Article 12
I. - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à modifier par ordonnance les dispositions législatives relatives aux soins psychiatriques sans consentement, afin :
1° De rénover et de clarifier les procédures administratives relatives aux personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et, soit rendent impossible leur consentement à ces soins, soit compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public ;
2° De faciliter l'accès aux soins des personnes dont les troubles mentaux le nécessitent ;
3° De préciser le rôle des professions de santé et des autorités locales et d'améliorer leur information, notamment en ce qui concerne les procédures de levée de soins ;
4° D'accroître les garanties relatives aux droits des personnes atteintes de troubles mentaux faisant l'objet de soins sans consentement ;
5° D'améliorer le suivi des mesures d'hospitalisation d'office et de faciliter l'instruction des demandes d'autorisation relatives aux matériels, armes et munitions prévues par le code de la défense, par la création d'un traitement national de données à caractère personnel ;
6° De modifier les dispositions relatives à l'hospitalisation psychiatrique des personnes détenues afin de permettre leur admission au sein d'unités pour malades difficiles ou, lorsqu'elles sont mineures, au sein de services de psychiatrie n'ayant pas la qualité d'unité hospitalière spécialement aménagée.
II. - L'ordonnance doit être prise dans un délai de deux mois suivant la publication de la présente loi. Un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de sa publication.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Avec cet article, nous arrivons donc à cette bizarrerie, à cette étrangeté, à cette originalité, pour reprendre les termes qui ont déjà été employés, que constitue la présence dans un projet de loi de ratification d'une ordonnance d'un article habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur le problème très difficile, très sensible et très important de la psychiatrie.
Aussi, je voulais m'exprimer après avoir suivi les travaux de la commission des lois à cet égard.
Nous sommes ici face à quatre aberrations.
Première aberration : l'inscription de dispositions relatives à la psychiatrie dans un projet de loi relatif à la prévention de la délinquance traitant de sécurité publique et présenté par le ministre de l'intérieur. S'en sont fortement émues l'Union nationale des amis et familles de malades psychiques, l'UNAFAM, les psychiatres et tous ceux qui considèrent qu'aborder la question de la psychiatrie uniquement sous l'angle répressif et du point de vue de la protection des personnes serait une grande erreur.
C'est un aspect du sujet qu'il ne faut pas méconnaître, monsieur le ministre,...
M. Jean-Pierre Sueur. ...mais il faut traiter l'ensemble de la question !
M. Jean-Pierre Sueur. Une grande loi sur ce sujet est nécessaire. Je pourrais vous renvoyer à de nombreuses déclarations dans ce sens.
Vous avez cité la loi du 30 juin 1838. J'insiste sur le fait que c'était une loi. Et la lecture des débats auxquels cette loi a donné lieu au Parlement est passionnante. À cette époque, les ordonnances n'existaient pas.
Il ne fallait pas inscrire ce sujet-là dans le projet de loi !
Deuxième aberration : on nous informe maintenant qu'il va être légiféré par ordonnance sur ce sujet très sensible. Monsieur le ministre, au moment même où vous nous annoncez ici que vous allez renforcer la citoyenneté, que vous allez associer largement le Parlement et que vous allez aboutir à un consensus, vous nous soumettez cet article qui a pour effet de priver le Parlement de sa capacité à débattre sur un sujet aussi important.
Très franchement, il ne faut pas légiférer par ordonnance sur un tel sujet !
Vous évoquez les événements qui vont se produire en 2007. Certes, mais ces événements ne conduiront pas à la suppression du Parlement. Il aura toujours la possibilité de siéger au cours du second semestre de l'année 2007 pour se saisir de cette question comme de toute autre question.
Troisième aberration : la déclaration publique de M. Nicolas Sarkozy, selon laquelle le véhicule importe peu pourvu que la marchandise transportée soit la même.
Permettez-moi de dire publiquement que M. le ministre d'État est quelque peu cynique. Finalement, peu lui importe qu'il s'agisse d'une loi ou d'une ordonnance, pourvu qu'il aboutisse au même résultat.
Il est consternant de faire croire aux psychiatres et aux associations, qui ne le croient ni les uns ni les autres, que le recours à la voie des ordonnances rendra les choses substantiellement différentes.
Enfin, quatrième aberration - et c'est le bouquet ! - : après qu'eurent été inscrites à tort ces dispositions dans un projet de loi, après qu'on nous eut dit qu'elles seraient adoptées par ordonnance, on nous annonce en commission des lois qu'elles resteront finalement dans le projet de loi. Cela devient complètement incompréhensible. (M. le ministre et de M. le président de la commission des affaires sociales font un signe de dénégation.)
M. François Autain. C'est le contraire de tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Ne le niez pas, monsieur le ministre !
J'ai lu l'excellent rapport de M. Milon. Voici ce qui y est écrit, aux pages 15 et 16 : « Néanmoins, la démarche suivie par le Gouvernement n'est pas banale - monsieur le rapporteur, je vous félicite de votre sens de l'euphémisme ; assurément, ce n'est pas banal ! - puisque le vote de cet article d'habilitation par l'Assemblée nationale n'a pas entraîné la suppression symétrique des articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, examiné dans le même temps. »
M. Jean-Pierre Sueur. M. le rapporteur ajoute ces propos proprement stupéfiants : « Selon les informations recueillies, il serait envisagé de ne procéder à cette suppression qu'à l'occasion de l'examen des dispositions du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance en commission mixte paritaire. »
Mes chers collègues, nous représentons ici une partie du Parlement. Après que ceux qui ont bien voulu le faire ont voté en première lecture le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, on nous sollicite benoîtement d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur la même matière, tout en maintenant les dispositions qui ont été votées dans le projet de loi. C'est une atteinte à la liberté du Parlement ! On nous demande de ne pas nous inquiéter au motif qu'elles seraient supprimées en commission mixte paritaire. Mais enfin, mes chers collègues, le Gouvernement ne prend pas part à la commission mixte paritaire ! Il n'y a que des parlementaires ! Et comment peut-on leur dire, monsieur le rapporteur, si j'en crois vos informations, ce qu'ils auront à faire !
Nous protestons énergiquement contre ces quatre aberrations, contre la manière dont est traité le Parlement dans cette affaire, contre la manière dont on traite la psychiatrie. Nous ne saurions accepter ces méthodes, qui n'honoreraient pas le Parlement si, par malheur, cet article était adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Vantomme, sur l'article.
M. André Vantomme. La suppression de l'article 12, tel qu'il est rédigé, mettrait un terme à la situation ambiguë qu'a créée M. le ministre de l'intérieur, qui avait souhaité faire une incursion territoriale limitée dans les prérogatives de son collègue chargé des affaires sociales et de la santé.
Cette incursion territoriale limitée n'est pas allée sans dégâts collatéraux pour les associations de parents de patients et pour celles et ceux qui exercent des responsabilités diverses dans les hôpitaux psychiatriques.
La méthode - et je rejoins l'analyse pertinente de Jean-Pierre Sueur - me surprend également. Vous maintenez les dispositions qui ont été votées dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance - est-ce un filet de sécurité ? -tout en nous proposant de recourir aux ordonnances. C'est pour le moins curieux, et je ne doute pas que le groupe socialiste saisira de ces contorsions le Conseil constitutionnel.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Encore !
M. André Vantomme. Je voudrais aussi revenir sur un autre aspect, à savoir la dualité entre l'avis médical et le certificat médical, qui ont été évoqués l'un et l'autre à propos de la mise en oeuvre par les maires de la procédure de placement d'office.
J'ai une certaine expérience de l'administration d'un hôpital psychiatrique et de maire d'une commune où est implanté un établissement hospitalier psychiatrique et qui a été assez souvent confronté à ces procédures. Pour ma part, je me demande comment feront nos collègues maires pour apporter des éléments de preuve lorsqu'ils seront saisis de contentieux de patients qui contesteront la décision prise.
L'avis médical, dont on n'a, semble-t-il, pas formalisé l'expression, sera-t-il une simple communication téléphonique ou une discussion ? Le certificat médical, qui faisait référence à des textes et à des situations précises, va être abandonné au profit d'une procédure permettant difficilement, c'est le moins que l'on puisse dire, d'obtenir les mêmes résultats en matière de preuve.
Je voudrais aussi évoquer les prisons.
Voilà deux ans, j'ai posé une question écrite sur l'adaptation des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, à la situation dans les prisons et dans les hôpitaux psychiatriques. Voilà deux ans, monsieur le ministre, que j'attends la réponse,...
M. André Vantomme. ...et ce n'est pas faute d'avoir fait quelques rappels ! Évidemment, les réponses qui seront apportées seront appréciées aussi en termes de moyens. Mais cela traduit l'embarras qui est manifestement le vôtre au regard de la juste appréciation de la situation psychiatrique dans les prisons et des mesures qui sont à prendre.
Monsieur le ministre, la situation dans les prisons par rapport à la psychiatrie est grave. Elle nécessite des moyens, des interventions. Les problèmes des hôpitaux psychiatriques doivent également être pris en compte. En effet, ceux-ci sont confrontés à la présence de détenus qui deviennent des patients lorsqu'ils ont franchi leurs portes, mais les problèmes demeurent.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par MM. Autain, Fischer et Muzeau, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 6 est présenté par MM. Godefroy, Michel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. François Autain, pour présenter l'amendement n° 4.
M. François Autain. Comme l'a fait remarquer notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous abordons ici, avec l'article 12, ce que l'on peut appeler une véritable mascarade législative. La situation prêterait à sourire si le sujet n'était pas aussi grave.
Je le sais, monsieur le ministre, je manque singulièrement de subtilité, comme vous me l'avez rappelé très amicalement tout à l'heure, mais j'ai tendance à me perdre au milieu de cet imbroglio procédural. Si j'ai bien compris, nous discutons d'un article d'habilitation portant sur la réforme de l'hospitalisation sans consentement, qui a été adopté le 23 novembre dernier à l'Assemblée nationale.
Dans cet article d'habilitation figure l'amélioration des procédures administratives, le rôle des autorités locales ainsi que le suivi de ces mesures, via la création d'un fichier informatique.
Ces mesures s'ajoutent à celles qui sont contenues dans les articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance adopté en première lecture par les députés le 5 décembre - soit postérieurement à l'adoption de l'article 12 par les députés -, texte qui reviendra en discussion au Sénat à partir du 9 janvier prochain, donc après notre débat d'aujourd'hui et seulement pour les dispositions qui n'ont pas été adoptées en termes identiques.
J'ai entendu - M. Jean-Pierre Sueur vient de le rappeler, et cela figure dans le rapport de la commission - que vous souhaitiez revenir sur les dispositions relatives à l'hospitalisation sans consentement en commission mixte paritaire. Je l'avoue franchement, j'ai un peu de mal à suivre : si d'aventure notre assemblée votait ces articles conformes, alors ils ne feraient pas l'objet d'un examen en commission mixte paritaire !
Et si, parallèlement à l'adoption du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, le texte de l'ordonnance est publié - cette situation est possible, puisque vous vous êtes donnés deux mois pour ce faire -, quel serait alors le texte applicable en cas de divergence ?
De deux choses l'une. Ou bien vous me dites, monsieur le ministre, que ce sera nécessairement la même rédaction, l'ordonnance ne pouvant défaire ce qui a été adopté - ou au moins discuté - par le Parlement, et, dans ce cas, à quoi sert-il que nous débattions ici et où est la concertation si tout est déjà ficelé d'avance ? Ou bien il y aura un imbroglio juridique tout à fait déplorable, situation à laquelle nous ne serons pas en mesure de faire face.
Il n'est pas sérieux de procéder ainsi quand on affiche une volonté de concertation avec les professionnels. Et l'on sait combien il est nécessaire de rechercher le consensus sur un sujet aussi sensible. Déjà, on peut constater que les chiffres diffèrent selon les acteurs : le rapport de l'Inspection générale de l'administration, l'IGA, de l'Inspection de la gendarmerie nationale, l'IGN, et de l'Inspection générale de la police nationale, l'IGPN, couramment cité, fait état d'une progression de l'hospitalisation sans consentement, alors que la Haute autorité de santé considère quant à elle, dans son récent rapport, que l'on a plutôt affaire à une stabilisation. Il faudrait sans doute être déjà en mesure d'y voir clair sur les chiffres...
Ensuite, avec l'article d'habilitation, vous élargissez la réflexion, ce qui est a priori une bonne chose, en y intégrant notamment l'accès aux soins. Mais, faute d'avoir retiré les articles relatifs à cette question dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, l'ordonnance qui en sortira sera inévitablement entachée de ce « vice congénital » qui est d'avoir abordé la psychiatrie sous l'angle sécuritaire !
Telle n'était pourtant pas la vocation de la loi de 1990, qui se voulait une loi sanitaire et non pas une loi de police, comme vous voudriez nous le faire croire. Elle visait, je le rappelle, à faciliter l'accès aux soins et à préserver les droits de la personne, en limitant strictement l'atteinte à ces droits.
Certes, le système a besoin d'une réforme et je me permettrai ici de citer à nouveau le rapport de 2005 de l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, et de l'Inspection générale des services judiciaires, l'IGSJ, - souvent ignoré par l'actuelle majorité -, qui insiste sur la nécessité de sécuriser les procédures du point de vue des droits du malade, et principalement le droit à l'information et le droit au recours, mais aussi de renforcer le rôle souvent bien formel des commissions d'hospitalisation. On pourrait également parler du manque de moyens de la psychiatrie ! Le débat serait long et intéressant.
Vous voulez, nous dites-vous, une « vraie » réforme de la loi de 1990 : apportez-nous-en donc la preuve en retirant cet article. Entre des amendements dans le cadre d'une loi de sécurité et le dessaisissement du Parlement via le vote d'un article d'habilitation, une autre voie existe : la proposition de loi ! Ce serait un premier pas vers une réforme « ouverte » et concertée, que vous prétendez appeler de vos voeux.
C'est en tout cas la voie que nous souhaitons, qui respecte les droits du Parlement. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons, mes chers collègues, de supprimer l'article 12.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour présenter l'amendement n° 6.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement est défendu. Je tiens néanmoins à apporter quelques précisions.
Tout d'abord, monsieur le ministre, je crois que la loi de 1838 était une très grande loi. Il suffit de se replonger dans les délibérations qui ont eu lieu à l'époque au Sénat pour s'en rendre compte. D'ailleurs, quand cette loi a été revue en 1990, il était fortement question, mais cela n'a pas été retenu, de la judiciarisation de l'hospitalisation d'office. C'est une piste qu'il faudrait peut-être considérer à nouveau.
Monsieur le ministre, nous avons entendu les représentants des psychiatres et ceux des familles de malades psychiques, qui demandaient le retrait des articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Nous avons lu dans la presse que le ministre de l'intérieur avait décidé de les retirer. Or, aujourd'hui, il faut que ces associations sachent non seulement que ces dispositions ne sont pas retirées, mais qu'elles sont maintenues dans deux textes : le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, jusqu'à preuve du contraire, et l'ordonnance, qui comprendra des mesures sur lesquelles nous n'avons pas discuté.
Monsieur le ministre, vous aviez tout le temps pour présenter une réforme et un projet de loi. J'ai ici un document de travail (L'orateur montre le document) qui vaut ce qu'il vaut, mais que vous avez utilisé pour négocier avec les associations. Il ne comporte que onze articles, pas plus que dans le présent projet de loi. Nous avions donc largement le temps de débattre véritablement au fond sur un projet de loi structuré.
Quand on examine l'article 1er du document de travail en question, on s'aperçoit que le ton employé est complètement différent : l'intitulé du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique : « Modalités d'hospitalisation » est remplacé par l'intitulé suivant : « Modalités de soins psychiatriques ». L'esprit est bien meilleur ! Et, toujours dans l'article 1er, l'intitulé du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du même code : « Droit des personnes hospitalisées » est remplacé par l'intitulé suivant : « Droit des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques ».
L'optique de ce document est donc de donner la primauté aux soins, en faisant abstraction de tout ce qui concerne la délinquance et sans faire d'amalgame, même si, effectivement, on peut constater quelques cas de délinquance. Mais il y a des personnes qui ne relèvent pas de maladies psychiatriques et qui peuvent, demain, provoquer un désordre public ou assassiner quelqu'un sans qu'on ait pu le détecter. Donc, il ne faut pas focaliser sur ces malades, qui souffrent malheureusement.
Il est vraiment dommage, monsieur le ministre, que nous ne puissions discuter sur un texte comme ce document de travail, car le débat aurait pu être très constructif. Et aujourd'hui, vous nous contraignez à vous dire que nous ne pouvons pas accepter les ordonnances, parce que le Parlement ne peut pas en débattre. En ce qui concerne les malades mentaux détenus, nous n'aurons pas notre mot à dire. La ratification, nous savons ce qu'il en est. Et, dans le texte qui est en navette, vous maintenez encore ces éléments. Il fallait les retirer au départ !
On trompe les représentants des associations de malades et les psychiatres, et on nous dénie le droit de débattre sur un sujet aussi important, qui a fait l'objet de deux grandes lois, celle de 1838 et celle de 1990. Mais il n'est pas trop tard quand on veut bien faire. Le texte sur lequel vous négociez comporte onze articles. Je le répète, nous avons le temps d'en débattre. Nous allons être sollicités au mois de janvier pour statuer sur des textes qui ont certes un intérêt, mais qui ne sont peut-être pas aussi importants que celui-là. Et là, on va trouver le temps pour les examiner.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Je voudrais tout d'abord rappeler quelques petits faits historiques.
La première loi sur la psychiatrie et sur les malades mentaux date en effet de 1838. C'était une bonne loi, mais elle a été fortement initiée par les villes, qui étaient extrêmement demandeuses et qui souhaitaient sa mise en place pour des raisons de sûreté publique.
Cette loi a ensuite été modifiée en 1990, soit un siècle et demi plus tard ! L'évolution actuelle fait que le Gouvernement s'est penché sur ce sujet et nous a présenté, dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, les articles 18 à 24 qui portent en particulier sur l'hospitalisation d'office. Remettre le maire - je suis volontairement un peu provocateur - au centre du processus me paraît être, par rapport à la loi de 1838, un juste retour des choses.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que la commission des affaires sociales avait émis un avis favorable, dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, sur les articles 18 à 24, en regrettant tout de même qu'ils figurent dans le texte. Le Gouvernement en tient compte et insère ces dispositions dans un projet de loi qui est plus conforme à la volonté de la commission des affaires sociales. Nous y sommes donc sensibles. Aussi, nous émettons un avis défavorable sur les amendements de suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements, mais je tiens à apporter quelques précisions à leurs auteurs et à l'ensemble de la Haute Assemblée, comme je l'ai fait voilà quelques instants à la tribune.
Je voudrais d'abord souligner que la méthode qui a été retenue par le Gouvernement et qui est entièrement conforme à l'article 38 de la Constitution est respectueuse de la démocratie, mais reste évidemment exceptionnelle. D'ailleurs, depuis cinq ans, convenez que le Gouvernement n'aura pas abusé des lois d'habilitation.
Alors, pourquoi procéder ainsi maintenant ? Tout simplement pour deux raisons.
En premier lieu, en cette fin de législature, si nous voulons régler ce problème sans le renvoyer aux calendes grecques, il n'y a rien de mieux que la procédure de l'ordonnance.
M. Jean-Pierre Godefroy. Oh non !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Cette ordonnance reprendra des dispositions qui ont déjà été adoptées par votre assemblée, comme par l'Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, et comprendra des mesures en cours de discussion avec les professionnels, les psychiatres et les associations de familles de malades.
M. Jean-Pierre Godefroy. Pas avec nous !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Il est important que ces dispositions voient le jour ; elles sont à portée de la main. Il serait donc dommage de ne pas aller au terme de cette discussion législative.
Le cadre de cette ordonnance est fixé par l'article 12, qui comporte toutes les garanties nécessaires, et, comme le prévoit la Constitution, un projet de loi de ratification sera ensuite déposé sur le bureau du Sénat ou de l'Assemblée nationale, le Parlement pourra donc en délibérer le moment venu. (M. Jean-Pierre Godefroy s'exclame.)
Nous voulons parvenir à un consensus avec les professionnels sans retarder le règlement du problème des garanties nouvelles qui doivent être apportées aux malades, afin de répondre à l'exigence de soins et de guérison, objectif premier du Gouvernement.
Il importe également de tirer les leçons de l'expérience quand les hospitalisations sous contrainte ont mal fonctionné. Aujourd'hui, les hospitalisations d'office pour motif d'urgence, à la demande du maire, représentent déjà 60 % des hospitalisations (M. André Vantomme s'exclame.), ce qui prouve que l'évolution proposée dans ce domaine n'est pas si considérable qu'on veut bien le dire.
C'est donc dans ce souci d'une démarche constructive pour renforcer les garanties offertes aux malades et à leur famille, tout en répondant à l'impératif de sécurité, quand il se pose, que le Gouvernement vous soumet démocratiquement cette disposition d'habilitation. Il vous appartient de décider d'accorder cette habilitation, comme l'Assemblée nationale l'a déjà fait.
En second lieu, je prends devant vous l'engagement selon lequel les dispositions adoptées par les deux assemblées et figurant dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance seront retirées de ce texte avant son adoption définitive.
Je comprends mal les arguments que vous avez invoqués à cet égard. Ce n'est pas la première fois que deux textes discutés simultanément comportent des contradictions, je pense notamment aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.
Il appartiendra à la commission mixte paritaire de régler ce problème de coordination, mais si tel n'était pas le cas le Gouvernement s'engage à retirer, par le biais d'un amendement, les dispositions des articles 18 à 24 du projet de loi de prévention de la délinquance, pour tenir compte de l'habilitation qui aurait été donnée au Gouvernement. Je vous demande de faire confiance au Gouvernement pour assurer cette cohérence. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La confiance !
M. François Autain. C'est une affaire de confiance !
M. Philippe Bas, ministre délégué. Et je compte sur vous pour contribuer par vos travaux à régler ce problème classique de coordination des textes. Ce n'est tout de même pas la première fois que vous êtes confrontés à ce type de difficultés, qui peuvent être réglées aisément.
Telles sont les deux raisons pour lesquelles je demande à la Haute Assemblée de bien vouloir habiliter le Gouvernement à prendre ces dispositions qui, je le répète, comporteront des garanties supplémentaires par rapport à celles qui ont déjà été votées dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, et qui, en distinguant la prévention de la délinquance de l'impératif de soins des personnes atteintes d'affections psychiatriques, répondent aux demandes des associations de familles de malades et des associations de soignants.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, les explications les plus longues et les plus alambiquées ne sont pas les plus convaincantes !
Nous étions opposés aux dispositions figurant dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et, de surcroît contre le fait qu'elles soient inscrites dans un tel texte, pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas en cet instant.
Aujourd'hui, le Gouvernement nous demande de l'autoriser à prendre par ordonnance des dispositions - c'est une procédure à laquelle nous sommes opposés -, tandis que le Parlement continue de délibérer sur les mesures figurant dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.
S'agissant de la forme, quoi que vous en disiez, c'est inhabituel. C'est original, ont dit certains. Selon moi, cela témoigne d'un mépris total des parlementaires !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela s'est déjà produit dans le passé, tant à gauche qu'à droite !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut l'habiller comme on veut, le procédé revient ni plus ni moins à mépriser les parlementaires, et je suis polie !
M. Nicolas About président de la commission des affaires sociales. Cela a déjà été fait !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, cela nous arrive souvent d'être méprisés !
Nous sommes capables d'avoir un débat de fond sur l'évolution de la loi de 1990.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous en sommes capables comme parlementaires.
M. Nicolas About président de la commission des affaires sociales. Sinon, vous n'auriez pas été éligibles !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous n'avons pas besoin d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance.
La procédure du débat nous suffit pour aboutir à une modification de la loi de 1990.
Nous avions demandé, mais nous n'avons pas été suivis par la commission des lois, la suppression des articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, parce qu'ils n'y ont pas leur place.
Nous refusons aujourd'hui d'autoriser le Gouvernement à légiférer en catastrophe, par ordonnance
Je déplore vivement que la majorité des sénateurs, et sans doute des députés, n'aient pas le courage de dire que le Parlement ne peut accepter ce type de procédure. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Nicolas About président de la commission des affaires sociales. La gauche ne légiférera pas, elle, par ordonnance !
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Permettez-moi de vous faire part de mon étonnement.
En premier lieu, je suis surpris d'entendre qualifier de « grande loi » le texte de 1838. Si je comprends bien, une telle qualification tient à la longévité. Ainsi, la loi de 1938 serait une grande loi parce qu'elle a duré jusqu'en 1990 et celle de 1990, une petite loi, puisque quelques années plus tard il était déjà proposé de la modifier. Permettez-moi de rappeler, comme l'a fait mon collègue Milon, que la loi de 1838 est très largement une loi de sûreté. (M. Jean-Pierre Godefroy s'exclame.) J'aimerais savoir le nombre de personnes qui ont été incarcérées de manière irrégulière, attentatoire aux libertés, en application de la loi de 1838.
M. Nicolas About président de la commission des affaires sociales. Effectivement !
M. Jean-René Lecerf. Vous le voyez, mes chers collègues, je suis plus indulgent que vous avec la loi de 1990, que vous avez contribué à faire adopter.
M. Nicolas About président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jean-René Lecerf. On ne peut « contenter tout le monde et son père » dirai-je, en paraphrasant la morale d'une fable. Je ne sais que faire pour satisfaire nos collègues socialistes.
M. Nicolas About président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Jean-René Lecerf. En effet, ils nous expliquent que c'est le « véhicule » - c'est-à-dire le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance - qui pose problème, car il serait attentatoire aux intérêts des malades de traiter du problème de l'hospitalisation d'office dans un tel texte. Fort bien ! Nous leur donnons raison et nous décidons de retirer ces dispositions du texte.
M. André Vantomme. Elles ne sont pas retirées !
M. Jean-René Lecerf. J'y reviendrai !
Puis, ils réclament une réforme globale et extrêmement urgente de l'hospitalisation sous contrainte. Nous leur offrons l'opportunité d'une telle réforme, mais ils ne sont toujours pas satisfaits.
Je réfute l'affirmation selon laquelle il y a une incursion territoriale, fût-elle limitée, du ministère de l'intérieur dans le domaine de la santé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un projet de loi du ministère de l'intérieur !
M. Jean-René Lecerf. Tout d'abord, ce texte n'émane pas exclusivement du ministère de l'intérieur, loin s'en faut, puisque pas moins de cinq ministres ont été auditionnés par les commissions.
Ensuite, il me paraît relever des compétences naturelles du ministère de l'intérieur de s'occuper de la sécurité de ses concitoyens. (M. Jean-Pierre Godefroy s'exclame.) Mes chers collègues, si vous avez été amenés, en tant que maires, à annoncer à des parents l'assassinat de leur enfant, vous savez qu'aux yeux de la famille, peu importe que l'auteur de l'acte soit un criminel ou un malade mental !
Je m'étonne également des remarques qui ont été faites sur un prétendu imbroglio juridique. J'en suis encore à en rechercher l'esquisse de l'esquisse. Je suis rapporteur du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. La commission et moi-même ne vous proposerons des amendements aux articles 18 et 24 que si nous estimons qu'il est utile d'améliorer le texte de ces articles, et pas pour le plaisir.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous aurez bonne mine quand ils seront retirés en commission mixte paritaire !
M. Jean-René Lecerf. De deux choses l'une. Ou bien certaines dispositions ne peuvent plus être examinées par la commission mixte paritaire, l'ordonnance postérieure modifiera la loi antérieure et nous aurons toute opportunité au moment de l'examen du projet de loi de ratification de discuter des points qui n'auraient pas donné lieu à un débat démocratique, à savoir du problème de l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Ou bien le texte soumis à la commission mixte paritaire n'est pas définitif, et il sera loisible de le retirer afin de laisser se poursuivre et se conclure la négociation entre les pouvoirs publics, les malades, leur famille et les personnels de santé.
M. Jean-Pierre Godefroy. Et le Parlement !
M. Jean-René Lecerf. D'ailleurs, j'ai le sentiment que, dans ce cadre, nous sommes sur le point d'aboutir à un consensus. Cela me paraît, et de loin, le plus important. C'est pourquoi je voterai contre les amendements tendant à supprimer l'article 12.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il aurait été plus simple et plus démocratique de nous proposer un projet de loi ! Vous auriez témoigné moins de mépris pour le Parlement !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 6.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 86 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l'adoption | 158 |
Contre | 169 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. François Autain. C'était serré !
M. Jean-Pierre Godefroy. Cela devrait inciter le Gouvernement à réfléchir !
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par MM. Godefroy, Michel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le sixième alinéa (5°) de cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Il s'agit d'un amendement de repli, qui vise à empêcher la constitution d'un fichier national des soins sans consentement délivrés d'office.
C'est un nouveau fichier, qui viendra allonger la très importante liste de ceux qui existent déjà et dont les dysfonctionnements ne passent pas inaperçus, c'est le moins que l'on puisse dire ! Pour s'en convaincre, il suffit de consulter le rapport qui a récemment été remis au ministre de l'intérieur par de hautes autorités. Ce rapport décrit les nombreuses erreurs contenues dans les fichiers de police et de gendarmerie - la presse s'en est d'ailleurs fait l'écho.
Prises en compte par les autorités administratives, ces informations peuvent être la cause de véritables drames. Vous comprendrez qu'en matière de santé mentale le sujet est encore plus délicat.
Pour nous, il est évident que ce traitement national des données en matière d'hospitalisation d'office est loin d'apporter les garanties prétendues tant en ce qui concerne les personnes soignées ou hospitalisées sans leur consentement que s'agissant d'une éventuelle transgression du secret médical. Pour cela, il suffit de lire l'article 19 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.
En effet, si ce fichier n'enregistre que des données à caractère personnel en rapport avec la situation administrative des personnes ayant fait l'objet d'une hospitalisation d'office, il n'en reste pas moins que la police pourra consulter un fichier de personnes étant ou ayant été soignées ou hospitalisées d'office, ce qui est bien sûr inadmissible.
Non seulement le secret médical n'est pas préservé, mais de plus on imagine aisément comment ce fichier pourra être utilisé dès que se présentera le moindre problème de sécurité. Il est évident que toute personne y figurant sera considérée comme suspecte.
Je rappelle qu'il existe dans les départements des fichiers HOPSY qui sont accessibles à la police afin de l'aider à mener ses recherches, ce qui est logique. Il suffit simplement de passer par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS, et par le préfet.
On l'aura compris, le problème posé par ce fichier réside moins dans son contenu que dans le nombre et dans l'identité des acteurs pouvant accéder directement aux données à caractère personnel enregistrées ou pouvant les consulter. Ce qui est préoccupant, c'est que cette possibilité soit largement ouverte à tout un ensemble de personnes.
Le Sénat avait souhaité restreindre cet accès. L'Assemblée nationale l'a désavoué et en est revenu à la version initiale du Gouvernement, ce qui donne matière à réflexion.
Nous considérons, au contraire, qu'il faut garantir l'effectivité des principes de la loi du 27 juin 1990, notamment le principe selon lequel une personne hospitalisée sans consentement en raison de ses troubles mentaux conserve ses droits et ses devoirs de citoyens, sans que ses antécédents psychiatriques puissent lui être opposés - c'est l'article L. 3211-5 du code de la santé publique. Il faut également garantir l'effectivité des articles 226-13 et 226-14 du code pénal qui ont trait au secret professionnel.
C'est pourquoi nous vous demandons de supprimer ce fichier national.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission avait validé cette disposition dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Avec le changement de « véhicule » législatif, sa position n'a pas varié. Elle est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, ministre délégué. Je veux préciser qu'il ne s'agit pas de créer de toutes pièces un fichier.
En effet, il existe actuellement dans chaque département un fichier des personnes ayant fait l'objet d'une hospitalisation d'office. Ce fichier comporte des indications médicales auxquelles peuvent accéder le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales et le préfet. Tel est le droit en vigueur.
Nous souhaitons donc créer un fichier national tout simplement parce que les gens bougent : si l'on s'accorde à reconnaître depuis des décennies le bien-fondé de l'existence d'un fichier départemental, pourquoi serait-il illégitime de créer un fichier national à une époque où les déplacements entre les départements sont extrêmement nombreux ?
Je souligne que ce fichier ne sera pas aux mains des responsables de la sécurité publique. Il sera géré par le ministre de la santé, à l'exclusion de toute autre autorité gouvernementale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas de problème !
M. Philippe Bas, ministre délégué. De plus, ce fichier ne contiendra aucune information ayant trait au secret médical. Il se bornera à mentionner l'existence d'une hospitalisation d'office, à l'exclusion d'ailleurs de toute hospitalisation à la demande d'un tiers.
De surcroît, les informations qui pourront être données au préfet qui les solliciterait seront strictement des informations non couvertes par le secret médical.
J'ajoute que, comme c'est le cas pour les actuels fichiers départementaux dont vous n'avez par remis en cause la légitimité et qui s'étendent à l'hospitalisation à la demande d'un tiers alors que ce nouveau fichier ne concernera que l'hospitalisation d'office, les informations contenues dans ce nouveau fichier en sortiront au bout d'une période de cinq ans.
Par conséquent, il ne s'agit pas, comme c'est le cas par exemple pour le casier judiciaire, d'un système à vie : la personne guérie sortira « naturellement » du fichier.
En réalité, c'est vraiment un très mauvais procès qui est instruit contre cette disposition, car il s'agit d'une disposition pratique. Elle apportera, il est vrai, une valeur ajoutée dans le domaine de la sécurité, mais sans porter atteinte au respect de la vie privée des personnes ni au secret médical.
De plus, elle n'imposera pas des contraintes supérieures à celles qui existent déjà dans le cadre des fichiers départementaux - je rappelle une fois encore que les informations d'ordre médical que ces derniers contiennent sont accessibles au préfet et au directeur départemental, tandis que les informations non confidentielles du fichier national que nous souhaitons constituer à partir des fichiers départementaux seront en réalité strictement des informations n'ayant pas trait au secret médical.
Les informations que ce nouveau fichier contiendra sont beaucoup plus restreintes, ce qui va davantage dans le sens du respect de la vie privée des personnes.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Nous soutiendrons, bien sûr, l'amendement de nos collègues socialistes.
Encore un fichier : telle avait été ma première réaction lors de l'introduction de l'article 19 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Telle reste ma réaction aujourd'hui.
L'article 19, auquel on ne peut pas ne pas faire référence, vise à mettre en place un traitement national des données à caractère personnel sur le suivi et l'instruction des mesures d'hospitalisation d'office en adjonction des fichiers HOPSY, qui sont à l'heure actuelle sous la responsabilité des DDASS, mais qui ne sont pas consultables par les préfets.
L'objectif ici est donc de mettre en place un nouveau fichier national qui puisse, sous couvert de pouvoir être utilement utilisé dans le cas des demandes d'autorisation de détention d'arme, être consultable par des acteurs qui ne sont pas des acteurs de santé et qui, par conséquent, ne sont pas tenus par le secret professionnel.
L'hospitalisation d'office n'est pas en soi un facteur de délinquance - ceux qui représentent une menace pour autrui sont minoritaires et ils sont beaucoup plus fréquemment dangereux pour eux-mêmes - et de multiples fichiers existent déjà en matière de sécurité - fichier des infractions constatées, fichiers des empreintes génétiques en premier lieu. Aussi, nous considérons qu'il n'est pas opportun de créer un nouveau fichier.
C'est d'autant plus vrai que ledit fichier, nous l'avons souligné de façon unanime sur ces travées lors de la discussion en première lecture du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, reprenant en cela les critiques de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, n'apporte pas les garanties suffisantes, notamment parce que l'accès des professions non médicales et surtout du préfet de police et des agents a été rétabli à l'Assemblée nationale alors qu'il avait été supprimé au Sénat.
Il est au contraire indispensable de garantir le respect des principes de la loi du 27 juin 1990, notamment le principe selon lequel une personne hospitalisée sans consentement en raison de ses troubles mentaux conserve ses droits et ses devoirs de citoyen sans que ses antécédents psychiatriques puissent lui être opposés.
Je rappelle que la CNIL a récemment publié un communiqué intitulé : « Notre capital de protection de données est menacé ». Ce communiqué dénonce la vague législative qui tend à développer de manière irréversible - c'est le point le plus grave - les fichiers dans tous les domaines et insiste sur les risques que fait peser cette multiplication face au progrès technologique : « Le capital de notre identité et de notre vie privée est - souligne notre collègue M. Türk - chaque jour menacé. Il y a urgence à le préserver. Comme le capital environnemental de l'humanité, il risque, lui aussi, d'être si gravement atteint qu'il ne puisse être renouvelé. »
En tout état de cause, il serait aujourd'hui judicieux de s'en souvenir. Pour notre part, nous y sommes attentifs. C'est pourquoi nous voterons en faveur de cet amendement.