M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 179, adressée à M. le secrétaire d'État chargé de l'outre-mer.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur le volet « logement » de la future loi de programme pour l’outre-mer.
Depuis quelques années, le logement social outre-mer connaît une crise sans précédent. L’accès au logement est de plus en plus difficile pour la majorité des foyers, alors que le logement social concerne 80 % de la population.
Cette crise s’explique notamment par une montée très importante du coût de la construction, une forte augmentation de la charge foncière pour les collectivités, ainsi que par un taux d’effort pour l’accès des ménages modestes au logement et leur maintien qui ne cesse de se dégrader.
Dans un tel contexte, l’habitat indigne et précaire regagne du terrain. Comment serons-nous en mesure de garantir le droit au logement opposable ?
Pour l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM, deux mesures essentielles doivent être prises.
La première est la revalorisation significative des paramètres de financement de la ligne budgétaire unique, la LBU, dont la programmation doit être pluriannuelle. L’objectif est de pouvoir relancer les opérations de logement locatif social, LLS, et de logement locatif très social, LLTS, actuellement en panne.
La seconde est le recours à la défiscalisation, pour accroître de façon ambitieuse l’offre locative sociale tout en assurant un niveau de loyer compatible avec les ressources des ménages concernés.
Alors que le Gouvernement prépare la future loi de programme pour l’outre-mer, notamment pour relancer la politique du logement social dans les départements d’outre-mer, permettez-moi d’insister, monsieur le secrétaire d’État, sur l’importance de ces deux propositions. Ce faisant, je me fais l’interprète de ces organismes, qui souhaitent être consultés afin de contribuer à la réussite de cette loi.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir m’indiquer la suite que vous entendez réserver à ma demande.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Yves Jégo, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer. Madame la sénatrice, à juste titre vous appelez mon attention sur la problématique du logement social outre-mer, à laquelle le Gouvernement est évidemment très sensible. C’est pourquoi, dès 2007, la conférence du logement social outre-mer a travaillé sur un certain nombre de dispositifs.
S’agissant du montant de la ligne budgétaire unique et de sa pérennisation, la réponse est positive. En effet, le projet de loi sur lequel nous travaillons aujourd’hui traduira les engagements très précis du Gouvernement sur les montants pluriannuels de la LBU. Je peux d’ores et déjà vous indiquer que les crédits sont en augmentation de plus 12 % par rapport à l’année dernière et que les perspectives sur les années qui viennent sont celles d’une montée en puissance.
J’en viens à la seconde partie de votre question, concernant la défiscalisation.
À cet égard, dans le projet de loi de programme, nous proposerons une petite révolution : nous souhaitons réorienter la défiscalisation du logement libre vers la production du logement locatif social et intermédiaire.
Ainsi, selon nos calculs, aux 250 millions d’euros de la ligne budgétaire unique devraient s’ajouter près de 100 millions d’euros en année pleine grâce à la mobilisation des produits de la défiscalisation. Cela devrait permettre de relancer de façon très importante la construction de logements sociaux, ainsi que la réhabilitation des logements dégradés, et favoriser, dans ces territoires, des parcours tout à fait performants en matière de logement.
Madame la sénatrice, vous avez bien fait de parler de concertation. Voilà quelques jours, j’ai eu l’occasion de vous recevoir sur ce sujet et, si j’ai failli arriver en retard à cette séance de questions orales, c’est parce que j’étais ce matin même avec tous les acteurs du secteur du logement social, non seulement des professionnels du bâtiment, des artisans, mais aussi des opérateurs sociaux.
Nous souhaitons, à l’occasion de cette loi de programme, non seulement faire en sorte que les crédits de l’État soient mobilisés dans de bonnes conditions, mais aussi et surtout pointer du doigt les raisons qui sont à l’origine de l’échec de la construction en nombre suffisant de logements sociaux. L’État prendra sa part et y consacrera les moyens nécessaires.
Il faudra aussi déterminer, dans chaque territoire, les raisons d’un tel blocage. Je pense notamment à la nécessaire mobilisation des collectivités locales, tout particulièrement en faveur du foncier.
En effet, on peut voter les plus beaux dispositifs législatifs susceptibles d’être votés, mais si, derrière, il manque des terrains et des maires « constructeurs », nous ne parviendrons pas au résultat souhaité aussi bien par vous que par nous, à savoir un « plus » dans le logement social et un effort particulier en faveur des plus démunis dans nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Je suis vraiment très satisfaite de la réponse tout à fait positive de M. le secrétaire d’État. Elle réjouira tous les professionnels du secteur et surtout les nombreux demandeurs d’un logement social, car les listes d’attente sont parfois longues !
Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi d’ajouter qu’il est également nécessaire de saisir l’opportunité qui nous est offerte par cette future loi de programme pour l’outre-mer pour trouver des solutions à un problème très important dans les départements d’outre-mer, particulièrement à la Réunion, celui de l’indivision. Dans ce domaine, nous arrivons en effet en deuxième position après la Corse !
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
3
Dépôt de rapports en application de lois
M. le président. J’ai reçu de M. Roger Beauvois, président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, le rapport d’activité pour 2007 de cette commission, établi conformément à l’article 12 de la loi du 6 juin 2000.
J’ai également reçu de Mme Edwige Avice, présidente du Conseil national des activités physiques et sportives, le rapport d’activité pour 2007 de cet organisme, établi en application de l’article R. 142-1 du code du sport.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier sera transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le second à la commission des affaires culturelles.
Ils seront tous deux disponibles au bureau de la distribution.
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Organisme extraparlementaire
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger comme membre titulaire au sein de la Conférence permanente « habitat-construction-développement durable ».
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires économiques à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
5
Modification de l'ordre du jour
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 203 de M. Claude Domeizel est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
Par ailleurs, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Élisabeth Lamure ont respectivement demandé l’inscription de leur question orale n° 216 et n° 218 à l’ordre du jour de la séance du mardi 29 avril 2008.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
6
Droits pour les victimes
Adoption d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l’exécution des peines (nos 171 et 266).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà trois ans, dans le cadre de la mission d’information qu’elle avait confiée à notre collègue Laurent Béteille et à moi-même sur les procédures rapides de traitement des affaires pénales, la commission des lois du Sénat avait plaidé, se mettant ainsi au diapason de M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, pour un « traitement en temps réel de l’exécution des peines ».
Cette préoccupation est très largement partagée par les parlementaires. C’est aujourd’hui l’Assemblée nationale qui prend l’initiative, avec une proposition de loi présentée par M. Jean-Luc Warsmann visant à améliorer notre arsenal législatif dans ce domaine.
Incontestablement, les conditions d’exécution des sanctions pénales ont progressé depuis la loi dite « Perben II ». Je me bornerai à citer la réduction de 20 % du montant de l’amende en cas de paiement volontaire dans le délai d’un mois suivant la condamnation ou encore la convocation systématique devant le juge de l’application des peines des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an.
Par ailleurs, les bureaux d’exécution des peines, désormais implantés dans 176 tribunaux de grande instance, ont permis de relayer efficacement ces évolutions législatives dans les juridictions.
Malgré ces progrès, l’exécution des décisions pénales n’est pas encore complètement satisfaisante, qu’il s’agisse de l’exécution de la peine proprement dite ou du versement des dommages et intérêts à la victime.
S’agissant de l’exécution de la sanction pénale, selon les estimations de nos collègues députés, seule la moitié des amendes prononcées par ordonnance pénale ou par jugement correctionnel est actuellement recouvrée. Quant aux peines d’emprisonnement, une sur cinq ne serait pas exécutée après son prononcé. Cette situation est donc tout à fait insatisfaisante.
Concernant le versement des réparations, nous constatons que de nombreuses victimes doivent encore s’engager dans des procédures lourdes et parfois coûteuses pour un résultat souvent très éloigné du montant des sommes allouées et des frais répétés.
Il faut donc se réjouir que, sur ces deux volets, la proposition de loi qui nous est soumise apporte de réelles améliorations.
Je passerai rapidement sur les dispositions destinées à améliorer l’exécution des sanctions pénales. Elles visent notamment à faciliter ou à encourager la présence des prévenus à l’audience, puisque l’on a observé que le taux d’exécution des peines d’emprisonnement pouvait varier de 90 % à 50 % selon que le jugement était rendu ou non en présence de l’auteur ou de son représentant.
La commission des lois a largement approuvé l’ensemble des mesures présentées, tout en vous proposant, mes chers collègues, par le biais de plusieurs amendements, d’en améliorer la rédaction sur certains points.
Je souhaiterais m’attarder davantage sur le volet de la proposition de loi consacré aux victimes, qui comporte deux dispositions principales.
En premier lieu, un nouveau dispositif d’aide au recouvrement des dommages et intérêts sera mis en place pour les victimes d’infraction qui ne sont pas éligibles au mécanisme actuel d’indemnisation prévu par le code de procédure pénale.
En second lieu, il est prévu d’étendre, dans le cadre des procédures actuelles, les modalités d’indemnisation pour les victimes de véhicules incendiés.
L’aide au recouvrement proposée par les députés est apparue à notre commission comme le moyen de combler certaines lacunes de notre procédure.
Sans doute, il faut le souligner, le système d’indemnisation des victimes d’infractions, articulé autour de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, appelée communément CIVI, et du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI, est particulièrement protecteur en France.
Il concerne cependant les victimes des infractions les plus graves et laisse de côté les personnes qui ont subi de petits préjudices corporels ou des dommages aux biens, alors même que, il faut le reconnaître, ces derniers forment, en quantité, l’essentiel du contentieux pénal.
Aujourd’hui, le fonds de garantie prend en charge environ 15 000 dossiers par an pour un montant de l’ordre de 320 millions d’euros. Le dispositif qui vous est proposé, mes chers collègues, concernerait 35 000 victimes supplémentaires – c’est un chiffre important – pour une incidence financière estimée à environ 20 millions d’euros.
Il semble donc justifié d’aider ces personnes à recouvrer la réparation qui leur a été allouée par les tribunaux. Cette aide, selon la proposition de loi, serait confiée au fonds de garantie des victimes d’infractions, et prendrait deux formes : le versement d’une avance et la prise en charge, à la place de la victime, des démarches de recouvrement.
Tout en approuvant ce dispositif, la commission des lois s’est interrogée sur deux points.
Tout d’abord, elle s’est intéressée à la question de l’articulation de l’aide au recouvrement avec les régimes actuels d’indemnisation.
Je veux parler en particulier des victimes du terrorisme, de l’amiante ou encore des accidents de la circulation. Pourront-elles accéder à l’aide au recouvrement ? Dans quelles conditions ? Vous pourrez peut-être, madame le garde des sceaux, nous apporter des éclaircissements sur ce point.
La seconde interrogation de la commission porte tout naturellement sur les moyens financiers nécessaires au fonds de garantie pour mettre en œuvre l’aide au recouvrement et, en particulier, pour payer l’avance aux victimes. Sans doute le fonds sera-t-il subrogé dans les droits de la victime pour recouvrer les dommages et intérêts. Néanmoins, il ne faut pas s’illusionner sur les ressources que procurera cette voie. On sait en effet qu’une majorité des personnes condamnées, qui connaît une situation pécuniaire délicate, ne consacre à l’indemnisation que dix euros, vingt euros, voire trente euros par mois.
Dans ces conditions, madame le garde des sceaux, faudra-t-il à moyen terme envisager une augmentation de la principale source de financement du fonds de garantie, à savoir la contribution des assurés, qui s’élève actuellement à 3,30 euros pour chaque contrat d’assurance de biens ?
La question du financement se pose aussi, et peut-être avec plus d’acuité, pour l’autre disposition principale de la proposition de loi, qui concerne l’indemnisation des personnes dont le véhicule a été détruit ou dégradé à la suite d’une infraction.
Actuellement, ces victimes peuvent être indemnisées dans des conditions relativement strictes par la CIVI. La présente proposition de loi vise à assouplir ce dispositif : d’une part, la condition de « situation matérielle ou psychologique grave » causée par l’infraction ne serait plus exigée ; d’autre part, le plafond de ressources mensuelles que la victime ne doit pas dépasser afin de pouvoir prétendre à une indemnisation serait relevé de 50 % et s’élèverait à près de 2 000 euros.
Il n’est pas apparu injustifié à la commission de prévoir un régime d’indemnisation plus souple pour les victimes de véhicules détruits ou dégradés, dans la mesure où il s’agit d’un instrument de travail pour beaucoup de nos concitoyens.
Cependant, il nous faut montrer une attention particulière sur trois points.
D’abord, quel sera le coût d’une telle disposition pour le FGTI et comment sera-t-il financé ? Les estimations dont nous avons pu faire état dans le rapport présentent encore, en effet, une marge d’incertitude.
Ensuite, et surtout, il est important que le dispositif proposé ne conduise pas à une déresponsabilisation des propriétaires de véhicules, qui peuvent toujours s’assurer, il convient de le rappeler, contre le risque incendie pour un coût relativement modique.
Enfin, nous devons veiller à ce que la mise en place d’un régime d’indemnisation plus souple pour les victimes d’infractions ne conduise pas à des situations inéquitables vis-à-vis de victimes d’autres dommages aux biens, voire de dommages corporels, qui continueront d’être indemnisées dans les conditions du droit commun.
Aussi, même si elles ne nous conduisent pas à remettre en cause le dispositif proposé par les députés, ces interrogations nous incitent à l’encadrer davantage en en limitant le champ aux seuls véhicules détruits par incendie et en exigeant que la victime ait souscrit une assurance responsabilité civile. Cela paraît aller de soi, mais ces points devront être précisés lors du débat.
En outre, nous vous suggérons qu’une évaluation de la loi soit faite d’ici à trois ans, notamment afin de mesurer ses incidences financières.
Madame le garde des sceaux, ce texte n’épuisera sans doute pas l’effort que nous devons engager pour les victimes.
Je souhaite, pour conclure, attirer votre attention sur la situation particulièrement douloureuse des victimes d’attentats ou d’actes de terrorisme.
Des études scientifiques conduites sous les auspices de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, ont mis en évidence l’existence pour ces victimes d’un préjudice spécifique et permanent, qui n’est indemnisé actuellement que sur le fondement d’une décision du conseil d’administration du FGTI et qui n’est pas reconnu explicitement par les tribunaux, et encore moins par la Cour de cassation.
Conscient que ces questions concernant les victimes d’actes de terrorisme ou d’attentats relèvent sans doute plus du règlement que de la loi, je crois cependant indispensable de donner une base juridique plus solide à la reconnaissance de ce préjudice, appelé préjudice permanent et exceptionnel, et à son indemnisation. J’espère, madame le garde des sceaux, que vous pourrez nous donner des garanties sur ce point tout à l'heure.
Par ailleurs, notre commission a longuement débattu ce matin de la question du délai au cours duquel une victime d’un attentat peut présenter une demande d’indemnisation au FGTI. Ce délai est de dix ans à compter des faits. Cependant, il est arrivé, dans des cas très peu nombreux il est vrai – à ma connaissance, un seul cas avéré s’est produit à ce jour –, que la victime ait été informée de son droit de recourir au fonds de garantie au-delà de ce délai, dans l’hypothèse, par exemple, où le caractère terroriste de l’infraction a été décelé tardivement. Il est apparu évident à notre commission que le fonds de garantie devait alors appliquer les dispositions de l’article 705-5 du code de procédure pénale, selon lesquelles le requérant peut être relevé de la forclusion « lorsqu’il n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu’il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ». Sur ce dernier point, je sollicite également votre interprétation, madame le garde des sceaux.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la deuxième fois depuis le début de la législature, une proposition de loi en matière de justice vient en débat au Sénat. Avec un calendrier parlementaire aussi chargé, on ne peut que s’en réjouir. Le président Hyest le sait, je suis très attachée à l’initiative parlementaire et au dialogue permanent avec la commission des lois.
Le texte qui vous est présenté est une proposition consensuelle, dont l’initiative a été prise par M. Jean-Luc Warsmann, par ailleurs président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Ce texte a été adopté à l’unanimité par les députés le 17 janvier. Je m’étais engagée à ce qu’il poursuive rapidement son cheminement législatif. La commission des lois du Sénat a pu s’en saisir et procéder à des auditions.
Je veux saluer le travail de son rapporteur, M. François Zocchetto.
Monsieur le rapporteur, l’analyse que vous avez faite dans votre rapport est très complète. Vous avez mis en évidence les améliorations que le texte apporte au fonctionnement de la justice. Je sais tout l’intérêt que vous portez à cette question : vous l’avez montré lors de précédents débats, qu’il s’agisse de la loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale ou de celle qui a renforcé la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
La proposition de loi apporte, en effet, des améliorations évidentes. Elle améliore « l’après-jugement », c’est-à-dire l’exécution des peines et l’indemnisation des victimes. Cette phase de la procédure pénale est parfois négligée. Elle est pourtant essentielle.
C’est parce que les peines sont exécutées que la justice est dissuasive. C’est parce que les amendes sont payées que la justice est crédible. C’est parce que les victimes sont dédommagées que la justice est humaine.
La proposition de loi apporte trois progrès essentiels : elle améliore l’indemnisation des victimes ; elle renforce l’exécution des peines ; elle rend plus efficace le recouvrement des amendes.
Tout d’abord, les victimes ont parfois l’impression d’être les grandes oubliées de la justice.
Est-il normal qu’une victime expose des frais pour être indemnisée alors qu’elle ne sera peut-être même pas remboursée ? Est-il normal qu’une victime soit laissée seule face à son agresseur pour obtenir ce qui lui est dû ? Est-il normal qu’une victime renonce à être dédommagée plutôt que de devoir affronter à nouveau son agresseur ?
Dans ces moments-là, ce n’est pas la justice qui triomphe. C’est la loi du plus fort qui s’impose une nouvelle fois.
Voilà pourquoi j’ai souhaité créer un juge délégué aux victimes. Il est en fonction dans tous les tribunaux de grande instance depuis le 2 janvier. Il accompagne la victime dans ses démarches. Il fait le lien, auprès d’elle, avec le procureur de la République et le juge de l’application des peines.
Pour rendre effective l’indemnisation des victimes, il faut aller plus loin.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, à l’heure actuelle, les trois quarts des victimes ne relèvent pas de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI.
Telle est la raison pour laquelle je me suis engagée devant les associations de victimes à créer un service d’assistance au recouvrement des victimes d’infractions, le SARVI.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permet de tenir cet engagement. Elle tend à créer un droit à l’aide au recouvrement des dommages et intérêts.
Ce droit concerne toutes les victimes d’infractions qui ne peuvent pas bénéficier d’une indemnisation par la commission d’indemnisation.
Elles sont environ 75 000 chaque année à devoir assurer seules le recouvrement des dommages et intérêts qui leur sont accordés par une décision pénale.
Ce peut être le cas, par exemple, du client d’une banque qui a été pris en otage lors d’un vol à main armée et qui n’a subi aucune blessure physique. Cette victime ne peut pas être indemnisée par la CIVI. En revanche, elle pourra s’adresser à ce nouveau service que constitue le SARVI, qui lui permettra de ne pas avoir à accomplir elle-même les démarches pour réclamer son dû.
Cette aide au recouvrement sera assurée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI.
Jusqu’à concurrence de 1 000 euros, le SARVI dédommagera intégralement la victime. Au-delà de ce montant, il lui accordera une avance plafonnée à 3 000 euros dans l’attente du recouvrement effectif des dommages et intérêts par le Fonds.
Vous en conviendrez, c’est un progrès notable dans le traitement des victimes.
La proposition de loi instaure une autre amélioration en faveur des victimes, qui concerne un type de dommage très particulier : la destruction des véhicules résultant d’actes volontaires.
Ces infractions placent les victimes dans des situations parfois très difficiles.
Comment aller travailler quand vous n’avez plus de véhicule ? Comment assurer au quotidien tous vos déplacements privés ? Les incidences familiales et financières peuvent avoir une ampleur sans proportion avec la valeur du véhicule détruit.
Quand vous n’avez pas suffisamment d’argent pour le remplacer, quand vous n’êtes pas convenablement assuré pour être dédommagé, quand vous êtes encore endetté par l’achat du véhicule devenu hors d’usage, être victime de ce genre d’acte de destruction est une extrême injustice.
Actuellement, pour être indemnisées par la CIVI, les victimes doivent prouver que la perte de leur véhicule les place dans une situation matérielle ou psychologique grave. C’est très difficile à établir.
La proposition de loi assouplit les conditions du dédommagement de ce type de faits. Les victimes n’auront plus à démontrer ces conséquences. Il suffira que leurs revenus ne dépassent pas le plafond de ressources de l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire moins de 2 000 euros par mois.
La solidarité nationale permettra alors d’indemniser le véhicule perdu, dans la limite de 4 000 euros. Ce dispositif a un coût estimé entre 7 millions et 13 millions d’euros.
Ensuite, autre avancée, la proposition de loi remédie à certains facteurs de blocage dans l’exécution des décisions pénales.
L’action de la justice ne s’achève pas avec l’audience. Elle continue après le jugement.
Il ne sert à rien d’enquêter, il ne sert à rien de juger, il ne sert à rien de condamner, si les sanctions prononcées ne sont pas appliquées.
L’exécution des peines est aussi un moyen de lutter efficacement contre le sentiment d’impunité et contre la récidive que ce dernier engendre. Quand la règle est clairement établie, quand on sait qu’elle est appliquée, alors la règle devient dissuasive.
Tarder à exécuter une peine peut aussi nuire au travail de réinsertion entrepris par le condamné. Le retard peut faire perdre sa cohérence à la peine prononcée.
Améliorer cette phase finale de l’action de la justice pénale est une action essentielle. C’est une priorité pour chaque juridiction. Je le rappelle lors de chacun de mes déplacements dans les cours d’appels et les tribunaux.
Voilà quatre ans, c’est cette préoccupation qui a conduit à expérimenter les bureaux de l’exécution des peines. Leur objectif est d’accélérer l’exécution des peines. Par exemple, les amendes peuvent être payées à la sortie de l’audience par chèque ou carte bancaire. Ainsi, nous avons gagné trois mois en moyenne dans le recouvrement des amendes par rapport à 2005.
Pour assurer une plus grande efficacité à la justice pénale, la proposition de loi incite les prévenus à comparaître aux audiences ou à s’y faire représenter.
Le constat est simple : quand un prévenu ne comparaît pas à l’audience, le taux d’exécution des jugements est deux fois moins élevé que s’il est présent ; quand un prévenu ne comparaît pas, les délais d’exécution sont deux fois plus longs.
Nous voyons ainsi tout l’intérêt que présente la comparution du prévenu à l’audience.
La proposition de loi met en place un dispositif incitatif : les frais de procédures payés au Trésor public, qui s’élèvent actuellement à 90 euros pour tous les condamnés, passeront à 180 euros pour les condamnés absents à l’audience.
La proposition de loi tend également à faciliter la signification des décisions par les huissiers de justice.
Passé un certain délai, les huissiers qui n’auront pas signifié un jugement le transmettront au procureur de la République. Ce dernier pourra alors engager toutes les diligences utiles pour permettre une signification rapide de la décision au prévenu. Il pourra, au besoin, faire rechercher son adresse par la police ou la gendarmerie, ou recourir à toute autre forme de réquisition utile.
La proposition de loi introduit aussi de nouvelles modalités pour porter les jugements à la connaissance des personnes concernées. Ces dernières pourront, notamment, être invitées par l’huissier à venir à son étude retirer le jugement qui doit leur être signifié.
Ces aménagements sont empreints d’un grand pragmatisme. Ils permettront de raccourcir considérablement les délais d’exécution des décisions de justice. J’indique dès à présent que votre commission des lois a proposé de nouvelles améliorations à ce dispositif qui me paraissent très opportunes.
Enfin, la proposition de loi a pour objet de renforcer l’efficacité du recouvrement des amendes et de l’exécution des suspensions ou retraits de permis de conduire.
Quatre points méritent d’être rappelés.
L’abattement de 20 % qui incite au paiement rapide des amendes depuis 2004 est étendu au droit fixe de procédure de 90 euros. Il profitera au condamné qui s’en acquitte dans les trente jours suivant sa condamnation.
La proposition de loi permet également au Trésor public d’accorder des remises totales ou partielles sur les amendes forfaitaires majorées. En effet, une décision partiellement exécutée est préférable à une décision totalement inexécutée.
Le dispositif qui empêche un contrevenant n’ayant pas payé ses amendes routières de vendre son véhicule est également étendu. Jusqu’à présent, le comptable du Trésor peut s’opposer à la vente du véhicule dans une seule hypothèse : lorsque le contrevenant déménage. Cette condition est supprimée par la proposition de loi.
Toujours en matière routière, les services judiciaires, comme les services de police ou de gendarmerie, pourront désormais accéder directement au Fichier national des permis de conduire. Cela intéressera tout particulièrement les bureaux de l’exécution des peines. Ils seront en mesure de notifier plus précisément aux condamnés la date à laquelle prendra fin la suspension de leur permis. Ils pourront également leur notifier immédiatement les mesures de retrait ou d’annulation de permis par perte de points.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi est emblématique du travail de qualité que permet l’initiative parlementaire.
Les insuffisances constatées par une mission d’information trouvent dans ce texte des réponses concrètes et immédiates.
Ces moyens nouveaux sont un premier pas vers l’objectif que nous visons tous : celui d’une justice dont l’efficacité est reconnue, d’une justice qui s’adapte, d’une justice qui remplit toute sa mission. Je sais que ces préoccupations sont aussi celles du Sénat.
Monsieur le rapporteur, je souhaite maintenant répondre à vos questions sur la situation des victimes d’actes de terrorisme.
Vous avez raison, les victimes d’actes de terrorisme ne sont pas des victimes comme les autres. Un mécanisme spécifique est mis en place en leur faveur.
Vous l’avez dit, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions est chargé d’indemniser les victimes de terrorisme.
II leur verse une provision dans le délai d’un mois. Une offre d’indemnisation complète doit ensuite leur être proposée dans un délai de trois mois.
Le FGTI indemnise le préjudice personnel spécifique des personnes victimes de terrorisme en tenant compte de leur traumatisme. Ce dernier point est essentiel.
Je prends donc devant le Sénat l’engagement d’inscrire le principe de la réparation du préjudice personnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme dans le code des assurances, mais aussi dans le décret qui fixera les préjudices indemnisables devant les juridictions, à la suite du rapport de M. Dintilhac.
Monsieur le rapporteur, vous avez également soulevé la question du délai pour agir devant le fonds de garantie, en évoquant notamment la possibilité d’être relevé de la forclusion.
Là encore, je peux vous assurer que le fonds continuera à tenir compte, comme il le fait actuellement, de la situation très particulière des victimes d’actes de terrorisme. Il arrive exceptionnellement qu’une victime n’agisse pas dans le délai de dix ans. Pour autant, jamais aucune ne s’est vu refuser une indemnisation. Nous avons toujours procédé à des ajustements quand ceux-ci étaient nécessaires.
Vous vous demandiez en outre quelle sera l’incidence financière de cette proposition de loi sur le fonds de garantie. Le service d’aide au recouvrement ne fait que l’avance à la victime des sommes dues par le condamné, auprès duquel il perçoit aussi des frais. L’efficacité du fonds dans le recouvrement de ces sommes lui permettra de préserver son équilibre financier.
S’agissant du dédommagement des véhicules incendiés, j’ai précisé que son coût se situait entre 7 millions et 14 millions d’euros. C’est une estimation fondée sur l’ensemble des 40 000 véhicules incendiés qu’on recense chaque année.
Évidemment, tous ces propriétaires ne relèveront pas de la commission d’indemnisation, soit parce que l’incendie n’est pas le fait délibéré d’un tiers ou parce que l’auteur en est connu, soit parce qu’ils sont assurés, soit parce qu’ils disposent de ressources trop élevées.
Pour toutes ces raisons, il n’est donc pas nécessaire, en l’état, d’augmenter le prélèvement effectué sur les contrats d’assurance, qui finance le fonds de garantie.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les victimes de l’amiante et des accidents de la circulation.
Chacune de ces deux catégories de victimes dispose d’un fonds particulier, respectivement le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, ou FIVA, et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, ou FGAO, qui leur permet d’obtenir une indemnisation sans avoir à attendre un jugement. C’est un dispositif beaucoup plus favorable. Mais si elles demandent réparation devant un tribunal pénal, elles pourront bien sûr, comme les autres victimes, solliciter le service d’aide au recouvrement.
Monsieur le rapporteur, j’espère avoir répondu à vos interrogations. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)