M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était engagé à créer un service public de l'emploi universel. Nous le faisons !
Certains critiquent le fait que l'urgence ait été une fois de plus déclarée. Mais le traitement de cette question est urgent, car ce projet de réforme est évoqué depuis plus de vingt ans !
Aujourd'hui, il s'agit de mettre fin à un vrai parcours du combattant pour le demandeur d'emploi. Gérard Larcher l'a dit tout à l'heure, nous devons le placer enfin au centre du système. Arrêtons de parler de tout ce qu'il y a autour : c'est lui qui est important, c'est lui qu'il s'agit d'aider, c'est lui qui doit trouver facilement un emploi !
Comme l'a souligné le Président de la République, « le devoir d'un chômeur, c'est de rechercher un emploi, pas de supporter le fardeau de la complexité administrative. Et le devoir de la collectivité nationale, c'est de mobiliser ses moyens au service du retour du chômeur à l'emploi ».
Certains disent que tout cela n'est qu'une question financière. Non ! Quand on est à la recherche d'un emploi, un problème humain terrible se pose. On vous dit d'aller à telle ou telle porte, d'appuyer sur la touche A, puis sur la touche B. (Murmures sur les travées du groupe CRC.) Je peux vous en parler, car je l'ai fait !
Il existe aujourd'hui 900 points d'accueil pour l'ANPE et 700 points d'accueil pour l'UNEDIC. Grâce à la fusion de ces deux organismes, il sera possible de trouver à un même endroit l'ensemble des services.
La dynamique ainsi engagée est positive, mais les progrès réalisés restent encore insuffisants. Les guichets uniques ne sont pas assez nombreux : on comptait, à la fin du mois d'août dernier, 299 agences locales pour l'emploi et 248 antennes ASSEDIC sous la configuration du guichet unique, mais seuls une dizaine d'entre eux - j'insiste sur ce point, car j'ai entendu citer d'autres chiffres - fonctionnent en respectant réellement le principe d'unicité de site et de services. En effet, le plus souvent, les locaux, tout en étant voisins, ne sont pas réellement partagés et conservent des responsables différents.
En fait, la définition de guichet unique est très large. Il peut s'agir soit d'un site commun, soit de sites mitoyens ou distants de moins de 200 mètres, soit encore de sites ANPE qui accueillent des agents ASSEDIC, ou l'inverse. Nous devons donc aller vers davantage de simplification.
La réforme vise également à améliorer la qualité du service rendu. L'objectif annoncé est de diviser par deux le nombre de demandeurs d'emploi suivis par un conseiller référent, soit un ratio d'un agent pour trente demandeurs d'emploi au lieu de soixante. Par ailleurs, plus d'agents se consacreront à la recherche des offres d'emplois et à la meilleure adéquation de l'offre et de la demande.
Aujourd'hui, l'UNEDIC compte 14 00 personnes, dont 12 000 ne sont pas au contact du demandeur d'emploi, tandis que l'ANPE emploie 28 000 agents, dont 22 000 sont en contact direct avec le demandeur d'emploi : grâce aux synergies que permettra la fusion des deux organismes, le nombre de conseillers en contact direct avec les demandeurs d'emploi augmentera.
L'amélioration de la qualité du service rendu doit permettre aux chômeurs de retrouver plus rapidement un emploi. En France, et ce n'est pas normal, la durée moyenne du chômage des personnes de vingt-cinq ans à cinquante-quatre ans est de plus de seize mois, contre douze mois en moyenne pour les pays de l'OCDE et moins de neuf mois pour les pays du G7.
En outre, aujourd'hui, alors que plus de 400 000 offres d'emploi ne sont pas satisfaites, on compte près de 2 millions de demandeurs. Un sérieux problème de rapprochement se pose donc et nous devons nous efforcer de mettre un terme à cet état de fait.
La rénovation du service public de l'emploi sera utile à la fois aux chômeurs et aux entreprises, en permettant de mieux mettre en relation l'offre et la demande de travail. Je pense aux Job Center Plus, en Grande-Bretagne ou à l'Institut national pour l'emploi, en Espagne.
En France, il existe déjà des guichets uniques dont le bon fonctionnement doit être souligné. En effet, l'actuelle réforme parachève le mouvement de constitution d'un service public de l'emploi, engagé en mai 2006 par une convention tripartite entre l'État, l'ANPE et l'UNEDIC.
Je voudrais donc savoir, madame le ministre, comment vous envisagez la façon dont les maisons de l'emploi pourraient s'intégrer localement dans l'opération de fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC.
En ce qui concerne le statut des agents, notre groupe se réjouit qu'il soit respecté par le projet de loi. Une période transitoire est prévue. Les agents de l'ANPE auront un droit d'option entre leur statut actuel et la nouvelle convention collective. Quant aux agents de l'UNEDIC et des ASSEDIC, ils conserveront leur convention actuelle jusqu'à ce que la nouvelle convention ait pu être négociée.
Par ailleurs, le Gouvernement s'est engagé à ce que la réforme n'entraîne pas de réduction d'effectifs - certains l'ont craint - et à ce qu'aucune mobilité géographique ne soit imposée.
J'aimerais également que vous me disiez, madame le ministre, ce qui est prévu pour former les agents qui devront, notamment, être de plus en plus compétents et proches de la personne qui cherche un emploi.
La réforme du service public de l'emploi est une étape. Le Président de la République ouvre, en effet, un vaste chantier de lutte contre le chômage et de promotion de la réinsertion. À cet égard, notre groupe se réjouit tout particulièrement que se tienne prochainement, dans le cadre des travaux de la Haute Assemblée, un débat portant sur le Grenelle de l'insertion.
Je rappelle que les derniers chiffres du chômage - on nous a toujours beaucoup critiqués sur ce sujet - montrent que la politique du Gouvernement commence à porter ses fruits. En effet, pour la première fois depuis 1982, le nombre des chômeurs est passé sous la barre des 2 millions de personnes. Sur les quatre derniers trimestres, 312 000 emplois ont été créés dans l'ensemble de l'économie. La baisse du chômage touche toutes les catégories, notamment les jeunes, les seniors et les chômeurs de longue durée.
Le Président de la République a fixé un objectif ambitieux : atteindre le plein emploi en cinq ans, ce qui signifie un taux de chômage inférieur à 5 % et un taux d'emploi proche de 70 %.
Le projet de loi que nous étudions aujourd'hui est un texte fondateur qui, accompagné d'autres réformes telles que celles des contrats aidés ou de la formation, redonnera l'espoir à nombre de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
6
Nomination d'UN membre d'UNE commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame :
- M. Simon Loueckhote membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par Serge Vinçon, décédé.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Roland du Luart.)
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Service public de l'emploi
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la réforme du service public de l'emploi.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m'efforcer de répondre de la manière la plus précise possible à un certain nombre des questions qui ont été évoquées.
Au préalable, comme l'ont fait précédemment un certain nombre d'orateurs, je tiens à remercier très vivement Mme le rapporteur et tous ceux qui ont participé aux travaux de la commission pour la qualité du travail qu'ils ont accompli dans un délai très court. Lorsque nous avons, le 12 décembre dernier, commencé à évoquer ce projet, je ne doutais pas, bien sûr, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous arriveriez à le mener à bien, mais je suis admirative du résultat. Donc, permettez-moi de féliciter tous ceux d'entre vous qui ont participé à ces travaux, qui plus est à une période où l'on n'a pas forcément la tête à la réforme du service public de l'emploi ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Je voudrais également exprimer ma reconnaissance à M. Gérard Larcher. À l'évidence, le projet que nous examinons est la prolongation du travail dont il nous a tout à l'heure décrit la genèse, qu'il a accompli au cours des trois dernières années, et sans lequel - je le dis clairement -, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Je tiens à le remercier aussi de l'esprit de concertation auquel il m'a vivement invitée et encouragée lorsque, avec mon équipe, j'ai commencé la préparation de ce projet.
Vous m'avez interrogée sur un certain nombre de points techniques, en particulier sur les incidences de la fusion en termes de coût.
Au cours de la discussion, notamment lors de l'examen d'un certain nombre d'amendements, je serai amenée à vous fournir des éléments de réponse plus précis, mais, d'ores et déjà, je répète, comme je l'ai déjà fait tout à l'heure, qu'il n'est pas question, dans le cadre de l'examen de ce texte ni à l'occasion de sa mise en oeuvre, de chercher des réductions d'effectifs ou de coûts. Le projet a exclusivement pour objectif d'améliorer le service rendu à l'ensemble des usagers, des demandeurs d'emploi comme des entreprises.
Il n'a pas été élaboré dans un souci d'économie. Nous savons qu'il engendrera nécessairement des coûts supplémentaires. Les deux statuts collectifs respectifs des personnels des ASSEDIC, d'une part, et de l'ANPE, d'autre part, présentent des avantages divers et, très clairement, la nouvelle convention collective qui régira l'ensemble de l'effectif au terme de la période d'option ainsi que le nouveau personnel affecté à l'établissement qui sera embauché post-fusion engendrera des coûts supplémentaires.
Sur le chiffrage de ces coûts, vous avez pu lire ici ou là, sous la plume de tel ou tel - madame le rapporteur, je tiens d'ailleurs à rendre hommage à votre travail sur ce point -, que le montant des enveloppes variait selon les estimations, les configurations, l'étude de la pyramide des âges, notamment pour les départs en retraite, et selon les termes de la négociation à laquelle on sera parvenu dans le cadre de l'application de cette nouvelle convention collective. En fonction de ces paramètres, les sommes varient de 350 millions à 500 millions d'euros.
Donc, c'est le coût d'ajustement dont on parle puisqu'on sait, évidemment, que l'ajustement, en général, se pratique par le haut. À cette occasion, je rappelle qu'il y a des avantages dans une convention collective, dans un statut par ailleurs applicable à l'ANPE et que c'est très probablement vers un modèle de convergence que nous obtiendrons peut-être le meilleur de chacun des deux statuts dans le cadre du nouveau texte qui s'appliquera au terme de la négociation.
Vous m'avez interrogée sur le maillage du réseau. En particulier, Mme David m'a demandé combien de sites seraient maintenus.
Aujourd'hui, il existe un peu plus de 1 600 sites et s'il est clair que certains devront être supprimés, simplement pour éviter des doublons, l'objectif que nous visons, c'est, je le répète une fois de plus, un meilleur service au bénéfice des usagers. Nous ne sommes pas dans une logique de réduction des sites et je ne garde pas caché au fond d'un tiroir à Bercy un plan des sites ANPE-ASSEDIC, avec je ne sais quelle arrière-pensée.
M. Guy Fischer. Est-ce bien vrai ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Je réaffirme avec force que notre souci est celui du service à l'usager, du maillage du territoire. Nous voulons que, dans les zones urbaines comme dans les zones rurales, l'ensemble des usagers, demandeurs d'emploi et entreprises, aient accès à ce service, et nous allons donc procéder à la mise en place d'un bon réseau.
M. Gérard Larcher parlait tout à l'heure de la rupture moléculaire suivie d'une fusion. Je ne résiste pas à la fusion des particules de la mosaïque (Sourires.) pour former un paysage qui soit un véritable réseau et un maillage efficace pour le service que nous entendons donner.
Certains d'entre vous ont évoqué l'aspect de « stigmatisation », de « culpabilisation » qui résulterait de la réforme que nous entendons entreprendre. Dans l'esprit du Gouvernement, il ne s'agit nullement de cela. L'objet de ce texte est véritablement d'améliorer le service rendu aux usagers, le service de l'emploi, dans le souci d'emmener les demandeurs d'emploi vers le marché du travail et d'attirer les entreprises vers les services fournis par l'ANPE révisée post-fusion, qui portera un nom nouveau ; je m'exprimerai sur ce sujet dans un instant.
Tel est l'esprit dans lequel nous abordons ce projet, et nullement avec le souci de culpabiliser, de stigmatiser. C'est dans une logique de contrat et de partenariat que nous entendons proposer le nouveau service public de l'emploi, étant néanmoins précisé que ceux qui ne souhaiteraient pas entrer dans cette démarche vers l'emploi devront, bien entendu, en tirer toutes les conséquences.
En ce qui concerne le nom de la nouvelle institution, je sais que certains d'entre vous se sont étonnés, voire peut-être offusqués de la position que j'ai exprimée tout à l'heure. Il n'est pas mauvais, pour l'ensemble des membres d'un nouvel être juridique, sur la nature duquel je reviendrai, dans le cadre du développement d'une nouvelle culture, du développement d'une nouvelle offre, d'une nouvelle plateforme, de réfléchir ensemble, sur la base d'un certain nombre de propositions, à ce que sera la nouvelle identité, au nom qui lui sera donné et à l'ensemble des attributs qui lui seront associés. Cette démarche collective permet de constituer une sorte d'« humus culturel » entre ceux qui y participent.
S'agissant de la nature juridique de l'établissement, il ne fait de doute pour personne, en tout cas pour aucun de ceux qui ont participé aux travaux de rédaction de ce projet, que la nouvelle institution sera un établissement public qui remplira un service public de l'emploi. Nous aurons l'occasion d'examiner cette question lors de la discussion des amendements, mais je tenais d'ores et déjà à le préciser.
Enfin, en ce qui concerne les aspects de gestion du changement et de tensions observées au sein des équipes concernées, soit dans les ASSEDIC, soit à l'ANPE, dans les agences locales pour l'emploi, je crois qu'il est inhérent à toute perspective de rapprochement entraînant une fusion de deux opérateurs qui ont pour habitude de travailler séparément de créer une certaine anxiété ; cela est propre à toutes les opérations de fusion.
Votre rôle, en tant que législateurs, et le nôtre, en proposant ce texte, c'est précisément d'essayer de pallier les difficultés, d'anticiper les phénomènes anxiogènes. Il est de proposer un certain nombre de réponses permettant, en se concentrant sur le service à rendre, sur les besoins des usagers, sur l'identité collective nécessaire à la création d'une culture, de parvenir à ce qui est notre objectif, c'est-à-dire un meilleur service public de l'emploi au service des usagers, ainsi que nous allons maintenant en débattre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Fischer, Mme David, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°65, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la réforme du service public de l'emploi (N° 141, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce nouveau projet de loi, à n'en pas douter, fera le bonheur du MEDEF, des libéraux et de celles et de ceux qui, dans vos rangs, attendent, depuis des années, la fin du dernier monopole d'État encore existant, celui de l'indemnisation des demandeurs d'emplois.
En adoptant ce projet de loi, vous rajouterez une pierre à votre vaste édifice de démantèlement du service public de l'emploi. Et si je dis qu'il s'agit là d'une pierre de plus et non du parachèvement de votre projet, c'est que je mesure justement tout le chemin que vous avez accompli et les dernières étapes qu'il vous reste à franchir pour offrir - « enfin ! », dirais-je - tout le service public de l'emploi au privé en général.
Une dernière étape reste à franchir, celle du désengagement total de l'État. Il ne saurait tarder.
Ce projet de loi n'est qu'un stratagème qui vise à jouer la montre et à habituer progressivement, contre leur gré, les agents de feu le service public de l'emploi et les chômeurs à la mainmise du secteur privé.
Voilà quelle est notre analyse, voilà la direction que vous voulez prendre, à la grande satisfaction de Mme Parisot.
Au cours de ces dernières années, votre majorité a organisé la privatisation « rampante » de la mission de placement, pour aboutir aujourd'hui, si votre projet de loi était adopté, à la création d'une structure unique, totalement privée, chargée à la fois de l'accueil, de l'inscription, du placement, de l'indemnisation, du contrôle et de la sanction.
Demain, comme vous l'avez fait en matière de santé, comme vous voulez le faire en matière de dépendance, nous assisterons à la privatisation totale et complète du placement et de l'indemnisation - bien sûr, cela se fera progressivement, en quatre ou cinq ans peut-être. Il appartiendra aux sociétés privée, aux grands majors de l'intérim comme Adecco ou Manpower, d'organiser le placement des demandeurs d'emploi, en prenant bien soin de respecter les attentes du patronat. Les chômeurs eux-mêmes seront invités, bien entendu, à se plier à des contraintes qu'ils ne connaissaient pas auparavant.
Madame la ministre, vous avez évoqué les craintes suscitées par les transferts de compétences, notamment pour le recouvrement des cotisations qui sera assuré par les URSSAF. Sans empiéter sur la discussion des articles, je dirai que ce transfert est la preuve de la fiscalisation des risques sociaux que nous dénonçons.
Pourquoi devrions-nous débattre ici d'un projet de loi qui n'est qu'une manoeuvre visant à dissimuler un projet plus grave encore et à faire croire aux Français, comme vous l'avez fait avec la sécurité sociale en la privant d'une partie de ses ressources, qu'il n'y a pas d'autres choix possibles qu'une anti-réforme de plus ? C'est la raison pour laquelle je vous demanderai, à la fin de mon intervention, d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. Auparavant, il m'apparaît important de vous apporter, dans les faits, la preuve - ou, tout du moins, des éléments de preuve - de ce que j'ai dénoncé plus haut.
Souvenez-vous de l'adoption de la loi appelée, non sans ironie, loi de programmation « pour la cohésion sociale » ; M. Gérard Larcher, qui a défendu ce projet de loi lorsqu'il était ministre, est présent ce soir. Selon nous, ce texte entamait déjà le monopole du service public de l'emploi, en précisant - nous nous y étions d'ailleurs opposés - que les associations, les sociétés d'intérim et les entreprises privées de placement comme Maatwerk - d'ailleurs fermée depuis - contribuaient au service public de l'emploi. Dès cette époque, à notre sens, vous avez tout simplement fait entrer le loup dans la bergerie, quitte à dire aujourd'hui que les opérateurs ou les composantes du service public de l'emploi sont trop diversifiés, voire trop nombreux.
Dans les départements où la droite est au pouvoir, vous avez fait le choix idéologique d'expérimenter et de recourir régulièrement à ces sociétés de placement. Je ne prendrai qu'un exemple, celui des Hauts-de-Seine, où le président de l'exécutif départemental n'était autre que M. Sarkozy. Alors qu'il ne cachait rien de ses ambitions présidentielles, il affirmait lui-même vouloir faire de ce département un laboratoire d'essai. En fait d'essai, le recours aux sociétés privées de placements est plutôt synonyme d'échec ! Ainsi, pour l'année 2007, la majorité UMP-UDF du conseil général des Hauts-de-Seine a versé 6,8 millions d'euros à une société de placement, Ingeus, pour ne pas la citer. Mais pour quels résultats ? En 2007, à l'issue de la dernière session de formation et de placement, organisée en faveur de vingt jeunes cadres demandeurs d'emplois, seuls quatre d'entre eux ont signé un contrat à durée indéterminée et trois, un contrat à durée déterminée ; les treize autres n'ont rien obtenu. Les contribuables des Hauts-de-Seine auront pourtant déboursé 38 460 euros, pour un résultat, vous en conviendrez, bien mitigé. Tel est le choix idéologique et dogmatique que vous avez fait : privilégier le privé, même inefficace, contre le service public de l'emploi.
Vous qui nous parlez souvent, dans cet hémicycle et dans les médias, de mesures de « bon sens » ou bien de mesures « utiles », vous ne pouvez plus le faire aujourd'hui car, ne vous en déplaise, ce n'est pas le recours à des sociétés de placement qui résoudra le problème du chômage, ni même votre fusion de l'ANPE et des ASSEDIC.
Seule une tout autre politique de l'emploi permettra de diminuer le nombre de demandeurs d'emploi, avec une loi qui reviendrait sur le PARE, sur la privatisation de l'ANPE, sur les trappes à bas salaires, sur les contrats précaires, dont il faudrait que nous discutions. Mais vous ne voulez pas d'une telle loi ! En effet, elle supposerait de revenir sur les exonérations de cotisations sociales octroyées au patronat et d'en finir avec les contrats précaires en renforçant le contrat à durée indéterminée. Mais surtout, elle mettrait un terme à vos politiques libérales, qui ont eu pour seul effet de culpabiliser les sans-emploi, de créer la suspicion, d'exclure un certain nombre d'entre eux des mécanismes de solidarité ou d'aviver l'angoisse des salariés qui comprennent qu'ils n'ont pas d'autre choix que de plier, sous peine d'être licenciés à leur tour.
Vos politiques instaurent une ambiance délétère pour conditionner les salariés de notre pays, leur apprendre à être toujours plus dociles. Si certains se réjouissent de ce contexte, soyez sûrs que vous les trouverez du côté du patronat ! La réalité d'aujourd'hui, c'est l'explosion de la précarité : il serait intéressant, comme M. le président Mercier le disait tout à l'heure, de voir ce que deviennent réellement les RMIstes qui acceptent un contrat. Pour ma part, je défends l'idée que ces RMIstes en difficulté sont en train de constituer le volant de travailleurs pauvres qui devient une spécificité de notre pays. Le phénomène était connu dans les pays anglo-saxons, mais nous le voyons apparaître en France : nous devrons en discuter, notamment dans le cadre de notre réflexion sur l'évolution de l'exclusion en France.
Votre fusion aggravera ces phénomènes, elle permettra au patronat, déjà très présent dans la gestion de l'UNEDIC, de participer à la gestion de la future institution que vous voulez créer, l'associant cette fois-ci à la gestion du placement. Avec la participation de deux ou de trois de vos ministres - on a même entendu parler du ministre de l'immigration - et celle du MEDEF, la présence des partenaires sociaux sera amoindrie.
Cette situation aura de lourdes conséquences sur les politiques de l'emploi et je ne doute pas que, demain, une fois votre projet adopté, le secteur privé ne manquera pas de faire connaître ses exigences sur le placement, notamment en usant de la notion d'offre valable d'emploi ou OVE. Là encore, madame la ministre, le Gouvernement et le Président de la République satisfont ces exigences à l'avance, lorsqu'ils précisent qu'un salarié ne pourra, sans risque de sanction, refuser plus de deux propositions.
Votre fusion aura-t-elle des effets sur le chômage ? Oui, à n'en pas douter, puisque demain, plus que vous ne le faites déjà aujourd'hui, vous allez radier arbitrairement des demandeurs d'emplois ou les contraindre à accepter n'importe quel travail.
Sans doute le taux de chômage diminuera-t-il sous le double effet des évolutions démographiques et des radiations abusives qui se sont multipliées sous votre majorité. Les récentes déclarations du Président de la République sur le sujet ne manquent pas de sel : il annonce vouloir sanctionner les demandeurs d'emplois qui refuseraient deux offres valables, alors qu'une négociation devrait bientôt s'ouvrir pour permettre aux partenaires sociaux d'établir une définition claire de cette notion !
Mais cette définition existe déjà partiellement, elle est contenue dans une convention de l'Organisation internationale du travail, l'OIT. Je souhaiterais donc savoir, madame la ministre, et je vous prierai de bien vouloir répondre à ma question, si les éléments déjà contenus dans la convention de l'OIT serviront de point d'ancrage à la négociation. Je souhaiterais également que vous nous garantissiez qu'on n'enregistrera pas de recul sur aucun des éléments de la définition actuelle.
Qu'adviendrait--il de la définition de l'OVE si, demain, les partenaires sociaux ne s'entendaient pas ? On sait que le Gouvernement interviendra, on sait aussi qu'il le fera, comme c'est toujours le cas avec votre majorité, sur les positions défendues par les industriels. Il aurait été plus logique, madame la ministre, d'attendre la fin des négociations sur ce sujet. De même qu'il aurait été plus logique d'attendre pour dessiner la structure nouvelle capable de répondre à une exigence définie en partie sur de nouveaux critères, comme la nouvelle définition de l'OVE. Car, selon le contenu de cette définition, la mission principale des agents, placement ou radiation, sera radicalement modifiée, avec des incidences sur les missions de conseil, d'orientation et d'information en matière de formation.
Mais vous n'en avez cure ! La déclaration d'urgence sur ce texte en est la preuve. Peu importe que l'on crée aujourd'hui une institution alors qu'un élément fondamental, utile à sa mission, n'est pas encore défini, puisque ce qui compte, c'est l'affichage. Cela nous confirme dans l'idée que le texte que vous nous présentez aujourd'hui n'est qu'un trompe-l'oeil. Mais, sur le fond, parviendrez-vous à garantir le plein emploi ? J'en doute car, d'une certaine manière, ce chômage vous est utile.
En effet, d'une part, nous l'avons déjà dit, un chômage résiduel permet aux employeurs de faire pression sur les salariés. Ce phénomène va s'accentuer à l'avenir, même si le Président de la République nous a expliqué que ce que nous avions cru devoir comprendre, à savoir la fin de la durée légale du travail, n'était plus de mise. En renvoyant la définition de la durée légale du travail aux négociations par branches ou, comme le voudrait le patronat, à la négociation individuelle, il ne fait pas de doute que l'employeur choisira le salarié faussement volontaire pour travailler plus.
D'autre part, deux économistes, Franco Modigliani et Lucas Papademos, ont démontré que les mesures conjoncturelles étaient inefficaces pour combattre ce que l'on appelle le « chômage naturel ». C'est dans les années 1970 qu'un des chefs de l'école de pensée néolibérale, l'économiste Milton Friedman, a développé cette thèse et expliqué que le chômage traduit un mauvais fonctionnement du marché du travail. Chaque pays aurait un niveau de chômage normal, habituel, « naturel », reflétant la qualité du marché du travail : certains pays sont caractérisés par une plus grande flexibilité du marché du travail, leur « taux de chômage naturel » est donc plus faible.
En fait, cette analyse est tronquée et l'utilité de ce concept se situe ailleurs, dans la relation entre le taux de chômage et l'inflation. Car ces économistes démontrent, non sans malice, que plus le taux de chômage est faible, plus l'inflation est importante. Puisque vous refusez d'organiser une réforme non libérale d'ampleur de notre économie, il faut donc arbitrer entre chômage et inflation. Les libéraux, dont vous êtes, ont fait le choix d'un chômage compris entre 5 % et 9 %, justement pour limiter une inflation que vos politiques comptables ne sauraient compenser. Demandez par exemple aux retraités si la « généreuse » progression des retraites de 1,1 % suffira à compenser la hausse des prix !
Mes chers collègues, je ne me fais aucune illusion sur le sort que vous réserverez à cette motion tendant à opposer la question préalable. Je vous demande toutefois de l'adopter, pour éviter une fusion qui nous semble inutile et dangereuse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. M. le président Fischer a su deviner quel était l'avis de la commission, qui ne peut être que défavorable. Je ne partage pas son opinion quant au désengagement de l'État qu'il annonce.
Le président Fischer a parlé de choix idéologiques, mais ses propos eux-mêmes sont empreints d'idéologie : il nous parle de mainmise du secteur privé sur l'emploi, de structure privée unique, etc. Personnellement - mais un certain nombre de membres de la commission partagent cet avis -, j'estime que c'est l'efficacité du service rendu aux demandeurs d'emploi qui prime. Peu importe que le statut de l'opérateur soit public ou privé, la question n'est pas là !
Le projet de loi ne comporte aucun risque pour les chômeurs. L'UNEDIC gère déjà actuellement l'assurance chômage avec les partenaires sociaux, et parfois avec des partenaires privés : il n'y a eu aucune déviation. Notre objectif et celui du Gouvernement, au travers de ce texte, est de rapprocher la main-d'oeuvre des emplois disponibles, de faire en sorte que ceux qui ont besoin de trouver un emploi, les plus faibles, les plus démunis de nos concitoyens, ceux d'entre eux qui se trouvent depuis le plus longtemps au chômage puissent, grâce à l'instauration d'un lieu unique destiné à les accueillir, se trouver dans une situation plus favorable à la reprise d'un emploi.
Cette position de la commission n'est, quant à elle, pas idéologique. C'est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Afin de répondre brièvement à M. Fischer, je rappellerai tout d'abord que c'est le gouvernement auquel j'appartiens qui a encouragé les partenaires sociaux à examiner les situations où se créent des trappes à bas salaires, c'est-à-dire ces phénomènes d' « écrasement » et de tassement des salaires dans une zone assez étroite juste au-delà du SMIC.
C'est dans ce cadre que nous avons envisagé, en particulier, la conditionnalité des allégements de charges sociales pour inciter les entreprises à négocier les salaires de manière annuelle, comme elles y sont d'ailleurs tenues par la loi dès lors que des organisations syndicales peuvent être leurs interlocuteurs dans ce dialogue.
Je pense donc que c'est nous faire un mauvais procès que de nous soupçonner de souhaiter le maintien d'un chômage résiduel « utile », au bénéfice des employeurs, que d'imaginer que nous ne nous soucions pas de ceux que vous appelez les « travailleurs pauvres », monsieur Fischer : nous savons que, pour eux, l'important est d'accéder, au-delà du RMI, au RSA et, bien plus encore, à un travail.
C'est dans cet esprit que nous abordons le débat. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 65, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Godefroy, Mmes Demontès, Jarraud-Vergnolle, Printz, Schillinger et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 67, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi relatif à la réforme du service public de l'emploi (n° 141, 2007-2008) (urgence déclarée).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la motion.