M. Richard Tuheiava. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Je veux toutefois rassurer les familles des victimes. Il leur appartiendra, sur la base de l’indemnisation obtenue dans le cadre du présent dispositif, de requérir, dans un deuxième temps, devant le juge, la réparation de leurs préjudices propres. Leur situation sera facilitée par les dispositions de ce projet de loi, qui permettent un examen plus rapide et plus juste du préjudice des victimes directes.
La procédure retenue a, me semble-t-il, laissé subsister quelques inquiétudes à l’issue des débats à l’Assemblée nationale, et ce sur trois points : les recours juridictionnels, les délais de réponse et les droits de la défense.
Une partie de ces craintes peuvent être apaisées par le rappel du droit commun, d’autres ont conduit la commission à adopter quelques modifications, certaines pour faciliter le travail du comité, notamment en termes de délais, d’autres, pour renforcer les droits de la défense.
En ce qui concerne ces derniers, nous avons souhaité poursuivre le travail entamé par nos collègues députés. Outre l’amendement prévoyant que le demandeur peut être assisté par la personne de son choix, notre commission a explicitement prévu que le décret d’application du texte doit fixer les modalités permettant le respect du contradictoire et des droits de la défense.
En matière de recours, la commission a également adopté un amendement tendant à rendre obligatoire la motivation de la décision du ministre en cas de rejet, afin que les motifs de fait et de droit soient connus du demandeur.
Au final, la commission n’a pas bouleversé le texte du Gouvernement ; elle l’a consolidé, en préservant l’équilibre et l’efficacité du dispositif tout en assurant sa sécurité juridique.
Mettre fin aux contentieux sur ce sujet aussi bien pour les victimes que pour l’État : voilà ce qu’ont été les préoccupations de la commission, la corde raide sur laquelle nous avons essayé de tracer son chemin.
Je dirai encore un mot sur la mise en œuvre du texte. Puisqu’il vous reviendra, monsieur le ministre, de prendre les décrets d’application, je souhaite attirer votre attention sur plusieurs points.
D’une part – mais ai-je besoin de le dire ? – le pluralisme doit présider au choix des cinq sièges réservés aux associations de victimes au sein de la commission consultative de suivi.
D’autre part, il vous appartiendra de valider la liste des cancers susceptibles d’être radio-induits qui seront pris en compte. Vous vous appuierez, avez-vous annoncé, sur les travaux de l’United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, l’UNSCEAR. La loi vous y invite. Je me dois, quant à moi, de souligner que le groupe 3 de la liste de l’UNSCEAR comporte le myélome et le lymphome. C’est pour cette raison que le Radiation Exposure Compensation Act américain retient vingt et un cancers, dont ces deux maladies. Qu’en sera-t-il de la liste française, que vos services préparent ?
Cette loi peut faire date, permettre de solder ce contentieux, de tourner la page, dans l’honneur, des essais nucléaires « grandeur nature ». Pour cela, il faut s’en donner les moyens et rester ferme sur les principes.
Comme vous l’avez dit, la France a été grande dans ce défi scientifique, technologique et humain ; elle a été grande dans ce défi politique et stratégique. Elle doit désormais être grande dans sa volonté de réparer ses erreurs. Je crois que le Sénat peut, que le Sénat doit y contribuer.
Avant de conclure, je souhaite remercier les représentants des associations et les services de l’État qui ont participé à la préparation et à l’élaboration de ce texte et saluer l’ensemble des membres de la commission, tout particulièrement son président, qui ont été très assidus et se sont passionnés pour ce texte ô combien attendu, et tout à l’honneur de la France ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi portant sur un sujet complexe, qui mêle santé, science et défense. Il doit permettre de réparer les erreurs d’hier et de prévoir les évolutions qui pourraient survenir demain.
Ce texte est extrêmement délicat car il évoque tant la construction de la puissance française et le progrès technique que des drames humains.
Il est également très important : important pour la France, treize années après son dernier essai nucléaire, car notre pays s’honore en reconnaissant sa responsabilité dans les souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servie hier ; important aussi à l’égard des autres puissances nucléaires qui se sont déjà dotées d’un dispositif d’indemnisation efficace ; important, enfin, pour les victimes.
Ce projet de loi acte la reconnaissance des conséquences sanitaires des essais, après des années d’opacité et de tabou – elles s’expliquent par la culture du silence de « la grande muette » et, il ne faut pas l’oublier, par la Guerre froide -, mais aussi la reconnaissance à l’égard de ceux qui ont contribué à assurer la sécurité du pays. La France leur doit une juste réparation et une gratitude légitime. L’insertion par l’Assemblée nationale du mot « reconnaissance » trouve ici tout son sens.
Ce texte a donc une portée symbolique et constitue une avancée concrète. Il propose une réponse aux difficultés que rencontrent les victimes pour faire reconnaître leurs droits.
Comme l’ont souligné M. le ministre et M. le rapporteur, le système actuel de prise en charge des personnes souffrant d’une maladie radio-induite est trop complexe et trop long. Mais, plus grave encore, il laisse peu de chances aux victimes de voir leurs demandes aboutir.
À cet égard, on sait qu’il existe une différence de traitement entre les militaires et le personnel civil. Il faut mettre un terme à cette iniquité, et je sais que vous y êtes très attaché, monsieur le ministre.
Aujourd’hui, demander une pension sur la base de la participation aux essais, c’est s’engager dans une démarche longue et difficile. En l’absence de présomption, même partielle, d’un lien de causalité, les victimes ne parviennent pas à obtenir réparation. Comme elles ne peuvent pas établir un lien de causalité inattaquable entre leur maladie et l’exposition à des rayonnements ionisants, les personnes sont déboutées de la plupart de leurs demandes.
Il est insupportable que, à ce jour, vingt et une pensions seulement soient versées, alors qu’il y a eu trois cent cinquante-cinq demandes de pensions militaires d’invalidité au titre de maladies liées aux essais nucléaires. Actuellement, cent trente-quatre demandeurs ont introduit des recours contentieux, ce qui peut être épuisant et douloureux, en particulier pour des personnes parfois très gravement malades.
M. Guy Fischer. Voilà la réalité !
M. Yves Pozzo di Borgo. Le texte qui nous est soumis est l’aboutissement de très nombreux travaux. Les initiatives des associations de vétérans, notamment l’Association des vétérans des essais nucléaires, et celles de leurs familles, les propositions de loi - donc des textes d’initiative parlementaire -, le travail remarquable du Médiateur de la République sur ce sujet, tous ces efforts mais surtout la volonté de l’État et la vôtre, monsieur le ministre, ont permis d’élaborer un texte équilibré.
Tout d’abord, il met fin à la disparité des régimes d’indemnisation en unifiant la procédure quels que soient la nationalité, le rôle ou la profession du demandeur. En soi, c’est déjà un grand progrès.
Ensuite, il crée un seul comité d’indemnisation spécifique et indépendant pour l’ensemble des victimes.
Mais c’est l’inversion de la charge de la preuve qui est l’innovation majeure de ce projet de loi : les demandeurs devront seulement attester avoir été dans les zones potentiellement contaminées et avoir contracté une maladie radio-induite.
Enfin, le dispositif permet une réparation intégrale, point sur lequel vous avez, à juste titre, insisté, monsieur le ministre. C’est une condition de la justice et de la reconnaissance que ce texte vise à concrétiser.
La procédure accélérée était nécessaire pour les victimes, mais l’urgence ne signifie pas la précipitation. Nous devons veiller à donner à ce texte toute sa portée. Comme l’indiquait M. le rapporteur, les modifications introduites par l’Assemblée nationale s’inscrivent dans cette démarche.
Je pense notamment à la modification de la liste des pathologies visées et des zones susceptibles d’avoir été exposées aux rayonnements ; au meilleur encadrement de la procédure ; au renforcement des droits des demandeurs, en particulier en matière de délais et de respect du principe du contradictoire.
Je pense également au meilleur suivi de l’application de la loi. La pleine association des associations de victimes, notamment au sein de la commission consultative de suivi, est très opportune.
En ce qui concerne les quelques points qui ont fait débat en commission, il me semble – mais je serai attentif à nos échanges – que la création d’un comité composé de personnalités indépendantes avec un financement assis sur un programme du ministère de la défense n’a pas lieu d’être remise en cause.
Tout d’abord, et contrairement à l’indemnisation des victimes de l’amiante, qui a pris très longtemps, il n’y a qu’un seul responsable des dommages créés : le ministère de la défense.
Deuxièmement, sans préjuger les résultats de l’examen du comité d’indemnisation, le nombre de demandeurs est limité.
Le dispositif proposé devrait donc permettre de répondre efficacement et rapidement aux demandes sans passer par la création d’un fonds spécifique.
Comme l’a dit M. le rapporteur, la nomination des experts médicaux qui examineront les dossiers des victimes conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé, sur proposition du Haut Conseil de la santé publique, est une garantie d’indépendance satisfaisante.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a apporté des améliorations bienvenues au texte.
Le principe selon lequel le demandeur pourra être accompagné de la personne de son choix, notamment d’un représentant d’une association de victimes, en fait partie.
La rédaction de l’article 4, issue des travaux de la commission, prévoit que, si la victime remplit les conditions de l’indemnisation, elle bénéficie d’une présomption de causalité, sauf si le comité, compte tenu des caractéristiques de la maladie et des conditions d’exposition, estime que le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable. Cette rédaction est cohérente avec les articles 1er et 3. Elle me semble claire et équilibrée.
Globalement, ce texte vise à mettre en œuvre un dispositif d’indemnisation efficace et rapide. La France se grandit en réparant cet oubli aujourd'hui.
Pour conclure, j’aimerais à nouveau saluer la mobilisation des associations de vétérans et de victimes, les initiatives parlementaires et le travail du Médiateur de la République. J’aimerais également saluer votre engagement fort sur ce dossier, monsieur le ministre. Vous vous êtes investi, avant même d’occuper vos fonctions, pour réparer l’oubli inacceptable qui a longtemps été réservé aux victimes. Je tenais à le souligner !
J’aimerais en outre saluer le signal qui est envoyé par le ministère de la défense avec ce projet de loi : aujourd’hui, celle que l’on appelait peut-être à tort « la grande muette » reconnaît haut et fort que, en agissant pour la France, elle a non seulement meurtri ceux qui l’ont servie, mais aussi des populations civiles.
La démarche que le ministère avait initiée en 2006 en publiant l’ouvrage intitulé La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie a mis fin à un tabou et à une opacité qui n’avaient que trop duré. Le discours sur la prétendue innocuité des essais a blessé les victimes, qui ont toujours exigé une juste réparation ainsi que le rétablissement de la vérité.
Ce geste de reconnaissance honore votre ministère et la France. Il est le signe d’une évolution pérenne vers une défense professionnalisée, modernisée, plus ouverte et plus transparente, seule à même de garantir l’adhésion du pays.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a longtemps, trop longtemps nié les conséquences graves pour la santé humaine et pour l’environnement des essais nucléaires réalisés pendant la deuxième moitié du XXe siècle.
M. André Vantomme. Le développement et le maintien de la force de dissuasion nucléaire française ont eu un prix que la République a ignoré. Pourtant, les femmes et les hommes qui ont participé, directement ou indirectement, volontairement ou involontairement, aux évolutions de cette force ont risqué gros. Ainsi, certains ont contracté une maladie radio-induite liée à ces expérimentations.
Nous connaissons tous l’histoire commencée le 13 février 1960 avec l’explosion de Gerboise bleue, qui a permis à la France d’intégrer le groupe des puissances nucléaires. Il s’agissait du premier d’une série de quarante-cinq essais atmosphériques.
Entre 1960 et 1996, la France a mené deux cent dix essais atomiques, d’abord sur des sites sahariens, puis en Polynésie française.
En 1992, le Président Mitterrand décide un moratoire.
En 1995, le Président Chirac décide, lui, une dernière campagne d’essais souterrains.
À partir de 1996, la France cesse les essais nucléaires au profit de simulations informatiques. Elle adhère alors au traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Or, pendant toutes ces années, les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires ont été un sujet tabou. Après de longues années de silence, de déni, elles sont aujourd’hui mieux connues.
Les associations de victimes, les populations polynésiennes et les élus ont manifesté avec force ces dernières années pour réclamer une autre attitude de l’État. Le temps de la reconnaissance est venu, le temps de la réparation aussi. Je pense que, collectivement, nous aurions dû agir plus tôt.
Aujourd’hui, la République ne doit plus fuir la réalité. En conséquence, l’État doit assumer toute sa part de responsabilité dans les maux endurés par celles et ceux qui sont les victimes des essais nucléaires français.
La France doit dire la vérité aux vétérans et aux populations victimes des essais nucléaires. Elle doit aussi leur rendre justice. Le moment est venu d’en finir avec le silence entourant cette douloureuse question. Les souffrances d’hier et d’aujourd’hui doivent être reconnues.
Je suis donc d’accord avec M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées quand il déclare, dès l’introduction de son rapport, qu’« un système d’indemnisation efficace et juste est un dispositif fondé sur des critères clairs et objectifs, qui permet – à l’issue d’une procédure rigoureuse et transparente – de définir, le cas échéant, une indemnisation proportionnée aux préjudices subis ».
Le projet de loi qui nous est soumis remplit-il ces conditions ? Pas complètement, car il reste beaucoup de travail à faire. Nous avions pourtant réalisé quelques progrès en commission, mais M. le ministre n’a malheureusement pas voulu suivre toutes les bonnes orientations prises par M. le rapporteur (M. le ministre soupire), en particulier celle qui concerne la réparation du préjudice propre des ayants droit,…
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. André Vantomme. … principe que nous voudrions voir formellement reconnu.
M. Marc Daunis. Oui !
M. André Vantomme. Nous le regrettons. C’est pourquoi mes collègues du groupe socialiste et moi-même reviendrons à la charge en présentant des amendements. Ceux-ci tendent précisément à pallier certaines carences flagrantes du projet de loi en affirmant enfin, après moult tergiversations, la reconnaissance, non pas seulement de façon symbolique, du droit à indemnisation des victimes des essais nucléaires menés par la France entre 1960 et 1996.
Il ne me semble ni étrange ni déplacé que, après tant d’années de combat, les victimes et leurs associations expriment une certaine défiance ou une méfiance certaine à l’égard d’un État, le nôtre, qui a si souvent méconnu leurs souffrances. Il faut dire que les États-Unis et la Grande Bretagne se sont déjà dotés de procédures d’indemnisation des victimes.
En France, tous les gouvernements sont restés sourds face à ce dossier. C’est donc le travail long et opiniâtre des associations AVEN et Moruroa e tatou qui a permis que ce projet de loi soit débattu ici aujourd’hui.
Ainsi, ce texte arrive après un long chemin jalonné de nombreuses propositions émanant d’associations de vétérans, de parlementaires, d’élus polynésiens et même du Médiateur de la République. Depuis 2002, au Sénat, quatre propositions de loi et une demande de création d’une commission d’enquête parlementaire ont été déposées pour relayer les demandes des associations.
Je dois aussi reconnaître la contribution du ministre de la défense.
M. André Vantomme. Je m’associe donc aux propos du rapporteur,…
M. André Vantomme. … du moins sur ce point. (M. le ministre s’esclaffe.)
Au sein de votre ministère, vous avez levé les obstacles qui avaient paralysé tous vos prédécesseurs, mais il vous reste encore un petit effort à faire pour améliorer un texte qui doit apporter enfin justice et vérité aux victimes.
Le rapport de la commission l’a bien fait ressortir : le système actuel de prise en charge des personnes souffrant d’une maladie radio-induite, sous forme d’indemnisation ou de pension, est très complexe et laisse peu de chances aux victimes de voir leur demande aboutir.
Il existe en outre une différence sensible de traitement entre les militaires, qui relèvent du code des pensions civiles et militaires de retraite, et le personnel civil, qui dépend du régime général de la sécurité sociale.
Ainsi le projet de loi que nous examinons doit-il créer un droit à réparation intégrale des préjudices, aussi bien pour les personnes ayant participé aux essais que pour les populations, dans la mesure où elles souffrent d’une maladie radio-induite résultant de ces essais.
Plusieurs milliers de personnes sont susceptibles d’avoir développé ce type de maladie : les anciens militaires, le personnel civil de la défense, le personnel du Commissariat à l’énergie atomique, le CEA, ainsi que la population locale des sites d’essais au Sahara ou en Polynésie.
Les vétérans, comme leurs descendants, doivent pouvoir être indemnisés au titre des maladies qui les frappent. Il faut en finir avec les difficultés rencontrées par les victimes pour faire valoir leur droit à indemnisation devant le juge. Le système actuel est en effet lourd, coûteux, injuste, aléatoire, car il introduit des différences selon le statut des victimes et selon les juridictions saisies.
Notre objectif est donc simple : instaurer un régime d’indemnisation juste, rapide et facile à mettre en œuvre. Il faut qu’un dispositif équilibré permette aux victimes d’obtenir réparation dans des délais garantis.
Je regrette que le dispositif proposé par le Gouvernement soit par trop « ministériel ». Je propose en conséquence que les associations de victimes intègrent le comité d’indemnisation chargé d’examiner les demandes.
Il existe en effet une grande méfiance de la part des associations et des populations concernées. Pendant trop d’années, elles ont eu le sentiment que l’État leur avait tourné le dos. Pis, elles ont pu penser que l’État était là non pour les protéger, mais pour les perdre dans un labyrinthe de procédures longues, pénibles et injustes.
C’est cette expérience qui ressort des courriers envoyés par les victimes aux parlementaires. Il faut comprendre ce sentiment né d’une pratique affligeante. Doit-on alors s’étonner que ces victimes dénoncent toujours et encore un dispositif d’indemnisation qui les exclut une nouvelle fois ?
Il convient d’éviter toute mise en doute de l’indépendance du comité chargé d’instruire les demandes, ce qui affaiblirait considérablement le dispositif. Il faut donc garantir l’indépendance de ses membres vis-à-vis des ministères concernés. C’est le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, qui le réclame dans un communiqué de presse en date du 9 octobre dernier. (M. le ministre manifeste son agacement.)
C’est pourquoi je demande, d’une part, un rééquilibrage de la composition du comité d’indemnisation et, d’autre part, l’élargissement des missions de la commission consultative de suivi à l’organisation du suivi médical et environnemental des conséquences des essais nucléaires, avec la participation de représentants des associations.
Par ailleurs, je suis favorable, comme le prévoyaient de nombreuses propositions de loi, à l’inscription dans la législation du principe de la présomption de lien de causalité entre la maladie et les essais nucléaires ainsi qu’à la création d’un fonds d’indemnisation doté d’une personnalité juridique propre.
Afin que le projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français soit une réponse concrète aux difficultés que rencontrent les victimes pour obtenir une indemnisation, nous souhaitons que le dispositif choisi soit efficace et évite la dispersion du système actuel, qui enferme les victimes dans des complications judiciaires sans espoir. Nous souhaitons également que ce dispositif soit à la disposition de toutes les victimes, civiles et militaires, vétérans et populations. Nous souhaitons enfin que ce dispositif ne soit pas un outil au service exclusif d’un ministère de la défense chargé surtout de faire diminuer le nombre de demandes acceptées.
Ainsi, nous proposons d’inscrire dans la loi, nettement, et sans circonlocutions, le principe de la présomption de lien de causalité entre la maladie et la présence sur les zones de retombées radioactives, qui figure dans les dispositifs déjà mis en place par les pays anglo-saxons.
Aussi, nous affirmons que toutes les victimes des essais nucléaires doivent être indemnisées ; c’est un droit et non pas une possibilité !
Nous approuvons le fait que la commission créée à l’article 7 s’occupe du suivi des modifications éventuelles de la liste des maladies radio-induites. Ce point nous semble essentiel puisqu’il est nécessaire de vérifier régulièrement que le dispositif tient compte de l’évolution des données scientifiques et médicales. Ainsi, la liste des maladies radio-induites devra évoluer parallèlement aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale.
Par ailleurs, cette commission devrait mettre en place un contrôle continu des conséquences environnementales sur les lieux concernés par les essais nucléaires et veiller à la mise à jour des zones et des périodes concernées par la loi en fonction des progrès scientifiques permettant de mieux cerner les conséquences sanitaires et environnementales des essais.
Nous nous prononçons aussi sur la nécessité d’une réparation en faveur des ayants droit, en particulier pour la reconnaissance de leur situation de victimes d’un préjudice propre. Celle-ci a été écartée en commission, grâce ou à cause de l’article 40 de la Constitution… Nous le déplorons !
À ce sujet, monsieur le ministre, je vous demande une réponse précise : comment allez-vous prendre en compte dorénavant le droit à réparation des proches des victimes pour les préjudices personnels et économiques qu’ils ont éprouvés ?
De même, et cela fera l’objet d’un amendement, je demande la création d’un titre de reconnaissance de la nation en faveur des personnels civils et militaires qui ont participé aux essais nucléaires.
Un autre point important est la délimitation des zones et des périodes. Notre intention est d’éviter tout effet réducteur qui pourrait exclure injustement du dispositif d’indemnisation certaines victimes.
Les amendements proposés par le rapporteur allaient dans la bonne direction et le texte a été amélioré par le travail en commission. Toutefois, sur ce qui constitue le nœud du problème, à savoir le dispositif d’indemnisation et la présomption de lien de causalité, la démarche du Gouvernement ne nous satisfait pas complètement. Les associations de victimes ont également fait connaître leur avis négatif.
J’espère que nos propositions et les leurs, souvent concordantes, seront entendues et que nous pourrons ainsi obtenir une procédure juste et efficace au service des victimes. Et ce sera justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la politique géostratégique de la France d’après-guerre a conduit à la mise en œuvre d’un programme d’essais nucléaires au Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1996.
Sur cette période, deux cent dix essais ont été réalisés pour permettre à notre pays de disposer d’une force de dissuasion. Il ne s’agit pas aujourd’hui de remettre en question ce choix ni cette politique de défense. Le contexte particulier de la Guerre froide a conduit beaucoup de pays à vouloir affirmer leur puissance militaire par la voie du nucléaire. La France a voulu tenir son rang.
En outre, cette politique s’est poursuivie sous tous les gouvernements et a été confirmée par tous les Présidents de la République, jusqu’à la décision prise par Jacques Chirac d’interrompre les essais nucléaires, non sans avoir au préalable ordonné une dernière campagne de huit essais nucléaires, de 1995 à 1996.
Ce partage des responsabilités sous la Ve République, au-delà des clivages politiques, présente au moins un avantage, celui de n’exonérer personne du devoir de reconnaissance et d’indemnisation.
En revanche, nous pouvons nous poser la question de la légèreté des conditions de protection des personnes mises en place à l’époque. Nul n’ignorait les risques que ces essais pouvaient faire peser sur les militaires travaillant sur les sites d’expérimentation et sur les civils vivant à proximité. Dès 1958, le ministère de la défense avait créé une commission consultative de sécurité, et des normes d’expositions externes et internes avaient été définies déjà en 1954.
Ces dispositifs, ajoutés à de nombreux autres qui suivront, témoignent bien de l’existence d’une conscience des risques sanitaires encourus par les populations vivant dans les zones d’essais.
Il est difficile, dès lors, de concevoir que l’État ne savait pas…
Malgré tout, les mesures de sécurité étaient bien insuffisantes. Dans son rapport intitulé Les Polynésiens et les essais nucléaires, la commission d’enquête de l’Assemblée de Polynésie fait état de témoignages particulièrement édifiants sur le caractère dérisoire des abris antiradiations conçus pour la population civile. Certains consistaient en de simples hangars agricoles ! Il est évident que les moyens n’étaient pas à la hauteur des risques pourtant déjà connus à l’époque.
Malheureusement, des incidents et des accidents ont bien eu lieu. Le 1er mai 1962, en particulier, un nuage radioactif s’est échappé de la galerie de tir : c’est l’accident de Béryl, du nom de code de l’essai.
Entre 1961 et 1966, sur les treize tirs en galerie réalisés en Polynésie, quatre n’ont pas été totalement contenus ou confinés. Avec un système de protection incontestablement insuffisant, les retombées radioactives sur les archipels habités de la Polynésie française ont eu forcément des répercussions sanitaires. Mais il faudra du temps pour que cette réalité soit pleinement reconnue.
Aujourd’hui, treize années nous séparent du dernier essai, monsieur le ministre, et le Parlement est enfin saisi d’un projet de loi, un texte très attendu, après de nombreuses demandes de parlementaires issus de toutes les sensibilités politiques, notamment des Radicaux de gauche.
Ce projet de loi est très attendu surtout par tous ceux qui ont été victimes des essais nucléaires : les Polynésiens, les Sahariens et les métropolitains, civils ou militaires, présents sur les sites ou à proximité. Depuis longtemps, beaucoup d’entre eux se sont engagés dans des procédures judiciaires longues et coûteuses. Ces procès ont toutefois permis de donner lieu à une jurisprudence de plus en plus convaincue du lien de causalité entre l’exposition aux rayonnements ionisants et le développement de pathologies radio-induites.
Mais toutes ces personnes ont-elles d’autre choix que celui d’aller devant les tribunaux ? Pas vraiment, si l’on s’attarde sur les dispositifs d’indemnisation existants. En effet, plusieurs systèmes coexistent : celui du personnel civil relevant du régime général de la sécurité sociale ; celui des agents relevant du régime de sécurité sociale spécifique propre à la Polynésie française, ou encore le système d’indemnisation des militaires. À l’évidence, la lourdeur et la complexité de ces dispositifs sont décourageantes.
Par ailleurs, la coexistence de plusieurs systèmes crée une ligne de fracture entre des catégories de victimes qui partagent pourtant la même souffrance. Il est donc temps de mettre en place un dispositif unique destiné à répondre aux attentes des personnes subissant les répercussions sanitaires des essais nucléaires français et de confirmer le lien de causalité entre les essais et les maladies radio-induites.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, reconnaît la responsabilité de l’État. D’autres pays l’ont fait bien avant la France : je pense à de grandes démocraties comme l’Australie, les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne. On ne peut donc que regretter que ce texte soit, une fois de plus, l’aboutissement de la combativité des victimes, de la pugnacité des associations et de la mobilisation des élus de tous bords. Longtemps, le Gouvernement a balayé le sujet au prétexte du manque de données scientifiques sur le fameux lien de causalité entre les essais et les pathologies cancéreuses. Nous n’en sommes heureusement plus là ! Un large consensus existe maintenant sur la nécessité de mettre en place un système d’indemnisation.
À l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale, le texte a évolué dans un sens favorable. Les membres du RDSE se sont en particulier réjouis des avancées concernant le principe du débat contradictoire, l’encadrement des délais d’instruction des dossiers et, bien sûr, la création de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires.
Au Sénat, nous pouvions penser que la légendaire sagesse des membres de notre assemblée permettrait d’aller encore plus loin. Certes, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a fait quelques pas – trop petits, selon nous – en posant le principe d’une présomption de causalité à l’article 4. Nous en sommes satisfaits.
En revanche, de nombreux amendements qui auraient permis d’aller jusqu’au bout de la reconnaissance et de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires ont été déclarés irrecevables, notamment des amendements de mon groupe qui correspondaient aux vœux les plus profonds des victimes : équité, justice et indépendance.
L’équité sera effective, monsieur le ministre, si vous laissez la porte ouverte aux ayants droit ou à ceux qui ont séjourné ou travaillé sur les sites d’expérimentation postérieurement aux périodes visées au deuxième alinéa de l’article 2.
La justice sera plus certaine si vous tenez compte des observations qui ont été faites à l’Assemblée nationale et en commission au Sénat sur la précision des zones géographiques concernées par le dispositif d’indemnisation. Nous déplorons, par exemple, que vous morceliez l’atoll de Hao.
L’indépendance, enfin, sera mieux garantie si vous acceptez l’idée d’un fonds spécifiquement dédié à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, plutôt que de vous en remettre à une structure complètement étatique dans laquelle le décisionnaire est aussi le payeur.
Malheureusement, nous n’aurons pas la possibilité de discuter de tous ces points. Cela est bien dommage, car il est question d’humanité dans ce débat. Il y a des souffrances, des douleurs, des drames qui ne pourront jamais être réparés. Je pense en priorité aux populations civiles et aux vétérans. De même, nous ne pourrons pas revenir sur la détresse des veuves, des enfants et de tous ceux qui ont perdu un proche ou un ami au nom de la puissance française.
Nous ne pourrons pas refaire l’histoire, cette histoire douloureuse dans laquelle, une fois de plus, on a oublié la fragilité de l’homme. Si au moins nous pouvions apporter une juste réparation et une véritable reconnaissance des conséquences des essais nucléaires réalisés tant au Sahara qu’en Polynésie française, nous serions alors certains d’avoir accompli aujourd’hui notre devoir.
C’est pourquoi, si nous devions en rester là, mon groupe, à l’issue de nos débats, devrait, dans sa très grande majorité, s’abstenir sur un texte qui ne va pas aussi loin que nous l’aurions souhaité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)