M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présidence française de l’Union européenne vient de s’achever. L’heure est donc au bilan. Disons-le sans attendre, ce bilan est globalement positif, du moins en apparence.
M. Jacques Blanc. Et même en réalité !
M. Yvon Collin. Les médias ont salué l’investissement personnel du Président de la République, qui n’a pas ménagé ses efforts, ses déplacements et ses rencontres. C’est un fait !
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Yvon Collin. Mais cela ne suffit pas à adresser un satisfecit à notre Président et à son Gouvernement dans cette mission de six mois à la tête de l’Union européenne. En effet, il convient de rester modeste : la majorité des dossiers n’a-t-elle pas fait que suivre son cours ? (M. Pierre Bernard-Reymond s’exclame.) Finalement, très peu de nouveaux chantiers ont été ouverts. Certains, très urgents et très attendus par nombre de professionnels, notamment français – je pense à la politique de santé et plus encore à la PAC – n’ont presque pas bougé.
Seul le paquet « énergie-climat » sort très nettement du lot.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Yvon Collin. Il a connu une accélération remarquable, faisant de l’Europe l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique et pour la sécurité énergétique. Bien qu’assorti in extremis de réelles concessions aux Allemands et aux Polonais, ce plan précis et contraignant est un pas très important dans un domaine où il était urgent d’intervenir vigoureusement.
Pour le reste, il faut le reconnaître, ce sont avant tout des événements exceptionnels qui ont donné du relief à la présidence française de l’Union européenne. Force est de constater, en effet, que ce sont des crises – les crises internationales, la crise financière, la crise économique – qui ont mis en exergue l’action de la France pendant ces six derniers mois.
Au passage, il faut aussi rappeler que la conjoncture internationale était des plus favorables, puisque notre présidence s’est exercée durant la période de transition que traversait l’administration américaine, laissant par là même le champ libre, sur la scène internationale, à un intérim européen pour le leadership des relations internationales.
M. Simon Sutour. Très juste !
M. Yvon Collin. Comme très souvent, il faut reconnaître que notre Président de la République est expert pour s’emparer des opportunités politiques qui s’offrent à lui.
M. Jacques Blanc. Cela vaut mieux !
M. Yvon Collin. La crise géorgienne et la crise financière ont donc fourni l’occasion de mettre l’Europe à l’épreuve. Ces deux « accidents » majeurs, même s’ils étaient prévisibles, ont bousculé l’Union européenne et ont conduit les autorités françaises à affirmer un style de gouvernance axé sur l’urgence, la réactivité et la cohésion.
Sur le plan diplomatique, l’activisme du Président de la République a certainement été très déterminant pour la préservation de l’unité de vues des États membres et l’obtention rapide d’un cessez-le-feu entre la Géorgie et la Russie. Le danger de voir les troupes russes s’enfoncer dans ce pays était en effet bien réel. En créant les conditions d’un dialogue, qui n’est jamais facile, avec les dirigeants russes, le pire a été évité, en tout cas jusqu’à ce jour.
Sans donner un quelconque assentiment aux initiatives parfois hésitantes du Président de la République – souvenons-nous des errements avec la Chine sur la question tibétaine –, il est toutefois normal de saluer chaque geste politique ou diplomatique portant la moindre espérance de paix.
S’agissant de la crise économique et financière, on peut là aussi reconnaître les efforts qui ont été fournis par la présidence française pour apporter une réponse rapide destinée à rétablir la confiance qui était en train de disparaître et ainsi permettre le retour à un fonctionnement plus régulé du secteur financier. De la réunion informelle de Nice en septembre jusqu’au sommet international de Washington en novembre, les initiatives ont été nombreuses et ambitieuses. Dans cette affaire, consciente de la gravité de la crise, l’Europe est apparue déterminée aux yeux du monde, ce qui est important.
Cependant, au terme de ces six mois de présidence française, nous devons, comme souvent avec ce gouvernement, faire la part entre ce qui relève de l’affichage et la réalité.
Oui, l’Europe a souvent parlé d’une même voix ! Mais il faut aussi constater que sa stratégie économique durant cette période a surtout consisté à valider une série de plans nationaux. Une Europe véritablement unie, ce serait une Europe aux politiques budgétaires et économiques coordonnées. Hélas ! on en est encore très loin.
La crise en a peut-être diffusé l’idée, mais le discours sur les vertus d’une action concertée peine à se concrétiser dans les faits. Pourtant, comme l’indique le rapport intitulé La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ?, que j’ai corédigé avec mon collègue Joël Bourdin – permettez-moi de vous dire que vous avez d’excellentes lectures, monsieur le secrétaire d’État (Sourires) –, la coordination des politiques économiques devrait représenter un engagement politique majeur dans le processus de construction européenne. Le traité fondateur ne dispose-t-il pas que « les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil ».
Malheureusement, cette volonté est jusque-là restée formelle. Même le pacte de stabilité, brandi comme un instrument de la coordination, n’est en fait qu’un simple corps de règles plus ou moins contraignantes ; il fixe des objectifs, sans toutefois fournir les outils pour les atteindre. Ce pacte se révèle d’ailleurs impossible à tenir en cas de grave récession. Nous en avons aujourd’hui la preuve, puisque notre pays prévoit de laisser filer les déficits publics à plus de 4 % du PIB en 2009.
Malgré la crise, l’Europe se caractérise donc toujours par une grande diversité d’options nationales qui s’opposent et la survivance d’intérêts nationaux qui s’affrontent. Cette stratégie est bien évidemment contre-productive.
Pourtant, des modèles macro-économiques ont démontré, par exemple, qu’une relance par la demande dans un pays isolé apparaissait près de moitié moins efficace que lorsqu’elle est conduite à l’unisson et que son efficacité est réduite des trois quarts quand, en plus, les autorités monétaires prennent des mesures pour la contrecarrer.
Compte tenu du degré d’interdépendance des économies européennes, la régulation conjoncturelle de l’activité est une question d’intérêt commun. Or la politique monétaire mise à part, les politiques de régulation de la conjoncture – politiques budgétaires ou salariales – sont des politiques nationales. Cette situation favorise les stratégies individuelles des États membres de la zone.
Par exemple, la France et l’Allemagne mènent souvent des politiques budgétaires divergentes, aboutissant à une compétition entre elles. Et le plus souvent – on peut le regretter ! – cette compétition est favorable à l’Allemagne en termes de marché, grâce à sa politique de désinflation compétitive.
Aujourd’hui, l’affaire est plus grave que celle d’une hyper-compétition interne, puisque c’est l’ensemble de la zone euro qui entre en récession, avec un recul du PIB estimé à 1,9 %. La grande crise économique actuelle doit être une opportunité à saisir pour approfondir et réellement enclencher le processus de coordination des politiques économiques à l’échelle de l’Union.
Durant la présidence française, il aurait été important de traiter l’origine immédiate de la crise en favorisant davantage la mise en place d’instruments destinés à revoir et à réguler le système financier mondial. Certes, ce fut l’objet de quatre directives européennes dont le Président de la République, et il avait raison, a souhaité l’adoption rapide.
Il était également important de traiter les difficultés sociales à venir en adoptant des plans de relance, même dispersés, destinés à relancer l’activité et à retrouver le chemin de la croissance. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir demain.
Mais, au-delà de ces impératifs, il faudra, je le répète, s’atteler à rendre l’Europe davantage maîtresse de son destin par le renforcement de ses fondations économiques dans le sens d’une véritable coordination. Ses institutions sont, elles aussi, encore fragiles, avec les quelques incertitudes qui pèsent sur la ratification du traité de Lisbonne par certains pays.
La présidence française a marqué les esprits par son volontarisme. C’est indéniable ! Mais que restera-t-il demain de cette période caractérisée par des situations d’urgence et de crises, empêchant finalement un approfondissement concret de la coordination économique ?
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe est née dans la crise. Je ne désespère pas qu’elle tire les leçons de celle que nous vivons actuellement.
La zone euro connaîtra des turbulences qui engendreront des solutions de court terme. Mais n’oublions pas l’essentiel : le défaut de coordination des politiques économiques aboutit à une confrontation qui ne fait, au bout du compte, que des perdants et compromet ainsi sérieusement toutes les ambitions affirmées dans le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à souligner que nous sommes heureux que le débat européen fasse son retour dans l’hémicycle. Il n’y a ni petit ni grand hémicycle ; il n’y a qu’un hémicycle : le lieu où nous débattons !
La question qui nous réunit ce soir est pour nous l’occasion d’aborder les problématiques européennes.
« Si je veux parler avec l’Europe, quel numéro dois-je composer ? » : telle était l’interrogation d’Henry Kissinger en 1974, pointant déjà du doigt le manque de visibilité de l’Europe en construction.
En 1975, le rapport Tindemans proposait d’étendre la présidence du Conseil à douze mois, projet que les États membres d’alors avaient refusé, craignant que l’Union européenne ne devienne l’otage d’un seul État.
La question institutionnelle de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne n’est donc pas nouvelle ; elle s’est toujours posée, pour des raisons à la fois de visibilité et de continuité des travaux. À mesure que cette fonction a pris de l’importance et que l’Union européenne s’est élargie, elle est devenue de plus en plus pertinente. Le bilan de la présidence française du Conseil s’inscrit donc dans un débat institutionnel plus large, plus long. Si celle-ci n’a pas créé cette question, elle l’a cependant alimentée.
Je me réjouis de l’énergie déployée par le Président de la République. Ce dynamisme a permis des avancées, notamment lors de la crise en Géorgie l’été dernier.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Simon Sutour. Mais ce dynamisme s’est parfois transformé en politique du coup de poker, bien loin du jeu collectif européen qu’il était censé organiser.
Ainsi, lors du sommet Union européenne–Russie en novembre dernier, on a vu le président de l’Union européenne se prononcer contre le bouclier antimissiles américain sans mandat européen. À la suite des protestations de la République tchèque et de la Pologne, il a dû faire machine arrière, ce qui a rendu peu lisible la position de la France en matière de défense européenne ; nous y reviendrons.
De même, les débuts du projet d’Union pour la Méditerranée ont été marqués par une vision unilatérale de la France, laissant de côté non seulement l’Allemagne, mais également l’ensemble du processus existant et les institutions communautaires déjà impliquées dans ce domaine.
M. Jacques Blanc. Heureusement qu’il l’a fait !
M. Simon Sutour. Or la construction européenne est, par définition, un travail collectif, monsieur Blanc ! La présidence du Conseil a pour responsabilité d’encourager ce travail collectif et de le respecter.
En quoi le changement de présidence de l’Union pourrait-il « retarder les progrès des dossiers en cours » ? Je suis étonné que la question de mon collègue et ami Hubert Haenel soit présentée en ces termes. En effet, il n’est pas difficile de constater que, pour la très grande majorité des dossiers européens, chaque présidence fait évoluer les dossiers qui n’ont pu être conclus par la précédente …
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !
M. Simon Sutour. … ou qui ne lui ont pas semblé prioritaires. J’imagine facilement que ce sera le cas pour l’attribution de moyens importants en faveur du lancement de projets européens de grandes infrastructures, notamment en matière d’interconnexion énergétique, dont l’urgence n’est plus à démontrer.
Après l’échec d’un accord sur ce sujet fin décembre, il faudra bien compter sur la présidence tchèque pour trouver une solution qui permette à l’Union européenne, en tant que telle, de contribuer à la relance économique.
En outre, la présidence française ne s’est pas toujours montrée exemplaire en matière de continuité des travaux, et il serait bien inapproprié d’en tirer des conclusions sur « le progrès des dossiers ».
Dès le début, la présidence française avait été accusée de préempter la troïka afin de garantir son succès, en ralentissant le travail de la présidence slovène sur certains sujets majeurs et en discréditant à l’avance la présidence tchèque, mettant ainsi en péril la coopération entre les trois.
Je pense que l’Europe, c’est aussi une question de confiance dans ses partenaires européens. Il est frappant de voir avec quelle méfiance, quelle arrogance parfois, est accueillie la présidence tchèque. Je regrette que certains estiment qu’il faille se méfier de la capacité de la présidence tchèque à reprendre les dossiers ou à trouver des solutions aux problèmes. Un bon travail au sein de la troïka devrait normalement éviter que cette question soit posée. Rien ne permet de présupposer qu’un grand pays réussira mieux sa présidence qu’un petit pays ou qu’un État ayant récemment rejoint l’Union européenne.
En raisonnant par analogie, mes chers collègues, les sénateurs que nous sommes le savent bien : dans nos départements, il n’y a pas de petites ou de grandes communes ; il y a tout simplement des communes !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Ça, c’est vrai !
M. Simon Sutour. L’application du traité de Lisbonne stabiliserait la présidence du Conseil de l’Union européenne. Mais cette fonction sera également temporaire et fortement encadrée ; elle ne remplacera pas la présidence tournante des conseils des ministres qui, elle, est maintenue.
De plus, nous aurions souhaité que la présidence française réfléchisse à une application anticipée du traité sur des sujets essentiels pour nos concitoyens. Je veux parler de la mise en œuvre de la clause sociale transversale, qui oblige les acteurs européens à intégrer une dimension sociale dans l’élaboration des politiques européennes.
Je pense également – nous n’avons cessé de le répéter et de vous le demander depuis des mois – à la mise en place d’un calendrier pour l’élaboration d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui offrirait enfin à ces derniers toutes les garanties d’exercice, ce dont les citoyens ont encore plus besoin en ces temps de crises.
Les crises ont toujours constitué un moteur de la construction européenne. À cet égard, la présidence française s’est inscrite dans un contexte particulier difficile. On pourrait regretter, d’ailleurs, qu’à part la crise géorgienne aucune crise n’ait accouché d’une solution européenne et que certaines n’aient trouvé aucune réponse.
Ce n’est pas seulement le recensement des différents outils européens qui permet de gérer des crises : c’est l’usage qu’en fait la présidence en exercice.
Comme le Président de la République n’a cessé de le rappeler, « on ne peut agir seul » ; « on ne s’en sortira pas tout seul ». Pourtant, les faits semblent démentir ces affirmations. Quelle a été l’action de la présidence française pour trouver une véritable solution européenne, avec tous les moyens dont dispose l’Union, afin d’instaurer une réelle contribution communautaire et réfléchir vraiment à la mise en place d’un dispositif de long terme au niveau européen ?
Nous attendions que soit suggéré le lancement d’un grand emprunt européen, ce qui aurait permis de faire d’une pierre deux coups, en contribuant à la fois à la relance de l’économie européenne et à la lutte contre le changement climatique. Je sais que la faisabilité d’un tel emprunt a été étudiée de près en novembre et décembre par la Commission et le Parlement européen.
Nous attendions de la présidence française qu’elle propose un véritable fonds européen de financement des mesures de lutte contre le changement climatique, alimenté par les enchères des émissions de quotas.
Nous souhaitions également que la présidence française se penche sur la préparation de la révision des perspectives financières et qu’elle engage une réflexion commune en amont sur le financement des politiques de l’Union.
La réponse commune aura été en trompe-l’œil : on a assisté à un habillage communautaire de plans de relance nationaux. D’ailleurs, la plupart des mesures étaient déjà budgétées ou prévues par les États membres.
En outre, monsieur le secrétaire d’État, comment traiter la crise économique sans traiter la crise sociale qui lui est intrinsèquement liée ? La liste des licenciements s’allonge et, d’après les chiffres publiés par Eurostat le 8 janvier dernier, le taux de chômage a augmenté de 6,5 % à 7,4 % dans la zone euro et de 6,3 % à 7 % dans l’Union européenne, soit un total de 17,5 millions de chômeurs en Europe.
Quelle a été la réponse de la présidence française ? L’allongement de la durée légale du temps de travail en Europe ? Une réforme a minima de la directive sur les comités d’entreprise européens ?
De même, la forte volatilité des prix mondiaux des denrées alimentaires, devenues valeurs refuges pour la spéculation financière, a provoqué une crise alimentaire mondiale. Croyez-vous que la réforme de la PAC que vous avez conclue, et qui renonce à la plupart des outils de régulation du marché, permettra à l’avenir de garantir un revenu décent aux agriculteurs et la sécurité alimentaire à moyen terme de l’Union européenne ?
Vous estimez que l’équilibre institutionnel s’est modifié, mais ce ne sont pas les crises qui l’ont modifié : ce sont méthodes de la présidence française qui ont esquissé un retour à l’Europe intergouvernementale.
Faut-il considérer que le retour de la diplomatie classique non seulement d’État à État, mais avec un directoire constitué des « grands États » membres de l’Union européenne, est une véritable mise en œuvre de l’Europe politique ?
L’Europe politique, ce n’est pas une Europe intergouvernementale. Or, sous la présidence française, c’est une Europe de la coopération, au détriment d’une Europe de l’intégration, qui a été privilégiée, en affaiblissant délibérément l’esprit et l’intérêt communautaires.
En réintroduisant l’unanimité au Conseil européen pour adopter les orientations du paquet « énergie-climat », la présidence française a mis à mal une vision intégrée de la construction européenne et la prééminence d’un intérêt européen commun.
Cette valorisation de l’unanimité est une régression. En effet, elle met en cause la légitimité européenne, en autorisant une minorité à ne pas reconnaître la majorité et à considérer qu’il n’existe pas d’entité politique unique.
Dans cette vision des négociations européennes, chaque État membre redevient le garant de son seul intérêt. À cet égard, le Pacte européen sur l’immigration et l’asile a bien été l’illustration de ce nouveau virage pris par la présidence française, qui a privilégié une sorte d’accord de non-intervention dans les politiques des États membres.
Il ne faut pas négliger les incidences de cette conception du rôle de l’Europe sur la conception même de la solidarité européenne.
Les déclarations d’amitié à l’égard du président de la Commission européenne ne tromperont personne, tant la présidence française s’est attachée à affaiblir l’exécutif communautaire, réduisant son rôle à celui d’un bureau d’enregistrement des décisions du Conseil.
Les plans de relance des États membres en sont un bel exemple, ces derniers déniant à la Commission le rôle d’évaluation et de contrôle de ces plans.
La multiplication des sommets informels entre chefs d’État, dont la Commission ne serait plus qu’une invitée dépendant du bon vouloir de la présidence en exercice, priverait, à terme, la Commission de son pouvoir d’initiative et de son rôle moteur dans une construction européenne intégrée.
Quant au Parlement européen, il a su s’affirmer sur de grands sujets politiques – le temps de travail, par exemple –, mais il a subi une très forte pression de la part de la présidence pour accélérer le rythme de ses travaux.
Je comprends l’importance des trilogues, négociations en amont entre les trois institutions, pour faciliter un accord en première lecture et boucler le programme législatif avant les élections européennes. Pour autant, sur de grands sujets, il ne faudrait pas que cette pratique court-circuite le débat démocratique, qui doit normalement se tenir dans l’enceinte du Parlement européen. Je regrette ainsi que le vote dans l’hémicycle sur le paquet « énergie-climat » n’ait duré que vingt minutes.
De même, alors que la présidence française avait promis d’appliquer par anticipation le traité de Lisbonne et la codécision en matière agricole, il n’en a rien été. Il s’en est même fallu de peu que l’avis du Parlement européen intervienne avant la décision du Conseil des ministres !
Enfin, dans son discours au Parlement européen le 16 décembre dernier, le Président de la République a déclaré que le Parlement européen était plus conciliant sur certaines politiques – par exemple, l’immigration – qui, sur le plan national, ne donnent pas toujours « l’exemple du respect des personnes, du calme, de la pondération et de l’esprit de responsabilité ».
Cela veut-il dire que lorsque le débat démocratique ne se plie pas à la volonté de l’exécutif il n’est plus légitime ? En outre, si le Parlement européen est plus « compréhensif » que le Parlement national, pourquoi le court-circuiter sur certains sujets ?
En tout état de cause, cette approche, qui se veut pragmatique, pourrait être très dommageable à la veille d’élections européennes, pour lesquelles, trop souvent, les citoyens ne se sentent pas concernés ou ne discernent pas les enjeux.
Il est normal que le président en exercice fasse tout pour rendre le plus positif possible son bilan – il est également normal que ses amis politiques l’y aident, comme c’est le cas ce soir – ; il en a fait largement la démonstration devant le Parlement européen, sur tous les sujets, y compris sur ceux qui n’ont pas été traités ! L’Europe sociale en est l’exemple le plus flagrant, et ce malgré les déclarations du Gouvernement. Il suffit de se rappeler que les services sociaux d’intérêt général, fortement menacés aujourd’hui, n’ont été traités que dans le cadre d’un forum. Le thème de la sécurité privée a également eu droit à son colloque. C’est dire l’importance donnée à l’avenir des services sociaux et des millions de personnes qui en bénéficient en France.
De même, le droit de grève et à l’action collective, menacé par de récents arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, n’a fait l’objet que d’un échange de vues entre ministres, sans proposition d’action concrète permettant d’apporter une réponse politique aux menaces jurisprudentielles qui pèsent sur l’action collective en Europe.
La relance de la politique européenne de sécurité et de défense était l’une de quatre priorités de la présidence française de l’Union européenne. L’abondante rhétorique présidentielle avait promis monts et merveilles en matière de défense européenne. Or, sur un point clé – la création d’une cellule de planification et de commandement au sein de la PESD –, l’échec est patent. Ainsi, on vérifie que la politique de « retour dans l’OTAN » du Président Nicolas Sarkozy a donné le signal d’un recul de facto de la France sur le dossier de la PESD. En effet, certains pays membres se demandent pourquoi, maintenant que la France devient un pays de l’OTAN comme les autres, il faudrait continuer à proposer un organisme qui donnerait de l’autonomie et des marges de manœuvre propres à l’Union européenne.
Nous regrettons également les dérives de l’« Europe protection », dont la France avait fait un slogan. Mais l’Europe doit-elle protéger ou se protéger ?
M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure ! Vous avez dépassé votre temps de parole de cinq minutes !
M. Simon Sutour. Le président de la commission des affaires européennes et M. André Dulait, qui est intervenu en remplacement du président de la commission des affaires étrangères, ont parlé seize à dix-sept minutes !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. J’ai parlé onze minutes !
M. le président. Monsieur Sutour, c’est moi qui préside le débat !
M. Simon Sutour. Je conclus, monsieur le président !
Il est clair que la présidence française, en définissant les moyens de se protéger, en choisissant d’exclure plutôt que d’inclure, a clairement défendu la vision d’une Europe qui se replie sur elle-même.
Le pacte européen sur l’immigration et l’asile relaye sans conteste une volonté de durcissement des politiques d’immigration : dispositif commun d’éloignement, sélectivité renforcée et élitiste des candidats, alignement du principe de regroupement familial sur les politiques les plus restrictives des États membres, pour ne citer que quelques exemples. Rien, en somme, qui présente l’immigration comme un atout pour nos sociétés vieillissantes ou moins dynamiques, et comme une chance à saisir.
La technicité toujours plus poussée des procédures, sans parler du fichage, remplace définitivement toute approche constructive et évolutive.
La défense d’une vision sécuritaire de l’Europe rejoint bien celle d’une Europe dérégulatrice. L’adoption définitive de la directive « retour » sous votre présidence en est l’amère illustration, puisqu’elle ouvre la voie à une révision de notre législation nationale, pourtant plus protectrice que les minimas européens adoptés.
S’il fallait résumer les enseignements à tirer de l’exercice de la présidence française, ce que nous sommes invités à faire aujourd’hui, je dirais que, dans la pratique, il couronne les orientations et les tentations d’années de domination des forces conservatrices en Europe, monsieur Fauchon, eu égard au contenu des politiques néolibérales et sécuritaires, à la réticence à financer véritablement les projets décidés en commun et à la volonté assumée de replacer les politiques menées au nom de l’Union européenne et, aujourd’hui, les institutions, sous le contrôle des États membres.
On a le sentiment qu’a été privilégiée l’Europe financière, l’Europe de la sélection des migrants économiques utiles, l’Europe du seul marché, et que la grande ambition de faire une Europe plus protectrice des citoyens a été perdue en route.
Les socialistes européens ont un autre projet à proposer aux citoyens, comme en témoigne leur programme politique commun, appelé « manifeste » : celui d’une Europe plus juste, avec une vraie relance de l’économie européenne, d’une Europe garante des libertés et des droits, d’une Europe leader en matière de protection de l’environnement, d’une Europe qui place les citoyens au centre du débat politique. Tel est le projet que nous défendrons ces prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)