M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est énorme !
M. Alain Fouché. … 10 % à 20 % sont en état dépressif en raison de leur changement de vie, entre quatre murs, voire délinquants sexuels ou autres.
Se pose également le problème, évoqué à plusieurs reprises, des jeunes détenus, plus fragilisés que les autres et qui risquent d’être entraînés vers la récidive.
Notons aussi le problème des malades difficiles, accueillis dans les unités pour malades difficiles, les UMD. Dans les années quatre-vingt-dix ont été supprimés un certain nombre de lits. Or, aujourd’hui, toutes les UMD ont des listes d’attente. La proposition de créer quatre nouvelles unités correspond aux besoins de la population actuelle.
Au-delà, il importe de garantir à tous l’effectivité des soins, sans une attente de plusieurs mois pour une consultation spécialisée, et de fixer des objectifs de santé publique pour la population carcérale en fonction des pathologies. À ce titre, l’idée d’introduire un numerus clausus, sous la forme de l’interdiction d’incarcération de nouveaux détenus dans un établissement ayant un taux d’occupation supérieur à 120 % de ses capacités, peut se justifier.
Assurer un suivi des soins après la sortie de prison est une idée qui tombe également sous le sens, mais qui, pour être correctement appliquée, implique une coordination de tous les acteurs.
L’instauration d’une visite médicale obligatoire après la sortie de prison sera sans doute de nature à amorcer ce processus vertueux. La prise en charge médicale du détenu démontre qu’il a besoin d’un accompagnement continu « dedans » et « dehors ». Ce suivi social, médical et psychologique, pendant et après l’exécution de la peine, est l’un des gages d’une réinsertion réussie.
Madame le garde des sceaux, très attendu, votre projet de loi pose des fondements. Telle est d’ailleurs la volonté de tous, venant de tous les horizons. Il faudra encore lui donner de l’ampleur – c’est parfois le plus difficile –, notamment en dégageant les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs fixés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 16 du règlement du Sénat et porte sur l’organisation de nos travaux, plus particulièrement sur ceux des commissions.
Dans quelle République vivons-nous ? (M. Patrice Gélard s’exclame.)
Des projets de loi dont nous attendions l’examen ont disparu corps et biens de l’ordre du jour parlementaire : le projet de loi de programmation militaire, ni discuté ni voté ; le projet de loi pour la sécurité intérieure, pas même déposé devant le Parlement ; le projet de loi sur la gendarmerie, à moitié voté, si je puis dire, et à moitié discuté… Et le Gouvernement déclare presque toujours l’urgence, cette ennemie du bicamérisme !
On fait « comme si » : comme si le processus parlementaire avait été mené à son terme, comme si les lois avaient été votées, comme si le Gouvernement respectait le Parlement ! Faire « comme si » est devenu la méthode d’un gouvernement parasité par une agitation oublieuse de nos institutions.
Les conseillers du Président de la République gambadent à travers tout le paysage audiovisuel français, portant la voix du maître. Ils remplacent les ministres, prennent le temps d’expliquer ce que les membres du Gouvernement eux-mêmes ne savent pas !
Quand les conseillers font défaut, ce qui arrive souvent – ils ne peuvent pas être partout ! – on mande les médiateurs, qui iront, ici et là, colmater les brèches. Exit les ministres ! C’est la confusion des rôles et des genres, au détriment de la République et de ses institutions.
C’est dans ce contexte, madame le garde des sceaux, et pour se faire expliquer ce que les ministres n’ont pas été capables d’exposer, qu’une commission du Sénat s’apprête à rencontrer Jean-David Levitte et l’amiral Édouard Guillaud, respectivement conseiller diplomatique et chef d’état-major particulier du Président de la République. Or cette rencontre – je vous le donne en mille, mes chers collègues ! – se déroulera à huis clos, et sans compte rendu.
Quelle est cette nouvelle relation qui s’instaure en catimini entre le Sénat et l’Élysée ? Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce bien aux conseillers du Président de la République de venir expliquer la politique du Gouvernement ? Quel est leur degré de responsabilité face à la représentation parlementaire ?
Voudrait-on consacrer ainsi la disparition politique des ministres et promouvoir les conseillers du Président de la République au rang d’interlocuteurs appropriés du Parlement ? Pourquoi cette curieuse précaution, le huis clos, et, surtout, l’absence de compte rendu : ces discussions doivent-elles échapper aux yeux et à l’intelligence de nos compatriotes ? Quelle étrange dérive de nos institutions !
Or nous savons que le Gouvernement, sous la forte pression du Président de la République, s’apprête à engager la France dans une dangereuse aventure politique et militaire. La réintégration totale de notre pays dans les structures de l’OTAN est condamnée, à gauche, bien sûr, mais aussi sur nombre de travées de la majorité.
Mes chers collègues, lisez les journaux : des tribunes écrites par des amis de la majorité, et non des moindres puisque l’on retrouve la signature d’Alain Juppé, expriment consternation, incompréhension et même refus devant une telle décision, qui mettrait la France et sa politique extérieure à la remorque de cette organisation, au détriment d’une défense propre à l’Europe.
Dans ce contexte, s’agissant d’un sujet d’une telle importance et d’une telle gravité pour notre pays et pour l’avenir de l’Europe, nous refusons les rencontres secrètes, qui dénaturent les relations que l’exécutif doit entretenir avec le Parlement !
Au contraire, nous réclamons que soit organisé en séance publique un débat, suivi d’un vote,…
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère. … qui puisse montrer concrètement à tous les Français le clivage existant entre ceux qui souhaitent rentrer dans le rang et rejoindre une organisation dirigée exclusivement par une puissance alliée, et ceux, nombreux, qui disent avec nous : « alliés oui, alignés non » !
En conséquence, tout en réclamant haut et fort la tenue d’un débat, suivi d’un vote, sur la réintégration complète de la France dans l’OTAN, les sénateurs des groupes socialiste et CRC-SPG n’assisteront pas à la rencontre prévue avec les conseillers du Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement, qui sera transmis à M. le président du Sénat.
9
Loi pénitentiaire
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi pénitentiaire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux orateurs qui se sont exprimés tout à l'heure.
Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, vous avez abordé dans vos interventions les principales avancées de notre texte, et je tiens à saluer vos contributions.
Comme vous, j’ai la conviction que, grâce à ce projet de loi, la situation dans nos prisons sera grandement améliorée. Vous l’avez souligné, ce texte est fondamental pour construire le service public pénitentiaire de demain. Vous avez énoncé les principaux enjeux sur lesquels portent aujourd'hui nos discussions. Il s'agit, en quelque sorte, de rédiger la « constitution » des prisons.
Le projet de loi propose une nouvelle conception de la prison, pour rendre cette dernière moderne et digne et pour promouvoir une nouvelle vision de la privation de liberté, grâce à la prison dite « hors les murs ».
En effet, la condamnation, la sanction, la privation de liberté, peuvent prendre d’autres formes que l’emprisonnement : l’assignation à résidence ou le bracelet électronique, par exemple, sont aussi possibles.
Ce projet de loi montre également que notre politique est équilibrée : la fermeté n’exclut pas l’humanité, ni la sanction la préparation de la réinsertion, et l’enfermement doit s’accompagner d’une réelle politique de prévention afin d’éviter la récidive à la sortie.
Comme vous, je souhaite rendre hommage aux personnels pénitentiaires, qui, dans des conditions extrêmement difficiles, exercent une mission essentielle pour la sécurité de nos concitoyens.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous avez raison de rappeler que les prisons concentrent en leur sein une population fragile et démunie.
L’effort que le Gouvernement consacre à la santé des détenus est réel et constant. Ainsi, les personnels hospitaliers travaillant en milieu carcéral sont passés de 2 138 en 2006 à près de 2 400 aujourd’hui.
L’ouverture prochaine d’unités hospitalières spécialement aménagées, que l’on a qualifiées d’« hôpitaux-prisons », permettra d’améliorer sensiblement la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques, un domaine dans lequel des progrès doivent être réalisés. Nous disposerons notamment de 60 places à Lyon et de 40 places à Nancy. C’est donc dans le département dont vous êtes l’élu, monsieur Buffet, qu’ouvrira le premier hôpital-prison !
Je tiens également à rappeler que la mise en service des nouveaux établissements pénitentiaires, garantissant des conditions de détention et d’hygiène satisfaisantes, s’accompagne de la fermeture des prisons les plus vétustes. Ainsi, en 2012, nous aurons fermé 37 des 44 maisons d’arrêt avec dortoirs.
Monsieur Buffet, je vous remercie d’avoir souligné l’ambition de ce texte, qui était attendu depuis plus de vingt ans et qui vise, comme vous l’avez noté, à concilier humanité et fermeté. Il se traduira par des avancées notables et concrètes dans la vie quotidienne des détenus. Je partage notamment votre approche pragmatique de l’encellulement individuel.
Monsieur Mézard, le tableau que vous présentez est quelque peu erroné : non, ce projet de loi n’est pas une création ex nihilo ! Plus de 90 % de ses dispositions sont issues des propositions du comité d’orientation restreint.
Le Gouvernement n’a pas non plus attendu l’examen de ce texte pour faire de la prison une priorité ! Le Conseil de l’Europe a pu souligner que la France était le premier État à avoir mis en place de manière effective les règles pénitentiaires européennes. Je tiens d'ailleurs à souligner le rôle volontaire qu’a joué à cette occasion l’administration pénitentiaire, dont les personnels se sont totalement engagés.
Au surplus, le budget de l’administration pénitentiaire augmente fortement depuis deux ans, puisqu’il a progressé de 6,4 % en 2008 et de 4,1 % en 2009. D’ici à 2012, quelque 13 000 places seront créées. Non seulement les crédits de l’administration pénitentiaire augmentent, mais des places de prison sont ouvertes et les effectifs des personnels s’accroissent !
En effet, nous assumons que l’administration pénitentiaire contribue à protéger la société. Elle constitue bien la troisième force de sécurité publique de la nation !
Monsieur Anziani, je ne partage pas votre appréciation sur ce projet de loi, qui comporte tout de même des avancées significatives pour notre système pénitentiaire.
Je ne peux pas non plus accepter que vous compariez la prison à un « trou à rats », car cette expression n’est respectueuse ni des personnels de l’administration pénitentiaire ni des personnes détenues.
Monsieur Zocchetto, vous l’avez formulé parfaitement : le droit en prison progresse. Toutefois, nous devons, tous ensemble, poursuivre cet effort, ce qui passe par l’adoption du présent projet de loi.
Je remarque que, en fin de compte, vous trouvez ce texte « équilibré ».
Vous évoquez, notamment, les moyens humains et matériels nécessaires pour mettre en œuvre les mesures prévues. J’ai souhaité que des moyens adaptés soient accordés dès 2008 ; quant au budget pour 2009, y figurent les emplois et les crédits nécessaires à l’application de la future loi pénitentiaire. Je remercie d'ailleurs l’ensemble des parlementaires qui ont contribué à l’adoption de cette loi de finances, qui, aujourd'hui, permet le vote de la loi pénitentiaire : 9 millions d'euros seront dégagés pour cette dernière, dont 8 millions consacrés aux bracelets électroniques.
Le budget pour 2009 permettra notamment de renforcer en surveillants et en personnels d’insertion et de probation les effectifs de l’administration pénitentiaire : au cours de cette année, 1 264 emplois seront créés, dont 170 pour l’insertion et la probation.
La modernisation du parc pénitentiaire se poursuit. En dépendent la réussite de la mise en œuvre de la future loi pénitentiaire et l’amélioration des conditions d’incarcération.
Madame Borvo Cohen-Seat, je ne peux vous laisser énoncer des contrevérités sur le manque de personnels : en 2009, ce sont plus de 1 200 emplois qui seront créés au bénéfice de l’administration pénitentiaire ; quant aux effectifs des services d’insertion et de probation, ils sont passés de 1 800 en 2002 à 3 800 aujourd’hui.
M. du Luart a souligné avec pertinence la nécessité de donner au service public pénitentiaire les moyens humains et budgétaires nécessaires à la poursuite de ses missions de sécurité et de prévention de la récidive. Il a salué l’effort engagé en la matière par l’actuel gouvernement.
Madame Escoffier, vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence du sens de la peine et de la nécessité de la réinsertion, et, comme vous, je suis d’avis que la prison ne doit pas être synonyme de « mort sociale », de bannissement.
Telle est bien la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de généraliser les unités de vie familiale dans les nouveaux établissements pour peine. C’est une réussite dont il peut s’enorgueillir : elles permettent de maintenir le lien social entre les personnes détenues et leur famille, certes, mais aussi leurs proches.
Vous avez déploré les dégâts que provoquent les sorties « sèches ». Elles favorisent les récidives, je suis d’accord avec vous. D’ores et déjà, les aménagements de peine concernent 6 500 détenus, et le nombre de libérations conditionnelles a progressé de 20 % en deux ans.
La libération conditionnelle est, selon moi, l’un des meilleurs outils de réinsertion et de lutte contre la récidive. Lorsque j’ai pris mes fonctions actuelles, le nombre de détenus en bénéficiant stagnait depuis deux ou trois ans. Grâce au Gouvernement, il a doublé en deux ans.
De la même manière, le nombre d’aménagements de peine a triplé entre 2007 et 2008 : jusque-là, seules 2 000 peines aménagées étaient accordées chaque année.
Le Gouvernement a renoncé aux grâces collectives, aux réductions de peine automatiques et à la loi d’amnistie, au bénéfice de réels aménagements de peine ayant vocation à réinsérer la personne détenue et répondant à l’objectif non pas de « vider les prisons », mais de lutter contre la récidive. Avec l’article 48 du projet de loi, il va beaucoup plus loin en organisant systématiquement les aménagements de peine à quatre mois de la sortie de prison.
Le présent texte tardant à être inscrit à l’ordre du jour du Parlement, j’ai demandé que ces aménagements de peine soient d’ores et déjà expérimentés dans certains établissements pénitentiaires. L’opération a porté ses fruits.
Les propos de M. Badinter ont particulièrement attiré mon attention, et je souhaite revenir sur l’attente qu’il a décrite d’une loi et d’une action résolue.
Il a raison : la France a trop attendu en ce domaine. Toutefois, il faut reconnaître que le Gouvernement non seulement a agi, mais, de plus, a été très efficace. Tout d’abord, il a mis en œuvre les règles pénitentiaires européennes, et la France est le seul pays membre du Conseil de l’Europe à les avoir réellement appliquées. Ensuite, il a lancé le programme de construction le plus important jamais réalisé. Enfin, il a élaboré ce projet de loi, qui, grâce à la très grande représentativité des membres du comité d’orientation restreint, a fait l’objet d’une large concertation.
Comme M. Badinter, je suis très attachée à la prise en compte des règles européennes en matière pénitentiaire. En effet, et il l’a souligné, elles imposent de prendre des mesures concrètes pour améliorer les conditions de détention.
Je le remercie également d’avoir évoqué, pour les soutenir, les aspects du texte relatifs aux aménagements de peine. Je profite de cette occasion pour rappeler qu’il n’y a pas de contradiction entre la mise en place d’une politique pénitentiaire ferme et protectrice de la sécurité des Français et le développement des aménagements de peine, qui, je le répète, contribuent à éviter la récidive. Je vois là deux facettes d’une même action globale, et la certitude de la sanction n’exclut pas l’humanité ni l’adaptation de son exécution.
Sur la question du droit en prison, je partage l’avis de M. Badinter : il n’y a pas d’action en matière pénitentiaire sans contrôle ; l’action et le contrôle sont indissociablement liés.
Je rappelle que la création d’un contrôleur général dit des prisons était attendue depuis 2000. Elle a été rendue effective par la loi du 30 octobre 2007. Le Gouvernement a souhaité que le contrôleur général soit indépendant et, bien au-delà des seules prisons, contrôle l’ensemble des quelque 6 000 lieux de privation de liberté que compte notre pays, soit, comme l’ont évoqué M. Hyest et M. Lecerf, les hôpitaux psychiatriques, les centres de rétention, les locaux de garde à vue, les centres éducatifs fermés et, bien sûr, les prisons.
Entendre les recommandations, les propositions, les constats du contrôleur général n’est pas toujours des plus agréables, mais le Gouvernement, fort des enseignements qu’il en tire, pourra mener une action résolue afin de rendre les conditions de détention beaucoup plus dignes.
À ce titre, et sur mes instructions, l’administration pénitentiaire, dès le prononcé des arrêts récents du Conseil d’État, a rédigé une circulaire globale rappelant aux chefs d’établissement les évolutions de cette jurisprudence qu’ils doivent mettre en œuvre. La veille jurisprudentielle renforce l’action de contrôle, notamment celle du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Madame Dini, vous avez évoqué les difficultés liées au vieillissement de la population carcérale. Le Gouvernement ne les a pas ignorées : dans ce projet de loi figurent deux dispositions y répondant.
En premier lieu, les conditions de la libération conditionnelle sont assouplies pour les condamnés âgés de plus de soixante-dix ans.
À l’origine, la libération conditionnelle s’adressait à une certaine catégorie de personnes détenues puisqu’elle était pour l’essentiel destinée à permettre à celles-ci de se former et de retrouver une activité. L’allongement des peines prononcées, conjugué à celui de l’espérance de vie des détenus, a motivé cette mesure d’assouplissement.
Je rappelle que, par ailleurs, dès lors qu’il exerce l’autorité parentale sur un enfant, un détenu peut déjà bénéficier de la libération conditionnelle. Le Gouvernement a encore assoupli cette possibilité.
En second lieu, la suspension de peine pour raison médicale peut être décidée en urgence pour les détenus en fin de vie.
Ces mesures traduisent le souhait du Gouvernement de concilier fermeté de la réponse pénale et humanité de la prise en charge individualisée des détenus.
Je sais à quel point Mme Hermange est attachée à une prise en charge humaine des personnes détenues ainsi qu’à leur réinsertion.
Elle l’a affirmé très justement : ce projet de loi permettra une meilleure prise en compte de la situation actuelle de nos prisons.
Je l’approuve pleinement lorsqu’elle souligne que tous les acteurs qui opèrent à l’intérieur et à l’extérieur de la prison doivent coordonner leur action lors de la préparation de la réinsertion de chaque détenu. C’est fondamental, nous le savons tous.
C’est pour cette raison que j’ai souhaité faire figurer dans le projet de loi des dispositions concrètes sur la formation professionnelle et le travail. Le temps passé en prison doit être un temps utile.
C’est aussi pour cette raison qu’une innovation très attendue est concrétisée par ce texte : l’entrée dans les lieux de détention d’entreprises d’insertion. Celles-ci apportent une nouvelle offre de travail en détention, qu’elles accompagnent d’une formation professionnelle adaptée. Le détenu prépare ainsi dans de bonnes conditions sa sortie et sa réinsertion professionnelle.
Monsieur Jeannerot, je ne peux vous laisser caricaturer la situation pénitentiaire actuelle alors que les gouvernements que vous avez soutenus n’ont pratiquement rien fait pour moderniser notre système pénitentiaire.
Les programmes de construction ont été lancés par des gouvernements de droite, et la première loi pénitentiaire fut voulue par Albin Chalandon, membre d’un gouvernement de droite. Je ne veux pas polémiquer, mais force est de constater que ce sont toujours des gouvernements de droite qui ont permis d’améliorer les conditions de détention !
C’est le gouvernement actuel qui construit de nouvelles places de prison, qui développe les aménagements de peine et qui a créé le contrôleur général des lieux de privation de liberté ; c’est encore lui qui a souhaité cette grande loi pénitentiaire.
Madame Boumediene-Thiery, je connais votre implication dans le domaine pénitentiaire et je rends hommage à votre connaissance du terrain. Nous avons toujours pu discuter de ces sujets avec la plus grande civilité.
Je tiens à revenir sur deux des points que vous avez soulignés.
Le premier est la notion de dignité, sur laquelle je partage votre avis. Lors du débat que nous aurons sur les conditions d’encellulement, je serai d’ailleurs conduite à vous faire une proposition fondée sur l’engagement à respecter, dans la loi, la dignité dans les conditions d’hébergement.
Le second est le douloureux problème du suicide en prison. Vous l’avez rappelé : 115 personnes détenues ont mis fin à leurs jours en 2008.
Depuis 2003, l’administration pénitentiaire s’est fortement engagée dans une politique volontariste de prévention du suicide qui repose, notamment, sur la formation des personnels de l’administration pénitentiaire. Cette politique a déjà produit des effets positifs : je rappelle, à titre indicatif, qu’en 1999 le taux de suicide dans les établissements pénitentiaires était de 23 pour 10 000 ; aujourd’hui, il est de 17 pour 10 000.
Nous ne saurions nous satisfaire de cette baisse. Tout garde des sceaux est hanté par ce problème, si douloureux qu’il ne peut donner lieu à polémique ou à querelle de chiffres : comment oser se flatter d’avoir à déplorer moins de suicides que son prédécesseur ? Ne se produirait-il qu’un seul suicide, ce serait encore un de trop.
J’ai donc demandé à un collège d’experts – Mme Borvo Cohen-Seat y a fait allusion – de réfléchir à cette question et de me remettre un rapport dressant le bilan des actions engagées et formulant de nouvelles propositions pour mieux prévenir le risque de suicide. Mes services préparent à partir de ce document un plan d’action afin de mettre en œuvre les préconisations de ces experts.
Monsieur Fouché, vous êtes intervenu sur la question de la création de places de prison. En 2008 ont été créées 2 800 places, et 5 130 autres seront ouvertes en 2009. Au total, 63 000 nouvelles places seront disponibles d’ici à 2012.
La prise en charge sanitaire des personnes détenues est également au cœur de mes préoccupations. Les premières unités hospitalières spécialement aménagées pour les détenus atteints de troubles mentaux ouvriront en 2009 : elles offriront 60 places à Lyon, 40 autres à Nancy, et 705 au total d’ici à 2011.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos différentes interventions.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion no 2, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi pénitentiaire (no 202, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Richard Yung, auteur de la motion.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais exposer pourquoi, aux yeux des membres du groupe socialiste, il y a lieu…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De ne pas délibérer !
M. Richard Yung. … d’adopter la motion, déposée par notre éminent collègue Louis Mermaz, tendant à opposer la question préalable.
Quelles sont les raisons majeures qui nous poussent à estimer qu’il convient de ne pas aller plus loin dans la discussion ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est épatant !
M. Richard Yung. Elles ne tiennent pas, bien sûr, au sujet : nombre d’entre vous, mes chers collègues, l’ont déjà souligné, nous débattons là de l’une des grandes questions sociales, humaines, auxquelles est confronté notre pays.
Elles ne tiennent pas davantage au texte lui-même, qui, aussi bien dans son titre Ier, relatif à la fonction pénitentiaire et à la condition des détenus, que dans son titre II, concernant les peines alternatives, comporte des propositions importantes et intéressantes.
Elles ne tiennent pas non plus aux amendements, qu’ils émanent de la commission des lois ou de la commission des affaires sociales.
Ce n’est même pas ce curieux et incompréhensible recours à la procédure d’urgence, sur lequel nous nous interrogeons encore, qui est en cause.
Si nous avons décidé de déposer cette motion, c’est que nous vivons comme une contradiction essentielle, comme une opposition de principe, la divergence entre les propositions formulées dans le projet de loi et la politique pénale appliquée par le Gouvernement, laquelle vise à développer l’encellulement et le recours à la prison. Les dispositions que nous avons à examiner sont en contradiction avec le durcissement des peines prononcées par les juridictions pénales et le recours accru à la mise en détention.
N’est-il pas paradoxal de demander en août 2007 aux juges correctionnels d’incarcérer massivement au nom de la lutte contre la récidive, puis, deux ans après, en mars 2009, aux juges de l’application des peines de procéder à des aménagements de peine, toujours au nom de la lutte contre la récidive ?
Ce paradoxe révèle bien les limites d’une politique de répression dont l’élaboration est dictée non par l’intérêt général, mais par l’émotion populaire suscitée par tel ou tel fait divers.
Le titre II du présent projet de loi comporte des dispositions visant à favoriser les peines alternatives à l’incarcération et à développer le recours aux aménagements de peine, cela, bien entendu, afin d’aménager les peines et de préparer la sortie des détenus et non pas de vider les prisons.
Cependant, nous ne sommes pas complètement dupes. Nous savons aussi qu’est à l’œuvre derrière tout cela une logique comptable visant à utiliser ces aménagements de peine pour réguler la gestion des flux de la population carcérale.
C’est ce que les présidents de diverses organisations que vous connaissez bien – le GENEPI, ou Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées, l’ANVP, l’Association nationale des visiteurs de prison, et la FARAPEJ, la Fédération des associations Réflexion, action, prison et justice – ont qualifié, dans un article publié hier dans la presse, de « logique d’ajustement conjoncturel ».
Cela n’a rien d’étonnant, madame la garde des sceaux, puisque vous vous trouvez actuellement dans une position difficile, les prisons étant pleines à craquer en raison, précisément, de l’application des lois pénales adoptées ces dernières années.
Voici quelques chiffres, tirés de l’excellent rapport de la commission des lois – ils ont déjà beaucoup été cités, mais je tiens à les rappeler. Le nombre de personnes mises en cause par les services de police et de gendarmerie passe de 600 000 à 1,1 million, soit un doublement en vingt ans ; le nombre de peines d’emprisonnement prononcées a augmenté de 26 % en quatre ans, passant de 252 000 à 317 000 ; le nombre de comparutions immédiates a évolué de la même manière ; enfin, on l’a dit, la capacité des prisons s’élevait au 1er novembre 2008 à 51 000 places pour 63 000 détenus, ce qui correspond à un taux d’occupation de 125 %.
Je souhaite à mon tour rendre hommage à l’administration pénitentiaire et à son personnel, les gradés et les gardiens, qui doivent faire face à cette surpopulation, aux difficultés humaines et à la tension des rapports sociaux et humains qu’elles entraînent.
Votre stratégie consiste donc, madame la garde des sceaux, à associer aménagements de peine et construction de nouvelles places de prison.
Vous vous êtes récemment targuée d’avoir augmenté le nombre d’aménagements de peine de 47 % en un an et d’avoir relancé les libérations conditionnelles. Cependant, et vous le savez bien, cette politique est insuffisante puisque, à l’autre bout de la chaîne pénale, on incarcère massivement.
Certes, vous avez prévu la création de 13 200 places supplémentaires d’ici à 2012 grâce à la construction de sept établissements. Mais, si l’on ne modifie pas le cap de la politique pénale elle-même, voici ce qui va se passer : la population carcérale progressera plus rapidement que les nouvelles prisons ne seront construites ! L’administration pénitentiaire en est d’ailleurs bien consciente, qui a annoncé que l’on dénombrera 80 000 détenus en 2012, pour 63 000 places. Le taux de surpopulation passera donc de 125 % à 130 % ! Vous le constatez, nous n’allons pas dans la bonne direction.
La permanence du phénomène de surpopulation carcérale empêchera bien sûr l’application du principe de l’encellulement individuel, même à l’issue du moratoire de cinq ans proposé à l’article 59 du présent projet de loi. Ce sera d’autant plus vrai que le programme de construction prévoit la création de nombreuses cellules doubles. Ainsi, non seulement on abandonne le principe de l’encellulement individuel, dont l’application est renvoyée à la fin d’un délai de cinq ans, mais, en réalité, on accepte d’ores et déjà l’organisation des cellules multiples, doubles aujourd’hui, triples ou quadruples demain.
La politique du « tout carcéral » est incompatible avec l’article 1er A du présent projet de loi, qui définit les finalités de la peine de privation de liberté. Celle-ci doit concilier « la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer la personne détenue à sa réinsertion ». Compte tenu de la situation de surpopulation déjà longuement décrite, cela restera un vœu pieux. Or il s’agit du cœur de la politique pénitentiaire.
La surpopulation empêchera le travail nécessaire des personnes incarcérées sur elles-mêmes : les détenus ne pourront pas réfléchir, ne pourront pas suivre de formation, bref, ne seront pas en mesure de se préparer utilement à la sortie.
La politique du « tout carcéral » est également en contradiction avec l’article 32 du présent projet de loi, qui pose le principe du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme en matière correctionnelle et la nécessité de prévoir l’aménagement de celui-ci.
En outre, le principe de l’ultime recours posé à l’article 32 est aussi en contradiction avec celui des « peines plancher » qui a été introduit dans la loi du 10 août 2007, supposée renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Je le rappelle, cette loi oblige les juges à prononcer de lourdes peines de prison ferme, les exceptions n’étant permises que dans des cas très limités et difficiles à motiver. Nous l’avions combattue, et nous avions raison, parce qu’elle consacre l’impossibilité de prononcer une peine autre que l’emprisonnement à la deuxième récidive pour un grand nombre de délits, notamment, aussi curieux que cela puisse paraître, pour les délits routiers. Elle donc a gravement remis en cause le principe fondamental de l’individualisation des peines.
Le projet de loi entre également en contradiction avec votre pratique politique, madame la garde des sceaux, qui consiste à faire pression sur les magistrats, par l’intermédiaire des procureurs généraux, en leur demandant toujours plus de chiffre, toujours plus de résultats, et en les notant sur leur capacité à prononcer des « peines plancher » – à condamner ! On nous a signalé récemment que l’une de vos instructions aggrave encore la situation.
Enfin, je le rappelle pour mémoire, le principe de « la prison après la prison » a été introduit par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Cette loi, qui fait penser à L’Homme criminel de Lombroso, permet de mettre des personnes au ban de la société en raison non de ce qu’elles ont fait, mais de ce qu’elles sont et de ce que l’on suppose qu’elles pourraient faire. Ainsi, on emprisonnera à perpétuité, ou pour de très longues durées, sur de simples présomptions.
Tous les professionnels – les magistrats et leurs syndicats, l’Union syndicale des magistrats ou le Syndicat de la magistrature, ainsi que les différentes associations travaillant autour des prisons ou dans les prisons – s’accordent pour le dire, une condition doit être remplie préalablement à la mise en œuvre du présent projet de loi : l’existence d’une politique pénale cohérente et garantissant au maximum la sécurité juridique.
Lors des rencontres parlementaires sur les prisons du 11 décembre dernier, la présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines, l’ANJAP, allait dans ce sens. Usant d’une métaphore pour souligner, madame la garde des sceaux, l’incohérence entre le projet de loi pénitentiaire et votre politique pénale, elle affirmait qu’il serait préférable de « fermer le robinet au lieu d’utiliser la serpillière » ! L’expression est un peu forte, mais elle illustre bien le propos.
On en revient à cette idée : il nous faut une grande loi pénitentiaire qui traite non seulement des aspects présents aujourd’hui dans le projet de loi, mais aussi de tous les autres aspects de la vie carcérale : la santé, l’emploi, la formation professionnelle, le logement, les relations avec les différents pouvoirs locaux. Il s’agirait d’une sorte de loi interministérielle.
La réforme du système pénitentiaire français n’aura de sens que s’il est mis fin à la politique pénale consistant, d’une part, à recourir de manière presque compulsive à l’emprisonnement et, d’autre part, à « préfectoraliser » la magistrature.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)