Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Les chiffres, on leur fait dire ce que l'on veut !
M. Brice Hortefeux, ministre. À celles et à ceux des orateurs de l'opposition qui ont cru, dirai-je en pesant mes mots, pouvoir verser dans l'excès - je pense notamment à Mme Assassi et à Mme Boumediene-Thiery, que j'ai écoutées avec toute l'attention et tout le respect que je dois à chacun des membres de la Haute Assemblée -, je voudrais simplement rappeler que nous sommes dans un État de droit, que les projets de loi sont soumis à l'avis du Conseil d'État et que cette assemblée, en exprimant un avis favorable sur le texte présenté par le Gouvernement, a reconnu qu'il était conforme à la Constitution et au droit à une vie familiale normale, dont je souligne qu'il est d'abord un principe constitutionnel, avant d'être un droit reconnu par les conventions internationales.
Mme Éliane Assassi. Ce n'est pas ce que disent certains de vos élus !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je tiens maintenant à répondre à ceux des orateurs qui, tels MM. Othily, Giraud et Ibrahim, ont à juste titre appelé mon attention sur la situation particulière de l'outre-mer.
Sachez, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est à vos côtés, aux côtés des élus de l'outre-mer et aux côtés des populations de ces départements et collectivités d'outre-mer qui subissent au quotidien la pression d'une immigration clandestine de proximité. Je me suis rendu en Guyane le mois dernier, je me rendrai dans les mois prochains à Mayotte, et je remercie M. Ibrahim d'avoir souligné les premiers effets positifs de la mise en oeuvre de la loi du 24 juillet 2006 en ce qui concerne la maîtrise des flux migratoires outre-mer.
Je voudrais également dire que le Gouvernement sera ouvert au dialogue sur les amendements adoptés par la commission des lois et auxquels plusieurs intervenants ont fait allusion, en exprimant l'espoir qu'ils puissent être adoptés. Qu'il s'agisse de la formation au français, de l'intégration des réfugiés, de la simplification du régime juridique de l'immigration économique ou encore des délais de recours, pour ne prendre que ces quelques exemples, nous pouvons, grâce à l'excellent travail fourni par la commission des lois, améliorer le texte adopté par l'Assemblée nationale.
Je ne reprendrai pas, à ce stade de nos échanges, un débat approfondi sur la question des tests ADN : nous en parlerons lors de l'examen de l'article 5 bis. Qu'il me soit toutefois permis de relever l'intervention de M. Fauchon, qui avait exprimé des réserves sur l'amendement présenté par M. Mariani, mais qui a tenu compte, avec rigueur, des garanties nouvelles qui ont été apportées. Je remercie M. Fauchon de sa grande honnêteté intellectuelle et je lui confirme que je me montrerai très ouvert à la proposition technique qu'il a formulée.
D'autres orateurs, sur le même sujet, semblent être moins bien informés. Je suis pour le moins surpris lorsque j'entends dire que le Gouvernement italien n'aurait pas mis en oeuvre de tests ADN : pour ceux qui, bien que de bonne foi, ne le sauraient pas, je signale que, depuis 2001, l'Italie a procédé à 1 692 tests ADN à l'égard de Chinois, 1 098 tests à l'égard de Nigérians, 585 tests concernant des Ghanéens, 540 tests relatifs à des Éthiopiens, 461 tests relatifs à des Bengalis ! (« Assez » sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Les Britanniques, eux, ont effectué l'année dernière près de 10 000 tests. En voici le détail : 2 935 au Pakistan, 1 558 en Éthiopie, 845 au Ghana, 662 en Ouganda. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Marc Todeschini. À titre expérimental !
M. Brice Hortefeux, ministre. Puisque vous semblez vouloir être davantage informés - et c'est tout à votre honneur ! -, je citerai la Belgique qui, elle, en a effectué 2 674 depuis 2003.
Je pourrais multiplier les exemples, mais je m'attacherai surtout à démontrer que le dispositif proposé par le président de la commission des lois présente toutes les garanties nécessaires à une mise en oeuvre des tests ADN raisonnable et pleinement respectueuse des principes de notre droit.
Je veux également insister sur la priorité que j'attache au codéveloppement.
Mme Éliane Assassi. À partir du moment où ce sont les autres qui payent...
M. Brice Hortefeux, ministre. L'ensemble des membres de la Haute Assemblée et le Gouvernement peuvent se retrouver sur cette priorité, à condition de ne pas caricaturer l'action de ce dernier.
Mme Éliane Assassi. Il n'y a pas d'action du Gouvernement !
M. Brice Hortefeux, ministre. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, comme Georges Othily l'a souligné, un ministre dispose d'un vrai programme budgétaire pour le codéveloppement. Je ne vais pas revenir sur ce point que j'ai déjà évoqué, je rappellerai simplement que la dotation de ce programme représente près de six fois le montant des crédits effectivement consommés à ce titre en 2006.
Je suis déterminé à multiplier le nombre des accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement entre la France et les pays d'origine de l'immigration, tant il est vrai - comme l'ont souligné tous les orateurs - que la concertation avec ces pays est la clé de la solution d'une partie de nos difficultés. L'immigration choisie peut être une immigration concertée, comme le montre l'accord signé en 2006 avec le Sénégal.
Monsieur Ibrahim, vous avez raison d'appeler de vos voeux la signature d'un accord analogue avec les Comores ; cela vaut également pour Haïti comme pour nombre de pays d'Afrique.
Je conclurai mon propos en relevant l'unité de vues qui existe dans l'hémicycle pour souhaiter une véritable politique européenne de l'immigration. Je partage cette conviction et je travaille en ce sens depuis quatre mois avec nos principaux partenaires.
Je voudrais souligner en particulier l'excellente coopération qui préside à nos relations avec le vice-président de la Commission européenne chargé de ces questions, Franco Frattini. Ensemble, nous préparons, comme c'est notre devoir, la présidence française de l'Union européenne, qui doit intervenir au deuxième semestre 2008. Nous voulons tout à la fois renforcer le contrôle des frontières extérieures de l'Union, harmoniser nos pratiques en matière d'asile et d'immigration de travail et approfondir le dialogue avec les pays d'origine en mettant l'accent sur le codéveloppement et l'aide au développement.
Dans tous ces domaines, notre priorité ira à des actions concrètes et opérationnelles, comme l'organisation de vols groupés pour la reconduite des clandestins dans leur pays d'origine. L'Europe ne doit pas nous compliquer la tâche, mais au contraire, par une mutualisation des moyens, nous permettre d'être plus efficaces.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale a été à l'évidence de qualité. Elle aura permis de préparer la discussion des amendements qui conduiront, j'en suis convaincu, de nombreux orateurs à prendre en compte les améliorations, les garanties nouvelles, les protections plus précises apportées par le président de la commission des lois et plusieurs sénateurs de la majorité.
Une fois de plus, l'intérêt général a guidé ces premiers débats de la Haute Assemblée. Je n'en suis pas surpris, mais je m'en réjouis, et je suis certain que cela retentira sur la suite de notre discussion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 35, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (n° 461).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne manque jamais de faire remarquer cette bizarrerie de notre règlement qui veut que les motions soient discutées après la clôture de la discussion générale après la réponse du ministre, contrairement à ce qui a cours à l'Assemblée nationale. Sur ce point, il faudrait songer à revoir le règlement.
Aujourd'hui, profitant de cette bizarrerie, je me permettrai de vous dire, monsieur le ministre, que, lorsque vous évoquez l'échec de l'intégration,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... vous niez les conclusions d'un certain nombre de rapports très sérieux que je pourrais vous faire parvenir. Ils relèvent que l'intégration des immigrés récents n'est justement pas si médiocre si l'on prend en compte des critères comme le taux de scolarisation ou le nombre de mariages mixtes.
En revanche, quel échec des politiques économiques, des politiques publiques, de la politique du logement - pénurie, ghettoïsation !.... (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
Monsieur le ministre, il faut prêter une grande attention aux propos qui sont tenus en matière d'intégration. Toutes les vagues d'immigration, depuis le XIXe siècle, ont toujours provoqué des réactions dans la population. Mais, selon l'attitude qu'adopte la République envers les immigrés et selon les politiques publiques conduites, l'intégration se fait plus ou moins bien. Dans notre pays, les immigrés s'intègrent : ils ne restent pas isolés, ghettoïsés ou communautarisés. Au demeurant, l'intégration est un phénomène qui doit s'étudier sur plusieurs générations.
En 2006, vous avez fait adopter une loi sur l'immigration ; un an après, en voici une autre. Je voudrais d'ailleurs faire observer à mes collègues que leurs demandes répétées d'études d'impact des projets proposés et d'évaluation des textes votés ne sont manifestement pas entendues.
En 2006 et en 2007, pendant la campagne électorale, l'ex-candidat ministre de l'intérieur, aujourd'hui Président de la République, a répété à l'envi qu'il était pour une restriction du regroupement familial « afin que vivre en France soit un projet fondé sur le travail, pas sur le bénéfice des prestations sociales ».
M. Paul Girod. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez oublié, monsieur le ministre, de nous donner publiquement ce que je vous avais demandé en commission, c'est-à-dire des chiffres. Heureusement, nous pouvons les trouver dans le rapport de la commission, mais il aurait été plus honnête de les tenir à la disposition de tous.
Ainsi, on sait que le regroupement familial stricto sensu concerne, depuis 2000, environ 20 000 à 25 000 personnes, 18 000 en 2006, dont 6 000 à 8 000 enfants. Ce chiffre est donc relativement modeste si on le rapporte à une population de près de 65 millions d'habitants.
Les réformes présentées depuis 2003 en matière d'immigration et d'asile sont de plus en plus restrictives au regard de l'immigration légale et du droit d'asile. D'ailleurs, contrairement aux affirmations de M. le ministre, ces deux problématiques ont toujours été liées dans les projets votés par la majorité.
Sous couvert de mettre fin à l'immigration clandestine, ces lois n'ont bien sûr que contribué à la favoriser. Nous sommes donc en plein délire : nous évoquons l'immigration clandestine dans le but de réduire le chiffre de l'immigration légale !
Le reste de l'immigration familiale, qui a effectivement augmenté - le chiffre maximum était de 59 000 personnes en 2003 -, concerne les mariages mixtes. Votre inflation législative repose sur l'idée, distillée à l'envi, que des hordes étrangères sont aux portes de notre pays. Vous manipulez ainsi l'opinion ! Mais, à l'heure de la mondialisation, des échanges, des voyages, pensez-vous vraiment réussir à empêcher les mariages mixtes ? Franchement, cela me paraît douteux !
Vu les chiffres que je viens de citer, vous ne faites aujourd'hui qu'en rajouter sans autre raison qu'un simple effet d'affichage. Mais, ce faisant, vous portez de plus en plus atteinte aux droits fondamentaux de la personne reconnus - ne vous en déplaise ! - par la Constitution, par nos principes à valeur constitutionnelle, par le droit international - Déclaration universelle des droits de l'homme, Convention des droits de l'enfant et Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vous étiez parvenus jusqu'ici à écarter la question dans les précédentes lois, mais la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme le 26 avril dernier, dans l'arrêt Gebremedhin, vous a obligés à changer quelque peu votre point de vue sur le droit au recours suspensif. Vous le voyez, il faut toujours se méfier ! En affirmant être dans son bon droit, on ne l'est quelquefois plus !
Avant d'aborder le problème soulevé par les dispositions du texte en matière d'asile, je voudrais tout d'abord évoquer celles qui sont relatives à l'immigration.
Plusieurs articles du chapitre 1er, relatif à l'immigration pour des motifs de vie privée et familiale, portent malheureusement atteinte à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, reconnu tant par les principes à valeur constitutionnelle qui nous régissent que par la Convention européenne des droits de l'homme et les conventions internationales.
Le regroupement familial, pourtant déjà fortement encadré par la loi du 24 juillet 2006, fait l'objet, un an plus tard, de nouvelles restrictions.
L'article 1er prévoit que l'étranger voulant rejoindre son conjoint en France ainsi que les enfants de seize à dix-huit ans devront connaître la langue française et les valeurs de la République. Une évaluation devra donc être organisée dans leur pays d'origine ; elle conditionnera leur possibilité de rejoindre leur famille.
Ce dispositif est contestable : il paraît exorbitant des conditions normalement requises pour se marier ou pour mener une vie de famille. Je suis certaine que vous connaissez tous des couples dont l'un des conjoints ne maîtrise pas parfaitement la langue française. Je doute d'ailleurs qu'une telle obligation soit exigée dans d'autres pays. Toute autre est l'obligation d'apprendre la langue une fois dans le pays d'accueil !
Tout cela est en pleine contradiction avec le contrat d'accueil et d'intégration que l'étranger devra obligatoirement signé et qui a précisément pour objectif de lui assurer une formation linguistique et civique. Alors, décidez-vous ! S'il faut connaître la langue et les valeurs de notre pays avant d'y être admis, qu'en est-il du contrat d'intégration que vous avez voté, mes chers collègues ?
De toute façon, cette exigence implique que les étrangers auront la possibilité de suivre une telle formation dans tous les pays et qu'ils auront les moyens de le faire. Tout cela a déjà été amplement souligné, je m'en tiendrai donc au droit.
En fait, les délais de formation prévus - deux mois, auxquels s'ajoutent les mois d'attente de la réponse - rallongeront encore un peu plus la procédure de regroupement familial. Je rappelle que le délai d'attente nécessaire pour demander à bénéficier du regroupement familial a été porté d'un an à dix-huit mois. Combien d'années les étrangers devront-ils attendre avant de pouvoir rejoindre leur conjoint en France ?
Ces contraintes semblent totalement disproportionnées, d'autant qu'une lourde sanction est prévue : le fait de ne pas suivre la formation, que ce soit pour des raisons de coût ou d'éloignement, pourra motiver un refus de visa.
Par ailleurs, dans le but de renforcer un peu plus les restrictions au regroupement familial, l'article 2 augmente le plancher de ressources exigé. Cet article durcit une condition déjà existante puisqu'il module ce plafond en fonction de la taille de la famille. Non seulement l'article 2 instaure une mesure discriminatoire, mais, de surcroît, il ajoute un obstacle supplémentaire dans la procédure de regroupement familial.
Enfin, l'article 4, relatif aux conjoints de Français, durcit, lui aussi, les conditions d'obtention d'un visa de long séjour. Un conjoint de Français sera désormais soumis à une évaluation de ses connaissances de la langue française et des valeurs de la République. Il sera lui aussi soumis à la condition de formation si des insuffisances linguistiques et civiques sont constatées à cette occasion. Gare aux étudiants français qui, en balade à l'étranger - votre gouvernement aimerait pourtant les y voir plus nombreux -, s'aviseraient d'aimer quelqu'un et de vouloir l'épouser ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Le conjoint de Français est ici doublement pénalisé : d'une part, il doit retourner dans son pays d'origine pour obtenir un visa - nous dénoncions déjà cette situation l'année dernière - d'autre part, sa séparation sera allongée du fait de cette formation.
Nous prenons acte de la volonté exprimée par la commission des lois de supprimer l'exigence d'évaluation et de formation linguistique et civique imposée aux conjoints de Français. Nous espérons, bien entendu, que cette suppression sera entérinée par la Haute Assemblée.
Par leur accumulation, les conditions à remplir, tant pour bénéficier d'un regroupement familial que pour vivre en France avec son conjoint français, sont totalement disproportionnées. Elles portent une atteinte manifeste au droit de chacun de mener une vie familiale normale et de se marier avec qui bon lui semble !
Dès 1978, le Conseil d'État reconnaissait, dans son arrêt GISTI du 8 décembre, le droit, pour les étrangers comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale comme un principe général du droit. Il précisait que « ce droit comporte, en particulier, la faculté, pour ces étrangers, de faire venir auprès d'eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ».
Le Conseil constitutionnel ensuite, dans sa décision du 13 août 1993, a considéré que, si le législateur pouvait prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartenait de respecter les libertés et les droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
Dans sa décision du 22 avril 1997, il a rappelé que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».
Les seules restrictions que peut apporter le législateur à ce droit doivent concerner la protection de l'ordre public et de la santé publique, conformément à la décision de 1993. Encore faut-il que ces restrictions soient proportionnées à l'atteinte au droit de vivre en famille !
En outre, comme le rappelle M. Buffet dans son rapport, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 décembre 2005 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, considère que la procédure de regroupement familial a notamment pour but de vérifier la capacité du demandeur à « offrir des conditions de vie et de logement décentes, qui sont celles qui prévalent en France, pays d'accueil ».
M. le rapporteur en conclut, et je partage son avis, que, « si l'on peut donc imposer des conditions, le législateur ne peut toutefois exiger des étrangers des conditions de vie et de logement qui excéderaient celles admises comme décentes pour des Français ».
Le SMIC est une obligation légale, mais rien, hélas ! n'oblige l'État à garantir un revenu égal au SMIC ni d'ailleurs à satisfaire le droit au logement, alors que ce principe est pourtant désormais inscrit dans la loi, au grand regret, apparemment, de votre majorité !
Aucune condition de ressources et de logement n'est requise pour se marier et avoir des enfants lorsqu'on est français. La loi actuelle introduit donc une discrimination entre étrangers et Français sur le territoire de notre pays, ce qui est contraire à nos principes fondamentaux à valeur constitutionnelle.
Bref, les articles 1er, 2 et 4 du projet de loi, parce qu'ils portent une atteinte disproportionnée aux droits des bénéficiaires du regroupement familial et des conjoints de Français, ne peuvent qu'être déclarés non conformes à la Constitution.
Ce même raisonnement vaut pour l'indigne article 5 bis relatif aux tests ADN, sur lequel se sont cristallisés les débats. Apparemment, ce n'est pas fini !
En introduisant dans notre législation la possibilité de prouver une filiation par un test ADN, cet article ouvre la voie à une utilisation abusive de la génétique, ce que le Parlement a toujours refusé, notamment lors de l'élaboration des lois de 1994. Les tests génétiques à des fins autres que scientifiques et médicales sont interdits par l'article 16 du code civil, sauf dans les cas graves et sous contrôle judiciaire.
Tout a été dit sur la preuve de la filiation masculine, à laquelle s'opposent les autorités philosophiques, religieuses, morales et scientifiques, ainsi que l'Union africaine aujourd'hui. La commission des lois du Sénat y est également opposée.
Monsieur le ministre, vous vous obstinez...
M. le président. Veuillez conclure, madame Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais conclure bientôt.
M. le président. Non, maintenant, madame Borvo Cohen-Seat. Vous avez largement dépassé le temps qui vous était imparti !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je termine sur ce point.
Les sénateurs sont en train de chercher des subterfuges pour vous satisfaire, monsieur le ministre, mais je crains que l'amendement tendant à réserver le test ADN aux femmes n'introduise un autre motif d'inconstitutionnalité. Un tel dispositif serait en effet discriminatoire à l'égard des femmes. Autrement dit, il introduirait une inégalité entre les hommes et les femmes, ce dont la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes devrait se préoccuper. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, vous arguez du fait que des pays européens pratiquent des tests ADN. Or peu de pays l'ont inscrit dans la loi et les pratiquent, si ce n'est, il est vrai, la Grande-Bretagne.
M. le président. Vous avez déjà évoqué le texte de façon générale, madame Borvo Cohen-Seat, vous n'allez pas maintenant le reprendre point par point ! Veuillez conclure !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais vous avez oublié, monsieur le ministre, que, conformément à nos principes fondamentaux, notre pays n'autorise ni l'euthanasie, ni les mères porteuses, ni les dons d'ovocytes, contrairement à d'autres pays européens, qui permettent l'une ou l'autre de ces pratiques, parfois les trois. L'éthique dont nous nous prévalons serait-elle donc à géométrie variable ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - Protestations sur les travées de l'UMP.)
Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce projet de loi prévoit, pour les bénéficiaires du regroupement familial, une obligation de formation préalable afin qu'ils soient mieux intégrés. Il prévoit un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille. Il met en place un recours suspensif à la frontière pour les demandeurs d'asile. Il prévoit un livret d'épargne codéveloppement. Ces dispositions, me semble-t-il, ne posent pas de difficultés constitutionnelles. Elles me semblent même plutôt favorables à ceux qui vont en bénéficier, à savoir les étrangers.
Quant à la modulation des ressources, elle est encadrée, en particulier par l'amendement qu'a déposé la commission.
Je ne reviendrai pas sur les tests ADN, car nous en avons déjà longuement et suffisamment débattu tout à l'heure.
Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame la sénatrice, je ne reviendrai pas sur le fait que nombre des questions que vous avez évoquées ont été tranchées par le peuple français lui-même. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Cet élément doit, à mon avis, être pris en compte.
Par ailleurs, je n'accepte pas, je vous le dis très directement, que vous laissiez penser que nous faisons une confusion entre asile et immigration. Je l'ai dit une fois, deux fois, je le répéterai dix fois s'il le faut : la politique d'asile ne sera pas un levier de la politique d'immigration. Il s'agit de deux politiques totalement distinctes.
M. Robert Bret. Pourquoi les traiter en même temps alors ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Je n'oublie pas que la France reste le premier pays européen en matière d'accueil des demandeurs d'asile. Il ne faut donc pas crier au loup inutilement, car la réalité vient infirmer votre présentation.
J'ajoute que, naturellement, l'objectif du Gouvernement n'est pas d'empêcher nos compatriotes de se marier avec des étrangers, mais il faut prendre en compte l'évolution sociologique. Si elle est lourde d'évidences, elle ne doit pas nous condamner à la naïveté. Parmi les mariages mixtes, il y a aussi, vous le savez bien, des mariages de complaisance. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Que cela vous plaise ou non, c'est une réalité !
Par ailleurs, l'organisation d'un test de connaissance du français est nécessaire. Une formation dans le pays d'origine n'a pas d'autre but que de préparer en amont le parcours d'intégration de l'étranger sincèrement désireux de s'installer sur notre territoire. D'autres pays européens l'ont fait avant nous, d'autres le feront après nous. Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pas sans arrêt réclamer une harmonisation des politiques européennes et s'en tenir aux mots : il faut des actes !
M. Jean-Marc Todeschini. Vous êtes à court d'arguments !
M. Brice Hortefeux, ministre. Si l'on souhaite véritablement une construction européenne, des évolutions devront avoir lieu sur ce sujet.
Enfin, il faut cesser de brandir à tout moment la menace de la censure constitutionnelle. Je crois me souvenir que vous l'aviez déjà fait en 2006, avec un succès des plus limité, puisque, je le rappelle, le texte en question n'a fait l'objet d'aucune censure, contrairement à ce que vous aviez annoncé.
Notre dispositif de test est constitutionnel puisque nous n'exigeons qu'une attestation du suivi de la formation et non pas un certificat de réussite. L'exigence d'un tel certificat nous aurait effectivement exposés à un risque constitutionnel.
Tels sont les éléments qu'il me semblait utile de rappeler.
M. le président. La parole est à M. Charles Josselin, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. La vérité va enfin sortir !
M. Charles Josselin. Les arguments avancés par mes collègues Michèle André, Catherine Tasca, Pierre-Yves Collombat et Alima Boumediene-Thiery au cours de la discussion générale sont autant de bonnes raisons pour le groupe socialiste de voter en faveur de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité qui vient de nous être présentée.
J'insisterai, à l'occasion de cette explication de vote, sur le couplage artificiel, à mes yeux, entre politique migratoire et aide au développement. Ce couplage est artificiel, car les deux ne répondent pas à la même horloge. La pression migratoire est immédiate. L'émigration est pour beaucoup une question de survie. L'aide au développement ne produit ses effets, parfois, qu'au terme d'une période nécessairement longue.
Nous avons eu évidemment l'occasion de critiquer le discours de M. de Villiers prônant un taux zéro d'immigration en contrepartie d'une aide au développement du Bénin. Je ne sache pas que les Béninois aient cessé de demander à venir chez nous !
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai cru comprendre, dans votre démonstration, que vous tentiez de faire croire que l'aide au développement avait baissé exclusivement pendant la période où la gauche était aux affaires.
M. Guy Fischer. Il l'a dit !
M. Charles Josselin. Le Président Jacques Chirac avait déjà essayé de nous faire le coup à la veille de la conférence internationale sur le financement du développement de Monterrey. Il avait alors prétendu que les crédits d'aide au développement avaient commencé de baisser, comme par hasard, en 1997. Je lui ai alors fait reconnaître, au cours de la conférence de presse qui a suivi, que ces crédits avaient en effet baissé, mais à partir de 1995, qu'ils avaient continué de baisser jusqu'en 1999, que nous les avions stabilisés en 2000 et qu'ils avaient commencé de remonter en 2001 et 2002. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Mais si ! Regardez les chiffres ! Je les connais bien : j'ai été pendant cinq ans ministre de la coopération.
En fait, ces chiffres doivent pour une part à la montée en puissance des annulations de dette. Attention à ce qui se produira lorsque les annulations de dette diminueront ! Sans un apport d'argent frais compris entre 1,5 milliard d'euros et 2 milliards d'euros dans le prochain projet de loi de finances, c'est de cette somme que diminuera l'aide publique française au développement. D'ailleurs, nous connaissons l'utilisation géopolitique des annulations de dette. L'augmentation importante de l'aide publique au développement mondiale tient, pour l'essentiel, à l'annulation de la dette en Irak et en Afghanistan.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, les collectivités locales sont de plus en plus impliquées dans le développement, via la coopération décentralisée. L'État considère désormais cette forme d'aide comme une authentique coopération française, ce en quoi il a raison. Simplement, il sera peut-être plus problématique d'associer les collectivités locales à l'aide au développement si la politique française en la matière apparaît dominée par la seule préoccupation migratoire. Certes, nous aurons très prochainement l'occasion d'évoquer à nouveau ce point, mais je tenais d'ores et déjà à le mentionner.
Finalement, comme je l'expliquais à un journaliste qui m'interrogeait à l'instant, je n'ai rien compris : je pensais que le Front national avait perdu les dernières élections. (Protestations sur les travées de l'UMP. - Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 5 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 125 |
Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Mermaz, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, Frimat, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery, M. Assouline, Mmes Cerisier - ben Guiga et Khiari, M. S. Larcher, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 31, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (n° 461, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la motion.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant que ne s'engage l'examen des articles du projet de loi dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, les signataires de la présente motion estiment que ce texte recèle trop de dispositions contestables pour que nous puissions poursuivre nos débats.
Monsieur le ministre, à vous entendre, on croit rêver...
M. Robert Bret. C'est plutôt un cauchemar !
M. Louis Mermaz. Ce projet de loi aurait été conçu pour le bonheur des immigrés et des demandeurs d'asile !
Certes, la commission des lois du Sénat a voté l'annulation de certains articles ou dispositions qui nous inquiétaient gravement. Je pense à l'obligation pour l'étranger - ou l'étrangère - qui est marié et qui séjourne en France de retourner dans son pays d'origine pour suivre une formation linguistique et pour obtenir un visa de long séjour ; je pense à l'utilisation de tests génétiques, à laquelle le Gouvernement se cramponne, d'où les contorsions auxquelles il s'est vainement livré ce matin, devant la commission des lois, en vue d'entraîner sa majorité ; il n'a pas renoncé : le voici qui cible à présent les mères de famille ! La commission des lois a également adopté l'annulation du délai insuffisant consenti pour déposer un recours suspensif contre une décision de refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, mais aussi l'annulation de la réduction d'un mois à quinze jours pour déposer un recours devant la Commission des recours des réfugiés.
Si le débat devait se poursuivre, souhaitons que notre assemblée confirme les votes intervenus en commission des lois et que la commission mixte paritaire appelée à se réunir en tienne compte. Rien n'est acquis pour l'instant.
Au demeurant, même dépouillé de ses articles les plus dangereux - les réponses de M. le ministre à l'issue de la discussion générale nous confortent dans cette idée - le projet de loi comprend encore trop d'éléments nuisibles pour que nous puissions ainsi délibérer dans l'urgence.
Comme cela a été souligné, c'est le quatrième du genre et l'on nous en annonce un cinquième, qui serait destiné à instituer des quotas d'immigrés. Pourtant, il est grand temps de se calmer et de réfléchir à ce que devrait être une politique de l'immigration digne de ce nom !
Or, en dépit de quelques avancées de la commission des lois, avancées qui restent d'ailleurs à confirmer, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale nous amène à nous poser de nombreuses questions.
D'abord, qu'en est-il du respect des droits de l'homme ?
Pouvoir vivre en famille est un droit élémentaire. Or le projet de loi accumule les obstacles, en droit comme en fait, au regroupement familial ; c'est d'ailleurs sa raison d'être. Dès l'âge de seize ans, le ressortissant étranger, qu'il soit adolescent, mère ou, parfois, père de famille, « bénéficie » - quel euphémisme ! - d'un parcours kafkaïen pour tenter de rejoindre les siens en France. De la convocation par le consulat du pays de résidence jusqu'à l'attestation du suivi de la formation, quel parcours !
Mais comment cela se passera-t-il dans les faits ? Ce sont des décrets en Conseil d'État qui nous l'apprendront. Autant dire que vous nous demandez un blanc-seing, alors que nous connaissons l'embouteillage dont souffrent nos consulats, l'état d'esprit qui est parfois celui de certains agents, les distances que le candidat au regroupement familial devra souvent parcourir et les frais de séjour qu'il aura à acquitter pendant la durée du stage.
Le montant des ressources exigées, sans tenir compte d'ailleurs des allocations familiales, est parfaitement discriminatoire, donc contraire au droit des gens. Il constituera un empêchement supplémentaire au regroupement, au cas où la première série d'obstacles aurait, par miracle, été franchie.
Quant au conjoint de Français, il devra se soumettre, pardon, il « bénéficiera » dans son pays d'origine du même parcours semé d'embûches. Le Gouvernement a même songé à l'obliger à quitter la France s'il y habite déjà. Ainsi, si le vote de la commission des lois du Sénat contre une telle disposition n'était pas confirmé, serait créé un nouveau type de couple, le couple à distance.
Et ce n'est pas tout ! Ceux qui auront réussi à faire venir leurs enfants en France devront suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents avec au-dessus d'eux la menace d'une suspension des allocations familiales, ce qui n'est pas la meilleure façon de contribuer à leur intégration. Est-ce vraiment là respecter les droits de l'homme ?
Le projet de loi est-il conforme aux engagements internationaux de la France ?
Pour commencer, rappelons que le droit de vivre en famille est garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, à laquelle notre pays adhère.
En outre, la vérification des liens de filiation par ADN viole la Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée en 1990. Le Sénat s'honorerait en confirmant la position de sa commission des lois, et ce nonobstant les manoeuvres de dernière heure auxquelles nous sommes en train d'assister.
De plus, au mois d'avril dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné le refus d'un recours juridictionnel suspensif qui avait été opposé à la frontière à un demandeur d'asile. Elle a jugé qu'il y avait eu violation de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, faute de pouvoir se dérober à ce jugement, le Gouvernement a proposé que le recours intervienne dans un délai de vingt-quatre heures suivant la notification du refus d'asile, ce qui rendrait le dispositif matériellement inopérant dans la plupart des cas.
D'ailleurs, en ne vous rangeant pas à la décision de la commission des lois du Sénat, qui a porté le délai de vingt-quatre heures à quarante-huit heures - pour ma part, j'estime qu'un délai de deux jours ouvrés serait préférable -, vous prendriez le risque d'une nouvelle saisine de la Cour européenne des droits de l'homme.
D'une manière plus générale, qu'attend le Gouvernement pour engager la procédure d'adhésion de la France à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui a été adoptée voilà longtemps par l'ONU et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2003 ? Cette convention est aujourd'hui ratifiée par trente-sept États, dont l'Algérie, le Maroc ou le Sénégal.
Le projet prend-il en compte l'état du monde ?
Les conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Afrique et dans certaines zones d'Asie ou d'Amérique latine, ainsi que les persécutions qui s'ensuivent, devraient vous obliger à tenir le plus grand compte de la spécificité des demandes d'asile.
Pourtant, c'est le contraire qui se produit, puisque le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement verrait ses attributions s'étendre à l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, passerait ainsi sous sa tutelle, et ce au détriment du ministère des affaires étrangères, qui en avait pourtant la charge. Il en résulterait une grande confusion entre asile et immigration, ainsi que l'aggravation du traitement du droit d'asile, au respect duquel la France est pourtant tenue depuis 1951, date de son adhésion à la Convention de Genève.
Quant à l'immigration proprement dite, comment ne pas voir qu'elle a pour cause la situation faite aux pays du Sud par l'ordre mondial ?
Le présent projet de loi sert-il les intérêts de la société française ? En fait, il cherche à atteindre plusieurs objectifs.
D'abord, le projet de loi vise à entretenir les fantasmes d'une partie de l'opinion, en lui faisant croire à une prétendue invasion des immigrés, d'où la dénomination plus ou moins étrange du ministère concerné.
Ensuite, il tend à achever le recyclage des voix du Front national, largement engagé lors de la dernière campagne présidentielle, en stigmatisant les immigrés.
Il a également pour objet de détourner l'attention de l'opinion des difficultés économiques et sociales qui s'amoncellent à l'horizon et que la politique du Gouvernement aggrave.
Mais à quel prix ? En acceptant le risque de provoquer une nouvelle montée de la xénophobie et du racisme, en créant les conditions d'un développement de l'immigration clandestine, puisque l'immigration légale devient de plus en plus difficile, et en réduisant à la précarité des hommes et des femmes exclus des droits sociaux, notamment du droit à la santé, et auxquels la majorité présidentielle de l'Assemblée nationale voudrait à présent - honte suprême ! - refuser le droit d'accès à un hébergement d'urgence !
Saluons le travail des associations et des organisations non gouvernementales, les ONG, qui sont l'honneur de notre pays et qui apportent, jusque dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative, aide et soutien à des femmes et des hommes en détresse !
Depuis que ce gouvernement est en place, la traque des clandestins tend à devenir la règle. Plusieurs préfets ne sont pas fiers du travail que vous leur demandez : « faire du chiffre », en prenant de moins en moins en compte les drames humains qui en résultent.
De nombreux magistrats font part de leur émotion. Un malaise commence aussi à poindre chez les policiers, qui pensent qu'il serait urgent de se consacrer aux vraies tâches.
Ainsi le recours à une répression dure et cruelle comme seule réponse aux problèmes de l'immigration est-il en train d'accroître les tensions dans notre société, même si, hélas ! vous avez l'assentiment d'une partie de l'opinion.
Plutôt que de se plier à de telles pulsions, le rôle d'un gouvernement devrait être d'abord d'expliquer, de faire comprendre, d'oser s'opposer et de proposer une politique.
Enfin, ce projet est-il bon pour notre réputation à travers le monde ?
L'amendement voté par les députés de la majorité présidentielle sur les tests génétiques, contraire à l'éthique et au droit - amendement dont nous sommes encore loin d'être débarrassés à ce stade de nos travaux - a produit un sale effet dans les pays du Sud. Une délégation du Sénat reçue récemment par les autorités algériennes a pu mesurer les dégâts causés par cette proposition extrémiste.
D'autre part, les difficultés de toutes sortes rencontrées par les étudiants et les chercheurs, quoi qu'on nous dise, pour venir en France les détournent de plus en plus de notre pays et ils vont maintenant aux États-Unis, au Canada, où le Québec défend, lui, vaillamment la francophonie.
Avant de passer à la discussion des articles d'un texte bâclé et soumis à la procédure d'urgence, ne faudrait-il pas au préalable, mes chers collègues, s'interroger sur ce que devrait être notre politique d'immigration compte tenu de notre histoire et de ce qui a souvent - pas toujours, hélas ! - constitué notre tradition ?
Le ministère dit de l'immigration, etc. a compétence en matière de codéveloppement. Il serait utile de prendre la mesure des projets réellement engagés et de ceux pour lesquels des moyens seront inscrits au prochain budget, en vue de leur réalisation au cours de l'exercice 2008. Vous nous avez parlé de 60 millions d'euros d'autorisations de programme et de 29 millions d'euros de crédits de paiement ; c'est vraiment peu par rapport aux ressources que les salariés immigrés envoient dans leur pays et qui permettent à ces pays de survivre à des situations particulièrement difficiles. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Il serait d'ores et déjà nécessaire de connaître aussi le montant et la nature de l'aide réellement fournie par la France au développement, car la plus grande opacité règne en ce domaine.
En conclusion, La France, comme les autres pays d'Europe, n'a pas intérêt à se replier, à s'enfermer. Une autre politique des visas permettrait, par exemple, d'agir avec plus de souplesse et d'humanité en assurant des allers-retours aux ressortissants des pays du Sud, mais il faudrait pour cela que nos consulats reçoivent les instructions et les moyens en personnel nécessaires.
Comment ne pas évoquer le fait que la France a besoin des travailleurs immigrés et qu'elle ne saurait s'en priver ? Comment ne pas tenir compte de la contribution qu'ils apportent à notre vie économique, culturelle, aux échanges de tous ordres auxquels ils participent, du surcroît de ressources qu'ils nous procurent, tout en prenant leur part du combat contre la pauvreté dans leur propre pays ? Alors, pourquoi leur refuser le droit de vivre en famille?
Enfin, il serait indigne de faire comme si nous n'avions pas eu avec d'autres parties du monde une histoire commune, comme si des liens ne s'étaient pas tissés, dont nous sommes les héritiers. À un siècle de distance, les problèmes de l'ancien empire sont aujourd'hui présents dans l'Hexagone. Les mêmes comportements qui ont fait échouer la décolonisation et ruiné alors les chances de l'Union française se retrouvent dans les pratiques du gouvernement actuel. C'est pourquoi nous nous y opposons fermement. (Mmes Bariza Khiari et Monique Cerisier-ben Guiga ainsi que M. Gérard Delfau applaudissent.)
Autant de raisons qui, par-delà la diversité de nos opinions politiques, devraient, mes chers collègues, imposer un temps d'arrêt à l'avalanche de textes de circonstance et nous amener à réfléchir, nous aussi, à nos droits et à nos devoirs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)