M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Pierre Bernard-Reymond. Les pays européens ont élaboré un consensus, une politique commune de l’immigration ; qui s’en plaindra ?
Avec le paquet « énergie-climat », l’Europe va apparaître au premier rang de la classe internationale en termes de lutte contre le changement climatique ; qui pourra le regretter ?
Finalement, la plus grande réussite de cette présidence française, c’est d’avoir fait la démonstration que l’Europe n’a jamais été aussi indispensable à notre avenir : une Europe plus proche de ses citoyens, une Europe plus protectrice des intérêts de ses peuples, une Europe qui compte sur la scène internationale et qui agit pour un monde plus libre, plus démocratique, plus pacifique, plus solidaire, plus moral. Oui, on peut le dire ce soir, c’est possible ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien ! Excellente intervention !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État, que j’accueille avec plaisir pour la première fois dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi à la fois un très grand honneur et un plaisir de participer à ce débat engagé par M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Je suis particulièrement sensible au fait que le président du Sénat ait pris sur son précieux temps pour présider personnellement cette séance.
Je dirai tout d’abord, pour paraphraser M. Pierre Fauchon, que, diplomate d’origine, je vais m’efforcer d’être politique dans mes réponses ; mais si je le suis trop, vous me demanderez de redevenir diplomate ! (Sourires.)
Quels enseignements peut-on tirer de la présidence française de l’Union européenne ?
Plutôt que d’en dresser le bilan, ce qui a d’ailleurs déjà été fait, je souhaiterais adopter une vision prospective et envisager ce que l’Union européenne peut entreprendre à l’avenir.
Je retiendrai trois enseignements de notre présidence, qui a été considérée unanimement, aussi bien au Parlement que dans les autres institutions européennes, comme un succès.
Le premier enseignement, c’est le caractère indispensable du sens du compromis.
Comme toujours lorsqu’il s’agit d’affaires européennes, se traitant donc à l’échelle d’un continent, il est nécessaire de trouver un équilibre entre des exigences parfois contradictoires. Le sens du compromis permet de tenir compte des préoccupations des différents États, ainsi que de garantir que nous inscrivons dans la durée ce qui a été décidé au cours d’une présidence de six mois. Je rejoins les excellents propos tenus sur ce point par le président Haenel.
Si nous forçons les décisions sans les fonder sur le compromis, si nous allons contre la volonté, c’est-à-dire contre les intérêts, d’un certain nombre d’États membres, nous pouvons être certains soit qu’elles ne se traduiront pas en actes, soit qu’elles seront remises en cause par des présidences futures.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un premier exemple, celui de la négociation du plan climat.
Si nous avons pu obtenir des résultats, après des heures de négociations, c’est uniquement parce que, précisément, nous avons su prendre en compte les intérêts contradictoires des États membres, mais aussi leur histoire.
On ne peut pas demander à la Pologne, à des pays qui, pendant des années, ont subi la domination communiste, sans pouvoir choisir leur politique énergétique, et se sont vu imposer la construction de centrales au charbon pour toutes sortes de raisons que vous connaissez mieux que moi, de changer d’orientation énergétique du jour au lendemain, de supporter des obligations réglementaires insoutenables pour leur économie. L’Union ne peut leur imposer de telles décisions : cela est impossible au regard de leurs intérêts et, surtout, de leur histoire.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. Il est donc important que, sur chaque sujet, nous soyons en mesure de tenir compte des intérêts, de l’histoire et de la mémoire des peuples qui composent l’Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. Sinon, nous retomberons dans ce qui fut à mon sens le travers principal de la construction européenne, à savoir considérer qu’il existe une vérité technocratique contre la mémoire des peuples. Or, l’histoire européenne nous l’a montré, c’est la mémoire des peuples qui l’emporte sur la vérité technocratique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Le deuxième exemple que je prendrai relève d’un sujet essentiel, qui engage véritablement aujourd’hui les équilibres européens pour les années, voire les décennies à venir : il s’agit du choix qui a été fait en matière d’institutions européennes et de négociation du traité de Lisbonne.
Monsieur Sutour, à l’évidence, il aurait été agréable de pouvoir mettre en œuvre, de manière anticipée, le traité de Lisbonne, que nous considérons presque unanimement comme un progrès important dans la construction des institutions européennes, même s’il n’est pas parfait.
Toutefois, si nous avions cédé à cette tentation alors que l’Irlande n’avait pas encore exprimé ses attentes et que nous n’avions pas trouvé ensemble un compromis, nous aurions tout simplement tué définitivement le traité de Lisbonne ! Même s’il était tentant et possible de s’engager dans cette voie, nous l’aurions regretté à long terme.
À cet égard, l’un des mérites de la présidence française est d’avoir obtenu des succès non seulement pour aujourd’hui, mais aussi, s’agissant notamment du plan climat et du domaine institutionnel, pour le long terme.
Un troisième exemple de la mise en œuvre du sens du compromis a trait à la coopération avec les institutions européennes.
La présentation qui a été faite des relations entre le Conseil européen et la Commission au cours de la présidence française est, me semble-t-il, quelque peu fallacieuse.
Pour ma part, j’ai la conviction profonde qu’une Europe qui marche, c’est une Europe qui donne sa véritable place à chacune de ses institutions.
Oui, le Conseil doit avoir l’initiative, comme l’a très bien dit M. Hubert Haenel, mais il faut une Commission forte, un Parlement fort, un Haut représentant fort. C’est lorsque toutes les institutions européennes sont fortes que l’Union européenne est forte en tant que telle.
Ainsi, le Parlement européen a un rôle essentiel à jouer, monsieur Sutour. Il nous a d’ailleurs aidés sur tous les sujets, y compris sur la directive dite « retour », qui a été votée par la majorité du groupe socialiste au Parlement européen. Vous me permettrez cette remarque quelque peu malicieuse à l’adresse de l’opposition !
Cette déférence à l’égard du Parlement européen s’est manifestée de plusieurs manières, au travers notamment des débats que nous avons eus et des déplacements effectués tant par le Président de la République que par de nombreux ministres. Ma conviction personnelle est que nous avons énormément à gagner à travailler beaucoup plus étroitement avec les parlementaires européens, ce qui suppose d’ailleurs que nous fassions quelques progrès, en France, quant à la façon dont nous considérons ces derniers !
Le deuxième enseignement, plus général, que je tire de cette présidence, c’est qu’il est indispensable de réintroduire le sens de la décision et de l’initiative au sein de l’Union européenne.
En effet, la capacité d’entraînement de l’Union dépend de la capacité de décision de l’ensemble des institutions qui la composent. M. Bernard-Reymond, qui a été le premier secrétaire d’État aux affaires européennes de la Ve République,…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est exact !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d’État. … sait ce qu’il en est : nous avons autant, sinon davantage, besoin de décisions que de délibérations si nous voulons que l’Union européenne réponde aux attentes de nos concitoyens.
Des décisions, nous en avons prises, en dépit des risques que cela comportait, au sujet de la Géorgie, quand il s’agissait de mettre fin à la guerre entre ce pays et la Russie, mais aussi, beaucoup plus récemment, concernant Gaza, lorsque Bernard Kouchner a convoqué une réunion des ministres des affaires étrangères européens à Paris, le 30 décembre dernier, et lorsque le Président de la République s’est rendu sur place avec la présidence européenne. Avoir le sens de la décision, ce n’est pas vouloir diriger, exercer une autorité sur un autre pays ou dominer dans une situation difficile, c’est comprendre que nos concitoyens ne peuvent pas attendre, accepter que l’Union européenne prenne enfin des risques, sans se contenter d’avancer uniquement quand tout a été décidé et clairement établi. Dans le monde actuel, la décision implique le risque, mais mieux vaut le risque que l’impuissance et le déshonneur qui lui est généralement associé ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président Haenel a demandé si cette gestion particulière des crises avait fait apparaître un nouvel équilibre entre les institutions.
Sans aucun doute, l’action du Président de la République dans le cadre de la présidence française a renforcé le Conseil européen, qui, aux termes du traité d’Amsterdam, donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et définit les orientations politiques générales.
De ce point de vue, la présidence française n’a fait que répondre à l’esprit même des institutions.
Par ailleurs, les temps particuliers de crise économique, financière et géopolitique durant lesquels s’est exercée cette présidence française appelaient une présidence forte et un Conseil assumant toutes ses responsabilités.
Cela étant, la présidence française n’a pas porté atteinte aux autres institutions ni à l’approche communautaire, à laquelle, naturellement, je suis profondément attaché. Au contraire, tant l’action de la Commission que celle du Parlement européen auront été déterminantes en ce qui concerne le pacte européen sur l’immigration, le bilan de santé de la PAC et le paquet « énergie-climat » : chaque fois, les institutions ont joué tout leur rôle.
Au-delà de ces considérations sur les institutions, je reviendrai sur un point qui a été abordé aussi bien par M. Yvon Collin – c’était l’un des axes principaux de son intervention, et j’approuve entièrement ses propos – que par Mme David : il est désormais impératif que s’instaure une plus étroite coordination en matière de politiques économiques.
Il s’agit là d’une conviction personnelle, que je m’applique à mettre en œuvre depuis que j’exerce les fonctions m’ayant été confiées par le Président de la République et le Premier ministre.
À cet égard, l’exemple qui me vient immédiatement à l’esprit, parce que j’y ai travaillé toute la journée avec le Premier ministre, Christine Lagarde et Luc Chatel, est celui de l’industrie automobile.
Certes, il est très bien de mettre en place des plans nationaux ; cela est même nécessaire dans la mesure où ils peuvent être décidés dans des délais très brefs.
Il est très bien que l’Allemagne apporte son soutien à l’industrie automobile allemande et que la France en fasse autant pour l’industrie automobile française. Je ne pense pas, madame David, que vous me contredirez sur ce point, car je sais le souci de votre groupe de défendre l’industrie automobile, notamment l’usine Renault de Sandouville, en Haute-Normandie, pour laquelle vous connaissez mon attachement.
Cela étant, ce serait encore mieux si, de surcroît, ces plans nationaux étaient coordonnés. C’est tout l’objet des démarches que j’ai entreprises depuis un mois et qui ont abouti à la déclaration commune du Président de la République et de Mme Merkel, ainsi qu’à la réunion d’aujourd'hui.
Ce serait encore mieux si, au lieu d’une prime à la casse de 2 500 euros en Allemagne, de 1 000 euros en France et de 850 euros en Italie, existait une seule prime, ce qui permettrait d’éviter les distorsions de concurrence entre les États membres.
Ce serait encore mieux si, en plus des milliards d’euros que chaque État devra dépenser pour l’industrie automobile, la Banque européenne d’investissement, au-delà des premiers actes qu’elle a posés et que je veux saluer, concernant les aides d’État et les investissements publics, pouvait être en mesure de réagir encore plus rapidement en provoquant par exemple une réunion en vue de décider de débloquer davantage de crédits en faveur de la filière automobile que les 4 milliards d’euros prévus à l’échelon européen, somme insuffisante au regard des 25 milliards de dollars consacrés par les États-Unis à la seule entreprise General Motors. C’est cela, l’Europe dont nous avons besoin ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Vous m’avez enfin interrogé, monsieur le président de la commission des affaires européennes, sur les éventuelles incidences du rythme semestriel de la présidence sur les progrès de l’Union.
J’observerai tout d’abord que des progrès ont été faits, depuis plusieurs années, pour assurer la continuité des travaux du Conseil. Par exemple, depuis maintenant trois ans, la présidence en exercice entretient des contacts très réguliers avec celle qui l’a précédée et celle qui la suivra. Je travaille étroitement avec mes homologues tchèque et suédois. Je me suis déjà rendu deux fois à Prague, où j’ai eu des entretiens très approfondis avec M. Vondra, le vice-premier ministre tchèque, qui suit très directement les questions européennes et qui est la véritable cheville ouvrière de la présidence tchèque. Je lui parle au téléphone deux fois par semaine et j’ai passé beaucoup de temps avec lui hier. Nous avons également des contacts avec M. Topolanek, avec qui j’ai eu des discussions poussées sur tous les sujets intéressant la présidence tchèque, et j’ai même eu un échange tout à fait sympathique avec M. Vaclav Klaus, qui n’a pas porté sur les questions européennes, ceci expliquant peut-être cela ! (Sourires.)
Je le dis avec beaucoup de gravité : je n’ai aucun doute sur la volonté de la République tchèque de poursuivre le travail engagé et de faire de sa présidence un vrai succès. Elle en a les moyens, elle en a la volonté, et tous les propos que je peux entendre ici ou là, tous les doutes qui peuvent être émis sur la présidence tchèque me semblent particulièrement malvenus. La façon dont MM. Topolanek et Vondra ont géré la très difficile crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine, où il était bien malaisé d’établir les responsabilités respectives de ces deux États, sauf à les renvoyer dos à dos, a montré qu’ils étaient tout à fait à même de bien conduire la mission qui est la leur aujourd'hui. Je puis donc rassurer MM. Dulait et Sutour sur ce point. Nous travaillons main dans la main avec les Tchèques, nous les aidons lorsqu’ils nous le demandent et nous leur apportons tout notre soutien.
Bien sûr, il faut plus de continuité, tous les orateurs l’ont souligné. Le traité de Lisbonne a précisément pour objet, entre autres, de créer une présidence stable du Conseil européen. C’est pourquoi la ratification de ce traité par tous les États est un enjeu majeur pour 2009. M. Pierre Bernard-Reymond a insisté sur ce point : c’est la condition de l’Europe politique que nous appelons de nos vœux.
Je terminerai par quelques considérations plus personnelles, qui orientent mon action à ce secrétariat d’État, sous l’autorité de Bernard Kouchner, du Premier ministre et du Président de la République.
Je souhaite tout d’abord affirmer devant vous que la présidence française a marqué le retour à la responsabilité politique : c’est ce dont nous avons le plus besoin en Europe à mon sens. Nos concitoyens veulent savoir qui fait quoi et selon quelle légitimité.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Voilà !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. L’Europe a pâti, pendant des années, du décalage existant entre les déclarations de responsables politiques français qui, à Paris, disaient : « ce n’est pas ma faute, c’est celle de Bruxelles », et qui, à Bruxelles, disaient : « faites ce que vous voulez, mais faites-le discrètement, parce que cela passera difficilement chez moi »… Ce n’est pas un discours responsable, et le citoyen ne s’y retrouve pas.
Tel est le premier impératif, qui devra mobiliser nos efforts dans les mois et dans les années à venir si nous voulons que l’Europe reste le grand projet politique auquel nous sommes attachés.
Pour éclairer mon propos, je prendrai l’exemple de la crise économique. Si nous ne sommes pas en mesure de savoir qui fait quoi et selon quelle légitimité, qui fixe les règles applicables aux banques et contrôle leur application, qui définit une position pour le prochain G 20, qui apportera son soutien à la filière automobile, qui présentera une politique de soutien global à l’industrie, qui coordonnera les différentes politiques nationales, les citoyens penseront que l’Europe ne prend pas ses responsabilités, pas plus que les responsables politiques français, incapables de défendre nos positions à Bruxelles, conformément à leur mandat.
Cela rend d’autant plus importante l’échéance des élections européennes de juin prochain. Je le dis sans aucun esprit polémique, il est absolument essentiel que nous considérions désormais qu’être député au Palais-Bourbon – ce fut pour moi un immense honneur –, siéger au Sénat ou être député européen a la même valeur et la même importance pour la défense des intérêts français.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Je passe du temps au Parlement européen. Je discute avec les représentants français qui y siègent, mais aussi avec les représentants allemands et britanniques. Or je constate – il ne s’agit pas pour moi de stigmatiser quiconque – que certains pays sont mieux organisés et défendent mieux leurs intérêts que d’autres.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. L’Allemagne !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Alors que l’on étend le champ de la codécision, c'est-à-dire la capacité du Parlement européen à infléchir la norme à laquelle tous nos concitoyens seront obligés de se soumettre, il serait tout de même normal d’envoyer siéger à Bruxelles et à Strasbourg, à l’instar de ce qui se pratique dans tous les autres grands pays européens aujourd’hui, nos meilleurs responsables politiques, les plus compétents, les plus doués, afin qu’ils défendent nos intérêts nationaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La seconde conviction personnelle que je souhaite exprimer devant vous est qu’il est nécessaire d’établir ce que j’appellerai une double coopération.
Tout d’abord, il convient d’instaurer une coopération étroite entre les institutions européennes. J’en reviens à l’importance que toutes soient fortes, y compris, madame David, le Parlement européen, qui doit jouer son rôle et occuper un espace politique essentiel.
Cette exigence vaut également pour le Conseil et pour la Commission. Je souhaite que le prochain président de la Commission et les futurs commissaires soient forts, de même, bien entendu, que le Haut représentant de l’Union, qui sera le visage de l’Europe sur les théâtres extérieurs.
Nous avons besoin pour cela – M. Hubert Haenel a employé une expression que je reprends volontiers à mon compte – de faire émerger des personnalités fortes à l’échelon de l’Europe : il ne faut pas que la vie politique n’en compte qu’à l’échelle des nations.
Cela étant, je vous le dis en praticien des affaires étrangères depuis maintenant un certain nombre d’années, il n’y aurait rien de pire que de faire preuve de naïveté dans ce domaine. À côté de la coopération des institutions, une coopération des nations est nécessaire.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Ne croyons pas que nous pourrons nous reposer uniquement sur la coopération des institutions. Il faut également une coopération des États membres de l’Union, comme l’a suggéré M. Fauchon.
À cet égard, je ne vous étonnerai pas en vous disant toute l’importance que j’attache à un renforcement des liens entre la France et l’Allemagne, à une nouvelle conception de leurs relations, non seulement parce que l’histoire européenne s’est construite autour de celles-ci – la frontière du Rhin est peut-être la frontière essentielle de cette histoire –, mais aussi parce que c’est notre intérêt économique, politique et culturel.
Il faudra également élargir nos relations avec d’autres grands États, notamment l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni, tout en prenant en compte l’identité – j’en reviens au premier point de mon intervention – d’un certain nombre de pays que nous négligeons trop souvent, à savoir ceux d’Europe centrale. C’est sans doute une des initiatives importantes du Président de la République que de s’être engagé dans cette voie. J’ai passé du temps à Prague et à Bratislava, je connais bien Varsovie : je puis vous dire que ces États ont une identité, une mémoire, des difficultés, une cohésion propres. Si nous les laissons de côté, si nous ne savons pas prendre en considération ces éléments, tout ce que nous entreprendrons avec les Allemands ou avec les Britanniques restera lettre morte sur le long terme, car les États d’Europe centrale n’y participeront pas et nous diront : « Ce n’est pas l’Europe que nous voulons ! »
Cette coopération me paraît essentielle, notamment face à la nouvelle administration américaine. Ce point a été souligné, notamment, par M. Collin. Nous nous trouvons à un moment particulier de l’histoire du monde, où un espoir considérable a été suscité par l’élection américaine. Il faut que, en regard, les institutions européennes soient fortes et en ordre de marche, que les États membres coopèrent entre eux et dialoguent constamment afin de dégager les compromis que j’évoquais tout à l’heure. Sinon, nous ne pèserons pas face aux États-Unis, et nous ne les intéresserons même pas.
À ce titre, j’aurais aimé évoquer de manière plus approfondie la défense européenne et l’OTAN, sujet qui me tient à cœur, mais l’heure tardive m’en empêche.
Je me bornerai donc à souligner que des progrès importants ont été accomplis dans ce domaine. Un éventuel retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, envisagé par le Président de la République, suppose que deux conditions soient réunies.
En premier lieu, nous devons poursuivre le renforcement de la défense européenne. Des avancées significatives ont été obtenues sur le terrain à cet égard, que ce soit au Kosovo, en Afrique ou en Afghanistan, mais il importe que nous continuions à progresser, notamment sur cette question difficile et importante du commandement stratégique et du centre de planification.
À ce sujet, nous devons commencer par balayer devant notre porte. Lorsque je suis entré au Quai d’Orsay, voilà maintenant presque une dizaine d’années, je me souviens très bien, pour avoir été chargé de ces questions à la direction des affaires stratégiques, que le problème majeur sur ce thème de la défense européenne était que les Américains s’opposaient aussi bien à l’idée d’un centre de planification stratégique qu’à celle d’un centre de conduite d’opérations. Aujourd'hui, non seulement ils ne s’y opposent plus, mais ils y sont favorables. La balle est maintenant dans notre camp : si nous voulons mettre en place une défense européenne, nous devons aussi nous en donner les moyens, nous doter des budgets et de la volonté politique nécessaires.
J’insiste sur ce point, car les Européens ont parfois du mal à concevoir qu’ils ont des intérêts stratégiques propres, ne se confondant pas point par point avec ceux des Américains, et qu’ils seraient donc bien avisés d’apprendre à les défendre seuls.
Je voudrais enfin exprimer ma conviction qu’il est urgent, pour l’Europe, de repenser son rôle historique dans le monde.
La force de l’Europe, c’est la mémoire sur laquelle elle s’appuie, c’est l’histoire qu’elle a vécue, dont je vous ai déjà longuement parlé et qui a été marquée, en particulier, par la guerre froide, le totalitarisme, le souvenir de la Shoah, le refus de la guerre, la volonté de promouvoir la paix et de régler les différends par le droit. Tout cela est au cœur de la construction européenne.
Cependant, cette imprégnation culturelle européenne, qui est essentielle et à laquelle j’attache une importance fondamentale, ne doit pas nous empêcher de voir que l’histoire se joue aussi ailleurs. Il ne faut pas continuer à considérer tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers le seul prisme de la guerre froide, de l’OTAN, de l’affrontement entre les blocs, d’idéologies qui sont parfois dépassées.
Lorsque je rencontre nos amis tchèques ou d’autres pays d’Europe centrale, je leur explique que la meilleure garantie de sécurité qu’ils peuvent avoir, ce n’est pas forcément la présence de troupes américaines sur leur territoire, c’est peut-être le renforcement de leurs liens avec l’Europe et la mise en place d’une défense européenne.
Oui, il y a une mémoire européenne, mais elle ne doit pas nous conduire à l’immobilisme ni à oublier de voir le monde tel qu’il est. L’Europe doit donc considérer que l’histoire du monde aujourd'hui, ce n’est pas simplement sa propre histoire, aussi tragique soit-elle ; c’est aussi celle de l’immigration et du développement de l’Afrique, indispensable si nous voulons régler définitivement ce problème migratoire qui préoccupe tant nos concitoyens. Le développement de l’Afrique est une priorité absolue, madame David, je vous rejoins sur ce point : il fait partie de l’histoire qui se joue à nos portes.
De la même façon, le poids acquis par les pays musulmans dans les équilibres géopolitiques est une donnée de l’histoire à laquelle l’Europe doit maintenant prêter plus d’attention qu’aux conséquences de la chute du mur de Berlin, qui est maintenant derrière nous. L’émergence du Brésil, de l’Inde, de la Chine sur la scène internationale, notamment économique, doit également nous préoccuper davantage que d’anciennes questions aujourd'hui dépassées.
Dans le même ordre d’idées, nous devons non pas vivre dans le souvenir de l’ancien empire soviétique, mais prendre en considération le fait que la Russie est un pays immense mais en même temps fragile, dont l’économie évolue lentement et reste insuffisamment développée en raison de la nature principalement minière et gazière de ses ressources. Nous devons donc impérativement renforcer nos liens économiques et stratégiques avec ce pays.
Voilà l’histoire dans laquelle l’Europe doit entrer si elle veut véritablement peser de tout son poids dans le monde.
Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe n’est pas qu’une affaire d’institutions, elle est aussi une affaire de conscience et de vision. Si elle a l’audace de voir le monde tel qu’il est, elle retrouvera sa place dans l’histoire au moment où les États-Unis s’apprêtent à le faire. C’est ce qui se joue en 2009, et ce que je souhaite de tout cœur ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)