Article 18
Sur demande de la collectivité bénéficiaire du transfert du parc, notifiée au représentant de l’État au plus tard le 15 décembre 2009 ou le 1er juillet 2010, selon que la date d’effet est fixée au 1er janvier 2010 ou au 1er janvier 2011, la collectivité est, à compter de cette date d’effet, substituée à l’État dans ses droits et obligations découlant des contrats relatifs à des marchés en cours autres que ceux mentionnés à l’article 15.
Article 19
Dans chaque département, si, à la date du transfert du service ou d’une partie de service à une collectivité, la contribution du parc à la trésorerie du compte de commerce ouvert par l’article 69 de la loi de finances pour 1990 précitée pour retracer les opérations de recettes et de dépenses des parcs est positive après déduction des dettes et des créances, le montant de cette contribution revient, dans les conditions prévues par une loi de finances, à cette collectivité au prorata des facturations ayant donné lieu à paiement au parc par la collectivité dans les facturations totales pendant les trois années précédant le transfert.
Article 19 bis
Le coût de remise en état des terrains utilisés par le parc, selon les procédures prévues au titre II du livre Ier et au titre Ier du livre V du code de l’environnement, est pris en charge prioritairement par le compte de commerce, avant liquidation de la contribution du parc à sa trésorerie, visée à l’article 19, dans les conditions précisées par une loi de finances.
TITRE IV
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 20
I. – Les emplois affectés au fonctionnement du réseau de communications radioélectriques géré par le parc ne sont pas transférés, à l’exception de ceux affectés au fonctionnement des installations radioélectriques équipant les immeubles et véhicules de la collectivité bénéficiaire du transfert du parc.
II. – S’agissant des biens meubles et immeubles nécessaires au fonctionnement du réseau mentionné au I, les dispositions du titre III de la présente loi s’appliquent sous réserve des dispositions particulières du présent II.
Les installations radioélectriques équipant les immeubles et véhicules de la collectivité bénéficiaire du transfert et, si celle-ci le demande, les installations radioélectriques participant exclusivement aux communications radioélectriques sur le réseau routier départemental demeurent affectées ou sont transférées à cette collectivité.
Les biens meubles et immeubles appartenant à la collectivité bénéficiaire du transfert qui participent aux communications radioélectriques sur le réseau routier national sont de plein droit mis à disposition de l’État.
Lorsque la convention ou l’arrêté respectivement mentionnés aux articles 4 et 5 l’ont prévu, les installations radioélectriques qui, à la date d’effet du transfert du parc à la collectivité, n’ont pas été transférées à celle-ci et dont l’État n’a plus l’usage, peuvent néanmoins être ultérieurement transférées par convention à cette collectivité si elle le demande.
Le transfert des installations radioélectriques s’accompagne du transfert de plein droit des conventions, baux et titres afférents ou est assorti, le cas échéant, d’une convention d’occupation à titre gratuit du domaine public de l’État.
III. – L'État assure à titre gratuit pour la collectivité bénéficiaire du transfert qui le demande la prestation de fourniture de communications entre les installations radioélectriques précitées. La convention prévue à l'article 4 ou l'arrêté prévu à l'article 5 précise le contenu, la durée et les modalités de cette prestation.
IV. – Lorsque la collectivité territoriale bénéficiaire du transfert du parc décide de raccorder son réseau de communications radioélectriques au réseau national de radiocommunications numériques pour les services d’incendie et de secours au titre de l’infrastructure nationale partageable des transmissions, elle bénéficie de plein droit de l’usage de ces équipements, sous réserve de l’accord de l’État et aux conditions convenues.
Ce droit d’accès est accordé à titre gratuit sous réserve des investissements de capacité nécessaires qui restent à la charge de la collectivité bénéficiaire et de sa participation aux frais de fonctionnement et de maintenance correspondants.
Article 21
Dans la mesure requise pour assurer la continuité du service public, la collectivité bénéficiaire du transfert du parc peut, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans suivant la date du transfert, fournir à l’État des prestations d’entretien des engins affectés à la voirie et de viabilité hivernale sur le réseau routier national.
Article 21 bis A
I. – Dans la stricte mesure requise pour assurer la continuité du service public et la sécurité des personnes sur le réseau routier communal et intercommunal, la collectivité bénéficiaire du transfert du parc peut, pendant une durée maximale de trois ans à compter de la date du transfert, continuer à fournir aux communes et à leurs groupements, à leur demande, les prestations nécessaires à l’entretien des engins affectés à leur voirie, à la viabilité hivernale et à la sécurisation de ce réseau en cas de conditions météorologiques défavorables.
II. – Hors les cas mentionnés au I, la collectivité bénéficiaire du transfert du parc ne peut effectuer des prestations, pour le compte et à la demande des communes et de leurs groupements, que dans le respect des règles de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics. Ces prestations sont relatives à la construction et à l’entretien du réseau routier communal et intercommunal, ainsi qu’à l’entretien des moyens matériels affectés à ce réseau.
Article 21 bis
Après l’article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 1424-35-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1424-35-1. – Dans le respect des règles de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics, le département peut effectuer pour le compte et à la demande de l’établissement public visé au premier alinéa de l’article L. 1424-1 du présent code l’entretien de l’ensemble de ses moyens matériels. »
Article 22
Les personnels du service ou de la partie de service transféré chargés des fonctions de support apportent leur concours aux services de l’État pour la mise en œuvre du transfert pendant une durée maximale d’un an à compter de la date de celui-ci. Une annexe à la convention prévue à l’article 4 ou, le cas échéant, à l’arrêté prévu à l’article 5, définit la liste des agents concernés et les modalités de leur intervention.
………………………………………………………………………………
Article 25
Lorsqu’ils en font la demande dans le délai de deux ans à compter du transfert du service, ou à compter de la date de l’entrée en vigueur du décret prévu au premier alinéa du II de l’article 11 de la présente loi pour ceux dont la mise à disposition est antérieure à cette date, les ouvriers des parcs et ateliers des ponts et chaussées et des bases aériennes admis ou susceptibles d’être admis au bénéfice du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État mis à disposition d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales en application de l’article 107 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 précitée sont, par dérogation à l’article 36 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, intégrés dans un cadre d’emplois existant de la fonction publique territoriale selon des modalités précisées par décret en Conseil d’État, le cas échéant à l’issue de la période de stage, et sans qu’il soit fait application de l’article 41 de la même loi.
Les ouvriers des parcs et ateliers mentionnés au premier alinéa du présent article qui, à l’expiration du délai de deux ans mentionné au présent article, n’ont pas demandé leur intégration dans un cadre d’emplois peuvent la demander à tout moment.
Les dispositions de l’article 147 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 précitée et des II et III de l’article 11 de la présente loi ainsi que celles des décrets d’application auxquels ils renvoient sont applicables aux intégrations intervenant en application du présent article.
Mme la présidente. Sur les articles 3 à 25, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?
Le vote est réservé.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(Le projet de loi est adopté.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
13
Article 61-1 de la Constitution
Adoption d’un projet de loi organique
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution (projet n° 613, 2008-2009 ; texte de la commission n° 638, 2008-2009 ; rapport n° 637, 2008-2009).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi organique soumis à votre examen met en œuvre le mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité, prévu par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Il permet au justiciable de soutenir qu’une disposition législative, quelle qu’elle soit, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Le texte qui vous est proposé a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Je me réjouis de l’esprit de consensus, au-delà des clivages politiques, qui a présidé à sa discussion.
Votre commission des lois a effectué un travail remarquable sur le texte. Je salue particulièrement l’investissement du rapporteur, Hugues Portelli, sur le projet de loi organique. Grâce aux améliorations apportées, le texte a gagné en clarté, en lisibilité et en cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question prioritaire de constitutionnalité marque un progrès historique dans la pratique démocratique au quotidien. En prévoyant que « le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation », le constituant a voulu éviter certains risques.
Il y a, d’abord, le risque d’un engorgement par l’afflux de questions déjà tranchées, fantaisistes ou soulevées à des fins dilatoires.
Il y a, ensuite, le risque, plus profond, de déstabilisation de notre organisation juridictionnelle.
Le projet de loi organique institue donc le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité, en cohérence avec les principes du droit français. Des règles de procédure adaptées doivent en assurer la pleine effectivité. Il s’agit là des deux points essentiels de ce texte.
Premièrement, la question prioritaire de constitutionnalité s’inscrit en cohérence avec les principes de notre droit.
Elle réaffirme la hiérarchie des normes, dans le respect de notre architecture juridictionnelle.
D’une part, la primauté de la Constitution sur les règles de droit interne se trouve réaffirmée. Désormais, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi pourra être soulevé au cours de toute instance devant toute juridiction, qu’elle relève du Conseil d’État ou de la Cour de cassation.
Il pourra être soulevé pour la première fois en cour d’appel. En matière pénale, il pourra intervenir au cours de l’instruction et sera alors porté devant la chambre de l’instruction. En assises, la question pourra être soulevée en amont, dans la phase d’instruction du procès criminel.
D’autre part, la question prioritaire de constitutionnalité est conforme aux principes de notre organisation juridictionnelle.
Le principe de spécialité des juridictions est respecté. Chacun reste dans sa sphère de compétence. Les juridictions judiciaires et administratives vérifient la compatibilité entre les lois nationales et les normes internationales. Le Conseil constitutionnel vérifie la conformité de la loi à la Constitution.
L’équilibre des juridictions est maintenu. Il n’est pas question de faire du Conseil constitutionnel une « super cour suprême » : son contrôle demeure abstrait et limité à la seule question de constitutionnalité qui est posée.
Les cours souveraines demeurent des cours souveraines.
La question de constitutionnalité implique une coopération des juridictions nationales, dans le respect de la compétence et de la spécialité de chacune d’entre elles.
La question prioritaire de constitutionnalité préserve donc les principes et les équilibres de notre droit.
Deuxièmement, les règles de procédure doivent être conformes à cette exigence.
Nous partageons la volonté de garantir la pleine efficacité du dispositif. Je tiens à le réaffirmer car je sais qu’il s’agit d’un des points qui soulèvent quelques questions.
Une règle est essentielle : celle de la priorité d’examen de la constitutionnalité de la loi.
Le projet de loi organique articule les deux contrôles de la loi au regard des normes qui lui sont supérieures : le contrôle de conventionnalité vise à statuer sur la contrariété d’une loi française à une norme internationale et à en écarter l’application si tel est bien le cas ; le contrôle de constitutionnalité, prévu par le présent texte et qui est une prérogative exclusive du Conseil constitutionnel, vise, quant à lui, in fine à abroger les lois contraires à la Constitution.
Si le juge pouvait écarter l’application de la loi dans le cadre du contrôle de conventionnalité avant tout contrôle de constitutionnalité, la question prioritaire de constitutionnalité de la loi elle-même risquerait d’être privée de son effectivité.
Le filtre procédural, voulu par le constituant, vise à garantir la pleine effectivité du dispositif. Il comporte deux degrés.
D’abord, l’examen de la question de constitutionnalité par le premier juge saisi vise à déterminer si le moyen est opérant et à l’écarter s’il ne l’est pas. En revanche, l’examen de la question par les cours souveraines détermine si le moyen est pertinent. Ce second filtrage permet au juge constitutionnel de n’être saisi que de véritables questions de constitutionnalité.
Ensuite, les décisions par lesquelles les juridictions de fond transmettent les questions de constitutionnalité aux cours souveraines sont de nature juridictionnelle. Elles doivent donc être motivées. Le texte adopté par la commission lève toute ambiguïté sur ce point.
La procédure, même filtrée, doit s’inscrire dans un délai raisonnable.
La question de constitutionnalité – autre point régulièrement soulevé dans ce débat – ne saurait devenir un facteur d’allongement des délais de jugement. C’est pourquoi le texte adopté par votre commission prévoit que l’examen de la question prioritaire de constitutionnalité se fasse « sans délai ».
La solution retenue par votre commission prend en compte tous les paramètres de la procédure : l’exigence de célérité, mais aussi le risque d’engorgement des cours, ainsi que le risque d’une inefficacité du filtrage en cas de délai trop strict.
Le juge examinera la question « sans délai », c’est-à-dire dès qu’il sera en mesure de le faire. Toute question transmise au Conseil constitutionnel aura été examinée par un juge du fond. Les exigences posées par le constituant seront donc satisfaites.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le travail réalisé par la commission des lois a permis de parfaire l’équilibre du texte. En renforçant concrètement la protection des droits et libertés du citoyen, il répond aux exigences posées par la Constitution. En assurant l’effectivité du mécanisme, en veillant au délai raisonnable des procédures, en préservant l’autorité de la loi, il concilie ambition et réalisme.
Cette réforme ne sera « ni gadget, ni révolution », pour citer le doyen Vedel. Toutes les conditions sont réunies pour qu’elle marque un progrès pour la justice, une avancée pour le justiciable et la réaffirmation des principes de l’État de droit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Christian Cointat. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La Constitution de la Ve République a institué, en 1958, un contrôle de constitutionnalité, confié au Conseil constitutionnel, exercé par voie d’action, abstrait, préalable à la promulgation de la loi et réservé aux autorités mentionnées par le deuxième alinéa de l’article 61, c'est-à-dire le Président de la République, le Premier ministre, les présidents des assemblées et, depuis 1974, soixante députés ou soixante sénateurs.
À l’occasion de la révision du 23 juillet 2008, le constituant a complété ce dispositif par un contrôle concret, a posteriori et ouvert aux justiciables après l’entrée en vigueur de la loi.
Ainsi, aux termes du nouvel article 61-1, premier alinéa, de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »
Le second alinéa de cet article réserve à une loi organique le soin de préciser les conditions d’application de ces dispositions. Tel est l’objet du texte qui vous est soumis.
Le constituant de 2008 était inspiré par un triple objectif. Le premier était de conférer au citoyen un droit nouveau lui permettant de faire valoir directement la protection de ses droits et libertés garantie par la Constitution en invoquant la non-conformité d’une disposition législative aux règles constitutionnelles, et de créer ainsi un lien direct entre le citoyen et la Constitution.
Le deuxième objectif était de purger l’ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles ; le troisième, d’assurer la prééminence de la Constitution dans l’ordre juridique interne, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.
Grâce à l’introduction de la question d’inconstitutionnalité, la France comble une lacune manifeste de son état de droit et rejoint les autres grands pays démocratiques qui, presque tous, connaissent depuis plusieurs décennies – voire plus d’un siècle – le contrôle de constitutionnalité a posteriori.
Le projet de loi organique a pour objet de garantir l’effectivité du nouveau droit institué par l’article 61-1 de la Constitution. Le texte proposé par le Gouvernement, tel qu’il a été complété très utilement par l’Assemblée nationale, sur l’initiative de sa commission des lois, apporte à cet égard les garanties nécessaires.
Votre commission approuve très largement les avancées proposées par les députés, tout en étant attentive à l’équilibre qu’il est nécessaire de préserver entre les attentes légitimes des justiciables vis-à-vis de ce nouveau droit et les exigences de la bonne administration de la justice et de la sécurité juridique, qui sont la condition sine qua non du succès de la réforme.
La mise en œuvre de l’article 61-1 de la Constitution ouvre sans doute une nouvelle ère au contrôle de constitutionnalité en France. S’il paraît difficile de mesurer exactement l’ampleur que prendra ce nouveau contentieux, votre commission considère qu’un équilibre sera rapidement trouvé, après une période initiale d’engouement, grâce à la stabilisation de la jurisprudence et des comportements des justiciables.
Rappelons brièvement que le contrôle a posteriori de la loi s’est heurté à une sévère hostilité, y compris dans cette enceinte. (M. Robert Badinter opine.)
Notre tradition juridique était en effet opposée au contrôle de constitutionnalité de la loi, a fortiori lorsqu’il doit s’exercer après l’entrée en vigueur de celle-ci.
Avant 1958, le contrôle de constitutionnalité était pratiquement inexistant, si bien que l’introduction à cette date d’un véritable contrôle, même sous une forme a priori, a été, dans l’esprit du constituant de l’époque, un changement majeur.
Le contrôle a priori s’est progressivement affirmé dans notre ordre juridique, notamment grâce à l’audace de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais surtout après l’extension du droit de saisine aux soixante députés ou sénateurs. Le contrôle de constitutionnalité a posteriori, qui avait déjà été introduit par la plupart de nos voisins, restait cependant perçu avec méfiance.
Toutefois, au début des années 1990, un infléchissement s’est produit dans les esprits. S’appuyant sur les propositions formulées dès 1989 par notre excellent collègue Robert Badinter, alors président du Conseil constitutionnel, le Président de la République, François Mitterrand, formait le vœu, le 14 juillet 1989, que « tout Français puisse s’adresser au Conseil constitutionnel lorsqu’il estime qu’un droit fondamental est méconnu ».
Conformément à l’objectif fixé par le Président de la République, un projet de loi constitutionnelle était déposé en mars 1990, accompagné d’un projet de loi organique.
Comme vous le savez, l’hostilité du Sénat entraîna l’échec de la réforme.
M. Robert Badinter. En effet !
M. Hugues Portelli, rapporteur. En 1993, un texte très proche fut soumis aux assemblées avec un sort identique.
Pourtant, le contrôle de constitutionnalité a posteriori ouvert au justiciable, voire directement au citoyen, était déjà reconnu dans un nombre croissant d’États. Il n’était donc que temps pour la France de rejoindre ces pays en démocratisant l’État de droit.
L’aboutissement que connaît aujourd’hui la question prioritaire de constitutionnalité est en grande partie dû à un consensus auquel sont parvenus les partis composant les deux assemblées et que votre commission des lois tient à saluer. L’adoption du présent projet de loi organique par l’Assemblée nationale à l’unanimité le 14 septembre dernier en est la manifestation la plus éclatante.
Le contrôle de constitutionnalité tel qu’il résulte de l’article 61-1 de la Constitution est en grande partie tributaire de son prédécesseur jurisprudentiel, l’exception d’inconventionnalité.
Le contrôle de conventionnalité s’exerce ainsi par voie d’exception sur l’initiative d’un justiciable qui conteste devant un juge l’application qui lui est faite d’une loi au motif que celle-ci est incompatible avec une convention internationale. Il appartient alors au juge de statuer directement sur ce moyen.
Les décisions du juge, judiciaire ou administratif, qui écartent dans un litige l’application d’une loi comme contraire à un accord international n’ont que l’autorité relative de la chose jugée : la disposition contestée n’est écartée que dans le cadre de ce litige, mais demeure en vigueur à l’égard de tous.
Par ailleurs, si le contrôle de conventionnalité a certainement contribué à conforter l’État de droit en France, il ne revêt pas la même portée que le contrôle de constitutionnalité, ni dans le champ des droits concernés ni dans la façon dont il s’exerce.
Le champ des principes conventionnels – au premier chef, les droits visés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – et celui des principes formant ce que l’on appelle en France le « bloc de constitutionnalité » ne se recouvrent pas entièrement. Il en est ainsi du principe d’égalité, qui dépasse très nettement, par sa portée, le principe de non-discrimination posé par la convention européenne.
Par rapport au contrôle de conventionnalité, le contrôle de constitutionnalité a posteriori présente davantage de garanties dans la mesure où il permet d’assurer la sécurité juridique et l’égalité des justiciables. Selon l’article 62 de la Constitution, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution est abrogée immédiatement et erga omnes.
Voilà donc, mes chers collègues, le contexte dans lequel ce projet de loi organique nous est soumis.
Dans sa première version, c’est-à-dire le texte proposé par le Gouvernement, la question de constitutionnalité s’y organise selon deux principes simples.
D’une part, elle peut être soulevée par toute partie à l’instance, devant l’ensemble des juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, à toute étape de la procédure – première instance, appel ou cassation.
D’autre part, si les juridictions concernées sont habilitées à apprécier la recevabilité de la question, le Conseil constitutionnel demeure seul compétent pour statuer au fond sur la conformité à la Constitution.
Sur cette base, la procédure s’organise, selon les cas, en trois temps ou en deux temps.
Lorsque la question est soulevée devant une juridiction de première instance ou d’appel, celle-ci transmet la question à la cour suprême de son ordre si elle l’estime recevable. Puis le Conseil d’État ou la Cour de cassation procède de nouveau à un examen de recevabilité – c’est le principe de double filtre – et renvoie, le cas échéant, la question au Conseil constitutionnel.
Quand la question est soumise directement au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, la Haute juridiction procède de même à un examen de recevabilité et décide du renvoi de la question au Conseil constitutionnel.
Selon que la question de constitutionnalité est posée devant une juridiction relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou directement devant l’une des cours suprêmes, l’examen n’est pas régi exactement par les mêmes règles.
Dans le premier cas de figure, le projet de loi organique retient six lignes directrices.
Premièrement, la question de recevabilité peut être invoquée devant toutes les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation. Néanmoins, des règles particulières sont proposées en matière pénale. Ainsi, au cours de l’instruction la question doit être portée devant la chambre de l’instruction et ne peut être soulevée devant la cour d’assises. Toutefois, le texte permet que la question de compatibilité avec la Constitution soit soulevée au moment de la déclaration d’appel formé contre un arrêt de la cour d’assises statuant en premier ressort. Elle est alors transmise à la Cour de cassation.
Deuxièmement, l’initiative de soulever la question de constitutionnalité est réservée aux seules parties. Le juge n’est pas autorisé à la relever d’office.
Troisièmement, la recevabilité de la question est admise si trois conditions sont réunies : la disposition contestée commande l’issue du litige ; la disposition n’a pas été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision, sauf changement de circonstances ; la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
Quatrièmement, la juridiction doit, si elle est saisie de moyens contestant, de façon analogue, la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, se prononcer en premier lieu sur la question de constitutionnalité.
Cinquièmement, la décision de transmettre la question est admise au Conseil d’État et à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé. Le refus de la transmettre ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant le litige, c’est-à-dire en appel ou en cassation.
Enfin, sixièmement, lorsque la question est transmise, la juridiction est tenue de surseoir à statuer.
Dans le second cas de figure, lorsque la question de constitutionnalité est soulevée devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, les cours suprêmes procèdent à un examen de la recevabilité de la question sur la base de trois critères.
Les deux premiers – lien avec le litige et éventuel changement de circonstances – sont communs à ceux qui ont été retenus dans le premier cas de figure, alors que le troisième est spécifique : il requiert que la disposition en cause soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse.
Le Conseil d’État ou la Cour de cassation doivent renvoyer la question au Conseil constitutionnel si ces conditions sont satisfaites.
Une fois que le Conseil constitutionnel est saisi, il lui faut statuer dans un délai de trois mois, au terme d’une procédure contradictoire et, sauf cas exceptionnel, publique. Ce point mérite d’être souligné : il s’agit bien d’une procédure juridictionnelle. Par ailleurs, la décision doit être notifiée aux parties et communiquée aux principaux pouvoirs constitutionnels de l’État.
Mes chers collègues, le texte du Gouvernement a fait l’objet de modifications importantes de la part de l’Assemblée nationale.
Tout d’abord, nos collègues députés ont renommé la procédure en « question prioritaire de constitutionnalité », afin de bien indiquer que l’examen devant le Conseil constitutionnel doit toujours précédé celui qui a lieu dans le cadre d’un contrôle de conventionnalité.
Ensuite, ils ont apporté trois séries de modifications à la première étape de la procédure devant les juridictions relevant du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
Le critère de recevabilité a été considérablement assoupli. Il n’est plus exigé que la disposition contestée commande l’issue du litige ou la validité de la procédure, il suffit qu’elle soit simplement applicable au litige ou à la procédure.
De plus, la réserve qui figurait dans le projet de loi organique initial à propos des exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution, à savoir un contrôle dans le cadre de l’Union européenne par renvoi à la Cour de justice des Communautés européennes, a été supprimée.
Par ailleurs, pour garantir la rapidité de la procédure, les députés ont prévu que, dans tous les cas de figure, le juge transmette « sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État ou à la Cour de cassation ».
Enfin, suivant la même logique, l’Assemblée nationale a procédé à deux harmonisations dans le cas où la question de constitutionnalité est soulevée à l’occasion d’une instance devant les cours suprêmes. Le Conseil constitutionnel est automatiquement saisi de la question de constitutionnalité si le Conseil d’État ou la Cour de cassation ne se sont pas prononcés dans un délai de trois mois.
Mes chers collègues, la commission des lois du Sénat a validé, pour l’essentiel, le texte adopté par l’Assemblée nationale. Elle y a cependant introduit deux modifications.
La première concerne la question du filtrage.
Le juge constitutionnel doit bien évidemment rester seul juge de la constitutionnalité des dispositions législatives. Dans le même temps, il est indispensable d’éviter les manœuvres dilatoires et l’engorgement du Conseil constitutionnel.
La commission des lois partage la volonté de l’Assemblée nationale de maintenir une transmission rapide, voire automatique, par le Conseil d’État ou la Cour de cassation de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Cette règle se retrouve d’ailleurs dans toutes les autres juridictions constitutionnelles d’Europe, qui sont également soumises à des délais extrêmement brefs.
En revanche, le choix d’un délai de deux mois pour la transmission de la part des juridictions inférieures vers le Conseil d’État ou la Cour de cassation nous a paru excessivement contraignant.
En effet, le risque existe que les juridictions laissent courir systématiquement le délai et qu’elles renvoient en bloc les questions soulevées sans examiner les conditions de leur recevabilité. Les cours suprêmes pourraient ainsi se trouver saturées et les procédures contentieuses considérablement allongées.
C’est la raison pour laquelle la commission a adopté, sur mon initiative, un amendement visant à supprimer le délai de deux mois, tout en maintenant l’exigence, pour la juridiction, de se prononcer « sans délai » sur la transmission de la question de constitutionnalité aux cours suprêmes.
L’absence de délai déterminé permettra d’introduire davantage de souplesse dans le règlement, notamment, du contentieux de masse : lorsque la même question aura été posée dans un grand nombre d’affaires devant plusieurs juridictions, comme cela peut arriver en droit fiscal ou en droit de l’environnement, celles-ci pourront attendre la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation et procéder par analogie pour les questions identiques.
La seconde modification proposée par la commission des lois porte sur la motivation des décisions des juridictions.
Elle a ainsi prévu que les décisions portant sur la transmission de la question de constitutionnalité, quelle que soit la juridiction qui l’opère, doivent être motivées, comme c’est le cas pour toutes les décisions juridictionnelles. À ses yeux, la motivation permettra d’éclairer utilement les parties sur l’appréciation des trois critères de recevabilité par le juge saisi.
En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais attirer votre attention sur deux sujets qui soulèvent encore des incertitudes.
Le premier a été débattu ce matin en commission. Il s’agit des effets de la décision du Conseil constitutionnel.
L’abrogation d’une disposition législative par le Conseil constitutionnel, comme celle qui est opérée par le législateur dans une loi nouvelle, ne devrait pas avoir d’effet rétroactif. Comment pourrait être réglé, en trois temps, le vide juridique né de ces situations ?
Il appartiendra d’abord au juge constitutionnel, comme le lui permet l’article 62 de la Constitution, de moduler les effets de sa décision dans le temps. En effet, le deuxième alinéa de cet article précise : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».
Ainsi, le Conseil constitutionnel pourrait tempérer la portée et les modalités d’application dans le temps de sa décision, de façon analogue à la technique du report des effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité déjà utilisée par le juge constitutionnel dans le cadre du contrôle a priori.
Enfin, il reviendra naturellement au législateur de déterminer le nouveau cadre juridique applicable à la suite de l’abrogation de la disposition législative censurée par le Conseil constitutionnel.