M. le président. L'amendement n° 12, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 12, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
À défaut de conclusion un mois après l'entrée en vigueur de la présente loi d'un avenant conventionnel, pris en application des articles L. 162-5 et L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, autorisant des médecins relevant de certaines spécialités, sous des conditions tenant notamment à leur formation, à leur expérience professionnelle, à la qualité de leur pratique et à l'information des patients sur leurs honoraires, à pratiquer de manière encadrée des dépassements d'honoraires pour une partie de leur activité, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale disposent, pendant un délai de quatre mois, de la faculté de modifier par arrêté à cet effet les dispositions de la convention nationale des médecins généralistes et spécialistes conclue le 12 janvier 2005.
Afin de faciliter l'accès à des soins à tarifs opposables, cet arrêté peut également modifier les tarifs et rémunérations de médecins relevant de certaines spécialités autorisés à pratiquer des dépassements, lorsque aucun dépassement n'est facturé, pour les rendre égaux aux tarifs applicables aux médecins qui ne sont pas autorisés à en pratiquer.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué. Cet amendement vise à reprendre une disposition qui, pour des raisons de procédure parlementaire, a été retirée par le Conseil constitutionnel de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.
Nous revenons donc devant vous, cette fois en respectant la procédure et en obéissant à un seul impératif.
Un accord est intervenu entre les syndicats de médecins et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie en 2004 - accord auquel le Gouvernement n'est pas partie - aux termes duquel est prévue la création d'un secteur optionnel pour les médecins.
Grâce à la création de ce secteur optionnel, dans les années à venir, nos compatriotes pourront continuer à trouver en dehors du secteur 2 des chirurgiens qui les prennent en charge avec toutes les garanties de couverture qui existent.
Par ailleurs, nous discutons aujourd'hui avec les organismes complémentaires pour nous assurer que les prises en charge seront effectivement plus importantes dans ce secteur optionnel que dans le cadre du secteur 2.
Il s'agit donc d'une avancée que nous voulons pouvoir proposer aux médecins, mais aussi aux assurés sociaux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La commission émet un avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Avec cet amendement, réapparaît un article adopté lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, mais censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 14 décembre dernier.
Ce jour-là, le Conseil a censuré pas moins de vingt articles de la loi de financement de la sécurité sociale. C'est sans précédent et c'est un désaveu pour le Gouvernement !
Vous avez choisi de voir le verre « à moitié plein » et vous avez constaté que ces censures étaient essentiellement motivées par des questions formelles.
Pourtant, ces questions de forme ne sont pas anodines tant depuis cinq ans les gouvernements successifs n'ont eu de cesse de maltraiter le Parlement : toutes les méthodes ont été utilisées pour forcer la main à l'Assemblée nationale et au Sénat. La censure du Conseil constitutionnel vaut, selon nous, rappel à l'ordre.
Concernant le contenu de l'amendement, nous avions voté contre lors de son examen dans le cadre du PLFSS ; nous voterons de nouveau résolument contre. En effet, l'objectif visé à travers cet amendement est d'autoriser les dépassements d'honoraires, d'abord pour les chirurgiens et, demain certainement, pour l'ensemble des praticiens de santé.
Avec cet amendement, le Gouvernement passe au niveau supérieur en matière de manoeuvres électoralistes et de pratiques délétères vis-à-vis de l'assurance maladie. Le secteur 2, qui existe depuis des années, est trop souvent la règle pour certaines spécialités, notamment la chirurgie, et le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas régulé.
Pour y remédier, vous jugez préférable d'ouvrir à l'ensemble des chirurgiens un secteur à honoraires libres, plutôt que de les encourager à revenir vers le secteur conventionné. C'est le début de la fin des tarifs opposables.
Finalement, ce sont bien les assurés sociaux qui devront payer ces dépassements d'honoraires. Les organismes complémentaires seront autorisés à compenser la différence entre le tarif demandé par le chirurgien et celui qui est remboursé par la sécurité sociale ; ils n'auront donc pas d'autre choix que d'augmenter leurs tarifs, en raison des charges supplémentaires qu'ils auront à assumer, privant ainsi un nombre de plus en plus important de Français de l'accès à une couverture complémentaire.
Par ailleurs, et comme le président de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'UNCAM, l'a souligné, le Gouvernement s'immisce directement dans la discussion entre les partenaires sociaux, ce qui va à l'encontre de ses proclamations si souvent répétées sur la nécessité du dialogue social.
Vous le savez parfaitement, monsieur le ministre, votre amendement ouvre la porte à une hausse continue du coût des soins, car non seulement il sera difficile de restreindre cette mesure à une seule spécialité, mais elle alimentera aussi les revendications de ceux qui n'en bénéficieront pas.
Je rappelle que, déjà au mois de septembre, trois syndicats de médecins libéraux - l'Union des chirurgiens de France, l'UCDF, l'Association des anesthésistes libéraux, l'AAL, et le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France, le SYNGOF - ont recommandé à leurs adhérents de pratiquer des dépassements d'honoraires illégaux pour protester contre une revalorisation de leurs honoraires qu'ils estiment insuffisante.
Vous mettez le doigt dans un engrenage destructeur pour la sécurité sociale, et tous les efforts pour en réduire le déficit seront vains, mais ce n'est pas la première fois que le Gouvernement prend des dispositions contraires aux objectifs vertueusement affichés.
En conclusion, je tiens à souligner que l'absence de mesures prises contre les médecins qui refusent de soigner les personnes éligibles à la couverture maladie universelle ne nous encourage pas à voter un tel amendement, qui, en fait, aggravera la situation des bénéficiaires de la CMU.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est certain !
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Je ferai d'abord une observation de forme.
Monsieur le ministre, votre intérêt est d'essayer d'éviter la censure du Conseil constitutionnel. L'amendement que vous nous proposez vise à modifier certains articles du code de la sécurité sociale. Or, si je me réfère à l'intitulé de ce projet de loi,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela va changer !
M. François Autain. ...même en tenant compte par avance de la modification que souhaite y apporter la commission, j'observe que ce texte a pour objet de modifier le code de la santé publique et non pas le code de la sécurité sociale. Peut-être cela n'a-t-il pas d'importance, mais je tenais à signaler cette discordance.
Sur le fond, il n'y a rien à ajouter à ce que nous disions lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les raisons qui nous ont alors conduits à voter contre cet amendement sont les mêmes aujourd'hui. Permettez-moi de les résumer.
Tout d'abord, nous sommes par principe opposés à ce que le Gouvernement s'immisce, comme il le fait brutalement, de manière autoritaire, pour quelque raison que ce soit, dans la négociation conventionnelle tripartite qui est actuellement en cours. Cette intervention intempestive du Gouvernement est d'ailleurs désapprouvée par le conseil d'orientation de l'UNCAM et son président, M. Michel Régereau.
Par ailleurs, nous ne nions pas qu'il existe un problème relatif aux rémunérations des chirurgiens, et il faudra bien le résoudre si nous voulons que cette spécialité sinistrée redevienne attractive. Toutefois, ne le réglons pas au détriment des malades.
La crainte que je formule aujourd'hui est d'autant plus justifiée que le Gouvernement intervient de cette façon pour interrompre les négociations, en tout cas, pour leur fixer un terme, afin qu'une décision puisse être prise avant les futures échéances électorales.
Cette intervention du Gouvernement est donc éminemment électoraliste et je doute qu'il fasse aujourd'hui confiance à l'UNCAM et à l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire, l'UNOCAM, pour régler ce problème dans l'intérêt des professionnels concernés. Il veut à tout prix procéder à l'augmentation d'honoraires que demandent les chirurgiens pour que ceux-ci soient dans une meilleure disposition lorsqu'il s'agira de se prononcer lors des futures échéances électorales.
Si, réellement, la préoccupation du Gouvernement avait été de préserver l'intérêt des malades et de garantir l'accès aux soins de tous, notamment des plus démunis, dans des conditions égales, je pense qu'il n'aurait pas eu besoin de recourir à cette procédure législative. Il n'avait aucune raison d'interrompre la négociation conventionnelle en cours et il avait tout intérêt à faire confiance aux interlocuteurs des syndicats, à savoir l'UNCAM et l'UNOCAM.
Enfin, monsieur le ministre, en voulant donner satisfaction à une catégorie de spécialistes, je crains que vous n'ouvriez la boîte de Pandore et qu'il ne vous soit ensuite très difficile d'interdire cette option conventionnelle aux autres spécialistes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est sûr !
M. François Autain. Cela va entraîner une augmentation généralisée des honoraires de spécialistes, augmentation que vous ne serez pas en mesure de rembourser convenablement et, comme d'habitude, les patients en seront les victimes.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons accepter un tel amendement, d'autant que cette option conventionnelle n'a jamais suscité notre enthousiasme. En effet, nous sommes convaincus que l'objectif final est de remplacer les secteurs 1 et 2 par un supersecteur 2,...
M. Jean-Pierre Godefroy. Bien sûr !
M. François Autain. ...où les spécialistes auront la possibilité de pratiquer les honoraires qui leur conviennent, avec un remboursement minimal, et de cela, nous ne voulons pas !
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est exactement ça !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 12.
L'amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 12, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Après l'article L. 161-36-2-1, il est inséré un article L. 161-36-2-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 161-36-2-2. - I. - Les professionnels de santé accèdent au dossier médical personnel d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, en présence d'une situation comportant un risque immédiat pour sa santé, sauf si cette personne avait auparavant manifesté son opposition expresse à ce que son dossier soit consulté ou alimenté dans une telle situation.
« Le médecin régulateur du centre de réception et de régulation des appels d'aide médicale urgente mentionné à l'article L. 6112-5 du code de la santé publique, qui reçoit un appel concernant une personne accède, sauf si cette personne avait auparavant manifesté son opposition expresse à ce que son dossier soit consulté dans une telle situation, au dossier médical personnel de celle-ci.
« II. - Le professionnel de santé recueille, après avoir informé la personne concernée, son consentement pour qu'un autre professionnel de santé à qui il serait nécessaire de confier une partie de la prestation accède à son dossier médical personnel et l'alimente. » ;
2° L'article L. 161-36-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il détermine également les modalités de fixation de la tarification applicable aux hébergeurs mentionnés à l'article L. 161-36-1, au regard des missions qui leur sont confiées pour la gestion du dossier médical personnel. » ;
3° Après l'article L. 161-36-4 sont insérés deux articles ainsi rédigés :
« Art. L. 161-36-4-1. - Le décret prévu à l'article L. 161-36-4 fixe les conditions dans lesquelles les informations contenues dans le dossier médical personnel contribuent à alimenter le carnet de santé prévu à l'article L. 2132-1 du code de la santé publique.
« Art. L. 161-36-4-2. - Afin de favoriser la coordination, la qualité, la continuité des soins et la sécurité de la dispensation des médicaments, produits et objets définis à l'article L. 4211-1 du code de la santé publique, il est créé, pour chaque bénéficiaire de l'assurance maladie, avec son consentement, un dossier pharmaceutique dont les informations alimentent le dossier médical personnel mentionné à l'article L. 161-36-1, dans des conditions précisées par le décret prévu à l'article L. 161-36-4.
« Sauf opposition du patient quant à l'accès du pharmacien à son dossier pharmaceutique et à l'alimentation de celui-ci, tout pharmacien d'officine est tenu d'alimenter le dossier pharmaceutique à l'occasion de la dispensation.
« La mise en oeuvre du dossier pharmaceutique est assurée par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens mentionné à l'article L. 4231-2 du code de la santé publique. »
II. - Le dernier alinéa de l'article L. 4231-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Il organise la mise en oeuvre du dossier pharmaceutique mentionné à l'article L. 161-36-4-2 du code de la sécurité sociale. »
III. - Après le troisième alinéa de l'article L. 1111-8 du code de la santé publique sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La détention et le traitement sur des supports informatiques de données de santé à caractère personnel par des professionnels de santé, des établissements de santé ou des hébergeurs de données de santé à caractère personnel sont subordonnés à l'utilisation de systèmes d'information conformes aux prescriptions adoptées en application de l'article L. 1110-4 et répondant à des conditions d'interopérabilité arrêtées par le ministre chargé de la santé.
« Les professionnels et établissements de santé peuvent, par dérogation aux dispositions de la dernière phrase des deux premiers alinéas du présent article, utiliser leurs propres systèmes ou des systèmes appartenant à des hébergeurs agréés, sans le consentement exprès de la personne concernée dès lors que l'accès aux données détenues est limité au professionnel de santé ou à l'établissement de santé qui les a déposées, ainsi qu'à la personne concernée dans les conditions prévues par l'article L. 1111-7 du code de la santé publique. ».
IV. - Sauf lorsqu'elle s'applique à des demandes d'agrément portant sur l'hébergement des dossiers médicaux personnels prévus à l'article L. 161-36-1 du code de la sécurité sociale, la procédure d'agrément prévue à l'article L. 1111-8 du code de la santé publique est suspendue pendant une période de deux ans à compter de la publication de la présente loi.
Pendant le délai de deux ans prévu à l'alinéa précédent, toute personne peut exercer l'activité d'hébergement de données de santé à caractère personnel, autres que celles constituant le dossier médical personnel prévu à l'article L. 161-36-1 du code de la sécurité sociale, à condition de satisfaire aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. La poursuite de cette activité au-delà de la période transitoire est subordonnée au dépôt d'une demande d'agrément avant l'expiration de ladite période. L'activité d'hébergement peut alors être poursuivie jusqu'à ce qu'il soit statué sur cette demande.
La dérogation prévue au cinquième alinéa de l'article L. 1111-8 du code de la santé publique, tel que résultant du III ci-dessus, entre en vigueur à compter de la période de suspension de deux ans mentionnée au premier alinéa du présent paragraphe.
V. - Après l'article L. 1111-8 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-8-1. - Un identifiant de santé des personnes prises en charge par un professionnel de santé ou un établissement de santé ou dans le cadre d'un réseau de santé défini à l'article L. 6321-1 est utilisé, dans l'intérêt des personnes concernées et à des fins de coordination et de qualité des soins, pour la conservation, l'hébergement et la transmission des informations de santé. Il est également utilisé pour l'ouverture et la tenue du dossier médical personnel institué par l'article L. 161-36-1 du code de la sécurité sociale et du dossier pharmaceutique institué par l'article L. 161-36-4-2. Un décret, pris après avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe le choix de cet identifiant ainsi que ses modalités d'utilisation. ».
VI. - L'article 5 de la loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie est abrogé.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Bas, ministre délégué. Cet amendement qui a trait au dossier médical personnel, le DMP, vise à en permettre la généralisation rapide.
Il prévoit par ailleurs la possibilité d'un accès en urgence au dossier médical personnel par les SAMU.
Il permettra également de préalimenter le dossier médical personnel à partir des données du pharmacien. Il est très important d'enrichir le dossier médical personnel afin de lutter contre l'iatrogénie.
Il a aussi pour objet d'établir des liens avec le carnet de santé de l'enfant, qui est un instrument très efficace qu'il faut absolument préserver.
Enfin, il vise à introduire un article qui permettra simultanément la généralisation du dossier médical personnel à partir de l'été prochain et la poursuite des expérimentations afin d'améliorer encore ce système en cours de généralisation, dès le milieu de l'année prochaine. La dynamique régionale est en effet essentielle pour progresser rapidement dans ce domaine.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Favorable.
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. L'amendement présenté aujourd'hui par le Gouvernement est, comme le précédent, un « cavalier législatif », quel que soit, d'ailleurs, le véhicule emprunté : il s'agit non pas de « réglementer les professions de santé » mais de reprendre un article de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 censuré le 14 décembre dernier par le Conseil constitutionnel et tendant à la mise en oeuvre du DMP, méthode dont la constitutionnalité est très discutable.
En remettant cette disposition à l'ordre du jour, vous avez en tout cas manqué l'occasion de revenir sur un mécanisme à haut risque pour les libertés individuelles, parce qu'il fait l'économie d'une réflexion sur les modalités pratiques. C'est faire preuve, pour reprendre les termes employés par la Ligue des droits de l'homme, la LDH, l'association AIDES de lutte contre le sida et le collectif DELIS, Droits et libertés face à l'informatisation de la société, dans un récent communiqué de presse, d'une « inquiétante désinvolture ».
Tout d'abord, faire le choix du NIR, le numéro de sécurité sociale, comme identifiant unique est très préoccupant. On ne sait pas très bien le nombre de fichiers et d'applications qui utilisent ce numéro d'identification. Le Collectif interassociatif sur la santé, le CISS, a d'ailleurs demandé à la CNIL d'en faire l'inventaire. On sait en revanche qu'il est utilisé aujourd'hui non seulement pour la gestion des droits sociaux et des cotisations par les employeurs et la sécurité sociale mais aussi dans la sphère fiscale, permettant donc déjà des interconnexions douteuses.
La pétition « Pas touche à mon numéro de sécu ! » a recueilli, en quinze jours, près de 7 500 signatures. Les arguments tels que « c'est plus commode », « ça facilite la vie des gens », « ça optimise la gestion » ne convainquent donc pas les citoyens, car l'on constate que le passe-partout idéal peut justement tout laisser passer dans un domaine où le risque de porosité et d'interconnexions devrait tendre vers zéro.
J'en veux pour preuve les leçons que l'on peut tirer des expérimentations relatives au DMP.
Premièrement, elles ont pu montrer que l'inviolabilité des données est tributaire du niveau de sécurité des émetteurs - cabinets médicaux, hôpitaux. Or les contrôles effectués régulièrement par la CNIL dans les établissements hospitaliers ont montré de sérieux défauts de sécurisation de leur système informatique.
Deuxièmement, ces expérimentations relatives au DMP ont également montré que les hébergeurs eux-mêmes ne pouvaient garantir l'inviolabilité des données. On a appris récemment qu'une faille de sécurité majeure chez l'un des hébergeurs - Santénergie, pour ne pas le nommer - concernait plus d'un quart des dossiers !
Troisièmement, enfin, on a découvert que les techniques d'identification des professionnels de santé posaient également problème.
À ce propos, les dispositions qui visent, en situation de risque immédiat, à permettre à un médecin, via un médecin régulateur, d'avoir accès au DMP sans le consentement de la personne posent problème en pratique : quelles garanties a-t-on que la personne à laquelle le médecin régulateur donne les informations par téléphone soit réellement le professionnel de santé ? En effet, ce dernier est amené à s'identifier uniquement par son numéro ADELI, numéro accessible à tous puisqu'il figure sur toute feuille de maladie !
Pourtant, des solutions techniques existent, qui permettraient d'avoir un système bien plus fiable du point de vue de la sécurisation des données et respectueux de la protection de la vie privée contre les risques ultérieurs d'interconnexion de fichiers. Le système dit du « double hachage » qui a notamment pu être mis en oeuvre pour la déclaration obligatoire de certaines maladies tel le VIH, le virus de l'immunodéficience humaine, a fait ses preuves et permettrait de mettre en place un numéro d'identité santé distinct du NIR. C'est ce que demandent la LDH, AIDES et DELIS, de même que les associations de patients représentées par le CISS.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite dire un mot de la configuration du dossier pharmaceutique telle qu'elle résulte du texte.
Il est prévu en effet une alimentation automatique par le pharmacien au moment de la dispensation, sauf opposition expresse du patient. Or nous sommes très attachés au droit de masquage des données par le patient, qui ne s'articule pas avec cette alimentation automatique. À quoi sert, par exemple, pour le patient de masquer son VIH si, par ailleurs, figure un antirétroviral dans son dossier pharmaceutique ?
Toutes ces interrogations devraient aujourd'hui nous conduire à l'attitude la plus raisonnable, c'est-à-dire au rejet d'un dispositif trop fragile dans un domaine qui ne peut pas souffrir l'approximation.
C'est pourquoi le groupe CRC votera contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Comme vient de le rappeler M. Autain, l'amendement n° 13 est le deuxième que le Gouvernement a déposé pour réintroduire un article censuré par le Conseil constitutionnel.
Bien évidemment, nous ne le voterons pas, car nous avons quelques inquiétudes quant à l'utilisation du numéro de sécurité sociale, le NIR, comme numéro d'identification du dossier médical personnel, ou DMP.
Le dossier médical personnel a été institué pour offrir à chacun une chance d'être mieux soigné. Selon nous, le DMP ne doit pas comporter un risque accru d'atteinte à la protection des libertés individuelles pour parvenir à cet objectif. C'est la raison pour laquelle vous aviez vous-même envisagé un numéro d'identification spécifique pour le DMP en 2004.
L'utilité sociale du DMP et son acceptabilité ne seront assurées que si celui-ci recueille la confiance pleine et entière des patients. Or, à notre avis, l'usage du numéro de sécurité sociale comme identifiant du DMP ne pourrait que fragiliser cette confiance.
En effet, à la différence d'un numéro d'identification « santé » propre, ce numéro est « transparent » et facile à reconstruire à partir de simples informations portant par exemple sur la date et le lieu de naissance d'une personne. Jusqu'à présent, ses usages ont été très limités et encadrés par les pouvoirs publics et la CNIL, car il constitue l'outil idéal pour croiser des données et interconnecter des fichiers sur une même personne.
Voilà trente ans, la réaction de l'opinion publique avait permis le rejet du projet de « Système automatisé des fichiers administratifs et du répertoire des individus », ou projet SAFARI, visant à interconnecter des fichiers administratifs avec le numéro de sécurité sociale comme identifiant. Depuis, de nombreuses propositions d'extension de l'usage de ce NIR ont été régulièrement présentées, et rejetées. Créée en 1978 en réponse au projet SAFARI, la CNIL a été l'outil de la préservation d'une sphère privée en matière d'interconnexion des fichiers de gestion administrative.
Ce principe de non-rapprochement des données est l'un des fondements de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui protège la sphère privée en lui ménageant un espace vital vis-à-vis des acteurs publics ou privés, notamment l'État, les employeurs ou les assureurs.
La volonté de ne pas utiliser le NIR au-delà de la gestion des droits ouverts dans les organismes de sécurité sociale est devenue le symbole politique du droit des citoyens au respect de la sphère privée. La décision d'une extension importante de son utilisation à d'autres usages serait le symbole politique d'une rupture consistant à faire passer le respect de la sphère privée au second plan des préoccupations de l'État.
Dans un contexte où une politique de sécurité digne de ce nom en matière de données de santé informatisées est loin d'être atteinte, et sachant que les données de santé parmi les plus intimes et les plus sensibles d'une personne sont et demeureront extrêmement convoitées, il convient d'écarter tout risque d'usurpation ou d'accès non autorisé à ces données que l'usage du numéro de sécurité sociale pourrait favoriser ou renforcer.
La protection absolue des données personnelles est d'autant plus nécessaire que la politique de sécurité en matière de données de santé informatisées est régulièrement prise en défaut, comme en témoigne la récente révélation d'une faille de sécurité majeure chez l'un des hébergeurs lors des expérimentations du DMP.
En outre, et cela nous a été indiqué par plusieurs organisations, il existe une autre solution fiable pour identifier sans risque d'erreur le DMP et les autres dossiers personnels de santé. En effet, il semble bien qu'un identifiant « santé » propre à chaque personne puisse être créé à partir du NIR par un procédé de chiffrement irréversible. Avec cette anonymisation du NIR, on obtient alors un numéro d'identité « santé » non signifiant qui ne permet pas l'identification indirecte de la personne à laquelle il se rapporte par rapprochement avec d'autres données la concernant. Cette solution aurait le double avantage de fournir un identifiant « santé » totalement fiable et d'écarter tout risque de rapprochement non autorisé de données personnelles.
Depuis que le Gouvernement a présenté cet amendement, de nombreuses voix se sont élevées contre l'usage du NIR comme identifiant « santé » et en faveur de l'adoption d'un identifiant propre aux données personnelles de santé distinct du NIR. Ainsi, des milliers de personnes ont d'ores et déjà signé l'appel « Pas touche à mon numéro de Sécu ! ». Par ailleurs, dans un communiqué du 13 décembre 2006, le collectif interassociatif sur la santé, le CISS, déclare que le NIR « ne peut pas être une clé d'accès au DMP ». Il confirme de même la nécessité de créer un identifiant unique et fiable de patient, ou IUFP, distinct du NIR.
Considérant que l'information médicale doit demeurer un sanctuaire pour l'intimité de la personne, nous voterons contre le présent amendement. En effet, chaque individu est seul « propriétaire » légitime de cette information et doit pouvoir décider avec qui il veut la partager, notamment son médecin.
Mes chers collègues, dans cet esprit, nous ferions bien de refuser l'amendement, non pas pour manifester un rejet de principe du DMP, mais pour nous opposer à l'identifiant prôné par le Gouvernement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 12.