M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est juste avant les vacances parlementaires que nous avons appris que ce texte, initialement programmé pour être étudié en première lecture à l'Assemblée nationale à la fin de l'année 2007, avait été transféré au Sénat, non sans précipitation d'ailleurs.
Avant de présenter cette motion tendant au renvoi à la commission, je voudrais souligner que c'est donc une fois de plus pendant les vacances parlementaires, pour l'essentiel, qu'il a fallu entendre les acteurs concernés. Je remercie d'ailleurs Mme le rapporteur d'avoir ouvert ces auditions à l'ensemble des sénateurs de la commission - de manière générale, il me semble toujours préférable de procéder ainsi -, mais en cette période où chacun est soumis à des contraintes, notre participation n'a pas été sans poser de réels problèmes d'organisation.
De même, c'est seulement hier matin que nous avons entendu Mme le rapporteur en commission et examiné ses propositions d'amendements. Quant à la version intégrale de son rapport, nous n'avons pu en prendre connaissance que ce matin, puisqu'elle a été « mise en ligne » hier soir, vers 22 heures 30. Nos amendements ont, pour leur part, été étudiés ce soir même par la commission, à partir de 20 heures 30, après les voeux présidentiels, ce qui, soit dit avec tout le respect que je porte tant au travail de Mme le rapporteur qu'à celui des administrateurs de la commission, que je tiens à saluer ici, ne crée pas les conditions d'un examen attentif et d'un débat approfondi.
Je signale, à ce sujet, que le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Balladur, propose que soit débattu en séance publique le texte tel qu'il est issu des travaux de la commission saisie, c'est-à-dire, essentiellement, le texte initial amendé par le rapporteur. Si cette proposition de réforme doit être retenue à l'occasion de la prochaine réforme institutionnelle, les pratiques actuelles devront changer ; il ne devra plus être possible d'étudier un texte en commission la veille de son examen en séance publique, voire quelques heures seulement avant celui-ci...
Cela étant dit, cette demande de renvoi à la commission est d'autant plus justifiée aux yeux du groupe socialiste que l'urgence a été déclarée dès le dépôt du projet de loi : il n'y aura donc qu'une seule lecture dans chaque assemblée avant la commission mixte paritaire et l'adoption définitive du texte.
Il en est d'ailleurs ainsi pour la plupart des textes devant être examinés par le Parlement au mois de janvier. Outre celui qui nous occupe aujourd'hui, je pense notamment aux projets de loi relatifs aux organismes génétiquement modifiés, d'une part, et au pouvoir d'achat, d'autre part.
Le texte relatif aux OGM a été de façon encore plus urgente retiré du circuit, et il reviendra au ministre concerné de s'en expliquer. Reste le projet de loi relatif au pouvoir d'achat, le seul texte pour lequel le recours à la procédure d'urgence pourrait être justifié, du fait de la dégradation des conditions de vie de nos concitoyens. Malheureusement, ce ne sont pas les mesures préconisées par le Gouvernement qui permettront d'apporter une réponse efficace ; nous en débattrons le 23 janvier prochain.
Si je m'exprime ainsi, c'est en référence à l'aveu d'incapacité du Président de la République qui, lors de sa conférence de presse d'hier matin, s'interrogeait en ces termes : « Qu'est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? » Il confirmait, par là même, des propos tenus naguère par son Premier ministre. Soit dit en passant, la majorité actuelle exerce le pouvoir depuis six ans.
Le Président de la République a poursuivi en demandant si l'on attendait de lui qu'il donne des ordres à des entreprises à qui il n'a pas d'ordres à donner. Cependant, vous et vos amis ne vous privez pas, madame la ministre, de donner des conseils péremptoires aux salariés. Enfin, si j'en crois la presse, il a posé la question suivante : « Vous croyez que le seul boulot d'un Président, c'est d'augmenter le SMIC ? » Il nous semble pourtant que cela relève de la responsabilité du gouvernement qu'il dirige de fait.
Le recours généralisé à l'urgence n'est pas respectueux de nos assemblées et encore moins des citoyens que nous représentons. En matière de réformes sociales, je ne pense pas que le recours à la déclaration d'urgence soit la meilleure voie. M. Raffarin a très justement dit un jour : « On ne réforme pas en klaxonnant. » Aujourd'hui, mes chers collègues, c'est toutes sirènes hurlantes que l'on prétend réformer, l'effet d'annonce tenant bien souvent lieu de raisonnement !
À cet égard, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse, pour rappeler que le volontarisme, aussi affirmé soit-il, ne suffit pas à résoudre un problème, et que la précipitation est souvent mauvaise conseillère. Je crois, madame la ministre, que vous devriez, comme certains de vos collègues du Gouvernement, tirer les leçons des mois passés, qui nous ont montré qu'à vouloir fabriquer des lois dans la hâte, on se trouve parfois obligé de les « détricoter » tout aussi rapidement, qu'à vouloir aller vite, trop vite, on fait parfois des erreurs d'appréciation, erreurs que nous laissons bien évidemment au Président de la République le soin d'évaluer !
Nous ne comprenons pas cette précipitation, moins de dix-huit mois après le vote de la loi relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, texte que M. Larcher, ici présent, avait défendu avec beaucoup d'énergie et dont nous avions longuement débattu.
Il ne faut pas oublier que de nombreuses évolutions sont déjà intervenues dans ce domaine sous la dernière législature, qu'il s'agisse du contrôle accru des chômeurs et de l'aggravation des sanctions, de l'intervention d'agences de placement privées ou de la création des maisons de l'emploi, et que de nombreux rapprochements ont déjà eu lieu entre l'ANPE et les ASSEDIC, notamment grâce à la mise en place du dossier unique du demandeur d'emploi, à l'installation de 220 guichets uniques auxquels l'inscription peut être réalisée par un conseiller de l'ANPE ou des ASSEDIC, ainsi qu'à la création d'un groupement d'intérêt économique pour intégrer les services informatiques.
Sans qu'il soit besoin de procéder à une fusion juridique, le rapprochement opérationnel de l'ANPE et des ASSEDIC est donc déjà aujourd'hui une réalité en marche. Nous ne contestons d'ailleurs pas cette volonté de mettre en place des guichets uniques, c'est-à-dire des lieux d'accueil dans lesquels les demandeurs d'emploi peuvent effectuer l'ensemble des démarches relatives à leur recherche d'emploi, à leur formation, à leur indemnisation, etc.
Cela étant, madame la ministre, il n'y a pas d'urgence à voter ce texte avant la fin du mois de janvier. Que je sache, la nouvelle institution que vous entendez créer ne doit pas être mise en place de façon impérative le 1er mars prochain.
En revanche, il est nécessaire d'approfondir le contenu du texte. À cet effet, nous demandons le renvoi de ce dernier à la commission, car il apparaît que le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui est largement inabouti.
La concertation préalable a bien eu lieu, certes, mais l'unique consultation du comité supérieur de l'emploi n'a pas permis de résoudre toutes les questions techniques induites par la fusion envisagée entre l'ANPE et les ASSEDIC. Toutes les organisations syndicales ont fait état devant nous du « calendrier abominable » qui leur a été imposé ; bien que n'ayant pas demandé la fusion, elles ont joué le jeu de la concertation, mais force est de constater que leur inquiétude ne fait que croître, eu égard au manque de réponses concrètes à leurs préoccupations.
Cette fusion n'est pas aussi simplificatrice que vous le dites, madame la ministre. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires sociales, qui a été chargée de recenser les questions techniques liées au projet de fusion. Cependant, elle doit remettre ses conclusions à la fin du mois de janvier, c'est-à-dire après l'adoption du présent texte par le Parlement. Il me semble pourtant que les conclusions de ce rapport seraient très utiles au Parlement pour apprécier plus justement les incidences et les implications de la réforme.
Une autre proposition du comité présidé par M. Balladur vise d'ailleurs à imposer la réalisation d'études d'impact préalablement au dépôt des projets de loi, préconisation que, pour l'heure, le Gouvernement ne suit pas.
Or il me semble que certains sujets, tel celui qui nous occupe aujourd'hui, se prêtent particulièrement bien à une telle démarche : il s'agit tout de même de modifier des institutions qui emploient plus de 40 000 salariés et qui reçoivent chaque année plusieurs millions de personnes à la recherche d'un emploi. La véritable question que nous devons nous poser en abordant l'examen de ce texte, c'est de savoir s'il va contribuer à améliorer la situation des demandeurs d'emploi. En quoi est-il une pièce importante du dispositif de transformation de la politique sociale ? En résumé, quelle est la « plus-value » qu'il apporte par rapport au système actuel ? Nous l'ignorons, et nous n'avons toujours pas obtenu de réponse sur ce point pour l'instant.
Quant aux questions ayant trait au personnel, nous ne pouvons pas nous contenter de vos déclarations, madame la ministre. Vous êtes de bonne volonté, mais elles demeurent imprécises. « On prendra le meilleur des deux statuts », dites-vous. Or les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont montré à quel point les particularités des deux statuts ne pouvaient être « mixées » simplement, qu'il s'agisse des salaires et des autres éléments de rémunération, de la protection sociale, des retraites, des oeuvres sociales ou encore des règles de représentation du personnel. Ce sont autant de sujets qui méritent d'être approfondis avant le vote du texte, ne serait-ce que pour apaiser les inquiétudes des agents des deux institutions, qui ont encore manifesté hier devant le Sénat. Il me semble qu'une telle fusion, si elle doit intervenir, aurait dû être précédée, pour le moins, de l'information du Parlement sur tous ces éléments.
En outre, une mission d'évaluation, conduite par notre collègue député Jean-Paul Anciaux, président de la Commission nationale de labellisation des maisons de l'emploi, devrait rendre son rapport définitif au mois d'avril. Or les conclusions de ce rapport nous seraient elles aussi très utiles pour nous déterminer, tant vos propos sur l'avenir des maisons de l'emploi nourrissent nos inquiétudes.
En effet, un an et demi après leur lancement, ces maisons de l'emploi ne sont apparemment plus une priorité pour le Gouvernement ; vous vous êtes d'ailleurs prononcée pour le gel de leur mise en place. Voyant fonctionner une maison de l'emploi et de la formation dans la communauté urbaine de Cherbourg depuis une dizaine d'années - nous avons innové en la matière -, je ne puis que m'étonner d'une telle attitude, l'utilité et l'efficacité de ces structures n'étant plus à démontrer. Les collectivités territoriales sont d'autant plus inquiètes qu'elles sont écartées de l'économie globale du projet de loi, alors que leur rôle en matière d'emploi, d'insertion, de formation professionnelle et de développement économique est de plus en plus important. Madame la ministre, pourquoi les collectivités locales sont-elles ignorées par le texte ? Qu'est-ce que cela signifie ?
D'autres incertitudes auraient également mérité d'être levées avant l'examen du présent projet de loi au Parlement, pour que l'on y voie plus clair dans cette fusion. En effet, la convention tripartite ANPE-UNEDIC-État n'étant pas allée à son terme et les négociations sur la modernisation de l'emploi étant tout juste engagées, les objectifs et l'organisation de l'opérateur unique ne sont pas encore, bien évidemment, tout à fait définis.
Ainsi, la précipitation avec laquelle vous voulez faire adopter ce texte vous oblige à prévoir une instance provisoire chargée de préparer la mise en place de la nouvelle institution : d'ailleurs, si son nom n'est toujours pas connu, il semble que celui de son futur directeur le soit déjà, si l'on en croit de nombreux bruits. Pourtant, il devrait revenir au conseil d'administration de l'institution, à mon sens, de proposer son candidat au poste de directeur général.
Il nous semble surtout qu'il eût été préférable de se mettre d'accord sur le contenu avant la mise en place de l'outil. Certes, on parle de guichet unique pour accueillir les demandeurs d'emploi, mais, dans ce texte, rien n'est précisé sur le type d'accueil qui devrait être mis en place pour des publics très divers. Vous avez seulement indiqué que l'objectif était de parvenir à un ratio de un référent pour trente demandeurs d'emploi issus des catégories les plus éloignées de l'emploi, chiffre auxquels les personnels concernés ne croient absolument pas, sauf à créer des milliers de postes, ce qui n'est certainement pas dans vos intentions.
Il n'y a rien non plus, dans le projet de loi, sur les actions à conduire, notamment en matière de formation : l'Association pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, est la grande oubliée du texte.
Le projet de loi n'est guère plus explicite sur l'organisation au sein des territoires : la déclinaison régionale de la nouvelle institution est des plus floues.
Or ce sont là des paramètres importants pour s'assurer de la réussite de cette réforme et de ses conséquences positives sur l'emploi.
D'autres dossiers auront également un impact sur la politique du futur organisme, notamment les négociations entre l'État et les partenaires sociaux relatives au contrat de travail, à la sécurisation des parcours professionnels, à l'indemnisation du chômage et à la réforme de la formation professionnelle continue, ou bien encore le « Grenelle de l'insertion ». Tous ces sujets auront des répercussions sur les missions et sur le travail des agents de la future institution.
Pour l'instant, ce texte n'est qu'une opération de communication qui permettra bien évidemment à l'exécutif, dans une période sensible, de déclarer qu'il a accompli la réforme du service public de l'emploi, alors que nous en sommes en fait très loin.
Ce n'est pas une réforme institutionnelle qui permettra de faire baisser le chômage, comme le Gouvernement tente de s'en convaincre, ou qui pourra remplacer la mise en oeuvre d'une politique économique à même de susciter la croissance et des créations d'emplois. Les Français en font l'amère expérience. Dans un contexte plus que morose, la politique à sens unique du Gouvernement montre ses limites. Les sondages qui reflètent les désillusions de nos concitoyens devraient vous inciter à changer de cap, madame la ministre. Malheureusement, je crains qu'il n'en soit rien, particulièrement après avoir entendu les propos tenus hier matin par le Président de la République.
Nous craignons que la vision gouvernementale de la fusion ne soit en fait le moyen de réaliser de nouvelles économies sur le dos des agents et des demandeurs d'emploi. Ces craintes ont été renforcées après l'annonce par le Président de la République de la prochaine mise en place de sanctions à l'encontre des demandeurs d'emploi qui refuseraient deux offres d'emploi « acceptables ».
Madame la ministre, pourriez-vous définir très clairement la différence entre une offre « valable », concept connu depuis 1934, et une offre « acceptable », nouvelle notion présidentielle ?
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, mes chers collègues, de renvoyer ce texte à la commission. Il est véritablement nécessaire d'approfondir notre travail et d'explorer toutes les dimensions de la réforme proposée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Mes chers collègues, je ne peux pas nier que nous avons travaillé dans des délais extrêmement courts. Un hommage mérité a été rendu au travail que nous avons effectué ensemble en commission. Je tiens d'ailleurs à remercier, outre Mme la ministre, tous mes collègues de la commission, notamment M. Godefroy et Mme Demontès, car nous avons les uns set les autres dû sacrifier une semaine que nous passons habituellement en famille avec nos enfants.
L'ambiance est, certes, excellente en commission, mais ce n'est certainement pas une raison suffisante pour que nous nous réunissions de nouveau ! (Sourires.)
Toujours est-il, mes chers collègues, que le renvoi à la commission ne me paraît pas nécessaire.
Ce texte devant initialement être déposé à l'Assemblée nationale, j'avais pensé disposer de beaucoup plus de temps, mais cela ne nous a pas empêchés de mener seize auditions, qui ont été ouvertes à tous nos collègues. Je pense notamment aux auditions respectives de Mme la ministre, de la présidente et du directeur général de l'UNEDIC et de celui de l'ANPE. Nous avons même eu le temps de recevoir hier une délégation des manifestants qui s'étaient rassemblés devant le Palais du Luxembourg.
Nous, sénateurs, pouvons au contraire être fiers d'être saisis une nouvelle fois en premier d'un texte important, comme cela a déjà été le cas avec la loi sur le dialogue social et la continuité des services publics dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur au Sénat. Je suis persuadée que, à l'issue des travaux que nous allons mener, nous aurons enrichi ce texte, comme nous le faisons toujours. Ce n'est peut-être pas très gentil pour mes collègues de l'Assemblée nationale, mais, comme je suis fort satisfaite du travail que nous avons effectué ensemble, je préfère que le texte ait été examiné par le Sénat avant l'Assemblée nationale, même au bénéfice de l'urgence.
J'émets donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement émettra bien évidemment un avis défavorable en reprenant à son compte une partie des arguments de Mme le rapporteur.
Je l'ai souligné tout à l'heure, le travail a été mené dans des conditions de célérité et de diligence absolument remarquables permettant l'audition de toutes les parties concernées. Je réitère l'hommage que je vous ai rendu précédemment, si besoin en était.
Je voudrais cependant répondre à quelques points soulevés par M. Godefroy concernant le rythme de la discussion de ce projet de loi et l'urgence déclarée.
Monsieur Godefroy, nous croyons, nous, qu'il y a urgence tout simplement parce que les chômeurs n'attendent pas !
M. Jean-Claude Carle. Absolument !
Mme Christine Lagarde, ministre. Nous avons engagé ce travail de concertation et de réflexion depuis le début du mois de juillet avec toutes les instances représentatives. J'ai reçu toutes les organisations syndicales et patronales à de multiples reprises pour écouter leurs points de vue afin d'avancer dans la concertation.
Il faut maintenant donner un sens à l'ensemble de ce travail en cours depuis donc depuis plus de six mois. Certains d'entre vous l'ont évoqué : une inquiétude s'est exprimée au sein des équipes tout simplement parce que ce sujet est discuté depuis longtemps au sein de l'ANPE et des ASSEDIC.
Dès que la loi aura été votée, et au terme du travail technique de grande qualité réalisé par l'Inspection générale des affaires sociales, qui nous permet d'anticiper sur quels points, dans quels domaines, et sur quels secteurs il va falloir travailler en priorité, il sera temps pour l'instance de préfiguration de mettre en oeuvre des réformes qui ne peuvent pas être anticipées.
Mettre en place les nouvelles instances représentatives du personnel ou négocier la nouvelle convention collective ne peut se faire en amont ; ce travail doit être mené en aval, une fois le texte voté. Pour ces raisons, je souhaite, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous poursuiviez sans plus attendre l'examen de ce texte.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 67, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
La section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre III du code du travail est ainsi modifiée :
1° L'article L. 311-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « l'Agence nationale pour l'emploi » sont remplacés par les mots : « l'institution mentionnée à l'article L. 311-7 » et les mots : « les organismes de l'assurance chômage mentionnés à l'article L. 351-21 dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont propres » sont remplacés par les mots : « l'institution gestionnaire du régime d'assurance chômage mentionnée à l'article L. 351-21 dans le cadre des dispositions légales qui lui sont propres » ;
b) Les huit derniers alinéas sont supprimés ;
2° Après l'article L. 311-1, sont insérés deux articles L. 311-1-1 et L. 311-1-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 311-1-1. - Le Conseil national de l'emploi est présidé par le ministre chargé de l'emploi et comprend des représentants des organisations professionnelles d'employeurs et de travailleurs, des collectivités territoriales, des administrations intéressées, des principaux opérateurs du service public de l'emploi, notamment l'institution mentionnée à l'article L. 311-7, l'institution gestionnaire du régime d'assurance chômage mentionnée à l'article L. 351-21 et l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, et des personnalités qualifiées.
« Le Conseil national de l'emploi concourt à la définition des orientations stratégiques des politiques de l'emploi. Il veille à la mise en cohérence des actions des différentes institutions et organismes mentionnés à l'article L. 311-1 et à l'évaluation des actions engagées.
« À cette fin, il émet un avis :
« 1° Sur les projets de loi, d'ordonnance et de décret relatifs à l'emploi ;
« 2° Sur le projet de convention pluriannuelle d'objectifs et de gestion définie à l'article L. 311-1-2 ;
« 3° Sur l'agrément de l'accord d'assurance chômage mentionné à l'article L. 351-8, dans des conditions fixées par décret ;
« 4° Sur l'adaptation et la cohérence des systèmes d'information du service public de l'emploi.
« Art. L. 311-1-2 - Une convention pluriannuelle conclue entre l'État, l'institution gestionnaire du régime d'assurance chômage mentionnée à l'article L. 351-21 et l'institution mentionnée à l'article L. 311-7 définit les objectifs assignés à celle-ci au regard de la situation de l'emploi et au vu des moyens prévisionnels qui lui sont alloués par l'institution gestionnaire du régime d'assurance chômage et l'État.
« Elle précise notamment :
« 1° Les personnes devant bénéficier prioritairement des interventions de l'institution mentionnée à l'article L. 311-7 ;
« 2° Les objectifs d'amélioration des services rendus aux demandeurs d'emploi et aux entreprises ;
« 3° L'évolution de l'organisation territoriale de l'institution ;
« 4° Les conditions de recours aux organismes privés exerçant une activité de placement mentionnés à l'article L. 311-1 ;
« 5° Les conditions dans lesquelles les actions de l'institution sont évaluées, à partir d'indicateurs de performance qu'elle définit.
« Un comité de suivi veille à l'application de la convention et en évalue la mise en oeuvre.
« Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent article et de l'article L. 311-1-1. »
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 37, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Par cet amendement, nous vous proposons la suppression de l'article 1er, qui tend à créer la nouvelle instance demain chargée de l'emploi dans notre pays. C'est avec un certain cynisme que vous nous avez présenté un projet de loi intitulé « Réforme du service public de l'emploi ». Mais je dois vous avouer que, même en cherchant bien, même avec toute la bonne volonté que peut inspirer le passage à la nouvelle année (Sourires.), je ne trouve rien dans ce texte qui réforme le service public de l'emploi ou qui contribue à la création d'emplois nouveaux, stables et justement rémunérés, rien qui permette à un salarié privé d'emploi d'organiser son retour à un emploi équivalent à celui qu'il a perdu.
Je trouve au contraire bien des éléments qui limitent et restreignent ce service public de l'emploi, en un mot qui le privatisent.
Je comprends bien qu'il aurait été plus délicat pour votre gouvernement, mais pourtant plus juste, de nous présenter un projet de loi intitulé « Privatisation du service public de l'emploi ». Ce texte n'est en effet que la continuité des politiques déjà mises en oeuvre de casse du service public de l'emploi, comme d'ailleurs de l'ensemble des services publics.
Remarquez bien qu'il aura fallu peu de temps pour que les propositions gouvernementales viennent contredire l'intitulé du projet de loi.
Tout, en effet, est compris dans cet article 1er.
Il y a la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC. Autrement dit, pour la première fois, ce sera la même « institution », puisque vous la nommez ainsi, qui aura la charge tout à la fois de l'indemnisation des demandeurs d'emploi en raison de la perte de leur emploi, et de leur placement.
Plus grave encore, ce sera la même institution qui contrôlera et sanctionnera les demandeurs d'emploi. Il y aura fusion entre le prescripteur, le payeur et le contrôleur. Vous demanderez au même agent de jouer tous les rôles, ce qui fait reposer sur lui seul des charges qu'il faudrait, par nature, répartir afin d'éviter, comme le dit l'adage, qu'il ne soit juge et partie. Telle était d'ailleurs la volonté des législateurs passés, qui étaient, de mon point de vue, bien mieux inspirés.
Ce n'est donc pas une réforme, mais c'est bien plutôt, permettez-moi l'expression, une reculade.
Ce n'est pas non plus une rupture avec les politiques récentes des gouvernements précédents, la fusion entre l'ANPE et les ASSEDIC ayant déjà été bien avancée sous le gouvernement de M. de Villepin.
Madame la ministre, vous dites dans la presse que cette fusion sera bénéfique aux demandeurs d'emploi, pour qui les démarches seront simplifiées. Vous venez d'ailleurs de nous le répéter à l'instant.
Avant toute chose, je souhaiterais vous dire que nous ne sommes pas opposés à des rapprochements opérationnels entre les agents de l'ANPE et des ASSEDIC dès lors que de tels rapprochements sont élaborés en amont et avec les partenaires sociaux.
Mais tel n'est pas le cas dans ce projet de loi. L'un de ses objectifs n'est ni plus ni moins que la réalisation d'économies sur le dos des demandeurs d'emploi, comme l'attestent les articles suivants.
Madame la ministre, si vous souhaitiez réellement faciliter les démarches des demandeurs d'emploi, vous auriez dû, à la place de cette fusion imposée, permettre au contraire la multiplication de lieux où les deux entités pourraient siéger dans le respect de leurs missions et en toute indépendance, afin de les rapprocher des demandeurs d'emploi.
Vous auriez mis fin à la règle actuelle qui veut qu'un demandeur d'emploi ne peut être reçu s'il n'a pas précédemment obtenu un rendez-vous. Vous auriez mis un terme aux procédures de radiation excessives pour non-présentation à une convocation, alors même que l'agence locale ne peut faire la preuve de la réception de la convocation. Vous auriez également supprimé le double contrôle des ASSEDIC et de la direction départementale, et vous auriez chargé les agents de cette nouvelle institution d'une véritable mission d'accompagnement du salarié privé d'emploi, telle qu'était la mission initiale de l'Agence, créée en 1967 pour faire face à la massification du chômage.
Il est donc clair que les objectifs annoncés ne sont pas ceux qui sont fixés. C'est la justification de cet amendement de suppression de l'article 1er.
M. le président. L'amendement n° 68, présenté par Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, M. Godefroy, Mmes Printz, Schillinger et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le troisième alinéa (a du 1°) de cet article, remplacer les mots :
institution mentionnée
par les mots :
établissement public national doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière mentionné
La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Notre amendement propose de donner une qualification précise à ce qui va naître de la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC et que le projet de loi appelle « institution ».
Jusqu'à présent, nous pensions que le terme « institution » était réservé aux institutions de la République, telles que décrites dans la Constitution. Apparemment, le mot semble promis à une nouvelle fortune, puisqu'il désignerait une « chose », permettez-nous de la nommer ainsi pour le moment, issue de la fusion d'une association et d'un établissement public.
En réalité, ce choix d'un mot innovant dans ce domaine, n'est pas anodin. Il vise à contourner une explication claire sur la nature exacte de cette institution.
Juridiquement, c'est le mariage de la carpe et du lapin, avec tous les problèmes que cela pose. Mais, s'il s'agit, comme vous le prétendez, de la réforme du service public de l'emploi, pourquoi ne pas qualifier l'organisme créé d'établissement public ? Cela n'empêcherait pas celui-ci d'être chargé d'une mission de service public. C'est même la règle qui prévaut.
Cette ambiguïté, que l'on retrouve tout au long des divers aspects de ce projet de loi, ne laisse pas d'être inquiétante pour l'avenir, et ce d'autant plus que rien dans le texte n'indique que cette institution aura un rôle primordial, prioritaire, dans une éventuelle politique de l'emploi. Elle ne sera, selon la rédaction du futur article L. 311-7, qu'une « institution », ce qui sous-entend clairement qu'il y en aura d'autres, que ce soit des entreprises privées de placement, des entreprises d'intérim, et bien au-delà de ce que nous connaissons déjà.
Mais que va-t-il se passer dans la durée ? Comment cette structure va-t-elle évoluer face aux opérateurs privés auxquels il est expressément prévu qu'elle ait recours ? Comment vont être traités les publics de demandeurs d'emploi ? Cette institution ne risque-t-elle pas de se voir confier les publics les plus éloignés de l'emploi, alors que d'autres organismes géreront les autres ?
Mais il n'y a pas que le placement ; il y a aussi le contrôle. Nous avons vu récemment comment le Gouvernement envisageait de régler le contrôle des arrêts maladie des salariés.
La dernière loi de financement de la sécurité sociale a prévu que des médecins mandatés et payés par l'employeur pourront adresser leurs conclusions sur un patient en arrêt maladie au médecin contrôleur de la sécurité sociale, qui, selon les caisses pour le moment, devra s'y conformer sans autre formalité.
Déjà, en matière d'emploi, les officines de placement privées avec lesquelles l'ANPE a contracté expliquent à des demandeurs d'emploi en difficulté qu'ils doivent accepter l'emploi proposé sous peine de suspension de l'allocation. Nous sommes dans le même schéma.
Il vous suffira d'inscrire dans un prochain texte que la décision de suspension du versement du revenu de remplacement ne fait pas l'objet d'une contre-expertise, mais est prise sur proposition de l'agent de contrôle, quel que soit le statut de son organisme, et le tour sera joué !
Le secteur privé aurait la haute main sur l'ensemble de la protection sociale.
Nous souhaitons donc que le choix soit clairement fait dès à présent de créer un établissement public national qui gère l'ensemble des actes de placement, d'indemnisation et de contrôle, dans le cadre d'un service public de l'emploi et au service d'une politique nationale de l'emploi.
M. le président. L'amendement n° 38, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par le 2° de cet article pour l'article L. 311-1-1 dans le code du travail :
« Le Conseil national de l'emploi est présidé par le ministre chargé de l'emploi et comprend des représentants des organisations syndicales de salariés, des organisations professionnelles d'employeurs, des représentants du ministère du travail, des collectivités territoriales, des administrations intéressées, des représentants des institutions mentionnées à l'article L. 311-7, l'institution gestionnaire du régime d'assurance chômage mentionnée à l'article L. 351-21, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes et des représentants des missions locales, et, - titre consultatif, des représentants des organisations de demandeurs d'emplois
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Dans le cadre de la « réorganisation », ou plutôt de la casse du service public de l'emploi, vous substituez au Conseil supérieur de l'emploi un conseil national de l'emploi - un CNE ! -, qui reçoit déjà des partenaires sociaux le même accueil qu'un autre CNE. Souvenez-vous-en !
Vous voulez faire de cette instance un lieu de définition des orientations stratégiques des politiques de l'emploi, qui veillerait « à la mise en cohérence des actions des différentes institutions » et - c'est à la mode ! - « à l'évaluation des actions engagées ».
Pour notre part, nous sommes dubitatifs sur le fait de demander aux partenaires sociaux de concourir aux orientations stratégiques des politiques de l'emploi. Cela nous semble relever de la compétence du politique, du Gouvernement pour être précis, plus particulièrement du ministère de M. Xavier Bertrand, officiellement chargé du travail, mais dont la mission est toute théorique, puisque, en matière d'emploi, c'est du côté du MEDEF que vous recherchez votre inspiration !
Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi vous avez déclaré l'urgence sur ce texte puisque ses dispositions étaient déjà bien détaillées dans un livre en partie rédigé par Mme Parisot, dont le titre, Besoin d'air, est à lui seul riche d'enseignements. Il s'agit là d'un parfait petit manifeste de l'économie libérale. On y retrouve presque toutes les mesures actuellement défendues par votre gouvernement, y compris celles que nous examinons aujourd'hui.
Bien que nous soyons opposés à ce CNE, il nous a semblé opportun de déposer un amendement visant à en modifier la composition. Nous souhaitons éviter, notamment, que ne fassent partie du CNE ceux que vous appelez les « principaux opérateurs », car, sous cette appellation, vous dissimulez en fait les sociétés privées de placement et d'intérim, qui, vous le savez tous - en tout cas, les syndicats, eux, le savent ! - sont friandes de dérégulation en matière de politique d'emploi et de casse des droits collectifs. Voilà en partie ce que nous voudrions éviter.
Nous vous proposons également d'intégrer au CNE des organisations représentatives des demandeurs d'emploi afin qu'ils puissent lui faire connaître la réalité de leurs difficultés. Il n'est pas choquant que le public ciblé fasse partie des organes qui lui sont destinés.
Tel est l'objet de cet amendement.