M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous faire part de mon émotion. Si j'ai eu l'occasion de prendre la parole devant vous lors de l'examen de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, je suis fier de m'exprimer pour la première fois à cette tribune.
Je souhaite d'emblée saluer le remarquable travail effectué en particulier par la commission des lois, notamment son rapporteur.
Je remercie M. le rapporteur d'avoir très clairement et de manière exhaustive posé les enjeux de notre débat d'aujourd'hui. Je voudrais également saluer l'ensemble des interventions ; quelles que soient les travées, j'y vois l'amorce d'un consensus politique sur un sujet d'intérêt national.
Avant de répondre aux différents points qui ont été évoqués, permettez-moi de souligner que l'impératif de lutte contre la contrefaçon constitue un élément essentiel de notre politique globale en matière de promotion de l'innovation.
Je souhaite bien évidemment saluer aussi Gérard Longuet, qui porta la loi relative à la répression de la contrefaçon, dite loi « Longuet », instituant la procédure innovante de saisie-contrefaçon, qui fut ensuite reprise dans la directive.
Pourquoi ce texte est-il si important, au-delà de tous les aspects ponctuels et entrepreneuriaux qu'il comporte ? Ce qui fait la différence dans le contexte de la mondialisation, c'est l'innovation, c'est-à-dire la capacité de créer des produits, des services nouveaux qui permettront de conquérir de nouveaux marchés, dans des conditions de compétitivité améliorées ou maintenues.
Dans ce contexte, le rôle de la propriété intellectuelle, auquel vous avez tous fait allusion, devient primordial. La propriété intellectuelle permet de protéger et de valoriser les avantages compétitifs des entreprises innovantes. Elle favorise les partenariats technologiques. Elle représente également la plus grande partie des actifs immatériels des entreprises.
La protection de la propriété intellectuelle est bel et bien la clef de voûte de l'innovation. Elle constitue aujourd'hui un facteur essentiel du développement des entreprises, de la création de valeurs et d'emplois, à côté des autres facteurs que sont le travail, l'investissement et le capital. Or la contrefaçon ralentit l'innovation en privant les entreprises de la valorisation de leur créativité.
La contrefaçon constitue en effet une spoliation des titulaires de droits des fruits de leurs efforts pour développer de nouveaux produits ou services et, par voie de conséquence, un frein majeur à l'innovation, à la croissance et à l'emploi.
Dans une économie de la connaissance où l'innovation représente une source majeure de différenciation, toutes les atteintes portées aux titulaires de droits ne peuvent que réduire leurs capacités à mettre en oeuvre des plans de croissance et amputer leurs moyens d'investissement et de recrutement.
Pour les entreprises, ce phénomène entraîne une diminution du chiffre d'affaires, des parts de marchés et des bénéfices. Il est également synonyme de préjudice moral, ainsi que d'atteinte à l'image et à la réputation de l'entreprise victime.
Enfin, la contrefaçon engendre des coûts en matière de défense des droits et constitue une barrière à l'export.
Je voudrais appeler l'attention de la Haute Assemblée sur un rapport qui a été récemment publié par l'OCDE. Analysant la situation de la Chine, ce rapport montre que, malgré des dépenses très importantes en matière de recherche et de développement, qui la placent au cinquième rang mondial, cette puissance n'est pas innovante, car la défense des droits de la propriété intellectuelle n'y est pas assurée. En effet, comment un chercheur pourrait-il avoir le sentiment de goûter les fruits de son travail si ses droits ne sont pas respectés ? C'est un signal adressé à tous les pays dont l'économie est trop concentrée sur la copie : ils chassent progressivement l'innovation de leur marché.
Avec ce projet de loi qui améliore le cadre législatif de la lutte contre la contrefaçon, le Gouvernement assure aux entreprises la nécessaire sécurité juridique dans la défense de leur titre de propriété industrielle. Il assure également la confiance des entreprises dans la défense de leur innovation.
Ce projet de loi s'insère dans une politique beaucoup plus vaste conduite par les pouvoirs publics en matière d'innovation. À titre d'exemple, je rappelle l'effort sans précédent qui est réalisé en matière de crédit d'impôt recherche. Ce point sera d'ailleurs abordé dans quelques semaines, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2008.
La fusion d'OSEO et de l'Agence de l'innovation industrielle participe de la même logique de lisibilité et de renforcement de notre politique en faveur du financement des entreprises innovantes. Je pense également à l'assouplissement de la fiscalité des brevets, qui a été évoqué tout à l'heure par Christine Lagarde, ou encore à la ratification de l'accord de Londres, dont nous débattrons aussi dans quelques semaines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est le message que je souhaitais vous adresser aujourd'hui en avant-propos. Tout autant que de la lutte contre la contrefaçon, c'est de la promotion de l'innovation, donc de la croissance, que traite ce projet de loi. Car lutter contre la contrefaçon, c'est favoriser l'effort de recherche et d'innovation de notre pays.
J'en viens maintenant aux éléments que vous avez abordés lors de vos interventions.
Monsieur le rapporteur, vous avez en particulier évoqué une spécialisation accrue des juridictions en charge de la propriété intellectuelle. Nous reviendrons, bien sûr, sur ce point lors de l'examen des articles, mais je voudrais dire d'emblée que cette spécialisation me paraît de nature à permettre un règlement plus rapide et plus efficace des litiges au bénéfice des opérateurs. Nous y sommes donc favorables.
Vous avez également défendu l'idée de la création d'une circonstance aggravante au délit de contrefaçon lorsque les produits contrefaisants présentent un risque pour la santé ou la sécurité de l'homme ou de l'animal. Cette proposition permet de souligner que les produits contrefaisants de mauvaise qualité, voire défectueux, peuvent présenter de réels dangers. Votre proposition est opportune, car elle durcit les peines en cas d'atteinte à la santé. Bien évidemment, le principe essentiel selon lequel toute contrefaçon, quel que soit son objet, quel que soit le secteur d'activité concerné, est intrinsèquement néfaste et doit être combattue, doit être maintenu ; nous y reviendrons dans quelques instants.
Vous avez également évoqué la question de l'imputation des frais d'exécution forcée entre créditeurs et débiteurs. Nous reviendrons également sur ce point, mais je vous proposerai de satisfaire votre demande par la voie réglementaire.
Enfin, vous avez appelé notre attention sur la nécessité de prendre rapidement les textes d'application de ce projet de loi. J'y veillerai, mais, vous le savez, nombre de ces décrets concernent aussi le ministère de la justice. Nous aurons donc à travailler de concert.
Monsieur Cambon, au-delà des compliments que vous m'avez adressés et auxquels je suis toujours sensible (sourires), vous avez eu raison d'évoquer la question de la coopération internationale.
Comme l'a indiqué Christine Lagarde, l'action internationale du Gouvernement en matière de contrefaçon se décline au travers d'actions bilatérales concrètes. Ainsi, la France réunit régulièrement des comités bilatéraux de lutte contre la contrefaçon avec des États particulièrement concernés tels que la Russie ou l'Italie. Dans ce domaine, je peux vous dire que je suis tout à fait optimiste : le comité franco-italien de lutte contre la contrefaçon pourra se réunir de nouveau prochainement. Tout comme M. Yung, je suis favorable à la création d'un GAFI-contrefaçon. Ce sera certainement l'un des objectifs de la future présidence française de l'Union européenne.
Mme Demessine a un peu noirci le trait concernant les suppressions d'emploi au sein des douanes. Je tiens à lui indiquer que ces suppressions devraient concerner essentiellement les services administratifs, plutôt que les services agissant sur le terrain.
Par ailleurs, elle s'est dite inquiète pour les agriculteurs qui pourraient être affectés par les droits attachés à la lutte contre la contrefaçon. Je souhaite la rassurer : il existe aujourd'hui, en droit français, ce que l'on appelle le « privilège de l'obtenteur », qui autorise l'agriculteur à réutiliser les produits qu'il a cultivés comme semence, et ce sans réserver de droits au titulaire de brevet sur les premières semences qu'il avait achetées.
Mme Gourault a posé des questions qui m'intéressent au premier chef, car, comme elle l'a rappelé, nous sommes élus de la même région. Qu'elle sache que je serai bien évidemment très attentif au pole pharmaceutique ou cosmétique de la région Centre.
En ce qui concerne Internet, la mission Olivennes remettra son rapport assez rapidement, dès le mois d'octobre. Ainsi, nous devrions être en mesure de proposer des mesures complémentaires contre le piratage ou la diffusion de contrefaçons sur Internet.
Christine Lagarde et moi-même sommes fiers de défendre ce projet de loi, qui, j'en suis convaincu, recueillera un large assentiment auprès de la Haute Assemblée. Ce texte, vous l'avez compris, touche aux racines de notre droit, à la défense du droit de propriété intellectuelle et donc à la capacité d'innovation, qui est le gage de notre croissance future. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
8
modification de l'ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement a retiré de l'ordre du jour prioritaire de la séance du mercredi 26 septembre le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 26 avril 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament, pour le reporter à une date ultérieure qui sera fixée lors de la prochaine conférence des présidents.
Acte est donné de cette communication.
En conséquence, le mercredi 26 septembre, le Sénat se consacrera entièrement à l'examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail.
9
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un Mouvement Populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame :
- M. Raymond Couderc, membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de M. Marc Laménie, démissionnaire ;
- M. Marc Laménie, membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Raymond Couderc, démissionnaire.
10
Contrefaçon
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de lutte contre la contrefaçon.
Nous passons à la discussion des articles.
CHAPITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES AUX DESSINS ET MODÈLES
Article 1er
Le titre Ier du livre V du code de la propriété intellectuelle est complété par un chapitre V intitulé : « Dessins ou modèles communautaires » et comprenant l'article L. 515-1 ainsi rédigé :
« CHAPITRE V
« DESSINS OU MODELES COMMUNAUTAIRES
« Art. L. 515-1. - Toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du règlement (CE) 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. »
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, l'amendement n° 1 rectifié tire les conséquences des amendements nos 47 et 48 rectifié, qui visent à créer des articles additionnels après l'article 39. En conséquence, la commission demande la réserve de l'amendement n° 1 rectifié et de l'article 2 jusqu'après l'examen de l'amendement n° 48 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. le président. La réserve est ordonnée.
Article 3
Les articles L. 521-1 à L. 521-9 du même code sont ainsi rédigés :
« Art. L. 521-1. - Toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L. 513-4 à L. 513-8, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une contrefaçon à l'échelle commerciale toute atteinte commise en vue d'obtenir un avantage économique ou commercial, direct ou indirect.
« Les faits postérieurs au dépôt, mais antérieurs à la publication de l'enregistrement du dessin ou modèle ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits qui y sont attachés.
« Toutefois, lorsqu'une copie de la demande d'enregistrement a été notifiée à une personne, la responsabilité de celle-ci peut être recherchée pour des faits postérieurs à cette notification même s'ils sont antérieurs à la publication de l'enregistrement.
« Art. L. 521-2. - L'action civile en contrefaçon est exercée par le propriétaire du dessin ou modèle.
« Toutefois, le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation peut, sauf stipulation contraire du contrat de licence, exercer l'action en contrefaçon si, après mise en demeure, le propriétaire du dessin ou modèle n'exerce pas cette action.
« Toute partie à un contrat de licence est recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par une autre partie, afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.
« Art. L. 521-3. - L'action civile en contrefaçon se prescrit par trois ans à compter des faits qui en sont la cause.
« Art. L. 521-4. - La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.
« À cet égard, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tout huissier, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des objets prétendus contrefaits ainsi que des documents, notamment comptables, s'y rapportant.
« La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les objets prétendus contrefaits.
« Elle peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à une consignation par le requérant ou à toute autre garantie jugée équivalente, destinée à assurer l'indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.
« À défaut pour le requérant de s'être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, dans un délai fixé par voie réglementaire, l'intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés.
« Art. L. 521-5. - A la requête du demandeur, la juridiction saisie d'une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits contrefaits qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaits à l'échelle commerciale ou fournissant à l'échelle commerciale des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.
« La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
« Les documents ou informations recherchés portent sur :
« a) Les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ;
« b) Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les produits ou services en cause.
« Art. L. 521-6. - Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir, en la forme des référés ou sur requête, la juridiction civile compétente, afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le dessin ou modèle ou empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon.
« La juridiction peut notamment interdire la poursuite de ces actes, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux.
« Aux mêmes fins, elle peut ordonner à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par le prétendu contrefacteur pour porter atteinte aux droits conférés par le titre, toute mesure en vue de faire cesser cette situation.
« Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable.
« En cas d'activité de contrefaçon exercée à l'échelle commerciale et si le demandeur justifie de circonstances de nature à compromettre le recouvrement des dommages-intérêts, la juridiction peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu contrefacteur, notamment le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun. Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner en tant que de besoin la communication des documents bancaires, financiers ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes.
« La demande de mesures provisoires n'est admise que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à son droit ou qu'une telle atteinte est imminente.
« La juridiction peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à une consignation par le demandeur ou à toute autre garantie jugée équivalente, destinée à assurer l'indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou les mesures annulées.
« Lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l'engagement d'une action au fond, le demandeur doit se pourvoir, par la voie civile ou pénale, dans un délai fixé par voie réglementaire. À défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés.
« Art. L. 521-7. - Pour évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon, le tribunal prend en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur et, s'il y a lieu, le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l'atteinte.
« Toutefois, le tribunal peut, à titre d'alternative dans les cas appropriés et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.
« Art. L. 521-8. - En cas de condamnation civile pour contrefaçon, le tribunal peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaits et, s'il y a lieu, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication, soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
« Le tribunal peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'il désigne, selon les modalités qu'il précise.
« Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur.
« Art. L. 521-9. - Les officiers de police judiciaire peuvent procéder, dès la constatation des infractions prévues au premier alinéa de l'article L. 521-10, à la saisie des produits fabriqués, importés, détenus, mis en vente, livrés ou fournis illicitement et des matériels ou instruments spécialement installés en vue de tels agissements. »
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. L'article 3 est probablement l'article essentiel du dispositif, car il sert de calque à l'ensemble du projet de loi. Cette intervention vaudra donc pour d'autres dispositions du texte et pour les amendements de la commission.
Je souhaite insister sur quelques points qui me semblent particulièrement importants.
Tout d'abord, je constate que le huitième alinéa de cet article satisfait aux recommandations formulées par la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales conduite par M. Hyest durant les mois d'avril et de mai 2007. En fixant à trois ans le délai de prescription de l'action en contrefaçon d'un dessin ou modèle, qui est actuellement décennal, le nouvel article L. 521-3 du code de la propriété intellectuelle aligne le régime des dessins et modèles sur celui des brevets, des marques et, bientôt, des autres titres de propriété intellectuelle concernés par le projet de loi. Cet effort de rationalisation et d'harmonisation des délais de prescription est salutaire.
Ensuite, je souhaite interroger le Gouvernement sur la transposition dans notre arsenal législatif du droit d'information. C'est probablement l'un des aspects les plus délicats de cette nouvelle législation.
Le présent article transpose, pour les dessins et modèles nationaux, ce droit qui est consacré à l'article 8 de la directive. Il dispose que « la production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime ».
La notion d'empêchement légitime n'est pas étrangère au droit français. En effet, l'article 11 du nouveau code de procédure civile permet déjà au juge d'ordonner la production forcée de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.
Cette disposition est également prévue à l'article 10 du code civil en vertu duquel « chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ». Dès lors, la personne qui refuse de se soumettre à cette règle peut être tenue de verser le montant d'une amende civile ou, le cas échéant, des dommages et intérêts à la victime de cette abstention.
Toutefois, dans le nouveau code de procédure civile, cette notion n'est pas très explicite. Pour sa part, la Cour de cassation a reconnu aux personnes qui détiennent des secrets professionnels, par exemple le secret médical ou le secret des affaires, le pouvoir de s'opposer en justice à la révélation de ces secrets. Par conséquent, comment le Gouvernement envisage-t-il la mise en oeuvre de ce droit à l'information ? Jusqu'où ira-t-il ? Au fond, à quel moment la notion d'empêchement légitime commencera-t-elle à jouer ? On pourrait bien évidemment s'en remettre à la jurisprudence pour régler cette question, mais je pense qu'au moment où l'on s'apprête à graver cette règle dans le marbre de la loi, ce serait une bonne chose d'y réfléchir ensemble.
Enfin, je souhaite revenir sur la question des dommages et intérêts forfaitaires. Il s'agit certainement d'une innovation dans le droit français. Certains, dans la théorie doctrinale, pensent que cela ne fait pas partie de l'appareil juridique français.
Personnellement, j'estime que cette notion va dans le bon sens, car l'application du principe de la réparation intégrale n'est pas entièrement satisfaisante. En outre, l'évaluation des dommages et intérêts est souvent déconnectée de la situation réelle et de la valeur objective du préjudice. Pour indemniser les victimes de contrefaçon, le juge prend en considération le préjudice réellement subi. En d'autres termes, il tient seulement compte du gain dont la victime a été privée et non des bénéfices réalisés par le contrefacteur.
Au fond, cela pourrait constituer une sorte de « prime au vice », dans la mesure où les bénéfices tirés de la contrefaçon sont largement supérieurs aux dommages et intérêts qui seront versés aux malheureuses victimes de la contrefaçon. Cette action va donc dans le bon sens.
J'aimerais, pour conclure, savoir comment Gouvernement envisage la mise en oeuvre de ces nouvelles règles, étant entendu qu'elles vont à mon sens dans la bonne direction.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement vise à supprimer la référence à « l'échelle commerciale », notion trop floue qui risque de susciter un contentieux parfaitement inutile.
Tout à l'heure, Mme Gourault a critiqué la suppression de cette référence. Elle craignait, en effet, qu'une personne ayant pratiqué la contrefaçon ou racheté un produit contrefaisant ne se trouve excessivement sanctionnée. Cette crainte n'est pas justifiée.
Comme je l'ai d'ailleurs laissé entendre lors de la discussion générale, au civil, aucune entreprise victime de contrefaçon ne lancera de procédure pour un fait qui ne le mériterait pas et, au pénal, le procureur de la République, qui a toujours l'opportunité des poursuites, n'engagera pas non plus de procédure à l'encontre d'une personne qui n'aurait transporté qu'une seule marchandise contrefaisante.
Pour autant, il ne faut pas envoyer un signal négatif et laisser entendre que l'on peut se promener avec des marchandises contrefaisantes.
La contrefaçon doit donc être sanctionnée dès le premier euro. C'est du moins ce que la loi doit afficher !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Cet amendement, qui sera suivi tout au long du texte par des amendements de coordination, vise à supprimer du projet de loi, au fur et à mesure des différents chapitres, toute référence à la notion de contrefaçon commise « à l'échelle commerciale ».
C'est un débat très important. On ne peut avoir une vision globale de la lutte contre la contrefaçon - on a répété ici tout l'intérêt de mener cette lutte pour la défense de l'innovation - et décider d'une riposte « graduée », pour reprendre le vocabulaire de la stratégie militaire.
Pour cette raison le Gouvernement prête une oreille attentive à cet amendement.
La notion de contrefaçon commise à l'échelle commerciale, comme l'a indiqué M. le rapporteur, est inconnue du droit positif et est ambiguë.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Tout à fait !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le code de la propriété intellectuelle n'établit actuellement aucune distinction entre les actes de contrefaçon.
Toute atteinte, commerciale ou non, portée aux droits de propriété intellectuelle constitue une contrefaçon, qui peut être poursuivie suivant les mêmes procédures et encourt les mêmes sanctions.
En conséquence, cette proposition permet de conserver l'effet dissuasif des dispositions actuelles, qui ouvrent aux titulaires de droits des moyens efficaces pour lutter contre tout type d'acte, même non commercial.
La proposition de la commission permet, en outre, d'harmoniser les parties du projet de loi relatives à la propriété industrielle et à la propriété littéraire et artistique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Elle est donc en parfaite conformité avec le texte de la directive 2004/48/CE.
En effet, si la directive permet aux États membres de réserver certaines procédures aux cas de contrefaçons commises à l'échelle commerciale, il s'agit d'une simple faculté, et non d'une obligation.
La directive autorise des procédures plus favorables aux titulaires de droits qui seraient prévues par la législation nationale.
L'amendement de M. le rapporteur, adopté par la commission, permet donc de conserver une législation nationale plus favorable aux titulaires de droits de propriété industrielle que le minimum requis par la directive. Je ne peux qu'y être favorable.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article L. 521-4 du code de la propriété intellectuelle :
« Art. L. 521-4. - La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.
« À cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, assistés d'experts désignés par le requérant, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des objets prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant.
« La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les objets prétendus contrefaisants.
« Elle peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le requérant de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.
« À défaut pour le requérant de s'être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, dans un délai fixé par voie réglementaire, l'intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés.
II. En conséquence, dans l'ensemble des articles du projet de loi, remplacer le mot :
contrefaits
par le mot :
contrefaisants
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision et d'harmonisation rédactionnelle.
La première modification tend à préciser que l'huissier qui réalise la saisie-contrefaçon est accompagné d'experts désignés par le requérant.
En effet, la présence des experts étant prévue pour les procédures actuelles de saisie-contrefaçon en matière de marques, de brevets, de logiciels et de bases de données, il est logique que cette disposition soit étendue aux dessins et modèles nationaux. En outre, quand la présence des experts est prévue, c'est dans la partie législative du code et son inscription dans la partie réglementaire pourrait nuire à l'intelligibilité d'ensemble du code de la propriété intellectuelle.
La deuxième modification vise à supprimer l'adverbe « notamment », sans portée juridique. Il en fallait bien un, et nous l'avons trouvé ! (Sourires.)
La troisième modification vise à simplifier la rédaction proposée en retenant la formulation, générique, de «constitution de garanties ».
Quatrième et dernière modification, et j'ose ici me faire grammairien, ce que je ne suis pas, cet amendement vise à remplacer, dans l'ensemble des articles du projet de loi, le mot « contrefaits » par le mot « contrefaisants ».
En effet, le participe passé « contrefait » vise le produit authentique, la marchandise d'origine qui a été copiée, imitée, tandis que, à l'inverse, la contrefaçon constitue le « produit contrefaisant ».
L'usage est assez trouble en la matière. Il convient donc de bien préciser les termes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Cet amendement a plusieurs objets, comme M. le rapporteur vient de le rappeler.
Il vise à prévoir que l'huissier pourra, lors de la saisie-contrefaçon, se faire assister « d'experts désignés par le requérant ».
Cette précision figure actuellement dans les textes législatifs du code de la propriété intellectuelle. Bien que cette disposition soit, on le sait, de niveau réglementaire, son maintien en partie législative paraît opportun à des fins de clarté et de lisibilité. J'y suis donc favorable.
Cet amendement tend en outre à proposer une formulation générique concernant la constitution de garanties que le tribunal peut imposer à une partie. Il s'agit également d'une clarification utile.
Enfin, l'amendement vise à introduire une précision sémantique en substituant, dans l'ensemble du projet de loi, le mot « contrefaisants » au mot « contrefaits ». Je ne peux que m'y rallier.
Actuellement, le code de la propriété intellectuelle utilise indifféremment les termes « contrefait » et « contrefaisant ». Il y a là une ambiguïté qu'il nous faut lever. L'adjectif « contrefait », comme l'a rappelé M. le rapporteur, vise l'original imité alors que « contrefaisant » désigne le produit de contrefaçon.
Le Gouvernement est donc favorable à l'ensemble de l'amendement.