M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Le scrutin public a été décidé par la conférence des présidents.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 109 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l’adoption | 312 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
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Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Discussion d'un projet de loi organique
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (nos 183 et 196).
Rappel au règlement
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, par ce rappel au règlement, je veux m’adresser à vous et, à travers vous, à l’ensemble de mes collègues, en particulier ceux de la majorité.
Je crois que nous ne pouvons pas commencer l’examen de ce projet de loi en faisant comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait d’un texte anodin, banal, qui verrait chacun, dans son rôle, s’exprimer en fonction de ses préférences partisanes.
Pour qu’il n’y ait pas de fausses interprétations, il me paraît utile, avant même sa discussion, de vous faire part de l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce projet de loi fondamental, car il touche à ce qui est l’essence même de notre action, à notre raison d’être, à ce qui donne du sens à notre engagement dans la vie publique, à l’idée que nous nous faisons de notre démocratie. Je veux parler, bien évidemment, de la démocratie parlementaire, de la dignité du Parlement, du droit des parlementaires à soutenir ou à s’opposer.
Après ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, nous abordons le débat avec inquiétude, mais aussi avec la gravité qui s’impose à ceux qui ont à cœur de préserver la mission sacrée de la représentation nationale.
Monsieur le président, depuis trois mois, nous travaillons sous votre autorité à la réforme de notre règlement. Nous le faisons, vous en conviendrez, dans un état d’esprit constructif, empreint d’ouverture aux propositions, mais aussi acquis à la concertation avec l’ensemble des groupes parlementaires qui composent notre assemblée.
Pourtant – vous le savez bien, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises – nos échanges sont, en quelque sorte, plombés par l’existence de ce fameux article 13 du projet de loi organique, qui institue une limitation du droit d’expression des parlementaires et constitue, à nos yeux, une grave régression, car il y a une contradiction fondamentale entre la globalisation du temps de parole et le droit d’amendement, garanti pour tout parlementaire et protégé par la Constitution.
M. Patrice Gélard. Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Jean-Pierre Bel. Nous ne voulons pas seulement défendre une prérogative de chaque opposant. Bien au-delà, nous voulons faire respecter la liberté d’expression de chacun d’entre nous.
Nous sommes d’autant plus inquiets que la commission propose un vote conforme sur l’article 13. Le débat serait donc clos avant même d’avoir commencé. Nous trouvons cela inacceptable !
Vous avez dit, monsieur le président, qu’il n’était pas question, pour vous, d’y porter atteinte et que la notion de temps globalisé ne serait pas appliquée au Sénat. J’en prends acte, mais est-ce bien suffisant ?
Tout d’abord, lorsque nous légiférons, nous ne nous limitons pas au Sénat, nous le faisons aussi pour l’Assemblée nationale, et nous avons vu ce qui s’y est passé.
Ensuite, nous ne légiférons pas non plus seulement pour le moment présent ou en fonction de ceux qui occupent aujourd’hui des places de responsabilité. Comme le disait le philosophe, « l’avenir dure longtemps ».
Par ce rappel au règlement, je souhaite donc, monsieur le président, appeler chacun à réfléchir sans a priori, en pensant que la majorité d’aujourd’hui peut être l’opposition de demain. Que chacun se prononce donc sur la vision qu’il a de sa fonction, l’une des plus nobles, celle de parlementaire.
J’espère avoir été entendu et je crois cela possible car, vous le savez bien, nous défendons non pas simplement nos prés carrés, mais les droits de tous les parlementaires, ainsi qu’une certaine idée des libertés dans un régime démocratique et parlementaire. Au fond, ce que nous défendons, j’ose le dire, c’est la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je vous donne acte, monsieur le président, de ce rappel au règlement. Permettez-moi cependant de vous rappeler la lettre et l’esprit des propos que j’ai tenus, tant publiquement qu’au sein du groupe de travail.
En tant que président du Sénat, j’estime que la démarche que nous avons suivie dans la réorganisation de nos débats consécutive à la révision de la Constitution a consisté non pas à faire de la maîtrise du temps l’objectif numéro un, mais à imaginer une autre manière de légiférer, notamment en préparant le travail en commission et en préservant le droit d’amendement, qui est consubstantiel à chaque parlementaire.
En l’état actuel de nos travaux, menés sous la direction des deux rapporteurs, le président Jean-Jacques Hyest et Bernard Frimat, nous proposons même un certain nombre de dispositifs qui nous donnent le temps de débattre avant que soient prises des décisions qui viendraient clôturer par anticipation la discussion.
Nous entendons également que tous les sénateurs puissent s’exprimer, y compris ceux n’appartenant à aucun groupe.
Tel est notre état d’esprit ! Il devrait nous permettre de nous doter d’un règlement qui réponde aux souhaits de chacun, avec naturellement certains points de divergence, mais c’est la règle du jeu si l’on veut vraiment travailler ensemble.
Permettez-moi de vous rappeler les termes du rapport de M. Hyest, président de la commission. « Votre commission estime que les dispositions prévues par les articles 13, 13 bis et 13 ter ne devraient pas trouver d’application pour notre assemblée. Soucieuse du respect de l’autonomie de chaque assemblée, elle considère cependant qu’il n’appartient pas au Sénat de priver l’Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement aux dispositions autorisées par ces articles dans le cadre des garanties fixées par la loi organique. »
À présent, que nos débats s’ouvrent dans un esprit serein, en gardant comme préoccupation ce qui a tout de même été au cœur de la révision constitutionnelle, c'est-à-dire le renforcement des pouvoirs du Parlement. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de le mesurer à partir du 1er mars prochain.
Organisation des débats
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder la discussion générale, je voudrais vous informer que la conférence des présidents a envisagé de retenir un point fixe, à savoir le mardi 17 février, à seize heures, pour l’examen de l’article 13 sur la durée globale du débat législatif, et en conséquence des articles 13 bis et 13 ter.
En effet, les présidents de groupe ont unanimement souhaité que la discussion de telles dispositions puisse se dérouler à un moment où chaque sénateur pourra se rendre disponible pour participer au débat.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Discussion générale
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à partir du 1er mars prochain, nous allons entrer dans une nouvelle ère institutionnelle. En effet, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 va vraiment commencer à entrer en vigueur pour sa partie parlementaire.
Dès le mois prochain seront appliquées trois des réformes emblématiques votées l’été dernier : l’ordre du jour partagé, l’examen du texte de la commission en séance publique et la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Ce sont de grands progrès pour le Parlement. Nous n’en mesurons d’ailleurs probablement pas encore – et cela vaut tant pour les parlementaires que pour les membres du Gouvernement – la portée réelle.
M. Henri de Raincourt. Ça, c’est sûr !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais je peux vous assurer que nous allons connaître un tournant dans notre manière de travailler ensemble.
L’application d’une grande partie des autres dispositions constitutionnelles dépend aussi de l’adaptation de votre règlement et, pour trois d’entre elles, de l’adoption d’une loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que le Gouvernement ne tenait pas absolument, comme je l’ai parfois entendu, à présenter une telle loi organique. Mais les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution l’y contraignent pour mettre en œuvre les résolutions, les études d’impact et fixer le cadre d’exercice du droit d’amendement.
Le Gouvernement propose une loi organique qui n’est pas contraignante et qui laisse les plus grandes marges de manœuvre à chacune des assemblées s’agissant de son règlement : chaque chambre pourra s’organiser selon son identité propre. Tel est le premier fondement de la réforme.
Avant d’en venir au fond, je voudrais rendre ici un hommage appuyé au travail de la commission des lois et à son président et rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, nous nous connaissons depuis de longues années, mais je dois dire que travailler avec vous, avec les membres de votre commission, quel que soit leur groupe d’appartenance, ainsi qu’avec vos collaborateurs, est un plaisir intellectuel permanent. Et ce n’est pas là une figure de style !
J’en viens aux différents éléments de ce projet de loi organique. J’évoquerai d’abord les propositions de résolution.
Vous savez les réticences que l’Assemblée nationale a éprouvées : elle a craint que les résolutions ne redeviennent ce qu’elles étaient avant 1958, c'est-à-dire un moyen détourné de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Les députés avaient même supprimé le droit de résolution avant que le Sénat le rétablisse. Finalement, l’article 34-1 est le fruit d’un compromis. Le droit de résolution est reconnu, mais le Gouvernement dispose des moyens pour éviter les détournements de procédure. Il peut lui-même déclarer irrecevables les propositions de résolutions qui mettraient en cause sa responsabilité ou qui lui adresseraient des injonctions.
Le projet de loi tire les conséquences de cette rédaction. Les propositions de résolution pourront être déposées sans limite. Nous avions prévu qu’elles soient ensuite renvoyées à une commission. Les députés ne l’ont pas souhaité, pour des raisons d’organisation de leurs travaux. Votre commission des lois estime que les commissions peuvent trouver un intérêt à s’emparer d’une proposition de résolution. La rédaction proposée par le président Jean-Jacques Hyest, qui laisse à chaque assemblée le soin de s’organiser, me paraît tout à fait équilibrée.
Le projet de loi fixe des conditions de délais pour éviter que l’on n’adopte des propositions de résolution sous le coup de l’émotion ou que l’on pratique une forme de harcèlement par le biais de cette procédure.
Enfin, le projet de loi ne permet pas que les propositions de résolution soient amendées. Chacun le comprend, il s’agit de faire en sorte que celles-ci ne puissent pas être détournées de leur objet initial et des intentions de leurs auteurs. C’est un moyen de protéger les parlementaires de l’opposition ou les parlementaires minoritaires quant au contenu de leur texte. En revanche, la proposition de résolution pourra toujours être rectifiée par son auteur.
L’idée est bien de ne pas galvauder cette procédure, qui est un nouveau mode d’expression pour les parlementaires, dans le respect de notre équilibre constitutionnel.
Le chapitre II porte sur la présentation des projets de loi. Le sujet a beaucoup intéressé les députés. Cela explique d’ailleurs que certains articles soient un peu confus – je parle sous le contrôle du président Jean-Jacques Hyest –, car ils correspondent à la synthèse de propositions de plusieurs groupes politiques.
Quel est l’objectif qui sous-tend l’article 39 de la Constitution ? Il s’agit de vous donner, mesdames, messieurs les sénateurs, les moyens de déterminer l’impact attendu d’un projet de loi. Soyons clairs : il s’agit bien d’une nouvelle contrainte pour le Gouvernement et pour les administrations. Imposer des études d’impact, c’est obliger les ministres à mieux étudier l’intérêt de passer par la loi et à s’interroger sur la qualité des textes qu’ils présentent au Parlement.
L’Assemblée nationale a beaucoup insisté sur cette discipline nouvelle et le président de sa commission des lois, Jean-Luc Warsmann, auquel je souhaite rendre hommage, a voulu en faire une véritable garantie pour les parlementaires.
Votre commission des lois a proposé des aménagements dans ce dispositif. Ils sont bienvenus, car ils clarifient les choses, tout en préservant un équilibre auquel l’Assemblée nationale et le Gouvernement sont sensibles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que le Gouvernement entend bien donner corps à cette réforme, que l’on tente en vérité de mener à bien depuis plus de dix ans.
J’en viens au chapitre III et à l’exercice du droit d’amendement, sur lequel on a beaucoup glosé. Malheureusement, de nombreuses inexactitudes ont été énoncées, souvent sous le coup de l’émotion.
Les dispositions de ce chapitre ont effectivement suscité une polémique un peu excessive. J’espère qu’au Sénat le débat de fond sur la question de la « rénovation de la procédure législative », pour reprendre les termes du rapport de Jean-Jacques Hyest, permettra de clarifier un certain nombre d’éléments.
On ne peut pas raisonner pour l’avenir comme si rien n’avait changé le 23 juillet dernier. On ne peut laisser de côté le passage à l’ordre du jour partagé, l’examen du texte de la commission en séance, l’obligation de laisser six semaines avant le passage d’un texte en séance publique ou la limitation du recours à l’article 49–3 : ces mesures fortes auront des conséquences directes sur notre manière d’élaborer collectivement la loi.
L’objectif du Constituant est que la séance publique redevienne le lieu du débat politique, compréhensible et visible par tous. Il faut que la majorité, l’opposition et les groupes minoritaires puissent faire valoir leur point de vue devant tous les Français, de manière démocratique.
Pour cela, il faut en finir avec une idée reçue : ce n’est pas parce que la séance publique est longue que meilleure est la qualité du travail législatif. Par expérience, je ne pense pas que les discussions générales à n’en plus finir soient un gage de qualité. Souvent, les parlementaires eux-mêmes éprouvent une sorte de découragement face à la longueur des débats. De même, l’examen en séance – en l’occurrence, je parle plus pour l’Assemblée nationale que pour le Sénat – d’une profusion d’amendements techniques, voire répétitifs, se fait souvent au détriment de celui des amendements les plus significatifs, les plus porteurs politiquement. C’est dommage !
Je constate aussi que toutes les démocraties organisent la durée de leurs débats. Le rapport de Jean-Jacques Hyest, qui s’inspire des travaux passionnants de Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet, montre bien que tous nos voisins ont institué des mécanismes permettant une telle organisation raisonnable et démocratique.
La révision constitutionnelle a donné un poids nouveau au travail en commission. Avec six semaines de travaux au minimum, avec la présentation en séance du texte adopté en commission, ne devraient venir en séance plénière que les véritables débats de fond, les vraies difficultés, essentiellement politiques, qui n’ont pu être réglées en commission.
Cette mise en valeur des travaux des commissions aura plusieurs conséquences.
D’abord, les travaux devront faire l’objet d’une large publicité, afin que les citoyens puissent comprendre les lois qui leur sont applicables.
Ensuite, il faudra que les parlementaires puissent voir leurs amendements examinés en commission même s’ils ne sont pas membres de la commission. Bien entendu, cela n’interdira pas un nouvel examen des propositions en séance. Mais si chacun joue le jeu, les amendements les plus techniques devraient voir leur sort réglé en commission.
Cela suppose, monsieur Hyest, que le Gouvernement puisse utilement faire valoir son point de vue à tous les stades de la procédure.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes d'accord !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Il s’agit d’une question importante à nos yeux. Je sais qu’elle l’est également pour vous. Nous aurons certainement un débat passionnant sur ce point.
Lors de la révision constitutionnelle, deux orientations avaient clairement été évoquées, en référence d’ailleurs aux propositions du rapport Balladur.
La première consistait à permettre des procédures simplifiées plus nombreuses et à rendre ensuite possible une durée programmée des débats législatifs, pour éviter les méfaits de ce que l’on a parfois appelé l’obstruction massive.
J’ai entendu dire, ici et là, que le Gouvernement avait agi par surprise sur le sujet du temps programmé. C’est faux ! Je me permets de le souligner, car cela s’est passé ici même, au cours des débats constitutionnels au Sénat ; je dis bien au Sénat, et non à l’Assemblée nationale. Lors de nos débats, j’étais moi-même intervenu en faisant clairement référence à ces deux procédures
Le Gouvernement souhaite que la procédure simplifiée puisse se développer au-delà de ce qui existe aujourd’hui. J’espère que le droit de veto reconnu à chaque président de groupe ne sera pas un obstacle à ce développement.
S’agissant du temps programmé, nous y reviendrons longuement, monsieur Bel, notamment mardi prochain, mais je voudrais réaffirmer notre position.
L’article 13 du projet de loi organique ouvre simplement une faculté, j’y insiste, pour chaque assemblée : il ne rend pas obligatoire l’organisation d’une durée programmée des travaux législatifs. Dans le cadre du groupe de travail conduit de main de maître par le président Gérard Larcher, que je salue, j’ai compris que le Sénat n’envisageait pas de s’engager dans cette voie. C’est sa volonté et le Gouvernement la respectera.
À l’Assemblée nationale, la position sera sans doute différente, car la réalité est elle-même différente. L’obstruction y est plus courante, à gauche comme à droite, avec des milliers d’amendements déposés, parfois des dizaines de milliers sur certains textes. Si une telle pratique devenait systématique, avec l’ordre du jour partagé, elle pourrait conduire à un blocage complet de l’institution parlementaire. Ce serait le pire des paradoxes, alors que l’objet même de la révision constitutionnelle est de permettre au Parlement de jouer pleinement son rôle dans un édifice institutionnel plus équilibré.
J’ai entendu dire que le temps programmé serait contraire à la démocratie. Sincèrement, je ne vois pas très bien en quoi.
Un tel dispositif existe, sous une forme ou sous une autre, chez la plupart de nos voisins. Il a existé en France de 1935 à 1969. D’ailleurs, il a été même été introduit – je ne vais pas y faire référence à chaque fois – à la demande de personnalités que l’on ne peut pas soupçonner de vouloir attenter à la démocratie ; je pense notamment à Léon Blum, à Vincent Auriol ou à d’autres. Du reste, le président du groupe socialiste, Jean-Pierre Bel, avait lui aussi envisagé l’idée d’un mécanisme de temps partagé,…
M. Bernard Frimat. C’est un abus de langage !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … même si c’était avec un encadrement différent et une vision plus globale.
M. Henri de Raincourt. M. Ayrault aussi, dans Libération !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Au cours de nos débats, je souhaiterais que l’on évite les procès d’intention dont le Gouvernement a été l’objet à l’Assemblée nationale. C’est d’une discussion de fond dont nous avons besoin. Les données sont claires.
Certains considèrent que la révision du mois de juillet dernier ne change finalement rien et qu’il ne faut donc rien modifier. D’autres estiment au contraire que nous entrons dans une nouvelle ère en matière de relations entre le Gouvernement et le Parlement et d’organisation du travail parlementaire.
Il faut nous donner une chance de réussir cette mutation parce que, à mon sens, elle donne beaucoup plus de pouvoirs au Parlement. Le Parlement ne peut être uniquement un contre-pouvoir. C’est un pouvoir qui agit véritablement, qui a un domaine de compétences : c’est à lui qu’il appartient de donner des lois au pays.
Le projet de loi organique présente, je le crois sincèrement, un mécanisme équilibré. Les droits des groupes d’opposition et minoritaires sont réaffirmés et soyez assurés que le Conseil constitutionnel saura donner une valeur forte et utile aux dispositions de l’article 13 bis. C’est d’ailleurs l’intention du Président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer.
De même, les droits des parlementaires non-inscrits, des parlementaires pris individuellement, devront être respectés par les règlements, et l’article 13 ter prévoit une voie pour ce faire ; elle pourra être très utilement complétée par les règlements de chacune des assemblées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est bien une nouvelle étape dans la réforme du travail parlementaire. Il permettra aux assemblées d’exercer de nouveaux droits. Il imposera de nouvelles et réelles contraintes au pouvoir exécutif. Ne les sous-estimez pas : c’est réellement un nouveau mode d’organisation qui est en train de se mettre en place.
C’est pourquoi, soucieux que la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République puisse porter ses fruits, le Gouvernement souhaite que vous adoptiez ce projet de loi, qui ouvrira la voie à la dernière étape toute aussi décisive dans la mutation : la réforme de votre règlement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Rappel au règlement
M. Jean-Pierre Michel. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 37 du règlement, monsieur le président.
Le groupe socialiste se félicite d’accueillir au banc du Gouvernement notre ancien collègue M. Karoutchi, mais il s’étonne que, pour ce projet de loi organique si important aux yeux du Gouvernement, le Premier ministre n’ait pas, comme à l’Assemblée nationale, fait l’honneur au Sénat de venir lui-même sinon présenter ce texte, du moins ouvrir le débat, même si on le sait occupé à d’autres travaux cruciaux.
M. Roland du Luart. Il a de lourdes occupations ailleurs !
M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste s’interroge également quant à l’absence de Mme le garde des sceaux, dont le titre même indique qu’elle est compétente dans le domaine des lois constitutionnelles et de leur application. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je comprends très bien l’objet de ce rappel au règlement, lequel ne m’est pas destiné, j’en suis certain.
M. Jean-Pierre Bel. Surtout pas !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur Bel !
Le Premier ministre souhaitait effectivement prononcer aujourd'hui au Sénat le discours d’introduction à ce débat, comme il l’avait fait à l’Assemblée nationale. Mais, vous le savez, il est retenu à Matignon cet après-midi par des arbitrages qu’il doit rendre sur des questions qui engagent la vie de la Nation tout entière. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La crise !
M. Roland du Luart. La Guadeloupe !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Naturellement, il aurait préféré être au Sénat cet après-midi.
En tout état de cause, le présent projet de loi organique sera suivi d’autres textes relatifs à l’organisation du travail parlementaire, notamment celui que j’ai annoncé voilà quelques jours et ayant trait à l’exception d’inconstitutionnalité, que Mme le garde des sceaux viendra défendre.
Cependant, le présent texte ne concernant que le travail parlementaire, il est apparu logique, dans la répartition des tâches au sein du Gouvernement, de confier le soin de le défendre au modeste serviteur de la République chargé des relations avec le Parlement.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des lois, rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes heureux de vous accueillir et nous nous félicitons d’avoir toujours travaillé avec vous dans la transparence et la plus grande cordialité. Je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs, de nous faciliter la tâche.
Le projet de loi organique qui nous est soumis aurait pu apparaître d’une simplicité telle que ses quatorze articles, ou plutôt treize d’entre eux, n’auraient pas dû susciter tant de débats, de tentatives d’obstruction et d’anathèmes lors de son examen par l’Assemblée nationale. Pour avoir tenté de suivre le cheminement un peu chaotique – vous l’avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'État –, de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, on ne peut pas affirmer qu’il en est ressorti, ni sur la forme ni sur le fond, avec plus de lisibilité que le projet initial.
Bien entendu, c’est l’article 13, instituant facultativement la fixation de délais pour l’examen d’un texte, qui a été le plus débattu, car il a pour conséquence la mise aux voix sans discussion des amendements parlementaires. J’y reviendrai en reprenant dans l’ordre les articles de la Constitution nécessitant une loi organique.
En ce qui concerne les résolutions visées à l’article 34-1, on peut être en accord avec le dispositif prévu par l’Assemblée nationale, mais il a semblé à la commission des lois que l’interdiction de déposer des amendements sur les résolutions n’empêchait pas les commissions de s’en saisir, le cas échéant, pour éclairer le débat.
Sous cette réserve, et quand nous aurons aussi disserté sur le fait de savoir si une proposition de résolution ne peut être inscrite au cours de la même session si elle a le même objet qu’une proposition antérieure et si l’irrecevabilité doit être motivée, examinons l’application de l’article 39 de la Constitution.
Sans être fanatique, comme certains, des études d’impact que sous-entend cet article, quels sont les éléments nécessaires pour la présentation des projets de loi ?
Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, les expériences passées ont largement démontré leur vacuité, les études d’impact ayant le plus souvent été réalisées après l’élaboration des projets de loi, et ayant finalement été abandonnées.
Le projet de loi organique a été très enrichi par l’Assemblée nationale, allant jusqu’à viser certaines catégories professionnelles. Nous vous proposerons une clarification de ce dispositif, les documents joints au projet de loi devant définir les objectifs visés, recenser les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposer les motifs du recours à une nouvelle législation.
Souhaitons que ces dispositions, qui pourront être vérifiées sur l’initiative de la conférence des présidents de la première assemblée saisie par le Conseil constitutionnel, conduisent à une déflation législative.
L’Assemblée nationale a ajouté, notamment, que devraient être fournis la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaire, leurs orientations principales et le délai prévisionnel de leur publication, oserais-je dire dans le respect des articles 34 et 37 de la Constitution ?
Si, curieusement, aucune étude d’impact n’est envisagée pour les propositions de loi, l’Assemblée nationale en a prévu pour les dispositions non exclusives des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, sans d’ailleurs, pour des raisons de délais, en sanctionner l’insuffisance ou l’absence. Cela nous a paru contraire à l’exclusion des lois de finances et de financement de la sécurité sociale telles qu’elles résultent de l’article 39 de la Constitution. En revanche, rien n’interdit de le prévoir dans la loi organique relative aux lois de finances, et nous vous le proposerons par un article additionnel.
Nous vous proposerons également de compléter la liste des documents devant améliorer l’information du Parlement pour les traités et accords internationaux visés à l’article 53 de la Constitution. Il en est de même pour les ordonnances, en distinguant bien le stade de l’habilitation et celui de la ratification qui, je le rappelle, ne peut plus être implicite.
Enfin, et pour éviter les amendements du Gouvernement qui ont parfois constitué de véritables projets de loi, des études d’impact peuvent être demandées, avec des risques réels de blocage du débat, et même pour ceux des parlementaires.... Souhaitons que ces articles soient utilisés avec modération.
D’une manière générale, si les études d’impact constituent incontestablement un progrès et une garantie de meilleure information du Parlement, soyons attentifs – je pense aux rapports de certains grands corps de l'État ces dernières années – à ce qu’elles ne délivrent pas une vérité « univoque », qui renforcerait la technocratie et qui empêcherait, en définitive, de vrais choix politiques.
Mais il est temps d’en venir au chapitre III du projet de loi organique, qui concerne le droit d’amendement, en application de l’article 44 de la Constitution, qui dispose, dans son premier alinéa – il faut toujours rappeler les textes, même si nous les avons tous en tête ! – : « Les membres du Parlement et du Gouvernement ont le droit d’amendement. Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par le règlement des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
L’objectif du constituant, en permettant l’exercice de ce droit en séance ou en commission, visait, d’abord, la procédure d’examen simplifié de certains textes, comme cela se pratique pour certains accords internationaux, et pourquoi pas, demain, pour les lois de codification ou pour la ratification de certaines ordonnances, telles que celles concernant l’application de la législation outre-mer ; c’est l’article 12 du projet de loi.
Mais, en dehors de ce cas, le droit d’amendement s’exerce en séance, ce qui ne peut en aucun cas impliquer que l’expression orale sur les amendements soit illimitée. D’ailleurs, les règlements des assemblées prévoient une limitation, ainsi que la procédure de clôture et le vote bloqué.
L’article 13 du projet de loi, complété par les articles 13 bis et 13 ter, prévoit que les règlements des assemblées puissent instituer une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte et déterminant les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les parlementaires peuvent être mis aux voix sans discussion.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État, la fixation d’un temps global n’est pas une nouveauté, puisqu’elle a existé dans le règlement de l’Assemblée nationale sous la Ve République jusqu’en 1969 et elle est la règle dans presque tous les parlements d’Europe ; je vous renvoie à l’excellent rapport de nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet. Cette mesure a cependant cristallisé les oppositions.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs complété ce dispositif par un article prévoyant que soit garanti le droit d’expression de tous les groupes parlementaires, en particulier celui des groupes d’opposition et des groupes minoritaires. Cela signifie que l’on ne peut pas limiter strictement les temps de parole, puisque les groupes d’opposition ainsi que les groupes minoritaires disposent d’un certain nombre de droits prévus par la Constitution.
L’Assemblée nationale a ajouté la possibilité d’une explication de vote personnelle sur l’ensemble pour chaque parlementaire, ce qui n’est pas le cas, à l’heure actuelle, à l’Assemblée nationale selon la procédure ordinaire, qui prévoit généralement une explication de vote par groupe.
Si l’Assemblée nationale – laissons la établir son règlement comme elle l’entend –, trouve le moyen d’acclimater cette procédure, nous ne saurions nous y opposer, ce qui n’implique nullement que nous y soyons contraints nous-mêmes.
En conséquence, les conclusions du groupe de travail présidé par le président du Sénat conduisent la commission des lois à ne proposer aucune modification des articles 13, 13 bis et 13 ter, que nous n’avons pas l’intention de mettre en œuvre dans la révision de notre règlement.
Monsieur le secrétaire d'État, j’ai gardé pour la fin un alinéa de l’article 11 qui, dans la rédaction de l’Assemblée nationale, prévoit ceci : « Le Gouvernement, à sa demande ou en réponse à l’invitation d’une commission, peut-être présent lors de l’examen et du vote des amendements en commission. »
Il s’agit d’une construction intellectuelle sympathique,…