M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui vient de loin, mais le temps me manquerait pour rappeler l’ampleur de la mobilisation qui aura finalement abouti, presque cinquante ans après le premier essai nucléaire, à la présentation par le Gouvernement d’un projet de loi a minima sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie française.
Nos pensées vont en cet instant aux populations concernées, celles du Sahara et de Polynésie française.
Pour que votre gouvernement accepte de considérer les souffrances endurées par les 150 000 travailleurs civils et militaires présents sur les sites d’expérimentation, il aura fallu le regroupement des victimes au sein d’associations telles que l’Association des vétérans des essais nucléaires, l’AVEN, le travail parlementaire, la création en juin 2008 du comité de soutien « Vérité et justice » avec des personnalités telles que Raymond Aubrac, Mgr Gaillot, le professeur Parmentier, Mme la générale Simone de Bollardière, Abraham Béhar, des physiciens et directeurs de recherche au CNRS ; il aura fallu de même le soutien de grandes associations telles que l’Union française des associations d’anciens combattants et de victimes de guerre, l’UFAC, l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre, l’ARAC, Handicap International, l’investissement et le soutien du Médiateur de la République pour qu’éclate la vérité ; il aura fallu que la presse, les artistes, les cinéastes s’en emparent.
Vous êtes toutefois resté dans le déni, monsieur le ministre, y compris en présentant votre projet de loi ! En effet, évoquant ces personnels, vous avez déclaré à l’Assemblée nationale que « la plupart d’entre eux n’ont souffert d’aucune exposition ». Or le déni entraîne chez ces vétérans une sorte de sentiment de culpabilité qui vient s’ajouter à leurs souffrances physiques et psychiques. Nous en connaissons des exemples poignants. De telles souffrances ne peuvent être atténuées que par la reconnaissance et la réparation.
Oui, monsieur le ministre, la situation des victimes des essais nucléaires exige un véritable droit à réparation, comme m’en ont convaincu les multiples entretiens que j’ai eus avec les veuves et les orphelins de vétérans. J’ai connu l’AVEN lors de sa création à Lyon, en 2001. Je tiens d’ailleurs à saluer ici la ténacité de son actuel président, Michel Verger, qui a succédé à Jean-Louis Valatx, malheureusement décédé d’un cancer radio-induit. Je salue aussi Bruno Barillot, qui a participé activement à la commission d’enquête décidée par le président Oscar Témaru, et Me Jean-Paul Teissonnière, leur avocat. Par ailleurs, je souligne le rôle important joué par Moruroa e tatou, seule association représentative de la population polynésienne, par son président, Roland Oldham, et par le pasteur John Doom.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Vous fréquentez des ecclésiastiques ?
M. Guy Fischer. Bien sûr, quand c’est pour la bonne cause, monsieur le président ! (Sourires.)
Je me suis investi à leurs côtés, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, en particulier Michelle Demessine, Marie-France Beaufils et Michel Billout.
Je tiens à rappeler ici que les premières propositions de loi sur cette question avaient été déposées par mes collègues Marie-Claude Beaudeau, dès 2001, et Hélène Luc, dont je salue la présence dans nos tribunes aujourd'hui…
M. Guy Fischer. … et dont M. le rapporteur a souligné l’action exemplaire dans son rapport.
Nos deux collègues étaient indéniablement des précurseurs.
Au total, ce sont dix-huit propositions de loi qui ont été déposées sur cette question, émanant de toutes les familles politiques que compte le Parlement. Chose rare, elles ont permis l’élaboration d’une proposition de loi commune. Nous avons travaillé sur cette question au ministère ; nos échanges ont parfois été vifs, monsieur le ministre…
M. Guy Fischer. Il vous est arrivé de me répondre vertement, monsieur le ministre !
M. Guy Fischer. Malheureusement, monsieur le ministre, les intéressés ont réalisé dès sa présentation que votre projet de loi n’était pas à la hauteur. Certes, et c’est son principal mérite, il inverse la charge de la preuve, mais il ne crée pas pour autant un véritable droit à indemnisation, un véritable droit à réparation.
Je ne le nie pas, le texte d’origine a été amélioré par les travaux de l’Assemblée nationale, notamment sur les dates, les périodes et les conditions d’indemnisation, la délimitation des zones concernées, la possibilité donnée aux ayants droit de déposer un dossier, la liste des maladies, ainsi que sur la création d’une commission de suivi dont feraient partie les associations.
Quant aux travaux de la commission des affaires étrangères du Sénat, ils auront essentiellement permis, outre quelques avancées, la suppression du mot « directement » concernant l’exposition aux radiations, ainsi que l’introduction d’une présomption de lien de causalité entre certaines maladies et les essais nucléaires.
Néanmoins, les questions essentielles ne sont pas suffisamment prises en compte dans le projet de loi.
La présomption d’un lien de causalité n’est pas formellement inscrite, ce qui sera très certainement source de recours et de débats juridiques. Mes collègues Michelle Demessine et Marie-France Beaufils y reviendront lorsqu’elles défendront les amendements que nous avons déposés sur ce point.
Vous persistez à refuser la création d’un véritable fonds d’indemnisation autonome doté d’une capacité juridique propre et incluant en son sein les associations de victimes.
Vous avez opposé l’article 40 aux amendements visant à prévoir la réparation des préjudices propres pour les veuves et les ayants droit, ainsi que la création d’un dispositif de retraite anticipée.
En outre, pour ce qui est des compétences de la commission consultative de suivi, vous rejetez tout élargissement aux conséquences épidémiologiques et environnementales des essais. Quel mépris pour les victimes ! À cet égard, le fait que 10 millions d’euros seulement soient inscrits dans le projet de loi de finances pour 2010 laisse présager que le nombre de dossiers d’ores et déjà estimé recevables sera limité. C’est incroyable ! Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, des réponses claires et précises sur cette question.
Vous prétendez, monsieur le ministre, que ce projet de loi permettra la réparation intégrale des préjudices et que toutes les victimes seront prises en considération, sans discrimination. Permettez-moi d’en douter !
Que faites-vous des souffrances des populations polynésiennes, auxquelles un article spécifique aurait dû être consacré ?
Comment ces personnes, alors qu’elles n’ont parfois pas d’acte de naissance en leur possession, pourront-elles prouver qu’elles ont séjourné sur la portion de territoire bien précise qui sera déterminée par décret et ainsi prétendre à une indemnisation ? Où sont les moyens destinés à permettre la réalisation d’un bilan de santé de cette population, qui a été en contact avec du matériel contaminé resté sur place ? Même la barrière de corail a été fragilisée par les essais sous-marins ! Dire que les Polynésiens n’ont même pas été reçus par notre commission...
Monsieur le ministre, vous n’avez pas voulu inclure dans le projet de loi un article sur l’environnement. Que comptez-vous faire pour réparer les dommages environnementaux et permettre la réalisation des études scientifiques nécessaires sur la faune et sur la flore ?
Autre exemple : en opposant l’article 40 aux amendements relatifs au préjudice propre des ayants droit, vous renvoyez les familles au droit commun, c'est-à-dire aux tribunaux. Or, comme l’a indiqué tout à l’heure Yvon Collin, le ministère de la défense faisait jusqu’à très récemment encore systématiquement appel des rares décisions favorables aux plaignants.
Enfin, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires aurait dû se voir confier la charge d’organiser un suivi médical indépendant des victimes. Or tel n’est pas le cas.
Dans l’introduction de son rapport, notre collègue Marcel-Pierre Cléach évoque « l’honneur de la République de reconnaître la responsabilité de l’État dans les souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servi hier ». Or l’honneur, mes chers collègues, est entaché depuis cinquante ans par ce que je n’hésiterai pas à qualifier de mensonge d’État, un mensonge pratiqué par plusieurs gouvernements.
Alors que nous nous approchons des cinquante ans de Gerboise bleue, le premier essai nucléaire français dans le Sahara, nous ne pouvons que constater le temps perdu pour les victimes et leurs ayants droit, pour tous ces gens qui se sont sentis abandonnés après avoir accompli leur devoir et dont beaucoup sont depuis décédés. Or nul ne peut ignorer les conséquences des essais nucléaires sur la santé des vétérans et des populations locales.
Monsieur le ministre, on ne sert jamais la grandeur de l’État en méprisant les victimes !
En conclusion, si ce texte était adopté tel qu’il nous est soumis, l’État demeurerait juge et partie. Il examinerait les dossiers de demande d’indemnisation au cas par cas, avec ses experts, ce qui est inacceptable. C’est pourquoi, en notre âme et conscience, nous ne pourrions pas le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous avons à examiner ensemble cet après-midi a pour objet « la reconnaissance et […] l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français », titre retenu pour le projet de loi par nos collègues de l’Assemblée nationale.
Je tiens tout d’abord à saluer la démarche de M. le ministre de la défense, qui reconnaît que les essais nucléaires français réalisés en Algérie et en Polynésie française, trop longtemps qualifiés d’« essais propres » par l’État, ont finalement eu des conséquences sanitaires sur les populations locales et sur les travailleurs des sites concernés.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous permettre ainsi de débattre de ce sujet grave, qui nous tient particulièrement à cœur en Polynésie française.
Je suis né à Tahiti quelques mois seulement avant l’avant-dernier essai thermonucléaire en milieu atmosphérique, nommé « Centaure », réalisé le 17 juillet 1974, et dont les retombées ont atteint Tahiti. J’appartiens à cette jeune génération de Polynésiens appelée « enfants de la bombe », une génération qui a vécu cette période de transition entre le modèle de société traditionnel et le suivant, marqué par l’arrivée massive de flux financiers en provenance de ce que l’on appelait encore la « métropole ».
Vous comprendrez donc aisément la passion qui m’animera tout au long de mon intervention.
À compter de 1963, date de la création du Centre d’expérimentation du Pacifique, mais également de l’aéroport international de Tahiti-Faa’a, la Polynésie française allait connaître un bouleversement social et économique sans précédent. C’est de cela qu’il s’agit ici.
L’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique à Mururoa et Hao et le bouleversement économique et social subséquent n’ont été du reste possibles pour les autorités de l’époque qu’après avoir prématurément écarté, dans des conditions infâmes, une figure emblématique du paysage politique polynésien de ces années-là, je veux parler de Pouvanaa Oopa Tetuaapua, qui a également siégé dans notre respectable hémicycle de 1971 à 1977.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une première vérité.
En Polynésie française, la France a procédé pendant trente ans, de 1966 à 1996, à cent quatre-vingt-treize tirs, soit quarante-six essais aériens et cent quarante-sept essais souterrains.
Ce sont donc quarante-six déflagrations thermonucléaires atmosphériques qui ont eu lieu, suivies de champignons qui se sont élevés à plusieurs centaines de mètres d’altitude entre 1966 et 1974, alors même que la Grande-Bretagne et les États-Unis avaient cessé ce type d’essais dès 1963. S’y sont ajoutées cent quarante-sept puissantes secousses géologiques qui ont écumé les magnifiques lagons de Mururoa et de Fangataufa pendant trente longues années…
Certains hauts personnages politiques de l’époque avaient même qualifié de « magnifiques » ces flashs lumineux et ces champignons nucléaires au-dessus des atolls en les admirant sur place tout en pliant très rapidement bagage, en même temps que les officiers militaires et la presse, d’ailleurs, juste après le premier tir nucléaire atmosphérique inaugurant en quelque sorte la très longue série d’essais nucléaires qui devait suivre.
À Papeete, donc à plusieurs milliers de kilomètres de là, un amiral déclarait à la télévision que « toute insinuation sur les retombées nocives des essais nucléaires "ne serait que pure faribole, voire propagande, ce qui serait plus grave". » De qui se moquait-on ?
Voilà une deuxième vérité.
Le présent projet de loi constitue bien entendu une avancée pour l’association Moruroa e tatou et l’église protestante Mäòhi qui l’appuie, mais aussi pour l’Association des vétérans des essais nucléaires, pour le Comité de soutien « Vérité et justice », ainsi que pour toutes les associations de victimes des essais nucléaires français qui œuvrent depuis des années.
D’ailleurs, je profite de l’occasion qui m’est aujourd'hui offerte pour féliciter publiquement ces associations de leur persévérance et de leur courage.
Monsieur le ministre, votre projet de loi vise à mettre fin à un système de procédures longues donnant lieu à des jurisprudences différentes, pour lesquelles la faute de l’État n’est parfois même pas reconnue.
L’objectif d’obtenir un système équitable est bien évidemment louable, mais, dans sa rédaction actuelle, le texte ne semble pas permettre de l’atteindre.
J’évoquerai tout d’abord les victimes. Qui sont-elles ? Il ne faut pas l’oublier, derrière les textes que nous voterons, il y a une réalité, celle de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants, tous blessés dans leur éthique et meurtris dans leur chair au nom d’une grande nation dont ils attendaient patiemment qu’elle reconnaisse leur attachement, leur loyauté, mais également leur silence et le sacrifice aveugle envers celle qui était à leurs yeux la « mère patrie » !
Monsieur le ministre, en présentant votre projet de loi, vous avez affirmé à la presse que le nombre des victimes des essais nucléaires s’élevait à « environ 150 000 travailleurs civils et militaires, […] sans compter les populations ».
Nous ne pouvons pas identifier tous les travailleurs civils des sites d’expérimentation en Polynésie française sans disposer d’une liste des salariés ayant travaillé à Mururoa, Fangataufa et Hao entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998. D’ailleurs, j’ai sollicité la communication officielle de cette liste auprès de votre ministère par ma question écrite n° 09711 du 23 juillet 2009, question qui demeure aujourd’hui encore sans réponse.
En ce qui concerne les populations touchées, je me refuse à croire, en tant que personne sensée, que les retombées radioactives s’arrêtent là où on considère qu’elles doivent s’arrêter. Il faut ôter le masque d’incrédulité avec lequel on veut bien nous laisser croire que les particules radioactives ont volé d’une île à l’autre, en choisissant de ne pas s’arrêter sur telle ou telle en chemin.
Selon un rapport public du ministère de la défense et du Commissariat à l’énergie atomique datant de 2007 et que j’ai ici entre les mains, c’est sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française que des mesures positives en termes de retombées radioactives ont pu être effectuées. Sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française, monsieur le ministre !
Au total, sur les huit années d’essais nucléaires atmosphériques, les Polynésiens ont inhalé des particules radioactives provenant des expérimentations nucléaires de Mururoa, tous essais confondus, pendant plus de deux cent trente jours, au minimum !
Dès lors, les dispositions du présent projet de loi tendant à déterminer des zones géographiques restrictives sur Mururoa et Fangataufa, ainsi que certaines zones sur Hao et sur Tahiti, relèvent de l’aberration la plus absolue, mais surtout de l’injure intellectuelle à l’égard des victimes que l’État est censé reconnaître et indemniser.
J’aimerais à présent aborder l’équité entre les citoyens français, qu’ils soient de métropole ou de Polynésie française.
En matière d’assurance maladie, c’est aujourd'hui la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française qui supporte les frais exposés au titre des soins pour les victimes des essais nucléaires français ressortissant à cette caisse. Les dépenses de santé, qui peuvent couvrir des prestations en nature très onéreuses, et les rentes pour maladie professionnelle participent pourtant bien de la réparation intégrale des conséquences sanitaires des essais nucléaires français. Or elles sont aujourd'hui supportées par la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, donc par la solidarité des cotisants polynésiens.
Monsieur le ministre, dans un courrier adressé au président de l’Assemblée de la Polynésie française, vous écriviez : « Je vous confirme qu’il sera possible de rembourser les dépenses effectuées par la Caisse de prévoyance sociale au profit de personnes pour lesquelles le comité d’indemnisation aura reconnu le caractère radio-induit de leur maladie ». Malheureusement, les amendements que nous avions déposés en ce sens ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. Mais la Polynésie française attend que vous nous confirmiez votre engagement, monsieur le ministre.
Reconnaissance des victimes et réparation sanitaire des essais nucléaires français ? Oui, mille fois oui, car, lorsque l’on a entendu des témoignages et vu des victimes, on ne peut pas en rester à un constat ; on éprouve le besoin d’agir. En tant que parlementaires, mes chers collègues, il est de notre devoir d’aller vers une solution simple pour les victimes.
Les essais nucléaires ont laissé des séquelles, visibles ou non, sur les populations, sur leur mode de vie, mais également sur leur environnement.
La Polynésie a été aussi victime des essais nucléaires. C’est une troisième vérité !
Outre la menace de pollution radioactive directe consécutive à l’enfouissement ou au rejet en mer de déchets radioactifs ou aux fuites des essais souterrains, l’existence de failles dans le sous-sol de Mururoa représente une menace pour l’existence à long terme de l’atoll.
Et que dire des cavités creusées pour les essais souterrains ? Quel sera leur effet sur l’écosystème ?
Selon les rapports de surveillance de l’atoll de Mururoa publiés par le CEA, « une déformation lente de la pente externe a été mise en évidence dès la fin des années soixante-dix ».
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les stations de surveillance radiologiques des deux atolls de Mururoa et Fangataufa en Polynésie française, on a frôlé la panique lors de l’alerte donnée à la suite du tremblement de terre survenu au large des îles Samoa, tout récemment, et ce non pas à cause du tsunami que cela aura causé, mais à cause des risques géologiques encourus avec une secousse ayant atteint 8,5 sur l’échelle de Richter. Qui était au courant ?
Allons-nous attendre patiemment un nouveau désastre sanitaire, à grande échelle cette fois, à partir de ces deux atolls dans les prochaines décennies dans l’hypothèse d’une secousse sismique de ce type au large des atolls de Mururoa et Fangataufa ? N’est-il pas temps, monsieur le ministre, de traiter cette question de manière préventive avec la même détermination que celle dont vous avez fait preuve en présentant ce projet de loi consacré aux conséquences uniquement sanitaires des essais nucléaires français ?
C’est une quatrième vérité !
Dans les prochaines semaines, je soumettrai à la commission de l'économie du Sénat une proposition de résolution tendant à créer une mission d’information sur les conséquences environnementales des essais nucléaires français sur les atolls que je viens de mentionner. Et je compterai sur votre soutien, monsieur le ministre, mes chers collègues.
Il faut le rappeler encore et encore, grâce aux essais réalisés en Algérie et en Polynésie française, la France a pu gagner le statut de puissance nucléaire et disposer des moyens d’assumer un rôle influent dans le concert des nations. Mais cela n’a pas été la seule « retombée ». Notre pays a également pu mettre en place un complexe militaro-industriel à l’origine de la création de grandes sociétés publiques à l’échelle nationale, comme AREVA, qui, à ce jour, développent des technologies, transfèrent des savoir-faire et implantent de centrales nucléaires partout dans le monde, en particulier grâce aux résultats des travaux réalisés au sein du Centre d’expérimentation du Pacifique, le CEP.
Au total, ce sont donc plusieurs centaines de millions de francs français, puis d’euros, que la France a pu récolter en raison des effets directs et indirects des technologies développées à partir des travaux du CEP.
C’est une cinquième vérité !
Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question écrite n° 09712 du 23 juillet 2009 par laquelle je réclamais une analyse comptable et chiffrée des retombées financières et économiques consécutives aux essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie française, de 1966 à 1998, date du démantèlement définitif. Faut-il en conclure que ces informations n’ont jamais été récoltées ni analysées par la France ? Nous ne le pensons pas.
Oui, la France a gagné beaucoup d’argent grâce aux essais nucléaires qu’elle a pu réaliser au Sahara et en Polynésie française ! Non, les victimes des essais nucléaires français n’ont pas à rougir de solliciter la réparation de leur préjudice !
Les autres grandes puissances nucléaires ont déjà reconnu complètement leur responsabilité envers leurs victimes. Il est grand temps aujourd’hui que cesse le mythe, entretenu pendant quarante ans, des « essais propres » ! Il est grand temps aujourd’hui que la France rende justice à ceux qui travaillaient pour elle sur ses propres sites d’essais ! Il est grand temps aujourd’hui que la France rende justice aux populations qui en ont subi les conséquences !
Le 25 juillet 1964, M. Georges Pompidou, alors Premier ministre, déclarait devant l’Assemblée territoriale de Polynésie : « Il est bien entendu que la France n’entreprendra jamais, nulle part, et notamment dans ses territoires de Polynésie, la moindre expérience nucléaire si elle devait présenter un danger quelconque pour la santé des populations de ces territoires ». L’Histoire a montré qu’il n’en a rien été.
Les Algériens et les Polynésiens, y compris les travailleurs salariés des sites d’expérimentations nucléaires, ont été mis en danger en toute connaissance de cause.
C’est une sixième vérité !
Cela fait beaucoup de vérités enfouies…
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous saviez, et nous savions, qu’un tel sujet serait une véritable boîte de Pandore.
Chantre des droits de l’homme à travers le monde, notre nation admet aujourd’hui que ses expériences nucléaires ont fait des victimes. Elle doit donc adopter le principe de la présomption de causalité et indemniser en conséquence tant les vétérans civils et militaires que les populations voisines de ses anciens sites d’essais, et ce sans esquives ni réserves tenant à des considérations budgétaires, d’autant que les frais exposés sont largement couverts par les retombées économiques et financières des essais.
Monsieur le ministre, il reste une septième vérité. Nous voulons savoir si vos engagements seront tenus dans le décret d’application que vous avez déjà annoncé.
L’honnêteté intellectuelle et la responsabilité politique qui pèsent sur mes collègues du groupe socialiste et sur moi-même militent pour que je ne conteste pas le mérite d’un tel projet de loi. Cependant, les insatisfactions persistantes en matière de détermination des zones géographiques et l’absence de reconnaissance du préjudice propre des ayants droit, deux points fondamentaux relevés par les populations locales elles-mêmes et aujourd'hui froidement méconnus, me font pencher en faveur d’une abstention. Telle sera ma position, en accord avec mon groupe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été souligné par M. le rapporteur, après une longue période d’attente, le texte qui nous est présenté honore le Parlement, le Gouvernement, mais aussi vous-même, monsieur le ministre.
M. André Dulait. Vous avez eu le courage d’aller jusqu’au bout d’une démarche entreprise depuis longtemps ; je pense notamment aux différentes amorces de texte qui nous avaient été présentées.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. André Dulait. Tout d’abord, il me paraît important de rappeler les nécessités et les impératifs stratégiques qui ont conduit la France à adopter une politique de défense fondée sur le développement de son arsenal nucléaire.
Voilà quarante ans, notre pays a forgé sa stratégie de défense sur une volonté d’indépendance. L’indépendance et l’autonomie militaires se sont traduites par le choix délibéré d’une politique d’armement nucléaire. Et, dans un contexte géopolitique aussi complexe et mouvant que celui que nous connaissions, ce choix s’est révélé être le bon.
C’est cette même politique de défense qui nous a permis d’occuper une place reconnue sur la scène internationale, notamment au sein des membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies.
C’est aussi cette politique d’armement qui garantit la préservation des intérêts vitaux de notre pays.
Pour ce faire, la France a procédé à des essais nucléaires dans le Sahara algérien et en Polynésie française. Au total, deux cent dix essais, atmosphériques ou souterrains, ont été réalisés. Ils ont participé à l’élaboration d’une véritable force de dissuasion nucléaire, pilier de la sécurité de notre pays et de nos concitoyens.
Cependant, dès que cela a été techniquement possible, la France a eu recours aux simulations informatiques.
Parallèlement à ce programme de simulations, choix aussi courageux qu’ambitieux, la France s’est investie dans le désarmement. Elle a adhéré au traité d’interdiction complète des essais nucléaires.
Depuis, la France a arrêté sa production de matière fissile et a engagé le démantèlement des installations du Centre d’expérimentation du Pacifique.
Cette page de l’histoire nucléaire française, du début à la fin des essais, ne doit pas être appréhendée à la légère. Un simple raccourci entre essais et indemnisation ne correspondrait pas à la réalité. Notre pays n’a pas joué à l’apprenti sorcier.
Après chacun des essais, tant au Sahara qu’en Polynésie, des relevés radiologiques ont été effectués. Des précautions ont été prises. Les effets ont été mesurés, recensés et archivés. La preuve en est que nous retrouvons l’ensemble des données recueillies dans les rapports que mes collègues ont cités.
Des protocoles de protection des personnels ont été mis en place, mais cela a été fait au regard des données scientifiques disponibles et de l’état d’avancement des connaissances à l’époque.
L’expertise nucléaire de la France et les données relatives aux rayonnements ionisants étaient loin d’atteindre le niveau des connaissances dont disposent les experts onusiens aujourd’hui.
Dès la fin des essais, le gouvernement de l’époque a entrepris une politique d’évaluation des effets des essais en Polynésie et a lancé de lourds travaux de dépollution des sites d’expérimentation.
Rappelons qu’en janvier 2004 le Président de la République avait souhaité, à la suite de la décision conjointe des ministères de la défense et de la santé, la création du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires. Le CSSEN avait pour missions de dresser le bilan des données disponibles sur les expositions aux rayonnements ionisants durant les essais, de définir et de caractériser les pathologies susceptibles d’être radio-induites et de déterminer les catégories des personnes ayant pu être exposées aux rayonnements ionisants.
Par ailleurs, je souhaite rappeler que la Polynésie a connu deux grandes campagnes de réhabilitation des installations de l’ex-direction des expérimentations nucléaires.
Tout cela témoigne de l’engagement de la République envers les Polynésiens. Ces sujets sont graves et ne doivent pas être abordés à travers le prisme trop souvent réducteur et déformé des rapports de la métropole à l’égard d’une collectivité territoriale ultramarine. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ainsi, la première tranche de travaux concernait les atolls de Reao, Tureia et les îles Gambier situés à proximité des sites de Fangataufa et de Mururoa. Lancés en mai 2007, les travaux ont duré deux années pour un coût global de 5 millions d’euros prélevés sur le budget de la Défense.
La deuxième tranche de travaux concerne l’atoll d’Hao. Prévus sur sept ans, ces travaux ont débuté en avril dernier et coûteront 63 millions d’euros. Ce grand chantier bénéficiera de la présence de la logistique des armées en vue de valoriser les potentialités de l’atoll, intégrant un accompagnement médical assuré par la Marine nationale.
Depuis janvier 2009, un comité de suivi du chantier de réhabilitation a été installé par le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française, le commandant supérieur des forces armées et le vice-président de la Polynésie française.
Cinq groupes de travail sont mis en place, quatre respectivement pour le foncier, l’environnement, la valorisation et la communication, et un groupe de liaison avec la commune. Il s’agit d’une opération phare, totalement intégrée au débat engagé en Polynésie française dans le cadre des états généraux de l’outre-mer.
Cette politique de dépollution témoigne de la cohérence et de la transparence de l’action du Gouvernement qui, aujourd’hui, fait un pas supplémentaire, un pas attendu et légitime, en posant le principe du droit à la reconnaissance pour les victimes. Il ne s’agit pour l’État ni de se dédouaner ni de nier sa responsabilité : il s’agit de regarder le passé en face !
C’est une première pour un texte d’origine gouvernementale. L’heure est à une reconnaissance officielle, accompagnée par la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation des victimes aussi juste que rigoureux.
C’est là toute l’ambition de ce projet de loi, malgré un chemin long et difficile, tant pour les personnels civils que pour les militaires en poste à l’époque, dont certains, hélas, ne sont plus là aujourd’hui.
Je pense également aux populations, auxquelles je souhaite rendre hommage car c’est aussi à elles que s’adresse ce texte.
Là encore, c’est une première. Contrairement aux nombreuses propositions de lois déposées par différents groupes politiques de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ce projet de loi concerne les personnels militaires ou civils, ainsi que toutes les personnes ayant séjourné ou résidé dans les zones géographiques évoquées précédemment, et qui souffrent de pathologies radio-induites à la suite d’une exposition aux rayonnements ionisants. Dans le triste cas où ces personnes seraient décédées, l’indemnisation irait à leurs ayants droit.
Mes chers collègues, ce texte comporte plusieurs innovations dont il faut se féliciter.
Sans revenir sur chacun des points déjà présentés par notre rapporteur, dont je salue l’excellent travail, vous me permettrez de préciser certaines avancées capitales.
En plus de poser le principe de la reconnaissance, ce projet de loi répond aux difficultés de procédure que pouvaient rencontrer les victimes.
À ce titre, je me réjouis du travail du rapporteur et du ministre de la défense, qui ont souhaité avant tout traduire dans le droit commun la reconnaissance légitime des victimes et qui ont cherché à rendre plus efficace et plus transparente la procédure d’indemnisation via l’instauration d’un comité d’indemnisation spécialisé composé de véritables experts en radiopathologies, lesquels procéderont aux investigations scientifiques et médicales au cas par cas pour répondre aux demandeurs.
La proposition de nomination de ces experts par les ministres de la défense et de la santé témoigne également d’une volonté d’indépendance et de rigueur qu’il convient de saluer.
Contrairement à ce qui s’est passé pour l’amiante, M. le rapporteur l’a souligné, aucun fonds d’indemnisation ne sera créé. Cela évitera aux victimes, pour qui le temps est déjà suffisamment compté, les lenteurs et les lourdeurs inhérentes à ce type de structure administrative.
En effet, selon les dernières évaluations parlementaires, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, a mis deux ans à se mettre en place…
De plus, l’installation d’une commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, qui se réunira au moins deux fois par an sur l’initiative du ministre de la défense, est la démonstration même de l’implication des associations et des élus à l’origine du texte. Ils ont toute leur place dans le suivi de l’application de la loi.
Ainsi, chacune des parties pourra travailler avec les victimes et pour elles dans le respect de la place et des devoirs de chacun.
Les victimes, en particulier les vétérans et les populations civiles, demandaient depuis longtemps justice, sans être toutefois entendues. Aujourd’hui, c’est chose faite.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi. Il y va de l’honneur de la République envers ceux qui l’ont servie. Voilà un acte assumé, juste et rigoureux, qui met fin à un tabou.
C’est la raison pour laquelle je vous félicite, monsieur le ministre, de la méthode que vous avez utilisée pour l’élaboration de ce texte.