M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En outre, ce serait inconstitutionnel !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. En conclusion, la discussion générale marque un consensus assez large sur les avancées que constitue ce texte.
Certains d’entre vous ont posé, à juste titre, un certain nombre de questions sur lesquelles il faudra être très attentif au moment où le dispositif sera véritablement mis en œuvre. D’autres ont ouvert des perspectives hors modification de la Constitution. Il est toujours intéressant de réfléchir aux évolutions possibles. Mais nous avons déjà vraiment de quoi faire avec cette modification.
Nous abordons le débat dans un esprit extrêmement positif, voire enthousiaste si j’en juge par certaines de vos interventions dans lesquelles vous considérez qu’il s’agit d’un vrai progrès. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par MM. Sueur, Collombat, Frimat et Michel, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article 3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, les mots : « des votes et de ne prendre aucune position publique, » sont supprimés.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements de coordination nos 15 et 13.
M. le président. J’appelle donc en discussion des deux amendements suivants.
L'amendement n° 15, présenté par MM. Sueur, Collombat, Frimat et Michel, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 14 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les décisions sont signées par tous les conseillers ayant participé au délibéré, mention étant faite du rapporteur.
« Les conseillers peuvent exprimer leur désaccord sur le dispositif et les motifs de la décision ou sur les seuls motifs dans une opinion séparée, signée de son auteur, annexée à la décision majoritaire et publiée au Journal officiel. »
L'amendement n° 13, présenté par MM. Sueur, Collombat, Frimat et Michel, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 20 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel est complété par les mots : «, de même que les éventuelles opinions séparées ».
Vous avez la parole, monsieur Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Comme le dit Wanda Mastor, professeur de droit public, le droit public français n’a jamais consacré la publicité des divergences en matière juridictionnelle. Bien au contraire, il énonce de manière ferme un principe élevé au rang de dogme, celui du secret des délibérés. Ce dernier est ancré dans notre droit depuis si longtemps et de manière si constante que l’on parle de tradition française du secret.
Lors de l’instauration du Conseil constitutionnel, les règles de procédure s’inspirèrent naturellement de celles des juridictions ordinaires. Au moment de prêter serment devant le Président de la République, les membres du Conseil constitutionnel « jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil. »
Le décret pris en application de la loi organique relative au Conseil constitutionnel fait figurer parmi les obligations imposées au juge constitutionnel celle de ne prendre aucune position publique sur les questions ayant fait ou susceptibles de faire l’objet de décision de la part du Conseil.
Tout cela, vous pourriez me le dire, monsieur le secrétaire d’État, mais je vous dispense ainsi de me rappeler ce que nous connaissons tous.
J’ai été, comme plusieurs de mes collègues, invité par M. le président du Conseil constitutionnel. Vous pensez bien que, par respect pour cette haute institution, nous avons répondu à l’invitation. Le président a remis à chacune des personnes qu’il avait conviées un ouvrage, que je lis régulièrement le soir.
M. Patrice Gélard. Un roman policier ? (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit non pas d’un roman policier, contrairement à ce que croit un éminent collègue, mais tout simplement du compte rendu des délibérations du Conseil constitutionnel. Je dis bien « délibérations » et non « décisions », avec, bien évidemment, une certaine distance dans le temps.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela va de soi ! Nous avons légiféré sur les archives !
M. Jean-Pierre Sueur. M. le président du Conseil constitutionnel suggérait ainsi qu’il y a un grand intérêt à lire les délibérations pour comprendre les décisions du Conseil, tout comme il est utile de connaître les délibérations du Parlement pour bien comprendre les lois !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Sueur !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai annoncé que j’allais présenter mes trois amendements en même temps, monsieur le président. Je pourrais donc parler trois fois cinq minutes. (Trois minutes seulement ! sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le règlement a été modifié, monsieur Sueur : vous disposez d’un temps de parole de trois minutes par amendement !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai ! Mais, vous le savez, mes chers collègues, je suis quelque peu conservateur, comme un certain nombre d’entre vous, …
M. Christian Cointat. Beaucoup plus que nous !
M. Jean-Pierre Sueur. …et j’ai donc du mal à me faire aux nouvelles habitudes !
J’en reviens à mes amendements.
D’abord, les opinions séparées peuvent être à l’origine de l’adoption de certaines lois de modification de la norme. C’est ainsi que les opinions dissidentes de certains juges de la Cour suprême des États-Unis relatives à la condamnation de l’esclavage ont été la pierre angulaire de l’édifice d’un long processus de transformation du droit et des mœurs.
Ensuite, les opinions séparées peuvent annoncer des revirements jurisprudentiels, les opinions minoritaires d’hier pouvant devenir les opinions majoritaires de demain.
Par ailleurs, les opinions séparées permettent de rendre les décisions majoritaires plus compréhensibles.
Enfin, l’expression des opinions séparées existe dans un certain nombre de pays ; je veux parler de l’Italie, de l’Espagne, des États-Unis et de beaucoup d’autres.
Vous savez aussi – ce n’est un secret pour personne – qu’il existe même des membres du Conseil constitutionnel qui trouveraient très bénéfique que l’on puisse publier les opinions séparées.
C’est pour aller dans le sens de la modernisation de nos institutions que nous présentons ces trois amendements, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission est défavorable à ces trois amendements pour deux raisons.
D’abord, ils n’ont aucun lien avec la loi organique.
Ensuite, la question de savoir si une juridiction doit faire connaître les opinions dissidentes ou individuelles de ses membres regarde la seule juridiction ; le législateur n’a pas à s’immiscer dans la composition d’une décision de justice.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à ces trois amendements pour les mêmes raisons. Ces décisions seront ainsi dotées de l’autorité nécessaire.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
Après le chapitre II du titre II de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :
« Chapitre II bis
« De la question prioritaire de constitutionnalité
« Section 1
« Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation
« Art. 23-1 (non modifié). – Devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office.
« Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n’est pas partie à l’instance, l’affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu’il puisse faire connaître son avis.
« Si le moyen est soulevé au cours de l’instruction pénale, la juridiction d’instruction du second degré en est saisie.
« Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d’assises. En cas d’appel d’un arrêt rendu par la cour d’assises en premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d’appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation.
« Art. 23-2. – La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :
« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
« 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
« 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
« En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.
« La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n’est susceptible d’aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.
« Art. 23-3 (non modifié). – Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.
« Toutefois, il n’est sursis à statuer ni lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance, ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.
« La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s’il est formé appel de sa décision, la juridiction d’appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.
« En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.
« Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu’il n’a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.
« Section 2
« Dispositions applicables devant le Conseil d’État et la Cour de cassation
« Art. 23-4 (non modifié). – Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l’article 23-2 ou au dernier alinéa de l’article 23-1, le Conseil d’État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
« Art. 23-5 (non modifié). – Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d’irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d’office.
« En tout état de cause, le Conseil d’État ou la Cour de cassation doit, lorsqu’il est saisi de moyens contestant la conformité d’une disposition législative d’une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d’autre part aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
« Le Conseil d’État ou la Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
« Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d’État ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence, il peut n’être pas sursis à statuer.
« Art. 23-6 (non modifié). – Le premier président de la Cour de cassation est destinataire des transmissions à la Cour de cassation prévues à l’article 23-2 et au dernier alinéa de l’article 23-1. Le mémoire mentionné à l’article 23-5, présenté dans le cadre d’une instance devant la Cour de cassation, lui est également transmis.
« Le premier président avise immédiatement le procureur général.
« L’arrêt de la Cour de cassation est rendu par une formation présidée par le premier président et composée des présidents des chambres et de deux conseillers appartenant à chaque chambre spécialement concernée.
« Toutefois, le premier président peut, si la solution lui paraît s’imposer, renvoyer la question devant une formation présidée par lui-même et composée du président de la chambre spécialement concernée et d’un conseiller de cette chambre.
« Pour l’application des deux précédents alinéas, le premier président peut être suppléé par un délégué qu’il désigne parmi les présidents de chambre de la Cour de cassation. Les présidents des chambres peuvent être suppléés par des délégués qu’ils désignent parmi les conseillers de la chambre.
« Art. 23-7. – La décision motivée du Conseil d’État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision motivée par laquelle le Conseil d’État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d’une question prioritaire de constitutionnalité. Si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel.
« La décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation est communiquée à la juridiction qui a transmis la question prioritaire de constitutionnalité et notifiée aux parties dans les huit jours de son prononcé.
« Section 3
« Dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel
« Art. 23-8 (non modifié). – Le Conseil constitutionnel, saisi en application des dispositions du présent chapitre, avise immédiatement le Président de la République et le Premier ministre. Ceux-ci peuvent adresser au Conseil constitutionnel leurs observations sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui est soumise. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont également avisés par le Conseil constitutionnel.
« Lorsqu’une disposition d’une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie fait l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avise également le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du congrès et les présidents des assemblées de province.
« Art. 23-8-1 (non modifié). – Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l’extinction, pour quelque cause que ce soit, de l’instance à l’occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l’examen de la question.
« Art. 23-9 (non modifié). – Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L’audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel.
« Art. 23-10. – La décision du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil d’État, soit à la Cour de cassation ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée.
« Le Conseil constitutionnel communique également sa décision au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, dans le cas prévu au dernier alinéa de l’article 23-8, aux autorités qui y sont mentionnées.
« La décision du Conseil constitutionnel est publiée au Journal officiel et, le cas échéant, au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie.
« Art. 23-11 (non modifié). – Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, la contribution de l’État à la rétribution des auxiliaires de justice qui prêtent leur concours au titre de l’aide juridictionnelle est majorée selon des modalités fixées par voie réglementaire. »
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par MM. Sueur, Collombat, Frimat et Michel, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le premier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elles sont enfin incompatibles avec toute activité professionnelle. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. La question qui est posée est celle de la compatibilité du statut de membre du Conseil constitutionnel avec certaines activités professionnelles. Pour simplifier les choses, nous proposons que les membres du Conseil constitutionnel n’exercent aucune activité professionnelle.
Il est clair que la profession d’avocat pose problème. Un membre du Conseil qui l’exercerait pourrait ainsi être impliqué dans une procédure aboutissant à la saisine de cette juridiction, et se trouver dans une situation ambiguë où il serait à la fois juge et partie. De même, il paraît évident que l’on ne saurait être à la fois membre du Conseil constitutionnel et membre du Gouvernement ou du Parlement.
Plus généralement, c’est la question du respect des principes du procès équitable qui se pose, mes chers collègues. En effet, au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, parmi les garanties générales du procès équitable figure l’indépendance du tribunal. Celle-ci s’apprécie tant par rapport au pouvoir exécutif qu’à l’égard des parties en cause. Pour déterminer si un organe est indépendant, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il existe ou non une apparence d’indépendance.
Le mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel et la possibilité qui leur est laissée d’exercer une activité professionnelle sont autant d’occasions de dépendance. Pourtant, leur statut leur permet de vivre décemment, et ils sont, par définition, suffisamment attachés au bien commun et à l’esprit républicain pour ne pas ressentir le besoin d’exercer une autre profession, quelle qu’elle soit.
Toutefois, nous ne sommes pas des extrémistes et, pour être parfaitement clairs, nous ne pensons pas que l’interdiction d’exercer une activité professionnelle doive s’étendre à l’écriture et à la publication. Nous n’opposons pas d’objections à ce qu’un membre du Conseil constitutionnel écrive des romans policiers, que nous avons d’ailleurs plaisir à lire certains soirs. Nous n’interdisons pas non plus à un ancien Président de la République membre dudit Conseil de publier quelque histoire sentimentale... (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est uniquement pour dire cela que vous avez déposé cet amendement ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. Je dois tout d’abord à l’honnêteté de dire que votre rapporteur avait déposé en commission un amendement sur les incompatibilités, notamment avec l’exercice de la profession d’avocat ou d’officier ministériel. Un débat approfondi a toutefois fait apparaître la relative complexité du sujet. En effet, la question du statut des membres du Conseil ayant été écartée lors de la révision constitutionnelle, nous pouvons difficilement l’introduire dans la loi organique.
Tous les États européens imposent une qualification juridique aux membres des cours constitutionnelles, ce qui n’est pas le cas de la France. Si rien n’est exigé aux États-Unis, le Sénat américain vérifie la qualification professionnelle, notamment juridique, des candidats proposés par le Président des États-Unis. Nous n’en sommes pas là ! Si, à l’avenir, nous souhaitons aborder cette question, il faudra d’abord traiter de la qualification avant de se pencher sur les incompatibilités professionnelles. Lors de la révision constitutionnelle de 2008, un débat s’était engagé dans cette assemblée, mais la question avait finalement été écartée par le Congrès. La position de la commission a donc été d’écarter toute espèce d’incompatibilité.
J’ajoute, par parenthèse, que la Constitution empêche d’interdire l’exercice de deux professions : professeur d’université et ministre du culte d’Alsace-Moselle. Pour ces deux catégories professionnelles, le Conseil constitutionnel serait obligé de censurer votre amendement s’il venait à être adopté (M. Patrice Gélard et Mme Catherine Troendle font un signe d’approbation.)
Je préfère vous épargner cette censure, et émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je compléterai les propos extrêmement sensés et convaincants de M. le rapporteur en rappelant que le Gouvernement souhaite garantir l’impartialité des membres du Conseil constitutionnel et faire en sorte que celle-ci ne soit pas mise en doute.
Toutefois, le droit en vigueur permet déjà d’atteindre cet objectif. En vertu de l’article 3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, tout membre du Conseil constitutionnel a l’obligation, avant d’entrer en fonction, de jurer de bien et fidèlement remplir ses fonctions et de les exercer en toute impartialité. De surcroît, l’article 2 du décret du 13 novembre 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel prévoit que ses membres s’interdisent, en particulier pendant la durée de leurs fonctions, de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l’objet de décisions de la part du Conseil.
En visant à interdire, par exemple, à un professeur de droit nommé au Conseil constitutionnel de continuer à donner ses enseignements, ce qui constitue tout de même une conséquence autrement plus sérieuse que l’écriture de romans policiers ou d’autres types d’ouvrages, cet amendement paraît excessif, monsieur Sueur.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voterai en faveur de cet amendement, afin de protester contre le manque d’intérêt porté au statut des membres du Conseil constitutionnel.
Je ne vois pas très bien pourquoi la loi organique ne pourrait pas concerner le statut et les incompatibilités professionnelles des membres de cette institution, monsieur le rapporteur. Ce n’est pas parce que le constituant a refusé de se prononcer à cet égard que la loi organique ne peut pas prévoir des incompatibilités. Cette position ne me paraît pas défendable.
M. Patrice Gélard. Ce serait un cavalier !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Plus que la question des incompatibilités professionnelles, c’est celle des incompatibilités d’activités qu’il faudrait se poser.
Nous avons déjà abordé ce sujet en commission et lors de la discussion générale. Parce qu’il est difficile d’imaginer toutes les activités qui sont incompatibles, il faut laisser le soin au Conseil constitutionnel de régler la question au cas par cas pour ses membres, par le biais de son règlement intérieur.
L’amendement de M. Sueur est assez radical. Certes, on pourrait considérer qu’en interdisant toute activité professionnelle on réglerait définitivement le problème. Mais il ne me semble pas nécessaire d’aller jusqu’à cette extrémité. Il paraît d’ailleurs difficile d’interdire à tout ancien Président de la République, membre de droit du Conseil constitutionnel, d’exercer une activité professionnelle.