M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous n’aurons malheureusement pas le temps, M. Sutour ayant quelque peu dépassé celui qui lui était imparti (Sourires), de retracer le bilan de ce semestre de présidence française comme il le mériterait !
Cela est bien dommage, parce que, à tous égards, ce semestre a été remarquable. Il sera inoubliable par l’ampleur et la fécondité de ses résultats, aussi bien que par la qualité des méthodes d’action mises en œuvre,…
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Pierre Fauchon. … qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont permis d’obtenir des consensus inédits…
M. Simon Sutour. C’est trop pour être crédible !
M. Pierre Fauchon. … et, avouons-le, monsieur Sutour, inespérés.
Au total, on peut bien le dire, rarement politiques auront été aussi bons diplomates, et rarement diplomates auront été aussi bons politiques !
On voudrait avoir plus d’autorité pour célébrer une séquence qui permet d’affirmer que l’Europe est sortie de sa léthargie, qu’elle a pris conscience de la vraie dimension de ses intérêts, de ses responsabilités et de ses pouvoirs, et pour exprimer notre reconnaissance à celui sans qui rien de tout cela ne se serait produit : je parle évidemment du chef de l’État. Grâce à lui, la furia francese, transmuée en savoir-faire français, aura fait merveille. (M. Jacques Blanc applaudit.)
Pour l’avenir, deux sortes de réflexions me paraissent s’imposer, l’une dans l’ordre institutionnel, l’autre dans l’ordre de l’action.
La première réflexion concerne l’exécutif. Il ne faut plus désormais opposer, comme on le faisait traditionnellement, la supposée paralysie de l’Europe des États et des gouvernements à la supposée créativité de l’Europe « communautaire ». Il faut dépasser cette opposition stérile en affirmant, à la lumière des expériences vécues au cours de l’année 2008, la capacité des Européens à retrouver la voie du progrès dans un processus sans doute nouveau, mais qui vient de faire la preuve de son efficacité.
Nous sommes maintenant en présence d’un exécutif de type nouveau, d’une certaine manière bicéphale – ce qui ne devrait pas surprendre les Français, qui y sont habitués : d’un côté, une Commission, privée sans doute aussi bien de son privilège monopolistique que des effets supposés bénéfiques d’une concentration qui se serait révélée à l’expérience, j’en suis convaincu, très handicapante, mais qui conserve tout de même à la fois sa spécificité et son caractère propre de conscience communautaire, ainsi que les immenses moyens de son appareil technique ; de l’autre, un Conseil, détenteur de la légitimité la plus enracinée, et qui maintenant se sait capable d’engager et même de conduire les affaires communes.
Le traité de Lisbonne, supposé simplificateur – qui en réalité est un monstre formel, entre nous soit dit –, ne fera que conforter cette situation par la consolidation de la présidence.
À partir de là, les choses iront comme elles pourront aller, au gré de la personnalité des dirigeants et des événements auxquels ils seront confrontés. Schéma imprévu peut-être, différent sans doute de celui dont certains – j’en suis – avaient rêvé, mais qui ne saurait être récusé pour des raisons de principe alors qu’il a fait la preuve de son efficacité. La question de savoir si l’Europe avance importe beaucoup plus que celle de savoir comment elle avance.
Comment l’Europe peut-elle avancer ? C’est précisément la seconde réflexion que je propose, et qui se situe dans la perspective des interrogations du président Haenel, qui a d’ailleurs devancé en partie mon propos.
Ma réflexion porte sur le constat selon lequel, dans la réalité des faits, l’Europe des vingt-sept, en attendant celle des vingt-huit et davantage, a énormément de mal à dégager, au-delà des déclarations de solidarité et de bonnes intentions, des politiques communes qui soient réellement communes et opérationnelles. Les intentions ne manquent pas, mais les actions font généralement défaut.
Le temps manque pour énumérer des exemples, mais nul ne peut ignorer que l’extension des missions de l’Union à l’ensemble des domaines de la vie publique opérée par le traité de Maastricht n’a pu donner lieu qu’à des démarches certes utiles et méritoires, mais qui sont généralement de caractère plus symbolique et exploratoire qu’opérationnel, et qui s’enlisent vite dans les méandres et les atermoiements où se complaisent ceux qui, en réalité, ne sont pas décidés à aller de l’avant.
À défaut de prendre des décisions réellement communes, réellement opérationnelles, on se réfugie de plus en plus dans la fabrication de « livres verts » qui ne sont souvent que des catalogues de difficultés ne faisant guère avancer les choses.
Les impulsions de ces derniers mois ont sans doute ravivé les ardeurs – espérons-le –, mais rien ne permet d’affirmer pour autant que les mises en œuvre authentiquement unanimes seront beaucoup plus aisées demain qu’elles ne l’étaient hier.
Dès lors que l’on ne peut pas agir tous ensemble, il est clair – il ne faut pas hésiter à le dire – qu’il convient d’agir à quelques-uns et que les plus décidés et les mieux disposés ne doivent pas hésiter à donner l’exemple.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. Pierre Fauchon. C’est la voie des « coopérations renforcées » qu’il convient donc d’emprunter, sinon selon la procédure particulière qui les concerne – si soigneusement encadrée que l’on n’en connaît encore aucune –, du moins dans leur esprit et dans leur principe.
En vérité, ne faut-il pas prendre conscience du fait que la réalité des avancées européennes, si l’on veut bien y réfléchir, chers collègues, ne se fait guère que par cette voie ? Ni l’euro ni Schengen ne réunissent la totalité des États. Les coopérations de moindre envergure abondent qui montrent tout à la fois que la seule façon d’avancer est de le faire à quelques-uns et que l’exemple ainsi donné emporte peu à peu l’adhésion des autres.
J’en veux pour preuve le casier judiciaire européen, qui procède d’un accord particulier conclu voilà trois ou quatre ans entre la France, l’Allemagne et une partie du Benelux, et qui s’est étendu en quelques années à dix-sept participants, auxquels se joindront presque inévitablement les plus particularistes, tels que le Royaume-Uni.
La commission des affaires européennes prépare un rapport approfondi sur cette question, qui nous tient particulièrement à cœur, des coopérations renforcées ; mais nous y reviendrons.
Ma conclusion sera que notre pays, d’autant qu’il n’est plus chargé du leadership global – même si l’on joue ici ou là les prolongations, y compris au Caire –, doit reporter son dynamisme, son imagination et son savoir-faire, qui est si grand, sur ces coopérations avancées, qui constituent bien souvent le plus sûr moyen de faire en sorte que l’Europe poursuive sa marche en avant. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de ce débat sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne, auquel nous invite Hubert Haenel.
L’Europe reste en effet un sujet trop souvent absent de nos travaux, alors même que les enjeux de sa construction concernent directement nos concitoyennes et nos concitoyens, et que la plupart de nos lois sont des transpositions de directives. Ma satisfaction est d’autant plus grande que ce débat se déroule ce soir dans notre hémicycle, comme l’a souligné notre collègue Simon Sutour.
De manière quasiment unanime, le monde médiatique, les politiques, les experts et l’administration européenne ont loué un bilan jugé exceptionnel.
Nicolas Sarkozy aurait fait preuve de détermination, de dynamisme et de charisme pendant cette présidence de l’Union européenne à l’image de son mandat national. Balayant tous les obstacles sur son passage, redorant le blason de la politique, permettant des consensus sur des sujets réputés difficiles, il aurait parfaitement maîtrisé les crises politiques, financières, économiques et sociales survenues lors de ces six derniers mois : c’est en tout cas le message que l’on nous assène depuis la mi-décembre !
Au-delà de l’agitation médiatique, je me concentrerai sur le véritable bilan de la présidence française de l’Union et sur la mise en œuvre des quatre priorités annoncées au début de ce mandat.
Certains mérites peuvent, bien sûr, être reconnus à cette présidence. Comme le souligne Hubert Haenel dans sa question, les événements de ce second semestre auront permis de replacer le Conseil européen au cœur des choix et des politiques de l’Union européenne. Nous ne pouvons que souscrire à cette repolitisation du débat.
Cependant, n’oublions pas deux questions fondamentales.
Premièrement, pour rendre véritablement sa légitimité politique à l’Union européenne, il ne s’agit pas seulement de redonner du poids au Conseil européen ; encore faut-il renforcer les pouvoirs du Parlement européen.
Dans cette perspective, comment ne pas reconnaître que cette institution a été malmenée sous cette présidence ? En particulier, comment expliquer que le conseil des ministres ait entériné le rehaussement des relations avec Israël le 8 décembre dernier, alors même que le Parlement européen s’était prononcé pour un report de ce projet cinq jours plus tôt ?
Deuxièmement, si le rôle politique de l’Union a été renforcé, ce renforcement s’est accompagné d’un retour important de l’échelon intergouvernemental, mes collègues Yvon Collin et Simon Sutour l’ont rappelé.
La méthodologie choisie pour la mise en place du plan de relance européen s’est bornée à l’addition de plans nationaux dans le cadre des compétences des États membres. Ce plan a finalement été financé par les États à hauteur de 170 milliards d’euros, pour un effort annoncé de 200 milliards d’euros.
Nous regrettons que cette méthode, laissant beaucoup de place aux tractations interétatiques, écarte la recherche d’un « intérêt général communautaire ». Pourtant, de la définition de cet intérêt communautaire découle directement celle des protections minimales des citoyens et des services publics à mettre en œuvre pour garantir les droits.
De plus, le Président de la République ne cache pas qu’il estime que le leadership de l’Union doit revenir non seulement au Conseil européen, mais également à un petit groupe de pays : l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne. Il a ainsi estimé que « c’est aux grands pays de prendre des initiatives. Ils n’ont pas plus de droits, mais plus de responsabilités. » C’est, je le rappelle, en pleine contradiction avec l’esprit de la construction européenne.
Pour en finir avec les aspects institutionnels, je relèverai qu’Hubert Haenel souligne, dans sa question, les difficultés de la présidence semestrielle. Celles-ci sont certes réelles, mais cette observation suscite un certain étonnement de notre part. Pourquoi un tel regain d’intérêt pour les difficultés liées à la présidence semestrielle ? Tout simplement parce que chacun espérait que la présidence française serait la dernière d’une durée de six mois avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, permettant de porter la durée de la présidence à deux ans et demi. J’attire une nouvelle fois votre attention, mes chers collègues, sur les risques que l’on encourt à vouloir préjuger du vote des peuples, et surtout de leur absence de vote.
La question de l’adoption du traité de Lisbonne illustre parfaitement le déficit démocratique profond de la construction européenne, dont la résorption n’a pas été la priorité de la présidence française, tant s’en faut. En effet, sa mission première, dans ce domaine, aura été de trouver une issue pour contourner le vote des Irlandais.
Afin de soumettre une nouvelle fois ce traité au peuple d’Irlande, le Conseil européen a fait le choix de céder à des revendications nationalistes du gouvernement irlandais, concessions qui ne vont pas dans le sens d’une Europe de progrès.
Ainsi, il est notamment acquis que la Charte des droits fondamentaux ne s’appliquera pas à l’Irlande dans certains domaines, comme la famille. Nous étions déjà inquiets de l’absence de portée contraignante de ce document, mais s’il est vidé de son contenu, sa fonction sera vraiment très limitée, voire inexistante.
Au-delà des questions institutionnelles, l’ambition politique de la présidence française, qui s’est traduite par ses quatre priorités, appelle des commentaires. À cet égard, je dois dire que le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche n’approuve pas le bilan de cette présidence.
La gestion de la crise s’est révélée être simplement de circonstance, puisqu’elle n’a pas permis d’en mettre en lumière les causes profondes et de réorienter les politiques de l’Union européenne.
En effet, selon les sénateurs de mon groupe, les racines de la crise sont à rechercher dans les politiques de libéralisation et de marchandisation de l’ensemble des activités humaines, qui conduisent à la déconnexion des marchés financiers de l’économie réelle.
Alors que la Commission annonce pour cette année, dans ses prévisions économiques révisées, une récession à hauteur de 1,9 % du PIB au sein de la zone euro et la suppression de 3,5 millions d’emplois, rien n’est fait pour protéger les citoyens européens contre la crise sociale.
Bien au contraire, les politiques de déréglementation sont plus que jamais à l’ordre du jour, tout comme l’indépendance de la Banque centrale européenne, le pacte de stabilité et de croissance ou la proscription des aides d’État.
En matière de politique agricole, le bilan de santé de la politique agricole commune, qui devait préfigurer une réforme plus importante de celle-ci, permet de renforcer encore la position des grands exploitants et entérine la suppression des quotas laitiers à l’horizon de 2014.
Sur le plan énergétique, le plan climat européen, qui devait être un succès – l’objectif ambitieux d’une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre a été annoncé –, s’est révélé bien décevant, de l’aveu même des associations concernées.
En effet, de nombreuses dérogations ont été concédées aux industries les plus polluantes, du fait de la pression de pays tels que l’Allemagne, l’Italie ou les pays d’Europe de l’Est.
Outre qu’il impose le principe « pollueur-payeur », qui ne nous semble pas particulièrement satisfaisant, le système des quotas d’émission, placé au cœur de ce plan, laisse en suspens la question des modes de production énergétique, qui est, elle, essentielle. En effet, il ne suffit pas de définir des objectifs environnementaux pour transformer les modes de production dans les cas où ils reposent principalement sur le charbon.
Sur le fond, la libéralisation des marchés de l’énergie ne peut coïncider avec une meilleure prise en compte du facteur environnemental. Comme le souligne le rapport de la mission commune d’information sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, ce secteur ne peut pas être laissé à la « main invisible » du marché. Il faut donc une véritable politique énergétique commune, reposant sur la diversification du bouquet énergétique au profit des modes de production les moins polluants.
Par ailleurs, loin d’offrir l’image d’une Europe accueillante, la politique extérieure de l’Union, illustrée par le fameux pacte sur l’immigration et l’asile présenté le 7 juillet dernier, premier acte fort de la présidence française, pose les bases d’une forteresse défensive. Ce pacte permet non seulement la détention provisoire pendant une durée de dix-huit mois, mais également le renvoi des enfants. De plus, le concept de l’« immigration choisie » ne respecte ni le droit des migrants ni la dignité humaine. Monsieur le secrétaire d’État, tous les murs dressés ne serviront à rien tant qu’un déséquilibre important continuera d’exister entre le Nord et le Sud.
Sur le plan international, le rehaussement des relations avec Israël est scandaleux, notamment au regard de la politique d’occupation menée par cet État. Loin de subir les foudres de l’Union, l’État d’Israël se voit offrir par les Vingt-Sept, comme une récompense, une participation aux programmes communautaires. Nous en sommes choqués et nous demandons la suspension immédiate de cet accord.
En effet, le projet d’Union pour la Méditerranée ne dispense pas l’Union européenne de prendre ses responsabilités au Proche-Orient et de peser plus encore, au-delà de l’aide humanitaire, en faveur d’une résolution politique du conflit, d’une paix juste et durable et de la reconnaissance d’un État de Palestine dans les frontières de 1967, à côté de celui d’Israël.
Je conclurai en évoquant la politique sociale, qui devait être une priorité de la présidence française, à en croire le discours prononcé par le Premier ministre devant l’Assemblée nationale le 18 juin dernier. Le Président de la République avait même affirmé : « Je veux une Europe à l’intérieur de laquelle aucun État ne puisse pratiquer le dumping social. »
Dans cet hémicycle, M. Xavier Bertrand avait désigné comme des priorités de la présidence française la santé et la sécurité au travail, au titre desquelles devaient être prises en compte la pénibilité, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Ces priorités devaient trouver leur traduction concrète dans des directives, mais on ne peut que déplorer l’immobilisme de la Commission et du Conseil européen sur ces questions !
Ainsi, le rapport de Gabi Zimmer, qui a été adopté à l’unanimité et qui proposait l’instauration d’un salaire minimum à l’échelon européen, n’a pas eu de traduction législative. Je le regrette.
En outre, la reconnaissance d’un droit à la santé n’a pas avancé d’un pouce. Au contraire, un tel droit est sans cesse remis en cause par l’abandon de l’hôpital public au profit de l’initiative privée, qui ne garantit pas l’accès aux soins pour tous.
La seule proposition concrète, heureusement repoussée par le Parlement européen, aura été la fameuse directive sur le temps de travail, symbole du moins-disant social. Sous prétexte d’instaurer des normes minimales, cette directive proposée par M. Xavier Bertrand prévoyait notamment la mise en œuvre de la semaine de soixante-cinq heures, faisant craindre une « régression sociale jamais vue », selon l’expression de la Confédération européenne des syndicats. Nous sommes donc très loin de cette Europe sociale, protectrice, que nous a décrite l’ambassadeur permanent de la France auprès de l’Union européenne lors de sa récente audition par la commission des affaires européennes.
En définitive, la présidence française n’aura pas fait avancer l’Europe sociale. Bien au contraire, elle a persisté dans la voie des politiques libérales qui ont conduit l’Europe dans le mur…
Les élections européennes de juin prochain seront, je l’espère, une occasion pour les peuples de peser en faveur d’une Europe dont les maîtres mots seront non plus « libre concurrence » et « marché roi », mais « justice économique, sociale et environnementale », permettant le développement de tous et le progrès social pour chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union qui vient de s’achever apparaît comme la plus dense, la plus dynamique et la plus réussie de toutes celles que l’Europe a connues. Ce jugement n’est pas frappé du sceau de l’arrogance française ; il est, au contraire, partagé par la plupart de nos partenaires.
La difficulté des défis qui se sont présentés, l’excellente préparation des dossiers sectoriels, le grand professionnalisme de nos hauts fonctionnaires, mais surtout la clairvoyance, la volonté et l’habileté du Président de la République ont permis de faire avancer l’Europe dans bien des domaines et de la faire apparaître comme un acteur majeur de la vie internationale.
La crise russo-géorgienne, si elle n’avait pas été maîtrisée, aurait pu avoir des conséquences incalculables pour notre continent et ressusciter pour longtemps la guerre froide. Tout n’est pas réglé, mais l’Europe a adressé les deux messages qui convenaient à la Russie : l’Europe ne peut pas transiger avec la liberté des peuples, mais, dans le même temps, elle offre à ce grand pays les perspectives d’un partenariat de paix et de prospérité de l’Atlantique à l’Asie.
Certes, le chemin sera long pour amener progressivement la Russie à comprendre que plus de liberté et plus de démocratie chez elle lui apporteront plus de poids et de considération dans le monde.
De notre côté, il nous faudra également du temps pour aider les anciennes républiques soviétiques à dépasser les craintes et les réflexes qu’elles ont acquis sous le joug de l’Union soviétique, afin d’ouvrir une ère nouvelle de coopération sur l’ensemble du continent eurasiatique.
Cependant, la manière très énergique et très équilibrée avec laquelle le Président de la République a traité cette crise autorise tous les espoirs.
Le deuxième grand dossier de la présidence française fut évidemment le passage brutal de la crise financière à la crise économique. Ce moment crucial réclamait une réaction rapide et de grande ampleur. Il en fut ainsi. Il fallait des mesures immédiates et des résolutions à long terme.
S'agissant des premières, on peut regretter que l’intégration économique de l’Europe ne soit pas arrivée à un stade suffisant pour que la réponse soit essentiellement communautaire. Chaque pays a voulu adapter sa réponse à ses efforts passés, à ses capacités, à sa culture économique. Pour autant, les 11 et 12 décembre derniers, l’Union européenne, pressée par la présidence, a tout de même mis en place des éléments de relance importants, qui s’ajoutent aux politiques nationales et qui démontrent un plus grand souci de cohésion.
Les perspectives à long terme sont encore plus importantes et lourdes de sens. Il s’agit, d’une part, de mieux réguler et de moraliser davantage l’économie mondiale, et, d’autre part, d’associer désormais les grandes nations émergentes aux décisions importantes. Souhaitons à ce propos que le G 20 convoqué à Londres le 2 avril soit à la hauteur des enjeux et de sa nouvelle représentativité.
Ces deux éléments peuvent et doivent changer la face de la mondialisation. Les solutions existent ; elles sont connues, mais il faudra une énergie extraordinaire, un grand courage et beaucoup de solidarité pour parvenir à nos fins.
La troisième action porteuse d’avenir réside dans la relance du processus du traité de Lisbonne, stoppé trois semaines avant le début de la présidence française par le référendum irlandais. Certes, nous eussions préféré avoir à mettre en œuvre ce traité, mais les Français sont mal placés pour critiquer les résultats d’un référendum en Europe ! Le compromis qui a été proposé par la présidence française et adopté par le Conseil nous laisse entrevoir une issue à cette crise, pour peu que nous laissions un peu de temps au temps.
En matière institutionnelle, on pourrait être tenté de considérer, au terme de cette présidence, que la qualité des présidences peut s’exprimer avec des institutions inachevées et que les hommes comptent plus que les institutions, mais les dispositions du traité de Lisbonne sont néanmoins indispensables pour les inévitables périodes de croisière ou de doute que connaîtra encore l’Union européenne demain.
Enfin, l’Union pour la Méditerranée est lancée. Il est bon qu’elle ait gardé son caractère communautaire. Il s’agit d’un objectif très difficile à atteindre et extrêmement ambitieux, mais si le succès est au bout du chemin, ce processus sera porteur de paix, de prospérité et de justice. Il revêtira un caractère exemplaire pour le dialogue Nord-Sud et contribuera, espérons-le, à ce qu’une solution puisse enfin être trouvée au Proche-Orient.
Tels sont, me semble-t-il, les grands dossiers qui vont déterminer dans une large mesure le destin de l’Europe. Chacun d’eux a été traité avec beaucoup d’intelligence et de force. Les germes du progrès sont là : espérons que la conjoncture internationale, l’action des futures présidences et, surtout, la sagesse des hommes permettront leur épanouissement et leur réussite.
Si l’Europe a pu parvenir à de tels résultats et apparaître plus présente que jamais sur la scène internationale, cela est dû à l’énergie d’un homme, le Président de la République française.
Cela est également dû au fait qu’une question institutionnelle lancinante est désormais tranchée. C’est à partir du Conseil européen, et non de la Commission, que se construit le pouvoir exécutif communautaire. Cette question a longtemps fait débat en Europe, mais il ne pouvait pas en être autrement.
Dans le même temps, le Président a bien compris que c’est en respectant la Commission, en acceptant son rôle et en entretenant les meilleures relations avec son président que les institutions atteignent leur efficacité maximale. La guérilla institutionnelle appartient au passé, avant même l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Cela est également à mettre au crédit de la présidence française.
Cette atmosphère positive a permis de faire avancer des dossiers préparés de longue date, qui ont trouvé une traduction concrète sous l’impulsion de la France.
Le bilan de santé de la politique agricole commune, la politique d’immigration, la lutte contre le changement climatique et les progrès obtenus en matière de sécurité et de défense sont autant de pierres apportées par la France à l’édifice européen.
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, qui avait rendu visite à chacun de ses homologues avant la présidence française, a conduit avec beaucoup d’expertise et de finesse les négociations sur le bilan de la politique agricole commune et les réflexions sur l’évolution de celle-ci.
L’accord du 20 novembre, tout en prenant en compte les évolutions nécessaires, préserve les intérêts français, qui ne sont pas minces en la matière.
Le maintien de l’intervention, un encadrement programmé de la sortie des quotas laitiers, la possibilité de maintenir le couplage pour certaines productions, l’amélioration des dispositifs de couverture des risques climatiques et sanitaires, une plus grande souplesse dans la réorientation possible des aides et, enfin, la limitation du transfert vers le second pilier sont autant d’objectifs atteints, qui rassureront nos agriculteurs tout en prenant en compte la nécessaire évolution de la PAC au-delà de 2013.
La présidence française présente également un bilan très solide en matière d’immigration.
Avant cette présidence, beaucoup de Françaises et de Français avaient le sentiment que la politique française d’immigration était isolée en Europe. Le ministre Brice Hortefeux a démontré le contraire : les fondamentaux de cette politique sont désormais partagés par nos vingt-six partenaires.
Le pacte européen sur l’immigration, préparé à Cannes et conclu à Bruxelles, la politique d’intégration entérinée à Vichy, l’établissement des bases d’une politique contractualisée avec les pays d’origine, réalisé à Paris et d’ores et déjà concrétisé par la signature de sept accords, constituent désormais les fondements de la politique européenne d’immigration, d’intégration et de coopération pour la prochaine décennie.
En matière de lutte contre le changement climatique, cinq directives et un règlement constituant le paquet « énergie-climat » proposé au début de l’année dernière par la Commission ont pu être adoptés les 11 et 12 décembre derniers par le Conseil européen et approuvés par le Parlement.
Moins d’une année pour parvenir à un tel résultat : cela relève de la performance. Les situations très différentes qui prévalent dans les vingt-sept pays pouvaient laisser craindre l’échec. La solidarité entre États membres a permis de transcender les difficultés.
Un plan d’action opérationnel va pouvoir être mis en place, tendant, à l’horizon 2020, à diminuer d’au moins 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer de 20 % l’efficacité énergétique et à recourir dans une proportion de 20 % aux énergies renouvelables. L’Europe se place ainsi en tête du mouvement pour la transition écologique et énergétique.
Par ailleurs, la France avait annoncé qu’elle entendait dynamiser la politique de défense européenne. Plusieurs initiatives à cette fin ont été lancées pendant sa présidence et leur mise en œuvre a été accélérée.
Nous pouvons donc être fiers et très satisfaits de la façon dont le Président de la République a conduit cette présidence et des résultats qu’il a obtenus.
À cette occasion, nous mesurons les formidables chances que l’Europe offre pour le rayonnement dans le monde d’un pays comme le nôtre. Les eurosceptiques devraient y réfléchir.
En retour, l’Europe bien conduite mesure la place qu’elle est capable d’occuper dans la vie internationale pour peu qu’elle soit unie. Cette présidence a démontré, s’il en était besoin, que l’Europe ne peut être que politique. Que les partisans d’une Europe qui ne serait qu’un simple espace économique y réfléchissent.
Que serions-nous aujourd’hui face à la crise, sans l’euro ? Que ceux qui n’ont pas voulu adopter la monnaie unique s’interrogent à leur tour.