M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Je partage pleinement l’avis de M. Frimat.
Pas plus que ma collègue Michelle Demessine, qui est pourtant membre de la commission des affaires étrangères, je n’ai été convaincue par les arguments avancés par M. le rapporteur.
Au contraire, nous manquons ici l’occasion d’accomplir un travail de fond et d’appréhender l’ensemble des conséquences des essais nucléaires. Nous aurions pu profiter de ce texte pour adresser aux victimes des essais nucléaires le signal fort suivant : nous traiterons toutes les questions, pour éviter que les générations futures n’aient à affronter les conséquences de ces essais.
M. le rapporteur a évoqué les essais nucléaires au Sahara, dont les victimes sont des populations nomades. Les retombées vont donc bien au-delà des zones où ces tirs ont été organisés. C’est pourquoi la proposition que nous avons formulée, complétée par d’autres amendements, a tout son sens !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je ne suis pas non plus membre de la commission des affaires étrangères, mais je m’efforce d’être objectif.
Que nous soyons membres de cette commission ou d’autres commissions, nous sommes tous concernés par chaque texte qui est soumis à la Haute Assemblée.
Il importe d’être impartial. Sur un sujet aussi sensible que celui dont nous débattons aujourd'hui, qui concerne les aspects humains, on peut comprendre les propositions et les réactions de nos collègues de l’opposition. Mais M. le ministre et M. le rapporteur ont donné des explications sincères. Je pense qu’il faut faire confiance aux membres de la commission, qui ont effectué un très bon travail de fond, en connaissance de cause et avec le concours des services compétents.
Je voterai donc l’article 7.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Vantomme, Mme Voynet, MM. Bel, Boulaud, Carrère, Frimat, Badinter, Boutant, Marc, Rebsamen, Sueur, Berthou et Daunis, Mme Ghali, MM. Madrelle, Chastan, Antoinette, Guérini et Lise, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Auban, Mmes Durrieu, Demontès et Blondin, M. Piras et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un décret en Conseil d'État formule un titre de reconnaissance de la Nation qui sera accordé aux personnels militaires et civils ayant participé aux essais nucléaires français qui en feront la demande.
La parole est à M. Bernard Piras.
M. Bernard Piras. Il s’agit de témoigner d’une reconnaissance symbolique aux personnes qui ont participé aux essais nucléaires.
Les vétérans des essais nucléaires n'ont certes pas combattu, mais ils ont contribué à un outil de sécurité et de dissuasion qui bénéficie à la communauté nationale. Ils méritent le titre de reconnaissance de la Nation, conformément à l’intitulé du projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Comme je l’ai souligné dans mon rapport, les vétérans des essais nucléaires méritent non seulement une juste réparation, mais aussi une légitime gratitude. En participant à la construction de notre force de dissuasion nucléaire, ils ont contribué à notre sécurité collective, comme ceux qui se sont battus sur des théâtres extérieurs.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, sous réserve que le ministre, lors de l’élaboration du décret, consulte la Chancellerie, ainsi que les associations d’anciens combattants.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Morin, ministre. Je partage le souci des auteurs de cet amendement.
Toutefois, la délivrance du titre de reconnaissance de la Nation obéit à des règles précises. Il faut, notamment, avoir participé à une opération de guerre ou à une opération extérieure pendant au moins quatre-vingt-dix jours.
Je propose donc, monsieur le sénateur, d’étudier avec la Chancellerie les conditions dans lesquelles nous pourrions mettre en place un dispositif de reconnaissance au bénéfice des vétérans des essais nucléaires au titre de leur participation à la construction de notre force de dissuasion, mais de ne pas introduire la disposition aujourd'hui dans le texte.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour explication de vote.
M. Jacques Gautier. Nous sommes tous solidaires des vétérans et des familles qui ont été exposées à ces irradiations. Cependant, nous gardons à l’esprit le fait que la reconnaissance de la Nation est un titre militaire attribué à des combattants. Il importe donc de ne pas confondre ces derniers avec les victimes des essais nucléaires.
C’est pourquoi je rejoins la proposition du Gouvernement : mieux vaut étudier avec les autorités compétentes un dispositif prouvant à ces victimes notre soutien et notre reconnaissance, plutôt que de leur attribuer le titre de reconnaissance de la Nation.
Comme mes collègues du groupe UMP, je ne voterai donc pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote.
M. Gaston Flosse. Je suggère à M. Piras de rectifier son amendement afin de faire également référence à l’ensemble de la population de Polynésie française, qui a subi ces expérimentations sur son territoire pendant trente-trois ans et qui, de ce fait, aurait également droit à la reconnaissance de la Nation.
M. le président. La parole est à M. Bernard Piras, pour explication de vote.
M. Bernard Piras. Mon cher collègue, l’amendement est explicite : il vise les personnels militaires et civils ayant été exposés aux irradiations, ce qui inclut les Polynésiens.
Monsieur le ministre, je peux comprendre les obstacles d’ordre réglementaire.
Toutefois, la France n’a pas toujours fait preuve de dignité dans le passé s’agissant de la reconnaissance de certains faits, et elle tarde parfois à rétablir les choses. Ainsi, les harkis combattent pour une reconnaissance qu’ils n’obtiennent pas. Autre exemple, il a fallu attendre la sortie d’un film pour que la reconnaissance des combattants concernés intervienne.
Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, j’aimerais, afin de me déterminer, que vous preniez un engagement ferme. En effet, si les promesses faites aujourd'hui dans cet hémicycle ne sont appelées à se concrétiser que dans un délai de quatre ou cinq ans, qu’en sera-t-il à ce moment-là ?
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.
M. Richard Tuheiava. J’appartiens à un groupe politique de Polynésie française qui ne peut pas se permettre de solliciter une reconnaissance de la Nation dans le cas visé par cet amendement.
Il me paraîtrait déséquilibré d’accorder la reconnaissance de la Nation uniquement à ceux qui ont travaillé, et non pas également aux populations qui ont subi les mêmes conséquences alors qu’elles n’ont pas demandé à participer aux essais nucléaires.
J’éprouve un malaise devant cet amendement. À titre personnel, par conviction politique et dans le respect des positions éventuellement différentes de mes collègues dans cet hémicycle, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour explication de vote.
Mme Dominique Voynet. Cet amendement nous met tous un peu mal à l’aise.
Si nous ressentons le besoin d’un geste symbolique visant à compléter la réparation financière, nous sommes en même temps très conscients du caractère quelque peu déraisonnable d’une mesure réservée aux seuls personnels civils et militaires qui ont participé aux essais et qui en feraient la demande.
À l’évidence, le texte ne prévoit pas un dispositif satisfaisant qui permettrait de présenter des excuses à ceux dont la bonne foi a été trompée et de réparer les dégâts qui peuvent l’être.
Pour ma part, je ne souhaite pas que les choses soient tues dans cette enceinte. Nombre de Polynésiens ont subi les irradiations, sans avoir la moindre idée de ce qui se passait ; à ceux-là, la France doit des excuses et des réparations. En revanche, d’autres Polynésiens ont honteusement abusé d’un système qui a été mis en place pour organiser la passivité du plus grand nombre ; cela me choque que cela ne soit pas également dit dans cette enceinte.
M. le président. La parole est à M. René Garrec, pour explication de vote.
M. René Garrec. Je veux faire part de ma gêne devant cet amendement.
Nous sommes quelques-uns dans cette enceinte à avoir participé aux opérations en Algérie. J’ai d’ailleurs reçu à ce titre la Croix de la Valeur militaire.
À l’époque, tout le monde était enrôlé dans l’armée de conscription. Certains se sont battus, d’autres non. Il s’agissait de missions de maintien de l’ordre. Aujourd'hui, on dit que c’était une guerre. Le titre de reconnaissance de la Nation a été décerné pour exprimer la reconnaissance de la France à ceux qui ont subi, avec leurs familles, un préjudice réel en passant deux ans, voire deux ans et demi de leur vie, loin de chez eux, dans un pays magnifique mais qu’ils n’aimaient pas forcément et où la vie n’était pas toujours facile pour les militaires. Cette reconnaissance a été créée pour rendre hommage à tous ces soldats, surtout pour les soldats de seconde classe, pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’obtenir autre chose. Ils y tiennent beaucoup.
La confusion qu’introduit l’amendement entre les soldats et les victimes me dérange. Aussi, je voterai contre.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. le président. Monsieur Piras, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?
M. Bernard Piras. Compte tenu de l’argumentation qui a été développée, je retire cet amendement ; mais je prends acte de l’engagement du Gouvernement à rechercher une solution, tout en espérant que nous la trouverons collectivement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.
L'amendement n° 36, présenté par Mmes Voynet et Boumediene-Thiery, MM. Muller et Desessard et Mme Blandin, est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement mènera des études d'impact sur la santé des personnels civils et militaires présents sur les sites ayant accueilli des essais et des activités nucléaires, afin d'informer et de protéger les populations.
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, je rectifie cet amendement afin de faire référence aux sites ayant accueilli des essais et des activités nucléaires militaires.
M. le président. Je suis donc saisi de l'amendement n° 36 rectifié, présenté par Mmes Voynet et Boumediene-Thiery, MM. Muller et Desessard et Mme Blandin, et qui est ainsi libellé :
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement mènera des études d'impact sur la santé des personnels civils et militaires présents sur les sites ayant accueilli des essais et des activités nucléaires militaires, afin d'informer et de protéger les populations.
Veuillez poursuivre, madame Voynet.
Mme Dominique Voynet. Les sites nucléaires militaires ne sont pas soumis au même régime que les sites nucléaires civils. Des pratiques qui n’auraient pas été acceptées sur des sites civils ont été mises en œuvre sur des sites militaires, hors du regard des citoyens.
Cet amendement touche un domaine quelque peu périphérique par rapport au présent projet de loi, je le reconnais, mais il s’agit d’éviter de reproduire, dans dix ou vingt ans, la situation que connaissent aujourd’hui les sites du Pacifique.
En effet, nous disposons de témoignages d’appelés – je les ai évoqués lors de la discussion générale – sur certains dysfonctionnements qui ont existé au centre de Valduc. M. Jurien de la Gravière, présent dans les tribunes, connaît bien ce site et pourrait vous expliquer, monsieur le ministre, comment, à certaines époques, le centre a stocké et parfois brûlé en plein air, à proximité de cours d’eau, des matériels contaminés ou des déchets.
Je citerai également l’exemple du site de Marcoule où des quantités considérables de déchets de catégorie B ont été stockées au fil du temps à l’air libre, quasiment en vrac, hors conteneurs. Ils sont toujours là ! Il conviendrait de mener des études sur la santé des personnels qui ont été amenés à travailler sur ces sites, notamment au moment où l’on décide de l’arrêt du démantèlement du réacteur Phénix.
Je préciserai enfin que, sur les sites nucléaires civils, des commissions locales d’information nucléaire, les CLIN, sont mises en place. Les sites nucléaires militaires ne disposent pas de telles structures.
Certes, il n’est pas facile de faire fonctionner une CLIN, et, parfois, l’obtention d’informations fiables est tout sauf une sinécure. Mais, au moins, ces commissions existent !
Il serait donc tout à l’honneur de l’État de mettre en place un dispositif permettant, par exemple, aux élus locaux ou aux responsables des collectivités territoriales d’avoir accès à un minimum d’informations sur ce qui se déroule dans les sites nucléaires militaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Madame Voynet, vous l’avez reconnu vous-même, cet amendement est hors sujet puisque le projet de loi que nous examinons concerne très précisément l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français en Polynésie et au Sahara.
Le problème que vous soulevez est réel et vous l’avez décrit avec talent. Mais je me dois de rappeler, une fois de plus, ce qui a été dit à ce sujet en commission. Cette dernière a ainsi émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Hervé Morin, ministre. Cet amendement est effectivement hors sujet. Par ailleurs, l’Autorité de sûreté nucléaire assure un suivi constant sur l’ensemble des installations.
S’agissant des populations que vous évoquez, madame Voynet, comme je vous l’ai indiqué, deux études de mortalité et de morbidité ont été menées par Sépia Santé, un organisme indépendant, sur une population de plus de 30 000 personnes. En outre, j’ai mis en place en Polynésie, de mémoire en 2007, un suivi médical permanent. Enfin, comme vous le savez également, toute personne ayant participé à des essais peut demander une consultation et un suivi médical dans les hôpitaux du service de santé des armées.
M. le président. Madame Voynet, l'amendement n° 36 est-il maintenu ?
Mme Dominique Voynet. Je le maintiens, monsieur le président. Il est périphérique, et non hors sujet.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 36.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 8
Après le 33° bis de l’article 81 du code général des impôts, il est inséré un 33° ter ainsi rédigé :
« 33° ter Les indemnités versées aux personnes souffrant de maladies radio-induites ou à leurs ayants droit, en application de la loi n° du relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; » – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 8
M. le président. L'amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Collin, Charasse, Barbier et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, de Montesquiou, Plancade et Vall, est ainsi libellé :
Après l'article 8, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement déposera sur le bureau du Parlement, au plus tard le 31 décembre 2011, un rapport relatif à l'application de la présente loi, aux difficultés rencontrées pour sa mise en œuvre et aux mesures législatives et réglementaires nécessaires pour préciser ou compléter son dispositif.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jacques Gautier, pour explication de vote.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d’examiner le projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
La portée de ce texte, nous en sommes tous conscients, dépasse celle du symbole, pourtant déjà très forte. Il s’agit de mettre fin, enfin, à l’un des tabous de l’histoire de la défense et de tourner, dans un souci de justice et de dignité, une page dans l’histoire de notre pays.
Ce projet de loi était très attendu par les vétérans, les personnels civils et les populations qui ont pu développer des pathologies cancéreuses à la suite d’une exposition aux rayonnements ionisants, lors des essais nucléaires effectués par la France en Polynésie française et dans le Sahara algérien.
Ce texte apporte une réponse concrète aux difficultés que rencontrent les demandeurs pour obtenir une juste indemnisation, alors qu’ils souffrent d’une maladie radio-induite et qu’ils ont séjourné dans les zones précitées pendant les essais nucléaires.
Je tiens à souligner l’excellent travail réalisé, par M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous le remercions de son engagement personnel. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Mme Dominique Voynet applaudit également.)
Inscrire dans notre droit un mécanisme d’indemnisation fondé sur un lien de causalité, alors que les pathologies dont il est question n’ont pas de signature, n’était pas un exercice facile. Pour autant, ce texte exclut toute automaticité d’indemnisation.
À la reconnaissance, le ministre de la défense a ajouté le principe de rigueur, qui se traduit par l’examen des dossiers des demandeurs au cas par cas. Nous vous en remercions, monsieur le ministre !
Cet examen – nous l’avons largement évoqué tout à l’heure – sera effectué par un comité d’experts scientifiques, qui devront se fonder sur les recherches les plus avancées en la matière, celles de l’UNSCEAR, le comité scientifique de l’ONU.
Pour autant, le projet de loi intègre les associations dans le processus, notamment dans le suivi de l’application de la loi. Ce point est important.
Aussi, je tiens à remercier le Gouvernement, en particulier M. Hervé Morin, ministre de la défense, d’avoir eu le courage d’inscrire ce texte à l’ordre du jour.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler, ici, ce que j’ai déjà eu l’occasion de signaler au cours des travaux de la commission.
Le principal mérite de ce texte est d’exister et de porter le titre de « projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français ». C’est peut-être la première fois que l’on reconnaît avec autant de force le statut de ces victimes.
Toutefois, après l’affirmation très claire de principes simples et non contestables, la portée du texte est amoindrie par l’usage répété du conditionnel, par la mise en place de précautions oratoires réintroduisant le doute. Qu’adviendra-t-il du dispositif quand les demandeurs, qui sont aujourd’hui âgés, malades et, pour certains, éloignés des lieux où l’on est rompu à l’usage de la parole et du papier, devront déposer leur dossier ? Que de temps perdu ! Que de douleur ! Que de désarroi au moment où, après avoir constitué leur dossier, ils seront soumis à cet examen au cas par cas et où il leur sera demandé, au mépris du texte, de pratiquement démontrer le lien entre les essais et les pathologies dont ils sont atteints !
Beaucoup ici ont salué le courage nécessaire pour ouvrir un tel dossier, la bonne volonté de M. le ministre, l’engagement de M. le rapporteur et sa constante courtoisie au cours de nos débats. Je fais miennes ces appréciations.
Néanmoins, les cinq sénateurs Verts ne voteront pas ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de la discussion de ce projet de loi sur la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, tout en reconnaissant la portée du geste, déjà saluée à de nombreuses reprises, nous affichons notre déception et notre mécontentement.
Nous ne nous étions pourtant pas fait beaucoup d’illusions, je dois le reconnaître !
En effet, malgré la réelle bonne volonté affichée par le rapporteur, M. Cléach, pour apporter quelques améliorations non négligeables – je tiens à mon tour à le souligner –, nous avons bien senti, dès les discussions en commission, que le Gouvernement ne laisserait pas adopter un dispositif d’indemnisation à la hauteur des souffrances des victimes.
Ainsi l’irrecevabilité financière a été opposée à tous nos amendements, ainsi qu’à ceux de nos collègues socialistes et Verts, amendements qui étaient pourtant de nature à étendre le dispositif.
Je profite d’ailleurs de cette occasion pour protester une fois de plus contre cette méthode mesquine : sous prétexte de veiller à la bonne gestion de l’argent public, on interdit à la représentation nationale de proposer des mesures qui, évidemment, nécessiteraient des moyens financiers.
Ce texte, bien qu’il ait pour principal mérite de reconnaître enfin que nos essais ont fait des victimes et d’inverser la charge de la preuve, ne crée pas pour autant une juste réparation des préjudices causés.
La commission a apporté quelques modifications importantes, que les sénateurs CRC-SPG ont d’ailleurs votées. Ce sont la suppression du terme « directement » concernant l’exposition aux radiations, l’introduction d’une présomption de lien de causalité entre certaines maladies et les essais, l’accompagnement des demandeurs par des avocats, des médecins et des associations, le respect du principe du contradictoire dans la procédure d’examen des dossiers, ou bien encore la réunion de la commission consultative de suivi à la demande de la majorité de ses membres.
Pour autant, nous estimons que l’équilibre n’est pas rétabli. Le ministère de la défense gardera le double rôle de juge et partie qu’il s’est assigné, avec toutes les craintes que cette situation engendre et qui se sont encore exprimées au cours des débats.
Par ailleurs, certains aspects fondamentaux n’ont pas été pris en compte. La création d’un véritable fonds d’indemnisation, spécifique et autonome, la réparation des préjudices propres pour les veuves et les ayants droit, la création d’un dispositif de retraite anticipée et l’élargissement des compétences de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, toutes ces propositions ont été repoussées par le Gouvernement et la majorité sénatoriale qui le soutient.
Ce projet de loi est donc resté à mi-chemin et ne règle que partiellement les problèmes posés. Mais surtout, à l’instar des associations dont je veux à nouveau saluer le rôle essentiel, nous avons la désagréable impression que le Gouvernement, se fondant sur de médiocres raisons financières qui ne sont rien au regard des dépenses militaires de notre pays, n’a pas voulu régler dignement cette question.
Cette façon de faire est indigne de la France et démontre un manque de considération pour des hommes et des femmes qui, à une époque, ont contribué à sa grandeur.
À l’issue de l’examen de ce projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, il nous semble, monsieur le ministre, que vous vous êtes arrêté au milieu de la phrase. Si la reconnaissance est là – l’opinion publique s’y retrouvera et l’acte est important pour l’honneur de la France –, en revanche, s’agissant des victimes, j’ai bien peur qu’elles ne soient nombreuses à se sentir frappées d’une double peine : la souffrance d’être victime d’une maladie mortelle et la souffrance de découvrir, après avoir déposé son dossier dans le cadre d’un dispositif tant attendu, que l’on est exclu du système d’indemnisation mis en place par la Nation.
Dans ces conditions, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe CRC-SPG votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste s’abstiendra sur le projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Nous saluons le travail du rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui a fait preuve à la fois de rigueur et d’esprit d’ouverture dans la conduite de sa mission.
Le projet de loi qui nous a été soumis constitue un acte positif vis-à-vis des victimes. Mais, monsieur le ministre, vos réticences sur la présomption de causalité, l’utilisation paradoxale de l’article 40, le rôle réduit réservé aux associations de victimes, l’absence de prise en compte des conséquences environnementales passées ou à venir, la composition du comité d’indemnisation sont autant d’éléments qui réduisent nos appréciations positives sur ce texte.
Le groupe socialiste s’abstiendra donc sur un projet de loi qu’il juge perfectible. Nous resterons aux côtés des associations dans leur lutte pour une plus grande justice et une plus grande équité au regard des conséquences des essais nucléaires. Le combat continue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Monsieur le président, monsieur le ministre, avec l’accord de mes collègues du groupe socialiste, je voterai contre ce projet de loi.
Bien entendu, je reconnais le mérite de ce texte tant attendu, ainsi que la rigueur et l’objectivité dont M. le rapporteur a fait preuve dans la réalisation de sa mission et, surtout, dans la rédaction de son rapport. Ce dernier a tout de même permis de mettre en avant des points qui n’étaient pas encore abordés, même au sortir des travaux de l’Assemblée nationale.
N’étant pas membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’ai été très attentif aux explications fournies cet après-midi.
Ce texte me paraît insatisfaisant dans la mesure où il ne respecte pas le souhait des victimes, qui porte, de manière basique, sur une reconnaissance de la présomption de causalité entre leur exposition et la maladie dont elles souffrent.
Il ne satisfait pas non plus les revendications exprimées en matière de délimitation des zones concernées. En effet, jusqu’à ce jour, il n’est pas tenu compte d’une réalité scientifique, si évidente pourtant, qui est que toute la Polynésie a été touchée, à un moment donné ou à un autre, par les retombées radioactives des essais nucléaires atmosphériques effectués de 1966 à 1974. Si nous avons bien circonscrit la durée de ces essais, nous sommes également très précis sur leur nature : il s’agissait d’essais atmosphériques.
Le préjudice personnel subi par les ayants droit n’a pas non plus été pris en compte, ni d’ailleurs le souhait émis par la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française. Nous en sommes, aujourd'hui, à des engagements verbaux ; en somme, il nous est demandé, par le vote de ce texte, d’accepter un chèque en blanc.
J’avais au départ l’intention de m’abstenir sur ce texte, comme le reste de mon groupe, mais je voterai contre. (M. le ministre s’entretient à voix basse avec M. le rapporteur.)
Permettez-moi de faire une petite observation qui me paraît importante. Lorsque le ministre s’adresse aux parlementaires, il s’exprime face à eux ; mais lorsqu’un parlementaire s’adresse au ministre, il ne voit celui-ci que de dos. C’est certes une question de symbole, et je ne fais pas le procès de la disposition matérielle retenue dans l’hémicycle ; il me paraît néanmoins important que les parlementaires aient l’impression d’être écoutés lorsqu’ils s’expriment, au-delà du respect dû à leur fonction.
Évidemment, cette considération n’est pour rien dans ma décision de voter contre ce texte. Je n’en dirai pas autant de l’usage qui a été fait de l’article 40 de la Constitution, c'est-à-dire de la restriction financière qui travestit quelque peu nos débats et induit un certain flou dans ce qui paraissait tellement plus clair au départ. L’application extensive qui a été faite de l’article 40 de la Constitution, disposition que je connais très bien, conduit à considérer la reconnaissance des droits d’une partie supplémentaire de la population, du fait d’une extension de la zone géographique considérée, comme une aggravation de la dépense publique, alors que nous traitons d’un projet de loi d’indemnisation qui entraînera forcément une aggravation des dépenses publiques. Nous sommes véritablement aux confins d’une interprétation étonnante de cet article de la Constitution.
Je conclurai en revenant sur l’idée qu’on a sans doute voulu intégrer dans la présentation de ce projet de loi, à savoir que celui-ci était censé dédouaner la France de sa responsabilité…