Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston, sur l'article.
M. Michel Teston. Nous abordons l’examen d’un article essentiel du projet de loi. Les dispositions relatives au transport des marchandises constituent en effet la traduction de l’objectif, fixé dans le cadre du Grenelle de l’environnement, d’accroître la part du fret non routier de 25 % d’ici à 2012.
Le texte donne la priorité aux modes de transport alternatifs à la route, à savoir le transport ferroviaire, la voie maritime et le réseau fluvial. Il est prévu, en conséquence, de concentrer les investissements dans ces domaines. Un équilibre entre tous les modes de transport de marchandises non routiers doit, bien évidemment, être recherché.
S’agissant plus particulièrement des dispositions relatives au transport ferroviaire, le projet de loi prévoit que la régénération des réseaux fera l’objet d’investissements importants – 400 millions d’euros supplémentaires par an par rapport au plan actuellement en vigueur – et que la priorité sera donnée à l’existant. Nous aurions souhaité que cela soit affirmé avec plus de force encore, mais vous venez, mes chers collègues, de rejeter l’amendement n° 276, dont c’était l’objet.
Si chacun s’accorde sur la nécessité de privilégier les investissements en faveur des transports maritimes, fluviaux et ferroviaires, il faut rappeler qu’une politique volontariste est indispensable et que l’incantation ne suffit pas.
Les besoins de financement sont énormes pour maintenir la qualité d’un réseau dont une partie est en mauvais état. L’audit réalisé en 2005 par l’École polytechnique fédérale de Lausanne concluait que, selon un scénario optimal, 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pendant vingt ans seraient nécessaires pour « aboutir à un coût moyen annuel de maintenance qui soit minimal à long terme tout en garantissant un réseau de qualité ».
L’objectif de financement de 400 millions d’euros supplémentaires par rapport à celui qui avait été arrêté dans le plan de renouvellement 2006-2010 reste donc inférieur à celui qui avait été préconisé dans le scénario optimal proposé par les experts de l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
Il est en outre nécessaire, bien évidemment, de mener une politique tout aussi volontariste dans les domaines du transport fluvial et du transport maritime.
Dans cette perspective, le groupe socialiste a déposé plusieurs amendements visant à améliorer le texte.
Premièrement, nous proposons d’inscrire dans la loi un objectif de transfert de 50 % du trafic vers le transport non routier, qui témoignerait d’une réelle volonté de faire évoluer le transport de marchandises.
Deuxièmement, nous souhaitons rappeler que la régénération du réseau ferré relève de la compétence de l’État et que l’intervention éventuelle des régions ne saurait être que complémentaire, ces dernières n’ayant ni cette vocation ni, bien souvent, la possibilité de supporter de nouvelles charges.
Troisièmement, nous demandons la mention expresse dans la loi de la mise en œuvre d’une politique d’investissement spécifique au transport ferroviaire.
Quatrièmement, nous souhaitons que le produit de l’éco-redevance soit réservé aux modes de transport alternatifs à la route, étant précisé que tant l’AFITF que l’État pourront continuer à financer certains investissements routiers restant à réaliser pour désenclaver des territoires où les réseaux ferroviaires sont inexistants ou inadaptés.
Cinquièmement, nous demandons l’identification d’un réseau fret qui fera l’objet d’investissements importants.
Au-delà de ces propositions plus particulièrement axées sur le transport ferroviaire, notre groupe défendra également des amendements visant à donner aux transports fluvial et maritime toute leur place dans le développement du fret non routier. (M. Roland Courteau applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. René Beaumont, sur l'article.
M. René Beaumont. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne m’intéresserai pour ma part qu’au paragraphe V de l’article 10, qui porte sur les voies fluviales. Cela ne surprendra personne ! (Sourires.)
La rédaction actuelle de l’article 10 me semble quelque peu contradictoire avec la volonté pourtant clairement exprimée par le Président de la République, et reprise par le Grenelle de l’environnement, d’augmenter de 25 % la part du fret non routier d’ici à 2012. Sa lecture donne en effet à penser que ce transfert ne pourra se faire qu’au profit du rail. L’accent n’est pas suffisamment mis sur la multimodalité, qui n’est d’ailleurs évoquée que sous sa déclinaison rail-route. Il serait pourtant nécessaire de développer les plates-formes multimodales rail-route-fleuve !
M. Bruno Sido, rapporteur. Sans oublier les autoroutes de la mer !
M. René Beaumont. Il n’est pas non plus question du maillage du réseau fluvial, alors que c’est pourtant un point essentiel. En effet, la structure actuelle de notre réseau fluvial à grand gabarit implique que, pour l’essentiel, nos flottes ne peuvent naviguer que sur un unique parcours, par exemple celui du Rhône, long de 550 kilomètres. Elles sont donc sous-rentabilisées par rapport à d’autres qui peuvent circuler sur l’ensemble du réseau européen. En tant que défenseur des voies fluviales, je tenais à signaler ce problème qui, à mon sens, n’a pas encore été pleinement pris en considération.
Chacun appelle de ses vœux l’accroissement de la part du fret ferroviaire, mais cela ne se fera pas en claquant des doigts ! À titre d’exemple, je rappellerai que, en 1997, M. Gayssot, ministre des transports et expert en transports ferroviaires s’il en fut, avait déclaré vouloir faire croître le fret ferroviaire de 10 % par an pendant dix ans, afin d’aboutir à un doublement !
M. Didier Guillaume. Un bel objectif !
M. René Beaumont. En effet, mais le résultat fut moins réjouissant : le fret ferroviaire a baissé de 6 % par an !
Il y a un vrai problème, qui est d’ailleurs lié moins à l’état du réseau qu’à la qualité du service. Certes, monsieur Teston, je ne nie pas qu’il soit important, voire prioritaire, d’entretenir le réseau. En revanche, contrairement à vous, je suis convaincu que l’ouverture du réseau à des opérateurs tiers permettra l’amélioration de la qualité du service et, de ce fait, une progression du fret ferroviaire, dont les bénéficiaires ne seront pas tous, hélas, des transporteurs français…
Par ailleurs, la part du transport fluvial n’augmente pas dans notre pays, parce que ce mode de transport a été systématiquement négligé et que l’on n’a pas consenti les efforts nécessaires pour le conjuguer à d’autres, en particulier la route ou le rail, par le biais de plates-formes multimodales. Je ne rappellerai pas ici le « massacre » de la liaison Rhin-Rhône par le Parlement en 1997, qui a laissé des traces. Les voies fluviales n’acheminent aujourd’hui que 4 % du fret français, chiffre stable depuis vingt ans. Le fret a certes augmenté entre-temps, mais la part du transport fluvial est restée inchangée.
La part de la voie fluviale dans le transport des marchandises est de 40 % aux Pays-Bas et de 25 % en Allemagne. Ce mode de transport présente des avantages considérables, notamment sur le plan écologique. Ainsi, le pousseur d’un convoi de barges d’une capacité de 4 000 tonnes, soit l’équivalent de cent camions, est équipé d’un moteur d’une puissance de 800 à 1 000 chevaux, alors qu’un seul moteur de camion développe une puissance de 300 à 400 chevaux. De surcroît, l’eau est inaltérable, contrairement au goudron !
Je salue la volonté affichée au travers de l’engagement n° 43 du Grenelle, ainsi que le souci de la commission, manifesté par l’un de ses amendements, de prendre en compte la nécessité de moderniser la flotte captive et le réseau.
Néanmoins, je m’inquiète d’un fait qui pourrait avoir de graves conséquences. L’association Seine-Moselle-Rhône, constituée en 1999 dans le dessein d’étudier les solutions de remplacement à la réalisation du canal Rhin-Rhône, a présenté un projet de liaison par la Moselle, qui a apparemment été accepté par les régions traversées, puisqu’elles en ont financé les études préliminaires et, conjointement avec l’État, les études majeures qui nourriront le débat public en 2012.
Or un amendement déposé discrètement vise à proposer un autre tracé. Je tiens à adresser une mise en garde : à défaut d’accord sur un tracé de voie fluviale dans le nord-est de la France, la réalisation du projet se trouvera encore retardée, alors que Mme Voynet nous a déjà fait perdre douze ans ! Il ne faudrait pas en perdre dix de plus ! Aujourd’hui, chacun est bien conscient, me semble-t-il, de la nécessité de développer le transport par voie fluviale et de l’utilité d’une liaison Rhin-Rhône pour l’ensemble du réseau européen, et surtout pour notre pays. Si l’on commence à contester le tracé projeté, l’État sera tenté de se désintéresser de la question !
Cela étant, je comprends parfaitement l’inquiétude de mes collègues alsaciens, puisque ce sont essentiellement des sénateurs de cette région qui ont signé cet amendement. Ils craignent en effet que Strasbourg et Mulhouse ne deviennent des culs-de-sac fluviaux.
Une solution serait de raccorder par un barreau le secteur de Bâle-Mulhouse-Montbéliard, dont l’importance économique n’a pas besoin d’être soulignée, à Port-sur-Saône. Cela permettrait d’assurer une desserte de l’Alsace, qui se trouverait de la sorte reliée au tracé Rhin-Rhône, en particulier à la Moselle, qui est la voie navigable la plus utilisée pour le transport de marchandises.
Je souhaiterais que M. le secrétaire d'État nous fasse part de son sentiment sur cette question. Il me semble que l’on pourrait faire clairement figurer dans le tracé ce « barreau alsacien », dont la réalisation est à mon sens tout à fait nécessaire.
En tout état de cause, à ceux qui voudraient encore que le tracé emprunte le Doubs, j’indique que cette option est désormais définitivement exclue. En effet, en 1978, des terrains avaient été achetés à cette fin aux paysans, puis leur avaient été revendus en 1998 ; il serait ridicule de leur racheter ces mêmes terrains en 2009 ! Tâchons d’être cohérents !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je puis vous dire que je souscris pleinement à votre argumentation.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le rapport sur les orientations de la politique de l’immigration en 2008.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des lois et sera disponible au bureau de la distribution.
4
Proposition d’examen en procédure simplifiée de deux conventions internationales
M. le président. Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères propose que deux des conventions internationales inscrites à l’ordre du jour du mercredi 4 février soient examinées selon la procédure simplifiée.
Il s’agit :
- du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord avec l’Australie concernant la coopération en matière de défense et le statut des forces ;
- du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord avec la Suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Ces deux projets de loi seront donc examinés selon la procédure simplifiée, sauf si un groupe politique demandait le retour à la procédure normale avant le lundi 2 février, à dix-sept heures.
La troisième convention inscrite le même jour, à savoir le projet de loi relatif à l’accession de l’Albanie et de la Croatie au traité de l’Atlantique Nord, sera examinée selon la procédure normale.
5
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour un rappel au règlement.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, mes chers collègues, comment pouvons-nous en cet instant reprendre comme si de rien n’était l’examen du projet de loi « Grenelle I », alors que nos concitoyens manifestent dans toutes les villes de notre pays et que la mobilisation est d’une ampleur quasi inédite ?
Monsieur le secrétaire d’État, votre gouvernement fait preuve d’une certaine contradiction en soutenant simultanément les orientations du Grenelle de l’environnement et la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
Pour vous en convaincre, je ne vous donnerai qu’un exemple. Vous avez rayé de la carte judiciaire des tribunaux installés de longue date dans certaines villes, mais avez-vous effectué le bilan carbone des déplacements – parfois cent kilomètres – auxquels les justiciables sont aujourd'hui contraints s’ils veulent se faire entendre par une juridiction et pouvoir obtenir gain de cause ? C’est en véritable déménagement du territoire dont les conséquences sont en contradiction avec les orientations du Grenelle.
Le Gouvernement va devoir choisir entre la RGPP et le « Grenelle ».
Par ailleurs, si la mobilisation est si importante aujourd’hui dans notre pays, c’est bien parce que le volet social du pacte de relance manque cruellement.
Quelles sont les priorités de nos concitoyens ? Le pouvoir d’achat et le logement.
Je ne renie pas les investissements réalisés en faveur de la production. Il faut bien sûr investir, en particulier pour l’avenir. Ce n’est pas moi, adepte de la recherche et développement, qui dirai le contraire. Mais, s’il n’y a pas de demande, à quoi sert le soutien à la production ? À l’heure actuelle, nous ne pouvons que constater l’importance des stocks de voitures alignées dans les parkings de nos constructeurs.
Mieux vaudrait s’intéresser au pouvoir d’achat et permettre au moins à nos concitoyens de se nourrir. Or vous savez tous dans quelles proportions la fréquentation de l’ensemble des institutions caritatives – les Restos du Cœur, le Secours populaire, notamment – a augmenté.
Et que penser de ces travailleurs pauvres qui n’arrivent ni à nourrir correctement leur famille ni à payer leur loyer, notamment à la suite de la « bulle » immobilière que nous avons connue ? C’est tout simplement immoral !
Dans un tel contexte, comment continuer, aussi calmement, aussi sereinement, la mise en œuvre de la RGPP, et nous soumettre ce projet de loi, dont par ailleurs nous partageons les objectifs ? Il y a là une contradiction formelle, et les habitants de notre pays la ressentent sur le terrain. C’est pourquoi ils manifestent aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
6
Mise en œuvre du Grenelle de l'environnement
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons, calmement et sereinement, la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
Article 10 (suite)
M. le président. Je vous rappelle, mes chers collègues, que, ce matin, nous avons commencé l’examen de l’article 10, sur lequel deux orateurs se sont déjà exprimés.
La parole est à présent à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 10 vise le développement de l’usage du ferroviaire pour le transport des marchandises et insiste sur le caractère prioritaire qui doit être accordé à ce développement.
On ne peut qu’approuver ces objectifs, qui chiffrent l’augmentation de la part de marché du non-routier figurant au II, même si des précisions, telles l’année de référence et l’exclusion du mode aérien, peuvent être utilement ajoutées, et qui annoncent, aux termes du I, la prise en compte des enjeux économiques et territoriaux dans les choix d'investissements de l'État en matière d'infrastructures.
Une vision globale et de long terme est en effet absolument nécessaire dans l’appréhension de la notion de bénéfice, qui doit inclure l’intérêt environnemental et l’intérêt économique pour le maintien et le développement des bassins de vie dont dépendent emploi et pouvoir d’achat.
Or, s’agissant du fret de proximité et de la gestion des wagons isolés, ces objectifs suscitent certaines questions.
Si le recours aux opérateurs de proximité est prévu, et même encouragé au septième alinéa de l’article, il laisse cependant dubitatif, dès lors que l’ouverture à la concurrence livrerait le secteur aux seuls critères de rentabilité financière de court terme. Pour quelles raisons un opérateur privé irait-il s’intéresser à un secteur déficitaire et déserté par la SNCF précisément en raison de son caractère non rentable ? Rappelons la fermeture de 262 gares de fret en 2007.
J’illustrerai mon propos par un exemple concret, précis, significatif.
Une société du groupe Bayer implantée à Marle, bourg rural de 2 500 habitants, utilise depuis bientôt trente ans le transport ferroviaire pour l’approvisionnement par wagons isolés, à partir de l’Allemagne, de son site axonais. La ligne empruntée, de faible trafic, est mixte et permet le transport de voyageurs et de fret.
Après avoir menacé de réduire fortement la fréquence des services, voire de supprimer purement et simplement toute approche de proximité voilà quelques années, la SNCF vient d’informer l’entreprise d’une forte majoration des tarifs justifiée par la faible rentabilité du service rendu. Cette décision ne prend pas en compte les investissements réalisés par Bayer afin d’assurer la réception des wagons ou encore l’augmentation du trafic propre de l’usine.
Nous mesurons les conséquences d’une telle décision.
Tout d’abord, d’un point de vue économique, l’entreprise concernée est placée dans une situation injustement défavorable vis-à-vis de la concurrence.
Par ailleurs, eu égard à l’aménagement du territoire, les bassins de vie à faible densité de population doivent-ils être abandonnés et devenir les déserts déjà évoqués dans cette assemblée, en particulier ce matin, alors que la qualité et la disponibilité de la main-d’œuvre locale rendent nombre d’entreprises rurales réactives et performantes ?
Il demeure de toute évidence un long chemin à parcourir de l’intention qui anime le projet de loi « Grenelle I » dont nous discutons aujourd’hui à la réalité des pratiques.
Puisse donc la SNCF adopter une démarche qui ne tourne pas le dos radicalement et définitivement aux notions d’aménagement du territoire et de service public !
Puisse donc la SNCF intégrer dans ses schémas de développement les fortes orientations contenues dans ce projet de loi, en particulier dans son article 10 !
Nous reviendrons, certes, sur ce sujet la semaine prochaine lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires. Un système de péréquation intégrant des impératifs de service public pourra être étudié à cette occasion. Mais c’est bien dans ce « Grenelle » que la volonté politique de sauver nos territoires de la désertification – on a évoqué la carte militaire, la carte hospitalière et, encore à l’instant, la carte judiciaire – doit être inscrite maintenant.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, sur l’article.
Mme Mireille Schurch. Tout d’abord, je veux exprimer la solidarité des membres de mon groupe à l’égard des centaines de milliers de salariés des secteurs privé et public qui, aujourd’hui, ont perdu une journée de travail et se mobilisent dans la rue pour revendiquer l’augmentation de leur pouvoir d’achat, de leur pension, des minima sociaux et pour soutenir les services publics, qui nous tiennent tous à cœur. Je pense aussi en cet instant aux nombreuses associations qui sont aujourd'hui descendues dans la rue.
Nos concitoyens, et ils nous le rappellent, ont des préoccupations qui se situent au cœur des problèmes évoqués lors du Grenelle de l’environnement et de ce qu’il est convenu d’appeler désormais le développement durable, c'est-à-dire le développement dans ses trois volets, économique et écologique, bien sûr, mais aussi social.
Nous poursuivrons donc nos débats en gardant à l’esprit cette grande manifestation.
L’article 10 vise le transport de marchandises, les autoroutes ferroviaires, le réseau fluvial et maritime. Il traduit pour partie les orientations politiques fondamentales du Gouvernement, puisqu’il tend à laisser au libre jeu du marché le fret ferroviaire de wagons isolés.
Comme vous nous l’avez rappelé ce matin, monsieur le secrétaire d'État, des « opérateurs ferroviaires de proximité » sont encouragés à exploiter ce trafic. Nous y sommes favorables, mais qui sont ces opérateurs ?
Nous croyons illusoire d’ouvrir à la concurrence la gestion d’infrastructures de transports ferroviaires sur des lignes à faible trafic, qui aujourd’hui représentent plus de la moitié du réseau géré par la SNCF et qui, bien souvent, sont déficitaires.
Il faut noter que la mise en place des opérateurs ferroviaires de proximité n’est envisageable que si un marché est porteur, donc potentiellement rentable. Sans remise à niveau du réseau ferré dégradé et sans un modèle économique nouveau pour la gestion des infrastructures, rien ou presque ne sera possible pour le fret ferroviaire de wagons isolés.
En effet, la qualité du réseau est trop détériorée, comme l’a confirmé le rapport de l’École polytechnique de Lausanne, pour envisager de développer l’offre ferroviaire. Selon le MEDEF lui-même, l’organisation de la rénovation, de l’entretien et de la maintenance des voies ferrées, avec les coûts actuels, dissuade les pouvoirs publics d’investir et anéantit toute initiative privée.
Qui peut donc croire que des opérateurs privés viendront se positionner spontanément sur le secteur du fret de proximité, peu rentable à court terme et opérant sur des voies abandonnées par l’État ?
En réalité, l’État organise ici son désengagement en cherchant à faire financer les infrastructures de transport par les régions.
Quant aux futures « autoroutes ferroviaires », elles seront certainement juteuses pour certains opérateurs privés, mais elles priveront l’essentiel du territoire d’une véritable relance du fret ferroviaire, par carence d’opérateurs de proximité. Il s'agit, une fois encore, de privatiser les profits et de socialiser les pertes !
Or, pour assurer un maillage territorial efficace et reporter la part modale du routier vers le ferroviaire, il convient de reconnaître à la SNCF des droits exclusifs sur ces lignes, afin que cette société, en contrepartie, puisse assurer des missions sociales.
L’idée est de créer, pour ces lignes déficitaires, d'ailleurs souvent suspendues ou en passe de l’être, des services d’intérêt général.
C’est le sens que nous voulons donner à une politique nationale des transports qui serait fondée sur la solidarité et sur la péréquation et qui ferait croître la part modale – non la part de marché ! – de 14 % à 25 %. Telle est la justification de nos amendements.
Le transport de marchandises participe de l’intérêt général et revêt un caractère prioritaire dans le cadre du Grenelle de l’environnement. L’État ne doit pas se défausser sur les collectivités territoriales, en particulier les régions. La SNCF doit être présente sur les lignes de proximité. L’éco-redevance doit servir à financer ces infrastructures qui se substitueront à la route.
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, René Beaumont a évoqué ce matin le « massacre » du canal Rhin-Rhône au Parlement, puis le retard de douze ans qui serait dû à Mme Voynet.
Le mot « massacre » est effectivement justifié, mais pour décrire les destructions que le canal Rhin-Rhône aurait causées dans le Doubs ! Je crois que c’est faire un bien mauvais procès contre une ministre écologiste, alors que ce sont les Verts, au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, qui ont sorti de l’oubli le projet de canal Seine-Nord Europe, aujourd'hui prêt.
Je voudrais rappeler, très solennellement, qu’aucun plan d’aménagement n’est bon ou mauvais en soi. Certes, l’ancien projet de canal Rhin-Rhône reflétait une conception prométhéenne du développement, puisqu’il s’agissait de faire passer les gros porteurs à travers et même au-dessus d’une chaîne de montagnes, en l’occurrence, le Jura !
Sur le plan économique, ce projet était une erreur : pour aller de Rotterdam à Marseille, il aurait été plus rapide de prendre la voie maritime plutôt que d’emprunter le canal, en passant par le fameux « barreau manquant », à cause tout simplement de la multiplication des écluses.
Sur le plan écologique, c’était un désastre pour la biodiversité et le réseau hydrique, notamment en ce qui concerne le Doubs.
Oui, nous savons faire la différence et distinguer les territoires selon leurs spécificités : aux uns, les mariniers, le terrain plat, la connexion avec Dunkerque, Valenciennes, la Belgique et les Pays-Bas ; aux autres, les monts, les vallées, les rivières turbulentes, une faune et une flore riches et à protéger.
Toutefois, je voudrais revenir sur ce qui s’est passé tout à l’heure, quand, sur un amendement qu’il avait présenté, notre collègue Michel Teston a reçu un avis défavorable de M. le rapporteur, au motif – je livre cet argument à votre réflexion, chers collègues ! – que l’article 10 du projet de loi faisait déjà du transport ferroviaire des marchandises une priorité.
Quid des personnes ? L’amendement de notre collègue mentionnait les infrastructures de transport, c'est-à-dire aussi bien le transport des marchandises que celui des personnes. Cet oubli me paraît tout à fait révélateur.
Or, en termes de rejet de gaz à effet de serre, c’est le transport des personnes et, au premier chef, les déplacements pendulaires, c'est-à-dire entre le domicile et le travail, qui jouent un rôle essentiel.
Bien sûr, les TGV sont nécessaires, mais le transport des personnes ne peut se limiter à ces trains ! Aujourd'hui, si nous voulons réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut développer les projets de transport régionaux, les tram-trains, et les articuler avec le transport collectif par la route, notamment les bus.
La région Alsace s’est lancée dans un programme de transports régionaux et elle est aujourd'hui débordée par l’explosion de la demande, preuve que, lorsque le système est bien organisé, la population répond !
Permettez-moi, à ce sujet, de rapporter une anecdote. L’une des fondatrices des Verts, Solange Ferneix, qui habitait l’extrême sud de l’Alsace, nous rappelait souvent que, pour rejoindre le plus vite possible Strasbourg, elle passait pas la Suisse ! C’est qu’il lui suffisait de parcourir quelques kilomètres en voiture et elle était en Suisse, d’où elle gagnait Strasbourg, de la manière la plus rapide et la plus fluide, avec une seule carte lui permettant d’utiliser les bus, les trains suisses et le réseau allemand qui leur est articulé. (Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.) Ainsi, elle se déplaçait en émettant le moins possible de gaz à effet de serre.
Puisque nous débattons de la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, il faut tout de même rappeler que les esprits ont évolué, que la société civile s’est mobilisée et qu’elle a participé de façon exceptionnelle à ces travaux. Le présent projet de loi est censé traduire cette prise de conscience et franchir un cap.
Or que s’est-il passé ce matin ? Nous avons voté un amendement n° 156 rectifié quater visant à achever les grands projets autoroutiers « dans les meilleurs délais », dans la mesure où ils s’inscrivent dans des itinéraires largement engagés. Et voilà que, quelques minutes plus tard, on refuse de donner la priorité aux infrastructures ferroviaires…C’est grave !
J’aimerais que M. le secrétaire d'État me réponde sur ce point. Je note d'ailleurs que le Gouvernement n’était pas enthousiasmé par l’amendement n° 156 rectifié quater, puisqu’il s'en était remis à la sagesse de la Haute Assemblée.
Je souhaiterais inscrire dans le projet de loi que les infrastructures, qu’il s’agisse de transporter des personnes ou des marchandises, sont effectivement prioritaires. Voilà un cap qui serait digne des conclusions du Grenelle de l’environnement !