Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Marc Massion.
2. Saisines du Conseil Constitutionnel
MM. Jack Ralite, le président.
4. Mise en œuvre du Grenelle de l'environnement. – Explications de vote et adoption d’un projet de loi
MM. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ; Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; MM. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.
M. Gérard Le Cam, Mlle Sophie Joissains, MM. François Fortassin, Daniel Raoul, Mme Marie-Christine Blandin, M. Daniel Soulage.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi.
5. Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. – Discussion d'un projet de loi organique
MM. Jean-Pierre Bel, le président.
M. le président.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
MM. Jean-Pierre Michel, le président, le secrétaire d'État.
MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur.
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
MM. Patrice Gélard, Yvon Collin, Bernard Frimat.
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
M. Michel Mercier, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
M. Bernard Frimat, Mme la présidente.
Suspension et reprise de la séance
8. Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. – Suite de la discussion d'un projet de loi organique
Discussion générale (suite) : MM. Hugues Portelli, Louis Mermaz, Jean-Pierre Sueur, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. François Rebsamen.
Clôture de la discussion générale.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
Motion no 45 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; le secrétaire d'État, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Bernard Frimat. – Rejet par scrutin public.
Motion no 25 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Sueur, Pierre Fauchon. – Rejet par scrutin public.
Motion no 46 de Mme Nicole Bonnefoy. – Mme Nicole Bonnefoy, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet par scrutin public.
Renvoi de la suite de la discussion.
9. Transmission d'un projet de loi
10. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
11. Dépôt de rapports d'information
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Marc Massion.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Saisines du Conseil Constitutionnel
M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel deux lettres par lesquelles il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 février 2009, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une part, par plus de soixante députés, d’autre part, de demandes d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Les textes de ces saisines du Conseil constitutionnel sont disponibles au bureau de la distribution.
Acte est donné de ces communications.
3
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour un rappel au règlement.
M. Jack Ralite. Ce matin, nous devions débattre de la deuxième loi relative à l’audiovisuel, la loi organique, dont je rappelle que la discussion fut, dans l’actuelle logique affolée du Gouvernement, d’abord déclarée d’urgence, avant de revenir à un statut normal, pour finalement disparaître de l’ordre du jour du Sénat. Je trouve l’attitude de la majorité de notre assemblée par trop marquée par le silence. Pourtant la déconsidération du Sénat ne tient pas à ces errances, même si certains veulent laisser son examen en souffrance.
Prenons le recours de notre groupe CRC-SPG devant Conseil d’État. Il était double : d’abord en urgence, ensuite sur le fond. Nous avons eu une première réponse : l’urgence n’est pas retenue parce qu’il est impossible de revenir en arrière ; il faudrait plusieurs mois pour rétablir, le cas échéant, la publicité, notre recours serait donc trop tardif. Autrement dit, la démocratie peut être laissée pour compte parce qu’il est trop tard ! Voilà une aberration grossière que nous devrions tous ici méditer…
Mais le Conseil d’État n’a pas écrit que cela. Il s’est déclaré compétent – c’est important ! – pour examiner au fond la légalité de la procédure retenue par le Gouvernement, procédure qui foule aux pieds les droits du Parlement. En effet, le Conseil d’État considère que la contestation des sénateurs du groupe CRC-SPG, « en l’état de l’instruction » – ce qui signifie que celle-ci se poursuit –, « ne paraît pas insusceptible de relever de la compétence de la juridiction administrative ». Par conséquent, le recours pour excès de pouvoir est jugé fondé et sera instruit : la légalité de l’acte de Mme Albanel n’est donc pas validée, à ce jour, par le Conseil d’État.
Le fait que le Conseil d’État ne se soit prononcé que sur l’urgence et n’ait retenu aucun des arguments de droit de la ministre, tout en poursuivant l’instruction sur le fond, est un premier avertissement pour le Gouvernement. C’est aussi, pour notre assemblée, la preuve que l’affaire n’est pas classée et qu’elle doit continuer à défendre, dans un même mouvement, son honneur et la démocratie.
Comme vous venez de nous en informer, monsieur le président, le groupe socialiste a, de son côté, saisi le Conseil constitutionnel : la question qui nous préoccupe tant est donc toujours posée !
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement, bien que son lien avec le règlement soit des plus ténus.
4
Mise en œuvre du Grenelle de l'environnement
Explications de vote et adoption d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (nos 42 et 165).
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà le ministre de la tempête !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, Jean-Paul Emorine, monsieur le rapporteur, Bruno Sido, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons à un moment assez particulier et solennel de la vie de notre pays en ce début de XXIe siècle.
Lors du débat démocratique qui a précédé l’élection présidentielle, l’ensemble des candidats à cette élection avaient pris note d’un appel de la société civile en faveur de l’ouverture d’une réflexion en profondeur sur les mutations du XXIe siècle – ce que d’aucuns ont appelé « le pacte écologique », ratifié par la quasi-totalité des candidats.
À peine élu, le Président de la République a choisi d’accomplir un geste de confiance et d’entreprendre cette radiographie en profondeur de la société française en réunissant cinq collèges – les représentants de l’État, les organisations syndicales, les entrepreneurs, toutes formes d’entreprises confondues, industrielles, de services, agricoles, les collectivités territoriales et les associations – pour bâtir une réflexion relative aux éléments économiques, de production et de consommation, à l’usage de nos territoires, à l’étalement urbain, aux problèmes d’eau, de traitement des déchets, etc. Au fond, il s’agissait d’évaluer les chances et les capacités de progrès économique et social dans un monde dont les ressources sont aujourd’hui globalement limitées, en tout cas restreintes et, dans un certain nombre de cas, abîmées.
Ce travail en profondeur a été accompli avec le concours de centaines, voire de milliers d’experts, plus de 20 000 participants aux débats de proximité en région, 15 000 contributions « lourdes » sur internet, parmi les contributions de 300 000 intervenants. Ce processus démocratique innovant partait de l’idée qu’une mutation aussi importante et complexe n’était réalisable qu’avec l’engagement de soixante-deux millions d’acteurs.
Mais notre démocratie comporte également un Parlement. L’ensemble de ce processus a fait l’objet d’un accord unanime de tous les acteurs et de tous les experts et, ensuite, s’est ouvert le temps du Parlement. Après l’Assemblée nationale, c’est maintenant au tour du Sénat de se prononcer solennellement, car c’est le Parlement qui, en dernier ressort, donne la feuille de route à la nation pour lui permettre d’entreprendre cette mutation.
J’ai résumé les grands objectifs de ce projet de loi de programmation. Bien sûr, il comprend un certain nombre de points normatifs, sur les chantiers de bâtiment, sur les transports, sur les déchets, sur la gouvernance : vous connaissez toutes ces dispositions. J’ai été frappé de voir à quel point le Sénat a pris le temps d’examiner sereinement ce texte, afin de mener à bien des discussions plus compliquées qu’il n’y paraît au premier abord. Quelque 850 amendements ont été déposés, dont un nombre important ont été adoptés, dans le respect des rôles du législatif et de l’exécutif. Le texte qui en résulte aujourd’hui offre une vision et une cohérence. Certains ont exprimé des inquiétudes, d’autres leur impatience, ce qui est bien normal.
La France est, aujourd’hui, dans un consensus républicain assez affirmé, le premier pays occidental qui accompagne à ce point la mutation de la prochaine décennie, dont l’incidence sur notre vie durera tout le demi-siècle à venir. Ne nous y trompons pas, le XXIe siècle ne sera pas la répétition du XXe siècle : il développera une autre économie, une autre façon de produire, de consommer, de respecter les espaces…
M. Jean-Louis Carrère. Ce sera le siècle du pouvoir d’achat !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Mais cette mutation n’est pas un retour en arrière ; il ne s’agit pas d’avoir peur de tout, de se recroqueviller ; il s’agit de mettre en place une croissance verte, une croissance heureuse, à la fois économiquement viable et respectueuse de notre environnement.
Tous les pays du monde s’engagent dans cette voie. J’observe simplement qu’ils le font souvent par des décisions venues d’en haut. Or le Grenelle a véritablement mobilisé l’ensemble de la population. C’est sa caractéristique, mesdames, messieurs les sénateurs, et le texte que vous vous apprêtez aujourd’hui à voter est la validation d’un processus démocratique le plus large possible, qui laisse toutefois le dernier mot au Parlement, ce qui est légitime.
Ce texte amorce donc de grandes mutations. Il a été enrichi par le Sénat, grâce aux très nombreux amendements qui ont été déposés par l’ensemble des groupes, tant par l’UMP, l’Union centriste, le RDSE, le groupe socialiste et les Verts que par le groupe CRC-SPG.
M. Roland Courteau. Amendements pertinents !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Un consensus républicain s’est, je crois, dégagé. Chantal Jouanno et moi-même avons beaucoup apprécié le climat d’écoute réciproque et respectueuse qui a prévalu, et qui a permis que soient défendues des visions qui, finalement, se sont révélées assez proches.
Dans cette période de crise importante que vit notre pays, je n’ai qu’un souhait, mesdames, messieurs les sénateurs : que ce texte reste une forme d’exception, une capacité que nous avons, nous, Français, à bâtir un consensus sur ce qui engage l’avenir de notre pays et celui de nos enfants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureuse que ma première expérience au Parlement ait eu lieu ici pour l’examen d’un texte aussi fort, que nous appelions d’ailleurs tous de nos vœux.
Nous avons passé environ cinquante heures ensemble, qui ne m’ont pas paru longues, loin de là.
J’ai apprécié la technicité des débats. Même s’il n’est pas habituel de mettre cet aspect en avant, cette technicité prouve que la complexité du sujet ne doit pas effrayer. En tout état de cause, il ne faut pas avoir peur de la complexité d’un sujet quand on doit prendre des décisions.
Je souligne que la commission a accompli un travail de fond extrêmement important sur ce texte.
J’ai apprécié le pragmatisme de vos positions. Le texte est sorti grandi de l’ancrage territorial dont il a bénéficié. En cela, le Sénat a joué tout son rôle. C’est un point très important parce que, si le projet de loi issu du Grenelle de l’environnement ne profitait qu’à Paris, nous n’aurions pas réussi à relever le défi auquel nous sommes confrontés. Le texte issu du Grenelle de l’environnement doit, par définition, être ancré dans nos territoires.
Le ministre d’État a bien souligné que plusieurs avancées avaient été réalisées grâce aux 263 amendements qui ont été adoptés pendant ces débats.
Certaines d’entre elles, qui me tiennent particulièrement à cœur, ont trait à la prévention des risques dans le domaine de la santé environnementale.
C’est le cas de l’introduction du carnet de santé du salarié, qui retrace ses expositions environnementales.
La création de postes de conseillers en environnement, très attendue, est un point extrêmement important.
Je me félicite également de l’information des consommateurs sur la présence de substances nanoparticulaires dans les produits.
En matière de maîtrise des déchets, plusieurs avancées ont aussi été enregistrées. Vous avez souhaité réduire de dix à cinq ans le délai pour la mise en place d’une tarification incitative. Vous avez introduit un censeur d’État dans les éco-organismes. Vous avez souhaité prendre en compte la dimension très spécifique des déchets d’ameublement.
Dans le domaine de la biodiversité, qui est aussi un sujet dont il faut parler davantage, vous avez souhaité avancer de 2020 à 2015 la date à laquelle 10 % des mers territoriales devront être protégées en outre-mer. Vous avez souhaité intégrer la question des produits phytosanitaires dans la protection des 500 points de captage les plus sensibles.
Il est un autre point que nous partageons : la prise en compte de la politique de l’herbe, la nécessité de protéger et de développer les prairies en France.
Je pense enfin à un point qui était aussi très attendu : la facilitation des procédures de mise sur le marché des préparations naturelles.
C’est finalement un message d’optimisme qui ressort des débats que nous avons eus. Il montre bien que nous avons franchi une étape. Aux Cassandre qui prédisaient que le Parlement allait détricoter le texte, vous avez prouvé que vous avez fait plus qu’adhérer aux ambitions du Grenelle, puisque vous les avez dépassées. Donc, ce texte est vraiment un beau message de soutien et d’optimisme dans le contexte actuel.
Grâce au vote qui va intervenir et dont vous avez voulu marquer le caractère solennel, nous allons probablement entrer dans une nouvelle ère. Soyez-en de nouveau remerciés ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous dire que cette première expérience au Sénat a été particulièrement réussie et que la manière dont vous avez répondu aux questions a été fort appréciée par l’ensemble des groupes de notre assemblée.
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà arrivés au terme d’un marathon parlementaire de cinquante heures environ, avec, me semble-t-il, de nombreux motifs de satisfaction.
Ce fut pour moi un honneur d’être rapporteur sur cet important projet loi. À cet égard, je remercie le président de commission des affaires économiques de m’avoir fait confiance.
Je remercie également mes collègues qui ont participé aux nombreuses auditions comme ceux qui ont pris part au débat en séance publique. Ce débat, très constructif, j’y reviendrai, nous a permis d’améliorer encore le texte.
Je tiens aussi à remercier toutes celles et tous ceux qui, tant au cabinet de M. le ministre d’État que dans nos services, ont énormément travaillé, m’ont très bien conseillé, et dont l’aide a été tout à fait profitable à la mise au point de ce texte.
Enfin, je voudrais également adresser mes remerciements aux très nombreuses personnes que nous avons auditionnées, qui ont consacré beaucoup de temps à nous apporter des explications importantes, parfois contradictoires. J’ai beaucoup appris dans ce domaine que je ne maîtrisais pas complètement et ces explications ont donc été très bénéfiques pour la suite de nos travaux.
Les débats ont été riches, denses et constructifs. Le Sénat a validé les principales conclusions du Grenelle et, surtout, respecté l’esprit du texte voté par les députés, tout en l’enrichissant significativement, puisque 263 amendements ont été adoptés.
Ces amendements concernent tous les domaines. Il s’agit notamment du rapport que le Gouvernement devra remettre très rapidement au Parlement sur l’impact de la généralisation de l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes accompagnée de la réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure et de l’interdiction de dépasser sur autoroute, ou encore de la création d’un carnet de santé des travailleurs. Rassurez-vous, je n’évoquerai pas tous les points qui ont été améliorés ici même.
Ces débats se sont déroulés dans une atmosphère très consensuelle, puisque, sur les 263 amendements adoptés, 117 viennent de la commission, 33 de l’UMP, 17 de l’Union centriste, 5 du RDSE, monsieur Fortassin, 86 du groupe socialiste (Exclamations sur les travées du groupe socialiste)…
M. Thierry Repentin. Ils méritaient d’être adoptés !
M. Bruno Sido, rapporteur. …et des Verts et 4 du groupe CRC–SPG. Parmi ces dispositions, je me félicite notamment que le Sénat ait adopté, sur l’initiative du groupe de l’Union centriste, l’obligation, dans les services de restauration collective de l’État, de recourir à des emballages réutilisables consignés pour les bières, les boissons gazeuses sans alcool et les eaux, ou encore, sur l’initiative du groupe socialiste, la création d’une instance chargée de garantir la transparence des expertises. Cette mesure me paraît fondamentale dans la société où nous vivons aujourd’hui.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Bruno Sido, rapporteur. Je tiens donc ici à remercier l’ensemble des groupes pour leur participation constructive et responsable à l’occasion de ces débats.
Je veux également, au terme de ce travail, remercier chaleureusement le président Jean-Paul Emorine de sa présence constante et de son appui à mes côtés. Sa grande expérience, beaucoup plus importante que la mienne, m’a été très précieuse tant en commission qu’en séance publique.
Enfin, monsieur le ministre d’État, je souhaite vous adresser également mes remerciements, ainsi qu’à vous-même, madame la secrétaire d’État et à M. Bussereau, aujourd'hui absent, mais qui connaît lui aussi particulièrement bien ces dossiers.
Vous avez apporté, tout au long de ces débats, votre grande compétence au service de ce projet de loi. D’ailleurs, cela s’est bien vu lors de la discussion de certains amendements dont la commission n’avait pas forcément saisi tous les enjeux et sur lesquels elle sollicitait l’avis du Gouvernement. C’était non pas pour « botter en touche », mais pour obtenir des informations supplémentaires que nous n’avions pas pu avoir auparavant, et cela a été très important pour nous.
Au final, le texte ambitieux que nous nous apprêtons à adopter témoigne de la volonté de la France d’être très volontariste sur le chemin du développement durable et de saisir la chance d’une économie durable et d’un nouveau progrès social et environnemental. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais il nous reste désormais, au-delà de l’affichage de l’ambition, à nous accorder sur les moyens les plus efficaces pour la mettre concrètement en œuvre.
Le Sénat sera amené, dans les prochains mois, à se pencher de nouveau sur ce sujet si important du développement durable. En effet, ce projet de loi nous reviendra en deuxième lecture, l’urgence n’étant pas déclarée, et nous examinerons également le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, qui, lui, a été déclaré d’urgence.
Nous reparlerons donc de ce projet de loi dit « Grenelle I », je l’espère, le plus rapidement possible, et nous entrerons dans le vif du sujet à l’occasion de la discussion du texte dit « Grenelle II ». Je ne peux que souhaiter, pour l’heure, que les débats sur ce texte se déroulent dans la même ambiance que celle qui a prévalu lors de l’examen du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. Roland Courteau. Nous aussi !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme de près de 50 heures de débat et après avoir examiné plus de 800 amendements et, peut-être, plus de 200 sous-amendements, nous voici parvenus au vote sur l’ensemble du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Je me félicite de la manière dont les débats - toujours riches et documentés - se sont déroulés tant en commission qu’en séance publique.
Je tiens à rappeler que la commission des affaires économiques, saisie au fond de ce projet de loi, s’est mobilisée, sur mon initiative, dès le début du processus de négociation innovant qu’a constitué le Grenelle de l’environnement, voulu par le Président de la République et lancé en juillet 2007.
À notre demande, le Gouvernement a accepté que le Sénat et l’Assemblée nationale désignent respectivement un représentant dans chacun des six groupes de travail. D’autres parlementaires y ont également participé, comme nos collègues Jean-François Le Grand et Marie-Christine Blandin, qui ont coprésidé le groupe de travail sur la biodiversité, soit comme représentants d’associations d’élus, comme nos collègues Dominique Braye et Paul Raoult.
Mais surtout, la commission a constitué, dès cette date, un groupe de suivi du Grenelle de l’environnement, composé de représentants de tous les groupes politiques et présidé par Bruno Sido. Ce groupe a auditionné les différents groupes de travail, préparé le débat en séance publique qui a été organisé en octobre 2007 sur le Grenelle de l’environnement et participé aux réunions de finalisation qui ont eu lieu à la fin du mois d’octobre 2008.
Une fois le projet de loi déposé par le Gouvernement, Bruno Sido a été tout naturellement choisi comme rapporteur et il a procédé à un travail considérable d’auditions et de réunions pour préparer son rapport et l’examen du texte en séance plénière.
Ces auditions étaient ouvertes à l’ensemble du groupe de suivi, ce qui a permis à chacun de prendre connaissance du texte et des enjeux qu’il portait.
Les parlementaires ont pu ainsi s’approprier ce projet de loi, qui constitue, s’agissant de la prise en compte de la préservation de l’environnement, notre feuille de route pour les dix années à venir.
Ce texte fixe les objectifs et un cadre d’actions qu’il nous faudra décliner lors de la prochaine étape, à savoir l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement.
Je me félicite, à ce sujet, du fait que le Gouvernement ait choisi de déposer ce projet de loi en première lecture sur le bureau du Sénat, car nombre de mesures proposées concernent nos territoires et les compétences des collectivités territoriales, qu’il s’agisse d’urbanisme, de transports collectifs, de gestion des déchets, de protection des espèces et des habitats, ou encore de gouvernance locale, au travers de la réforme des études d’impact et des enquêtes publiques.
Il nous faudra appréhender ce texte de manière pragmatique et réaliste, sans perdre de vue les enjeux de la « révolution écologique douce » incarnés par le Grenelle de l’environnement et salués par M. le rapporteur au début des débats.
En conclusion, je voudrais souligner, pour m’en réjouir, la qualité des débats et des relations de travail qui a prévalu depuis le début, tout d’abord au sein de la commission, grâce au travail de concertation conduit par le rapporteur, puis avec vous, monsieur le ministre d’État, et vos collaborateurs, tout au long de la préparation du rapport et du passage en séance plénière, avec M. Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports, et avec vous-même, madame la secrétaire d’État, lors de la séance publique, qui a constitué votre baptême du feu, parfaitement réussi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour explication de vote.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen au Sénat du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement laisse une impression mitigée avec, d’un côté, les consensus autour des bonnes intentions exprimées et, de l’autre, les doutes et incertitudes quant à la faisabilité des objectifs et aux moyens financiers qui y seront consacrés.
Cette introduction résume l’état d’esprit qui est le nôtre au moment du vote, à caractère solennel, de ce texte. Cette loi de programmation vise, avant tout, à donner une tonalité écologique à une politique libérale qui, depuis toujours, a privilégié la rentabilité, le productivisme, les cadences infernales aux dépens de la santé humaine et de la préservation de l’environnement. Il existe en effet un espace important entre ce qui peut apparaître comme de l’intégrisme écologique, d’un côté, et rien, ou presque, de l’autre. Ce texte veut occuper cet espace.
La crise des énergies fossiles et le réchauffement climatique annoncé pèsent lourdement sur les consciences et les réflexions, y compris à droite. Aussi était-il devenu indispensable d’aborder sous un nouvel angle les grands sujets de société relatifs à l’énergie et au développement durable.
Le Grenelle I est empreint de généralités qui touchent au changement climatique, à la consommation énergétique des bâtiments, à la politique des transports, aux énergies renouvelables, à la recherche, à la biodiversité, à l’eau, à l’agriculture, à la pêche, à la forêt, aux déchets et à la pollution de l’air. Je ne voudrais pas oublier les dispositions spécifiques à l’outre-mer, lequel est actuellement confronté à une crise du coût de la vie qui n’est pas sans liaison avec une conception très libérale des échanges, des transports et de la distribution.
Certes, il a été reproché à ce texte composé de généralités et de bonnes intentions d’entrer parfois dans le détail de mesures et d’objectifs qui auraient dû relever du Grenelle II. Ce dernier sera examiné, à notre grand regret, dans l’urgence et ne traitera pas réellement de toutes les mesures de nature à nous convaincre du caractère réalisable des intentions.
Ma collègue Evelyne Didier a souligné à ce titre le manque de mesures fiscales structurantes concernant la santé, la protection des lanceurs d’alerte et la responsabilité sociale et environnementale. La multiplication de taxes plus pénalisantes qu’incitatives va se traduire, une fois de plus, par un alourdissement des charges au détriment des plus modestes, dans les domaines les plus divers du quotidien.
Prenons l’exemple des bâtiments, et singulièrement des habitations. Le particulier doit aujourd’hui satisfaire à de nombreux contrôles quand il transmet son bien : l’amiante, les termites, le plomb, le bilan énergétique et la mise aux normes dans le cadre des services publics d’assainissement non collectif, dont le coût dépasse souvent 5 000 euros par foyer. L’isolation des habitations est également très coûteuse. Qui sera le plus pénalisé par la contribution climat-énergie ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Gérard Le Cam. Qui pourra atteindre les 50 kilowattheures par mètre carré et par an sans que des mesures en faveur du pouvoir d’achat soient abordées et que la spéculation éhontée sur les terrains soit stoppée ou taxée ?
Quelles collectivités locales pourront assurer les programmes de rénovation et d’économie d’énergies si les dotations de l’État continuent de baisser,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Gérard Le Cam. …si la taxe professionnelle disparaît et si les communes, elles-mêmes, sont mises à mal quant à leur existence à l’issue des travaux de la commission Balladur ?
On nous demande également, à nous élus, de favoriser la consommation de produits issus de l’agriculture biologique dans notre restauration collective. Mais un repas « bio » coûte aujourd’hui le double d’un repas conventionnel ! (M. le ministre d'État fait un signe de dénégation.)
Qui paie la différence ? Ce ne sont pas les familles ; c’est donc le budget de la commune ou celui de la caisse des écoles.
Qu’attendez-vous pour proposer, à l’instar de ce qui s’est fait pour les produits laitiers via l’ONILAIT ou de ce qui est en train de se faire pour les fruits à l’école, la mise en place d’un organisme destiné à subventionner la consommation de produits « bio » au sein de la restauration collective ? Je remarque d’ailleurs que ce sujet est totalement absent du Grenelle II.
En ce qui concerne l’agriculture et son évolution, j’ai eu l’occasion de souligner, dans le débat, le caractère ambitieux, et parfois irréalisable, de certaines mesures en faveur de l’évolution de la surface consacrée aux cultures biologiques. Je salue cependant les intentions affichées en matière de consommation de produits phytosanitaires, et j’ose espérer que la recherche leur portera secours.
De lourdes contradictions demeurent cependant entre les objectifs du Grenelle et les grandes orientations agricoles définies pour la France, l’Europe et l’OMC.
À titre d’exemple, le découplage total vers lequel tend l’agriculture permet d’évoluer, au gré des spéculations, vers le plus rentable : tantôt on développe les agrocarburants, au détriment de la culture de céréales, ce qui provoque des famines à l’échelle mondiale ; tantôt, on assiste à des déséquilibres nationaux ou internationaux au profit de quelques cultures momentanément rentables. La gestion actuelle des aides ne devrait pas contribuer à conduire à des comportements vertueux. Il est ainsi significatif de constater que nos amendements visant à la sécurité et à la souveraineté alimentaires n’ont pas été adoptés. Le monde de l’« agro-business » et des spéculateurs a encore de beaux jours devant lui !
À propos des transports, on peut lire à l’article 10 : « La politique durable des transports donne la priorité en matière ferroviaire au réseau existant. Cette priorité s’appuie d’abord sur sa régénération, puis sur sa modernisation. » C’est ce qu’on peut appeler « du bricolage à pas cher » ! Où sont les 80 milliards d’euros nécessaires à la construction d’un véritable réseau de fret ferroviaire offrant une alternative efficace pour permettre le développement de transports durables ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Gérard Le Cam. Les dispositions contenues dans ce projet de loi de programme démontrent que le Gouvernement préfère financer l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, en taxant immédiatement les véhicules de plus de 3,5 tonnes circulant sur le réseau non autoroutier. Dans une région comme la Bretagne, cette mesure est jugée par l’ensemble des acteurs économiques comme une véritable catastrophe économique à venir, dans la mesure où il n’y a pas d’alternative possible. Construisons d’abord ce réseau alternatif et taxons ensuite : ce serait plus logique et plus efficace !
Le texte dit « Grenelle II » sera l’occasion pour nous d’aborder le concret, de préciser les responsabilités de chacun, du producteur au consommateur final, et de proposer des alternatives autres que les taxations systématiques, ces dernières se répercutant immédiatement sur le consommateur, qui ne maîtrise pas ce qui se passe en amont.
Il nous paraît également essentiel d’aborder la question du changement de comportement que devront adopter, demain, les consommateurs eu égard aux produits, aux moyens de transformation, aux modes de vie soucieux de la matière première et de l’énergie consommées.
Au regard de ces remarques, le groupe CRC-SPG s’abstiendra, compte tenu des forts doutes qui pèsent sur l’évolution effective de la qualité environnementale de notre pays. Certes, ce texte ne sera pas sans effet sur les consciences, voire sur les comportements. Mais il est aussi de notre responsabilité politique de dire aux Françaises et aux Français : Restez vigilants, évoluez dans vos comportements, mais ne vous laissez pas taxer en lieu et place des vrais responsables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mlle Sophie Joissains. Mes chers collègues, au terme d’un large et très complet débat, nous allons voter un projet de loi absolument majeur pour l’avenir de notre pays. En premier lieu, nous vous adressons, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, toutes nos félicitations et nos remerciements. Vous avez su nous écouter et nous faire participer à l’élaboration de ce texte. (M. Roland Courteau s’exclame.) Nous avons une pensée particulière pour Mme Jouanno, pour qui ce fut le premier débat en séance publique et qui a fait preuve de beaucoup de maîtrise et d’une grande compétence. Qu’elle en soit ici remerciée et félicitée !
Mes remerciements s’adressent également au président de la commission des affaires économiques, M. Emorine, qui a été omniprésent et dont l’implication au service de ce projet de loi a été totale, tant en commission que dans l’hémicycle.
Je n’oublie évidemment pas notre rapporteur, M. Sido, qui a effectué un travail absolument considérable, d’abord en amont du texte puis pendant son examen, en étudiant dans le détail plus de 800 amendements déposés.
M. Daniel Raoul. Le rouge doit vous monter au visage, monsieur le rapporteur !
Mlle Sophie Joissains. Je tiens à signaler qu’un très grand nombre d’entre eux ont reçu un avis favorable et ont ensuite été adoptés.
Les débats, qui ont duré deux semaines, ont été à la hauteur des enjeux et ont donné au Parlement l’occasion de reconnaître la valeur du processus du Grenelle, formidable et inédit processus de consultation et de dialogue démocratique. Nous pouvons saluer ici l’initiative du Président de la République.
M. Jean-Jacques Mirassou. Non, ce n’est pas utile !
Le projet de loi respecte les 263 engagements du Grenelle. Il fixe des objectifs très ambitieux et répond aux questions des parlementaires qui souhaitaient des évaluations et des études d’impact, à ceux qui se préoccupaient de la fiscalité, de l’avenir de l’agriculture, de la concurrence et de l’emploi dans les entreprises. D’ailleurs, nous resterons vigilants sur le fait de ne pas alourdir les contraintes pesant sur les PME.
Ce projet répond aussi à nos interrogations concernant le rôle central que les collectivités locales sont appelées à jouer dans la mise en œuvre de ce programme. Au Sénat, nous sommes très attachés à ce que les collectivités territoriales ne supportent pas les coûts supplémentaires engendrés par le manque de moyens budgétaires de l’État.
Il est urgent de légiférer, de faire des économies d’énergie, de limiter les émissions de gaz à effet de serre, de protéger l’environnement et la biodiversité, bref, de préserver notre santé.
Notre société est en pleine mutation. La France ne doit pas se contenter d’accompagner cette mutation. Elle doit se montrer volontariste et saisir la chance d’une économie durable, d’un nouveau progrès social et environnemental.
Nous ne devons pas oublier non plus que notre avenir se joue au niveau européen, et pas simplement dans le cadre national. Plus que jamais, et la crise est malheureusement là pour nous le rappeler, l’Union fait la force. Nous devons avancer avec nos principaux partenaires européens sans distorsions afin de convaincre le reste du monde du bien-fondé de cette démarche. C’est uniquement à ce prix que l’environnement et l’économie de marché seront sources de croissance et de richesse pour le monde et pour tout le monde.
Un des grands apports du projet de loi est d’avoir permis ce débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il y a encore quelques années, il aurait été inimaginable de pouvoir parler d’économies d’énergie ou d’agriculture biologique dans cet hémicycle pendant plusieurs heures. Les choses ont changé : nous avons sorti la problématique environnementale de son ghetto politique et de sa marginalité utopique pour la replacer au centre de nos préoccupations et de notre modèle économique. Et cela pour longtemps ! En tout cas, nous l’espérons.
Je souhaite que ce projet de loi, majeur pour l’avenir de notre société, recueille la plus large adhésion possible. Le groupe UMP votera ce texte qui fera date dans notre législation et constituera un exemple à suivre pour le reste du monde. Soyons, au-delà de nos sensibilités politiques, fiers d’adopter ce grand texte, qui restera, nous en sommes convaincus, l’une des très grandes lois de cette mandature.
Avec ce projet de loi, nous sommes en train de réussir un pari qui n’était pas gagné d’avance, pour la France et pour l’Europe ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter un texte d’une très grande ampleur, qui résulte d’un mode de concertation remarquable méritant d’être signalé. Il honore le travail de notre assemblée puisque les débats ont été d’une grande richesse : il y a eu plus de 800 amendements déposés, et 263 d’entre eux ont été adoptés, dont plus d’une centaine venant de l’opposition.
C’est dire combien la participation de chacun d’entre nous a été fructueuse. Cela montre aussi que nous avons souvent été écoutés.
Ce texte est fondateur d’un mode de vie meilleur. Il affirme aussi une qualité de vie pour les générations futures. À l’évidence, il est porteur d’une grande espérance.
Au cours des cinquante heures de débats, nous avons eu le sentiment qu’un souffle rafraîchissant parcourait notre assemblée. Nous pouvons tous, parlementaires et membres du Gouvernement, en éprouver une légitime fierté. Il y a des moments – assez rares – où nous avons le sentiment que notre rôle de parlementaire est empreint d’une très grande noblesse. C’est à travers ce genre de texte qu’elle s’exprime, et je tenais à le souligner.
J’en arrive à l’exercice des compliments et félicitations. Cela me conduit tout naturellement à m’adresser d’abord à vous, monsieur le ministre d’État, qui avez porté ce texte et qui l’avez présenté à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Il s’agit d’un texte équilibré, qui a été enrichi par nos travaux.
Je veux aussi adresser des compliments très appuyés à Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. François, tu te laisses aller !
M. François Fortassin. Mes chers collègues, je croyais que la courtoisie était la marque de fabrique de notre assemblée.
M. Roland Courteau. Oui, mais là, c’est un peu trop !
Mme Raymonde Le Texier. Offrez-lui donc des fleurs !
M. François Fortassin. Madame la secrétaire d’État, vous avez su démontrer durant ces nombreuses heures de débat que vous maîtrisiez parfaitement ces sujets, parfois compliqués et très techniques. Notre assemblée avait déjà vu votre nomination d’un œil extrêmement favorable. Aujourd’hui, elle vous félicite de manière unanime.
M. François Fortassin. De plus,…
M. Claude Jeannerot. Ah non ! (Sourires.)
M. François Fortassin. …même à des heures tardives, vous n’avez jamais manifesté d’impatience.
J’ai l’habitude de dire que tous les ministres sont excellents, mais qu’il y a des degrés dans l’excellence. En ce qui vous concerne, vous avez été remarquable ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Daniel Raoul. Oh là là !
M. Bernard Piras. N’en jetez plus !
Mme Raymonde Le Texier. Envoyez des fleurs !
M. François Fortassin. Je tiens également à féliciter M. le rapporteur et à M. le président de la commission, qui ont fait preuve de beaucoup d’allant et de persévérance. Pour avoir participé à quelques auditions menées par Bruno Sido, je sais que le travail de la commission a contribué à enrichir le texte.
Après ce concert de louanges, il faut bien que j’exprime quelques regrets.
M. Daniel Raoul. Oh !
M. François Fortassin. À l’évidence, certains sujets ont été simplement effleurés. C’est le cas…
M. Daniel Raoul. De l’ours ! (Sourires.)
M. François Fortassin. …des circuits courts, tels que la vente directe à la ferme.
Monsieur le ministre d’État, permettez-moi de vous faire une suggestion sous forme de question : ne serait-il pas possible d’attribuer une sorte de bonus à ceux qui choisissent ces circuits courts ?
Par ailleurs, il faut aller beaucoup plus loin dans les bonnes pratiques de consommation. Cela passe véritablement par de la pédagogie. Cependant, il faut faire attention, car vouloir acheter des produits biologiques à n’importe quelle saison peut avoir un effet pervers. Il arrive en effet qu’ils proviennent de pays dont la réglementation est pour le moins aléatoire. Un bon produit issu d’une agriculture traditionnelle vaut mieux donc qu’un produit biologique frelaté.
M. Jean-Pierre Caffet. Oh, est-ce possible ? (Sourires.)
M. François Fortassin. Mais oui ! (Nouveaux sourires.)
Nous n’avons pas non plus suffisamment évoqué le problème de la sylviculture, qui souffre de nombreux maux et qui est aujourd’hui en danger. Je ne dis pas cela à cause des dernières tempêtes ; j’ai déjà eu l’occasion de le souligner.
Tout d’abord, dans les zones de montagne, la traction animale et le câble ne sont plus utilisés, alors qu’ils permettaient d’exploiter les forêts dans des endroits d’accès très difficile et où il est souhaitable de ne pas construire de route.
M. Dominique Braye. On commence à les réutiliser !
M. François Fortassin. Ensuite, le danger est de voir un certain nombre de forêts livrées aux promoteurs immobiliers, compte tenu du retour sur investissement.
Je regrette également que l’on n’ait pas évoqué la neige de culture – même si cette année nous n’en avons pas besoin –, qui est aussi indispensable à nos stations de ski que l’irrigation à certaines formes d’agriculture.
Enfin, j’aurais aimé que le barreau de la ligne à grande vitesse Béarn-Bigorre, qui concerne un bassin de 400 000 habitants, puisse figurer dans le premier paquet, si je puis dire. Nous aurons peut-être l’occasion de reparler de cette question dans le Grenelle II, auquel bien entendu je participerai.
J’en viens à ma conclusion, monsieur le président. Comme vous le voyez, je suis plus bref que d’habitude. Je n’utiliserai donc pas mes dix minutes.
M. le président. En effet, vous en êtes à huit minutes ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Je le répète, j’ai éprouvé une grande fierté à participer à ces débats et vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que mon groupe émette un vote unanime sur ce texte.
M. Dominique Braye. Favorable ou défavorable ?
M. François Fortassin. Favorable, bien entendu ! (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Le suspens était bon !
M. Jean-Pierre Plancade. C’est un suspens très radical ! (Rires.)
M. François Fortassin. N’oubliez jamais qu’il est nettement préférable que les herbivores continuent à manger de l’herbe ! (Rires et applaudissements.)
M. le président. Et que certains d’entre eux ruminent !
La parole est à M. Daniel Raoul. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on peut au moins reconnaître un mérite au Grenelle de l’environnement, celui d’avoir ouvert une voie : celle de la prise de conscience.
Dès les premiers travaux initiés à l’été 2007, quelques sénateurs de gauche, disons téméraires, se sont illustrés dans les groupes de travail et autres comités opérationnels organisés en nombre par le Gouvernement. Ils se reconnaîtront… En tout cas, je tiens ici à les saluer, car cela n’était pas évident.
Ce Grenelle, d’abord présenté comme « un contrat entre l’État, les collectivités territoriales, les syndicats, les entreprises et les associations », puis annoncé comme un « point de départ d’une nouvelle donne française pour l’environnement », fut dès le départ pour nous, socialistes, un « drôle d’objet politique », un OVNI environnemental.
Depuis bientôt deux ans, il alimente la chronique médiatique non seulement avec son lot d’annonces plus ou moins réalistes – foison de lignes de TGV, bonus-malus pour les voitures, plus récemment une taxe pique-nique, et j’en oublie… –, son lot d’épisodes législatifs – je pense en particulier au vote du texte improprement intitulé « loi relative aux organismes génétiquement modifiés », lesquels ont d’ailleurs été traités comme le nucléaire, c’est-à-dire hors Grenelle –, mais aussi les groupes de travail, les tables rondes, les comités opérationnels, les comités de suivi au Parlement, avec ceux qui en sont, ceux qui ont refusé d’en être. On s’y perd forcément un peu.
Un drôle d’objet politique que ce Grenelle en effet, même pour nous, socialistes, pour qui une telle démarche n’était pas une première. Je vous le rappelle, mes chers collègues, le plan national pour l’environnement, en 1990, certes moins médiatisé, n’en avait pas moins posé les fondements d’une politique environnementale ambitieuse et nouvelle pour notre pays.
M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !
M. Daniel Raoul. À l’issue d’une concertation avec tous les acteurs et un vrai débat d’orientation au Parlement, il avait donné lieu à l’adoption des lois sur l’eau, les déchets, le bruit, les carrières, les paysages, la gestion des déchets radioactifs ainsi qu’à des mesures concernant le pot catalytique, le plan Loire, la création d’Éco-emballages, la première taxe écologique sur les déchets, la création de l’ADEME, madame la secrétaire d’État, des DIREN, ou bien encore des DRIRE.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. C’est aussi le plan national pour l’environnement qui avait installé la France sur le devant de la scène internationale en matière de réchauffement climatique.
Drôle d’objet politique, ce Grenelle l’est aussi quand il fait l’objet d’un vote quasi unanime à l’Assemblée nationale, le 21 octobre, alors que les sénateurs s’apprêtaient à examiner le budget de la nation pour 2009 qui ne traduit en rien les engagements dans les faits. Ce sera sans doute une difficulté lors du Grenelle II. Et ce n’est pas la disparition de la taxe professionnelle – qui déstabilise les collectivités territoriales à l’heure actuelle – qui permettra à ces dernières de s’engager pour vous accompagner !
M. Roland Courteau. Ça aussi, il fallait le dire !
M. Daniel Raoul. Drôle d’objet politique enfin, parce que ce Grenelle I en annonce un deuxième, et peut-être même un troisième, et parce que, à bien des égards, le texte qui résulte des travaux de notre assemblée est différent de celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale.
Pour une fois, nous avons eu le temps de travailler.
Pour une fois, les débats en séance publique ont apporté des modifications sensibles au texte.
Pour une fois, vous n’avez pas déclaré l’urgence, permettant ainsi un échange enrichissant pour tous et dans une ambiance apaisée.
Pour une fois, vous nous avez permis d’exercer notre rôle, celui d’une minorité active et constructive. Ainsi, après des dizaines d’auditions, les sénateurs ont discuté près de deux semaines en séance publique d’un texte qui ne vise pas moins qu’à faire de la France l’économie la plus efficiente en équivalent carbone de la Communauté européenne d’ici à 2020.
J’en viens à l’excellence environnementale.
Comment ne pas être tenté par un tel défi, celui de l’énergie du futur, de l’alimentation saine et suffisante pour tous, du changement de nos comportements, de nos consommations et de nos vies ? Bref, le défi de ce « monde d’après », mais pas à n’importe quelles conditions !
En effet, le Grenelle devra continuer de s’améliorer pour espérer être une réelle réponse aux défis posés.
Malgré les quelque quatre-vingts amendements socialistes adoptés ces derniers jours, ce texte demeure imparfait, et vous le savez !
M. Bruno Sido, rapporteur. Ah !
M. Daniel Raoul. Vous persistez, par exemple, à refuser toute réflexion sur la régulation des tarifs de l’énergie. Vous ne dites rien des conséquences de la réhabilitation des logements pour les propriétaires modestes et surtout pour les locataires. Vous n’offrez aucune perspective durable aux travailleurs qui doivent se déplacer.
En France, l’ADEME, que vous connaissez bien, madame la secrétaire d’État, estime pourtant que la réalisation des objectifs du Grenelle aurait un effet positif de deux points de PIB en 2020. Par les temps qui courent, cela ne serait pas un luxe.
Un sondage réalisé en janvier pour France Nature Environnement confirme que les Français demeurent convaincus que développement économique et protection de l’environnement sont complémentaires. En outre, 80 % des personnes interrogées – ce qui est énorme – pensent que l’investissement dans les activités vertes peut participer au soutien de l’économie et de l’emploi. L’occasion est trop belle dans le contexte économique que nous connaissons !
Cet enthousiasme général devrait vous encourager à l’audace. Quand on est de droite, l’audace, c’est certainement d’être « social ». Dans ce registre, croyez-moi, le groupe socialiste a des idées pour vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Gournac. Ça ne se voit pas beaucoup !
M. Daniel Raoul. Si vous mettez du temps à prendre la mesure de la colère sociale qui monte dans notre pays, nous la sentons, nous, tous les jours dans nos départements, là où, précisément, vos mesures de relance ne sont en fait que des mesures de rattrapage des contrats de projets en retard de plusieurs années. (M. Alain Vasselle s’exclame.)
On l’aura peut-être compris, si le Grenelle est si consensuel, c’est parce qu’il est truffé de belles promesses. Mais ne sous-estimez pas les attentes sociales, économiques et citoyennes qui l’accompagnent.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Le Grenelle, et à travers lui le Gouvernement, devra être équitable, social et respectueux. Pour cela, le Gouvernement devra faire au moins aussi bien lors de la discussion du Grenelle II, dont nous aimerions d'ailleurs, monsieur le ministre d’État, connaître le calendrier.
Les sénateurs seront certes ravis de discuter en première lecture d’un texte aussi fondamental. Mais comment pourrais-je ne pas faire le lien aujourd’hui entre la qualité du travail parlementaire réalisé sur ce projet de loi, qui a été soulignée par plusieurs intervenants, et le texte dont nous allons débattre dès ce soir, et qui comporte une série de mesures visant à museler l’opposition parlementaire ?
M. Bernard Frimat. Très bien !
M. Daniel Raoul. Comment peut-on continuer à travailler dans l’urgence, et demain dans le huis clos des commissions, en dehors de tout contrôle démocratique ?
M. Alain Vasselle. On sort du Grenelle !
M. Daniel Raoul. Monsieur Vasselle, je ne vous ai pas interrompu…
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Il n’a pas parlé ! (Rires.)
M. Daniel Raoul. Nous demandons donc que les conditions d’un bon travail parlementaire soient de nouveau assurées. Monsieur le ministre d’État, comme plus tôt leurs collègues députés, les sénatrices et les sénateurs du groupe socialiste vous disent : pourquoi pas ? Chiche ! Nous sommes prêts, comme nous vous l’avons montré au cours des deux dernières semaines. Nous voterons donc pour ce texte de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
Par déformation professionnelle, à l’issue de l’examen par le Sénat, je dirais à propos de votre texte : « En progrès, mais peut mieux faire » ! (Sourires.)
C’est un vote qui nous oblige et qui, n’en doutez pas, annonce une attention tenace et sans faille de notre part, bref, une vigilance démocratique qui fera honneur au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un océan de lois antisociales et de décisions destructrices pour la biodiversité, la perspective du Grenelle fut un espoir : celui d’une prise de conscience, indéniable, d’un travail partagé, qui eut réellement lieu, enfin, et c’est ce qui nous rassemble, d’un texte qui porterait en lui le secours attendu pour éviter le naufrage.
Alors, véritable changement de cap ou simple canot de sauvetage ?
Nous avons obtenu de réelles avancées en matière de biodiversité : la reconnaissance des services rendus, la recherche, une étude sur le levier fiscal contre l’artificialisation, la mention du milieu insulaire, et une issue heureuse à la pitoyable histoire du purin d’orties.
Nous avons fait rétablir la mise à l’étude de « la création d’une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l’expertise ».
Nous avons inscrit les perturbateurs endocriniens dans les substances à réduire pour protéger notre santé et éviter les atteintes pendant la grossesse. Nous avons veillé aux droits du citoyen, à la transparence et à l’expertise des champs électromagnétiques ou des nanoparticules, à la justesse des mots en matière d’agro-carburants.
Vous avez sous-estimé notre attachement à la signature par la France des textes internationaux préservant du biopiratage et confortant les savoirs et les droits des peuples autochtones : nos destins sont liés, et le Grenelle manque de souffle sur les leviers que la France peut mettre en œuvre outre-mer et dans ses rapports avec le Sud.
Et ce ne sont pas les dizaines d’avis du rapporteur du type « cet amendement est satisfait » qui nous ont totalement comblés. (Sourires.)
Le plus dur fut le débat sur le volet agricole. Non, il n’est pas grossier de parler d’internalisation des impacts et des coûts environnementaux, et de réduction massive des intrants. Oui, l’autorisation du pesticide Cruiser est un scandale…
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Marie-Christine Blandin. …et la moindre des choses est de donner aux apiculteurs les moyens de copiloter la demande de recherches sur les causes croisées. Non, il n’est pas acceptable de renvoyer un parlementaire qui propose de toucher à la contestable déclinaison française de la PAC à ses bottes de paille ! Au moins la notion d’agriculture intégrée a-t-elle prévalu sur l’agriculture raisonnée, et les surfaces prévues pour l’agriculture biologique sont-elles passées de l’état de vœu à celui de décision.
Trois occasions, de notre point de vue, ont été ratées.
Celle de privilégier plus radicalement la sobriété énergétique, au lieu de s’enferrer dans l’impasse nucléaire aux coûts et aux risques non maîtrisés.
Celle de la taxe carbone : vous disiez qu’il était trop complexe de toucher ainsi rapidement à la fiscalité. C’est bien connu, cela ne se décrète pas, nous venons d’en avoir un joli contre-exemple avec la suppression de la taxe professionnelle ! (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Celle d’inscrire le principe d’une agriculture intégrée ou, comme le disait Mme la secrétaire d’État, « économe en intrants ».
En tant qu’élus Verts, nous constatons que le Titanic n’a pas vraiment changé de cap : la relance et les 1000 projets ont remis en marche les moteurs sans virer de bord. Le Gouvernement a repris les vieux habits du bétonneur et du pollueur. Je prendrai un simple exemple, celui des zones humides : 20 000 hectares en projet d’acquisition – fort bien ! –, une déclaration ambitieuse de Mme Jouanno – encore mieux ! –, et puis un plan de relance qui va en détruire 10 %.
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Marie-Christine Blandin. Nous qui travaillons depuis des décennies à un autre mode de développement – sobriété, solidarité, symbiose avec la nature, respect de la diversité des approches –, nous pensons qu’il fallait avoir l’audace de l’épanouissement humain plutôt que l’illusion de la croissance, fut-elle paradoxalement baptisée « durable ».
Nous considérons cependant que chaque pas est bon à prendre. Nous voterons majoritairement ce texte d’orientation, mais en attendant fermement les avancées promises au cours de la navette parlementaire, et surtout des mesures concrètes dans le Grenelle II ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de l’examen de ce projet de loi. Les débats ont été longs, mais fructueux. Ce projet de loi a été largement enrichi par le Sénat puisque plus de 260 amendements, issus de tous les groupes politiques, ont été adoptés. Je me réjouis également que les amendements du rapporteur visant à revenir à une véritable loi de programmation aient été adoptés. Il était en effet indispensable de clarifier, d’épurer et de préciser les objectifs qui sous-tendaient ce texte.
C’est d’autant plus important que ce texte est fondateur pour les temps à venir. Nous sommes aujourd’hui engagés dans une période d’évolution où nous devons faire preuve d’une forte dose de pédagogie. Il faut réussir à faire passer l’idée que, pour l’avenir de la planète, les problèmes environnementaux, au sens large, sont prioritaires et doivent progressivement être traités comme tels dans tous les secteurs où les décisions engagent de manière irréversible.
Il faut le dire, nous devons désormais envisager un développement économique et des créations d’emplois obtenus grâce à une véritable croissance nouvelle, fondée sur la promotion de technologies émergentes plus respectueuses de l’environnement ; des études réalisées par différentes instances le confirment, je n’y insisterai pas. Pour convaincre les plus réticents, il faut mettre en valeur les conclusions du rapport de sir Nicholas Stern, qui démontrent que l’inaction coûtera, à terme, largement plus cher que l’action, et que conduire une politique de développement durable en y consacrant une part du PIB raisonnable est à notre portée.
En déclenchant une réelle prise de conscience de l’urgence environnementale chez l’ensemble de nos concitoyens, le Grenelle a été un véritable succès. Il est indispensable que nous soyons tous convaincus que nous devons agir pour protéger notre environnement. On a tendance à oublier que, chaque année, la consommation d’énergie des ménages continue de croître, alors que le secteur industriel a déjà entrepris, depuis plusieurs années, sa mue énergétique.
Le projet de loi a été considérablement enrichi par le Sénat. Il est impossible d’être exhaustif et c’est pourquoi je me limiterai à citer quelques points, à mon sens essentiels.
En ce qui concerne la performance énergétique des logements neufs, nous n’avons pas modifié l’amendement « Ollier » voté à l’Assemblée nationale. En revanche, le Sénat a adopté plusieurs amendements visant à la réalisation d’une étude par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le niveau pertinent de la modulation du seuil de 50 kilowattheures, prenant également en compte les questions liées aux facteurs de conversion d’énergie finale en énergie primaire.
Il est indispensable de poursuivre la réflexion sur ce point. Du fait du coefficient de conversion de 2,58 appliqué à l’énergie électrique, le seuil de 50 kilowattheures est saturé sous le seul effet de la consommation d’énergie liée à un ballon d’eau chaude à accumulation. Cette disposition met en danger l’ensemble des constructions de logements sociaux neufs en zone rurale, où il n’existe pas de possibilité de chauffage au gaz. Il est indispensable, monsieur le ministre d’État, de poursuivre la réflexion sur ce sujet sensible.
En ce qui concerne les transports, de nombreuses avancées ont été réalisées, tant sur le fret que sur le transport de personnes. Je me réjouis particulièrement que le Sénat ait choisi de privilégier les lignes ferroviaires qui jouent un rôle de désenclavement. Une réflexion doit par ailleurs être engagée sur la généralisation de l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes, ainsi que sur la réduction de la vitesse à 80 kilomètres à l’heure et l’interdiction de dépassement sur autoroute pour l’ensemble des poids lourds, mesures qui toutes vont dans le sens d’une plus grande sécurité sur les routes et d’une réduction du trafic des poids lourds.
À l’article 26, nous avons adopté à la quasi-unanimité un amendement visant à supprimer une disposition prévoyant l’effacement des ouvrages les plus problématiques. Cette suppression est conforme à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, qui dispose que la gestion équilibrée de la ressource en eau doit permettre de satisfaire les exigences : « De l’agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l’industrie, de la production d’énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées ». Comme vous pouvez le constater, cet article est complexe !
J’en viens à la problématique agricole. L’agriculteur que je suis regrette que l’image de l’activité agricole donnée par ce projet de loi soit quelque peu caricaturale, se réduisant à une opposition entre l’agriculture intensive, qui détruit notre environnement, et l’agriculture biologique.
Cette présentation ne reflète pas, à mon sens, la réalité agricole. Elle est d’autant plus dommageable que l’agriculture que nous avons aujourd’hui résulte directement de la mission qui lui a été confiée, à savoir nourrir les hommes. Plus de 900 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde aujourd’hui, et ce n’est pas avec la seule agriculture biologique que l’on pourra nourrir la planète. J’ai toujours défendu l’agriculture biologique, mais il convient d’être réaliste sur les rendements que l’on peut en attendre.
Si nous voulons que la France reste la grande puissance agricole qu’elle est aujourd’hui, nous ne pouvons pas totalement remettre en cause le modèle que nous avons porté jusqu’ici, et ce d’autant plus que les agriculteurs français n’ont pas attendu le Grenelle pour s’occuper de l’environnement. J’avais déposé un amendement visant à inscrire dans ce texte l’agriculture raisonnée ; il n’a pas été accepté. Il aurait pourtant permis de rendre hommage à ceux qui, avant le Grenelle, s’étaient engagés dans une démarche environnementale utile, différente et complémentaire de l’agriculture biologique.
Je me félicite aussi de l’adoption de l’amendement que j’avais présenté prévoyant une modulation de la réduction des intrants pour les filières de production qui ne disposent d’aucune molécule de substitution pour remplacer celles qui seront interdites. Les petites productions, telles que certaines cultures légumières et fruitières, ne sont pas rentables pour les sociétés privées. Néanmoins, ce sont des productions qui comptent beaucoup au niveau local. Elles assurent une véritable vitalité économique des territoires.
Nous avons également adopté des amendements visant à préserver les terres agricoles de l’artificialisation. L’agriculture doit en effet faire face à une raréfaction du foncier agricole, avec la perte de 60 000 hectares de terre cultivable chaque année.
Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il s’aggrave chaque jour un peu plus, parce que l’artificialisation est difficilement réversible.
Enfin, je me réjouis que mon amendement visant au développement des ressources en eau par la création de retenues ait été adopté. Nous avions déjà eu l’occasion de débattre de cette problématique lors de l’examen de la loi sur l’eau. La rédaction que nous avons adoptée est parfaitement conforme au code de l’environnement, qui prévoit à son article L.211-1 que la gestion durable et équilibrée de l’eau vise au développement, à la mobilisation, à la création et à la protection de la ressource en eau. Il me semblait primordial que cet objectif soit rappelé dans le texte fondateur qu’est le Grenelle I. Stocker l’eau quand elle est abondante, en prévision des périodes plus sèches, est une mesure de bon sens répondant au principe de précaution.
Cette problématique n’est pas seulement agricole. Ainsi, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a prévenu, le 24 janvier dernier, au forum économique de Davos, que les ressources en eau étaient en train de s’épuiser. Les organisateurs du forum ont d’ailleurs publié pour la première fois un rapport consacré à cette question. En introduction, ils soulignent ceci : Nous ne pouvons tout simplement pas continuer à gérer l’eau comme nous l’avons fait par le passé, ou la sphère économique s’effondrera. Les perspectives des deux prochaines décennies, si rien ne change, donnent la chair de poule. La rareté de l’eau aura des conséquences sur la croissance économique, la sécurité humaine, l’environnement et la stabilité géopolitique.
II est donc urgent d’agir, et j’espère que la disposition adoptée par le Sénat permettra dès à présent d’anticiper sur la pénurie à venir.
En conclusion, je tenais à vous remercier, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, de la qualité de votre écoute et de votre esprit de conciliation, et à vous assurer du soutien du groupe centriste, qui votera à la quasi-unanimité votre texte. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Je félicite le président Jean-Paul Emorine et, bien entendu, le rapporteur de la commission, M. Bruno Sido, pour le travail considérable qu’ils ont accompli.
En cette année d’élections européennes, permettez-moi enfin de souligner le travail de collègues députés européens, qui ont adopté la semaine dernière un rapport visant à définir une future politique intégrée de l’Union européenne sur le changement climatique. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Le scrutin public a été décidé par la conférence des présidents.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 109 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l’adoption | 312 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
5
Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Discussion d'un projet de loi organique
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (nos 183 et 196).
Rappel au règlement
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, par ce rappel au règlement, je veux m’adresser à vous et, à travers vous, à l’ensemble de mes collègues, en particulier ceux de la majorité.
Je crois que nous ne pouvons pas commencer l’examen de ce projet de loi en faisant comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait d’un texte anodin, banal, qui verrait chacun, dans son rôle, s’exprimer en fonction de ses préférences partisanes.
Pour qu’il n’y ait pas de fausses interprétations, il me paraît utile, avant même sa discussion, de vous faire part de l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce projet de loi fondamental, car il touche à ce qui est l’essence même de notre action, à notre raison d’être, à ce qui donne du sens à notre engagement dans la vie publique, à l’idée que nous nous faisons de notre démocratie. Je veux parler, bien évidemment, de la démocratie parlementaire, de la dignité du Parlement, du droit des parlementaires à soutenir ou à s’opposer.
Après ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, nous abordons le débat avec inquiétude, mais aussi avec la gravité qui s’impose à ceux qui ont à cœur de préserver la mission sacrée de la représentation nationale.
Monsieur le président, depuis trois mois, nous travaillons sous votre autorité à la réforme de notre règlement. Nous le faisons, vous en conviendrez, dans un état d’esprit constructif, empreint d’ouverture aux propositions, mais aussi acquis à la concertation avec l’ensemble des groupes parlementaires qui composent notre assemblée.
Pourtant – vous le savez bien, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises – nos échanges sont, en quelque sorte, plombés par l’existence de ce fameux article 13 du projet de loi organique, qui institue une limitation du droit d’expression des parlementaires et constitue, à nos yeux, une grave régression, car il y a une contradiction fondamentale entre la globalisation du temps de parole et le droit d’amendement, garanti pour tout parlementaire et protégé par la Constitution.
M. Patrice Gélard. Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Jean-Pierre Bel. Nous ne voulons pas seulement défendre une prérogative de chaque opposant. Bien au-delà, nous voulons faire respecter la liberté d’expression de chacun d’entre nous.
Nous sommes d’autant plus inquiets que la commission propose un vote conforme sur l’article 13. Le débat serait donc clos avant même d’avoir commencé. Nous trouvons cela inacceptable !
Vous avez dit, monsieur le président, qu’il n’était pas question, pour vous, d’y porter atteinte et que la notion de temps globalisé ne serait pas appliquée au Sénat. J’en prends acte, mais est-ce bien suffisant ?
Tout d’abord, lorsque nous légiférons, nous ne nous limitons pas au Sénat, nous le faisons aussi pour l’Assemblée nationale, et nous avons vu ce qui s’y est passé.
Ensuite, nous ne légiférons pas non plus seulement pour le moment présent ou en fonction de ceux qui occupent aujourd’hui des places de responsabilité. Comme le disait le philosophe, « l’avenir dure longtemps ».
Par ce rappel au règlement, je souhaite donc, monsieur le président, appeler chacun à réfléchir sans a priori, en pensant que la majorité d’aujourd’hui peut être l’opposition de demain. Que chacun se prononce donc sur la vision qu’il a de sa fonction, l’une des plus nobles, celle de parlementaire.
J’espère avoir été entendu et je crois cela possible car, vous le savez bien, nous défendons non pas simplement nos prés carrés, mais les droits de tous les parlementaires, ainsi qu’une certaine idée des libertés dans un régime démocratique et parlementaire. Au fond, ce que nous défendons, j’ose le dire, c’est la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je vous donne acte, monsieur le président, de ce rappel au règlement. Permettez-moi cependant de vous rappeler la lettre et l’esprit des propos que j’ai tenus, tant publiquement qu’au sein du groupe de travail.
En tant que président du Sénat, j’estime que la démarche que nous avons suivie dans la réorganisation de nos débats consécutive à la révision de la Constitution a consisté non pas à faire de la maîtrise du temps l’objectif numéro un, mais à imaginer une autre manière de légiférer, notamment en préparant le travail en commission et en préservant le droit d’amendement, qui est consubstantiel à chaque parlementaire.
En l’état actuel de nos travaux, menés sous la direction des deux rapporteurs, le président Jean-Jacques Hyest et Bernard Frimat, nous proposons même un certain nombre de dispositifs qui nous donnent le temps de débattre avant que soient prises des décisions qui viendraient clôturer par anticipation la discussion.
Nous entendons également que tous les sénateurs puissent s’exprimer, y compris ceux n’appartenant à aucun groupe.
Tel est notre état d’esprit ! Il devrait nous permettre de nous doter d’un règlement qui réponde aux souhaits de chacun, avec naturellement certains points de divergence, mais c’est la règle du jeu si l’on veut vraiment travailler ensemble.
Permettez-moi de vous rappeler les termes du rapport de M. Hyest, président de la commission. « Votre commission estime que les dispositions prévues par les articles 13, 13 bis et 13 ter ne devraient pas trouver d’application pour notre assemblée. Soucieuse du respect de l’autonomie de chaque assemblée, elle considère cependant qu’il n’appartient pas au Sénat de priver l’Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement aux dispositions autorisées par ces articles dans le cadre des garanties fixées par la loi organique. »
À présent, que nos débats s’ouvrent dans un esprit serein, en gardant comme préoccupation ce qui a tout de même été au cœur de la révision constitutionnelle, c'est-à-dire le renforcement des pouvoirs du Parlement. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de le mesurer à partir du 1er mars prochain.
Organisation des débats
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder la discussion générale, je voudrais vous informer que la conférence des présidents a envisagé de retenir un point fixe, à savoir le mardi 17 février, à seize heures, pour l’examen de l’article 13 sur la durée globale du débat législatif, et en conséquence des articles 13 bis et 13 ter.
En effet, les présidents de groupe ont unanimement souhaité que la discussion de telles dispositions puisse se dérouler à un moment où chaque sénateur pourra se rendre disponible pour participer au débat.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Discussion générale
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à partir du 1er mars prochain, nous allons entrer dans une nouvelle ère institutionnelle. En effet, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 va vraiment commencer à entrer en vigueur pour sa partie parlementaire.
Dès le mois prochain seront appliquées trois des réformes emblématiques votées l’été dernier : l’ordre du jour partagé, l’examen du texte de la commission en séance publique et la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Ce sont de grands progrès pour le Parlement. Nous n’en mesurons d’ailleurs probablement pas encore – et cela vaut tant pour les parlementaires que pour les membres du Gouvernement – la portée réelle.
M. Henri de Raincourt. Ça, c’est sûr !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais je peux vous assurer que nous allons connaître un tournant dans notre manière de travailler ensemble.
L’application d’une grande partie des autres dispositions constitutionnelles dépend aussi de l’adaptation de votre règlement et, pour trois d’entre elles, de l’adoption d’une loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que le Gouvernement ne tenait pas absolument, comme je l’ai parfois entendu, à présenter une telle loi organique. Mais les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution l’y contraignent pour mettre en œuvre les résolutions, les études d’impact et fixer le cadre d’exercice du droit d’amendement.
Le Gouvernement propose une loi organique qui n’est pas contraignante et qui laisse les plus grandes marges de manœuvre à chacune des assemblées s’agissant de son règlement : chaque chambre pourra s’organiser selon son identité propre. Tel est le premier fondement de la réforme.
Avant d’en venir au fond, je voudrais rendre ici un hommage appuyé au travail de la commission des lois et à son président et rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, nous nous connaissons depuis de longues années, mais je dois dire que travailler avec vous, avec les membres de votre commission, quel que soit leur groupe d’appartenance, ainsi qu’avec vos collaborateurs, est un plaisir intellectuel permanent. Et ce n’est pas là une figure de style !
J’en viens aux différents éléments de ce projet de loi organique. J’évoquerai d’abord les propositions de résolution.
Vous savez les réticences que l’Assemblée nationale a éprouvées : elle a craint que les résolutions ne redeviennent ce qu’elles étaient avant 1958, c'est-à-dire un moyen détourné de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Les députés avaient même supprimé le droit de résolution avant que le Sénat le rétablisse. Finalement, l’article 34-1 est le fruit d’un compromis. Le droit de résolution est reconnu, mais le Gouvernement dispose des moyens pour éviter les détournements de procédure. Il peut lui-même déclarer irrecevables les propositions de résolutions qui mettraient en cause sa responsabilité ou qui lui adresseraient des injonctions.
Le projet de loi tire les conséquences de cette rédaction. Les propositions de résolution pourront être déposées sans limite. Nous avions prévu qu’elles soient ensuite renvoyées à une commission. Les députés ne l’ont pas souhaité, pour des raisons d’organisation de leurs travaux. Votre commission des lois estime que les commissions peuvent trouver un intérêt à s’emparer d’une proposition de résolution. La rédaction proposée par le président Jean-Jacques Hyest, qui laisse à chaque assemblée le soin de s’organiser, me paraît tout à fait équilibrée.
Le projet de loi fixe des conditions de délais pour éviter que l’on n’adopte des propositions de résolution sous le coup de l’émotion ou que l’on pratique une forme de harcèlement par le biais de cette procédure.
Enfin, le projet de loi ne permet pas que les propositions de résolution soient amendées. Chacun le comprend, il s’agit de faire en sorte que celles-ci ne puissent pas être détournées de leur objet initial et des intentions de leurs auteurs. C’est un moyen de protéger les parlementaires de l’opposition ou les parlementaires minoritaires quant au contenu de leur texte. En revanche, la proposition de résolution pourra toujours être rectifiée par son auteur.
L’idée est bien de ne pas galvauder cette procédure, qui est un nouveau mode d’expression pour les parlementaires, dans le respect de notre équilibre constitutionnel.
Le chapitre II porte sur la présentation des projets de loi. Le sujet a beaucoup intéressé les députés. Cela explique d’ailleurs que certains articles soient un peu confus – je parle sous le contrôle du président Jean-Jacques Hyest –, car ils correspondent à la synthèse de propositions de plusieurs groupes politiques.
Quel est l’objectif qui sous-tend l’article 39 de la Constitution ? Il s’agit de vous donner, mesdames, messieurs les sénateurs, les moyens de déterminer l’impact attendu d’un projet de loi. Soyons clairs : il s’agit bien d’une nouvelle contrainte pour le Gouvernement et pour les administrations. Imposer des études d’impact, c’est obliger les ministres à mieux étudier l’intérêt de passer par la loi et à s’interroger sur la qualité des textes qu’ils présentent au Parlement.
L’Assemblée nationale a beaucoup insisté sur cette discipline nouvelle et le président de sa commission des lois, Jean-Luc Warsmann, auquel je souhaite rendre hommage, a voulu en faire une véritable garantie pour les parlementaires.
Votre commission des lois a proposé des aménagements dans ce dispositif. Ils sont bienvenus, car ils clarifient les choses, tout en préservant un équilibre auquel l’Assemblée nationale et le Gouvernement sont sensibles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que le Gouvernement entend bien donner corps à cette réforme, que l’on tente en vérité de mener à bien depuis plus de dix ans.
J’en viens au chapitre III et à l’exercice du droit d’amendement, sur lequel on a beaucoup glosé. Malheureusement, de nombreuses inexactitudes ont été énoncées, souvent sous le coup de l’émotion.
Les dispositions de ce chapitre ont effectivement suscité une polémique un peu excessive. J’espère qu’au Sénat le débat de fond sur la question de la « rénovation de la procédure législative », pour reprendre les termes du rapport de Jean-Jacques Hyest, permettra de clarifier un certain nombre d’éléments.
On ne peut pas raisonner pour l’avenir comme si rien n’avait changé le 23 juillet dernier. On ne peut laisser de côté le passage à l’ordre du jour partagé, l’examen du texte de la commission en séance, l’obligation de laisser six semaines avant le passage d’un texte en séance publique ou la limitation du recours à l’article 49–3 : ces mesures fortes auront des conséquences directes sur notre manière d’élaborer collectivement la loi.
L’objectif du Constituant est que la séance publique redevienne le lieu du débat politique, compréhensible et visible par tous. Il faut que la majorité, l’opposition et les groupes minoritaires puissent faire valoir leur point de vue devant tous les Français, de manière démocratique.
Pour cela, il faut en finir avec une idée reçue : ce n’est pas parce que la séance publique est longue que meilleure est la qualité du travail législatif. Par expérience, je ne pense pas que les discussions générales à n’en plus finir soient un gage de qualité. Souvent, les parlementaires eux-mêmes éprouvent une sorte de découragement face à la longueur des débats. De même, l’examen en séance – en l’occurrence, je parle plus pour l’Assemblée nationale que pour le Sénat – d’une profusion d’amendements techniques, voire répétitifs, se fait souvent au détriment de celui des amendements les plus significatifs, les plus porteurs politiquement. C’est dommage !
Je constate aussi que toutes les démocraties organisent la durée de leurs débats. Le rapport de Jean-Jacques Hyest, qui s’inspire des travaux passionnants de Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet, montre bien que tous nos voisins ont institué des mécanismes permettant une telle organisation raisonnable et démocratique.
La révision constitutionnelle a donné un poids nouveau au travail en commission. Avec six semaines de travaux au minimum, avec la présentation en séance du texte adopté en commission, ne devraient venir en séance plénière que les véritables débats de fond, les vraies difficultés, essentiellement politiques, qui n’ont pu être réglées en commission.
Cette mise en valeur des travaux des commissions aura plusieurs conséquences.
D’abord, les travaux devront faire l’objet d’une large publicité, afin que les citoyens puissent comprendre les lois qui leur sont applicables.
Ensuite, il faudra que les parlementaires puissent voir leurs amendements examinés en commission même s’ils ne sont pas membres de la commission. Bien entendu, cela n’interdira pas un nouvel examen des propositions en séance. Mais si chacun joue le jeu, les amendements les plus techniques devraient voir leur sort réglé en commission.
Cela suppose, monsieur Hyest, que le Gouvernement puisse utilement faire valoir son point de vue à tous les stades de la procédure.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes d'accord !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Il s’agit d’une question importante à nos yeux. Je sais qu’elle l’est également pour vous. Nous aurons certainement un débat passionnant sur ce point.
Lors de la révision constitutionnelle, deux orientations avaient clairement été évoquées, en référence d’ailleurs aux propositions du rapport Balladur.
La première consistait à permettre des procédures simplifiées plus nombreuses et à rendre ensuite possible une durée programmée des débats législatifs, pour éviter les méfaits de ce que l’on a parfois appelé l’obstruction massive.
J’ai entendu dire, ici et là, que le Gouvernement avait agi par surprise sur le sujet du temps programmé. C’est faux ! Je me permets de le souligner, car cela s’est passé ici même, au cours des débats constitutionnels au Sénat ; je dis bien au Sénat, et non à l’Assemblée nationale. Lors de nos débats, j’étais moi-même intervenu en faisant clairement référence à ces deux procédures
Le Gouvernement souhaite que la procédure simplifiée puisse se développer au-delà de ce qui existe aujourd’hui. J’espère que le droit de veto reconnu à chaque président de groupe ne sera pas un obstacle à ce développement.
S’agissant du temps programmé, nous y reviendrons longuement, monsieur Bel, notamment mardi prochain, mais je voudrais réaffirmer notre position.
L’article 13 du projet de loi organique ouvre simplement une faculté, j’y insiste, pour chaque assemblée : il ne rend pas obligatoire l’organisation d’une durée programmée des travaux législatifs. Dans le cadre du groupe de travail conduit de main de maître par le président Gérard Larcher, que je salue, j’ai compris que le Sénat n’envisageait pas de s’engager dans cette voie. C’est sa volonté et le Gouvernement la respectera.
À l’Assemblée nationale, la position sera sans doute différente, car la réalité est elle-même différente. L’obstruction y est plus courante, à gauche comme à droite, avec des milliers d’amendements déposés, parfois des dizaines de milliers sur certains textes. Si une telle pratique devenait systématique, avec l’ordre du jour partagé, elle pourrait conduire à un blocage complet de l’institution parlementaire. Ce serait le pire des paradoxes, alors que l’objet même de la révision constitutionnelle est de permettre au Parlement de jouer pleinement son rôle dans un édifice institutionnel plus équilibré.
J’ai entendu dire que le temps programmé serait contraire à la démocratie. Sincèrement, je ne vois pas très bien en quoi.
Un tel dispositif existe, sous une forme ou sous une autre, chez la plupart de nos voisins. Il a existé en France de 1935 à 1969. D’ailleurs, il a été même été introduit – je ne vais pas y faire référence à chaque fois – à la demande de personnalités que l’on ne peut pas soupçonner de vouloir attenter à la démocratie ; je pense notamment à Léon Blum, à Vincent Auriol ou à d’autres. Du reste, le président du groupe socialiste, Jean-Pierre Bel, avait lui aussi envisagé l’idée d’un mécanisme de temps partagé,…
M. Bernard Frimat. C’est un abus de langage !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … même si c’était avec un encadrement différent et une vision plus globale.
M. Henri de Raincourt. M. Ayrault aussi, dans Libération !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Au cours de nos débats, je souhaiterais que l’on évite les procès d’intention dont le Gouvernement a été l’objet à l’Assemblée nationale. C’est d’une discussion de fond dont nous avons besoin. Les données sont claires.
Certains considèrent que la révision du mois de juillet dernier ne change finalement rien et qu’il ne faut donc rien modifier. D’autres estiment au contraire que nous entrons dans une nouvelle ère en matière de relations entre le Gouvernement et le Parlement et d’organisation du travail parlementaire.
Il faut nous donner une chance de réussir cette mutation parce que, à mon sens, elle donne beaucoup plus de pouvoirs au Parlement. Le Parlement ne peut être uniquement un contre-pouvoir. C’est un pouvoir qui agit véritablement, qui a un domaine de compétences : c’est à lui qu’il appartient de donner des lois au pays.
Le projet de loi organique présente, je le crois sincèrement, un mécanisme équilibré. Les droits des groupes d’opposition et minoritaires sont réaffirmés et soyez assurés que le Conseil constitutionnel saura donner une valeur forte et utile aux dispositions de l’article 13 bis. C’est d’ailleurs l’intention du Président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer.
De même, les droits des parlementaires non-inscrits, des parlementaires pris individuellement, devront être respectés par les règlements, et l’article 13 ter prévoit une voie pour ce faire ; elle pourra être très utilement complétée par les règlements de chacune des assemblées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est bien une nouvelle étape dans la réforme du travail parlementaire. Il permettra aux assemblées d’exercer de nouveaux droits. Il imposera de nouvelles et réelles contraintes au pouvoir exécutif. Ne les sous-estimez pas : c’est réellement un nouveau mode d’organisation qui est en train de se mettre en place.
C’est pourquoi, soucieux que la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République puisse porter ses fruits, le Gouvernement souhaite que vous adoptiez ce projet de loi, qui ouvrira la voie à la dernière étape toute aussi décisive dans la mutation : la réforme de votre règlement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Rappel au règlement
M. Jean-Pierre Michel. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 37 du règlement, monsieur le président.
Le groupe socialiste se félicite d’accueillir au banc du Gouvernement notre ancien collègue M. Karoutchi, mais il s’étonne que, pour ce projet de loi organique si important aux yeux du Gouvernement, le Premier ministre n’ait pas, comme à l’Assemblée nationale, fait l’honneur au Sénat de venir lui-même sinon présenter ce texte, du moins ouvrir le débat, même si on le sait occupé à d’autres travaux cruciaux.
M. Roland du Luart. Il a de lourdes occupations ailleurs !
M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste s’interroge également quant à l’absence de Mme le garde des sceaux, dont le titre même indique qu’elle est compétente dans le domaine des lois constitutionnelles et de leur application. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je comprends très bien l’objet de ce rappel au règlement, lequel ne m’est pas destiné, j’en suis certain.
M. Jean-Pierre Bel. Surtout pas !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur Bel !
Le Premier ministre souhaitait effectivement prononcer aujourd'hui au Sénat le discours d’introduction à ce débat, comme il l’avait fait à l’Assemblée nationale. Mais, vous le savez, il est retenu à Matignon cet après-midi par des arbitrages qu’il doit rendre sur des questions qui engagent la vie de la Nation tout entière. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La crise !
M. Roland du Luart. La Guadeloupe !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Naturellement, il aurait préféré être au Sénat cet après-midi.
En tout état de cause, le présent projet de loi organique sera suivi d’autres textes relatifs à l’organisation du travail parlementaire, notamment celui que j’ai annoncé voilà quelques jours et ayant trait à l’exception d’inconstitutionnalité, que Mme le garde des sceaux viendra défendre.
Cependant, le présent texte ne concernant que le travail parlementaire, il est apparu logique, dans la répartition des tâches au sein du Gouvernement, de confier le soin de le défendre au modeste serviteur de la République chargé des relations avec le Parlement.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des lois, rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes heureux de vous accueillir et nous nous félicitons d’avoir toujours travaillé avec vous dans la transparence et la plus grande cordialité. Je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs, de nous faciliter la tâche.
Le projet de loi organique qui nous est soumis aurait pu apparaître d’une simplicité telle que ses quatorze articles, ou plutôt treize d’entre eux, n’auraient pas dû susciter tant de débats, de tentatives d’obstruction et d’anathèmes lors de son examen par l’Assemblée nationale. Pour avoir tenté de suivre le cheminement un peu chaotique – vous l’avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'État –, de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale, on ne peut pas affirmer qu’il en est ressorti, ni sur la forme ni sur le fond, avec plus de lisibilité que le projet initial.
Bien entendu, c’est l’article 13, instituant facultativement la fixation de délais pour l’examen d’un texte, qui a été le plus débattu, car il a pour conséquence la mise aux voix sans discussion des amendements parlementaires. J’y reviendrai en reprenant dans l’ordre les articles de la Constitution nécessitant une loi organique.
En ce qui concerne les résolutions visées à l’article 34-1, on peut être en accord avec le dispositif prévu par l’Assemblée nationale, mais il a semblé à la commission des lois que l’interdiction de déposer des amendements sur les résolutions n’empêchait pas les commissions de s’en saisir, le cas échéant, pour éclairer le débat.
Sous cette réserve, et quand nous aurons aussi disserté sur le fait de savoir si une proposition de résolution ne peut être inscrite au cours de la même session si elle a le même objet qu’une proposition antérieure et si l’irrecevabilité doit être motivée, examinons l’application de l’article 39 de la Constitution.
Sans être fanatique, comme certains, des études d’impact que sous-entend cet article, quels sont les éléments nécessaires pour la présentation des projets de loi ?
Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, les expériences passées ont largement démontré leur vacuité, les études d’impact ayant le plus souvent été réalisées après l’élaboration des projets de loi, et ayant finalement été abandonnées.
Le projet de loi organique a été très enrichi par l’Assemblée nationale, allant jusqu’à viser certaines catégories professionnelles. Nous vous proposerons une clarification de ce dispositif, les documents joints au projet de loi devant définir les objectifs visés, recenser les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposer les motifs du recours à une nouvelle législation.
Souhaitons que ces dispositions, qui pourront être vérifiées sur l’initiative de la conférence des présidents de la première assemblée saisie par le Conseil constitutionnel, conduisent à une déflation législative.
L’Assemblée nationale a ajouté, notamment, que devraient être fournis la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaire, leurs orientations principales et le délai prévisionnel de leur publication, oserais-je dire dans le respect des articles 34 et 37 de la Constitution ?
Si, curieusement, aucune étude d’impact n’est envisagée pour les propositions de loi, l’Assemblée nationale en a prévu pour les dispositions non exclusives des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, sans d’ailleurs, pour des raisons de délais, en sanctionner l’insuffisance ou l’absence. Cela nous a paru contraire à l’exclusion des lois de finances et de financement de la sécurité sociale telles qu’elles résultent de l’article 39 de la Constitution. En revanche, rien n’interdit de le prévoir dans la loi organique relative aux lois de finances, et nous vous le proposerons par un article additionnel.
Nous vous proposerons également de compléter la liste des documents devant améliorer l’information du Parlement pour les traités et accords internationaux visés à l’article 53 de la Constitution. Il en est de même pour les ordonnances, en distinguant bien le stade de l’habilitation et celui de la ratification qui, je le rappelle, ne peut plus être implicite.
Enfin, et pour éviter les amendements du Gouvernement qui ont parfois constitué de véritables projets de loi, des études d’impact peuvent être demandées, avec des risques réels de blocage du débat, et même pour ceux des parlementaires.... Souhaitons que ces articles soient utilisés avec modération.
D’une manière générale, si les études d’impact constituent incontestablement un progrès et une garantie de meilleure information du Parlement, soyons attentifs – je pense aux rapports de certains grands corps de l'État ces dernières années – à ce qu’elles ne délivrent pas une vérité « univoque », qui renforcerait la technocratie et qui empêcherait, en définitive, de vrais choix politiques.
Mais il est temps d’en venir au chapitre III du projet de loi organique, qui concerne le droit d’amendement, en application de l’article 44 de la Constitution, qui dispose, dans son premier alinéa – il faut toujours rappeler les textes, même si nous les avons tous en tête ! – : « Les membres du Parlement et du Gouvernement ont le droit d’amendement. Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par le règlement des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
L’objectif du constituant, en permettant l’exercice de ce droit en séance ou en commission, visait, d’abord, la procédure d’examen simplifié de certains textes, comme cela se pratique pour certains accords internationaux, et pourquoi pas, demain, pour les lois de codification ou pour la ratification de certaines ordonnances, telles que celles concernant l’application de la législation outre-mer ; c’est l’article 12 du projet de loi.
Mais, en dehors de ce cas, le droit d’amendement s’exerce en séance, ce qui ne peut en aucun cas impliquer que l’expression orale sur les amendements soit illimitée. D’ailleurs, les règlements des assemblées prévoient une limitation, ainsi que la procédure de clôture et le vote bloqué.
L’article 13 du projet de loi, complété par les articles 13 bis et 13 ter, prévoit que les règlements des assemblées puissent instituer une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte et déterminant les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les parlementaires peuvent être mis aux voix sans discussion.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État, la fixation d’un temps global n’est pas une nouveauté, puisqu’elle a existé dans le règlement de l’Assemblée nationale sous la Ve République jusqu’en 1969 et elle est la règle dans presque tous les parlements d’Europe ; je vous renvoie à l’excellent rapport de nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet. Cette mesure a cependant cristallisé les oppositions.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs complété ce dispositif par un article prévoyant que soit garanti le droit d’expression de tous les groupes parlementaires, en particulier celui des groupes d’opposition et des groupes minoritaires. Cela signifie que l’on ne peut pas limiter strictement les temps de parole, puisque les groupes d’opposition ainsi que les groupes minoritaires disposent d’un certain nombre de droits prévus par la Constitution.
L’Assemblée nationale a ajouté la possibilité d’une explication de vote personnelle sur l’ensemble pour chaque parlementaire, ce qui n’est pas le cas, à l’heure actuelle, à l’Assemblée nationale selon la procédure ordinaire, qui prévoit généralement une explication de vote par groupe.
Si l’Assemblée nationale – laissons la établir son règlement comme elle l’entend –, trouve le moyen d’acclimater cette procédure, nous ne saurions nous y opposer, ce qui n’implique nullement que nous y soyons contraints nous-mêmes.
En conséquence, les conclusions du groupe de travail présidé par le président du Sénat conduisent la commission des lois à ne proposer aucune modification des articles 13, 13 bis et 13 ter, que nous n’avons pas l’intention de mettre en œuvre dans la révision de notre règlement.
Monsieur le secrétaire d'État, j’ai gardé pour la fin un alinéa de l’article 11 qui, dans la rédaction de l’Assemblée nationale, prévoit ceci : « Le Gouvernement, à sa demande ou en réponse à l’invitation d’une commission, peut-être présent lors de l’examen et du vote des amendements en commission. »
Il s’agit d’une construction intellectuelle sympathique,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur…. disons à moitié sympathique, qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration ou débat lors de la révision de la Constitution, ce qui aurait dû être le cas s’agissant de l’article 42, qui se borne à indiquer : « La discussion des projets et des propositions de loi porte en séance sur le texte adopté par la commission ». D’ailleurs, vous avez tenu des propos extrêmement intéressants à cet égard lors du débat sur la révision constitutionnelle.
Pas de renvoi à une loi organique, pas d’évocation de ce sujet lors de la révision constitutionnelle : c’est pourquoi je vous proposerai, au nom de la commission des lois, que le règlement des assemblées détermine les modalités selon lesquelles les ministres sont entendus à leur demande en commission.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si cette mesure est formellement placée par le projet de loi organique dans le chapitre consacré à l’application de l’article 44 de la Constitution, le Gouvernement semble la lier, sur le fond, à une autre disposition constitutionnelle, l’article 42, qui, dans la rédaction issue de la révision constitutionnelle, prévoit que la discussion en séance publique porte sur le texte élaboré par la commission.
Les députés ont d’ailleurs adopté un amendement écartant la mesure relative à la présence du Gouvernement pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi organique – ce sont bien sûr les textes les moins importants dans notre législation ! – qui, aux termes du deuxième alinéa de l’article 42, sont discutés en première lecture sur le texte du Gouvernement ou sur celui qui est transmis par l’autre assemblée.
Selon le Gouvernement, sa participation aux réunions des commissions lui permettrait de connaître « en temps réel » les propositions de la commission et de faire valoir, en direct, le plus en amont possible, ses positions. Cependant, ni la lettre de la Constitution ni même les travaux préparatoires ne peuvent laisser entendre que le constituant envisageait cette présence. L’article 42 ne prévoit d’ailleurs pas de renvoi à la loi organique.
Comme l’a notamment observé notre excellente collègue Mme Des Esgaulx, le rôle éminent dévolu par l’article 45 de la Constitution à la commission mixte paritaire pour élaborer un texte commun soumis à l’approbation des deux assemblées n’a jamais impliqué que le Gouvernement soit présent au sein de cette instance, même si parfois il l’aurait souhaité.
A fortiori, les responsabilités confiées aux commissions permanentes par l’article 42 de la Constitution, qui présentent une moindre portée puisque celles-ci interviennent comme des instances préparatoires en amont de la procédure législative, ne justifient pas, sur le plan juridique, la mesure proposée.
Sur le fond, la participation du Gouvernement aux délibérations en commission ne semble pas répondre à une vraie nécessité, alors qu’elle comporte de réels inconvénients.
Monsieur le secrétaire d'État, la pratique actuelle garantit une très bonne articulation entre les commissions et le Gouvernement. Celui-ci peut être entendu en commission à sa demande ou sur l’initiative des commissions, en audition close, ouverte, élargie ou non. En outre, plus en amont, le rapporteur engage des contacts préalables avec les ministères concernés. Ce sont autant d’occasions pour le Gouvernement de faire connaître son point de vue au cœur de la procédure parlementaire.
Par ailleurs, l’audition du ministre concerné par la commission compétente a toujours constitué, pour les textes les plus importants, la première étape du parcours législatif.
L’information du Gouvernement restera parfaitement assurée selon les pratiques actuelles. Il pourra être entendu avant le rapport, mais aussi entre la présentation du rapport et la séance publique.
En revanche, le dispositif proposé par le Gouvernement présente un certain nombre d’inconvénients.
En premier lieu, le choix d’inscrire le principe de la présence du Gouvernement en commission dans la loi organique ne s’accorde pas avec la règle observée jusqu’à présent et très largement respectée par la révision de juillet 2008, à savoir préserver l’autonomie de chaque assemblée en lui laissant la faculté de mettre en œuvre dans son règlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, les principes posés par la Constitution.
Compte tenu de leurs spécificités respectives, l’Assemblée nationale et le Sénat pourraient prévoir des modalités d’application qui leur soient propres. Lors de la révision constitutionnelle, par exemple, l’Assemblée nationale avait souhaité que les commissions soient publiques, sauf décision contraire. Le Sénat, en revanche, s’était opposé à cette idée et avait tenu à ce que les commissions restent non publiques, sauf décision contraire.
La présence du Gouvernement, y compris au moment du vote de la commission, conduirait à amoindrir, voire à supprimer la spécificité de la séance publique marquée aujourd’hui par la rencontre avec le Gouvernement sur les amendements ; la séance publique ne ferait plus, en quelque sorte, que dupliquer la réunion de la commission.
En outre, la disposition proposée, si elle devait faire l’objet d’une application systématique, supprimerait la seule étape de la procédure parlementaire où députés et sénateurs peuvent délibérer de manière autonome – nous ne sommes pas des enfants ayant besoin d’être guidés en permanence –, conformément au principe de la séparation des pouvoirs qui se caractérise, sous la Ve République, par le régime des incompatibilités entre le mandat parlementaire et les fonctions gouvernementales.
En revanche, la présence du Gouvernement sera indispensable en commission en cas de mise en œuvre des procédures d’examen simplifié. Le règlement des assemblées devra le prévoir.
En regrettant vraiment, monsieur le secrétaire d'État, d’avoir dû développer sur un mot de trop une argumentation défendant un principe auquel, je le sais, la très large majorité des sénateurs est très attachée, je conclurai en rappelant que nous devons être guidés par deux principes : d’abord, les lois organiques ne doivent contenir que ce qui est nécessaire à la mise en œuvre de la révision constitutionnelle ; ensuite, sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, il faut permettre à chaque assemblée du Parlement de conserver l’autonomie de son organisation, comme cela est le cas actuellement.
Sur ces bases, et sous réserve de l’adoption des amendements proposés par la commission des lois, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi organique. Il s’inscrit dans une démarche de revalorisation du rôle du Parlement voulue par le Président de la République, que même les opposants à la révision constitutionnelle, d’une manière globale, pour d’autres raisons, pourraient apprécier, sur ce sujet, à sa juste valeur.
Il nous appartiendra, au-delà de cette révision constitutionnelle et du projet de loi organique, de faire vivre ces nouvelles règles ; la réforme du règlement de notre assemblée nous en donnera très prochainement l’occasion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
(M. Roland du Luart remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présentation du rapport de Jean-Jacques Hyest étant assez complète, les orateurs du groupe UMP auront peu de choses à ajouter.
L’article 46 de la Constitution définit ce qu’est une loi organique : c’est un peu comme un règlement d’administration publique par rapport à une loi ; elle a vocation à compléter la Constitution afin d’éviter que celle-ci n’entre dans des détails inutiles.
Les lois organiques obéissent à des règles particulières, qu’il convient de rappeler.
Tout d’abord, les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Nous retrouvons donc la plénitude de nos attributions parlementaires ; nous sommes à égalité avec l’Assemblée nationale et nous n’avons pas à nous soumettre à des oukases, de quelque nature qu’ils soient, quand les intérêts suprêmes du Sénat sont en cause.
Ensuite, les lois organiques sont contrôlées par le Conseil constitutionnel, et il ne s’agit pas d’un vain contrôle.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !
M. Patrice Gélard. Par exemple, pour ce qui est de la loi organique portant application de l’article 25 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a bien démontré qu’il entendait exercer la plénitude de ses attributions s’agissant du contrôle des lois organiques.
Je rappelle que nous n’avons pas fini notre travail de législateur organique. En effet, la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier a prévu une multitude de lois organiques. Nous avons déjà adopté la loi organique portant application de l’article 25 de la Constitution. Nous examinons aujourd'hui la loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
D’autres textes nous attendent, qui sont tout aussi importants, dans une certaine mesure.
Il y aura tout d’abord la loi organique prévue par l’article 61-1 de la Constitution concernant le Conseil constitutionnel et cette grande innovation qu’est le recours en inconstitutionnalité à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction.
L’article 65, premier alinéa, prévoit une loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature.
L’article 69 prévoit une loi organique sur le Conseil économique, social et environnemental.
Enfin, l’article 71-1 prévoit une loi organique sur le Défenseur des droits.
Et je n’aurai garde d’oublier les deux lois organiques prévues par l’article 13 sur les nominations en conseil des ministres et sur l’avis des commissions compétentes du Parlement.
Donc, un important travail nous attend dans les mois à venir, le tout devant être terminé, en principe, pour le mois de juin prochain.
La loi organique que nous examinons aujourd'hui concerne trois articles de la Constitution.
La Constitution avait-elle besoin de ces lois organiques ? Le secrétaire d'État et le rapporteur ont répondu : puisque la Constitution le prévoit, il est nécessaire d’adopter une loi organique pour compléter et clarifier les dispositions constitutionnelles
Notre excellent rapporteur l’a expliqué à l’instant, sont en cause les articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ; ils concernent respectivement les propositions de résolution, la présentation des projets de loi et le droit d’amendement.
L’article 34-1 ne pose pas beaucoup de problèmes, si ce n’est le fait que la Constitution, comme la loi organique, ne donne pas de définition de la résolution ; plus exactement, elle en donne une définition négative : la résolution ne peut pas mettre en cause la responsabilité du Gouvernement et elle ne peut pas constituer une injonction à l’encontre du Gouvernement.
Donc, on sait ce que l’on ne pourra pas faire, mais on ne sait pas trop ce que l’on pourra faire. Quelle sera la différence entre une résolution et une question orale avec débat ? Une résolution pourra-t-elle contenir des vœux pieux ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait : des vœux pieux !
M. Patrice Gélard. Il reviendra à la jurisprudence de nos assemblées de définir, au fur et à mesure de nos travaux, ce qu’est une résolution, sous le contrôle, naturellement, du Gouvernement, qui dispose dans ce domaine d’un droit lui permettant de déclarer irrecevable toute résolution qu’il estimera être une injonction à son encontre ou une mise en cause déguisée de sa responsabilité.
En principe, les résolutions ne seront pas renvoyées aux commissions, bien qu’elles pourraient l’être facultativement. Par ailleurs, elles ne pourront pas être amendées, ce qui est une bonne chose.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. La commission a proposé un certain nombre d’améliorations de forme, mais, pour l’essentiel, elle s’en tient au texte original du Gouvernement, amendé légèrement par l’Assemblée nationale.
Le chapitre II concerne les dispositions relatives à la présentation des projets de loi. La commission proposera quelques modifications, mais celles-ci sont moins importantes qu’on pourrait le croire.
Je rappelle tout d’abord que le législateur avait rendu obligatoire, dans le passé, les études d’impact. Or il y en a rarement eu, même si elles ont été réclamées sur telles ou telles travées. Désormais, les études d’impact devront être réalisées et il s’agira bien plus qu’un simple exposé des motifs.
J’éprouve tout de même une petite inquiétude, partiellement atténuée par l’amendement de la commission : l’étude d’impact ne doit pas être plus importante que la loi elle-même,…
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Patrice Gélard. …au point d’accaparer tout le temps de préparation de la loi et de risquer de noyer les parlementaires.
Il nous reviendra de nous montrer raisonnables dans le déroulement de la procédure et de veiller à ne pas faire de l’étude d’impact une espèce de monstruosité. Il n’en reste pas moins que la réalisation d’études d’impact est souhaitable.
Je me félicite également du fait que des dispositions spécifiques soient prévues pour les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et les lois de programmation. M. le rapporteur a très habilement renvoyé ce point à une autre loi organique.
De même, M. le rapporteur a très bien noté qu’il était impossible de procéder à des études d’impact s’agissant de l’état de crise. On peut seulement constater qu’il y a une crise !
On ne peut pas non plus, en toute logique, appliquer les études d’impact aux ordonnances ou aux ratifications d’ordonnance.
Sur ce point, le chapitre II appelle peu de commentaires. Certes, nous pourrions gloser longuement sur le contenu des études d’impact et en faire un inventaire à la Prévert. Heureusement, nous restons concis et nous évitons la multiplication de textes qui rendrait pratiquement inapplicables les dispositions de ce chapitre II.
Le chapitre III, qui porte sur le droit d’amendement, est celui dont l’examen nous retiendra le plus longtemps. Il a d'ailleurs déjà beaucoup occupé M. le rapporteur et, dans une certaine mesure, M. le secrétaire d'État.
Jean-Claude Peyronnet et moi-même avons fait le tour des parlements européens, et nous avons constaté que c’était en France que le droit d’amendement était le plus étendu et le plus important.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
M. Patrice Gélard. C’est un droit inaliénable – et non imprescriptible, puisqu’il n’existe pas de prescription en la matière – qui appartient à tout parlementaire.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. Il s’agit en partie d’une exception française, que l’on ne retrouve pas au Parlement européen, et dont l’explication est simple : la France privilégie le droit individuel des parlementaires …
M. Jean-Pierre Sueur. Heureusement !
M. Patrice Gélard. … alors que, dans la plupart des autres pays européens, ce sont les droits des groupes politiques qui ont la priorité.
Peut-être d'ailleurs n’avons-nous pas été assez loin dans notre réflexion sur ce que devrait être le droit des groupes, qu’il faut reconnaître tout en garantissant le droit d’expression individuelle de chaque parlementaire.
À titre personnel, j’apprécierais que, à l’avenir, les groupes politiques deviennent les partenaires privilégiés du Gouvernement, qui travaillerait avec eux avant d’examiner les opinions divergentes de tel ou tel d’entre nous.
M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas ce qui se passe aujourd'hui ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Patrice Gélard. En ce qui concerne le droit d’amendement, M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur ont soulevé un problème important, qui porte sur l’intervention du Gouvernement.
Tout d'abord, l’article 31 de la Constitution, que personne n’a encore cité, aurait pu nous dispenser de certaines des dispositions du projet de loi organique, notamment son article 11, qui prévoit la présence du Gouvernement lors des travaux en commission. En effet, aux termes de l’article 31 de la Constitution : « Les membres du Gouvernement ont accès aux deux assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent.
« Ils peuvent se faire assister par des commissaires du Gouvernement. »
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En séance publique !
M. Patrice Gélard. Ce n’est pas précisé, monsieur le rapporteur, et nous pouvons donc nous demander si cette disposition n’aurait pas pu s’appliquer également aux travaux en commission.
Sur cette question, je m’exprimerai non pas au nom du groupe, mais à titre personnel. Le Gouvernement doit toujours expliquer ses intentions et réagir aux amendements déposés et approuvés par la commission, me semble-t-il, mais il a tout intérêt à ne pas être présent en permanence. En effet, si le ministre assiste à toutes les réunions de commission, il deviendra un commissaire, ce qui n’est pas son rôle, et il se heurtera sans cesse à ceux qui s’opposent à son texte.
M. Guy Fischer. C’est évident !
M. Patrice Gélard. Par conséquent, ceux qui ont vocation à soutenir le Gouvernement se trouveront dans une situation difficile, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, ils soutiendront automatiquement le Gouvernement !
M. Patrice Gélard. … car ils devront prendre parti dans le duel opposant le ministre aux adversaires du texte, qui ne se confondent pas nécessairement avec l’opposition proprement dite.
Je crois que le Gouvernement a tout intérêt à manœuvrer dans l’ombre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle déclaration ! Quelle conception de l’action politique !
M. Jean Bizet. Il faut que tout se fasse dans la transparence !
M. Patrice Gélard. Je m’explique, mes chers collègues : le Gouvernement a toujours fait déposer des amendements par des parlementaires amis ; cette pratique se rencontre d'ailleurs également aux États-Unis. De même, le Gouvernement a toujours su utiliser le droit d’amendement en séance publique après l’examen d’un texte en commission. Il a donc tout intérêt à disposer de la plus grande marge de manœuvre possible.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela fait plusieurs fois que vous usez du terme « manœuvre » !
M. Patrice Gélard. Si le Gouvernement est mis en minorité en commission – nous pouvons imaginer un tel cas de figure ! –, il ne disposera plus d’aucun moyen pour intervenir ultérieurement en séance publique.
Je crois donc que la solution que préconise notre rapporteur est la bonne. Elle permet de différencier l’Assemblée nationale et le Sénat. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, je me permets de vous rappeler que les deux assemblées diffèrent profondément dans leur composition.
M. Patrice Gélard. À l’Assemblée nationale, en raison du mode de scrutin actuel, qui n’est pas modifié, il y aura toujours une majorité gouvernementale.
M. Henri de Raincourt. Heureusement !
M. Patrice Gélard. Dans chaque commission, il y aura donc une majorité gouvernementale, ce qui n’est pas du tout le cas à la Haute Assemblée : au Sénat, il n’existe plus de groupe majoritaire ; il n’y a que des groupes minoritaires ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais il y a toujours une majorité, monsieur Gélard !
M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas si sûr…
M. Patrice Gélard. Par conséquent, on ne peut affirmer que la présence du Gouvernement sera un élément positif pour certains. Au contraire, elle risque de cabrer tel ou tel groupe minoritaire.
En d’autres termes, en ce qui concerne le travail en commission, les règles applicables ne peuvent être les mêmes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Tel est le premier point que je voulais souligner.
S'agissant des articles 13, 13 bis et 13 ter du projet de loi organique, je ne répéterai pas les propos qu’a tenus tout à l'heure M. le rapporteur, dont l’argumentation a été convaincante. Ces dispositions ne portent en rien atteinte à l’autonomie de chacune des assemblées : le règlement que nous sommes en train de préparer ne sera pas le même que celui de l’Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes en train de débattre d’un projet de loi organique, pas du règlement du Sénat !
M. Patrice Gélard. Les droits individuels de chaque parlementaire seront respectés.
M. Jean-Pierre Michel. C’est l’Arlésienne !
M. Patrice Gélard. Le président du Sénat s’y est engagé, et c'est pourquoi je m’en tiendrai aux propositions de M. le rapporteur.
Pour conclure, je rappellerai que le projet de loi organique qui nous est présenté aujourd'hui, tel que propose de l’amender notre rapporteur, …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission !
M. Patrice Gélard. …est conforme au texte de la Constitution.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Encore heureux !
M. Patrice Gélard. Certes, nous pouvons regretter le développement trop important des études d’impact dans le projet de loi organique, mais nous pouvons nous en satisfaire. De même, l’application de l’article 34-1 n’est peut-être pas aussi étendue que le permettrait la révision constitutionnelle.
Toutefois, il s'agissait de problèmes très difficiles à résoudre, et le groupe UMP se ralliera tout naturellement aux propositions de la commission.
En revanche, l’application de cette loi organique exigera de tous beaucoup de vertu républicaine et parlementaire. Il en faudra au Gouvernement,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’en manque pas !
M. Patrice Gélard. … qui ne devra pas harceler le Parlement en déposant en permanence des amendements qui perturberaient notre travail en commission et en séance publique.
Les groupes politiques devront aussi faire preuve d’un minimum de discipline, afin que nous ne perdions pas trop de temps. Mes chers collègues, n’oubliez pas que nous disposons maintenant de délais plus étendus, avec six semaines de réflexion et de discussion, et que les projets de loi ne pourront donc être adoptés aussi rapidement qu’ils l’étaient parfois dans le passé.
En outre, la procédure d’urgence ne pourra plus s’appliquer de la même façon et certaines semaines de séance publique seront consacrées non plus seulement à l’adoption des textes, mais également au contrôle du Gouvernement. Indépendamment même de toute limitation de notre temps de parole, nous devrons donc, je le répète, nous discipliner, de sorte que les textes finissent tout de même par être adoptés.
Enfin, chaque parlementaire, à quelque groupe qu’il appartienne, ne devra pas déposer des amendements à tout bout de champ ou multiplier les interventions, sinon la réforme sera inapplicable et nous serons tous obligés de retourner à Versailles …
M. Henri de Raincourt. Nous n’avons pas la majorité pour le faire !
M. Patrice Gélard. …afin de rendre plus dure la révision constitutionnelle. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une menace ?
M. Patrice Gélard. Mes chers collègues, appliquons cette réforme avec le même esprit que celui qui a sous-tendu la révision constitutionnelle de 2008 ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Michel. Les Versaillais à Versailles !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme il est loin le temps où l’article 1er de la loi du 25 février 1875 s’appliquait et avait valeur constitutionnelle ! C’était le temps des radicaux, me direz-vous, monsieur le secrétaire d'État. Mais c’était aussi celui du Parlement.
L’article 1er de cette loi disposait : « Le pouvoir législatif s’exerce par deux chambres : la Chambre des députés et le Sénat » ; et c’est tout : aucune mention du Gouvernement !
Ainsi, quel que soit le domaine de son intervention, le Parlement avait toute compétence pour statuer sur l’ensemble des problèmes. Sa décision n’était soumise à aucune limitation, ni de procédure ni de contrôle de constitutionnalité.
C’est avec des textes aussi courts et des articles aussi favorables au pouvoir législatif que les parlementaires de l’époque ont fondé et construit la République, avec ses valeurs, que l’on a parfois tendance à oublier aujourd’hui et dont mon groupe parlementaire porte si fièrement l’héritage, au-delà de tout clivage et de tout manichéisme,...
M. Jean-Pierre Michel. Ce n’est pas sûr…
M. Yvon Collin. … quitte à apparaître parfois comme anachronique, alors qu’une Ve République simplificatrice ne cesse, depuis plus de cinquante ans, d’opposer au sein de la vie parlementaire la majorité et l’opposition, selon une logique bipolaire, au détriment du pluralisme des idées et des convictions.
Autre tendance lourde et concomitante, propre à la Ve République, la logique dite de « rationalisation », qui n’a cessé de se renforcer et de s’accélérer. Les constituants de 1958 ont profondément inversé l’équilibre constitutionnel qui prévalait depuis 1875, en limitant le domaine de la loi et en encadrant la procédure législative. Et depuis 1958, c’est le déséquilibre qui prédomine, en faveur d’un exécutif tout puissant et au détriment d’un Parlement dépossédé de son ordre du jour.
Depuis la parution du Coup d’Etat permanent, en 1964, ce thème du déclin du Parlement n’a cessé d’être une constante, tout autant que celui de la nécessaire revalorisation du rôle des assemblées.
Combien de candidats à l’élection présidentielle et combien de présidents élus n’ont-ils pas promis de renforcer le rôle du Parlement, en vain ? À la suite de son élection, en 1995, Jacques Chirac indiquait qu’il fallait « remettre le Parlement à sa vraie place, une place centrale » et que celui-ci « devait redevenir le lieu privilégié et naturel du débat politique ».
Aussi, vous comprendrez pourquoi nous demeurons encore aujourd’hui méfiants et cartésiens. L’histoire récente, qu’elle soit politique ou constitutionnelle, nous incite à la plus grande prudence, voire au scepticisme. Elle nous autorise à douter, sans toutefois tomber dans une lecture politicienne.
Par conséquent, avançons lentement vers cette revalorisation des droits du Parlement, que vous dites porter, monsieur le secrétaire d'État.
L’heure serait-elle enfin venue d’une procédure législative plus avantageuse pour les assemblées, les parlementaires et les groupes auxquels ceux-ci appartiennent ? Le Gouvernement aurait-il l’intention d’abandonner certaines de ses prérogatives législatives si jalousement conservées depuis plus de cinquante ans ?
La révision constitutionnelle adoptée le 21 juillet dernier ouvre certainement la voie à une possible revalorisation du Parlement et à un éventuel rééquilibrage de la relation aujourd’hui trop inégale entre les pouvoirs exécutif et législatif. Toutefois, cette revalorisation ne peut être effective que si les lois organiques et les modifications des règlements des assemblées parlementaires contribuent réellement à lui donner corps.
D’où l’enjeu de ce projet de loi organique relatif au travail législatif et à la nouvelle procédure parlementaire, après les modifications apportées l’été dernier aux articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Cependant, l’enjeu véritable, mes chers collègues, se situe ailleurs : il réside dans la réforme de notre règlement que nous serons amenés à adopter dans les prochaines semaines ; j’y reviendrai.
Pour l’heure, évoquons ce projet de loi organique, qui nous arrive de l’Assemblée nationale après un examen pour le moins mouvementé et agité… Force est de constater qu’il a été profondément modifié par les députés, essentiellement, il faut en convenir, ceux de la majorité, à cause de l’attitude de nos collègues députés socialistes. Ces derniers ont mêlé obstruction, boycott et mise en scène, auxquels n’ont pas pris part les députés radicaux de gauche. De même, nos collègues sénateurs socialistes – je les en félicite sans attendre – feront preuve dans ce débat d’une grande sagesse. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Comme d’habitude !
M. Yvon Collin. Pour l’heure, oublions le contexte politique, et revenons à l’essentiel : le texte et son interprétation la plus objective possible !
Ce projet de loi organique se compose de deux types de dispositions : celles qui visent à améliorer la qualité des lois tout en en diminuant la quantité, et celles qui visent à donner de nouveaux outils parlementaires aux législateurs que nous sommes pour peser différemment et mieux sur les débats de nos assemblées.
Enrayer l’inflation législative constitue l’objet d’une série d’articles consacrés à l’instauration et à l’encadrement des propositions de résolution, ainsi qu’aux études d’impact.
Nous connaissons tous, mes chers collègues, le problème de l’augmentation exponentielle des lois, qui fait souvent dire que « trop de lois tue la loi ». Le Conseil constitutionnel nous le rappelle régulièrement, du reste avec juste raison.
Combien de lois de circonstance sont-elles juste destinées à traiter la seule urgence médiatique ? Combien de lois éponymes inutiles, motivées plus par la coquetterie ministérielle que par un réel besoin ?
Il était temps de prendre des dispositions pour venir à bout de cette logique d’emballement qui porte tort aux vraies bonnes lois, celles qui répondent à l’urgence sociale et économique, la seule qui vaille réellement.
En la matière, les dispositions inscrites dans ce projet de loi organique suffiront-elles ? On peut en douter. En d’autres temps, les réformes adoptées dans cette optique n’ont pas eu les résultats escomptés.
Il en a été ainsi, par exemple, de la session unique, présentée, à l’époque, comme un moyen de raccourcir les séances et d’éviter de siéger la nuit. On peut le dire aujourd’hui, cette réforme a échoué : nous n’avons jamais aussi mal dormi ! (Rires.)
Plus sérieusement, nos concitoyens nous reprochent fort justement cette fièvre législative, car l’empilement des normes brouille le paysage juridique, au point de le rendre inaccessible, même pour bien des initiés.
Un Parlement revalorisé, c’est donc, avant tout, un Parlement qui légifère moins et qui légifère mieux. De ce point de vue, le présent texte tend à apporter des solutions qui méritent d’être mises en œuvre.
Le second volet de ce projet de loi organique prévoit une possible réorganisation de nos débats, et donc du déroulement de nos travaux, notamment dans l’hémicycle.
C’est ainsi que le droit d’amendement a pu paraître menacé, et qu’il peut d’ailleurs toujours l’être, puisque tout dépendra de la traduction et des choix qui seront retenus par chacune des deux assemblées lors de la révision de leurs règlements respectifs. C’est justement cette forte inquiétude – tout à fait compréhensible à la lecture du projet de loi organique initial – liée à une éventuelle remise en cause du droit d’amendement des parlementaires qui a mis le feu aux poudres à l’Assemblée nationale… mais toujours pas – fort heureusement ! – au Sénat.
Probablement faut-il y voir la sagesse de la Haute Assemblée, en particulier celle de son président, qui, sitôt la rédaction du projet de loi organique connue, a rappelé publiquement combien « le droit d’amendement est sacré ». Je dois avouer, pour ne pas dire confesser, que le radical et laïc que je suis a apprécié, une fois n’est pas coutume, l’emploi de cet épithète, qui, en l’occurrence, est de nature à nous rassurer !
En effet, nous estimons que le droit d’amendement est un fondement – voire le fondement – de la démocratie parlementaire. Toute mesure visant à le restreindre ou même à le « rationaliser » est, à nos yeux, au mieux suspecte, au pire dangereuse.
Disposer de temps pour défendre un amendement doit demeurer un droit individuel, inaliénable et imprescriptible pour chaque parlementaire.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Yvon Collin. C’est la condition pour garantir l’expression de la diversité des opinions démocratiques de notre pays. L’essence même du Parlement n’est-elle pas la discussion entre majorité et opposition, entre exécutif et législatif, ou même entre parlementaires, indépendamment des clivages politiques ?
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Yvon Collin. Le droit d’amendement, c’est d’abord du temps pour s’exprimer, pour débattre, pour échanger et pour convaincre. C’est donc ce qu’il y a de plus précieux pour chacun d’entre nous. Nous devons pouvoir, sans contrainte, exprimer nos convictions et porter les attentes et les craintes des Français et des territoires dans cette enceinte de la démocratie.
En quoi ce droit « sacré » est-il menacé ? Pourquoi ce projet de loi organique pourrait-il être attentatoire au droit d’amendement, si cher à chacun d’entre nous ?
La réponse figure à l’article 13 de ce projet de loi organique, qui prévoit la possibilité, dans des conditions bien précises, pour les règlements des deux assemblées parlementaires, d’instaurer ce que l’on appelle le principe du « temps global » ou « crédit-temps », que d’autres, amateurs de formules imagées, ont appelé le « temps-guillotine » : autrement dit, l’arrêt immédiat de la discussion des articles et des amendements en séance publique une fois écoulé le temps imparti à chacun des groupes.
Une telle procédure peut poser problème et mettre en cause le droit d’amendement, aujourd’hui d’ailleurs plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur. La loi s’appliquera de la même manière !
M. Yvon Collin. J’en ai discuté avec mes collègues députés radicaux de gauche : je comprends leurs inquiétudes et leurs craintes.
Pourquoi, ici au Sénat, les choses se présentent-elles différemment ? Pourquoi cet article 13 ne soulève-t-il pas la même protestation qu’à l’Assemblée nationale ? Pourquoi y a-t-il peu de chances d’entendre certains d’entre nous entonner la Marseillaise au pied de la tribune ?
La réponse réside dans le rapport de notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, qui exclut, au nom de la commission des lois, l’application du « temps global » à la Haute Assemblée.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais il n’a pas déposé d’amendement en ce sens !
M. Yvon Collin. Il ne fait ainsi que reprendre les conclusions des travaux menés, sous la conduite active de M. le président Larcher, au sein du groupe de travail sénatorial sur la réforme du règlement du Sénat.
Dès nos premières réunions, conformément à la sacralisation du droit d’amendement rappelée par M. le président, toute application au Sénat du principe du temps global a été exclue, ce dont nous nous félicitons.
Certes, ce projet de loi organique n’en devient pas pour autant sans intérêt ni au-dessus de toutes réserves, mais la crainte de nos collègues députés, qui n’ont pas, eux, reçu les mêmes assurances sur le respect du droit d’amendement – tant s’en faut ! –, n’a pas lieu d’être pour nous, sénateurs.
Faut-il y voir seulement un privilège que s’accorderait la Haute Assemblée en récompense de sa grande sagesse et de son aversion pour ce que l’on appelle l’« obstruction » ou encore la « flibuste » ?
C’est surtout, à n’en pas douter, une marque de respect à l’égard du débat parlementaire et de la discussion, toujours de très bon niveau dans cet hémicycle, mais c’est également – je l’interprète aussi comme cela – une façon de donner toute leur place aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.
En effet, mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que, depuis le 21 juillet 2008, la Constitution prévoit, en son article 51-1, que le règlement de chaque assemblée reconnaît des droits spécifiques aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires.
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Yvon Collin. Cette mention dans la Constitution résulte – je le rappelle – d’un amendement adopté par le Sénat sur proposition de nos collègues Jean-Michel Baylet et Michel Mercier.
Le groupe du RDSE sera donc très attentif à la traduction dans la loi organique, certes, mais surtout dans notre règlement de cette prérogative constitutionnelle désormais reconnue aux groupes minoritaires, lesquels – je le rappelle – ne se reconnaissent ni comme appartenant à l’opposition ni comme appartenant à la majorité : cela fait l’essence même et la force de mon groupe.
Il est très important que la nouvelle procédure législative offre toute leur place aux groupes minoritaires et, surtout, leur garantisse des moyens pour fonctionner et bien travailler.
Par exemple, il m’apparaît indispensable, a fortiori pour un groupe aux effectifs réduits, que les collaborateurs des groupes puissent assister aux travaux des commissions, compte tenu de l’importance que ces derniers vont prendre. Il me semblerait difficilement envisageable qu’un groupe doive attendre les comptes rendus des commissions pour poursuivre une préparation efficace et sereine de la procédure législative, d’autant que, désormais, les délais seront très courts.
Nous proposerons également, lors de la réforme du règlement, qu’aucun groupe ne dispose de moins de dix minutes de temps de parole dans chacune des discussions générales.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Yvon Collin. Il s’agit là d’un exemple concret de mesure à prendre pour garantir les droits d’expression et la pluralité au sein des groupes.
M. le président du Sénat connaît ma position et je le sais à l’écoute sur ce sujet : notre règlement prévoit un minimum de quinze membres pour constituer un groupe, mais encore faut-il donner à celui-ci les moyens de fonctionner.
J’en reviens au présent projet de loi organique : si nous approuvons la rédaction de l’article 13 bis, introduit à l’Assemblée nationale, aux termes duquel est reconnu un droit d’expression, en particulier pour les groupes minoritaires, nous proposerons de le compléter en garantissant que plusieurs orateurs d’un même groupe puissent s’exprimer.
Nous sommes donc attachés aux droits non seulement des groupes minoritaires, mais aussi des membres des groupes qui sont minoritaires dans leur propre groupe. Évitons qu’il n’y ait qu’une voix officielle dans chaque groupe !
M. Aymeri de Montesquiou. C’est pour moi, cela ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. Vous le voyez, mes chers collègues, le groupe du RDSE est soucieux du pluralisme et du droit d’expression de chacun. Nous ne concevrons jamais les groupes politiques comme des espaces de négation ou de restriction des droits individuels et constitutionnels des parlementaires ; bien au contraire, nous les considérons comme des outils garantissant l’expression de leurs droits et de leurs libertés.
C’est dans cet esprit et en étant fidèles à ces principes de respect du pluralisme et des minorités que mon groupe abordera la discussion des amendements sur ce projet de loi organique et les débats très attendus que nous devrons avoir dans cet hémicycle, le moment venu, sur la réécriture de notre règlement intérieur.
C’est un chantier déjà bien entamé, grâce aux travaux toujours sérieux et souvent consensuels qui ont été menés par le groupe ad hoc. Toutefois, des espaces de négociation existent encore pour parvenir à un texte qui nous permettra d’améliorer sensiblement l’organisation des travaux de notre assemblée, tout en respectant davantage les droits et les intérêts de chacun des groupes politiques, mais aussi de chacun des sénateurs qui font vivre cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Plancade. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une assemblée parlementaire, la majorité politique au pouvoir n’a qu’un avenir, proche ou lointain : c’est de devenir, quand le peuple le décidera, l’opposition.
M. Michel Mercier. Eh oui !
M. Bernard Frimat. Même au Sénat, et en dépit de son mode d’élection, ce principe constitutif de la démocratie finira par se vérifier.
En nous opposant à ce projet de loi organique, monsieur le secrétaire d’État, nous défendons les droits de tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent dans notre assemblée, quelle que soit la famille politique à laquelle ils appartiennent.
D’une certaine façon, nous tentons de protéger de ses propres excès la majorité d’aujourd’hui, puisqu’elle est inexorablement appelée à devenir, demain, l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
La révision constitutionnelle était censée donner des droits nouveaux au Parlement. Nous avons dénoncé cette présentation fallacieuse. Les premières lois organiques soumises au vote du Parlement confirment de manière éclatante que nos craintes étaient fondées.
Peu pressé de rendre effectives les mesures positives – exception d’inconstitutionnalité, instauration du défenseur des droits – acceptées par nous, même si elles ne concernent pas les droits du Parlement, le Gouvernement a fait le choix de nous soumettre en priorité les projets de loi organique qui lui accordent des facilités nouvelles ou permettent de réduire les droits du Parlement.
Le premier projet de loi organique présenté a été – je vous le rappelle, mes chers collègues – celui qui mettait en œuvre le retour à l’Assemblée nationale ou au Sénat des ministres anciennement parlementaires appelés à quitter le Gouvernement.
Il fallait, en effet, toutes affaires cessantes, adopter cette loi avant le 24 janvier pour permettre au nouveau secrétaire général de l’UMP de retrouver son siège de député. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le secrétaire d’État proteste.)
Il est difficile de voir dans ces petits arrangements un désir effréné de doter le Parlement de nouveaux pouvoirs !
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Bernard Frimat. La disposition qui offrait à un ancien ministre la faculté de renoncer à un retour au Parlement pour assurer, ipso facto, la pérennité de son suppléant, ne relevait pas davantage des droits nouveaux pour le Parlement. Elle était, comme nous l’avions indiqué à cette tribune, monsieur le vice-président de la commission des lois, inconstitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé.
La première loi organique adoptée en décembre créait enfin les conditions pour opérer, par voie d’ordonnance, le nouveau découpage relatif aux élections législatives. Privilégier la voie de l’ordonnance au détriment de la loi est toujours une restriction des droits du Parlement.
Le second projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui s’inscrit dans cette même perspective.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ah non !
M. Bernard Frimat. Qui peut, en effet, croire de bonne foi, après son passage à l’Assemblée nationale, qu’il n’a pas pour finalité de diminuer les droits du Parlement, en particulier ceux de l’opposition, face à un exécutif qui non seulement ne supporte plus les contre-pouvoirs au sein de la vie sociale, mais, de plus, aspire à s’arroger, dans les faits, le pouvoir législatif ?
Montesquieu écrivait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Il exprimait ainsi la théorie de la séparation des pouvoirs, sur laquelle repose toute démocratie digne de ce nom.
Nous sommes, avec nos collègues de l’Assemblée nationale, non pas un contre-pouvoir, mais le pouvoir législatif. Nous avons été élus pour voter les lois et notre travail est de fabriquer des lois de bonne qualité. Nous ne sommes pas là pour mettre en forme dans l’urgence, et demain dans des délais de plus en plus courts, les annonces présidentielles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Or, même si l’existence du Parlement sauvegarde les apparences, nous vivons de plus en plus dans un régime de confusion des pouvoirs, caractéristique de cette monocratie qu’évoquait, lors de la révision constitutionnelle, notre collègue Robert Badinter.
Les exemples de cette confusion abondent. Je n’en prendrai que deux : l’annonce de la suppression de la publicité sur France Télévisions et celle, récente, de la suppression de la taxe professionnelle dès 2010.
M. Daniel Raoul. Particulièrement difficile à digérer !
M. Bernard Frimat. Mes chers collègues, vous n’avez certainement pas déjà oublié que nous avons récemment débattu, pour la première fois sans doute dans l’histoire du Sénat, d’un projet de loi dont la disposition emblématique était entrée en vigueur deux jours avant que ne commence son examen dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. Absolument !
M. Bernard Frimat. C’est une curieuse attitude que de prétendre revaloriser les travaux du Parlement et de réduire celui-ci, dans le même temps, au rôle de législateur a posteriori.
Jeudi dernier, nous avons appris que la taxe professionnelle sera supprimée dès 2010.
M. Bernard Frimat. Circulez, députés et sénateurs, il n’y a plus rien à voir ! Le Président de la République vient à lui tout seul de voter la loi devant les caméras de TF1, M6 et France 2. Vous pensiez avoir le pouvoir de voter la loi de finances et d’autoriser les impôts ? Abandonnez cette illusion, et laissez Jean-François Copé se gargariser du bonheur de la coproduction législative ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Le Président a parlé, l’oracle est rendu ; le MEDEF en rêvait, Nicolas Sarkozy l’a fait. La loi a déjà une existence virtuelle. Place maintenant, monsieur le secrétaire d’État, aux thuriféraires « lefebvristes » de la pensée sarkozienne,…
M. Bernard Frimat. … pour qu’ils nous expliquent, études d’impact à l’appui sans doute, que la taxe professionnelle est, en fait, une des causes essentielles de la crise mondiale.
L’omniprésence médiatique du Président de la République est une réalité quotidienne.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir avec ce projet de loi organique !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Revenons-en au texte !
M. Bernard Frimat. Pour autant, son temps de parole n’ouvre toujours pas de droit de réponse à l’opposition, en dépit de l’engagement qu’il a pris, à la veille de la révision constitutionnelle, dans un entretien au Monde. Cette promesse, comme d’autres, a été oubliée depuis !
Alors que le temps de parole du Président demeure illimité, le Gouvernement estime qu’il est néanmoins urgent de limiter le temps d’expression et de discussion du Parlement – au premier chef, celui de l’opposition – et, dans le même temps, de brider l’exercice du droit d’amendement.
M. Jean-Pierre Bel. Très bien !
M. Bernard Frimat. Nous aurons l’occasion de préciser, lors de la discussion des articles, notre position sur les résolutions et les études d’impact. Mais l’essentiel du projet de loi organique n’est pas là ; il se situe au chapitre III, plus précisément à l’article 13.
Pour respecter la Constitution, qui prévoit qu’une loi organique définit le cadre dans lequel s’exerce le droit d’amendement, le Gouvernement aurait pu – et aurait dû ! – se contenter d’en affirmer les principes généraux, laissant le soin à chaque assemblée d’en fixer les conditions d’application dans son règlement.
En effet, aucune disposition constitutionnelle n’oblige le Gouvernement à instaurer un temps global de discussion, à créer des conditions de nature à priver un parlementaire du droit de défendre ses amendements. Il a néanmoins tenu à nous proposer un texte allant en ce sens.
Pour combattre l’obstruction parlementaire, qui n’est d’ailleurs, bien souvent, que l’ultime recours de l’opposition pour tenter de faire entendre sa voix et qui, au demeurant, nous le savons tous, n’a jamais empêché l’adoption d’une loi, le Gouvernement et sa majorité disposent pourtant déjà d’un arsenal de moyens important. Sans prétendre à l’exhaustivité, je veux vous en rappeler quelques-uns : irrecevabilité financière des amendements, au titre de l’article 40 ;…
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est normal !
M. Bernard Frimat. … irrecevabilité relative au domaine de la loi, au titre de l’article 41 ; possibilité de s’opposer à tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission, conformément à l’article 44, alinéa 2 ; vote bloqué, prévu à l’article 44, alinéa 3 ; application du « 49-3 » pour le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, ainsi que pour un autre projet de loi par session ; possibilité de demander la priorité pour faire tomber un maximum d’amendements ; possibilité d’obtenir la clôture du débat ; sans oublier, pour finir – cerise sur le gâteau ! –, l’usage de la question préalable positive, qui permet de faire rejeter un texte sans débat.
M. Jean-Pierre Michel. Et la deuxième délibération !
M. Bernard Frimat. Cet arsenal pour le moins imposant est encore insuffisant aux yeux du Gouvernement : il veut contraindre le débat parlementaire pour en accélérer le déroulement puisque vos travaux, mes chers collègues, ne sont présentés que comme un obstacle à son action.
Pourquoi débattre, échanger des arguments, chercher à convaincre, tenter d’améliorer le texte proposé puisque tout doit être réglé préalablement selon le bon vouloir de l’Élysée ?
Dans sa volonté d’annihiler le rôle du Parlement, le Gouvernement a oublié un principe constitutionnel fondamental : le droit d’amendement est un droit individuel, qui appartient à chaque parlementaire. Il est imprescriptible, consubstantiel à la fonction de parlementaire, nous dit-on. Il exprime la liberté absolue, donnée à chaque parlementaire, de tenter, conformément à ses convictions, d’améliorer le texte proposé. Il est le corollaire de la prohibition du mandat impératif. Si le rôle des groupes politiques, reconnu maintenant dans la Constitution, est primordial pour le bon fonctionnement de notre assemblée, il ne peut conduire à priver un parlementaire ni de sa liberté d’expression, ni de sa liberté d’opinion, ni de sa liberté de vote. Il n’est donc pas acceptable que le droit d’amendement soit contraint par l’instauration du temps global.
En créant, par ce projet de loi organique, la possibilité de mettre aux voix un amendement sans que son auteur puisse le défendre, vous ouvrez une boîte de Pandore et faites courir au Parlement le risque de perdre sa raison d’être.
La lecture attentive de votre rapport, monsieur Hyest, achève, s’il en était besoin, de me convaincre du caractère néfaste de ce texte. Vous évitez, avec une adresse qu’il me faut saluer, l’essentiel du problème posé.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !
M. Bernard Frimat. Vous consacrez de longs développements documentés et intéressants aux questions secondaires des résolutions et des études d’impact,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas secondaire !
M. Jean-Pierre Bel. C’est loin d’être l’essentiel !
M. Bernard Frimat. … mais vous réglez en quelques lignes le sort de l’article 13.
Votre argumentation est simple : l’instauration du temps global n’intéresse pas le Sénat, puisqu’il ne l’inscrira pas dans son règlement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Bernard Frimat. Fort de cette affirmation, vous décidez de ne pas vous y opposer, car vous ne voyez pas pourquoi priver vos amis députés UMP de cette facilité dont ils souhaitent disposer et à laquelle leur président de groupe tient tant.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. S’ils le souhaitent, qu’ils le fassent !
M. Bernard Frimat. En conséquence, vous proposez au Sénat de voter conforme l’article 13 et ses annexes. Ainsi, le débat sera clos sans que la disposition phare du texte, qui a provoqué le tumulte que l’on sait, puisse être de nouveau discutée.
J’ai salué votre habileté, monsieur le rapporteur, mais permettez-moi de considérer que la ficelle est un peu grosse !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !
M. Louis Mermaz. Ce n’est plus une ficelle, c’est une corde !
M. Bernard Frimat. C’est une bien curieuse démarche que celle de voter conforme un article et de promettre que, à peine voté, il ne sera pas utilisé !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il ne s’agit que d’une faculté !
M. Bernard Frimat. En effet, vous refusez pour le Sénat le temps global, et je ne mets pas en doute vos intentions, ni celles du président du Sénat, qui s’est exprimé dans le même sens. C’est, je veux le croire, parce que vous estimez qu’il ne faut pas contraindre le droit d’amendement, ni bâillonner le Parlement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement !
M. Bernard Frimat. Pourquoi alors acceptez-vous, par un vote conforme, de créer les conditions qui permettront d’imposer le temps global immédiatement à l’Assemblée nationale, mais aussi, demain, si l’envie en vient à une majorité de sénateurs, à la Haute Assemblée ? (M. François Rebsamen applaudit.)
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce sera peut-être vous qui le demanderez !
M. Bernard Frimat. Dans la protection des droits du Parlement, face à un exécutif jamais rassasié de son pouvoir, vous ouvrez une brèche et vous êtes dans l’impossibilité de nous garantir que le temps de s’y engouffrer ne viendra jamais. Depuis quand est-il nécessaire d’adopter des lois pour ne pas les appliquer ?
C’est la même démarche que vous utilisez, monsieur le secrétaire d’État, à propos de la possibilité donnée au Gouvernement d’être présent en commission au moment du vote.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose !
M. Bernard Frimat. Vous nous assurez que le Gouvernement n’abusera pas de cette faculté et qu’il en usera même avec parcimonie. Pourquoi alors l’inscrire dans la loi ? La confiance du Président de la République à l’endroit des parlementaires de la majorité est-elle si faible qu’il faille, pour le rassurer, les mettre sous surveillance au moment du vote des amendements ?
M. Jean-Pierre Michel. Eh oui !
M. Bernard Frimat. Ce projet de loi organique est inacceptable ! L’amélioration des conditions du travail parlementaire n’est pas ce qui vous motive ; seul importe, pour vous, d’aller vite.
M. Bernard Frimat. Comme le débat parlementaire constitue le dernier rempart face à la frénésie législative présidentielle, il vous faut lever cet obstacle.
La meilleure façon de programmer les débats est non de les limiter dans le temps, mais de les consacrer à l’essentiel, c’est-à-dire de cesser de fabriquer, dans l’urgence et en rafale, des lois bavardes, complexes et souvent inutiles,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et des milliers d’amendements !
M. Bernard Frimat. … dont le seul objet est de répondre à l’émotion de l’opinion publique. Notre vocation n’est pas de légiférer sur les faits divers ! Ce n’est pas parce que la loi est vite faite qu’elle est bien faite et, surtout, appliquée. La quantité des lois ne détermine pas leur qualité !
Pour que le Parlement légifère convenablement, il faut, le débat sur le projet de loi Grenelle 1 l’a montré, que les parlementaires disposent de temps et de la plénitude de leurs droits, notamment du droit d’amendement. Alors que vous proposez de réduire les droits des parlementaires, vous prétendez accroître les pouvoirs du Parlement.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mais non !
M. Bernard Frimat. Qui peut croire de telles fariboles ?
Il est encore temps de réagir, de refuser ce texte d’abaissement du Parlement. Ce serait l’honneur du Sénat de mettre un coup d’arrêt à la dérive monocratique qui gangrène nos institutions. C’est à cette tâche, mes chers collègues, que je vous invite tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Bel. Très bien !
(Mme Monique Papon remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la très grande majorité des sénateurs du groupe de l’Union centriste ont voté la révision de la Constitution, le 21 juillet dernier, considérant qu’il s’agissait d’une bonne réforme, dans la mesure où elle allait conduire à un rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.
Le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis a précisément pour objet d’organiser le travail du Parlement, de réactualiser les droits de ses membres et de donner corps, en quelque sorte, aux objectifs visés par cette réforme constitutionnelle.
Il est toujours difficile de parler du droit parlementaire, dans la mesure où, pour reprendre la définition du professeur Marcel Prélot, qui siégea sur ces travées, « c’est autour du droit parlementaire que gravite toute l’activité politique ».
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est tout à fait vrai !
M. Michel Mercier. Il est donc normal que nous ayons une discussion politique sur ce texte, qui organise le retour du politique.
Si le groupe de travail, présidé par M. Larcher et chargé d’élaborer les règles fondamentales appelées à devenir, demain, le règlement du Sénat, a plutôt donné de bons résultats, c’est justement parce qu’il a affirmé le retour du politique dans le fonctionnement du Sénat, au travers du rôle reconnu à la conférence des présidents renouvelée, représentant désormais l'ensemble des membres du Sénat.
Ce retour en force du politique marqué par le projet de réforme de notre règlement nous permet d’aborder le projet de loi organique selon une approche différente de celle des députés.
Néanmoins, ce texte pose un certain nombre de questions. Les trois articles de la Constitution visés ont trait respectivement aux résolutions, à l’organisation de la discussion législative et au droit d’amendement.
J’évoquerai tout d’abord les dispositions relatives à la discussion législative et aux études d’impact.
À cet égard, disons-le honnêtement, le texte qui nous est soumis n’est pas d’une grande clarté !
Si le Gouvernement considère que les fonctions exécutives et législatives ont été rééquilibrées, nous ne lui demandons rien d’autre que de nous communiquer les documents qui l’ont conduit à présenter un projet de loi plutôt qu’une autre mesure. Nous souhaitons qu’il nous explique pourquoi nous allons légiférer, pourquoi il est nécessaire de voter une loi, à quelle situation il s’agit de répondre et en quoi seule la loi permettra d’atteindre l’objectif visé. Ce n’est pas la longueur de l’énumération qui donnera son poids à l’étude d’impact, mais les véritables raisons qui sous-tendent les choix du Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Mercier. J’ai bien compris, monsieur le secrétaire d’État, qu’il nous manquerait un de ces documents, que je considère pour ma part comme important, voire essentiel. Nous y reviendrons.
Foin donc d’une longue énumération si elle ne nous permet pas de comprendre ce qui a conduit le Gouvernement à présenter un projet de loi !
J’évoquerai maintenant le droit de résolution et le droit d’amendement.
Ce sont des droits individuels, attachés à chaque parlementaire, ainsi que cela ressort, pour le droit de résolution, de l’article 1er du projet de loi organique.
Avant d’entrer dans le détail du texte, je souhaite poser la question suivante : pourquoi les droits individuels des parlementaires apparaissent-ils aussi importants quand il s’agit de revaloriser le rôle du Parlement ?
Il existe sans doute plusieurs réponses, mais je n’en retiendrai qu’une seule : aujourd’hui, l’origine des lois est essentiellement gouvernementale. Certes, l’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement, mais 99 % des lois ont une origine gouvernementale.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Non !
M. Michel Mercier. Disons 98 %, monsieur Gélard ! (Sourires.) Je vous fais grâce de 1 % !
Les lois sont donc, pour l’essentiel, d’origine gouvernementale. La raison en est toute simple : les parlementaires ne disposent pas des moyens techniques et intellectuels de faire la loi.
M. Daniel Raoul. Intellectuels ? Il se fait du mal !
M. Michel Mercier. Les parlementaires ne disposent, pour jouer leur rôle, que de deux droits individuels : le droit d’amendement et le droit de résolution.
M. Michel Mercier. Le droit de contrôle n’a jamais permis de faire la loi !
M. Michel Mercier. À condition que le Parlement ait vraiment la possibilité de contrôler !
Les parlementaires disposent donc de deux droits individuels, le droit de résolution et le droit d’amendement.
Le droit de résolution est très ancien, mais il semble faire un peu peur. Il faut donc en revenir à sa définition classique depuis 1875, que l’on peut énoncer ainsi en conjuguant les formulations de Léon Duguit et de Marcel Prélot : la résolution est une décision qui résulte d’un vote d’une seule assemblée et qui n’est pas promulguée. Comme l’indique Léon Duguit, la résolution a valeur non pas de loi, mais de vœu adressé à l’exécutif.
M. Henri de Raincourt. Un vœu pieux ?
M. Michel Mercier. Probablement, quand il s’agit de mon groupe ! (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. Du mien aussi !
M. Michel Mercier. En tout état de cause, j’ai bien peur que nos vœux ne soient que très tardivement exaucés ! (Nouveaux sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Lorsque nous serons au Paradis !
M. Michel Mercier. Les parlementaires n’ont pas d’autre moyen que la résolution pour faire connaître leur sentiment et leur point de vue au pouvoir exécutif.
En ce qui concerne le droit d’amendement, c’est un peu la même chose. Parce qu’on ne peut pas faire la loi, on dépose beaucoup d’amendements, car c’est techniquement plus facile que d’élaborer une proposition de loi lorsque les moyens d’expertise font largement défaut. Le seul recours qui reste alors est le droit d’amendement.
Dès lors, le droit d’amendement devient fondamental pour les parlementaires et l’on ne peut le limiter. En tout cas, la possibilité pour chaque parlementaire de déposer des amendements puis de les défendre doit être respectée : tel est d’ailleurs l’objet du chapitre III du projet de loi organique, sur lequel je tiens à dire maintenant quelques mots.
Je comprends parfaitement que l’on ait pu parler, à propos du temps global, d’une brimade pour le Parlement.
M. Michel Mercier. J’en parlerai, pour ma part, très sereinement. En effet, je n’aurais jamais approuvé l’article 13 s’il avait institué un temps global dans le règlement du Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourtant ce qui est dit !
M. Michel Mercier. Mon cher collègue, je vous invite à simplement lire l’article !
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’y arrive pas !
M. Michel Mercier. Si vous n’y parvenez pas, tant pis ! Que voulez-vous que je vous dise ? Nous le lirons ensemble ! (Rires.)
Pour ma part, je l’ai lu : l’article 13 n’instaure pas le temps global. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître !
M. Jean-Pierre Sueur. Il donne la possibilité de le créer !
M. Michel Mercier. Il laisse au règlement de chacune des deux assemblées la possibilité de créer, ou non, ce temps global. Il appartient à l’Assemblée nationale et au Sénat d’en décider. J’ai dit quelle était ma position en la matière : je suis opposé au temps global.
M. Louis Mermaz. Ce n’est pas de la piété, c’est de la casuistique ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Quand on a écrit d’aussi belles pages que vous sur Stendhal, monsieur Mermaz, on connaît tout en matière de casuistique ! (Nouveaux sourires.)
M. Louis Mermaz. Je vous remercie !
M. Michel Mercier. On peut tout à fait être hostile au temps global, mais pas se prononcer contre l’article 13 pour cette raison, car il ne le crée pas. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Il prévoit simplement que si une assemblée crée ce temps global, elle doit préciser dans quelles conditions seront examinés les amendements restant en discussion après qu’il aura été épuisé. L’article 13 ne dit rien d’autre !
MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Pierre Bel. À quoi cela sert-il ?
M. Michel Mercier. Nous voulons, pour notre part, que tous les amendements soient étudiés et présentés.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes donc contre l’article 13 !
M. Michel Mercier. Il faut, certes, organiser le débat, mais tous les amendements doivent être discutés.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous allez voter contre l’article 13 ?
M. Michel Mercier. Nous veillerons donc, tout au long de ce débat, à ce que les droits individuels des parlementaires, c’est-à-dire le droit de résolution et le droit d’amendement, soient préservés, maintenus et organisés.
Nous demanderons en outre que les groupes politiques soient dotés des moyens d’élaborer des textes de loi. Comme Pierre Fauchon l’a fort bien rappelé hier dans Le Figaro, le Parlement est fait pour voter la loi : nous devons aussi disposer des moyens techniques et matériels de préparer certaines des lois que nous votons, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. J’espère que nous les aurons demain, grâce à ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’indiquer que nous comprenons parfaitement l’absence de M. le Premier ministre, compte tenu des mouvements sociaux qui se multiplient dans notre pays, dans les usines, dans les universités, dans les rues de Paris, de Pointe-à-Pitre ou de Fort-de-France !
Les préoccupations de nos concitoyens sont graves et importantes. Mais sont-elles si éloignées du sujet des libertés parlementaires ? Je ne le pense pas ! J’estime, pour ma part, que nous devons défendre ces libertés.
Ce projet de loi organique a déjà suscité nombre de discours et fait couler beaucoup d’encre, essentiellement son chapitre III, relatif au droit d’amendement et à sa possible limitation. Est-ce une simple « tempête dans un verre d’eau », comme a tenté de le démontrer notre collègue Michel Mercier ? Je ne le crois pas, et les contorsions du Gouvernement et de la majorité pour accréditer cette thèse me confortent dans cette opinion.
Cette question du droit d’amendement suffit, à elle seule, à motiver notre opposition totale à ce projet de loi organique.
Ce débat prend sa source dans l’évolution ultra-présidentialiste – on peut aussi parler de monarchie présidentielle ou de présidentialisme monarchique ! – de nos institutions. Certes voulue depuis la période 1958-1962, cette évolution a été consacrée par la révision constitutionnelle votée, à une voix près, en juillet 2008 et mise en œuvre par le Président de la République, qui n’a cure du Parlement, non plus d’ailleurs que du Gouvernement. En effet, il annonce tous les jours de nouvelles dispositions législatives et les applique avant même que le Parlement en ait discuté ou somme celui-ci de les voter sans délai. La dérive s’inscrit donc à la fois dans le droit et dans la pratique.
Notre groupe a dénoncé l’imposture de cette révision constitutionnelle, présentée comme un rééquilibrage des rapports entre exécutif et législatif par un renforcement des droits du Parlement.
« Révolution », annonciez-vous en juillet, monsieur le secrétaire d’État – mot rare dans la bouche d’un membre du Gouvernement ! « Révolution du temps parlementaire », écrivait encore, fin janvier, le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, au moment même où le projet de loi organique dévoilait le véritable sens de cette révolution.
Nous disions, en juillet, que l’objectif de la révision était de réduire le débat en séance publique et de remettre en cause le droit d’amendement en instaurant un véritable « 49-3 parlementaire », aux mains de la majorité présidentielle.
Le projet de loi organique confirme la volonté de réduire le débat en séance publique par l’extension du travail en commission et le recours à la procédure simplifiée. Je ne suis pas certaine que la fabrication de la loi au sein des commissions rende les rapports entre les parlementaires et les citoyens plus transparents !
J’ajoute que le vote des parlementaires en commission sous l’œil du Gouvernement, comme le prévoit le texte initial, rend la liberté de chaque parlementaire de la majorité, quelle qu’elle soit, plus que douteuse. Notre rapporteur a eu la sagesse de refuser cette aimable surveillance. Nous sommes bien entendu d’accord avec lui.
La procédure simplifiée, si elle est créée, sera appliquée de manière extensive, du moins peut-on le craindre en observant la multiplication, à tort et à travers, des déclarations d’urgence.
Mais ce qui aggrave nos préoccupations, c’est que la loi organique va plus loin que l’article 44 de la Constitution, en rendant possible une limitation de la durée du débat parlementaire en séance publique, qui aurait pour conséquence de priver les parlementaires du droit de s’exprimer à un moment ou à un autre.
Comment ne pas comprendre cette « rationalisation » du pouvoir législatif, dans un système institutionnel où prédominent l’élection présidentielle et le fait majoritaire, comme une atteinte aux libertés du Parlement dans un contexte de reprise en main affirmée du pouvoir judiciaire et des médias, notamment ?
Quand Mme Dati se croit autorisée à dire devant les élèves de l’École nationale de la magistrature que l’indépendance des magistrats se mérite, nous pouvons légitimement nous demander, mes chers collègues, si nos libertés ne vont pas, elles aussi, devoir se mériter et si l’article 44 de la Constitution n’est pas, comme l’article 64, modulable selon les cas !
Le président de notre assemblée se plaît à dire que le droit d’amendement du parlementaire est « imprescriptible », « inaliénable » ou encore « consubstantiel » des libertés parlementaires. C’était effectivement la position du Conseil constitutionnel en 1990, quand il précisait que les règlements des assemblées ne pouvaient interdire aux parlementaires de défendre leurs amendements en séance publique.
La révision constitutionnelle de 2008, conjuguée à la loi organique, va-t-elle permettre de revenir sur ce droit, d’une façon ou d’une autre ? En effet, le dispositif de l’article 13, s’il est appliqué, offrira cette faculté par la mise en œuvre du crédit-temps, qui pourra priver un ou des parlementaires du droit de défendre leurs amendements.
Ce serait là un recul des droits du Parlement, et l’histoire nous rappelle qu’un tel recul a toujours été « consubstantiel » de reculs démocratiques.
Faut-il rappeler les débuts de la République ? C’était une autre époque, direz-vous, mais quand même ! Les restrictions du droit d’amendement furent toujours le fait de régimes autoritaires.
Jusqu’à la Constitution de l’An VIII, le droit d’amendement s’exerce librement dans les assemblées. Avec le Consulat, à l’inverse, « le Corps législatif fait la loi sans aucune discussion de la part de ses membres ». Sous la Restauration, « aucun amendement ne peut être fait à une loi s’il n’a été proposé ou consenti par le roi et s’il n’a été renvoyé par les bureaux ». Si 1848 amène le retour du droit d’amendement, la proclamation impériale du 14 janvier 1852 décide, en revanche, que le Corps législatif « n’introduit pas à l’improviste de ces amendements qui dérangent souvent toute l’économie d’un système et l’ensemble d’un projet primitif ». Ce droit d’amendement, il fallut bien se résoudre à le réintroduire en 1866, tant le mécontentement était grand !
Certes, vous évoquez le fait que, entre 1935 et 1969, le règlement de l’Assemblée nationale prévoyait la possibilité de limiter au préalable la durée des débats – le fameux « crédit-temps ». Toutefois, c’était une autre époque, celle de la République parlementaire – comme l’a rappelé plaisamment M. Collin – et cette disposition n’était pas contenue dans une loi organique !
Vous oubliez, ou feignez d’oublier, que la Constitution de 1958 – la révision de juillet 2008 n’a rien changé en la matière – donne à l’exécutif d’importants moyens de limiter le débat parlementaire : urgence, procédure accélérée rebaptisée « simplifiée » et étendue, ordonnances, article 49-3, article 40, procédures « exceptionnelles » pour la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale ! Vous oubliez les prérogatives du Président de la République ! Vous oubliez le fait majoritaire !
En outre, le Gouvernement pourra bien entendu défendre tous ses amendements, quel que soit le moment. Aussi la comparaison avec le parlementarisme organisé de nombreux pays européens n’est-elle pas probante.
Qui plus est, même si on semble l’oublier, les règlements actuels des assemblées encadrent le débat parlementaire, notamment par la limitation du temps de parole et la possibilité de demander la clôture de la discussion.
À l’évidence, l’image négative renvoyée par ce projet de loi organique ne vous a pas échappé. Il s’ensuit une confusion croissante dans le débat : tandis qu’à l’Assemblée nationale on a ajouté, après l’article 13 du texte initial, des articles 13 bis et 13 ter dont les dispositions tendent à le contredire, le Sénat, avant même le vote de la loi organique, élabore un nouveau règlement ne prévoyant pas, semble-t-il, l’instauration du crédit-temps permise par l’article 13 du présent texte.
Mes chers collègues, la question est simple : le droit de défendre un amendement est-il, oui ou non, « imprescriptible » ou « inaliénable », voire sacré, encore que ce terme ne fasse pas partie du vocabulaire parlementaire ?
Si oui, l’article 13 du texte qui nous est soumis n’a pas lieu d’être !
En effet, la nouvelle rédaction de l’article 44 de la Constitution vise, sans aucun doute, à contourner la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990, puisqu’elle prévoit que le droit d’amendement s’exerce en séance plénière ou en commission. Toutefois, l’article 44 ne remet pas en cause le droit de chaque parlementaire de présenter un amendement et de le défendre, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1990.
Aussi, Gouvernement et majorité, qui ne cessent de répéter la main sur le cœur, depuis des mois, qu’il ne saurait être question de toucher au droit d’amendement, devraient-ils entériner la seule conclusion possible : supprimer l’article 13 du projet de loi !
Mes chers collègues, ne cédez pas à la pression en votant la restriction de vos propres libertés !
L’obstruction parlementaire a bon dos ! Il est, en revanche, évident que la frénésie législative du Gouvernement, auteur de quantité de textes d’affichage, entraîne une forte détérioration de la qualité de la loi, de son application, et engendre une lassitude à l’égard du débat parlementaire. Ma collègue Éliane Assassi y reviendra tout à l’heure en défendant une motion tendant à opposer la question préalable.
Le droit d’expression des parlementaires leur permet de remplir leur rôle : être les porte-parole des citoyens qui les ont élus et relayer en permanence ce qui se passe dans le pays. Il est le garant d’un vrai débat démocratique, qui ne saurait se réduire à un vote tous les cinq ans, suivi de l’application mécanique du programme du Président de la République. La période actuelle, comme d’autres qui l’ont précédée, en fait foi.
Le propre de la démocratie représentative, c’est le débat parlementaire public entre groupes et parlementaires de sensibilités différentes, qui permet de dégager des majorités, voire d’aboutir à des compromis.
Si l’essentiel de la tâche des parlementaires était de voter les projets du Gouvernement – devrais-je dire du Président ? –, ils pourraient le faire de chez eux, par le vote électronique. Pourquoi s’embarrasser d’un Parlement ? Les techniques actuelles permettent au Président de la République de consulter directement les citoyens-téléspectateurs.
D’ailleurs, quand la durée du débat en séance publique enfle, ce n’est pas sur des questions techniques « ennuyeuses », mais sur de profonds enjeux de société, en lien direct avec les préoccupations de la population, qu’il est du devoir des parlementaires de relayer dans les assemblées.
Les autres dispositions du projet de loi organique méritent aussi de faire l’objet d’un débat. Puisque nous y reviendrons lors de la discussion des articles, je n’en dirai que quelques mots.
L’article 34 nouveau de la Constitution, qui instaure le droit de résolution, délimite déjà strictement ce dernier.
Les résolutions ne sont pas normatives, puisqu’elles ne sont pas de nature législative, mais il est précisé qu’elles ne peuvent ni mettre en cause le Gouvernement ni contenir des injonctions à son égard.
Je voudrais faire observer, à ce propos, que, contrairement aux députés, les sénateurs ne peuvent pas déposer de motion de censure. Par conséquent, la question de l’application de cet article ne se pose pas pour notre assemblée.
Le projet de loi organique tend à restreindre encore l’utilisation de ce droit de résolution, par le veto a priori du Premier ministre, l’interdiction d’amender et les délais impartis, qui feront obstacle à la rapidité et à la réactivité que devraient permettre les propositions de résolution, dont le formalisme est bien moindre que celui des projets de loi.
Le Premier ministre ne devrait pas pouvoir s’opposer a priori à une proposition de résolution, dont la logique du débat parlementaire voudrait qu’elle puisse être amendée. Je crains fort que ces propositions de résolution ne se réduisent à des vœux, comme l’a dit lui-même M. Gélard, sans portée effective.
En ce qui concerne l’évaluation préalable au dépôt des projets de loi prévue à l’article 39 nouveau de la loi constitutionnelle, nous ne contestons nullement l’intérêt d’une telle disposition. D’ailleurs, l’évaluation de la législation existante et du bien-fondé de nouvelles dispositions législatives est réclamée depuis longtemps par nombre de parlementaires, toutes sensibilités confondues. Elle aurait, à nos yeux, deux avantages : améliorer la transparence, peut-être, et limiter la frénésie législative des gouvernements, sans aucun doute.
Les dispositions de la loi organique suscitent un certain nombre d’autres remarques.
Tout d’abord, une série de projets de loi échappent à l’obligation d’évaluation préalable ou sont soumis à des obligations de présentation spécifiques : je veux parler des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, des projets de loi de programmation, des projets de loi portant ratification d’ordonnance ou des projets de loi relatifs aux états de crise. De surcroît, il était prévu que l’évaluation soit modulée, notamment en fonction de l’urgence.
Si l’Assemblée nationale a quelque peu tempéré ces restrictions, ce que propose aussi notre rapporteur, le caractère limitatif de la disposition prévue demeure.
Qui plus est, la description détaillée des éléments devant figurer dans l’étude d’impact risque de rendre ces dispositions difficilement applicables. Comme le souligne le rapporteur, la circulaire du Premier ministre de 1995 qui prévoyait une étude d’impact n’a pas été suivie d’effet.
De plus, les délais d’examen des projets de loi rendent impossible l’expertise contradictoire du Parlement, notamment de l’opposition.
Nous souhaitons donc que tout projet de loi fasse l’objet d’une évaluation réaliste et efficace par le Parlement, tant a priori qu’a posteriori.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce projet de loi organique.
Le Gouvernement et la majorité ne ménagent pas leur peine pour nous convaincre que dans la mesure où la loi organique se bornera à ouvrir la possibilité de limiter le droit d’amendement, il appartiendra aux règlements des assemblées de « mettre en musique » le dispositif : cela laissera l’Assemblée nationale et le Sénat libres de décider d’appliquer ou non celui-ci. Autrement dit, les règlements des deux chambres pourraient différer en la matière, comme semble en témoigner le projet de règlement du Sénat en son état actuel.
Or, mes chers collègues, s’il existe une certaine autonomie des deux assemblées, dont les compétences ne sont pas identiques, il ne me paraît pas sérieux de prétendre qu’une différence pourra exister en matière de droit d’amendement. Ce point de vue est d’ailleurs soutenu par des constitutionnalistes, notamment le professeur Gicquel, que nous avons entendu.
La sagesse, s’il est encore permis de l’invoquer, devrait donc l’emporter, et l’article 13 devrait être purement et simplement supprimé. Sinon, nous voterons contre ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
6
Commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
7
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat, pour un rappel au règlement.
M. Bernard Frimat. Madame la présidente, vous venez d’annoncer la constitution d’une commission mixte paritaire.
Nous demandons que les commissions mixtes paritaires représentent le Sénat dans sa composition actuelle. Il me semble de bon sens de ne pas en rester aux pondérations passées, mais de tenir compte de la configuration présente de notre assemblée.
La prise en compte de cette demande élémentaire ne devrait pas poser de problème, mais si tel devait être le cas, le débat ne pourrait se dérouler dans le climat serein que nous appelons tous de nos vœux.
Ce n’est nullement exiger un privilège que de demander l’application de la règle de la représentation proportionnelle au plus fort reste pour la désignation des membres d’une commission mixte paritaire, qui comprendrait ainsi trois membres du groupe de l’UMP, le plus nombreux de notre assemblée,…
M. Henri de Raincourt. Mais minoritaire !
M. Bernard Frimat. Nous sommes tous minoritaires, mon cher collègue, mais certains le sont plus que d’autres !
… deux membres du groupe socialiste, un membre du groupe de l’Union centriste et un membre du groupe CRC-SPG. Une telle composition reflèterait fidèlement celle du Sénat aujourd’hui.
Puisque notre débat porte sur l’organisation des travaux parlementaires, voici l’occasion de passer à la pratique ; cela ne dépend que de nous !
Je vous remercie, madame la présidente, de bien vouloir transmettre mes propos à M. le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Monsieur Frimat, cette demande de constitution d’une commission mixte paritaire émane du Premier ministre. Je vous propose de débattre de ce sujet demain en conférence des présidents.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
M. Bernard Frimat. La demande émane du Premier ministre, car c’est à lui qu’il appartient de convoquer les commissions mixtes paritaires.
Je suis tout à fait d’accord pour que nous discutions demain de ce sujet, à condition que le processus de désignation ne soit pas engagé avant la conférence des présidents. Dans le cas contraire, en revanche, votre proposition ne serait plus recevable.
Mme la présidente. C’est entendu, monsieur Frimat : nous en discuterons demain au cours de la conférence des présidents.
Acte vous est donné de ce rappel au règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Suite de la discussion d'un projet de loi organique
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hugues Portelli. (Applaudissements au banc de la commission.)
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la révision de la Constitution votée le 21 juillet 2008 par le Parlement réuni en Congrès a marqué un tournant dans l’histoire de nos institutions.
Après un demi-siècle de subordination, le Parlement a reconquis une influence déterminante, et ce grâce à trois dispositions essentielles : la maîtrise retrouvée de l’ordre du jour, la réhabilitation des commissions, puisque le texte adopté par ces dernières sera celui qui sera débattu en séance publique, la restauration du rôle des règlements des assemblées pour l’organisation des travaux parlementaires.
Grâce à l’initiative de son président, la Haute Assemblée a pu conduire une réflexion sur la refonte de son règlement avant d’être saisie de l’examen de ce projet de loi organique. Elle est sur la voie d’un consensus sur ce sujet, ce qui ne peut que nous réjouir.
En effet, c’est au règlement de chaque assemblée qu’il incombe, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de mettre en œuvre les nouvelles dispositions de la Constitution.
Dans ce cadre, quel est le rôle de la loi organique ?
La loi organique constitue le lien obligatoire entre Constitution et règlement, mais elle ne peut se substituer ni à l’une ni à l’autre. Pour autant, elle ne peut être un texte de circonstance, destiné à régler des préoccupations à court terme. Comme la Constitution, comme les règlements des assemblées, elle doit pouvoir s’appliquer dans tous les cas de figure, quelle que soit la majorité dans l’une ou l’autre des assemblées.
Le texte voté par l'Assemblée nationale se caractérise par deux dimensions.
D’une part, il comprend certaines dispositions qui relèvent normalement du règlement et non de la loi organique.
D’autre part, il est très marqué par la logique majoritaire de l'Assemblée nationale, dont la majorité et le Gouvernement forment un ensemble politique indissociable.
Est-il applicable tel quel au Sénat ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non !
M. Hugues Portelli. Les dispositions de la loi organique relatives aux résolutions n’appellent pas de réserves de la part de notre groupe, notamment dans la version améliorée qu’en propose le rapporteur. Si ce dispositif permet d’éviter le vote de projets de loi dépourvus de toute portée normative, il ne faut pas non plus que les résolutions deviennent le cheval de Troie dans lequel se glisseraient des remises en cause parallèles – et inconstitutionnelles – du Gouvernement. Le texte, tel qu’il est proposé, répond à ces objectifs et évite ces dérives.
Les dispositions relatives aux conditions de dépôt des projets de loi, notamment à la présentation des études d’impact, correspondent à un objectif louable, celui d’une évaluation a priori des textes. Mais ces études d’impact doivent se concentrer sur l’essentiel, à savoir permettre de situer le texte proposé par rapport aux lois qui sont déjà en vigueur, et non devenir des dossiers technocratiques que personne ne lirait et dont nul ne serait en mesure de contrôler la véracité. La version allégée qu’en propose M. le rapporteur nous semble plus conforme à l’esprit de l’article 39 de la Constitution que celle, pléthorique, qui a été retenue par l'Assemblée nationale.
Quant aux dispositions relatives au droit d’amendement, qui ont mobilisé les énergies de nos collègues députés, elles nous inspirent les considérations suivantes.
En ne changeant pas les dispositions de l’article 31 de la Constitution, qui prévoient que les membres du Gouvernement sont entendus lorsqu’ils le demandent, notamment en commission, les constituants de 2008 n’ont pas entendu modifier les règles coutumières, consolidées par les règlements des assemblées, aux termes desquelles les membres du Gouvernement ne peuvent être présents lors du vote en commission, y compris dans le cadre nouveau où c’est le texte de la commission qui est examiné en séance publique.
Ce silence du constituant, qui n’ôte pas au Gouvernement la maîtrise de l’arsenal puissant du parlementarisme rationalisé afin qu’il puisse défendre son point de vue, doit être respecté. Nous soutenons donc la position du président de la commission des lois, qui renvoie aux règlements des assemblées le soin de fixer les modalités de ce droit.
J’en viens au droit d’amendement proprement dit. À l’instar du rapporteur, nous considérons que le maintien intégral du droit d’amendement, qui n’a pris en France, depuis 1958, une forme proliférante qu’en réaction à la suppression du droit d’initiative législative – heureusement partiellement rétabli depuis 2008 –, n’implique pas l’usage abusif du temps de parole lié à la présentation desdits amendements et aux explications de vote. L’Assemblée nationale a cru devoir voter un dispositif – celui des articles 13 et suivants – dont la lecture attentive montre que les articles 13 bis et 13 ter disent le contraire de l’article 13 et le vident en grande partie de sa substance.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pas tout à fait ! Ils l’atténuent considérablement !
M. Hugues Portelli. Dès lors que cet article ne s’appliquera pas au Sénat, nous ne formulons pour notre part aucune objection à ce qu’il demeure comme vestige d’une bataille inutile entre députés.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 et le futur règlement du Sénat marqueront, si nous le voulons, le réveil de l’institution parlementaire. À nous d’en faire le meilleur usage, sans nous attarder outre mesure sur une loi organique qui n’est que le point de passage obligé de la renaissance parlementaire et que nous appliquerons, après l’avoir votée, dans l’esprit qui est et qui demeurera le nôtre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Président de la République avait donné comme objectif à la révision de la Constitution votée le 21 juillet dernier le rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.
Mais, quelques mois plus tard, nous assistons à une entreprise de réduction des pouvoirs du Parlement. Je me bornerai à mettre mes pas dans ceux de M. Bernard Frimat, pour enfoncer si nécessaire quelques clous après son magistral exposé.
Pour aller à l’essentiel, je dirai que nous sommes arrivés à cette situation au détour d’une modification de l’article 44 de la Constitution, complété par le Congrès.
Dans sa rédaction initiale, cet article indiquait en son premier alinéa : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement. » Les choses sont claires. D’ailleurs, jadis, on rédigeait les textes constitutionnels dans un style infiniment plus sobre qu’aujourd'hui.
Or la majorité du Congrès a ajouté la précision suivante : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. » Dès l’été dernier, le piège était donc en place, puisqu’il était expressément prévu que l’exercice du droit d’amendement serait à l’avenir encadré par une loi organique, d’où découlerait le nouveau règlement de chaque assemblée – le tout, est-il nécessaire de le rappeler, à la discrétion de la majorité actuelle, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
Le présent débat ne soulève pas une simple question de technique parlementaire, qui serait totalement éloignée des intérêts du pays à l’heure où les Français voient le chômage, la précarité, la pauvreté s’accroître tragiquement. La politique forme un tout : lorsque les droits du Parlement sont mis en cause, ce sont aussi les libertés et les droits sociaux qui sont atteints.
Le Gouvernement s’attaque de deux façons aux droits du Parlement.
D’une part, il déclare l’urgence pour presque tous les projets de loi. Le recours à cette procédure est quasiment devenu la règle depuis le début de la législature, ce qui nuit à la qualité du travail législatif, lequel requiert du temps et de la réflexion.
D’autre part, le Gouvernement déclenche, au détriment du contrôle de l’exécutif, réduit à presque rien, une avalanche de projets de loi. Parmi ces textes, il fait un tri : il distingue, d’un côté, ceux qui relèvent d’un effet d’annonce et qui, une fois votés, n’entreront pas en application, faute de la parution des décrets, et, de l’autre, ceux qui sont d’inspiration répressive ou rétrograde et dont les décrets d’application seront, eux, publiés.
De ce point de vue, la discussion actuelle s’inscrit dans un contexte où les libertés sont de plus en plus souvent mises à mal, par le durcissement constant du code pénal et du code de procédure pénale, par le recours de plus en plus fréquent à toutes les formes d’enfermement – la prison et l’extrême surpopulation carcérale, l’augmentation effrayante des gardes à vue dans les commissariats, la chasse aux sans-papiers, les hospitalisations sans consentement dans les services psychiatriques, le fichage des citoyens.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Très bien !
M. Louis Mermaz. Les libertés sont encore mises à mal par les pressions de toutes sortes sur la presse, par la mise au pas des responsables des administrations, par la réduction des moyens dont disposent les services publics, de l’école à l’hôpital.
Alors que la situation économique et sociale empire, le Président de la République, au demeurant maître de l’UMP, ce qui constitue une situation insolite dans notre pays, tourne le dos à la réalité, s’enferme dans un monologue incantatoire, tranche de tout par-dessus les corps intermédiaires et, voulant confiner le Parlement dans un rôle d’enregistrement, annonce un jour la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision – il la met d’ailleurs immédiatement en œuvre par décret – et la nomination par lui, avec quelques habillages, du président de France Télévisions ; un autre jour, il proclame la suppression des juges d’instruction ; un autre jour encore, celle de la taxe professionnelle ou le retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN, ce qui rompt avec une posture militaire de plusieurs décennies et aura des conséquences considérables sur l’avenir de notre diplomatie et sur notre indépendance.
Je demande donc au Gouvernement ce que devient en droit et en fait le prétendu rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement. Ne voulant pas me livrer à des comparaisons anachroniques et superficielles, je rappellerai seulement que Bonaparte disposait, au sein d’un maquis d’institutions parlementaires, d’un Corps législatif qui votait les lois sans avoir le droit d’en discuter.
Nous retrouvons, toutes proportions gardées bien sûr, une certaine similitude dans la démarche actuelle de l’exécutif. L’article 13 de la loi organique invite en effet les assemblées à se doter d’un règlement qui permettrait à la conférence des présidents de limiter la durée des débats et le temps de parole des parlementaires. Ainsi, lorsque des délais auront été impartis, selon la formule du « temps global », pour l’examen d’un texte en séance, des amendements d’origine parlementaire pourront être mis aux voix sans discussion préalable, comme jadis sous le Corps législatif.
Devant la colère légitime de l’opposition à l’Assemblée nationale, la majorité a dissimulé sous quelques parures l’article incriminé sans rien changer au fond, comme on le verra lors de la discussion des articles.
Le président-rapporteur de la commission des lois du Sénat défendra quelques amendements à certains articles, qu’il maintiendra ou non au cours des débats, selon le bon vouloir du Gouvernement. Nous verrons !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous me connaissez mal !
M. Louis Mermaz. De toute façon, il s’est bien gardé de toucher à l’article essentiel du projet, l’article 13, qui demeure donc paré des fioritures et des déguisements dont l’Assemblée l’a pourvu.
D’ailleurs, vous avez inventé une formule extraordinaire : il ne fallait surtout pas empêcher l’Assemblée nationale de se doter d’un règlement qui lui permettrait précisément de priver l’opposition de la parole ! La boucle est bouclée !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai pas dit ça !
M. Louis Mermaz. Le Gouvernement – ô la bonne âme ! – nous explique qu’il veut améliorer le fonctionnement et l’image du Parlement. Devant un tel aplomb, on serait presque tenté de lui demander de quoi il se mêle, au nom de la séparation des pouvoirs !
J’en viens à la problématique de l’obstruction.
Ce type de manifestation n’a jamais empêché aucun gouvernement, sous la Ve République ou avant, de se doter de l’arsenal législatif qu’il souhaitait, sauf à y renoncer lui-même par la suite quand le prolongement des débats avait traduit une inquiétude réelle dans le pays et lui avait ainsi donné le temps de comprendre qu’il risquait de se fourvoyer, ou de « se planter », comme dirait le Président Obama.
On sait comment la loi sur le CPE, le contrat première embauche, a terminé sa carrière.
Un sénateur du groupe socialiste Et la loi Devaquet !
M. Louis Mermaz. En effet.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y en a eu d’autres !
M. Louis Mermaz. Tous les groupes de l’Assemblée, tous, à des époques diverses, ont eu recours à de telles manœuvres de retardement, comme dans toutes les grandes démocraties. Cela est intervenu à certains moments – rares, en réalité – lorsque les sujets abordés avaient un écho important, au moins dans une large fraction de la population. Je pense ici aux débats consacrés au projet de loi « sécurité et liberté » en 1980, aux nationalisations et à la décentralisation en 1981 et en 1982, plus tard à la remise en cause de la loi Falloux, ensuite au PACS, récemment à l’avenir des retraites, aux OGM, à l’audiovisuel, enfin au présent projet de loi organique, qui aurait été voté dans l’indifférence sans les réactions de l’opposition à l’Assemblée nationale.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Quel rapport avec la loi organique ?
M. Louis Mermaz. En conclusion, vous observerez, mes chers collègues, que jamais la gauche, lorsqu’elle a été majoritaire à l’Assemblée nationale, n’a porté atteinte au droit d’amendement, d’autant plus important, on l’a dit cet après-midi, qu’il offre aux parlementaires de tous les groupes – s’ils veulent bien en user – la possibilité de peser sur la confection des lois, issues presque en totalité des projets déposés par le Gouvernement.
De 1981 à 1986, l’opposition s’est manifestée avec vigueur, voire acharnement, à l’Assemblée nationale. Nous avons eu de rudes batailles parlementaires ! La faiblesse, pour nous, eût consisté à vouloir brider cette opposition en tentant de modifier le règlement. Même si nous avions entrevu la possibilité d’obtenir l’indispensable consensus de tous les groupes, nous y aurions regardé à deux fois, je vous l’assure.
Le Sénat serait bien inspiré aujourd’hui de prendre en compte – mais le voudra-t-il ? – les droits et les prérogatives du Parlement dans son ensemble. La question n’est pas de savoir si au palais du Luxembourg, dans une atmosphère feutrée, à l’abri des grands emportements, l’on pourra continuer à s’exprimer à satiété, comme par le passé. La défense des droits du Parlement, des droits des députés et des sénateurs, doit être l’affaire de tous, car il s’agit aussi de la préservation des libertés dans le pays tout entier.
Sans recourir à des formules emphatiques, sans invoquer la postérité, sans me faire trop d’illusions non plus sur l’issue de nos travaux, j’invite cependant notre assemblée, qui aime à revendiquer sa sagesse et sa mesure, à ne pas consentir à l’abaissement du Parlement. Ne soyez pas, mes chers collègues, ceux qui se seront inclinés, même si nous savons qu’un jour d’autres majorités rendront justice au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’agissant d’un sujet aussi important pour la République que les prérogatives du Parlement, et par conséquent l’exercice de la démocratie, je suis consterné par les arguments que j’ai entendus ici même.
On nous a dit que l’article 13 du projet de loi organique ne servirait à rien.
M. Jean-Pierre Sueur. En ce cas, il faut voter contre !
On nous a dit : « Ce n’est pas grave, parce qu’au Sénat, on s’arrangera ! » Mes chers collègues, je suis en colère quand je constate que l’on privilégie les petits arrangements alors qu’il s’agit de voter une loi de la République !
La question n’est pas de savoir comment on s’arrangera ici ou ailleurs ; elle est de savoir si ce texte est fondé ou non. Or cet article 13 est un danger pour la démocratie !
M. Jean-Pierre Sueur. Je donne lecture de son premier paragraphe : « Les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion. »
Cela veut dire ce que cela veut dire ! La loi permet que le règlement prévoie une limitation du droit d’amendement et, de surcroît, du droit à la parole !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Non, pas du droit d’amendement !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, pas du droit d’amendement, monsieur Gélard, mais du droit à la parole.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose !
M. Jean-Pierre Sueur. Il est scandaleux que l’on puisse affirmer benoîtement qu’il est sans grande importance d’empêcher des parlementaires de défendre des amendements ou d’expliquer leur vote !
Ce paragraphe signifie qu’il pourrait y avoir un moment où, une fois le temps de parole imparti écoulé, on voterait tout ce qui resterait à voter, non seulement les amendements mais aussi les articles, dans un silence sépulcral. En effet, si je comprends bien votre texte, monsieur le secrétaire d’État, une fois la limite franchie, il n’y a plus de débat : on vote en silence dix, vingt, trente amendements, dix, vingt, trente articles. Cela deviendra possible dès lors que l’on aura voté ce texte. Mes chers collègues, je vous en conjure, ne le votez pas ! Devant l’histoire de la République, il constitue une atteinte aux droits du Parlement !
Dans cette affaire, le plus important est finalement l’idée que l’on se fait du Parlement. Certains ont estimé que les débats ne sont pas intéressants, d’autres s’ennuient profondément. Ce n’est pas mon cas !
Le Parlement ne doit pas être victime de ces petits arrangements, de ces temps couperets. Le débat doit pouvoir s’instaurer et aller jusqu’à son terme.
Qu’est-ce qui caractérise le Parlement tel que l’ont voulu les fondateurs de notre République ? Le Parlement a pour mission d’élaborer des lois, donc des textes normatifs. Mais il a été décidé qu’il fallait que ces textes normatifs fussent élaborés dans le débat, dans la contradiction, dans la confrontation des positions, des convictions, des arguments que chacun porte en lui, dans son cœur et dans son esprit !
Dire que le débat ne doit pas trop durer, qu’il doit être mis dans une boîte, contrôlé, maîtrisé, reflète une certaine idée du Parlement, celle d’un Parlement encadré, quelque peu aseptisé… Mais l’important dans une assemblée législative, vous le savez, monsieur Karoutchi, vous qui êtes un parlementaire, c’est précisément le débat !
M. Jean-Pierre Sueur. Si les dispositions de cet article avaient été inscrites dans le règlement de l’Assemblée nationale, aucun des grands débats qui ont marqué les trente dernières années – je ne remonterai pas plus loin – n’aurait pu avoir lieu : les débats sur les nationalisations, sur les privatisations, sur l’audiovisuel, sur l’université, sur l’école, sur la laïcité ou sur la loi Falloux ne se seraient pas tenus. Il existe une quantité d’exemples !
M. Frimat l’a dit, jamais l’obstruction n’a empêché une loi d’être votée, dès lors qu’un exécutif et une majorité le souhaitaient. Dès lors, pourquoi agissez-vous ainsi ? Je le vois bien, vous êtes mal à l’aise !
MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais si, je le vois et je l’entends !
Si ce dispositif est destiné à ne servir à rien, pourquoi l’inscrire dans la loi de la République ?
S’il s’agit de « s’arranger », le texte ne devant pas s’appliquer au Sénat, je réponds que les petits arrangements ne sont pas à la mesure du problème posé.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a pas d’arrangements !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous faisons une loi pour la République et pour le Parlement tout entier, nous ne faisons pas une loi pour le Sénat ! Pour nous sénateurs, la mise en place d’un couperet à l’Assemblée nationale est inacceptable ! Nous sommes un certain nombre à avoir siégé dans les deux assemblées.
Vous voulez encadrer et contrôler le fonctionnement du Parlement. C’est une idée.
Pour notre part, nous en avons une autre : ce qui est intéressant, au Parlement, c’est la passion. Le Parlement doit pouvoir se faire l’écho des conflits, des luttes sociales, des contradictions de la société, des aspirations et des convictions des uns et des autres, des souffrances qui existent dans ce pays, des débats éthiques… Il faut pouvoir consacrer le temps nécessaire à débattre de tout cela !
Dans cette conception du Parlement, la passion démocratique et républicaine est au cœur du débat, et on aime le débat !
Et puis il y a donc l’idée selon laquelle il faut contrôler, aseptiser et limiter. À cet égard, il serait très intéressant d’étudier le vocabulaire employé par un certain nombre d’orateurs. On en conclurait aisément que, pour eux, le débat est quelque chose qui déborde, qui prolifère, qui présente un caractère presque malsain, un peu maladif. Ils veulent faire rentrer le flot de l’éloquence, de la parole et de l’argumentation dans des cases, des boîtes, des canaux. Pourtant, ne l’oubliez pas, Victor Hugo siégeait ici il y a quelque temps !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’était une autre époque ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Sans doute, mais les ricanements qui accompagnaient ses discours sur des sujets tels que la peine de mort, l’esclavage, le droit de vote des femmes ou l’Europe sont restés dans l’histoire parce que l’on en a gardé la trace, grâce au débat !
La Constitution, même rénovée, donne au Gouvernement des moyens importants pour mettre en œuvre ses choix politiques. On nous parle de « parlementarisme rationalisé » ; c’est une formule parfaitement creuse. L’essence de notre démocratie tient pour partie au fait que les lois sont le fruit du débat contradictoire, passionné, ardent qui porte en lui le cœur battant de la démocratie et de la société françaises.
Vous voulez brider, encadrer, normaliser, mais c’est une faute contre la démocratie, c’est une faute contre la République, et nous nous y opposerons avec la dernière énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de ce qui constitue le cœur même de la réforme constitutionnelle votée cet été, réforme que le Gouvernement vend, à qui veut l’entendre, comme étant un pas fondamental dans la valorisation des droits du Parlement.
Au premier titre des évolutions, conçues comme positives, se trouve, pour les parlementaires, le droit de déposer des résolutions. Cette idée, inscrite à l’article 34-1 de la Constitution, paraissait séduisante lorsque nous l’avions votée cet été.
Le principe semblait simple : les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. Ainsi, on aurait pu penser que la loi organique ne concernerait que les conditions de vote et non le nombre, le champ ou la recevabilité de ces propositions de résolution.
L’article 34-1 vise, pour seule limite, le fait que ces résolutions ne peuvent avoir pour effet de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement.
Or cet outil, que l’on nous a présenté comme un progrès, nous est aujourd’hui soumis assorti de contraintes qui ne correspondent plus à celles qui avaient été avancées lors de la réforme constitutionnelle !
Pis encore, de manière méthodique, le projet de loi organique s’applique à transformer ces résolutions en une formule insipide, dont, en réalité, on a du mal à évaluer la pertinence. Alors qu’il s’agissait d’une belle intention, nous voici saisis d’une chimère sous le contrôle étroit du Gouvernement.
Je prendrai l’exemple des conditions, draconiennes, qui sont imposées pour le contrôle de la recevabilité de ces propositions. Mes chers collègues, l’autonomie des assemblées parlementaires devrait justifier, dans le strict respect de la Constitution, une certaine latitude concernant le champ de ces résolutions. Elles devraient être cet outil dont nous avons tant besoin pour exprimer, sans normativité, des positions opposées à celles du Gouvernement, un outil à la disposition non pas uniquement de la majorité parlementaire, mais bien de tous les parlementaires, de tous les groupes politiques. Pourtant, le projet de loi organique soumet ces résolutions à un contrôle, pour le moins opaque, en vertu duquel le Gouvernement pourra, d’un revers de main, écarter une proposition de résolution qu’il aura jugée irrecevable. Pour un oui ou pour un non, une proposition de résolution ne sera même pas inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée !
En vertu de la Constitution, le seul motif d’irrecevabilité est pourtant assez clair : pas de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement. Mais qu’en sera-t-il des propositions de résolution qui s’opposent à la politique du Gouvernement ? Seront-elles déclarées irrecevables ?
Le fait de s’opposer est-il considéré comme une mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement ? Critiquer une politique inique, qui criminalise les pauvres, les étrangers, les précaires, est-ce mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement ? Si tel est le cas, c’est tout le système du parlementarisme qu’il faut revoir, puisque la raison d’être d’une opposition, c’est, justement, de critiquer.
À quoi serviront donc ces résolutions ? Et de quelle nature seront les résolutions déclarées recevables ? Doit-on penser que seules les propositions de résolution de la majorité, qui disent tout le bien que pense cette dernière de la politique du Gouvernement, seront retenues ?
Au final, la procédure de contrôle que prévoira la future loi organique sera un frein à toute proposition constructive, à toute résolution exprimant une opinion qui ne soit pas conforme à la doctrine du Gouvernement. Ainsi, le Gouvernement fera ce qu’il veut, ne sera jamais contrôlé. Quelle conception de la démocratie parlementaire !
Aucun dispositif ne permettra en effet de contrôler le bien-fondé d’une décision d’irrecevabilité. Et les propositions de résolution s’entasseront, sans que leur utilité soit un jour prouvée.
Voilà donc ce qui nous attend en vertu de la procédure que vous nous proposez aujourd’hui : un filet aux mailles tellement serrées que seuls le suivisme et l’indigence pourront filtrer… Pour le reste, l’irrecevabilité sera de mise.
Sur ce point, d’ailleurs, il faut noter l’empressement de notre rapporteur, M. Hyest, à compléter le dispositif de manière que, si une proposition de résolution venait à filtrer, elle ne soit pas votée à la majorité absolue.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Le mode de votation de ces résolutions est aussi important que les conditions de leur recevabilité, mes chers collègues. Or, que nous prépare-t-on ? Des résolutions votées à la majorité qualifiée ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout ! C’est à la majorité simple !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est l’objet même d’un amendement qui tend à supprimer littéralement le mode de scrutin. Nous reviendrons sur ce point, monsieur le rapporteur !
La raison est simple : si l’Assemblée nationale est parvenue à un accord sur ce mode de scrutin, c’est parce que le Gouvernement y dispose d’une majorité confortable; ce qui n’est pas le cas dans cet hémicycle. Et je crains que le mode de scrutin ne nous revienne un jour, dans le règlement, sous la forme d’une majorité qualifiée.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas possible !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Permettez-moi de rappeler que l’article 34-1 fait directement référence aux conditions de vote des résolutions : supprimer le mode de scrutin revient à amputer la loi organique de l’une de ses raisons d’être ! Et je doute que cette suppression échappe à la vigilance du Conseil constitutionnel !
C’est ainsi que la loi organique rendra ce droit de résolution impossible à exercer efficacement De surcroît, nous avons toutes les raisons de penser que les propositions de résolution ne serviront à rien, si ce n’est, pour la majorité, à témoigner son soutien à la politique du Gouvernement. Encore une fois, les grands perdants seront les groupes minoritaires et de l’opposition.
Je souhaite illustrer le marché de dupes que vous nous proposez en prenant l’exemple d’une proposition de résolution qui serait déposée dans le cadre d’une niche parlementaire. Alors même que cette niche constitue, pour les groupes minoritaires ou de l’opposition, la seule garantie de voir leurs initiatives faire l’objet de débats dans cette enceinte, le Gouvernement pourra, sans même avoir à motiver sa décision, refuser à un groupe d’inscrire une proposition de résolution dans le cadre de cette niche. Autrement dit, ce que l’on nous a vendu comme une valorisation des droits du Parlement et des groupes d’opposition devient une arme pour museler les parlementaires et nier ces mêmes droits.
Voici donc l’esprit de cette réforme : permettre au Gouvernement, pour compenser la perte du contrôle d’une partie de l’ordre du jour, de s’immiscer dans ce qui est pourtant l’affaire exclusive des parlementaires.
À cet égard, nous refusons absolument que le Gouvernement puisse assister aux délibérations des commissions et user ainsi de son influence pour peser sur le vote des amendements.
Je note, à cet égard, le courage de M. Mariani, qui s’est opposé à cette mesure, conscient du danger que constitue une telle possibilité.
Cette remarque me permet d’aborder la question du droit d’amendement des parlementaires, qui constitue, de loin, le point le plus controversé de ce projet de loi organique. Je vous le dis sans détour : l’article 13 de ce texte est scandaleux. Il est l’expression d’une défiance insupportable à l’égard du Parlement, réputé incapable de s’auto-discipliner.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est bien vrai !
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 40 de la Constitution n’y suffisait pas : il fallait aller encore plus loin pour transformer le Parlement en classe d’école, où chacun ne peut parler que si le maître l’a décidé. Ce tour de vis me semble incompatible avec les attentes des citoyens, qui nous demandent de porter dans cette enceinte des positions qui méritent un débat, une discussion et un vote en séance publique. Les citoyens doivent savoir comment se fabriquent nos lois et quel est le poids de chacun dans leur élaboration.
Ce projet de loi organique, en restreignant le droit d’amendement en séance publique, organise ce qu’à Bruxelles on nomme la « comitologie » : la loi se fera dans les couloirs plus que dans l’hémicycle et les citoyens n’auront plus accès à ce qui fait l’essence même de notre activité : le droit de regard.
On m’opposera sans doute que ce dispositif ne concerne pas le Sénat. L’obstruction parlementaire n’existe évidemment pas dans cette enceinte. Mais alors, pourquoi ne pas laisser le soin à chaque assemblée de décider, sans loi organique, la manière dont elle entend organiser ses débats ?
Conformément au principe existant rappelé par M. Hyest, pourquoi ne pas laisser chaque chambre, dans le respect de l’autonomie des assemblées, décider ce qui convient le mieux pour elle ?
Examiné de plus près, l’article 13 de ce projet de loi organique dégage une odeur d’antiparlementarisme primaire. Qui vise-t-il ? Certainement pas la majorité des parlementaires de droite, qui ne se sont jamais risqués à cet exercice. Le droit d’amendement ne concerne, en réalité, que l’opposition, à l’exception notable de plusieurs sénateurs de droite qui en usent quelquefois à bon escient. Il est le seul outil dont nous, sénatrices et sénateurs appartenant aux groupes minoritaires ou de l’opposition, pouvons user à volonté pour faire valoir nos positions.
Limiter notre droit d’amendement, c’est limiter notre capacité d’opposition.
Limiter notre droit d’amendement, c’est nous brimer dans notre capacité d’indignation.
Limiter notre droit d’amendement, c’est simplement nier notre liberté de contribuer à l’élaboration de la loi.
Pourtant, comble d’une « valorisation » des droits du Parlement, nous savons que cet épisode de l’article 13 est déjà derrière nous : seul le vote conforme de cet article épargnera une nouvelle discussion en seconde lecture.
Voilà donc la conception que vous nous offrez des droits du Parlement et de l’opposition : discuter d’une disposition déjà ficelée, qui ne souffrira aucune modification. Je trouve cette méthode très inquiétante pour un État démocratique. C’est notre République parlementaire qui est en danger.
Pour toutes ces raisons, essentielles à la vie parlementaire, les sénatrices et sénateurs Verts ne voteront pas ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même s’il faut prendre des précautions dans la présentation, même s’il faut faire preuve de pédagogie dans l’explication, personne ne contestera que notre pays, l’Europe et le monde sont confrontés à une crise financière et économique d’une ampleur inégalée qui remet en cause les fondements du capitalisme.
Des milliers d’emplois sont supprimés à travers le monde ; des pans entiers du secteur industriel sont en péril ; une sourde menace pèse sur des centaines de milliers de familles ; l’inquiétude face à la montée inexorable du chômage et devant l’avenir est là, bien présente.
Ce constat est, j’en suis sûr, largement partagé par nos concitoyens, à tel point que, de plus en plus, fleurit du côté de la majorité – il est vrai, bien souvent, pour des raisons purement tactiques – l’idée qu’il faudrait une sorte d’unité nationale à durée limitée pour faire face à la crise.
Nombre de nos concitoyens attendent sans doute que, pour une fois, majorité et opposition unissent leurs efforts pour les aider et aider le pays à chercher des solutions concrètes pour sortir de la crise ou, au moins, pour y faire face. Et on peut les comprendre.
J’ai souhaité moi-même un vrai pacte de confiance et d’action entre l’État et les collectivités locales pour soutenir l’investissement et pour agir concrètement en faveur de nos concitoyens. Or, dans le même temps, le Président de la République annonçait à la télévision, sans concertation, la disparition, dès 2010, de la taxe professionnelle.
Faut-il rappeler que cette taxe est l’une des principales sources de financement des collectivités locales, qui réalisent à elles seules près de 75 % de l’investissement public ?
M. Gilbert Barbier. Quel rapport ?
M. François Rebsamen. Annonce paradoxale donc que celle qui vise à déstabiliser les acteurs centraux de ces investissements, mesure pourtant phare du plan de relance...
Si vous partagez mon analyse, mes chers collègues, vous en partagerez les conclusions : seul un pays qui sait se rassembler pourra surmonter une telle dépression.
Il ne s’agit pas de minimiser l’erreur que constitue, selon nous, l’absence de mesures spécifiques pour soutenir le pouvoir d’achat et la consommation dans le plan gouvernemental. Il s’agit de montrer à notre pays quelles devraient être les voies d’une démocratie apaisée.
Aussi, une seule et vraie question mérite d’être posée à l’occasion de l’examen de ce projet de loi organique et, notamment, mais pas uniquement, de son article 13 : pourquoi diviser, pourquoi provoquer l’opposition à un tel moment de la vie économique et sociale de notre pays ? Car vous saviez très bien que, face à cette disposition qui vise à limiter tout à la fois le temps de parole de l’opposition au Parlement et le droit d’amendement de chaque parlementaire, nous ne pourrions rester sans réagir, car elle entre en contradiction avec un des principes fondamentaux de la démocratie : l’existence de contre-pouvoirs.
Ces contre-pouvoirs sont aujourd’hui mis en cause : l’audiovisuel public, la presse – je ne parlerai pas de la fonction publique, que je ne considère pas comme un contre-pouvoir, bien qu’elle connaisse des révocations sans précédent –, les collectivités locales et, pour finir, le Parlement, où le temps de parole des opposants pourrait ainsi être limité, compté.
Il est loin le temps où le Président de la République écrivait : « Je renforcerai les pouvoirs [du Parlement], notamment de l’opposition, parce que je ne veux pas gouverner seul et que je pense qu’une démocratie se protège des risques de dérive lorsqu’elle est capable d’organiser et d’accepter ses propres contre-pouvoirs ».
Permettez-moi de prendre deux exemples.
Premier exemple, les collectivités locales. À la question de savoir si la France compte trop de collectivités locales, la réponse du Président de la République est assez simple : il y a, en France, trop de collectivités locales… de gauche (M. Jean-Pierre Michel applaudit), donc il faut en supprimer un niveau. Si les associations d’élu – l’association des maires des grandes villes de France, l’association des départements de France, l’association des régions de France -, étaient présidées par des élus de l’UMP, qui peut croire que la suppression d’un niveau de collectivité aurait été envisagée ? D’ailleurs, lorsque le Président de la République était ministre de l’intérieur, avant 2004, cette question n’avait jamais été posée.
Mais prenez garde, car notre histoire électorale récente nous apprend que les Françaises et les Français apprécient les contre-pouvoirs. Or la droite ne sera pas toujours au pouvoir au niveau national, de cela, je suis sûr.
Deuxième exemple, le Parlement. Il ne suffit pas au Président de la République d’exercer tous les pouvoirs, qu’il s’agisse du droit de dissolution, du droit de s’exprimer quand bon lui semble devant le Parlement, sans même que celui-ci ait le droit de répondre, ni au Gouvernement de disposer de la procédure prévue à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, qui est maintenue. Ce que le président Hyest a dit tout à l’heure – je l’ai écouté avec un grand intérêt – est vrai : le droit d’amendement est encadré dans d’autres démocraties européennes, mais elles n’accordent pas les mêmes pouvoirs personnels au chef de l’exécutif, notamment le droit de dissolution.
Aujourd’hui, le Gouvernement veut limiter les droits de l’opposition, le droit de s’exprimer et le droit d’amender. Ce quinquennat a deux ans, et déjà Napoléon perce sous Bonaparte !
Il n’aura échappé à personne que les modifications de la Constitution débattues aujourd’hui – nous parlons ici pour tous les parlementaires, et pas uniquement pour le Sénat – ont fait grand bruit à l’Assemblée nationale, même si visiblement le Gouvernement a souhaité faire la sourde oreille. Après un Président de la République quasi aveugle, qui ne voit pas les grèves, voilà un Gouvernement qui n’entend pas les revendications !
Ce texte est largement et ouvertement critiqué par nos collègues députés, car il est incomplet et ne répond pas à l’ambition affichée de rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Comble de l’ironie, il revient même sur un droit fondamental du parlementaire et affiche des dispositions qui reviennent, ou pourraient revenir, sur l’autonomie de notre assemblée !
L’équilibre des pouvoirs est un élément fondamental de notre démocratie. Pourtant, ce projet de loi organique contient des dispositions qui menacent cet équilibre fragile ! Je vous renvoie ici à ce que notre rapporteur écrit lui-même à ce sujet.
S’agissant du respect de l’équilibre des pouvoirs, le Gouvernement marche visiblement sur un fil, car la frontière est ténue qui nous sépare encore d’un régime que je qualifierais de « césariste ». Cela relève de notre responsabilité à tous, nous parlementaires siégeant au sein d’une assemblée qui a su par le passé s’opposer à des projets contraires à l’intérêt général.
Si le « Président de la parole » veut imposer le silence au Parlement, il faut le dire clairement.
Pourtant, et nous le démontrerons, il est possible, dans le cadre de ce projet de loi organique, de conforter les droits du Parlement, la sincérité des débats et l’expression de tous en évitant que les débats ne se prolongent excessivement, par exemple, à l’article 11, en interdisant au Gouvernement de déposer sur ses propres projets de loi des amendements tendant à insérer des articles additionnels. Voilà une manière de rationaliser le temps du débat parlementaire ! On pourrait aussi bien ne pas laisser le Gouvernement assister aux votes qui ont lieu en commission.
Il y va d’un intérêt supérieur, celui de la capacité de débattre et de la liberté de voter, pour nous tous, qui représentons ici la nation !
Je ne voudrais pas m’étendre trop longtemps sur les différents articles, mais je ne peux que contester le contenu de l’article 12, qui nous semble avoir pour objectif finalement d’interdire l’exercice du droit d’amendement en séance publique, sous prétexte qu’il faudrait gagner du temps !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Notre collègue ne sait pas lire !
M. François Rebsamen. Rappelons d’ailleurs que le Conseil constitutionnel avait censuré une mesure semblable en 1990…
La responsabilité de l’embouteillage parlementaire, vous le savez très bien, incombe d’abord à l’exécutif, du fait même du nombre et de l’ampleur des projets de loi soumis au Parlement.
Mais c’est bien l’article 13 de ce projet de loi organique qui est au cœur des débats. Je reprendrai donc l’excellente argumentation de notre collègue Bernard Frimat.
La majorité nous dit que le temps global ne sera pas appliqué au Sénat. Très bien ! Mais la meilleure garantie à cet égard reste encore de ne pas voter l’article 13. Si vous le votez, chers collègues, c’est uniquement pour permettre son application à l’Assemblée nationale aujourd’hui et, demain ou après-demain, au Sénat...
Possédé par un désir quasi frénétique de tout changer, le Président de la République s’attaque maintenant à nos institutions. Nous devons nous rendre à l’évidence et nous résoudre à la triste vérité qui s’offre à nos yeux : le Président de la République peut être au centre de tout, avoir le pouvoir de se montrer partout, être contre tout, car il est « césariste » dans l’âme, ou plus exactement en diable ! Mais le pouvoir parlementaire, lui, ne se négocie pas et la vraie réforme du Parlement doit se faire sur un autre terrain. Nous ne pouvons accepter, mes chers collègues, le dessein inavoué et dissimulé de démanteler le droit à l’expression de ceux qui osent commettre le crime de lèse-majesté de garder tout simplement une certaine liberté de penser !
À propos des fondements constitutionnels des droits de l’opposition, je n’aurai pas la cruauté de rappeler trop longuement les promesses du candidat Sarkozy, qui se déclarait favorable à un véritable statut des groupes minoritaires au Parlement, au renforcement du financement des partis politiques ou à l’élargissement des pouvoirs des commissions d’enquête parlementaires. Que reste-t-il de toutes ces promesses de campagne ? Rien !
On l’aura bien compris : le dérèglement de notre système constitutionnel est en vue. Il faut s’y opposer, au nom de la démocratie et de la liberté.
Il va falloir se battre, parce que la République ne se réduit pas à des institutions ni à des procédures, elle consiste aussi en un ensemble de valeurs partagées. C’est notre devoir de citoyens, d’élus et de parlementaires de défendre cette conception !
Même le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, l’a rappelé, s’offusquant à demi-mot, et nous, sénateurs, pouvons comprendre qu’il insiste sur l’importance de l’Assemblée nationale au regard de l’expression des idées, notamment de l’opposition, et qu’il souligne que, pour la pérennité de la République, « chacun doit pouvoir estimer être entendu », c'est-à-dire suffisamment entendu. Il ajoute : « C’est là où doit s’exprimer chaque individu qui a quelque chose à dire. Il est donc important de laisser s’exprimer notamment l’opposition, quelle que soit cette opposition, de droite ou de gauche. »
Le Sénat a déjà démontré sa capacité de résistance à des mesures qui vont à l’encontre des droits fondamentaux, de notre démocratie et de notre République.
On ne saurait laisser balayer d’un revers de la main les droits des parlementaires, comme on balaie un préfet qui ne marche pas au pas. On ne saurait mettre au pas le Parlement pour mieux continuer au pas de course d’appliquer réformes sur réformes, sans la moindre concertation.
Mes chers collègues, l’article 13 a tout simplement pour objet et pour objectif de scléroser la parole de l’opposition dans le débat parlementaire. La démocratie est un bien précieux : puisque la possibilité de penser différemment la fait vivre, continuons ensemble à faire vivre ce principe !
Pour conclure sur l’enjeu qui est ici celui des acquis démocratiques, vous me permettrez une citation dont vous retrouverez sûrement l’origine : « Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu’on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette discussion générale, je ne peux que me réjouir du ton employé par chacun d’entre vous, même si tous vos propos ne vont pas dans le sens que j’aurais souhaité.
Chaque intervenant a fait part de ses convictions avec fermeté, sans concession, mais sans agressivité. Les exhortations du président Hyest à débattre du fond ont donc été entendues.
Je ne vais pas revenir sur tous les points abordés, puisque nous aurons l’occasion de le faire pendant plusieurs jours, mais je voudrais d’emblée apporter les précisions que m’inspirent certaines interventions.
S’agissant des propositions de résolution, je ne partage évidemment pas le scepticisme de Mme Boumediene-Thiery. Le droit de résolution constituera bien un nouveau droit pour les parlementaires, et il s’exercera dans les conditions prévues par l’article 34-1 de la Constitution. Je tiens d’ailleurs à vous rassurer, madame la sénatrice, sur la question de la majorité qualifiée : faute, pour la loi organique, de prévoir une telle majorité, les règlements des assemblées ne pourront la prévoir eux-mêmes. C’est-à-dire que ce n’est pas à l’occasion du débat qui se tiendra plus tard sur la modification du règlement que l’on pourra introduire une disposition imposant une majorité qualifiée : la loi organique ne l’ayant pas prévu, le règlement ne pourra pas aller plus loin.
M. Mercier a donné une définition de la résolution très juste, comme souvent : il s’agira d’un vœu qui ne sera pas contraignant, ce qui ne signifie pas qu’il sera pour autant sans portée. M. Portelli a d’ailleurs parfaitement rappelé qu’il faudrait faire un usage responsable de ce nouveau droit. Nous observerons certainement des évolutions dans la pratique d’un droit qui n’a pas été utilisé depuis cinquante ans et nous verrons bien la place qu’il prendra à l’avenir dans la vie parlementaire.
En ce qui concerne les études d’impact, vous avez, pour la plupart, reconnu leur intérêt. Le président Hyest comme le doyen Gélard ont rappelé, à juste titre, la longue quête pour tenter de donner corps à ces études et la conclusion logique de ces longues années d’échec : la nouvelle rédaction de l’article 39 issue de la révision constitutionnelle. Je me réjouis que même Mme Borvo Cohen-Seat, pourtant assez critique – c’est le moins que l’on puisse dire – à l’égard de l’ensemble de ce projet de loi organique, ait pu émettre quelques appréciations positives sur les études d’impact.
Monsieur le président Mercier, monsieur le doyen Gélard, vous avez raison : les études d’impact doivent rester des instruments simples ; elles ne doivent pas devenir plus importantes que les lois elles-mêmes. Elles devront être synthétiques, sincères et complètes et respecter la répartition des pouvoirs définie aux articles 34 et 37 de la Constitution, mais aussi à l’article 38, lorsqu’il s’agira pour le Gouvernement de prendre des ordonnances.
M. Frimat a cité Montesquieu. Permettez-moi de le faire à mon tour : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
M. Bernard Frimat. Je ne vous le fais pas dire ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Les études d’impact devraient nous aider à respecter ce précepte. Mais, au passage, je ne peux laisser affirmer comme vous l’avez fait que les lois présentées par ce gouvernement aient été précipitées. Le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, pour ne citer que des exemples récents, vous démentent assez largement, parce que ces textes ont fait l’objet d’un travail préparatoire de plusieurs mois avant de trouver leur conclusion parlementaire.
En ce qui concerne le droit d’amendement et le temps programmé, qui sont au cœur de ces débats, Mme la présidente Borvo Cohen-Seat a fait un intéressant rappel historique pour tenter d’établir que nous voulions bafouer le droit d’amendement qui constitue pourtant le socle de la tradition parlementaire française. Je ne reviens pas sur les interventions de MM. Frimat, Mermaz, Sueur et Rebsamen : permettez-moi de vous dire que je m’inscris en faux contre cette interprétation de l’article 13.
Comme l’a souligné Michel Mercier, cet article, qui ne crée par le temps programmé, se contente d’indiquer que, si ce temps programmé était mis en œuvre, les amendements non présentés seraient en tout état de cause mis aux voix.
Sans verser dans le paradoxe, on peut parfaitement voir dans cet article 13 une forme de garantie du droit d’amendement, contrairement aux systèmes de clôture ou de guillotine, sur le modèle de ceux qui existent dans un certain nombre de pays voisins, qui empêcheraient le vote même de ces amendements.
Monsieur Sueur, permettez-moi de vous dire que l’obstruction n’a rien à voir avec le droit d’amendement ; c’en est même, d’une certaine façon, un dévoiement. Ce n’est pas un droit, c’est un abus de droit.
Monsieur Rebsamen, vous dites que les projets de loi divisent et que, parfois, l’obstruction est un élément porteur, au-delà du projet. Je regrette, mais l’obstruction peut être aussi un élément de division dans la mesure où elle masque et parfois noie le débat démocratique de fond.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est votre vision personnelle !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Sur la présence du Gouvernement en commission, nous aurons un très large débat, monsieur Hyest. Vous savez que le Gouvernement ne partage pas votre point de vue, qui a été aussi exprimé par plusieurs de vos collègues. Je crois important de tirer les conséquences du nouveau mode de fonctionnement des assemblées, qui donnera tant d’importance aux travaux des commissions.
Le Gouvernement n’entend pas imposer sa position (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG) ni exercer une surveillance – le pourrait-il, d’ailleurs ? – ; il souhaite dialoguer, expliquer sa position sur les amendements. C’est normal et ce sera utile. Cela permettra de sortir de l’ombre dont parlait le doyen Gélard. Le Gouvernement préfère faire connaître son point de vue de manière claire et transparente pendant les débats en commission.
J’attire votre attention sur le fait que, en tout état de cause, l’Assemblée nationale maintiendra probablement cette faculté pour le Gouvernement de venir en commission à tous les stades de la procédure. La rédaction que vous retiendrez à l’article 11 ne doit pas l’empêcher, au nom du principe d’autonomie que vous avez eu raison de mettre en avant, comme l’a d'ailleurs fait M. Hugues Portelli.
Sur la présence ou l’absence du Gouvernement en commission, j’ai bien entendu les différents arguments avancés. Je me dois de rappeler cependant que, aux termes de la révision constitutionnelle, c’est le texte amendé en commission qui sera examiné dans l’hémicycle. Franchement, comment conserver, dès lors, la même appréhension qu’auparavant de la présence ou de l’absence du Gouvernement dans les débats alors que, jusqu’à maintenant, c’est le texte du Gouvernement qui est examiné en séance publique ? Le débat et le vote sur les amendements ont lieu dans l’hémicycle. Que je sache, le Gouvernement est constamment présent.
Vous nous dites qu’il ne faut pas que le Gouvernement soit présent dans certains cas en commission, alors que vous savez parfaitement que le texte qui sera discuté dans l’hémicycle ne sera plus de même nature. Jusqu’ici, vous aviez le texte du Gouvernement, dorénavant vous aurez le texte de la commission.
Je veux bien, monsieur Hyest, que l’on débatte de cette question, mais encore faut-il qu’elle soit bien posée. En l’occurrence, le problème n’est pas de savoir si le Gouvernement doit ou peut influencer constamment les éléments de la majorité ou l’ensemble des commissaires. À la limite, le débat est de même nature dans l’hémicycle. Donc, il faut bien qu’à un moment le Gouvernement puisse s’exprimer sur les amendements ; ensuite, chacun des commissaires, chacun des parlementaires votera en conscience.
Messieurs Frimat et Mermaz, je vous ai entendus affirmer que ce projet de loi organique ne donnait en rien de nouveaux droits au Parlement.
Le droit de résolution, les études d’impact, ce n’est pas rien ! Sincèrement, la manière de travailler qu’impose la révision constitutionnelle, je pense ici notamment à l’ordre du jour partagé, ne me paraît pas aboutir au renforcement du pouvoir du Gouvernement. D’ailleurs, lors de la dernière conférence des présidents, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir beaucoup plus de pouvoirs que par le passé. J’ai même eu curieusement le sentiment que mes pouvoirs étaient progressivement répartis entre les présidents de commission, les présidents de groupe et la présidence du Sénat, au détriment du Gouvernement…
De la même manière, le fait que ce soit désormais le texte de la commission qui soit examiné en séance publique ne traduit pas un renforcement du pouvoir du Gouvernement. Ou alors je ne comprends plus très bien ce que cela signifie.
M. Yvon Collin a défendu avec beaucoup d’éloquence le droit individuel des parlementaires, qui a été soutenu à l’Assemblée nationale par M. Thierry Mariani, ainsi que l’a rappelé Mme Alima Boumediene-Thiery.
Avec l’article 13 bis, qui a été introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative du groupe Nouveau Centre, pour faire prévaloir, au travers d’amendements parlementaires, les droits des groupes d’opposition ou des groupes minoritaires, puis, avec l’article 13 ter, destiné à préserver le droit individuel d’amendement des parlementaires, vous avez réellement la preuve que le Gouvernement, dans cette affaire, loin de chercher à contraindre ou à imposer, veut au contraire dialoguer avec l’ensemble des groupes.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi proposer l’article 13 ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Si nous réussissons cette réforme, nous pourrons trouver un équilibre qui permette à chacun de s’exprimer clairement, tout en offrant au Parlement des débats plus lisibles et peut-être plus compréhensibles pour nos concitoyens.
M. Jean-Pierre Sueur. Les citoyens comprennent très bien !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Pour ce qui est des droits des groupes, je souhaite que cela se traduise très concrètement dans les règlements des assemblées.
Monsieur Mercier, citant une nouvelle fois Marcel Prélot, auteur qui vous est cher - je tiens d'ailleurs à votre disposition une édition de son cours de droit parlementaire de 1957-1958 que vous vouliez absolument retrouver (Sourires.) -, vous avez raison d’affirmer que « c’est autour du droit parlementaire que gravite toute l’activité politique ».
Telle est bien l’ambition de la révision constitutionnelle, de ce projet de loi organique et, demain, de la réforme du règlement de votre assemblée. Il s’agit de redonner vie à la politique, en créant une nouvelle dynamique parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je suis saisi, par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°45 tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 183, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après les débats utiles de la discussion générale, je vais tenter, au nom de mon groupe, de vous faire partager ma conviction que certaines dispositions de ce projet de loi, notamment son article 13, sont contraires à la Constitution.
Ce projet de loi, en fait, procède d’une entreprise systématique d’abaissement du Parlement, il faut le répéter : des résolutions, mais qui ne passeront pas devant les commissions ; la possibilité pour le Gouvernement d’être présent à tout moment pendant le travail des commissions, y compris en commission mixte paritaire ; enfin, la limitation du droit d’expression des parlementaires dans la défense de leurs amendements.
Pour comprendre cette évolution, il faut revenir à la révision constitutionnelle de juillet 2008. Le Président de la République avait annoncé une réforme qui permettrait de renforcer les droits du Parlement ; or on en est très loin.
Dès le début en effet, la réforme a été bornée par la défense qui a été faite à la commission Balladur de discuter des modes de scrutin, notamment à l’Assemblée nationale, et donc par la volonté de maintenir le fait majoritaire. Elle a été également bornée par l’interdiction de discuter du cumul des mandats, ainsi que de l’irresponsabilité du chef de l’État, de son droit de dissolution, alors qu’il lui est au contraire permis de s’adresser au Parlement sans que les parlementaires puissent lui répondre. Il est vrai qu’il n’a pas encore usé de cette faculté et que, dans les circonstances difficiles d’aujourd’hui, il a préféré s’exprimer devant la télévision....
Par ailleurs, cette réforme maintient le vote bloqué, et l’article 49-3, procédures qui permettent à l’exécutif de contenir le Parlement dans l’exercice de ses prérogatives.
Certaines avancées étaient cependant prévues, comme la constitutionnalisation des groupes politiques, le partage de l’ordre du jour entre le Gouvernement et les assemblées ; curieusement, monsieur le secrétaire d'État, nous n’en avons pour l’instant rien vu, le Gouvernement n’ayant pas souhaité commencer par les projets de loi organique afférents, qui auraient revalorisé le rôle du Parlement. Il a préféré nous soumettre deux projets de loi organique : l’une, de convenance, qui permet aux ministres de récupérer leurs sièges de parlementaires, disposition peut-être spécifiquement prévue pour l’actuel secrétaire général de l’UMP, et l’autre, qui nous occupe aujourd’hui. Tout le reste est reporté aux calendes grecques.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y avait des délais à respecter !
M. Jean-Pierre Michel. Il faut noter d’ailleurs que le règlement de nos assemblées a déjà été modifié pour limiter la durée des motions de procédure, notamment le temps de parole qui m’est imparti aujourd'hui à cette tribune.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a longtemps !
M. Jean-Pierre Michel. Et que dire de la pratique qui prévaut depuis le début de cette législature ? Les déclarations d’urgence sont désormais systématiques, ce qui prive les assemblées d’une deuxième lecture, et ce sur tous les textes importants. On peut également dire que le fait majoritaire à l’Assemblée nationale comme au Sénat, a pour conséquence pour presque tous les textes de multiplier les votes conformes et de transformer les commissions mixtes paritaires en simples chambres d’enregistrement.
C’est la conception des institutions du Président de la République, qu’il a d’ailleurs exprimée très nettement le 12 juillet 2007, à Épinal : « Si l’État en France doit obéir à la séparation des pouvoirs, ils ne sauraient être divisés en pouvoirs rivaux, qui se combattent, qui s’affrontent, qui s’affaiblissent l’un l’autre. » On voit ici que le chef de l’État, qui se dit respectueux en théorie de la séparation des pouvoirs, en annule totalement les effets au détour d’une petite phrase, puisque, s’il soutient l’idée d’une collaboration des différents pouvoirs, c’est pour mieux aboutir, dans sa pratique, à une confusion des pouvoirs et à une confiscation totale par l’exécutif. C’est exactement ce à quoi nous assistons !
Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais je ne dispose pas d’assez de temps aujourd’hui.
Cette pratique du chef de l’État donne le sentiment que le Parlement ne doit exercer ses droits qu’à la condition de demeurer sous la tutelle de l’exécutif. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, on pourrait dire la même chose de vous, du Gouvernement et du Premier ministre, vous qui agissez sous la tutelle du secrétaire général de l’Élysée. (M. le secrétaire d'État d’État fait un signe dubitatif.)
Cerise sur le gâteau, on nie le droit pour chaque parlementaire d’exprimer sa position personnelle à travers la défense d’amendements. Je n’aurais jamais imaginé, après presque trente ans de vie parlementaire, que l’on serait revenu sur ce droit essentiel ! Jean-Louis Debré en avait eu la tentation en 2006, mais il avait dû renoncer sous la pression des présidents de groupes, notamment de celui de l’UMP, l’actuel président de l’Assemblée nationale, qui se renie aujourd'hui, mais une fois n’est pas coutume…
Pour avoir été à deux reprises vice-président de l’Assemblée nationale, je sais ce qu’est l’obstruction parlementaire, je sais ce que sont les amendements en cascade, mais je sais aussi ce qu’est la richesse d’un débat et d’une confrontation.
Oui, cet article 13 est inconstitutionnel, mes chers collègues. En effet, il est contraire à l’article 44 de la Constitution selon lequel le droit d’amendement des membres du Parlement est individuel, comme est personnel leur droit de vote aux termes de l’article 27 de la Constitution, principe qui est d’ailleurs confirmé par l’article 1er du présent projet de loi.
Ce « crédit temps » que l’on veut nous imposer, outre qu’il est contraire à la règle constitutionnelle, poserait des problèmes pratiques, quasi insolubles pour son application.
Il suffit, pour le comprendre, de se poser quelques questions.
Comment comptabiliser les suspensions de séance ? Comment comptabiliser les rappels au règlement ? Comment les services de la séance et les groupes pourront-ils mesurer le temps qui reste au fur et à mesure de l’avancement des travaux ? Faudra-t-il que notre hémicycle soit pourvu de cadrans électroniques géants qui permettront à chaque parlementaire de décompter le temps passé ?
Comment, par ailleurs, anticiper sur le déroulement de la séance, par définition soumis à l’imprévisibilité du débat ? Nous savons tous très bien d’expérience qu’un amendement, un article, peut prendre soudainement plus d’importance qu’un autre et nécessiter que l’on y consacre un certain temps. D’ailleurs, je remarque que les présidents de séance, ici, au Sénat, respectent ce temps du débat parlementaire, qui est fait d’accélérations mais aussi de ralentissements, et qui permet le cas échéant d’approfondir telle ou telle disposition jugée importante.
Comment également traitera-t-on le problème des non-inscrits ou celui des parlementaires qui désirent déposer des amendements en dehors de leur groupe, comme ils en ont le droit ? En effet, le droit d’amendement est personnel et il n’est pas l’expression d’un groupe politique aux termes de la Constitution, même si, dans la pratique, il tend à le devenir et qu’il le deviendrait totalement si ce projet de loi organique était malheureusement adopté.
Le système qui nous serait alors imposé aboutirait à ce que le droit d’amendement ne puisse finalement s’exprimer qu’à travers les amendements des groupes politiques constitués, ce qui est totalement contraire à l’esprit de la Constitution.
Au surplus, on peut noter que le droit d’amendement du Gouvernement n’est, lui, pas encadré et qu’il existe donc, une nouvelle fois, une dissymétrie dans les droits respectifs dont jouissent au sein du Parlement le Gouvernement et les parlementaires eux-mêmes.
On en voit bien d’ailleurs la raison ; en fait, la liberté de discussion parlementaire est incompatible avec le concept de « forfait temps ». Cette procédure va assécher le débat, transformer les assemblées en théâtre d’ombres, en simples greffes, car tout enjeu aura disparu, le débat étant verrouillé à l’avance.
Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre un amendement ; or, on le sait bien, un amendement appelé mais non défendu n’a aucune chance d’être adopté, surtout s’il émane de l’opposition.
L’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, car il permet notamment à l’opposition de présenter des contre-propositions.
Mais, j’entends déjà vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur : tout cela est optionnel
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai encore rien dit !
M. Jean-Pierre Michel. J’entends aussi ce qu’il se dit de la réunion du groupe de travail qui, au Sénat, réfléchit, comme il convient, à la modification de notre règlement.
Pourquoi s’alarmer, en effet, dans la mesure où le règlement du Sénat ne comportera aucune mesure en ce sens ? Pour ma part, je pense que, bien au contraire, le fait que le règlement de l’Assemblée nationale le prévoie …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Peut-être !
M. Jean-Pierre Michel. … est une raison suffisante pour s’inquiéter. Car enfin, mes chers collègues, nous ne légiférons pas uniquement pour nous, de façon totalement égoïste ! De surcroît, j’émets les plus expresses réserves sur cette interprétation. En effet, au titre IV de la Constitution, il est précisé, au deuxième alinéa de l’article 24, s’agissant du Parlement : « Il comprend l’Assemblée nationale et le Sénat ». Ces deux chambres forment donc ensemble une entité qui est le Parlement, et c’est le Parlement qui est reconnu dans la Constitution. Cette dernière édicte d’ailleurs pour les deux assemblées des règles semblables, notamment en ce qui concerne le statut des parlementaires ou l’organisation des débats.
L’article 28 de la Constitution prévoit uniquement la possibilité pour chaque chambre de fixer différemment ses semaines de séance et, par son règlement, de déterminer les jours et les horaires pendant lesquels les assemblées siégeront. On voit bien qu’il s’agit là de dispositions mineures au regard de celles qui nous occupent, qui sont relatives à la liberté d’expression des parlementaires.
Dès lors, peut-on concevoir que les règlements de nos deux assemblées soient différents sur un sujet aussi fondamental que celui de l’organisation de nos débats, qui constitue le cœur même du travail parlementaire, l’expression de l’opposition, de l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs ? Est-il envisageable que la liberté d’expression des parlementaires soit bridée là-bas et plus « libérée » ici et que les deux chambres délibèrent selon des procédures différentes ?
Le Conseil constitutionnel accepterait-il une telle différence, lui qui tend à unifier les règlements de nos deux assemblées sur des questions importantes, notamment sur l’application de l’article 40 pour laquelle le Sénat a été sommé de suivre la procédure en vigueur à l’Assemblée nationale ?
Sur un tel sujet, j’espère que le Conseil constitutionnel saura se faire entendre et n’acceptera pas que les deux chambres soient traitées différemment.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il l’a déjà accepté !
M. Jean-Pierre Michel. Par ailleurs, il existe dans ce projet de loi organique une autre disposition qui n’est pas conforme à la Constitution : il s’agit de l’article 3, qui introduit une confusion entre les compétences du Gouvernement et celles du Premier ministre.
Cet article confie en effet les décisions prises en conseil des ministres au Premier ministre, alors que la Constitution reconnaît ce pouvoir au Gouvernement aux termes de l’article 34-1.
Cette disposition est inconstitutionnelle et devra être censurée. Nous verrons cela dans la suite du débat.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois C’est corrigé !
M. Jean-Pierre Michel. Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais revenir à mon point de départ : ce projet de loi organique, notamment l’article 13, est en fait destiné à satisfaire le Président de la République, dont le temps ne concorde pas avec celui du Parlement. Il n’y a pas de concordance des temps, comme aurait dit mon instituteur à l’école primaire. (Sourires.)
En effet, l’horizon du Président de la République ne dépasse pas la journée : c’est la carte postale, c’est l’écran de télévision, c’est le déplacement en province – voire subrepticement à l’étranger, sans qu’on le sache, pour des raisons de sécurité –, c’est une réforme annoncée qui ne sera peut-être pas réalisée ou qui sera contredite par les dures réalités de la vie. Nous le voyons aujourd'hui avec la crise économique que nous traversons.
Le temps du Parlement, c’est l’analyse des textes ; c’est leur évaluation ; ce sont les auditions, qui permettent la contre-expertise ; c’est la confrontation entre une majorité et une opposition qui, par leurs échanges, font vivre la démocratie ; c’est la délibération collective, qui permet de corriger, d’amender et d’améliorer la copie forcément imparfaite, monsieur le secrétaire d’État, du Gouvernement ; ce sont bien sûr les commissions qui débattent, hors la présence du Gouvernement, pour améliorer le texte, ce qu’elles font souvent, notamment sur des questions techniques très précises ; ce sont les débats publics dans l’hémicycle en présence du Gouvernement, les motions de procédure, la discussion générale.
Mais le temps du Parlement, c’est surtout le débat sur les articles et sur les amendements, qui constitue le cœur du travail législatif ; c’est le moment de l’interpellation et de la confrontation directe, sans filtre, entre le Gouvernement, la commission, la majorité, les oppositions, chacun étant placé devant ses responsabilités, voire devant ses contradictions et, en tout cas, devant ses contradicteurs.
C’est tout cela que vous voulez supprimer !
Sans Parlement, que serait la vie politique, sinon une suite de monologues ? Où aurait lieu la confrontation, dans la rue, comme ces jours derniers ? Monsieur le secrétaire d’État, est-ce réellement votre souhait, celui du Gouvernement, celui du Président de la République ? (Protestations sur certaines travées de l’UMP.)
La seule question qui vaille, mes chers collègues, c’est bien celle de la revalorisation de nos travaux, à laquelle ce projet de loi organique ne contribuera pas, bien au contraire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. J’ai écouté avec la plus grande attention notre collègue Jean-Pierre Michel défendre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Bernard Frimat. Et vous êtes convaincu !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Michel, vous pouvez être rassuré : en tout état de cause, ce projet de loi organique fera l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel.
Si j’excepte la critique du Président de la République, à laquelle nous avons eu le temps de nous habituer depuis cet après-midi, les quelques arguments que vous avez avancés me paraissent extrêmement faibles, voire inexistants.
M. Jean-Pierre Bel. Cela commence mal…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je m’en tiens à ce qui a été dit à l’appui de cette motion, et pas aux considérations annexes…
M. Jean-Pierre Bel. La parole est libre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, on peut dire ce que l’on veut sur n’importe quel sujet, mais les arguments avancés sont ce qu’ils sont.
L’encadrement de la durée des débats ne soulève pas de difficultés constitutionnelles. L’article 49 du règlement de l'Assemblée nationale avait d’ailleurs prévu un tel dispositif jusqu’en 1969. Le Conseil constitutionnel, qui avait été appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution de ce règlement au début de la Ve République, n’avait pas soulevé l’inconstitutionnalité de ce dispositif. Cet argument ne tient donc pas.
M. François Rebsamen. Le Président de la République n’était alors pas élu au suffrage universel !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Peu importe, cela n’a pas de rapport !
Quant à l’exercice du droit d’amendement, il découle de l’article 44 de la Constitution.
Monsieur Michel, en ce qui concerne l’inconstitutionnalité des autres dispositions du projet de loi organique, je vous donne raison seulement sur un point : les compétences accordées au Premier ministre ou au Gouvernement. Nous allons corriger le texte pour indiquer que les compétences sont bien celles du Gouvernement, comme le prévoit d’ailleurs la Constitution.
La commission émet donc un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je serai bref, car je me suis déjà en fait exprimé sur ces arguments tout à l’heure, en répondant aux orateurs.
Monsieur Michel, au début de votre intervention, vous avez reproché au Gouvernement d’avoir présenté un projet de loi organique sur le fonctionnement du Parlement qui n’évoquait pas certaines questions, comme l’ordre du jour partagé.
Je vous rappelle que cette disposition, tout comme celle qui est relative à l’examen en séance publique du texte élaboré en commission, est d’application automatique à compter du 1er mars prochain, sans qu’il y ait besoin d’une loi organique. Le Parlement disposera donc de ce pouvoir dans une quinzaine de jours.
Quant au reste de vos arguments, très franchement, il me semble que vous n’apportez en rien la démonstration de l’inconstitutionnalité de certaines dispositions. De plus, comme l’a rappelé le président Hyest, le Conseil constitutionnel sera automatiquement saisi du projet de loi organique. Par conséquent, nous disposerons de l’analyse qu’il fera de ce texte.
Je profite de cette discussion pour signaler au président Hyest – mais nous aurons l’occasion d’en débattre plus tard – qu’il me semble qu’une disposition pourrait être regardée de près par le Conseil constitutionnel, celle qui concerne la présence des membres du Gouvernement en commission lors du débat et du vote sur le projet de texte. Sur ce point, le Conseil constitutionnel précisera certainement sa position ; au besoin, nous nous adapterons.
Dans ces conditions, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Profitons du temps qui nous reste pour intervenir !
Le groupe CRC-SPG votera l’exception d’irrecevabilité que vient de présenter notre collègue Jean-Pierre Michel. Je souhaite rapidement appuyer sa démonstration par deux réflexions.
Premièrement, l’article 13 du projet de loi organique constitue une utilisation de la Constitution, et non pas son application. En effet, la Constitution n’oblige en rien à inscrire dans la loi organique des dispositions relatives au temps global de discussion, ce « 49-3 » parlementaire, cette autocensure du Parlement.
J’en veux pour preuve éclatante le fait que les groupes de travail chargés de réfléchir sur la réforme du règlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, n’ont, durant des semaines, nullement envisagé une telle disposition. C’est seulement avec la publication de l’avant-projet de loi organique que le débat s’est envenimé sur cette question.
La Constitution a été modifiée sur un point important : désormais, les amendements peuvent être adoptés en commission ou en séance publique. Rien n’empêche donc, selon la Constitution, des amendements en séance publique. On peut estimer que cette modification a pour but de favoriser la discussion en commission – nous ne le regrettons pas –, tout en respectant le droit constitutionnel de présentation de l’amendement, clairement affirmé par la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990.
La question était alors de savoir si un amendement présenté en commission ne pouvait plus être défendu en séance, comme il était alors proposé au titre d’une modification du règlement du Sénat. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé qu’une telle disposition ne respectait pas « l’exercice effectif du droit d’amendement ».
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’autorise qu’une seule chose : un amendement déposé et défendu en commission pourrait ne pas l’être en séance publique. Cette piste, qui avait été envisagée par certains, n’a pas été retenue : un amendement qui n’a pas été défendu en commission pourra tout de même l’être en séance publique.
L’article 13 du projet de loi organique est donc manifestement anticonstitutionnel puisqu’il ne respecte pas l’exercice effectif du droit d’amendement, principe qui conserve aujourd’hui toute sa valeur constitutionnelle, en ce qu’il empêcherait un amendement déposé en séance publique, et seulement en séance publique, d’être présenté.
Nous l’avons souvent entendu, le droit d’amendement de chaque parlementaire est imprescriptible et inaliénable, mais il doit également être effectif : l’amendement doit être présenté, débattu et soumis au vote, si des irrecevabilités n’ont pas été soulevées.
Deuxièmement, est-il envisageable que le règlement de l’Assemblée nationale, assemblée élue au suffrage universel direct, remette en cause le droit d’amendement en séance publique, alors que tel ne serait pas le cas au Sénat ?
Lors de son audition par la commission des lois pour préparer ce débat, le professeur Jean Gicquel a souligné, à deux reprises, l’impossibilité constitutionnelle qu’il y avait à envisager une différence entre les règlements des deux assemblées sur un point aussi crucial que celui du droit d’amendement.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Qu’il y ait des différents sur les demandes de suspension de séance, le débat de procédure ou la demande de quorum, soit ! Mais le droit d’amendement est au fondement même de l’exercice parlementaire. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est très clair !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le rapporteur, c’est gentil de nous rappeler que le projet de loi organique sera transmis au Conseil constitutionnel, mais cela n’avait pas échappé à notre vigilance. Nous savons aussi que le compte rendu intégral de nos débats sera lu par les membres du Conseil constitutionnel.
Mme Odette Terrade. Oh oui !
M. Bernard Frimat. Au reste, tout ce que nous dirons pendant ces quelques jours contribuera à mettre en évidence ce qui, dans ce texte, nous paraît soulever des problèmes de constitutionnalité.
J’ai rappelé dans la discussion générale que nous avions déjà eu une discussion similaire lors de l’examen du premier projet de loi organique présenté en toute fin d’année 2008. Or bien des dispositions sur lesquelles la commission et le Gouvernement nous avaient alors répondu « Circulez, il n’y a rien à voir ! » ont été censurées.
Le Conseil constitutionnel a également émis d’importantes réserves, ce qui rendra sans doute le découpage électoral un peu plus acceptable. Vous le voyez, monsieur Gélard, nous avons tout intérêt à débattre.
Pour l’instant, nous avons encore le droit de nous exprimer, et nous allons en user. J’interviens donc en vertu de notre actuel règlement, qui dispose qu’un représentant de chaque groupe peut expliquer son vote sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Un autre de mes collègues s’exprimera sur la motion tendant à opposer la question préalable. Las, le règlement nous rendra muets sur la motion tendant au renvoi à la commission.
J’en viens aux problèmes d’ordre constitutionnel.
Je ne reprendrai pas la démonstration de Josiane Mathon-Poinat, qui a pourtant ouvert un certain nombre de pistes. Pour ma part, je veux souligner que nous sommes tous d’accord pour reconnaître que le droit d’amendement est individuel. Telles sont en tout cas les dispositions de l’article 44 de la Constitution, qui est supérieur à la loi organique, selon la hiérarchie des normes.
Dans une assemblée parlementaire, appartenir à un groupe n’est pas obligatoire. Le fait qu’un parlementaire siège parmi les non-inscrits ne diminue donc en rien son droit de déposer des amendements. Mais de quel temps de parole disposera-t-il ?
Ce n’est pas le souffreteux article 13 ter, …
M. Bernard Frimat. … selon lequel il pourra exprimer son point de vue à l’issue du vote du dernier article du texte, qui réglera la question. Non, vraiment, c’est une plaisanterie !
Un parlementaire a le droit de présenter ses amendements. Comment peut-on l’enfermer dans un délai imparti ? À moins que cela ne signifie bien plutôt que le nombre d’amendements sera de facto limité ? Car, mes chers collègues, la simple mathématique vous oblige à conclure avec moi que, si l’on accorde « très généreusement » un quart d’heure à un sénateur non-inscrit, certes on ne limite pas formellement le nombre d’amendements qu’il peut déposer, mais on limite d’autant le temps dont il disposera pour défendre chacun de ceux qu’il aura déposés. Où est alors le respect de ce volet fondamental de la Constitution ?
Ce sénateur non-inscrit pourra donc déposer autant d’amendements qu’il le souhaitera. C’est son droit, dites-vous. Certes, et quel droit… Concrètement, en effet, il pourra en défendre quelques-uns, puis s’ensuivra un silence sépulcral, ou au contraire une forte agitation - pour ma part, je penche plutôt pour la deuxième hypothèse - et les autres amendements, certes tous déposés, monsieur le rapporteur, seront bons à mettre dans le formol !
Nous ne sommes pas une assemblée de clones ou de robots, nous avons des neurones et nous n’avons pas renoncé à penser, à comprendre, à convaincre et à être convaincus.
Nous avons tout de même le droit de penser que les positions que les uns et les autres adoptent ne leur sont pas dictées et que la force de conviction tient un rôle dans une assemblée.
Je pourrais citer de nombreux exemples de discussions dans lesquelles, bien que nous divergions au départ, nous sommes arrivés à convaincre ou à être convaincus à force de débattre. Eh bien, cela va être facile, quand nous n’aurons plus la possibilité de nous exprimer !
Voilà pourquoi l’article 13 du projet de loi organique est, pour nous, la négation de l’article 44 de la Constitution.
Ce n’est pas grave, car nous n’allons pas nous en servir, dites-vous. C’est un peu comme si quelqu’un vous braquait un fusil sur le ventre en vous disant : « N’ayez pas peur, il est chargé à blanc » !
Je n’insisterai pas davantage aujourd’hui, nous aurons ce débat mardi prochain. Mais est-ce respecter le droit d’amendement individuel que d’empêcher un parlementaire de défendre autant d’amendements qu’il le veut et donc d’en déposer autant qu’il le veut ? Pour nous, la réponse est non !
Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel tranchera et nous lirons sa décision avec grand intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 45, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je consulte le Sénat par scrutin public.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 110 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 149 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 25.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 183, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme constitutionnelle adoptée d’une très courte tête …
M. Jean-Pierre Bel. Laquelle ?
Mme Éliane Assassi. … par le Congrès du Parlement au mois de juillet 2008 …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À la majorité des trois cinquièmes, tout de même !
Mme Éliane Assassi. … exige pour son application l’adoption de nombreuses lois organiques.
L’ordre dans lequel sont présentés au Parlement les projets de loi organique en question est loin d’être anodin.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si le premier d’entre eux a été celui portant application de l’article 25 de la Constitution, car il concernait le retour des ministres au Parlement en cas de remaniement ministériel…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est important !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas non plus un hasard si le deuxième texte qui nous est présenté est celui qui met en cause, et de manière radicale, le droit d’expression des parlementaires, en particulier le droit d’amendement, par le biais de l’article 13.
Enfin, ce n’est toujours pas un hasard si, sur les trois dispositions qui nous sont présentées aujourd’hui, la première à entrer en vigueur est celle qui concerne la réduction du droit d’amendement en séance publique.
Vous l’aurez noté, mes chers collègues, les quelques modifications qui auraient été susceptibles de revaloriser un tant soit peu le rôle du Parlement – je pense, par exemple, au référendum d’initiative partagée – devront attendre encore un peu…
Il est également singulier que le Gouvernement ait déposé le présent texte, qui concerne l’organisation des travaux du Parlement, sans attendre les conclusions des groupes de travail mis en place à l’Assemblée nationale et au Sénat pour réfléchir précisément à la réécriture du règlement de chacune des deux assemblées.
Dans ces conditions, il est difficile de croire que vous voulez vraiment renforcer le rôle du Parlement. Quel manque de respect et de considération de la part de l’exécutif pour les parlementaires que nous sommes !
Les trois dispositions concernées par le présent texte sont censées restaurer les droits du Parlement et brider l’exécutif. Or c’est précisément l’inverse qui va se produire. Car, sous couvert de deux innovations, à savoir la nouvelle procédure des résolutions parlementaires et des études d’impact – elles restent toutefois de portée très mineure et ressemblent plus à des alibis pour mieux faire passer la troisième mesure –, vous vous attaquez frontalement au droit d’amendement des parlementaires pourtant « imprescriptible », selon l’expression du président du Sénat.
Je m’explique.
En premier lieu, concernant l’article 34-1 de la Constitution, si la possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolution peut apparaître de prime abord comme une avancée, à y regarder de plus près, on s’aperçoit vite qu’il s’agit d’un droit formel, singulièrement pour l’opposition. En effet, les conditions de mise en œuvre de cette nouveauté sont telles que l’on peut s’interroger sur la portée qu’auront réellement les résolutions adoptées.
Le Gouvernement ne sera entendu qu’à sa propre demande et, s’il estime que ladite résolution met en cause sa responsabilité ou contient une injonction à son égard, il pourra s’y opposer. Le poids du pouvoir exécutif est, convenez-en, quelque peu excessif.
En pratique donc, le Parlement ne débattra que des propositions de résolution acceptées par le Gouvernement, c’est-à-dire les plus inoffensives, celles qui ne contrarieront pas les projets gouvernementaux. Ces résolutions ne seront alors que de simples vœux.
On le voit, avec cette disposition, il n’y a aucune revalorisation du rôle du Parlement.
Quant à l’opposition, elle est a priori complètement écartée de ce dispositif. En l’occurrence, la démocratie n’a rien à gagner.
En second lieu, s’agissant de l’article 39 de la Constitution, là aussi, nous avons quelques craintes, et c’est peu dire.
Nous ne sommes pas opposés à ce que les projets de loi soient précédés d’un exposé des motifs, voire accompagnés d’une étude impact, mais nous avons des doutes sur les intentions réelles du Gouvernement en la matière.
Comment parler de valorisation du travail parlementaire alors que les projets de loi de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les révisions constitutionnelles, les lois de programmation, ne sont pas soumis à cette obligation d’étude d’impact ? Nous estimons en outre que le contenu de ces études doit être précisé et élargi. En tout état de cause, il s’agit là d’une avancée très marginale.
J’en viens à présent à l’élément majeur de ce projet de loi organique – ce pour quoi tout a été fait –, à savoir la possibilité d’instaurer un temps global de discussion des textes, qui met automatiquement en cause le droit d’amendement.
Le prétexte avancé à l’envi par la droite pour justifier une telle disposition est l’obstruction parlementaire.
Pour commencer, je dirai qu’élaborer une loi est un processus long. J’ai la faiblesse de penser que le temps du débat en séance publique est important ; c’est même, me semble-t-il, un gage de qualité pour le travail législatif.
Bien sûr, ce temps du débat parlementaire n’est pas celui du Président de la République, qui confond action et agitation. Il veut aller vite, très vite. Chaque jour est l’occasion d’une annonce, d’une conférence de presse. Il passe d’un sujet à l’autre, si bien que l’opinion publique ne peut même pas se rendre compte si ces annonces sont suivies d’effet, si elles sont efficaces et pertinentes.
À chaque fait divers sa loi : rappelez-vous les animaux dangereux, les mini-motos, les récidivistes, les maladies psychiatriques, et j’en passe.
En réalité, le Parlement croule sous les projets de loi, en session ordinaire comme en session extraordinaire. Nous sommes en pleine inflation législative et vous venez nous parler d’obstruction !
Savez-vous, par exemple, que, en matière de sécurité, nous avons adopté seize lois entre 2002 et 2008 et que pas moins de cinq nouveaux projets de loi sont annoncés ? Savez-vous qu’au cours de l’année parlementaire 2007-2008 cinquante-cinq textes de loi ont été adoptés définitivement, contre quarante-six en 2006-2007 ?
Force est de constater que, compte tenu du rythme auquel nous légiférons, la plupart du temps en procédure d’urgence, nous sommes loin, très loin de l’obstruction.
Citez-moi ne serait-ce qu’un seul texte qui n’aurait pas été définitivement adopté par le Parlement en raison de l’obstruction ? Vous ne le pouvez pas !
M. Jean-Pierre Bel. Bonne question !
Mme Éliane Assassi. Les seuls textes qui n’aboutissent pas sont les textes d’origine parlementaire dont le Gouvernement et sa majorité ne veulent pas.
Le véritable problème auquel nous sommes confrontés en tant que législateurs est le suivant : nous légiférons trop, toujours dans la précipitation, sans aucune étude d’impact, souvent à la suite de faits divers, sous le coup de l’émotion et dans l’urgence.
Il en résulte un empilement de textes souvent bâclés, inapplicables, voire inappliqués faute de décrets d’application. En 2007-2008, un quart seulement des dispositions réglementaires d’application des lois a été pris. Le taux d’application des lois adoptées selon la procédure d’urgence n’est que de 10 %. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Gouvernement ne publie pas les décrets.
Mme Éliane Assassi. Prouvez-le, monsieur Karoutchi !
Quelle peut être, dans ces conditions, la sécurité juridique ? Quelle lisibilité de la loi peut-on avoir ? Comment le citoyen lambda, qui est censé ne pas ignorer la loi, peut-il s’y retrouver ?
La dégradation du travail législatif va s’accentuer, demain, avec ce texte qui réduit le temps du débat, le temps d’examen des textes et le droit de les amender pour les améliorer.
La lutte contre l’obstruction n’est donc pas le vrai motif de cette réforme. Ce que vous voulez, c’est museler l’opposition parlementaire.
Ce qui vous gêne, lorsque l’opposition dépose beaucoup d’amendements sur un texte, c’est que les débats en séance publique se prolongent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Ce qui vous gêne, c’est que ce temps soit mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les aspects pernicieux de tel ou tel projet de loi et que celle-ci puisse alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfastes.
C’est ce qui s’est passé avec le CPE, le contrat première embauche. L’obstruction parlementaire n’a pas empêché la mise en place du CPE, puisque le texte a finalement été adopté. C’est bien l’opinion publique qui, alertée par les débats parlementaires, s’est saisie de la question et a fait reculer le Gouvernement.
Lorsqu’ils agissent ainsi, les parlementaires de l’opposition jouent pleinement leur rôle. Reconnaissez, chers collègues, que la mobilisation de l’opposition contre un texte peut parfois vous rendre service. C’est le cas, par exemple, lorsqu’au sein même de l’UMP se manifestent des divergences sur un texte gouvernemental. Je pense ici au projet de loi sur le travail le dimanche, qui a été reporté à l’Assemblée nationale grâce à la contestation de la minorité parlementaire.
De plus, lorsque vous étiez dans l’opposition, vous avez, vous aussi, usé du droit d’amendement, et c’est bien légitime : je pense notamment aux nationalisations, à l’école laïque, au PACS.
Pourquoi voulez-vous imposer un temps global, alors que la Constitution prévoit déjà des dispositions pour abréger nos débats : le recours aux ordonnances, les irrecevabilités des articles 40 et 41, le vote bloqué, la clôture de la discussion générale, l’article 49-3, sans oublier la spécificité du Sénat, mes chers collègues, à savoir la question préalable positive !
L’usage abusif de la procédure d’urgence – elle a concerné en 2007-2008 près de la moitié des projets de loi discutés par le Sénat – permet en outre à l’exécutif de gagner du temps en privant les assemblées d’une deuxième lecture.
Et, quand l’exécutif veut accélérer le processus législatif d’un texte qui n’est pas déclaré d’urgence, il demande au président de la commission saisie, lequel, en général, s’y plie, un vote conforme. N’est-ce pas précisément ce qui s’est passé l’an dernier pour la réforme constitutionnelle ?
J’ajoute que la discussion de la loi de finances pour 2008 a été la plus brève depuis plus de trente ans, sans doute à cause de la mise en place de la LOLF – la loi organique relative aux lois de finances –, dont les règles ont restreint les possibilités de déposer des amendements ; leur nombre a chuté de 25 % par rapport au précédent exercice.
On le voit, le vrai but de votre texte est non pas de lutter contre l’obstruction, mais de continuer à abréger davantage encore les débats publics, en bafouant le rôle des parlementaires, en réduisant leur droit d’amendement, en privilégiant le travail « discret » en commission au détriment de la séance publique, c’est-à-dire loin des citoyens et des journalistes, en dehors de toute transparence et de publicité des débats, bref en s’asseyant sur la démocratie…
Or la séance publique doit rester le lieu naturel du débat politique, de la confrontation des idées, de l’expression démocratique, et ce dans la plus grande transparence. C’est ce qu’attendent les citoyens de leurs parlementaires.
En réalité, cette réforme institutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy a été faite avant tout pour permettre au Président de la République de s’exprimer devant les deux assemblées réunies en Congrès et pour museler les parlementaires.
Car M. Sarkozy veut décider de tout, et tout contrôler. Ne se prend-il pas régulièrement pour le Premier ministre ? Ne fait-il pas les annonces importantes à la place des ministres ou des secrétaires d’État ? Surtout, il ne supporte pas les contre-pouvoirs.
D’où la réforme de l’audiovisuel public, qui marque le renforcement de l’emprise du Président de la République sur la télévision publique, menaçant ainsi l’autonomie de cette dernière, sans oublier les menaces sur la liberté de la presse.
D’où l’annonce de la suppression du juge d’instruction, faite par Nicolas Sarkozy en personne, pour éviter des enquêtes gênantes, ainsi que les atteintes récurrentes à l’indépendance de l’autorité judiciaire.
D’où la réforme du travail législatif, qui va accentuer le poids déjà excessif de l’exécutif par rapport au législatif et porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Deux exemples sont à cet égard très évocateurs : la présence du Gouvernement en commission et la possibilité accordée au Président de la République de s’exprimer devant les parlementaires réunis en Congrès.
Depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, nous assistons à une évolution de nos institutions vers une hyper-présidentialisation de notre régime, déjà renforcée par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
Pour compléter le tableau du projet de société que veut Nicolas Sarkozy, il convient d’ajouter la réforme des territoires, dont le but est de supprimer certains échelons démocratiques gênants pour le pouvoir en place. Les communes, les départements, les régions sont des lieux de contre-pouvoir qu’il faut contrôler, d’autant plus qu’ils se situent majoritairement à gauche.
En résumé, le projet de loi organique tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire dévouée, dans un pays où il n’y aurait plus de contre-pouvoirs ni de contestation sociale – atteinte au droit de grève, criminalisation de l’action syndicale et militante, etc.
Pour conclure, tout ce que nous craignions à l’époque de la révision constitutionnelle est en train de se produire, toutes les critiques que nous avions formulées se vérifient aujourd’hui : bref, le scénario catastrophe est en marche !
Avec cette motion tendant à opposer la question préalable qu’au nom de mon groupe je vous demande d’adopter, mes chers collègues, vous pouvez mettre un coup d’arrêt à cette évolution dangereuse de nos institutions et à ses conséquences : un bipartisme renforcé, une hyper-présidentialisation du régime, une démocratie bafouée.
Comment espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? Qu’en sera-t-il demain de notre pacte républicain ? Une démocratie où la parole des parlementaires est contrainte, voire interdite, mérite-t-elle encore son nom ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Bravo !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’un des enjeux de la révision constitutionnelle, dont la loi organique est la conséquence, est la revalorisation de la séance publique.
Je vous rappelle le constat que faisaient, le 30 janvier 1990, MM. Henri de Raincourt, Guy Allouche et Gérard Larcher dans un rapport : les parlementaires « se sentent trop souvent exclus d’une mission législative devenue trop foisonnante, de débats hermétiques de techniciens et de spécialistes, alors que la séance devrait être le lieu du choix des orientations politiques fondamentales ».
Force est de constater que, près de vingt ans plus tard, la situation n’a pas changé…
M. Jean-Pierre Bel. C’est le problème !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …et s’est même aggravée. La commission des lois, sous la conduite de nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet, a pu observer à l’occasion de très nombreux déplacements dans les parlements des autres pays européens que le temps consacré à la procédure législative était souvent mieux maîtrisé chez nos voisins.
L’un des moyens choisis par la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier pour redynamiser la séance publique est de permettre que la discussion en séance s’engage sur le texte élaboré par la commission saisie au fond. En effet, le débat pourra porter en séance publique sur les questions de fond, puisque, a priori, les questions techniques soulevées par le texte auront été traitées dans le texte proposé par la commission.
Bien sûr, il reste une question récurrente : faut-il encadrer le temps de la discussion en séance ? La loi organique n’ouvre à cet égard qu’une simple faculté. Le Sénat ne s’orientera pas dans cette voie, comme l’a encore confirmé le président Gérard Larcher à l’ouverture de notre discussion.
La commission des lois est convaincue que nous devons organiser nos travaux législatifs dans la recherche du plus grand accord entre les groupes et dans le respect de l’autonomie de chaque assemblée, contrairement à ce que pense notre collègue Jean-Pierre Michel, d’ailleurs.
Le projet de loi organique ne fait qu’ouvrir des options que, s’agissant de l’article 13, le Sénat ne compte pas utiliser.
La commission vous propose donc de poursuivre la discussion du projet de loi organique et émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement est naturellement défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je voudrais en finir une bonne fois pour toutes avec la rumeur, qui circule à l’Assemblée nationale comme au Sénat, concernant le taux d’application des lois.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas une rumeur !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je renvoie l’ensemble des parlementaires au site internet Légifrance. Ils pourront constater qu’au 31 décembre 2008, dans un délai de six mois après la promulgation des lois, 75 % des décrets d’application ont été publiés. Pour les textes déclarés d’urgence, ce taux est même de 95 % !
Je souhaiterais que cette vaine querelle de chiffres cesse. Consultez le site officiel Légifrance et vous constaterez que nous sommes très loin des pourcentages que vous avancez.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce qui est écrit dans le rapport du Sénat sur l’application des lois !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mettre l’accent sur deux arguments forts qui ont été développés par Mme Éliane Assassi.
Le premier m’a véritablement frappé et je pense qu’il peut nous frapper tous.
Nous sommes ici pour débattre du temps de parole global des parlementaires. Or, si nous nous tournions vers le pouvoir exécutif, nous constaterions que le Gouvernement et, plus encore, le Président de la République font un usage de la parole…
Mme Odette Terrade. Immodéré !
M. Jean-Pierre Sueur. … sans précédent. Tous les jours, absolument tous les jours,…
M. Bernard Frimat. Et toutes les nuits ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. … de manière interminable, nous entendons la parole du Président de la République. (M. le secrétaire d’État s’exclame.)
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Vous êtes comme Jeanne d’Arc ! Vous entendez des voix !
M. Jean-Pierre Sueur. Je le dis avec objectivité, monsieur le secrétaire d’État, monsieur Gélard, nous ne cessons d’entendre la parole du Président de la République.
M. Pierre Hérisson. Je vous rappelle qu’il a été élu et qu’il est dans son rôle !
M. Pierre Fauchon. En plus, vous n’êtes pas obligé de l’écouter !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne contestons pas au Président de la République le droit de s’exprimer ; nous demandons simplement à bénéficier de la possibilité de lui répondre dans des proportions harmonieuses et appropriées, ce dont nous sommes très loin aujourd'hui.
Tous les jours, nous entendons cette parole proliférante.
Récemment, écoutant l’entretien télévisé accordé par le Président de la République à des journalistes, j’ai véritablement sursauté en entendant sa réponse sur l’audiovisuel.
D’abord, il a affirmé qu’il n’y aurait aucun problème, puisque le président de l’audiovisuel serait nommé non pas par le Président de la République, mais par le Gouvernement.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Oui ! En conseil des ministres !
M. Jean-Pierre Sueur. Sauf que le conseil des ministres est présidé par le Président de la République et que c’est ce dernier qui signe le décret de nomination !
Ensuite, le Président de la République a expliqué que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, s’exprimerait, puis que les parlementaires membres des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat devraient donner leur accord à la majorité des trois cinquièmes.
Or, mes chers collègues, vous savez toutes et tous que c’est faux ! En vertu du dispositif qui a été adopté, la majorité des trois cinquièmes est requise pour s’opposer à la nomination souhaitée par le Président de la République, ce qui est totalement différent.
Devant mon poste de télévision, j’espérais que M. David Pujadas, journaliste sur une chaîne publique, ferait au moins une remarque !
Mme Odette Terrade. Que nenni !
M. Jean-Pierre Sueur. Il n’a rien dit !
Lorsque le Président de la République s’exprime et dit que la loi est comme cela, personne ne répond, même si c’est faux ! Et la parole présidentielle se propage ainsi…
Pour ma part, je pense que c’est une caricature de démocratie. Il y a beaucoup de pays démocratiques où l’on ne verrait pas de telles pratiques.
Il en est de même quand le Président de la République parle de la TVA : cela crée un problème, mais cela ne fait rien, car le lendemain, il parlera du secteur automobile, en espérant que l’on arrêtera d’évoquer la TVA. Sauf que justement, on continuera à en débattre… Qu’à cela ne tienne, le surlendemain, il se rendra en Irak.
J’ignore ce qu’il dira ou fera demain, mais peu importe : la méthode est celle du déséquilibre systématique, la polémique de la veille étant éteinte par la nouvelle polémique du jour, et c’est cela qui pose problème.
Monsieur le secrétaire d’État, au lieu de passer nos jours et nos nuits à nous interroger sur le temps de parole des parlementaires, nous serions, me semble-t-il, mieux inspirés de réfléchir un peu à la disproportion qui existe aujourd'hui entre la parole de l’exécutif et la parole du législatif. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
M. François-Noël Buffet. Tout cela n’a aucun rapport avec le sujet d’aujourd'hui ! C’est du verbiage !
M. Jean-Pierre Sueur. J’en viens à mon autre argument. (M. le secrétaire d’État s’exclame.) Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, le Parlement, cela sert à argumenter. Rassurez-vous, ce sera mon second et donc mon dernier argument !
Monsieur le secrétaire d’État, depuis le début du débat, nous vous avons toujours posé la même question, et toujours en vain. Il serait bon, à ce stade, que vous nous apportiez une réponse, faute de quoi il y aurait là, à mon sens, un argument supplémentaire très fort en faveur de l’adoption de la question préalable.
En plus, cela raccourcirait les débats, conformément sans doute au souhait de tous ceux de nos collègues qui ne sont ici présents ce soir que pour que la majorité ait la majorité ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Nous voulons savoir comment vous pouvez justifier le fait de limiter la possibilité pour les parlementaires de présenter des amendements, de les défendre, d’expliquer leur vote et d’entendre l’avis de la commission et du Gouvernement, possibilité qui, de notre point de vue, est consubstantielle, pour reprendre les termes du président Gérard Larcher, à l’activité parlementaire.
Il ne faut pas installer de limitations de temps artificielles, dont chacun voit qu’elles sont en contradiction avec le droit de déposer des amendements, de les défendre, d’en débattre et de les voter.
Tout le monde ici, je crois, comprend qu’il y a une contradiction. D’un côté, chaque parlementaire a le droit de déposer des amendements, d’en discuter et d’expliquer son vote. De l’autre, les articles 13, 13 bis et 13 ter fixent un contingent et chaque parlementaire devra entrer dans ce contingent. Cela ne marche pas, vous le savez tous, d’ailleurs ! Et, comme tout le monde voit cette contradiction, il y a évidemment un malaise.
Si nous voulons un débat au fond, il faut réécrire cet article 13. Or M. le rapporteur a déclaré d’emblée qu’il n’était pas question d’y toucher. Pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas qu’il y ait un deuxième débat, après celui de l’Assemblée nationale, sur les articles 13, 13 bis, 13 ter, qui doivent rester en l’état. C’est véritablement inacceptable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En quoi est-ce inacceptable ? Nous sommes libres de faire ce que nous voulons !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une question de démocratie, monsieur le rapporteur ! Nous ne pouvons accepter que certains prétendent défendre le droit d’amendement tout en l’enfermant dans des contingents n’ayant aucune raison d’être.
Pour nous, la situation est claire : nous porterons le débat au fond sur ces différents articles. Et, tant que vous n’aurez pas apporté de réponse à notre question, nous le dirons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais peut-être vous surprendre un peu.
Bien entendu, je ne voterai pas la motion tendant à opposer la question préalable.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cela ne nous surprend pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous le savions déjà !
M. Pierre Fauchon. Je souhaite en effet que nous puissions discuter des différents articles. Or, si cette motion était adoptée, nous n’aurions pas ce bonheur. Un tel débat m’intéresse et je ne souhaite pas en être privé. C’est pourquoi je ne voterai pas cette motion.
Pour autant, je ne dis pas que ce texte ne pose pas de problème ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC-SPG.) En l’occurrence, je pense qu’il soulève effectivement des difficultés. Notre ami Jean-Pierre Sueur vient d’en souligner une avec son talent habituel ; ce qu’il dit est toujours très intéressant.
Je ne vous le cache pas, monsieur le secrétaire d’État, je suis embarrassé. J’aimerais vous interroger sur la disposition selon laquelle les règlements des assemblées peuvent instituer une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance.
Dans un premier temps, je pensais que, une fois le délai global arrivé à expiration, les amendements déposés par les membres du Parlement pourraient être mis aux voix sans discussion. En d’autres termes, je pensais qu’ils pourraient être présentés, à défaut d’être discutés. Mais, à la lecture du rapport déposé par notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, je me suis aperçu que ces amendements ne seraient même pas présentés.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est le silence !
M. Pierre Fauchon. C'est comme s’ils n’existaient pas !
Dès lors, je ne pense pas que le problème principal soit celui du temps et je ne comprends pas pourquoi, chers amis, vous vous fixez sur cette question et y revenez en permanence.
Certes, il peut être raisonnable de réduire la durée des débats. Dans nos réunions de groupe, lorsqu’un orateur s’exprime trop longuement le président de groupe l’incite à abréger. Il vaut mieux éviter de passer des jours et des nuits sur le même texte.
Non, le temps n’est pas le problème principal. Le problème principal tient au fait que des amendements vont « passer à la trappe » parce qu’un délai fixé a priori sera arrivé à expiration. Tant mieux pour les amendements qui auront déjà été présentés, tant pis pour les autres !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous risquez d’en être victime vous-même, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon. À mon sens, il y a là un véritable problème.
Certes, il existe le vote bloqué. Dans ce cas, on procède à un vote d’ensemble. Mais attention ! Conformément à une décision du Conseil constitutionnel, lorsque le Gouvernement décide de recourir à cette procédure, l’ensemble des amendements sont tout de même présentés, examinés et discutés, même s’il n’y a qu’un seul vote sur l’ensemble.
Par conséquent, je pense que nous sommes confrontés à une véritable difficulté et je souhaite que nous y réfléchissions. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 25, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je consulte le Sénat par scrutin public.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 111 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 137 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°46, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 183, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la motion.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en application de l’article 44 du règlement du Sénat, j’ai l’honneur de défendre, au nom du groupe socialiste, une motion tendant au renvoi à la commission de ce projet de loi organique.
Mes chers collègues, malgré les explications apportées par M. le secrétaire d'État, je vais m’efforcer de vous convaincre que ce texte, mal ficelé, est dangereux et va dans le sens d’un Parlement et d’une opposition muselés.
Nous souhaitons tous un rééquilibrage de nos institutions et le renforcement des pouvoirs du Parlement pour que ce dernier redevienne influent, en remplissant le mieux possible ses missions naturelles que sont le contrôle du Gouvernement, l’amélioration de la loi et l’organisation du débat public.
La Constitution, révisée en juillet dernier, n’est pas une loi comme les autres. Elle n’appartient ni à la droite ni à la gauche. Elle appartient à chacun d’entre nous. Elle est notre loi fondamentale et régit, au-delà des partis et des alternances, le fonctionnement de notre République.
En conséquence, toute révision devrait se faire en réelle concertation avec l’opposition pour obtenir un texte consensuel. Tel n’a pas été le cas, chacun s’en souvient.
On ne peut pas dire non plus, au travers de la première lecture de ce projet de loi organique à l’Assemblée nationale, que cette concertation ait eu lieu. Il suffit de voir avec quel mépris et quelle arrogance ont été traités nos collègues députés socialistes.
Au début de l’été dernier, dans tous les médias, le Gouvernement présentait le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République comme la réforme qui allait rééquilibrer nos institutions, en renforçant les pouvoirs du Parlement, notamment ceux de l’opposition.
Or, au travers du texte que nous examinons aujourd’hui, les Français vont pouvoir se rendre compte de la supercherie et ouvrir les yeux sur les intentions initiales du Gouvernement et de sa majorité.
Ils constateront que nous étions fondés, dès l’origine, à dénoncer votre réforme constitutionnelle et son objectif annoncé, mais trompeur, de donner plus de pouvoirs au Parlement.
En effet, quelles ont été, en définitive, les avancées en faveur du Parlement, hormis quelques mesures favorables pour l’essentiel au parti majoritaire et dont la portée reste mineure au regard de ce que devrait être une grande avancée démocratique en matière de droits du Parlement ?
Nous continuons donc d’affirmer – et ce projet de loi organique confirme notre avis – que, loin de revaloriser les droits du Parlement, cette réforme a encore accentué les déséquilibres institutionnels au profit du Président de la République, en lui offrant, dans notre loi fondamentale, la possibilité nouvelle de dicter ses projets directement au Parlement et en plaçant ce dernier de facto dans une situation de soumission institutionnelle.
Dans le prolongement des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet dernier, et pour vous prouver les dangereuses dérives que le présent projet de loi organique tend à valider, j’aborderai succinctement les grandes mesures contenues dans les trois principaux chapitres.
Le chapitre Ier, qui regroupe les dispositions de caractère organique, précise les modalités d’application du nouvel article 34-1 de la Constitution aux termes duquel « les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique ».
Que va apporter aux parlementaires ce prétendu nouveau pouvoir ?
La possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolution honore la fonction tribunitienne qu’ont toujours exercée les assemblées représentatives dans les régimes démocratiques.
Néanmoins, les conditions de recevabilité de l’exercice de cette fonction figurant à l’article 1er sont telles que les chances de mise en débat des propositions de résolution présentées par les groupes d’opposition sont quasi inexistantes.
Ainsi, le Premier ministre dispose d’un droit de veto sur le sort des résolutions. De plus, il peut exercer cette prérogative de façon arbitraire, car aucune obligation de motivation de la décision du Gouvernement ne s’impose.
Autre exemple, si la proposition de résolution déposée par un parlementaire doit être transmise sans délai par les présidents de l’Assemblée nationale ou du Sénat au Premier ministre, ce dernier n’est tenu à aucun délai strict pour y répondre.
L’article 2 prévoyait initialement que le président de l’assemblée concernée renvoyait les propositions de résolution à l’une des commissions permanentes et qu’il les transmettait sans délai au Premier ministre.
L’Assemblée nationale a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement visant à supprimer cette disposition. Une telle suppression, en contradiction totale avec la volonté de revaloriser le travail des commissions, est inadmissible ! Comme chacun de nous peut en attester, les débats en commission sont destinés non pas à reproduire les discussions de la séance publique, mais à améliorer le texte de la proposition de résolution et à chercher des points d’accords avec tous les groupes.
Quant à l’article 3 de ce texte, nous nous interrogeons sur la portée réelle des résolutions qui seront adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu, en l’espèce, qu’à sa propre demande et, surtout, qu’il pourra s’opposer à tout moment à l’examen d’une proposition de résolution qui, à son avis, serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou contiendrait une injonction à son égard.
Autant dire que, concrètement, nous n’aurons à connaître et à débattre que des seules propositions de résolutions agréées par le Gouvernement, ou de celles que ce dernier juge assez inoffensives pour ne pas contrarier ses propres plans ou troubler l’opinion publique.
Est-ce là œuvrer dans le sens du renforcement des pouvoirs du Parlement et, singulièrement, des pouvoirs de l’opposition ? Il est permis d’en douter. Disons même qu’il faudrait être bien naïf pour le croire !
Toujours sur cet article 3, plusieurs points mériteraient d’être approfondis en commission : pourquoi existe-t-il une inégalité de traitement entre le Gouvernement et le Parlement, l’avis du Premier ministre n’étant enfermé dans aucun délai, contrairement à l’assemblée saisie ? Pourquoi le Premier ministre n’est-il pas obligé de motiver sa décision ? Pourquoi aucun recours n’est-il possible ?
Abordons maintenant le chapitre II de ce projet de loi organique, qui rassemble les mesures visant les nouvelles dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 39 de la Constitution, c’est-à-dire les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi.
Accompagner le dépôt du projet de loi d’études d’impact dans le but de maîtriser l’inflation législative et d’améliorer le processus législatif est une intention tout à fait louable.
Toutefois, nous restons sceptiques quant à la réalisation des objectifs. Nombre de questions fondamentales restant en suspens mériteraient d’être étudiées plus attentivement en commission : ainsi, qui procèdera à ces évaluations ? Quelle sera leur indépendance ? Toutes les évaluations seront-elles possibles ?
L’inventaire des catégories de projets de loi pour lesquels le dépôt de documents d’évaluation n’est pas obligatoire a été amélioré par l’Assemblée nationale, mais nous ne voyons aucune raison d’exclure les projets de loi constitutionnelle.
Enfin, venons-en au chapitre III, le plus controversé de ce projet de loi, chapitre qui concerne les dispositions organiques relatives à l’application du premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, à savoir les modalités d’exercice du droit d’amendement.
Que dire de ce chapitre hormis le fait qu’il apporte la preuve incontestable de la volonté du Gouvernement de museler l’opposition ?
Le droit d’amendement, droit intrinsèque à la fonction parlementaire en France, est aujourd’hui la forme principale du droit d’initiative.
L’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, car il permet à l’opposition de présenter ses contre-propositions, sans que cela retarde le programme de travail de la majorité. C’est un droit individuel, qui reste, dans le principe, libre et illimité. Chaque sénateur peut l’exercer en son nom propre, en sa qualité de représentant de la nation. Il représente pour l’opposition le moyen d’informer et d’alerter l’opinion.
Ce droit est néanmoins encadré par des dispositions constitutionnelles et réglementaires inspirées du « parlementarisme rationalisé ». Les plus importantes d’entre elles portent sur la recevabilité financière et sur la recevabilité législative.
Le chapitre III du projet de loi organique regroupe les dispositions prises en vertu de l’article 44 de la Constitution. Ainsi, l’article 11 dispose : « Les amendements des membres du Parlement cessent d’être recevables après le début de l’examen du texte en séance ».
On retrouve dans les règlements des assemblées des dispositions fixant un délai limite et les conditions d’irrecevabilité ou les dérogations possibles des amendements.
Une dérogation à cette règle est prévue : les règlements des assemblées peuvent fixer une date antérieure à compter de laquelle les amendements ne sont plus recevables.
Le Gouvernement peut, quant à lui, déposer des amendements à tout moment, demander un nouveau vote sur un article si un amendement est adopté contre sa volonté.
Dans le même esprit, le Gouvernement peut s’opposer à la discussion des amendements qui n’ont pas été soumis à la commission saisie au fond.
Cette arme de procédure n’est généralement pas utilisée, mais, au total, elle témoigne du déséquilibre entre, d’une part, les droits consentis aux sénateurs, notamment à ceux de l’opposition, et, d’autre part, les droits dévolus au pouvoir exécutif.
Le problème, c’est que, au lieu de proposer de rééquilibrer les droits consentis aux parlementaires au travers de ce projet de loi organique, vous accentuez le déséquilibre avec les dispositions de l’article 11 et, de manière encore plus inadmissible, avec celles de l’article 13.
En effet, dorénavant, un amendement pourra être mis aux voix sans discussion, au nom du respect des délais préalablement fixés pour l’examen d’un texte.
Si la procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance publique est votée, les amendements déposés par les membres du Parlement pourront être mis aux voix sans discussion.
Avec le présent texte, la procédure du crédit temps va tarir le débat et transformera les assemblées en chambre d’enregistrement, puisque le débat sera verrouillé à l’avance. Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre son amendement et, lorsqu’un amendement appelé ne sera pas défendu, il n’aura aucune chance d’être adopté.
La liberté de discussion parlementaire est incompatible avec le concept de forfait temps.
Le temps du Président de la République, celui des annonces quotidiennes, ne peut être celui du Parlement, qui examine, contrôle, évalue, auditionne, amende.
Pour contrer les objections de l’opposition et pour justifier vos dispositions, vous agitez l’épouvantail de l’obstruction ! Selon les responsables de la majorité, les amendements déposés par la gauche seraient responsables de « la pagaille » qui sévirait au Parlement et « risquerait de bloquer le rythme des réformes » !
Si le Président de la République regrette que les parlementaires socialistes « déposent des amendements à la brouette », il devrait, pour sa part, renoncer à faire déposer à la vitesse supersonique des projets de loi mal rédigés et incomplets !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis la prise de fonction du gouvernement de François Fillon, plus de 70 textes de loi ont été votés, hors projets relatifs à des conventions internationales.
La comparaison de ces chiffres avec ceux qui ont été enregistrés au cours des deux précédentes législatures donne une idée du rythme effréné des textes soumis au Parlement : 52 textes par an de 1997 à 2002 et une moyenne de 47 entre 2002 et 2007. Où est donc l’obstruction qui nous est reprochée ?
En revanche, on est en droit de s’interroger sur cette frénésie législative, sur son efficacité, quand on sait qu’à peine 25 % des lois votées sont mises en œuvre !
Je crois personnellement, mes chers collègues, que, pour faire une loi bonne, juste et équilibrée, il faut du temps.
De plus, contrairement aux affirmations de la majorité, les parlementaires n’abusent pas de leur droit d’amendement. Depuis 1981, seuls 30 textes sur 1 518 adoptés ont enregistré plus de 1 000 amendements.
Enfin, en proposant le vote conforme des articles 13, 13 bis et 13 ter au motif « que si la détermination de délais pour l’examen des textes en séance ne devrait pas trouver d’application au Sénat, il n’appartenait cependant pas à celui-ci de priver l’Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement à ces dispositions dans le cadre des garanties fixées par la loi organique », la commission des lois pose un postulat, préjuge de l’avenir sans apporter aucune garantie et clôt définitivement la discussion.
La commission des lois a pris le parti de fermer le débat au fond sur les dispositions essentielles du présent projet de loi organique, qui portent gravement atteinte au droit constitutionnel d’amendement.
En faisant ce choix, la commission des lois n’a pas permis d’éclairer suffisamment le débat sur les conséquences de la création du « temps global » sur l’exercice du droit d’amendement.
Vous le voyez, les désaccords entre l’opposition et la majorité sont profonds et justifient un débat.
La commission des lois n’a pas été au bout de sa réflexion concernant plusieurs dispositions que je viens de détailler, comme vient d’ailleurs de le souligner notre collègue Pierre Fauchon.
Aussi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter la présente demande de renvoi à la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’intervention de Mme Nicole Bonnefoy contenait un certain nombre d’éléments critiques sur le projet de loi, et, à la fin, des arguments en vue du renvoi à la commission.
Je rappelle que j’ai procédé à l’audition de tous les présidents de groupe et de commission, auditions ouvertes à tous les membres de la commission des lois.
La commission, dans son ensemble, a auditionné, ce qui est rare, cinq éminents constitutionnalistes.
M. Bernard Frimat. Quatre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le cinquième n’était-il pas éminent ?
M. Bernard Frimat. Il n’est pas venu ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, quatre constitutionnalistes, c’est déjà pas mal ! D’habitude, on sollicite toujours les deux mêmes. Là, en plus, nous avons renouvelé le cheptel (Sourires.), …
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle audace ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … ou plutôt l’offre !
Enfin, dans le cadre d’une audition élargie à tous les sénateurs, nous avons entendu le 4 février dernier le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, M. Roger Karoutchi, qui nous a consacré plus de deux heures …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … et qui a répondu à l’ensemble des questions, sur tous les sujets.
La commission est donc complètement éclairée sur la question du « crédit-temps », d’autant que ce dispositif a longtemps été pratiqué par les députés, non seulement sous la Ve République, mais aussi sous la IIIe République et sous la IVe République.
Ma chère collègue, un nouvel examen en commission ne me semble pas de nature à modifier l’appréciation que l’on peut faire de ce dispositif.
À mon grand regret, j’émets donc un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 46, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 112 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l’adoption | 138 |
Contre | 184 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la séance du jeudi 12 février 2009, à neuf heures trente.
9
Transmission d'un projet de loi
M. le président. J’ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 207, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques.
10
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget rectificatif n° 2 au budget général 2009 État des dépenses par section Section III Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4243 Annexe 2 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil définissant la position à adopter au nom de la Communauté européenne, en ce qui concerne les propositions de modification des annexes A, B et C de la convention de Stockholm, lors de la quatrième conférence des parties (4-8 mai 2009).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4263 et distribué.
J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Conseil relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-4264 et distribué.
11
Dépôt de rapports d'information
M. le président. J’ai reçu de MM. Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur les conditions financières et industrielles de mise en œuvre du programme A400 M.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 205 et distribué.
J’ai reçu de Mme Christiane Demontès et M. André Lardeux un rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de la commission des affaires sociales sur l’amélioration des dispositifs de contrôle et d’audit internes du réseau des caisses d’allocations familiales et la mise en place du répertoire national des bénéficiaires.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 206 et distribué.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 11 février 2009 :
À dix heures trente :
1. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’attribution de fréquences de réseaux mobiles, conformément à l’article 22 de la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs
À quinze heures et, éventuellement, le soir :
2. Suite de la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées, présentée par M. Laurent Béteille (n° 31, 2008-2009).
Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 161, 2008 2009).
3. Proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées, présentée par Mme Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 176, 2008 2009).
Rapport de M. Charles Gautier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 197, 2008-2009).
4. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant création d’une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants (n°146, 2008-2009).
Rapport de M. Jean-Claude Etienne, fait au nom de la commission des affaires culturelles (n° 198, 2008-2009).
Avis de M. Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 199, 2008 2009).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 11 février 2009, à zéro heure cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD