M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements identiques ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. Ces amendements tendent à supprimer la dérogation ouverte aux médias et aux publicitaires en matière de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe. Cette dérogation est en effet très inquiétante, car elle pourrait conduire à autoriser des publicités sexistes.
À titre personnel, je partage le point de vue des collègues qui viennent de s’exprimer. Quant à la commission, elle a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Le contenu des médias et de la publicité est explicitement laissé hors du champ de la directive 2004/113/CE. Dans cette matière, en effet, le principe de non-discrimination entre les hommes et les femmes doit s’articuler avec le principe de liberté d’expression, qui est aussi l’une des valeurs fondamentales communes aux États membres de l’Union européenne.
La dérogation introduite par la directive rend d’autant plus nécessaire de mener un travail sur l’image de la femme dans les médias. Dans le cadre du plan 2008-2010 de lutte contre les violences faites aux femmes, le Gouvernement a mis en place une commission qui, présidée par Michèle Reiser et composée de professionnels de la publicité et des médias, devra faire des propositions concrètes pour améliorer la protection de l’image de la femme dans les médias.
Dans ce domaine, les instruments normatifs contraignants ne sont pas forcément suffisants. Les instruments plus souples, telles les chartes, peuvent nous aider à progresser. Néanmoins, si la commission précitée aboutit à la conclusion que des mesures législatives sont nécessaires pour améliorer l’image de la femme dans les médias – je serai personnellement attentive à ce point –, le Gouvernement préparera les dispositions nécessaires.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques nos 9 rectifié bis, 20 et 40.
M. le président. Madame Hummel, l'amendement n° 9 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Christiane Hummel. La liberté d’expression que vous venez d’invoquer, madame la secrétaire d’État, se heurte à la dignité de la personne humaine. Vous mettez en avant le rapport Reiser et le fait que des améliorations vont être apportées. Attendons donc les conclusions de ce rapport. Par conséquent, je maintiens l’amendement n° 9 rectifié bis.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier, pour explication de vote.
Mme Gisèle Gautier. Si cette dérogation au principe de l’interdiction de toute discrimination figure bien dans une directive européenne, le gouvernement français n’a reçu, à ma connaissance, de la part de la Commission européenne, aucune mise en demeure sur ce point précis. Dans ces conditions, pourquoi reproduire dans la loi française une disposition aussi contestable ?
C’est la raison pour laquelle nous maintenons cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Les membres de mon groupe partagent l’avis de Mme le rapporteur et soutiennent donc ces amendements. Il nous semble choquant de voir apparaître de tels termes dans un projet de loi.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 rectifié bis, 20 et 40.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par M. Hérisson, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la nature de l’habitat constitué à titre principal d’une résidence mobile terrestre est interdite en matière d’accès aux biens et services et de fourniture de biens et services.
Ce principe ne fait pas obstacle au calcul des primes et à l’attribution des prestations d’assurance dans les conditions prévues par l’article L. 111-7 du code des assurances.
La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Cette adjonction dans les critères de discrimination concerne les gens du voyage.
Ce n’est pas la première fois que je dépose cet amendement à l’occasion de l’examen d’un texte approprié. Toutefois, la situation est aujourd’hui différente. Depuis, la HALDE, dans sa délibération du 17 décembre 2007, s’est prononcée : les gens du voyage sont présentés par les textes nationaux comme une catégorie administrative définie par son mode de vie, lié à la nature de leur habitat, constitué à titre principal d’une résidence mobile terrestre, laquelle n’a jamais pu recevoir la définition d’habitat, malgré les efforts des uns et des autres. Le constat dressé confirme que les gens du voyage sont victimes de discriminations résultant des textes en vigueur comme des comportements individuels, et ce dans tous les domaines de la vie quotidienne.
Il en ressort principalement que les difficultés signalées pour l’accès aux biens et aux services des gens du voyage relèvent non pas d’une problématique tarifaire, mais d’un refus de garantie. En outre, elles ne relèvent pas uniquement d’une réticence de la part des mutuelles et des sociétés d’assurances devant un risque plus important vis-à-vis d’assurés ayant un mode de vie particulier, ni des résultats d’une enquête de sinistralité connue permettant de quantifier le risque et de rattacher les personnes itinérantes à un tarif spécifique.
Il s’agit, par cet amendement, de permettre d’appliquer le droit commun et de donner du sens et de la crédibilité à une mission d’insertion des gens du voyage dans notre République, en mettant fin à une discrimination avérée et en leur permettant de remplir leurs obligations citoyennes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. Interdire aux sociétés d’assurances de refuser d’assurer les gens du voyage est contraire au principe constitutionnel de liberté contractuelle.
De plus, la mise en application de cet amendement serait inefficace puisque les assurances pourraient toujours invoquer des circonstances particulières pour refuser d’assurer les gens du voyage.
Mon cher collègue, votre souci est parfaitement légitime, mais il serait sans doute mieux satisfait par d’autres dispositions, par un renforcement des moyens du bureau central de tarification, par exemple.
La commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson, pour explication de vote.
M. Pierre Hérisson. Madame la secrétaire d’État, cet amendement, que je présente pour la troisième fois dans un texte approprié, s’est vu opposer chaque fois un avis défavorable.
Je rappelle que je préside la Commission nationale consultative des gens du voyage, dont les membres ont, à l’unanimité, émis un avis favorable sur ce texte, et qu’aujourd’hui environ 30 % de la population des gens du voyage ne sont plus couverts par une assurance pour leur habitation. Il est donc urgent de régler ce problème, qui est renvoyé d’une fois sur l’autre, sans que personne propose une solution quelconque.
Les compagnies d’assurances, que la Commission nationale consultative des gens du voyage a auditionnées, bottent en touche et attendent patiemment, mais sans plus, que l’obligation d’assurer leur soit imposée par un texte législatif.
Madame la secrétaire d’État, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’un jour un grave sinistre peut se produire, dans un tunnel ou ailleurs, sinistre dont les victimes risqueront de se trouver face à des personnes qui ne seront pas assurées parce qu’elles ne peuvent pas l’être.
La même problématique se pose en ce qui concerne l’accès au crédit : il n’est pas étonnant que l’on ait à déplorer des excès de délinquance dans des secteurs où il n’est pas possible pour certains d’obtenir un crédit.
Je ne suis pas l’abbé Pierre, je ne suis pas en charge d’Emmaüs, mais je rappelle qu’il s’agit d’une population de plus de 400 000 âmes, dont 30 % n’ont plus accès à l’assurance.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote sur l’article 2.
Mme Bariza Khiari. La grave atteinte portée, dans cet article 2, à la mixité, qui est un vecteur d’émancipation, est choquante.
Cet ajout, qui sort de nulle part – je rappelle que l’éducation est hors champ de la directive – ouvre la voie à la prise en compte, dans l’organisation des enseignements, de préjugés sexués d’origine religieuse ou communautaire.
Cette disposition va donc à l’encontre de l’affirmation de la mixité scolaire – la généralisation de la mixité dans la quasi-totalité des enseignements est le résultat d’un dur combat et d’une longue évolution – et conduit à permettre de revenir sur le principe même de mixité scolaire, ce qui ne correspond absolument pas à l’objet de ce projet de loi.
La préparation de la France à la présidence de l’Union européenne ne doit pas servir de prétexte au recul dans tous les domaines ni au mépris des valeurs républicaines, au nom d’une philosophie communautariste qui inspire trop fortement les directives que ce projet de loi a pour objet de transposer.
L’article 2 consacre la victoire du libéral-communautarisme sur notre projet républicain. Le groupe socialiste votera donc contre.
Par ailleurs, le revirement de la commission des affaires sociales nous semble troublant, malgré les explications de son président ; c’est donc à double titre que nous voterons contre.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je n’interviendrai pas longuement, puisque j’approuve l’ensemble des propos tenus à l’instant par Mme Khiari sur cet article 2.
Nous avons fait, en vain, des propositions pour essayer d’en améliorer le premier alinéa, afin d’élaborer une définition plus large qui ne hiérarchise pas les victimes de discriminations.
De plus, a été adoptée cette possibilité de discrimination incroyable au sein de nos écoles qui fait que, demain, les enseignements pourront être modulés en fonction du sexe des élèves.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
Mme Annie David. On peut imaginer le pire… Pour mon groupe, il s’agit d’une atteinte directe à l’école de la République, à l’école telle que nous la concevons : l’école de l’égalité, de l’égalité des droits, de l’égalité d’accès de tous à l’instruction sur l’ensemble du territoire. Nous ne pourrons donc pas voter cet article 2.
Monsieur About, je regrette vraiment la position de la commission. Tel qu’il est désormais rédigé, cet article remet en cause le vote que nous avions initialement prévu d’émettre sur l’ensemble du texte : nous avions l’intention, compte tenu du sort réservé à nos amendements, de nous abstenir. Maintenant, je me demande si nous pourrons ne pas nous opposer à un texte de loi qui tend à organiser la discrimination au sein des écoles de notre pays.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Aucune personne ayant témoigné de bonne foi d’un agissement discriminatoire ou l’ayant relaté ne peut être traitée défavorablement de ce fait.
Aucune décision défavorable à une personne ne peut être fondée sur sa soumission ou son refus de se soumettre à une discrimination prohibée par l’article 2.
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par Mmes Alquier et Khiari, MM. Madec et Michel, Mme Demontès, M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, supprimer les mots :
de bonne foi
La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. L’introduction de la notion de « bonne foi » peut conduire à réduire la portée de la protection du témoin. De plus, en droit français, le code pénal prévoit la sanction du témoignage mensonger.
La rédaction de l’article 3 est donc étrange du point de vue de notre droit. En droit français, tout témoignage est présumé « de bonne foi » jusqu’à ce qu’il ait été éventuellement établi qu’il est, selon le terme du code pénal, « mensonger ».
Il est donc incohérent, en droit et en bonne logique, de préciser qu’un témoignage est « de bonne foi », car cela laisse présupposer qu’il ne l’est peut-être pas.
En l’espèce, c’est-à-dire en matière de discriminations dans l’entreprise, cette précision est d’autant plus étrange que l’on connaît la virulente opposition du monde patronal en matière de charge de la preuve.
Il ne faudrait pas que les salariés amenés à témoigner dans une affaire de discrimination soient abusivement dissuadés de le faire par ce soupçon a priori, qui pourrait vite être utilisé comme une forme d’intimidation.
Cette précision est donc abusive, dans la mesure où elle réduit la portée de la protection du témoin, pourtant essentielle pour combattre efficacement les discriminations au sein de l’entreprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. La mention de l’expression « de bonne foi », dans le premier alinéa de cet article, est nécessaire : la supprimer reviendrait à ce que soient protégées des personnes qui auraient délibérément menti pour faire accuser une autre personne de discrimination.
Or, dans de tels cas, des sanctions seraient tout à fait justifiées.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le présent article ne s’applique pas devant les juridictions pénales. – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 4
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 8 est présenté par MM. Hyest et Béteille.
L’amendement n° 22 rectifié est présenté par M. Yung.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après l’article L. 1134-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, il est inséré un article L. 1134-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 1134-5. - L’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.
« Ce délai n’est pas susceptible d’aménagement conventionnel.
« Les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée. »
II. - Après l’article 7 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 7 bis ainsi rédigé :
« Art. 7 bis. - L’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.
« Ce délai n’est pas susceptible d’aménagement conventionnel.
« Les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée. »
La parole est à M. Laurent Béteille, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Laurent Béteille. Cet amendement a d’ores et déjà été largement défendu par M. Hyest, qui a rappelé que le Sénat a adopté une proposition de loi, le 21 novembre dernier, ayant pour objet de mettre un peu d’ordre dans le régime des prescriptions en matière civile. Il en avait certainement besoin.
À la suite de l’adoption de cette proposition de loi, certains d’entre nous ont été alertés par un collectif, quelquefois un peu vigoureusement d’ailleurs, sur le problème particulier des recours en matière de discrimination.
Même si, à notre sens, la proposition de loi ne revenait pas sur la jurisprudence, désormais acquise, de la Cour de cassation, il nous a semblé nécessaire, afin de clarifier les choses et de bien les préciser, d’ajouter, dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui, des précisions quant au point de départ du délai de prescription, de manière à interpréter le texte comme l’avait fait la Cour de cassation, puisque nous ne remettons pas en cause cette jurisprudence selon laquelle le délai de cinq ans ne court qu’à compter de la révélation de la discrimination, c’est-à-dire seulement à partir du moment où la victime a pu prendre conscience de l’acte de discrimination et en prendre la mesure.
Par cet amendement, nous clarifions donc ce point de départ et nous précisons, tout comme la Cour de cassation l’avait fait, que « les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée. »
Le texte sur les prescriptions n’allait pas à l’encontre de cela. Néanmoins, certains juristes pouvaient l’interpréter d’une manière différente de ce qui avait été l’opinion, jusque-là constante, de la Cour de cassation. Par conséquent, il était souhaitable, pour couper court à toute polémique, d’apporter ces précisions, qui – j’insiste – ne changent rien au droit positif, mais tendent à éviter des débats qui n’ont pas lieu d’être.
M. le président. L’amendement n° 22 rectifié n’est pas soutenu.
Le sous-amendement n° 53, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
I. Dans le troisième alinéa de l’amendement n° 8, remplacer le mot :
cinq
par le mot :
trente
II. Procéder à la même substitution dans le septième alinéa de cet amendement.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Je tiens à redire solennellement l’opposition du groupe CRC à toute mesure législative qui aurait pour effet d’amoindrir les droits des salariés quant à leur protection.
Nous le savons pertinemment, les salariés victimes de discrimination ou de harcèlement hésitent souvent à agir en justice, par peur des représailles et par crainte de se voir déboutés.
La majorité du Sénat a décidé, en novembre dernier, d’aggraver la situation, lors de l’adoption de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, qui a eu pour effet de réduire de trente ans à cinq ans le délai de prescription.
Autant dire que cette disposition devrait rendre de grands services aux employeurs, qui y ont vu un moyen mécanique de réduire de manière considérable le nombre de contentieux. Il s’agit en quelque sorte d’une loi d’extinction des procédures à venir.
En conséquence, nous nous retrouvons aujourd’hui à examiner un amendement déposé par MM. Hyest et Béteille et visant à préciser que la prescription de cinq ans demeure, mais qu’elle ne court qu’à compter du moment de la révélation de la discrimination. Il y est en effet précisé que « les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ».
Bien que répondant à une partie des attentes des organisations syndicales et des associations qui vous ont sollicités, mes chers collègues, une telle proposition maintient l’inacceptable réduction du délai de prescription. La référence au moment de la découverte de la discrimination ne change rien sur le fond.
Nous savons que ces affaires sont complexes, que le rapport de domination de l’employeur sur le salarié brouille toutes les pistes et complique toutes les actions, qu’il s’agisse de celles qui sont entamées durant la période de salariat ou de celles qui le sont après.
C’est la raison pour laquelle le groupe CRC vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce sous-amendement, dont l’objet est de prolonger le délai de cinq ans, en le fixant de nouveau à trente ans.
Par ailleurs, monsieur Hyest, je souhaiterais vous poser une question : ne craignez-vous pas que cette prescription de cinq ans ne se transforme en un simple délai à agir ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. S’agissant du sous-amendement n° 53, MM. Hyest et Béteille ont répondu par avance à vos remarques, madame David. La commission a donc émis un avis défavorable.
En revanche, la commission est favorable à l’amendement n° 8, qui permet de lever tout malentendu sur les incidences de la réduction de trente ans à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive en matière de lutte contre les discriminations au travail.
Comme le Sénat a été injustement accusé de vouloir porter atteinte aux droits des personnes discriminées, il est légitime qu’il réponde lui-même à ces accusations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadine Morano, secrétaire d’État. L’amendement n° 8 a pour objet de lever un malentendu né de l’adoption par le Sénat de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, dont vous êtes l’auteur, monsieur Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Il s’agit de l’interprétation qui en a été faite !
Mme Nadine Morano, secrétaire d’État. L’examen du présent projet de loi a en effet révélé que cette proposition de loi pouvait paraître limiter les droits à réparation des victimes de discrimination, en particulier dans le cadre de l’emploi.
Cet amendement vise donc à confirmer l’application du principe de réparation intégrale du dommage né d’une discrimination dans l’exercice de l’activité professionnelle.
Tout en comprenant bien l’objectif de votre initiative, monsieur Béteille, je ne pense pas que le présent projet de loi soit le vecteur approprié pour apporter une telle précision en matière de prescription. Il me semble inopportun de « préempter » l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile et le débat qui en résultera, s’agissant notamment du délai de prescription des actions en réparation.
Par ailleurs, cet amendement tend à limiter l’effet de la prescription aux seules relations de travail, qu’elles soient de droit privé ou de droit public. Or le principe de réparation intégrale du dommage né d’une discrimination est universel. Si une telle disposition était insérée, dans la rédaction que vous proposez, au sein du code du travail et du statut des fonctionnaires, cela laisserait entendre qu’il existe deux régimes de prescription en matière de discrimination, selon le champ considéré.
Une telle précision me semble avoir davantage sa place dans le code civil, que la proposition de loi en question vise à modifier. Elle s’appliquerait ainsi erga omnes.
C’est pourquoi, sous le bénéfice de ces explications, je vous serais reconnaissante, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer l’amendement n° 8.
Quant au sous-amendement n° 53, le Gouvernement y est défavorable.
M. le président. L’amendement n° 8 est-il maintenu, monsieur Béteille ?
M. Laurent Béteille. Je voudrais tout d’abord m’insurger contre les insinuations de Mme David. Selon elle, à l’occasion de l’élaboration de la proposition de loi en question, la mission d’information conduite par nos collègues Jean-Jacques Hyest, Richard Yung et Hugues Portelli aurait eu le désir de s’attaquer à l’indemnisation des victimes de discriminations. Telle n’était sûrement pas son intention !
Lorsque le Sénat, dans sa quasi-unanimité, a adopté cette proposition de loi, il ne s’agissait absolument pas de porter atteinte en quoi que ce soit aux droits que peuvent avoir les personnes victimes de discriminations. Il faut que cela soit bien clair, pour qu’on ne puisse pas nous accuser de ce genre de turpitudes. Cette accusation est à la fois très grave et totalement gratuite.
Cela dit, tout en comprenant la position du Gouvernement, je pense préférable que cette disposition soit insérée dans le texte dont nous discutons aujourd’hui.
En effet, pour sa lisibilité, le code civil doit, à mon avis, retenir en matière de prescription civile une règle générale, à savoir un délai de cinq ans. Je rappelle d’ailleurs que cette règle correspond à la prescription traditionnelle en matière de droit du travail, puisque, pour les salaires en particulier, le délai a toujours été de cinq ans. Par conséquent, nous nous efforçons d’uniformiser les différentes règles existantes.
S’il faut apporter des précisions dans des domaines particuliers, les lois qui y sont consacrées sont plus à même que le code civil d’introduire des distinctions. Sinon, le code civil finira par comporter toutes sortes de précisions qui ne devraient pas y figurer.
Bien évidemment, je le conçois, cet amendement pourra être amélioré, et nous aurons encore l’occasion d’en reparler.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En commission mixte paritaire !
M. Laurent Béteille. Pour autant, je pense très franchement qu’il vaut mieux l’adopter maintenant, en laissant perdurer le principe général, tel qu’il a été voté dans la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile.
Bien que je sois au regret de ne pas accéder à la demande du Gouvernement, je maintiens l’amendement n° 8.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 53.
Mme Bariza Khiari. En matière de discriminations, l’amendement déposé par MM. Hyest et Béteille apporte une précision intéressante. Malgré la polémique qui s’est engagée au sujet de la proposition de loi, je vous donne acte, mes chers collègues, de votre bonne foi, M. Yung nous ayant expliqué les conditions dans lesquelles ces décisions ont été prises.
Néanmoins, le délai de prescription court à compter du jour où « le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Ce point de départ, qui correspond à une règle jurisprudentielle, est inscrit à l’article 2224 du code civil, tel qu’adopté par le Sénat le 21 novembre 2007. Comme il est, dans une large mesure, affaire d’appréciation, il risque d’être contesté par l’employeur. Si une telle contestation a peu d’incidence sous le régime d’une prescription trentenaire, elle devient dangereuse sous le régime d’une prescription quinquennale.
Il suffira que l’employeur fasse valoir, argument à l’appui, que le salarié aurait dû avoir, depuis plus de cinq ans, connaissance de la discrimination dont il fait l’objet, discrimination fondée, notamment, sur l’appartenance syndicale, l’état de santé ou le sexe. Or il n’est pas toujours aisé d’établir avec certitude l’existence d’une discrimination ni, surtout, de franchir le pas de l’action en justice.
Même si l’adoption de l’amendement n° 8 permet de sauvegarder la question de la réparation, nous préférons donc que l’action en réparation du dommage se prescrive par trente ans, comme c’est le cas actuellement.
Par conséquent, nous soutenons le sous-amendement n°53. Si cela peut faciliter les choses, je suggère une solution de compromis, à savoir le retrait du paragraphe I, qui pourrait être traité lors de l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile.