M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La présentation de cette motion de procédure – la seule qu’aient déposée nos collègues, qui nous avaient habitués à devoir en examiner plusieurs – a amené notre collègue Richard Yung à un brillant mais difficile exercice d’équilibre.
Comme nous, il déplore la surpopulation carcérale et les inconvénients très lourds qui en découlent. Il reconnaît que le projet de loi comporte des dispositions tout à fait pertinentes et efficaces pour lutter contre cette surpopulation et pour favoriser l’encellulement individuel, auquel la grande majorité d’entre nous est favorable.
Cependant, parce qu’il lui faut bien défendre cette motion et tenter de démontrer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi pénitentiaire, il formule divers reproches.
Ainsi, certaines dispositions seraient très largement liées à la gestion des flux. Ce serait le cas des mesures d’octroi d’un placement sous surveillance électronique quatre mois avant la fin de l’incarcération, qui relèveraient de la « grâce électronique ».
La commission s’est donc demandé s’il était indispensable de mettre fin à la grâce présidentielle pour la remplacer par une grâce électronique. Cependant, elle avait adopté différents amendements lui permettant de s’assurer que ces divers mécanismes seraient réellement des mécanismes d’aménagement des peines, avec l’ensemble des garanties qui y sont attachées, et non des mécanismes de grâce électronique.
Sur ce point, le projet de loi me semble donc répondre aux préoccupations de M. Yung. De ce simple fait, il est difficile d’affirmer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération !
L’autre argument avancé consiste dans l’incohérence qui caractériserait les politiques gouvernementales en matière pénale.
Mes chers collègues, cette loi n’est pas la première loi de caractère libéral dont nous ayons à discuter depuis l’élection du Président de la République et les dernières échéances législatives ! Il n’y a pas si longtemps, le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté a rassemblé une grande majorité d’entre nous, et nous avons ensuite approuvé le choix du Président de la République lorsqu’il a confié à M. Jean-Marie Delarue cette nouvelle et très importante responsabilité.
Nous ne pouvons pas non plus laisser affirmer que les lois sur les peines plancher ou sur la récidive placeraient le magistrat dans l’obligation de prononcer systématiquement des peines d’emprisonnement ferme. Il n’en est rien ! Ces textes laissent au magistrat la possibilité de prendre des décisions totalement différentes. La législation en vigueur est donc parfaitement compatible avec le statut de « dernier recours » conféré à l’emprisonnement.
Faut-il aussi rappeler l’évidence qu’imposent le bon sens et la logique : les règles qui s’appliquent aux primo-délinquants et aux récidivistes ne sont pas toujours les mêmes, et les peines prononcées à l’encontre du multirécidiviste peuvent être plus lourdes que pour le primo-délinquant ? Il suffit de rappeler qu’en 1992 il avait été fort naturellement prévu que le temps d’épreuve nécessaire avant que la libération conditionnelle puisse être décidée serait différent dans l’un et l’autre cas.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, et parce que, j’en suis convaincu, nous souhaitons tous continuer cette discussion, nous ne pouvons que rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous avez eu tout à fait raison de souligner la grande intelligence du propos de Richard Yung. Notre collègue s’en est lui-même expliqué : il n’avait évidemment pas pour objectif de faire cesser le débat sur-le-champ !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, faute de quoi ce n’est plus une question préalable ! Ne la votez pas, alors !
M. Jean-Pierre Sueur. Il a simplement souhaité mettre l’accent sur la contradiction totale qui est au cœur du projet de loi. À cet égard, monsieur le rapporteur, vous avez vous-même accompli une véritable prouesse dialectique en essayant de trouver des arguments pour nous convaincre que les peines plancher et l’ensemble des dispositions législatives votées en matière pénale n’avaient aucun effet sur le problème qui nous est posé.
Afin de préparer ce débat, je me suis rendu la semaine dernière à la maison d’arrêt de mon département, située à Orléans. J’ai pu constater que le taux de surpopulation, ou de suroccupation, y était de 230 % (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste), soit l’un des plus élevés de France ! Le premier étage accueille quatre-vingt-dix détenus, qui sont souvent à trois dans une cellule, pour un seul gardien ; il en va de même au deuxième étage.
J’ai rencontré non seulement le directeur adjoint, mais aussi les représentants des personnels, lesquels m’ont demandé instamment de dénoncer la contradiction qui est au cœur du projet de loi.
Madame la garde des sceaux, on remplit les prisons,…
M. Charles Gautier. Et on purge !
M. Jean-Pierre Sueur. … puisque la politique que vous menez depuis votre entrée en fonction a inéluctablement pour conséquence un recours toujours accru à l’incarcération. Dès lors, la surpopulation ainsi provoquée rend très difficile l’exercice des missions des maisons d’arrêt : permettre à celles et à ceux qui s’y trouvent de s’amender et de se réinsérer. On n’y parvient pas parce qu’il y a trop de monde, la population carcérale ayant fortement augmenté ces dernières années, notamment ces derniers mois.
À l’évidence, la contradiction est totale.
Comme Richard Yung et les différents orateurs de notre groupe l’ont expliqué avec ardeur, nous avons voulu, en déposant cette motion de procédure, montrer combien il eût été préférable de mettre en œuvre une politique pénale qui fût en concordance avec la politique pénitentiaire que vous nous proposez aujourd’hui. Pour cela, il y avait un préalable à respecter. Celui-ci faisant défaut, nous voilà placés au cœur d’une difficulté extrême, que ce projet de loi ne suffira malheureusement pas à résoudre.
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable, en nous fondant sur plusieurs raisons.
M. Yung l’a évoqué, et M. Sueur vient de nouveau de le souligner s’il était nécessaire, le projet de loi est en totale contradiction avec la politique menée depuis 2002 en matière pénale par les gouvernements successifs, politique qui a d’ailleurs conduit à la situation de surpopulation dans les prisons que nous déplorons aujourd’hui.
À la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi, on aurait pu croire que ce n’était pas tout à fait le même gouvernement qui affirmait que l’« incarcération doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours » ou que les « statistiques sur la récidive démontrent que l’aménagement de la fin de peine des condamnés est le meilleur outil de lutte contre la récidive », et qui faisait adopter la loi sur la rétention de sûreté six mois auparavant et la loi sur les peines plancher un an plus tôt.
Madame la garde des sceaux, si vous entendez réellement faire de l’emprisonnement l’ultime recours, il faut pousser la logique jusqu’au bout et abroger ces deux textes.
Depuis 2002, d’ailleurs, les lois qui ont été adoptées ont eu pour principal objet d’allonger les peines et de réduire les possibilités de les aménager. Nous en constatons aujourd’hui le résultat : au 1er février dernier, 62 744 personnes étaient détenues dans les prisons françaises.
Cette situation de surpopulation a beau avoir été dénoncée et avoir fait l’objet de condamnations unanimes des parlementaires, des personnels, des magistrats, des associations, et même des deux derniers commissaires aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, nul n’a réellement voulu la modifier ni s’attaquer au problème carcéral.
La prison était devenue une zone de non-droit : priver les détenus de leur liberté d’aller et venir ne suffisait pas, il fallait en plus leur retirer l’ensemble des droits fondamentaux inhérents à la personne.
Sur ce point, le projet de loi est, hélas ! en deçà des règles pénitentiaires européennes de 2006, des cent vingt préconisations du comité d’orientation restreint de la loi pénitentiaire et, de manière générale, des attentes de l’ensemble du monde judiciaire, pénitentiaire et associatif.
Il faut aussi que votre démarche ait une traduction budgétaire ; ce n’est pas le cas dans le projet de loi de finances pour 2009, qui est axé sur la construction de nouvelles places de prison. Pourtant, les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation auront besoin de personnels supplémentaires pour mettre en œuvre les nouvelles mesures d’aménagement des peines. Seront-ils prévus dans le prochain budget ? Nous l’ignorons !
À la suite de ma collègue, qui est intervenue dans la discussion générale, je réaffirme qu’il manque déjà du personnel. Ainsi, la nouvelle maison de détention de Roanne, qui s’est ouverte tout dernièrement et, d’ailleurs, un peu rapidement, souffre déjà d’une pénurie de personnel ; et je ne mentionnerai pas les mesures de sécurité fort douteuses mises en place…
Le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis est donc largement perfectible. Mais aurons-nous le temps de travailler, de tenter de l’améliorer et de parvenir à un texte qui puisse s’apparenter à une grande loi pénitentiaire ? Nous en doutons d’autant plus que le Gouvernement a fait le choix, trois jours avant son examen, de déclarer l’urgence sur ce texte, qui a été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008, qui est attendu de tous et mobilise l’ensemble des secteurs concernés.
Des parlementaires, de tous bords, se sont particulièrement investis en faveur des prisons : nous avons utilisé notre droit de visite, nous avons alerté l’opinion et interpellé le Gouvernement à de nombreuses reprises afin que ce projet de loi soit inscrit à l’ordre du jour.
Compte tenu de toutes ses insuffisances, deux lectures dans chaque assemblée étaient loin d’être superflues.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n’en voulez pas puisque vous votez la question préalable !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Une fois encore, la qualité du travail parlementaire est sacrifiée sur l’autel de l’urgence gouvernementale.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Je mets aux voix la motion no 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin no 123 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 187 |
Le Sénat n’a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
TITRE PRÉLIMINAIRE
DU SENS DE LA PEINE DE PRIVATION DE LIBERTÉ
M. le président. L’amendement no 65, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Au début de l’intitulé de cette division, ajouter les mots :
Des principes fondamentaux et
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Le principe de cet amendement est à la fois simple et d’une grande importance puisqu’il tend à compléter l’intitulé du titre préliminaire, qui, actuellement ne fait référence qu’au sens de la peine, par la mention des « principes fondamentaux ».
Le présent projet de loi, comme d’ailleurs les différentes règles pénitentiaires européennes, se fonde sur un certain nombre de principes. Nous proposons donc d’ajouter la référence à ces principes dans le titre préliminaire, principes que nous entendons préciser dans les amendements suivants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cette proposition est cohérente avec les amendements suivants présentés par le groupe socialiste. La commission estime cependant que l’ajout proposé affaiblit quelque peu la lisibilité du titre préliminaire, qui est relatif au sens de la peine, et qu’il anticipe sur le chapitre III, qui reprend les principales dispositions concernant les droits des détenus.
Pour ces raisons, je demande à ses auteurs de bien vouloir retirer l’amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La notion de principe fondamental renvoie à celle de principe constitutionnel. Or tous les principes énoncés dans le projet de loi ne sont pas garantis par la Constitution.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Monsieur Anziani, l’amendement no 65 est-il maintenu ?
M. Alain Anziani. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 65.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Articles additionnels avant l'article 1er A
M. le président. L’amendement no 67, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l'homme.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement de principe, qui tend à reprendre la règle pénitentiaire européenne 1, illustre mes précédents propos.
Je suis désolé de contredire Mme la garde des sceaux : si les principes fondamentaux ont, bien entendu, valeur constitutionnelle, ils peuvent aussi avoir une valeur encore supérieure. C’est le cas du principe du respect des droits de l’homme, au demeurant également inscrit dans la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission des lois préfère sa propre rédaction, en particulier celle de l’article 10 du projet de loi, qui dispose : « L’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect de ses droits. »
Estimant que cette disposition répond à la préoccupation de M. Anziani, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La Constitution comme la convention européenne des droits de l’homme sont des textes d’application directe. Le rappel de la notion de respect des droits de l’homme dans la loi pénitentiaire est donc inutile.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Nous avons en quelque sorte assisté cet après-midi à la béatification de M. le rapporteur par M. Badinter, qui parlait d’or – au point de le compromettre ! (Sourires.) Je constate ce soir qu’il a encore quelques progrès à faire avant sa canonisation ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Une formule aussi limpide que celle de l’amendement – « les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme » – constituerait une formidable entrée en matière pour un texte qui se veut humaniste ! Je regrette que nous ne soyons plus capables d’écrire des textes aussi clairs que ceux des grands révolutionnaires de 1789 et 1793. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Bravo !
M. le président. L’amendement no 66, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par les décisions les condamnant à une peine d'emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Cet amendement, qui tend à reprendre la règle pénitentiaire européenne 2, pose un principe important, voire essentiel. Il importe en effet que les personnes privées de liberté conservent leurs droits à la fois de citoyens, de justiciables et, même, d’usagers, puisque les détenus sont en quelque sorte des usagers du service public pénitentiaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La loi déclinera les règles pénitentiaires européennes, mais celles-ci n’ont pas vocation à y être retranscrites littéralement.
Sur ce point précis, l’article 10 du projet de loi répond totalement à la préoccupation exprimée dans l’amendement, que je demande donc à son auteur de bien vouloir retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Si cet amendement était adopté, seul le juge aurait la possibilité de restreindre certains droits des détenus ou de leur refuser certaines autorisations. L’administration pénitentiaire serait donc privée de la possibilité de restreindre occasionnellement certains droits, notamment dans le cadre des permis de visite.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable, en raison des impératifs de sécurité inhérents aux établissements pénitentiaires. L’administration pénitentiaire doit pouvoir, dans certains cas, refuser un permis de visite, surtout si la personne s’est rendue coupable d’une infraction lors d’une précédente visite.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Priver l’administration de cette possibilité aurait des conséquences sur la sécurité des personnels comme des personnes détenues.
M. le président. Monsieur Anziani, l’amendement no 66 est-il maintenu ?
M. Alain Anziani. Il l’est, monsieur le président.
Je formulerai cependant deux observations.
Tout d’abord, on nous répète depuis le début de l’après-midi que ce projet de loi ne faisait que reprendre les règles pénitentiaires européennes. Or nous avons la preuve concrète du contraire, puisque la règle pénitentiaire européenne 2 n’y figure pas.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’est pas besoin de rappeler ces règles !
M. Alain Anziani. C’est bien là une différence d’inspiration !
Ensuite, et nous sommes sur ce point en complet désaccord avec Mme la garde des sceaux, nous pensons qu’en toute chose ou presque le pouvoir judiciaire doit être en mesure de contrôler les décisions prises à l’intérieur de la prison.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je soutiens cet amendement.
La réponse de Mme la garde des sceaux est tout à fait significative : elle reproche aux auteurs de l’amendement de vouloir empêcher l’administration pénitentiaire de sévir en cas d’infraction. Or, si une infraction est commise, c’est le juge qui doit être saisi !
Il s’agit sans doute d’une incompréhension. En tout cas, les deux raisonnements sont incompatibles.
En effet, soit la personne détenue jouit des droits fondamentaux et, si elle se rend coupable d’une infraction, c’est au juge qu’il revient de statuer ; soit elle n’en jouit pas, et l’administration pénitentiaire peut alors moduler ses droits en fonction des impératifs de sécurité, du contexte, et non pas nécessairement de l’infraction commise.
Il s’agit là d’un point essentiel, sur lequel nous partageons la position philosophique qu’ont exprimée nos collègues socialistes et qui sous-tend également les préconisations européennes ainsi que les dispositions de ce projet de loi, dont vous souhaitez faire un texte fondamental. De deux choses l’une : soit il existe des droits fondamentaux intangibles, et c’est au juge de décider si la personne détenue a commis tel ou tel acte ; soit il n’existe que des droits octroyés aux détenus par l’administration pénitentiaire selon des critères qui restent difficiles à apprécier de l’extérieur, et surtout a posteriori, par le contrôleur général des lieux privatifs de liberté.
Tout en reconnaissant la qualité du travail effectué par M. le rapporteur, nous considérons que, en matière de loi pénitentiaire, deux conceptions opposées subsistent.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je trouve certes intéressant de rappeler quelles sont les règles européennes, mais une loi pénitentiaire a pour vocation de traduire ces règles et non de les transcrire ! Sinon, pourquoi ne pas prévoir 172 articles qui les reprendraient une à une ?
Il s’agit de déterminer si les principes contenus dans la réglementation européenne sont bien respectés dans ce texte, qui a été enrichi par les apports des uns et des autres. Pour ma part, je prétends que c’est le cas !
Je ne suis nullement défavorable à ces règles européennes, qui ont d’ailleurs été approuvées par la France et à l’élaboration desquelles notre pays a fortement contribué. Mais la loi ne saurait les reproduire toutes : la sécurité, les droits des détenus, ou bien encore la domiciliation, qui permet de lutter contre l’indigence, etc. Pourquoi prévoir des règles au niveau européen s’il faut ensuite les inscrire à nouveau dans la loi ?
Ce qui m’importe, monsieur Anziani, c’est de pouvoir vérifier, à la fin de l’examen du titre Ier de ce projet de loi, que les règles pénitentiaires européennes fondamentales y ont bien trouvé leur traduction.
Je voterai donc contre cet amendement. Cela ne signifie pas que je sois défavorable aux règles pénitentiaires européennes : il s’agit d’une question de conception de la loi. Nous avons connu tant de lois comportant des déclarations de principe !
Les règles pénitentiaires européennes n’ont pas vocation à figurer explicitement dans le dispositif juridique de la loi, qui doit avoir un aspect concret et normatif.
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, pour explication de vote.
M. Claude Jeannerot. Je suis quelque peu troublé par le raisonnement de M. le président de la commission des lois. C’est bien sur le plan des principes que nous nous situons !
Mme la garde des sceaux a exposé les contraintes pesant sur l’administration pénitentiaire. Mais j’attends du débat qui s’engage qu’il nous éclaire sur les raisons décisives qui nous conduisent à déroger aux règles européennes et à refuser d’intégrer celles-ci dans le projet de loi.
M. Patrice Gélard. Mais non !
M. Claude Jeannerot. Sinon, pourquoi ne pas y faire référence explicitement ?
M. Patrice Gélard. Parce qu’elles sont déjà approuvées ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
M. le président. L’amendement no 68, présenté par M. Anziani et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. J’espère que nous aurons davantage de chance avec cet amendement !
Pourquoi mentionner ces grands principes pénitentiaires européens dans la loi ? Pour une raison simple : nous avons accumulé un tel retard et notre vision des prisons est si passéiste qu’il est devenu nécessaire de rappeler les grands principes, de changer de culture et de faire un effort pédagogique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas dans la loi !
M. Alain Anziani. C’est justement l’intérêt de ces grands principes, qui figurent d’ailleurs dans un certain nombre de lois.
Toutes les grandes lois commencent par des déclarations de principes qui en définissent le cadre, l’inspiration et la direction.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On va les donner !
M. Alain Anziani. Chacun ici devrait approuver cet amendement de principe, qui tend à reprendre la règle pénitentiaire européenne 3, car celle-ci constitue une sorte de mode d’emploi à l’usage de l’administration pénitentiaire.
De même qu’une loi fixe des normes, il me semble important qu’elle définisse également des façons de faire. Ce mode d’emploi est nécessaire pour changer véritablement la vie en prison.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Notre accord sur le caractère tout à fait indispensable des principes de nécessité et de proportionnalité ne va pas jusqu’à nous faire émettre un avis favorable sur l’amendement de notre collègue Anziani.
Nous nous servons de la règle européenne que M. Anziani a citée comme d’un guide, comme d’un cadre, comme d’un outil, voire comme d’une boîte à outils.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Par exemple, la commission des lois a voté un amendement tendant à ce que les fouilles soient encadrées par les principes de nécessité et de proportionnalité. Voilà la manière d’utiliser concrètement et pragmatiquement les règles européennes !
Le caractère défavorable de notre avis n’entraîne aucun jugement de valeur, ni sur la règle pénitentiaire européenne ni sur l’amendement proposé. Simplement, nous voulons nous en tenir à l’utilité réellement concrète et pragmatique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Des dispositions comparables sont prévues dans l’article 10 du projet de loi. L’amendement est donc satisfait.
En tout état de cause, nous sommes défavorables à l’introduction d’une telle précision à ce niveau du texte ; mais, monsieur le sénateur, vous retrouverez l’affirmation de ces principes à l’article 10.
M. le président. L'amendement no 69, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l'homme.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Tout parlementaire devrait applaudir des deux mains à cet amendement !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On applaudit, mais on ne le vote pas ! (Sourires.)