compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Candidatures à la commission chargée de vérifier et d'apurer les comptes
M. le président. L'ordre du jour appelle la nomination des membres de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes.
Conformément à l'article 8 du règlement, la liste des candidats remise par les bureaux des groupes a été affichée.
Cette liste sera ratifiée s'il n'y a pas d'opposition dans le délai d'une heure.
3
Candidatures à une délégation parlementaire
M. le président. L'ordre du jour appelle la désignation de deux membres de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de M. Georges Othily.
Le groupe communiste républicain et citoyen m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de Mme Odette Terrade.
Ces deux candidatures ont été affichées. Elles seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
4
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement a demandé au Sénat de bien vouloir siéger le jeudi 4 octobre au soir pour la suite de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, à l'asile et à l'intégration.
Je vous rappelle, en effet, qu'il reste quelque 190 amendements à examiner sur des questions qui méritent un débat approfondi de la part de la Haute Assemblée.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, le Gouvernement a inscrit à l'ordre du jour du mercredi 10 octobre après-midi le projet de loi relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives.
Acte est donné de cette communication et le Sénat siégera le mercredi 10 octobre à 15 heures pour l'examen de ce projet de loi.
5
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mon rappel au règlement n'a plus lieu d'être, monsieur le président. Je voulais suggérer qu'au lieu de tenir séance demain soir, pour la troisième nuit consécutive, nous siégions le mercredi 10 octobre. En effet, comme le Parlement a été informé de l'accélération de la réforme des régimes spéciaux de retraite, l'ordre du jour ne prévoyait pas de séance ce jour-là. Toutefois, je constate que le Gouvernement a trouvé de quoi nous occuper et ma requête tombe donc à l'eau.
Il reste que l'organisation de nos travaux est pour le moins incertaine et mouvante, puisque l'ordre du jour de notre assemblée vient d'être modifié !
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, je vous donne acte de votre déclaration.
Je salue le retour de Mme Terrade au sein de la Haute Assemblée : bienvenue, ma chère collègue. (Applaudissements.)
6
Immigration, intégration et asile
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (nos 461, 470).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements présentés à l'article 1er.
Par ailleurs, je rappelle au Sénat que l'article 4 ainsi que l'amendement n° 94 tendant à insérer un article additionnel après l'article 4 seront examinés en priorité après l'article 1er.
Article 1er (suite)
Après l'article L. 411-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est inséré un article L. 411-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 411-8. - Pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le ressortissant étranger âgé de plus de seize ans et de moins de soixante-cinq ans pour lequel le regroupement familial est sollicité bénéficie, dans son pays de résidence, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, l'autorité administrative organise à l'intention de l'étranger, dans son pays de résidence, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. Le bénéfice du regroupement familial est subordonné à la production d'une attestation de suivi de cette formation qui doit être délivrée dans le mois suivant la fin de ladite formation, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ce décret précise notamment le délai maximum dans lequel les résultats de l'évaluation doivent être communiqués, le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées, le nombre d'heures minimum que cette dernière doit compter, les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé ainsi que les modalités selon lesquelles une commission désignée par le ministre chargé de l'immigration conçoit le contenu de l'évaluation portant sur la connaissance des valeurs de la République. »
M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 79 est présenté par Mme Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 125 est présenté par Mme M. André, MM. Mermaz, Collombat, Badinter, Dreyfus-Schmidt, Frimat, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery, M. Assouline, Mme Cerisier-ben Guiga et Khiari, M. S. Larcher, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 79.
Mme Éliane Assassi. L'article 1er du présent projet de loi prévoit de soumettre les personnes sollicitant un regroupement familial à une évaluation, afin de mieux cerner leur degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République.
En cas de besoin, une formation serait organisée dans le pays de résidence, au terme de laquelle une nouvelle évaluation serait effectuée. Le suivi de cette formation conditionnerait la délivrance d'un visa.
Comment le Gouvernement justifie-t-il cette nouvelle exigence ? Par le souci d'éviter le communautarisme et de permettre aux intéressés de préparer leur intégration républicaine dans la société française.
Or le chemin que doivent parcourir les étrangers demandant un regroupement familial est déjà très long. Cumulée avec des conditions de ressources revues à la hausse, l'instauration d'un contrat d'accueil et d'intégration pour les familles et la mise en place de tests ADN, si ceux-ci sont approuvés par le Parlement, cette nouvelle exigence restreint de fait l'accès au territoire français pour les candidats au regroupement familial. Elle ajoute donc une étape, une condition et des intervenants supplémentaires dans une procédure qui me semble déjà un peu trop longue.
Alors que les administrations chargées de cette procédure se trouvent déjà dans l'incapacité de traiter les dossiers dans des délais raisonnables, l'organisation des sessions de formation prendra encore du temps, et les familles resteront séparées plus longtemps. Il s'agit là d'une atteinte au droit de vivre en famille, qui constitue pourtant une règle inaliénable, protégée par des textes ratifiés par la France, comme la Convention européenne des droits de l'homme et la Convention internationale de 1989 relative aux droits de l'enfant.
C'est tout de même un comble d'autoriser un étranger à venir chez nous pour travailler tout en lui interdisant de faire venir éventuellement sa femme et ses enfants ! Quel pays ose faire une chose pareille ?
Monsieur le ministre, est-ce ainsi que vous concevez l'intégration républicaine ? En restreignant de cette façon le droit au regroupement familial, ne craignez-vous pas, au contraire, de contribuer à développer un sentiment de haine - j'ose le dire - envers notre pays ?
Selon vous, durcir de la sorte l'accès au droit de vivre en famille pour un être humain en situation régulière générera-t-il un sentiment d'adhésion au pays prétendument d'accueil, ou plutôt un sentiment de rejet ?
Cette mesure pose bien d'autres questions encore, notamment celles-ci : où, quand, comment et par qui s'effectuera l'évaluation du degré de connaissance et, en cas de nécessité, la formation ? Qui prendra en charge cette dernière ? Ne pensez-vous pas que cette disposition risque de créer une discrimination entre les étrangers francophones et non francophones ?
Vous voulez ainsi demander à des étrangers de connaître nos valeurs républicaines alors même que votre politique tourne le dos aux principes les plus sacrés, les mieux ancrés dans notre République : la liberté, l'égalité, la fraternité, la solidarité, la coopération et le respect du vivre ensemble !
Voilà autant de questions auxquelles votre texte n'apporte aucune réponse.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour présenter l'amendement n° 125.
Mme Michèle André. En préambule, je rappellerai notre attachement au droit de mener une vie familiale normale.
L'article 1er du projet de loi prévoit l'organisation d'une formation, dont on peut craindre qu'elle ne fasse double emploi avec l'obligation imposée aux bénéficiaires du regroupement familial dans le cadre du CAI, le contrat d'accueil et d'intégration, quand ceux-ci seront présents sur le territoire national.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le réalisme dont nous devons faire preuve : c'est l'ANAEM, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, qui devra mener ces travaux. Or, lors d'une audition, les représentants de cette agence nous ont indiqué que 71 % des personnes concernées maîtrisaient la langue française et n'avaient donc pas besoin d'une formation.
Par ailleurs, si certains pays sont capables d'organiser cette formation, en lien avec l'ANAEM, qu'en sera-t-il dans les États où ce n'est pas le cas ? Qu'adviendra-t-il des personnes qui demeurent loin du consulat ? Quid des frais de déplacement ? Nous savons tous, en effet, combien il peut être difficile de se déplacer dans certains pays. La durée de la formation ne conduira-t-elle pas à allonger encore les délais d'attente pour la délivrance des visas ?
Surtout, nous craignons que le dispositif ne soit contre-productif. Il est illusoire de penser, me semble-t-il, que les personnes concernées accepteront une séparation familiale pour ce motif. Où devront-elles suivre la formation ? Devront-elles grossir les rangs des sans-papiers ?
Enfin, le regroupement familial concerne beaucoup de femmes. Devront-elles supporter encore davantage les conséquences néfastes de ce régime ?
Cette nouvelle condition posée au regroupement familial constitue, selon nous, un coup porté gratuitement au droit à une vie familiale normale. Aussi, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. L'amendement n° 127, présenté par Mme M. André, MM. Mermaz, Collombat, Badinter, Dreyfus-Schmidt, Frimat, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery, M. Assouline, Mme Cerisier-ben Guiga et Khiari, M. S. Larcher, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, remplacer les mots :
âgé de plus de seize ans
par le mot :
majeur
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Nous avons déjà précisé ce que nous pensions de l'article 1er, que nous contestons formellement pour des raisons politiques et morales.
Toutefois, comme il faut toujours essayer d'éviter le pire aux uns et aux autres, nous avons déposé un amendement de repli. Il va de soi que la suppression de l'article 1er aurait été préférable.
S'agissant du regroupement familial, le projet de loi que nous examinons soumet certains de ses bénéficiaires - c'est le terme officiel ; pour ma part, je parlerais plutôt de victimes ! -, à savoir les enfants âgés de plus de seize ans, à une nouvelle condition relative à la connaissance de la langue française et des valeurs de la République avant leur départ.
Nous le savons, la loi du 24 juillet 2006 a mis en place pour ces mêmes personnes, lors de leur arrivée en France, la conclusion d'un contrat d'accueil et d'intégration, par lequel elles s'obligent à suivre une formation civique et, lorsque le besoin en est établi, linguistique, limitée à l'apprentissage du français oral.
Dès lors qu'a été récemment instauré un dispositif d'intégration des primo-arrivants, il nous semble inutile d'ajouter une nouvelle mesure du même type, avant même l'entrée en France de ceux qui pourront bénéficier du regroupement familial.
La motivation de cette réforme repose non pas sur un semblant d'expertise, me semble-t-il, mais uniquement sur l'idée, le préjugé selon lequel l'étranger réussirait « mieux » son parcours d'intégration s'il y était préparé avant sa venue en dans notre pays.
En ce qui concerne les mineurs, puisque ce sont eux qui sont visés par cet amendement, si ceux qui sont âgés de moins de seize ans sont exemptés du stage linguistique, les autres sont soumis à un test tendant à vérifier leur maîtrise de la langue française et leur connaissance des valeurs de la République, formule qu'il faudra tout de même préciser.
Comment explique-t-on, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, pour les enfants français, aucune méthode d'apprentissage d'une langue n'a jamais été déclarée plus efficace que l'immersion dans un pays qui la pratique, alors que, dès lors qu'il s'agit d'enfants originaires du sud de la planète, cette même méthode n'est pas bonne ?
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Louis Mermaz. Par ailleurs, examinons la situation d'un point de vue pratique en prenant l'exemple d'une famille originaire du Burkina Faso dont le père et la mère résident en France et demandent le regroupement familial pour deux enfants, dont l'un a moins de seize ans et l'autre plus de seize ans. Le plus âgé devra faire un long trajet pour suivre le stage dans la capitale de cet État africain. Comment s'y rendra-t-il ? Où ira-t-il ? Où séjournera-t-il ? Où sera-t-il reçu ? Qui prendra en charge les frais d'hébergement et de transport ? Vous ne pourrez certainement pas nous apporter les réponses à ces questions, monsieur le ministre : c'est le Conseil d'État qui devra vous les souffler !
Ce qui est proposé nous semble déraisonnable - je suis sûr que M. Jean-Pierre Raffarin partage mon point de vue -, inapplicable, dangereux pour ces mineurs. J'espère que lui et ses collègues voteront cet amendement de soulagement.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 48 est présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 80 est présenté par Mme Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, remplacer le mot :
seize
par le mot :
dix-huit
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 48.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce projet de loi prévoit de limiter l'entrée sur le territoire français des mineurs, qui sont considérés par la Cour européenne des droits de l'homme comme des personnes vulnérables devant faire l'objet d'un traitement particulier.
Or ce texte, au lieu de faciliter le regroupement familial du mineur, lui impose des sujétions plus importantes et ne prend pas en compte sa minorité, puisqu'il distingue ceux qui ont plus de seize ans des autres.
À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous nous avez donné des exemples européens, notamment pour justifier le recours au test ADN. Je souhaite faire de même pour vous rappeler que, en matière de regroupement familial des mineurs, l'État a l'obligation positive de « faciliter la réunification familiale », selon l'expression de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, dans les différents arrêts que la Cour a rendus contre la Norvège, la Suède ou la Finlande, celle-ci rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale.
Or la méthode instaurée par ce projet de loi ne respecte pas la Convention relative aux droits de l'enfant. En effet, l'article 10 précise que « toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence ». En outre, le premier alinéa de l'article 3 souligne que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
Dans une décision de principe, le Conseil d'État a affirmé que l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui protège « l'intérêt supérieur de l'enfant », est d'effet direct et qu'il peut être utilement invoqué devant le juge. L'article 1er lui étant contraire, nous en demandons le rejet.
Monsieur le ministre, dois-je vous rappeler qu'un enfant âgé de seize ans est un mineur ?
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 80.
Mme Éliane Assassi. Il s'agit d'un amendement de repli dont l'objet est de préciser que l'évaluation du niveau de connaissance de la langue française et des valeurs de la République et le suivi éventuel d'une formation ne doivent pas être appliqués à des mineurs.
Pour les mineurs, les difficultés pratiques pour suivre une formation - qu'il s'agisse de la distance ou du coût - sont plus fortes. Or ne pas participer à cette formation dans le pays d'origine peut entraîner le refus de délivrance du visa.
Il est donc indispensable, à notre sens, sinon de supprimer purement et simplement l'article 1er, du moins de prévoir des dérogations à cette obligation de connaissance de la langue française et des valeurs de la République.
Un apprentissage dans le pays d'origine ne semble pas avoir d'utilité pour les mineurs, car, à cet âge, l'apprentissage de la langue se fait plus facilement dans le cadre des relations sociales nouées dans le pays d'accueil. N'apprend-on pas mieux une langue étrangère en situation d'immersion ?
En France, n'incite-t-on pas les élèves qui veulent apprendre une langue étrangère à effectuer des stages ou des séjours linguistiques à l'étranger ? N'est-ce pas ainsi que l'on appréhende le mieux la langue d'un pays étranger ou que l'on apprend à mieux connaître les traditions et le mode de vie de ses habitants ?
Pourquoi ce qui est bon pour les jeunes Français ne le serait-il pas pour les jeunes étrangers qui veulent venir chez nous dans le but de rejoindre un parent ?
En outre, prévoir une telle obligation pour les mineurs âgés de plus de seize ans aura, en termes de délais, des conséquences susceptibles d'hypothéquer largement leur venue en France au titre du regroupement familial. En effet, compte tenu des délais déjà très longs en la matière, je crains fort que, pour une demande de regroupement familial émise par un mineur âgé de plus de seize ans, la réponse de l'administration n'arrive trop tard, c'est-à-dire une fois que celui-ci aura atteint l'âge de la majorité. Et ce, monsieur le ministre, en raison des obstacles prévus par votre texte !
Toutes ces raisons militent en faveur de cet amendement de repli, qui vise à concerner seulement les majeurs, ce qui permettrait d'atténuer un tant soit peu l'obligation, inscrite dans ce projet de loi, de connaître la langue française et les valeurs de la République.
M. le président. L'amendement n° 47, présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, remplacer le mot :
organise
par les mots :
, ou les services déconcentrés de celles-ci, organisent
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce projet de loi prévoit d'instituer un système de délivrance d'autorisation de regroupement familial discriminant. Seuls les ressortissants étrangers jouissant d'un certain niveau de vie, ayant suivi des études dans des écoles dispensant des cours de français ou ayant des parents parlant le français seront éligibles au regroupement familial. Les autres se le verront refuser parce qu'ils n'auront pas eu cette chance.
Fatalement, certaines personnes ne pourront pas suivre la formation qui leur sera imposée, car celle-ci risque d'être éloignée de leur domicile et ils n'auront pas les moyens de s'y rendre. Ils ne pourront donc pas obtenir l'attestation de suivi de la formation et auront été exclus du dispositif en raison de leurs ressources financières, qui ne leur auront pas permis de bénéficier de cette formation. Une fois de plus, on exclut les pauvres !
Des garanties doivent exister, notamment afin de mettre en place cette formation sur des sites décentralisés. Les autorités consulaires ont une compétence géographique qui peut être très large et vaste : un seul guichet nuirait à l'efficacité de la mesure qui est instaurée et exclurait trop d'individus.
C'est la raison pour laquelle cet amendement vise à prévoir une organisation décentralisée prenant en compte les réalités géographiques des pays dans lesquels ces formations seront organisées.
M. le président. L'amendement n° 46, présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le mot :
organise
insérer les mots :
dans les plus brefs délais
Cet amendement a déjà été défendu.
L'amendement n° 1, présenté par M. Buffet au nom de la commission est ainsi libellé :
Remplacer les deux dernières phrases du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par trois phrases ainsi rédigées :
La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation. Cette attestation est délivrée immédiatement à l'issue de la formation. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de ces dispositions, notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées à compter du dépôt du dossier complet de la demande de regroupement familial, le nombre d'heures minimum que la formation doit compter ainsi que les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement a un triple objet.
D'abord, les députés ont souhaité créer une commission chargée de mettre au point le test de connaissance des valeurs de la République. Certes, on peut comprendre la nécessité de cette instance, mais la commission des lois n'est pas très favorable à la création de tels organismes et estime que cela relève du pouvoir réglementaire. C'est la raison pour laquelle cet amendement tend à supprimer cette disposition.
Deuxièmement, concernant le respect du délai global d'examen des demandes de regroupement familial, je suggère de préciser que l'autorité administrative compétente convoque l'étranger en vue de passer le test dès qu'elle est informée du dépôt d'une demande de regroupement familial. Il s'agit ainsi d'éviter de perdre du temps.
Troisièmement enfin, l'amendement tend à supprimer la précision de l'Assemblée nationale selon laquelle le décret d'application fixe le délai maximal dans lequel les résultats de l'évaluation doivent être communiqués. Malgré le bien-fondé de cette intention, une telle disposition peut en effet entraîner une difficulté supplémentaire, car cela laisse entendre qu'entre le moment où le test est effectué et celui où les résultats sont communiqués un délai peut s'écouler. Or, étant donné la brièveté et la simplicité du test, les résultats doivent pouvoir être délivrés instantanément.
M. le président. Le sous-amendement n° 75, présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller est ainsi libellé :
Dans la dernière phrase du second alinéa de l'amendement n° 1, après le mot :
familial,
insérer les mots :
le contenu de la formation
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, j'aimerais savoir ce que signifie l'expression « connaissance des valeurs de la République ».
M. Michel Charasse. Rien, parce que les valeurs de la République, cela n'existe pas !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Liberté, égalité, fraternité, certes, mais cela vise-t-il autre chose ? Faut-il connaître un couplet de la Marseillaise ? La connaître par coeur ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Faut-il connaître les couleurs du drapeau français, pouvoir en expliquer l'origine, voire leur signification ? Il serait intéressant de proposer ce test à nos collègues ici présents, pour savoir s'ils le réussiraient ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Ah oui !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Avons-nous tous la même conception de ces valeurs ? Saurions-nous tous dire ce qui en fait partie ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Bien sûr !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Si la réponse est non, il faudrait définir ces valeurs et il serait alors souhaitable que l'étranger, dans le cadre du décret visé par cet article, sache de quoi nous parlons.
Si la réponse est oui, il sera encore plus aisé de définir ce corpus de valeurs dans le cadre de ce même décret.
L'Assemblée nationale a préconisé la création d'une commission. Je ne pense pas que cela soit nécessaire. Il suffit de définir le contenu de la formation, de manière que l'étranger sache à quoi il doit se préparer, avant de suivre la formation. Même s'il n'y a pas d'examen à la clé, il convient de préciser dans la loi qu'un décret fixera le contenu de la formation.
Monsieur le ministre, il serait intéressant de savoir ce que vous entendez par « valeurs de la République ». J'avoue m'être plusieurs fois posé cette question. Pourtant, je me sens pleinement républicaine !
M. le président. L'amendement n° 81, présenté par Mme Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen est ainsi libellé :
Dans la dernière phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le mot :
dispensé
insérer les mots :
en raison notamment de la distance géographique, de la situation politique du pays, de la situation économique et personnelle du demandeur
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je défendrai simultanément les amendements nos 81 et 82, car il s'agit d'amendements de repli.
L'amendement n° 81 vise à définir dans la loi les motifs légitimes qui entraînent une dispense de formation. L'article 1er prévoit en effet que les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut être dispensé de la formation seront fixés par décret en Conseil d'État.
Or il est regrettable que les parlementaires n'aient pas connaissance de ces motifs et n'aient pas à se prononcer à leur sujet. J'estime que nous devons nous assurer que les cas de dispense couvrent bien toutes les situations dans lesquelles le suivi de la formation ne peut être envisagé.
Voilà pourquoi cet amendement vise à préciser que la dispense de formation pourra être accordée « en raison notamment de la distance géographique, de la situation politique du pays, de la situation économique et personnelle du demandeur ». La délivrance du visa étant subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation, il est dès lors indispensable de prévoir expressément dans la loi les cas dans lesquels le candidat au regroupement familial en est dispensé.
L'amendement n° 82 tend à prévoir une espèce de sanction en cas de non-respect des délais prévus à cet article.
L'article 1er fixe en effet des délais maximum, non seulement celui dans lequel les résultats de l'évaluation doivent être communiqués mais également celui dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées.
Or, vous en conviendrez, fixer de tels délais ne garantit nullement qu'ils seront respectés.
À quoi sert-il, dès lors, de prévoir ces délais si c'est pour ne pas les respecter ? Dans la procédure de regroupement familial, par exemple, existe un délai légal de traitement de la demande fixé à six mois. Pourtant, dans certains départements, l'administration met au moins dix-huit mois pour instruire les dossiers. C'est précisément ce que je souhaite éviter en proposant le présent amendement.
Selon moi, des difficultés pratiques de mise en oeuvre de l'évaluation et de la formation vont voir le jour assez rapidement. Or il ne faudrait pas que ces difficultés de mise en route sanctionnent le demandeur en allongeant encore le délai d'attente dans son pays d'origine avant qu'il soit autorisé à rejoindre sa famille.
M. le président. L'amendement n° 82, présenté par Mme Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par une phrase ainsi rédigée :
En cas de non respect de ces délais, le demandeur est dispensé du suivi de la formation.
Cet amendement vient d'être défendu.
Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble de ces amendements, à l'exception de celui qu'elle a elle-même proposé ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L'article 1er crée une simple obligation de moyens à la charge des bénéficiaires du regroupement familial. L'amendement n° 1, présenté par la commission, tend à préciser que la formation peut débuter dès le dépôt du dossier en préfecture. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 79 et 125.
L'amendement n° 127 vise à exclure les mineurs de seize à dix-huit ans de l'obligation de formation préalable. Or le projet de loi impose une telle formation à ces mineurs car, comme chacun peut le comprendre, ces jeunes, en raison de leur âge, ne sont plus soumis à l'obligation scolaire et entrent déjà, par conséquent, dans le champ d'application du contrat d'accueil et d'intégration. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.
La commission est également défavorable aux amendements identiques nos 48 et 80.
L'amendement n° 47 a pour objet de permettre aux services déconcentrés de l'État d'organiser le test et la formation. Selon ses auteurs, il s'agit d'éviter que les formations ne soient déléguées à des prestataires extérieurs. On ne voit pas bien comment les services déconcentrés de l'État à l'étranger pourraient organiser ce type de formation, alors que l'on peut déjà s'appuyer sur un réseau existant pouvant remplir cette fonction. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.
L'amendement n° 46 tend à préciser que la formation est organisée dans les plus brefs délais. Il semble en grande partie satisfait par l'amendement n° 1 de la commission aux termes duquel un décret en Conseil d'État fixe le délai maximal dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées à compter du dépôt du dossier complet de la demande de regroupement familial. Madame Boumediene-Thiery, la commission vous demande de bien vouloir retirer l'amendement n° 46 ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Le sous-amendement n° 75 tend à prévoir que le décret précise le contenu de la formation. La commission émet un avis favorable, sous réserve d'une modification rédactionnelle, à savoir l'ajout d'une virgule après le mot « formation ».
M. le président. Madame Boumediene-Thiery, acceptez-vous de modifier ainsi votre sous-amendement ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Oui, monsieur le président.
M. le président. Il s'agit donc du sous-amendement n° 75 rectifié, présenté par Mme Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, et ainsi libellé :
Dans la dernière phrase du second alinéa de l'amendement n° 1, après le mot :
familial,
insérer les mots :
le contenu de la formation,
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Concernant l'amendement n° 81, la commission émet un avis défavorable. En effet, le projet de loi renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les motifs pour lesquels un étranger peut être dispensé de la formation et du test. Laissons au pouvoir réglementaire le soin de remplir cette mission.
Aux termes de l'amendement n° 82, enfin, l'étranger serait dispensé du suivi de la formation en cas de non-respect des délais dans lesquels l'évaluation et la formation devraient être proposées. Le dispositif prévoit déjà un délai maximal dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées. Il paraît donc inutile de prévoir en plus une sorte de dispense automatique en cas de dépassement. De surcroît, l'administration risque de prévoir des délais extrêmement longs, si bien que cette volonté sympathique pourrait se retourner contre les demandeurs. C'est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.