achetées par un laboratoire qui remboursera alors l’assurance maladie du financement de la recherche.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable et sollicite le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Alors que nous venons à peine d’achever l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je suis, à l’évidence, extrêmement attentive, tout comme M. Godefroy, à préserver les ressources de l’assurance maladie.
Pour autant, comme l’a excellemment souligné Mme le rapporteur, un certain nombre de recherches qui ne seront jamais financées par les laboratoires peuvent revêtir un intérêt très important pour l’assurance maladie.
En tout état de cause, la commission prévoit que, lorsqu’une recherche initialement non commerciale devient commerciale, le promoteur académique qui demande une AMM pour un produit qu’il a développé remboursera à l’assurance maladie les charges qu’elle a supportées.
Cet amendement, qui part certainement d’une bonne intention, est superflu, voire contre-productif. Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Nous soutiendrons cet amendement de suppression, car force est de constater que la rédaction proposée par l’article 2 pour l’article L. 1121-16-1 du code de la santé publique est beaucoup moins claire que celle du texte actuellement en vigueur.
Tout d’abord, je m’étonne du manque de clarté de cet article qui vise à la prise en charge par les caisses d’assurance maladie du financement des recherches interventionnelles dont les résultats ne sont pas exploités à des fins lucratives.
Ensuite, la distinction entre la recherche fondamentale et la recherche à finalité commerciale ne me semble pas pertinente. Elle ne serait concevable que si elle se référait à la qualité du promoteur et non pas à celle de la recherche, dont il est difficile de déterminer a priori la nature et la finalité, comme vous l’avez d’ailleurs indiqué, madame la ministre.
Ainsi, nombre de recherches académiques peuvent être menées dans la perspective d’exploiter des innovations au travers d’un brevet. S’agit-il alors de « recherches à finalité commerciale » ?
À cet égard, l’article du code de la santé publique en vigueur avait le mérite de réserver la prise en charge par l’assurance maladie aux recherches effectuées par des promoteurs clairement énumérés dans le texte. Il n’y avait donc aucune ambiguïté. Je rappelle qu’il pouvait s’agir d’un organisme public de recherche, d’une université, d’un établissement public de santé, d’un établissement de santé privé d'intérêt collectif, ou ESPIC, d’un établissement public ou de toute autre personne physique ou morale n’ayant pas de but lucratif.
L’article 2 de la proposition de loi soulève également d’autres questions : quelle instance sera chargée de statuer sur les liens, ou l’absence de liens, entre les entreprises commercialisant les produits et les promoteurs ou les investigateurs de ces recherches ? Ils ne seront même plus tenus de fournir une déclaration attestant leur indépendance à l’égard des entreprises qui fabriquent les produits concernés.
Si cet article organise le financement a priori des recherches et prévoit un remboursement de l’indu pour le cas où l’étude changerait de nature en cours de route et deviendrait lucrative, il ne précise pas les modalités de cette opération. Qui va constater ce changement de nature ? Est-ce au promoteur d’en faire la déclaration ?
Voilà un certain nombre de questions qui restent sans réponse, ce qui m’oblige à voter cet amendement de suppression.
On aurait mieux fait, me semble-t-il, d’en rester à la rédaction actuelle du code de la santé publique.
M. le président. Monsieur Godefroy, l’amendement n° 13 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, monsieur le président, je le maintiens !
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. About, Amoudry, Borotra et Deneux, Mmes Dini et Férat, M. A. Giraud, Mmes Morin-Desailly et Payet et MM. Pignard et Vanlerenberghe, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
interventionnelle
insérer les mots :
, sauf si celle-ci figure au nombre de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
M. François Autain. Le groupe CRC-SPG vote contre !
M. Jean-Pierre Godefroy. Le groupe socialiste également.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
I. – L’article L. 1123-7 du code de la santé publique est ainsi modifié :
a) Au troisième alinéa, après les mots : « obtenir le consentement éclairé », sont insérés les mots : «, pour vérifier l’absence d’opposition » ;
b) Après le dixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – la pertinence scientifique et éthique des projets de constitution de collections d’échantillons biologiques au cours de recherches impliquant la personne humaine. » ;
c) Au onzième alinéa, après les mots : « de recherche », il est inséré le mot : « interventionnelle » ;
d) Le treizième alinéa est ainsi rédigé :
« Outre les missions qui leur sont confiées en matière de recherches impliquant la personne humaine, les comités sont également consultés en application des dispositions dérogatoires à l’obligation d’information des personnes prévues à l’article L. 1211-2. »
II. – L’article L. 1243-3 du même code est ainsi modifié :
a) Le troisième alinéa est supprimé ;
b) Au quatrième alinéa, après les mots : « à l’exercice des activités ainsi déclarées si », sont insérés les mots : « la finalité scientifique de l’activité n’est pas établie, si », et la dernière phrase du même alinéa est supprimée ;
c) Les sixième et dernier alinéas sont supprimés ;
d) Le septième alinéa est ainsi rédigé :
« Les activités prévues au premier alinéa exercées dans le cadre d’une recherche impliquant la personne humaine sont régies par les dispositions spécifiques à ces recherches. »
III. – L’article L. 1243-4 du même code est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, après les mots : « la conservation et la préparation de tissus et cellules », sont insérés les mots : «, des organes, du sang, de ses composants et de ses produits dérivés issus » ;
b) À la première phrase du même alinéa, les mots : « dans le cadre d’une activité commerciale, », « , y compris à des fins de recherche génétique », « , après avis du comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé, prévu à l’article 40-2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée » et la deuxième phrase du même alinéa sont supprimés ;
c) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Les activités prévues au premier alinéa exercées dans le cadre d’une recherche impliquant la personne humaine sont régies par les dispositions spécifiques à ces recherches. »
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Le troisième alinéa est complété par les mots : « ou, le cas échéant, pour vérifier l'absence d'opposition » ;
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
e) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Sur demande auprès du comité de protection des personnes concerné, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a accès à toutes informations utiles relatives aux recherches mentionnées au second alinéa du 1°) et au 2°) de l'article L. 1121-1. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Cet amendement vise à rendre obligatoire la transmission à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, à sa demande, par un comité de protection des personnes, de toutes les informations utiles concernant un projet de recherche, afin de permettre à l’Agence d’exercer ses fonctions d’inspection et de police sanitaire. À l’évidence, l’exercice de ces fonctions ne relève pas des CPP.
Le périmètre de compétences ayant été étendu par la proposition de loi à l’ensemble des catégories de recherche impliquant la personne humaine, l’AFSSAPS pourra ainsi obtenir les informations dont elle a besoin pour toutes les catégories de recherche impliquant la personne, y compris les recherches non interventionnelles.
L’exercice par l’Agence de son pouvoir de police sanitaire est un élément essentiel des garanties que nous offrons aux personnes quant au respect de leurs droits, et prend toute sa justification avec l’extension du périmètre de la loi aux recherches non interventionnelles.
Cet amendement, s’il est adopté, permettra de sécuriser le droit des personnes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Cet amendement complétant l’information de l’AFSSAPS, la commission émet bien évidemment un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 36.
(L'amendement est adopté à l'unanimité des présents.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article additionnel après l'article 3
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 1131-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1131-1-1 ainsi rédigé :
« L. 1131-1-1 - Par dérogation aux dispositions de l'article 16-10 du code civil et du premier alinéa de l'article L. 1131-1, l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins de recherche scientifique peut être réalisé à partir d'éléments du corps de cette personne prélevés à d'autres fins, lorsque cette personne, dûment informée de ce projet de recherche, n'a pas exprimé son opposition. Lorsque la personne est un mineur ou un majeur en tutelle, l'opposition est exercée par les titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur.
« Il peut être dérogé à l'obligation d'information prévue à l'alinéa précédent lorsque celle-ci se heurte à l'impossibilité de retrouver la personne concernée. Dans ce cas, le responsable de la recherche doit consulter avant le début des travaux de recherche un comité de protection des personnes qui s'assurera que la personne ne s'était pas opposée à l'examen de ses caractéristiques génétiques et émettra un avis sur l'intérêt scientifique de la recherche.
« Lorsque la personne concernée a pu être retrouvée, il lui est demandé au moment où elle est informée du projet de recherche si elle souhaite être informée en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux recherches dont les résultats sont susceptibles de permettre la levée de l'anonymat des personnes concernées. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement vise à mettre en place un régime ad hoc de recueil du consentement en cas d'utilisation de prélèvements pour une finalité autre que celle qui était initialement envisagée, conformément à la recommandation du Conseil d'État formulée dans la quatrième partie du rapport du groupe de travail sur la révision des lois relatives à la bioéthique.
En effet, lorsque des éléments du corps humain ont été prélevés à des fins thérapeutiques ou de recherche et font l'objet d'une conservation, il peut être utile et pertinent d'utiliser ces prélèvements anciens pour mener des recherches après l'apparition de nouvelles pistes ou de nouvelles méthodes de recherche.
Cependant, en l'état actuel de la législation, cela est extrêmement difficile, car les dispositions encadrant l'examen des caractéristiques à des fins scientifiques sont très contraignantes à l'égard des recherches envisagées sur des collections d'échantillons existants, prélevés dans le cadre du traitement ou de la recherche sur une maladie donnée, lorsque ces recherches visent à compléter les études antérieures par des analyses génétiques.
Les chercheurs soulignent, en effet, qu'ils ne savent généralement pas, au moment du prélèvement d'échantillons biologiques, quels seront les prolongements nécessaires de leurs recherches, tout particulièrement en génétique. Il peut être difficile de retrouver ultérieurement les personnes concernées pour obtenir leur consentement, en raison notamment de déménagements ou même de décès.
Or de telles recherches peuvent présenter un réel intérêt scientifique et thérapeutique : il en est ainsi de ce protocole de recherche sur le virus de l'immunodéficience humaine, ou VIH, à partir d'échantillons collectés dans les années quatre-vingt, avant l'apparition des trithérapies, et dont les donneurs sont pour une partie décédés. Leur consentement à des recherches ultérieures avait été obtenu, quoiqu'il ne fût pas obligatoire à l'époque. Des recherches sur une nouvelle ligne de médicaments contre le SIDA ont pu être ainsi conduites sans devoir laisser hors champ les personnes décédées et les « perdus de vue », comme les dispositions actuelles l'auraient imposé en l'absence de consentement.
Ce nouveau régime est largement inspiré de celui de l'article L. 1211-2 du code de la santé publique, applicable lorsque la nouvelle recherche ne porte pas sur les caractéristiques, et réservé aux cas où les recherches ne permettent pas d'obtenir des données à caractère identifiant sur les personnes concernées. Il prévoit notamment que, lorsque la personne sur laquelle a été opéré le prélèvement peut être retrouvée, elle doit être informée préalablement de la recherche envisagée et, lorsqu'il est impossible de retrouver la personne concernée, y compris si celle-ci est décédée, la modification de l'objet initial du prélèvement est soumise à l'évaluation d'un CPP.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. C’est un problème qui avait été soulevé par le Conseil d’État.
La commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.
(L'amendement est adopté à l'unanimité des présents.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
Article 4
I. – Le dernier alinéa de l’article L. 1123-1 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Les comités sont dotés de la personnalité juridique de droit public. Ils exercent leur mission en toute indépendance. »
II. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 4 bis
Le troisième alinéa de l’article L. 5126-1 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Toutefois, dans le cadre des recherches interventionnelles autorisées, à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, la pharmacie à usage intérieur d’un établissement de santé peut, à titre exceptionnel et dans des conditions fixées par décret, distribuer les produits, substances ou médicaments nécessaires à la recherche à d’autres pharmacies à usage intérieur d’établissements de santé où la recherche est réalisée. » – (Adopté.)
Article 4 ter
À l’article L. 1125-3 du code de la santé publique, les mots « mentionnés à l’article L. 5311-1 » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 4 quater
Après l’article L. 5124-9 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 5124-9-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 5124-9-1. – Les activités mentionnées à l’article L. 5124-1 peuvent être réalisées par des établissements pharmaceutiques créés au sein d’établissements publics ou d’organismes à but non lucratif :
« - lorsque ces activités portent sur des médicaments radiopharmaceutiques ;
« - dans le cadre de recherches sur la personne portant sur des médicaments de thérapie innovante définis à l’article 2 du règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n° 726/2004.
« Ces établissements sont soumis aux dispositions des articles L. 5124-2 à l’exception du premier alinéa, L. 5124-3, L. 5124-4 à l’exception du dernier alinéa, L. 5124-5, L. 5124-6, L. 5124-11 et L. 5124-12. » – (Adopté.)
Article 4 quinquies
I. – Après l’article L. 1123-1 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1123-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1123-1-1. – Il est institué auprès de la Haute Autorité de santé une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, chargée du second examen d’une décision défavorable d’un comité ainsi que de la coordination, de l’harmonisation et de l’évaluation des pratiques des comités de protection des personnes. Cette commission, ainsi que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, sont consultées sur tout projet législatif ou réglementaire concernant les recherches impliquant la personne humaine. Elle remet chaque année au ministre chargé de la santé des recommandations concernant les conséquences, en matière d’organisation des soins, des recherches dont les résultats présentent un intérêt majeur pour la santé publique. »
II. – Un décret fixe la composition de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, constituée à parité, sur le modèle des comités de protection des personnes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.
M. Jean-Pierre Godefroy. Mme la ministre l’a dit tout à l’heure, nous sortons d’un long débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous avons clos à trois heures du matin, ce qui fait que nous avons un certain entraînement ! Mais, rassurez-vous, je ne vais pas prolonger pour autant notre séance de ce soir ! (Sourires.) Cela étant, nous finirons bien par faire les trois-huit, ici !
Comme je l’ai déjà indiqué lors de la discussion générale, l’amendement que nous avions déposé sur cet article a été déclaré irrecevable par la commission des finances.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il s’agissait pour nous de donner plus de pouvoirs à la commission créée par Mme le rapporteur et de recentrer son action sur la protection des personnes.
Nous l’avons déjà dit, les CPP sont « la pierre angulaire » du dispositif d’éthique de la recherche en France.
Deux rapports, l’un de notre ancien collègue Claude Huriet, en 2001, l’autre de l’Inspection générale des affaires sociales, en 2005, ont analysé le fonctionnement et les fragilités des comités. Il en ressort deux dysfonctionnements essentiels : l’écart important entre le nombre de dossiers traités par les différents comités et des pratiques divergentes en matière d’appréciation des dossiers soumis.
C’est pourquoi nous souscrivons à l’idée de Mme le rapporteur qui propose de créer une instance indépendante chargée de coordonner l’action des CPP.
Toutefois, plusieurs points nous posent problème dans le schéma retenu par l’article 4 quinquies.
Premièrement, nous sommes en désaccord sur le nom de cette instance proposé par Mme le rapporteur : « commission nationale des recherches impliquant la personne humaine ». On ne voit pas immédiatement le rapport avec les CPP et, surtout, cette dénomination met une fois de plus l’accent davantage sur la recherche que sur la protection des personnes. C’est pourquoi nous proposions une « commission nationale de protection des personnes ».
Deuxièmement, cette instance n’est pas réellement indépendante, puisqu’elle est placée auprès de la Haute Autorité de santé, la HAS. Non que nous ne fassions pas confiance à la HAS, mais il nous semblerait plus clair et plus cohérent d’en faire une autorité sui generis, qui pourrait ainsi garantir l’indépendance des CPP.
J’en profite pour rappeler à Mme la ministre que l’une des sources de fragilité des CPP est l’indétermination de leur statut, faute de publication des textes réglementaires nécessaires.
Troisièmement, nous pensons que les missions confiées à cette commission ne sont pas suffisantes par rapport à ce que vous appelez vous-même de vos vœux : « Seule la mise en place d’une instance de coordination disposant de prérogatives de puissance publique et adaptée à la spécificité des comités de protection des personnes est susceptible de remédier à des fragilités connues et remédiables ».
Outre le second examen des dossiers qui auraient fait l’objet d’un avis négatif d’un CPP, la coordination, l’harmonisation et l’évaluation des pratiques des CCP, nous souhaitions confier trois autres missions à cette commission, et c’est sur ce point qu’est malheureusement intervenu l’article 40.
Nous proposions, notamment, de charger la commission nationale de la distribution équitable des moyens entre les différents comités et de la répartition aléatoire des dossiers entre ces mêmes comités.
Or ce sont deux missions qui incombent actuellement à l’AFSSAPS et, selon la jurisprudence appliquée par la commission des finances, il nous est impossible de prévoir des transferts de charges entre deux établissements publics, même si le coût de l’opération est nul !
Pourtant, notre proposition serait parfaitement cohérente, non seulement avec notre objectif commun de garantir l’indépendance des CPP, mais aussi avec l’un des objets du texte initial, qui est la simplification.
Puisque nous créons une nouvelle instance, donnons-lui un « bloc de compétences », pour reprendre une formulation bien connue du Sénat.
Madame la ministre, nous faisons donc appel à vous, puisque vous n’êtes pas contrainte, vous, par l’article 40 !
M. le président. L'amendement n° 35 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
de la Haute Autorité de santé
par les mots :
du ministre chargé de la santé
II. - Alinéa 2, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
La commission est dotée de la personnalité juridique.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je soutiens pleinement la création de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, qui a été décidée par la commission des affaires sociales.
Cette commission aura un rôle d’appel sur les avis rendus par les comités de protection des personnes et un rôle de coordination et d’harmonisation des pratiques.
Cela correspond à une attente forte non seulement des promoteurs publics et privés, mais aussi des associations d’usagers et de malades.
Toutefois, le texte prévoit que cette commission est rattachée à la Haute Autorité de santé. Cette option ne me paraît pas optimale.
En effet, la recherche n’entre pas dans les missions de la Haute Autorité de santé. Or on attend évidemment de l’instance de rattachement de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine qu’elle connaisse cette recherche, lui donne une feuille de route, facilite sa mise en place et veille à son bon fonctionnement.
La Haute Autorité de santé n’a clairement ni la culture ni l’expertise ni l’expérience qui lui permettraient de traiter les problèmes des recherches sur la personne humaine. Elle n’est évidemment pas la mieux placée – c’est une litote – pour exercer pleinement ce rôle : ce ne serait pas lui rendre service, ni rendre service à la future commission, que de le lui confier.
Surtout, le président et le directeur de la Haute Autorité de santé m’ont personnellement fait savoir leur opposition formelle à ce rattachement, pour les raisons que je viens d’invoquer.
La conférence nationale des comités de protection des personnes m’a également fait part de ses réserves à ce sujet.
Cette proposition fait l’unanimité contre elle, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il me semble en revanche pleinement légitime que la commission soit rattachée au ministère de la santé. C’est en effet le ministère de la santé qui porte l’ensemble de la politique des recherches impliquant la personne humaine dans notre pays et c’est lui qui est le garant de la protection des personnes.
Le ministre porte cette responsabilité devant les acteurs de la recherche et nos concitoyens, et rend compte, notamment devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de la manière dont l’intégrité des personnes est assurée.
En outre, le ministre de la santé exerce d’ores et déjà un rôle de tutelle à l’égard des CPP. Le rattachement de la commission nationale au ministère de la santé est donc parfaitement cohérent.
L’objet de cet amendement est précisément de substituer le ministère de la santé à la HAS, comme instance de rattachement de la commission nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Vous nous présentez, madame la ministre, un amendement rectifié qui prévoit de rattacher au ministre la commission nationale que nous avons décidé de créer.
Je note avec satisfaction que vous avez tenu compte de nos réticences concernant un rattachement à la Direction générale de la santé, et que vous prévoyez de donner la personnalité juridique à la commission nationale. Je vous en remercie.
Vous nous avez communiqué le projet de décret qui nous permet de savoir comment, concrètement, vous concevez la mise en place de la commission nationale. Nous avions refusé la création d’une instance indépendante pour des raisons financières, mais nous souhaitions un rattachement à un organisme, encore par souci des finances publiques.
Madame la ministre, en nous présentant cet après-midi ce décret, vous donnez non seulement un exemple de la célérité de vos collaborateurs et de vos services, mais aussi une nouvelle démonstration de votre exigence de transparence à l’égard du Parlement. Une telle attitude est suffisamment rare pour être soulignée !
M. Robert del Picchia. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Ce projet de décret nous permet d’aller plus loin dans notre travail commun, mais je crains que nous ne puissions l’achever ce soir. En effet, plusieurs problèmes se posent.
La commission nationale que nous avons prévue a deux missions : le deuxième examen des protocoles ayant reçu un avis négatif et l’évaluation des comités, qui doit aboutir à la généralisation des bonnes pratiques.
Or, madame la ministre, vous prévoyez d’inclure quatre promoteurs parmi les membres de la commission nationale. C’est peu, me direz-vous, mais c’est déjà trop !
M. Jean-Pierre Godefroy. Oui !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Aucune instance d’évaluation ne saurait être composée des parties prenantes, si elle doit être indépendante.
M. François Autain. Il y a confusion des genres !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Nous courons le risque de décrédibiliser la commission nationale auprès des CPP ou d’aboutir à des évaluations susceptibles d’être orientées vers la simplification des contrôles et des procédures. On nous dira systématiquement que les délais d’évaluation sont trop longs et le consentement écrit trop difficile à obtenir...
Par ailleurs, vous prévoyez de créer une sous-commission qui sera chargée du second examen, ou examen d’appel des protocoles.
Dans cette sous-commission, selon vous, peuvent siéger des personnes qui sont également membres d’un CPP. En conséquence, elles seront appelées, le cas échéant, à statuer deux fois sur le même protocole ou bien elles devront se déporter. Mais, si elles se déportent, on rompra l’équilibre voulu entre chercheurs et société civile.
De plus, les membres de la sous-commission seront choisis par vous, après avis de l’instance représentant la majorité des CPP. Ainsi, les quelques CPP qui ne sont pas dans l’instance représentative seront forcés de la rejoindre ou ne seront pas représentés.
Le décret ne prévoit même pas la possibilité qu’il y ait plusieurs instances représentatives.
Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les promoteurs ne représenteront que quatre des vingt-quatre membres de la commission nationale. Il ne s’agit donc pas de remettre tous les pouvoirs entre leurs mains.
Il est utile que les commissions, les autorités ou les structures de rattachement soient éclairées par ceux qui ont à mener ces affaires. Il en est d’ailleurs presque toujours ainsi. Par exemple, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie compte parmi ses membres des médecins libéraux, qui certes ne sont pas majoritaires, mais qui permettent d’éclairer les travaux.
On ne peut pas laisser ces Hautes Autorités, ces conseils ou ces commissions de rattachement planer dans le vide, « hors-sol », sans tenir compte des promoteurs. Bien sûr, il faut donner aux promoteurs la portion congrue. C’est le cas ici, puisqu’ils ne sont que quatre sur les vingt-quatre membres que comptera la commission : ils ne sont pas à la manœuvre, mais peuvent expliquer certains points et alimenter les débats.
Vous avez une approche très dogmatique et bien méfiante, alors qu’il conviendrait d’adopter une attitude d’ouverture tout en conservant les garde-fous nécessaires, je suis d’accord avec vous.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je souscris pleinement aux propos de Mme le rapporteur.
Notre collègue a parfaitement résumé les observations des membres de la commission des affaires sociales, qui s’est réunie précipitamment dans le couloir tout à l’heure.
Je suis d’ailleurs partagé, madame la ministre : vous nous avez transmis ce décret et je vous en remercie – il est rare que nous puissions disposer de ce genre de texte -, mais il n’est pas facile d’analyser un décret en un temps si bref.
Néanmoins, l’analyse qui en a été faite par notre rapporteur me convient parfaitement.
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est pourquoi nous suivrons Mme Hermange.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous nageons dans la plus grande confusion : le vote porte non pas sur le décret mais bien sur l’amendement !
M. François Autain. Nous avons rarement l’occasion de voter sur un décret ! (Sourires.)
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oui, ce serait une nouveauté ! (Nouveaux sourires.)
Nous parlons de choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suis contente, madame la ministre, de vous entendre apporter cette précision.
En effet, votre diligence à communiquer le texte du décret a jeté le doute et le trouble.
Si nous votions cet article, le décret pourrait néanmoins être révisé d’ici à une seconde lecture du texte ou bien à la commission mixte paritaire, selon la procédure retenue.
Puisque, sur le principe de la personnalité juridique prévu par l’amendement n° 35 rectifié, la commission est d’accord, pourquoi discuter du décret ?
M. Robert del Picchia. Très bien !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. On n’en discute pas !
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes David, Hoarau, Pasquet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Supprimer les mots :
du second examen d'une décision défavorable d'un comité ainsi que
La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Je me réjouis de la création de la commission nationale, car elle permettra de coordonner les activités des comités de protection des personnes.
Toutefois, je considère qu’en faire une autorité hiérarchique par rapport aux comités de protection des personnes trahit la philosophie qui avait présidé à la création de ces comités.
Ces derniers, en effet, sont composés de membres titulaires et de suppléants volontaires et bénévoles. Ils sont désignés par le préfet de région, qui veille à assurer indépendance et pluridisciplinarité en leur sein.
Ils ne constituent pas une juridiction en tant que telle, mais sont des espaces éthiques régionaux.
Aussi, plutôt que de rompre le principe, sensiblement amélioré par le texte, qui prévoit que les dossiers instruits sont attribués par tirage au sort, mais qui organise aussi la seconde lecture de dossiers par la commission nationale, il pourrait être judicieux, pour ne pas créer de hiérarchie entre cette dernière et les CPP, de désigner aléatoirement le comité chargé de se prononcer sur un dossier pour lequel un avis défavorable a déjà été donné.
Enfin, l’introduction d’un rapport hiérarchique entre la commission nationale et les comités compromet la bonne mise en œuvre de la mission d’amélioration continue, qui se fonde sur l’appropriation progressive d’un référentiel de bonnes pratiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes David, Hoarau, Pasquet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Il semble difficile de confier à la commission nationale le soin d’élaborer des recommandations à destination du ministre de la santé…
M. François Autain. … concernant « les conséquences, en matière d’organisation des soins, des recherches dont les résultats présentent un intérêt majeur pour la santé publique », dans la mesure où les comités de protection des personnes n’ont, en l’état actuel des choses, eux-mêmes pas connaissance de la gestion en aval des dossiers qu’ils ont instruits.
Il serait, en outre, anormal qu’une commission nationale destinée à compléter le dispositif de protection des personnes se prêtant à une recherche se voie confier une compétence étrangère à sa mission, laquelle ici a trait à l’organisation des soins et de la recherche.
Il s’agit d’un amendement de précaution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Cet amendement prévoit de supprimer la compétence de la commission nationale en matière de recommandation pour la recherche.
C’est en effet au ministère d’orienter cette recherche.
En conséquence, la commission est favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je suis évidemment défavorable, pour des raisons tout à fait logiques et dans la droite ligne de mes précédentes explications.
Cet amendement vise à supprimer des missions de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine l’élaboration de recommandations sur les conséquences des recherches en matière d’organisation des soins et des recherches.
Cette mission, qui n’existait pas jusqu’à présent, permettra d’apporter des propositions utiles au ministre chargé de la santé.
C’est pourquoi, je le répète, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Nous proposons de supprimer la dernière phrase de l’alinéa 2 parce que la commission nationale ne disposera pas des éléments qui lui permettraient d’élaborer ces recommandations.
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle agit en concertation avec les comités de protection des personnes.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il s’agit simplement de préciser que la commission nationale n’a pas de vocation hiérarchique sur les comités de protection des personnes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 34, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La composition de la commission doit garantir son indépendance à l’égard des promoteurs et des comités de protection des personnes.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il convient que le décret garantisse l’indépendance de la commission nationale à l’égard non seulement des promoteurs, mais également des comités de protection des personnes, pour éviter qu’aucun d’entre eux ne soit en position de dominer la commission au moment du deuxième examen d’un dossier.
Il s’agit d’un amendement de conséquence par rapport aux dispositions que nous avons votées tout à l’heure.
M. le président. Le sous-amendement n° 38, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3 de l’amendement n° 34
Supprimer les mots :
et des comités de protection des personnes
La parole est à Mme la ministre, pour présenter ce sous-amendement et donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 34.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 34, sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement.
Je partage évidemment la préoccupation de Mme le rapporteur, qui souhaite garantir l’indépendance de la commission nationale. Il convient, en particulier, de veiller à ce qu’un membre d’un CPP ne puisse évidemment pas instruire en appel un projet de recherche qu’il aurait eu déjà à examiner en premier ressort.
Le décret d’application prévoira des règles strictes d’incompatibilité à ce sujet.
Cela étant, pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, le Gouvernement souhaite laisser ouverte à des membres de CPP la possibilité de participer à la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine. Dans le cas contraire, nous irions au-devant de grandes difficultés, compte tenu du manque de ressources humaines que nous avons dans ce domaine.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 38 ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Il paraît tout à fait dérogatoire au droit qu’une même personne puisse siéger dans une instance de premier ressort et dans celle qui procède au deuxième examen. Cela pose, de plus, la question de la légitimité de l’instance que nous voulons créer.
La commission est donc contrainte d’émettre un avis défavorable sur ce sous-amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4 quinquies, modifié.
(L’article 4 quinquies est adopté.)
Article 4 sexies (nouveau)
Par dérogation à l’article 54 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le passage devant le Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé ne s’applique pas aux recherches non-interventionnelles dès lors que celles-ci ont obtenu un avis favorable du comité de protection des personnes mentionné à l’article L. 1123-1.
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il s’agit d’un amendement de coordination avec la position que nous avons défendue tout à l’heure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 4 sexies.
(L’article 4 sexies est adopté.)
Article 4 septies (nouveau)
Le test de la dose maximum tolérée d’un médicament est interdit lorsqu’il est sans lien avec la pathologie de la personne à laquelle il est administré. – (Adopté.)
Article 5
La présente loi entre en vigueur dès la publication au Journal officiel des décrets mentionnés aux articles L. 1121-17 et L. 1123-14 du code de la santé publique, ainsi qu’à l’article 4 quinquies de la présente loi. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux bien comprendre que le législateur, avec ce texte, veuille stimuler la recherche, mais pas en imaginant un dispositif qui, à mon sens, fragilise la protection des personnes.
Nous ne pouvons tout de même pas satisfaire les demandes des chercheurs et des promoteurs qui plaident pour que leurs projets puissent être conduits de plus en plus vite et sur le plus de personnes possible tout en investissant de moins en moins, sans que soient envisagées les conséquences sur la protection des personnes.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale est révélateur de cette dérive, et je me félicite de ce que le Sénat ait su en limiter la portée, ne serait-ce qu’en soustrayant les personnes ne bénéficiant pas de l’assurance maladie aux recherches interventionnelles et en restaurant le double accord parental pour les enfants qui pourraient y être soumis.
Lors de la discussion générale, j’avais exprimé mes craintes sur l’article 2, qui, sous couvert d’encourager la recherche et de nous mettre en conformité avec le droit communautaire, organise le remboursement a priori par l’assurance maladie de toute recherche se proposant d’améliorer la santé publique.
Hélas ! le Sénat a maintenu cet article et a donc accepté que l’assurance maladie, dont ce n’est pourtant pas le rôle, puisse financer sans conditions les projets de recherche. Certes, il est prévu que les projets déclarés à finalité commerciale fassent l’objet de remboursement a posteriori du promoteur à l’assurance maladie, mais la mise en œuvre d’une telle mesure, souhaitable, bien entendu, risque d’être délicate et sujette à controverse si un certain nombre de précisions ne sont pas apportées. Sur ce point, le texte mériterait d’être réécrit.
Nous espérons que les prochaines lectures nous donneront l’occasion d’obtenir satisfaction. Nous ne désespérons donc pas de pouvoir, en toute fin de navette, voter cette proposition de loi. Malheureusement, pour l’heure, nous sommes contraints de nous abstenir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souscris aux propos de François Autain. Lorsque ce texte nous est arrivé de l’Assemblée nationale, nous avons été quelque peu effrayés.
M. Jean-Pierre Godefroy. Chacun a ses sentiments, madame la ministre !
La version adoptée par les députés nous a donné l’impression de mettre à mal la loi Huriet-Sérusclat – loin de moi l’idée de prétendre que ce texte n’est pas adaptable –, en ce qu’elle ne va pas véritablement dans le sens de la protection des personnes. Il faudra sans nul doute approfondir le débat pour trouver le moyen de concilier l'intérêt de la recherche et celui des personnes.
De ce point de vue, le texte sur lequel nous nous apprêtons à voter a été considérablement modifié, et ce de façon souvent très positive. Nous le devons au travail de Mme le rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, et de la commission.
Sur l’article 1er, nous aurions même pu parvenir à un accord, mais le fait d’autoriser des personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale de participer à des recherches interventionnelles, même « à faible risque » – je ne sais pas ce que cela peut bien signifier – est pour nous inacceptable. C’est un point fondamental sur lequel nous n’accepterons aucune dérogation.
Oui, des progrès ont évidemment été accomplis. François Autain l’a rappelé, le Sénat est heureusement revenu sur la décision de l’Assemblée nationale d’autoriser des recherches sur les mineurs avec simplement l’accord d’un des deux parents ou titulaires de l’autorité parentale. Quel pouvait être l’objectif, si ce n’est gagner du temps ? La mise en œuvre d’une telle mesure n’aurait pas manqué de créer d’énormes problèmes au sein des familles et, surtout, de perturber les enfants concernés.
L'article 2 nous préoccupe également beaucoup. Même avec les assurances que vous nous avez données, madame la ministre, nous nous engageons dans une bien mauvaise voie en voulant faire supporter le financement par l’assurance maladie.
Cela étant, je vous remercie vivement d’avoir émis un avis favorable sur notre amendement n° 15, qui était très important à nos yeux.
Le texte issu de nos travaux nous apporte d’indéniables satisfactions. Vous l’avez compris, il ne faudrait pas grand-chose pour que nous le votions.
M. François Autain. Un petit effort !
M. Jean-Pierre Godefroy. Absolument !
Fort heureusement, madame la ministre, le Gouvernement n’a pas engagé – pour une fois ! – la procédure accélérée sur cette proposition de loi. Au cours de la navette, j’ai bon espoir que nous puissions aboutir à une version qui fasse l’unanimité.
En conséquence, nous opterons pour une abstention que nous qualifierons de « positive ».
M. François Autain. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, décidément, je passe mes jours et mes nuits ici,...
M. François Autain. Il n’y a pas que vous !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.... avec vous ! (Sourires.) Je les passe donc avec M. Autain aussi, ce qui est beaucoup moins drôle ! (Nouveaux sourires.)
M. François Autain. On ne peut pas tout avoir !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Chacun porte sa croix dans la vie, vous êtes en quelque sorte la mienne !
M. François Autain. Rassurez-vous ! Mon mandat se termine dans deux ans ! (Rires.)
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Plus sérieusement, je tenais à remercier le Sénat, qui a, comme d’habitude, effectué un travail de très grande qualité.
Je tiens à vous féliciter, madame le rapporteur, pour votre implication sur des sujets qui, je le sais, vous tiennent particulièrement à cœur. Je remercie Mme la présidente pour sa parfaite courtoisie, son esprit d’ouverture et de conciliation et son sens diplomatique, jamais pris en défaut.
Nous venons de débattre d’un sujet extrêmement important. Je ne peux d’ailleurs que regretter ces travées désertes pour l’examen d’un texte dont les enjeux sont véritablement capitaux.
M. François Autain. Avez-vous vu l’heure ?
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Nous avons les étudiants en droit dans les tribunes !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je salue, bien sûr, les étudiants en droit qui ont suivi la séance depuis les tribunes. Encore faut-il rappeler que ce ne sont pas eux qui font la loi ! Sur un tel sujet, aussi transversal, qui balaie de nombreux champs, sociétal, social, éthique, économique, ce sont des parlementaires que je voudrais voir devant moi, d’autant que, sur des sujets beaucoup moins importants, députés et sénateurs savent siéger en masse dans leur hémicycle respectif !
Le débat qui s’ouvre en France sur les dépenses d’avenir est intense. Il est attisé par la perspective du grand emprunt. Dans l’ensemble du tissu social, on s’interroge. Quel sens faut-il donner à une dépense d’avenir ? Comment garder notre place dans le monde ? Comment nous maintenir dans le rôle de leader ? Comment faire pour préserver les emplois et sauvegarder nos valeurs ?
Si certains sujets font débat, il en est au moins un qui fait consensus : chacun s’accorde à reconnaître que la recherche biomédicale est l’un des éléments tout à fait déterminants de ces dépenses d’avenir. En effet, il est clair que d’autres, ailleurs, feront les recherches que nous ne pourrons pas faire ici, comme il est de règle dans un monde désormais globalisé.
Nous aimerions que ce texte concilie la préservation d’une recherche biomédicale performante et attractive avec le respect de la protection des personnes.
En tout état de cause, quelles que soient les dispositions qui ressortiront de la navette, il est certain qu’elles apporteront un gain objectif en termes de protection des personnes.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. C’est sûr !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Aucune des dispositions, pas même celles qui ont fait débat entre nous, n’a marqué un recul sur la protection des personnes. Toutes s’inscrivent dans le sens d’une avancée.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Parfaitement !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est au moins une chose que l’on peut retenir de ce débat.
Je souhaite éviter qu’un certain nombre de dispositions, prises pour des motifs parfaitement nobles, ne constituent un carcan technocratique administratif qui éloigne de notre pays la recherche biomédicale.
C’est à cette réflexion complémentaire que je vous invite en vous remerciant encore, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de l’excellence du travail effectué entre nous, même si, hélas ! nous n’avons pas fait recette. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je voudrais que vous vous fassiez l’écho de notre agacement, de notre indignation, même. Est-ce ainsi que l’on traite le législateur ? L’examen de cette proposition de loi a été morcelé, scindé en deux. Ce procédé, outre qu’il est extrêmement pénalisant pour ceux qui ont travaillé sur ce texte, compromet le sérieux avec lequel il doit être abordé.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission. Vous avez raison, madame la ministre. Je déplore non seulement le fractionnement de l’examen de cette proposition de loi, mais aussi l’heure à laquelle nous sommes amenés à débattre. (M. François Autain approuve.)
Voilà un certain nombre de soirées que nous passons ensemble.
M. Robert del Picchia. Et combien de nuits !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Je voudrais saluer en particulier Mme le rapporteur, Mme Marie-Thérèse Hermange, qui a réalisé un travail approfondi, marqué de très solides convictions, ce qui ne doit pas toujours lui faciliter la vie ! Mais qu’elle en soit remerciée.
Nous sommes très satisfaits de terminer un marathon qui a commencé, pour la commission des affaires sociales, mardi dernier.
Je tiens à remercier les administrateurs de la commission, qui ont travaillé sur ce texte et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je remercie Mme la ministre, qui a été présente tous les jours.
Je voudrais rendre également hommage, ce qui n’arrive pas assez souvent, à l’ensemble des personnels, qui ont été mobilisés jour et nuit depuis deux semaines et qui le seront de nouveau à partir de jeudi, pour l’examen du projet de loi de finances. (Vifs applaudissements. – Mme la ministre applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
M. François Autain. Le groupe CRC-SPG s’abstient !
8
Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, dans le résultat du scrutin n° 75, il est mentionné que je n’ai pas pris part au vote, alors que je me suis abstenue. Je demande qu’il soit procédé à la rectification.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 17 novembre 2009 :
À dix heures :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
De quatorze heures trente à quinze heures quinze :
2. Questions cribles thématiques sur les collectivités territoriales.
À quinze heures quinze :
3. Proposition de loi relative à la lutte contre le logement vacant et à la solidarité nationale pour le logement, présentée par MM. François Rebsamen, Thierry Repentin et les membres du groupe socialiste, apparentées et rattachés (n° 631, 2008-2009).
Rapport de M. Dominique Braye, fait au nom de commission des affaires sociales (n° 95, 2009-2010).
4. Proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, présentée par M. David Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 590, 2008-2009).
Rapport de M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 89, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 17 novembre 2009, à zéro heure cinquante.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD