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Convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (nos 292, 369).
Dans la discussion générale, la parole est Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est riche d'un important patrimoine culturel immatériel. Elle s'est engagée de longue date pour en effectuer un inventaire scientifique, le sauvegarder et en assurer le respect, ainsi que pour sensibiliser le public à son importance. La mission à l'ethnologie, les « ethnopôles » et les différents acteurs de la société civile contribuent à mettre en oeuvre cette politique, dont les productions scientifiques et les résultats sont reconnus aujourd'hui dans le monde entier.
Pourtant, la protection du patrimoine culturel immatériel reste une dimension méconnue de l'action publique. L'expression même ne nous est pas familière. Notre pays a longtemps préféré celle de « patrimoine ethnologique », consacrée par la création en 1980 du Conseil du patrimoine ethnologique. D'autres États utilisent des terminologies différentes.
Adoptée à l'UNESCO le 17 octobre 2003 et entrée en vigueur le 20 avril 2006, la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel a donc pour premier mérite de créer un cadre universel de compréhension et de coopération pour ces politiques.
Elle définit de manière opératoire le patrimoine culturel immatériel comme « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel ».
Cette définition s'applique aux traditions et expressions orales - y compris la langue -, aux arts du spectacle, aux pratiques sociales, rituels et événements festifs, aux connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers, aux savoir-faire liés à l'artisanat traditionnel, toutes formes d'expression culturelle souvent fragiles ou menacées de disparition.
La convention prévoit également que les États parties élaborent des inventaires nationaux des biens à protéger, et leur propose une palette d'instruments pour sauvegarder et valoriser le patrimoine culturel immatériel et en assurer la reconnaissance, avec la participation des communautés concernées. Les engagements souscrits sont compatibles avec les engagements relatifs aux droits de la propriété intellectuelle ou à l'usage des ressources biologiques et écologiques.
Cette convention n'ajoute aucune contrainte à ce que notre pays fait déjà, mais elle inscrit et valorise son action dans un cadre multilatéral reconnu. La ratification n'implique donc aucune modification de notre droit. Elle constituera en revanche un pas supplémentaire dans la reconnaissance de ce patrimoine dans notre pays et illustrera notre forte implication dans la défense de la diversité culturelle.
Plus globalement, cette convention marque également un jalon important pour compléter le droit international du patrimoine, dont l'UNESCO est la source et le garant et auquel nous sommes traditionnellement très attachés.
Sa négociation a répondu à la demande d'États du Sud, notamment africains et océaniens, qui se reconnaissent peu dans les dispositions de la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972, convention qui n'appréhende le patrimoine culturel que sous l'angle du patrimoine bâti, au détriment d'une conception plus large.
La dimension immatérielle du patrimoine, qui est à la fois la plus fondamentale et la plus vulnérable, méritait que l'on consacre à ce patrimoine un instrument international à part entière. C'est désormais chose faite, et le Président de la République, dont vous connaissez l'engagement en faveur de la diversité culturelle, a salué à l'UNESCO cette convention qui « rend hommage à des peuples trop souvent ignorés, des peuples qui disparaissent, année après année, dans l'indifférence de l'humanité, des peuples pourtant dépositaires d'expériences irremplaçables pour notre avenir, ces peuples Premiers qu'il est urgent de protéger, de respecter et de rétablir dans leurs droits. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que la représentation nationale saura reconnaître à son tour l'importance de ce texte. En autorisant sa ratification rapide, vous illustrerez notre constance dans nos engagements. Vous enverrez aux cinquante-deux États membres de l'UNESCO, qui l'ont déjà approuvée, un message de solidarité de la France, et vous manifesterez notre intérêt pour la défense de la diversité culturelle sous toutes ses formes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la convention que nous examinons aujourd'hui porte sur un sujet que d'aucuns pourraient qualifier d'énigmatique : le « patrimoine culturel immatériel ».
L'assemblée générale de l'UNESCO a adopté ce texte en 2003 afin de compléter la notion de « patrimoine culturel mondial », telle que définie par la convention de 1972. Cette convention a eu, vous le savez, un impact déterminant pour la protection de sites naturels ou bâtis, dont la liste est périodiquement complétée.
Cependant, certaines civilisations s'expriment par des types de création autres que les oeuvres bâties, je pense en particulier aux langues.
C'est pour prendre en compte leurs réalisations qu'a été élaborée la présente convention : elle vise à protéger le patrimoine culturel immatériel, défini comme « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire que des communautés et des groupes reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel ».
La négociation de ce texte a répondu à la demande d'États du Sud, notamment africains et océaniens, qui souhaitaient promouvoir une conception plus large du patrimoine culturel, incluant une dimension « immatérielle » qui traduit la vulnérabilité de ce patrimoine.
La convention vise donc à répondre à ce voeu et à distinguer des expressions culturelles différentes. La France est à la pointe de cette conception élargie de la sphère culturelle, comme l'a souligné le Président Jacques Chirac devant la dernière conférence générale de l'UNESCO, saluant un instrument juridique qui « rend hommage à des peuples trop souvent ignorés, des peuples qui disparaissent alors qu'ils sont dépositaires d'expériences irremplaçables pour notre avenir, ces peuples Premiers qu'il est urgent de protéger, de respecter et de rétablir dans leurs droits ».
C'est une coïncidence particulièrement heureuse, me semble-t-il, que l'examen de cette convention sur le patrimoine immatériel se déroule très exactement une semaine après l'inauguration par le Président de la République du musée consacré aux Arts premiers, quai Branly. L'ouverture de ce musée prouve à elle seule tout l'intérêt que notre pays attache à ces formes d'expression artistiques ou culturelles, diverses et multiples, spontanées ou raisonnées, à leur continuité et à leur préservation.
Ce texte, enfin, complète et parachève l'édifice conventionnel et normatif de l'UNESCO dans le domaine de la préservation du patrimoine culturel comme dans celui, parfaitement complémentaire, de la diversité culturelle.
La convention est d'ores et déjà entrée en vigueur en avril 2006, trois mois après qu'elle eut été ratifiée par trente États.
La France a pesé de tout son poids dans les négociations qui ont abouti au présent texte pour une définition la plus rigoureuse possible de la notion de patrimoine immatériel, soulignant la nécessité que les expressions ainsi distinguées aient bien un caractère de tradition continue et toujours vivante parmi les populations qui les pratiquent.
La notion de patrimoine immatériel vise donc, dans un souci de préservation de la diversité culturelle mondiale, à distinguer des oeuvres relevant autant de l'ethnologie que de la culture au sens occidental du terme.
Rappelons également que les travaux de l'école ethnologique française ont beaucoup contribué à l'évolution du regard occidental sur le contenu de la notion de « culture », jusqu'alors confinée dans les limites d'une approche artistique classique et conventionnelle.
Mes chers collègues, l'examen de ces éléments positifs a conduit la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à vous recommander, à l'unanimité, l'adoption du présent projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, notre époque est caractérisée par le changement et les innovations technologiques.
Dans ce contexte, la culture populaire rurale et urbaine ainsi que ses sujets d'étude se transforment rapidement.
Selon les termes du communiqué final de la déclaration adoptée à Istanbul par les États participant à la table ronde de l'UNESCO, les 16 et 17 septembre 2002, « le patrimoine culturel immatériel constitue un ensemble vivant et en perpétuelle recréation de pratiques, de savoirs et de représentations, qui permet aux individus et aux communautés, à tous les échelons de la société, d'exprimer des manières de concevoir le monde à travers des systèmes de valeurs et des repères éthiques ».
Il comprend « les traditions orales, les coutumes, les langues, la musique, la danse, les rituels, les festivités, la médecine et la pharmacopée traditionnelles, les arts de la table et les savoir-faire ».
Ce patrimoine, fondé sur la tradition et transmis oralement ou par imitation, dénommé patrimoine ethnologique, présente tout à la fois un caractère intangible et un renouvellement constant dans ses formes d'expression.
Il est l'affirmation d'une culture traditionnelle et populaire et un garant de la diversité culturelle.
Il est, en raison de sa précarité, soumis au risque de disparition, d'où l'enjeu des inventaires, des travaux de recherches et d'études et de valorisation permanente grâce à tous les moyens que les technologies modernes de fixation et de conservation permettent.
Il est essentiel de préserver ces traditions pour faciliter la prise de conscience, chez chacun de nous, de notre culture première - pour reprendre un mot à la mode -, de notre enracinement et des pratiques culturelles vivantes qu'elles alimentent, à condition d'être des tremplins.
Des actions bien ciblées doivent donc être appliquées pour interpréter de façon efficace la mémoire d'un peuple : le patrimoine ethnologique comme le patrimoine archéologique doivent être révélés, conservés et transmis dans le cadre d'une politique cohérente conduite à l'échelle nationale comme sur le plan international.
Ministères, municipalités, organismes spécialisés ou pas, entreprises et particuliers doivent être concernés par la protection du patrimoine matériel et immatériel, par l'ethnologie et ses découvertes comme par l'interprétation faite de cet héritage.
Les ressources ethnologiques du patrimoine immatériel mettent en évidence l'importance qu'il il y a à se pencher sur un aspect du patrimoine culturel encore mal exploré.
En effet, le patrimoine immatériel doit être connu et mis en valeur pour diversifier les compétences des régions.
L'étude et la mise en valeur du patrimoine immatériel visent le maintien et le développement des cultures régionales, nationales et planétaires, la préservation de leur identité et de leur diversité.
Si, pendant longtemps, l'identité a été définie à partir des traditions immatérielles propres à une culture - la langue, les coutumes, les croyances, les rites, notamment -, ou d'éléments provenant de soi, elle est maintenant de plus en plus souvent considérée comme découlant aussi de l'Autre, c'est-à-dire d'emprunts faits à d'autres cultures.
Aujourd'hui, il faut donner toute leur place à ces patrimoines métissés face au danger du repli sur soi et aux développements, guerriers ou violents, donnés aux conflits politiques.
Il est nécessaire que l'effort public favorise la diffusion des connaissances du patrimoine ethnologique et la mise à jour de la discipline par sa contribution financière ou par son soutien logistique à l'occasion de la réalisation d'enquêtes, de recherches, d'inventaires et de publications diverses.
L'enquête ethnologique de terrain contribue à nourrir et à revitaliser les archives, qui jouent un rôle crucial dans la préservation à long terme des résultats de collecte, car elles détiennent une expertise unique dans ce domaine.
Ces données et ces archives, en permettant l'étude de la formation historique des identités culturelles, individuelles et collectives, conduisent à l'observation et à l'étude de ces identités dans leur dynamique contemporaine.
L'attention, si elle se porte tout particulièrement sur une réalité, permet aussi une démarche comparative afin de ne pas enfermer l'interprétation dans un seul système référentiel.
Ce décloisonnement est renforcé par une démarche résolument interdisciplinaire impliquant un véritable dialogue et une collaboration efficace entre plusieurs disciplines afin d'explorer de nouvelles voies théoriques, méthodologiques et analytiques pour une ethnologie de l'identité et de la diversité culturelle.
Cette double attitude, comparatiste et interdisciplinaire, est incontestablement la marque distinctive de la recherche.
Ces caractéristiques propres permettent de prendre une part très active, à l'échelle internationale, aux grands débats qui animent aujourd'hui les sciences humaines et sociales.
C'est pourquoi nous considérons qu'il est nécessaire d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article unique.
Mme Catherine Tasca. Le présent projet de loi ne saurait se lire et s'apprécier isolément. Il est important de l'inscrire dans l'ensemble des textes qui sont soumis au Sénat ce matin.
Nous avons tous entendu tout à l'heure l'appel à la vigilance de notre collègue Jack Ralite sur l'évolution du monde.
Il a rappelé à juste titre que, aujourd'hui, la culture n'est pas toujours au centre des préoccupations, non seulement des politiques, mais aussi des peuples.
Sur tous les continents, les peuples sont aujourd'hui assaillis par des questions de survie, par des difficultés matérielles très difficiles à surmonter. On ne peut donc pas s'attendre à ce qu'ils donnent spontanément la priorité à la défense de leur culture, matérielle et immatérielle.
Ce texte, en ce qu'il consacre la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, revêt à nos yeux une importance toute particulière.
D'abord, il apporte une réponse magnifique au matérialisme croissant de notre univers et à la marchandisation qui occupe tous les espaces, y compris celui des expressions culturelles.
Ensuite, il constitue, je le crois, une défense utile contre un ethnocentrisme très largement présent sur la planète, en tout cas dans notre région du monde. Il est aussi un appel au respect des autres cultures dans ce qu'elles ont de plus fragile, c'est-à-dire des savoir-faire, des traditions, des us et coutumes qui sont sans doute les premiers exposés au grand vent du matérialisme.
Cette convention est une défense contre l'ethnocentrisme et un appel à la solidarité auquel nous sommes très attachés. C'est une des raisons pour lesquelles notre groupe votera ce texte.
Enfin, s'agissant de la politique culturelle française, autant nous avons fait la démonstration de notre attachement à la création vivante, au patrimoine matériel - le texte que nous allons évoquer tout à l'heure en est une preuve supplémentaire -, autant il nous reste du chemin à faire en ce qui concerne le respect et la protection du patrimoine immatériel.
Il y a dans nos pays des cultures régionales qui méritent aujourd'hui de trouver leur place dans le bien commun national. Il y a aussi de plus en plus, M. Jack Ralite vient de le rappeler, un métissage ou, à tout le moins, des confrontations, des rencontres de connaissances, de savoir-faire venus d'horizons divers, d'au-delà de nos frontières, auxquels nous devons accorder le même respect qu'à nos propres traditions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, sur l'article unique.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous ne pouvons pas ne pas rapprocher la présente convention de l'UNESCO du débat que vient d'avoir le Sénat à propos de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. J'ai alors regretté que cette convention ne fasse allusion aux langues qu'une seule fois, et encore la mention était-elle précédée d'un « notamment ». Or, à notre époque, la disparition des langues constitue un problème crucial.
Une langue est en effet l'instrument d'expression d'une culture. Or, nous le savons, des milliers de langues sont en train de disparaître. Ce phénomène inquiète certains de nos plus grands linguistes : que l'on pense aux propos de M. Claude Hagège, professeur au Collège de France.
Nous ne pourrons jamais accepter qu'une langue disparaisse au nom de la simplification. Certains considèrent que les frais de traduction sont toujours excessifs et que moins il y aura de langues, mieux on se comprendra. Nous estimons au contraire, pour notre part, que cette optique n'est pas la bonne. La diversité du monde exige le respect de chaque langue. Il faut donc s'efforcer de comprendre ce que l'autre exprime dans sa langue et le traduire sans le trahir.
Aujourd'hui, le Sénat est saisi d'un projet de loi visant à permettre l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel ; je note que les langues y sont citées, même si, curieusement, il semble que l'on ait quelque peu hésité à les introduire dans le texte. Il ne faut pas être timide dans ce domaine, car la disparition des langues est un des vrais drames de notre époque. Personne ne doit l'accepter et nous devons tous nous demander ce que nous pouvons faire pour garder en vie les éléments constitutifs du coeur d'une culture.
Quelle matinée ! Après avoir adopté le projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui comporte certes des insuffisances mais qui a au moins le mérite d'exister, le Sénat va sans doute, dans un instant, voter le projet de loi autorisant l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Il nous restera à veiller que ces conventions soient appliquées dans toutes leurs dimensions, y compris en faveur des langues.
Chacun connaît la lutte que je mène, avec de nombreux autres sénateurs, pour la défense de la langue française. Lorsque l'on aime sa langue, lorsque l'on veut qu'elle rayonne, on se doit de respecter toutes les langues : c'est le sens profond de notre combat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)
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Convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel et de son protocole sur la protection des productions télévisuelles (nos 388, 2004-2005, 281).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre du Conseil de l'Europe, la convention relative à la protection du patrimoine audiovisuel et son protocole sur la protection des productions télévisuelles ont été adoptés à Strasbourg le 8 novembre 2001, et signés par la France le 14 mars 2002. À ce jour, cinq ratifications sont encore nécessaires pour permettre leur entrée en vigueur.
Le constat de la perte irrémédiable de certaines oeuvres majeures du cinéma muet, en l'absence d'un système légal de protection et de restauration, est à l'origine de ces textes, l'idée ayant été émise de proposer aux États européens un modèle de protection de leurs patrimoines audiovisuels. Ces réflexions, qui ont conduit à l'adoption des deux textes aujourd'hui soumis à votre approbation, constituent les premiers instruments internationaux contraignants en la matière.
Le patrimoine audiovisuel visé par la convention comprend exclusivement les oeuvres cinématographiques, pour lesquelles est instauré un système de dépôt légal. Il s'agit de l'obligation faite aux États de déposer les images en mouvement, produites ou coproduites sur leur territoire, auprès d'un organisme d'archives qui doit en assurer la conservation, la documentation, la restauration et la mise à disposition à des fins de consultation.
En outre, la convention prévoit que les modalités d'application du dépôt légal des images en mouvement autres que les oeuvres cinématographiques seront précisées dans des protocoles. C'est ainsi que le protocole sur la protection des productions télévisuelles a pour objectif de faire appliquer aux oeuvres télévisuelles les principes de la convention, en instaurant un système de dépôt légal obligatoire.
Pionnière en matière de dépôt légal, la France ne pouvait que soutenir cette initiative de coopération entre États, laquelle est susceptible de donner corps à la notion de patrimoine audiovisuel européen. La loi du 20 juin 1992 organise le dépôt légal dans notre pays autour de deux institutions : le Centre national de la cinématographie, le CNC, est responsable de la collecte et de la conservation des oeuvres cinématographiques, tandis que l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA, formalise la mise en place du dépôt légal pour les oeuvres télévisuelles et radiophoniques.
Depuis près de cinq ans, ces institutions travaillent à la numérisation et à la valorisation de ce patrimoine. La France peut donc, par la ratification de la convention et de son protocole, réaffirmer son engagement en faveur de la sauvegarde du patrimoine audiovisuel, conformément à sa pratique interne. Elle enverra un signal fort à ses partenaires européens, en permettant que l'on se rapproche de l'entrée en vigueur de ces deux instruments.
Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de la convention relative à la protection du patrimoine audiovisuel et de son protocole sur la protection des productions télévisuelles, qui font l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Tasca, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel et son protocole sur la protection des productions audiovisuelles, qui sont soumis à notre approbation, découlent d'initiatives du Conseil de l'Europe.
Ces textes apportent un net progrès, au regard des nombreuses législations nationales qui existent en matière de protection des images. C'est un prolongement heureux, et concret, de notre débat sur la diversité culturelle, puisqu'il s'agit de conserver la mémoire des oeuvres audiovisuelles.
Pour sa part, la France a fait oeuvre pionnière, en se dotant d'un important dispositif en ce domaine.
La présente convention est née d'un constat dressé par le Conseil de l'Europe : dans la plupart de ses quarante-six États membres, la sauvegarde du patrimoine audiovisuel dépendait uniquement d'un acte de dépôt volontaire, ce qui conduisait à une protection lacunaire.
Le texte instaure donc le principe du dépôt légal obligatoire pour les images en mouvement produites et mises à disposition du public dans chacun des États membres. Le dépôt légal implique non seulement l'obligation de remise d'un exemplaire de référence dans un organisme d'archives, mais aussi l'obligation de le conserver en bon état, ce qui nécessite, le cas échéant, des travaux de restauration.
Il s'agit des premiers instruments internationaux contraignants qui instituent un archivage systématique des oeuvres audiovisuelles, afin de les faire bénéficier des nouvelles technologies en matière de conservation et de restauration et de lutter ainsi durablement contre leur dépérissement.
Le dépôt légal est le seul moyen d'assurer la protection de ce patrimoine. Toute nouvelle image en mouvement doit être déposée, pour garantir l'existence d'un exemplaire de référence, seule manière de protéger efficacement l'oeuvre.
Le dispositif français de dépôt légal des images repose, pour l'essentiel, sur trois institutions.
La Bibliothèque nationale de France, la BNF, détient déjà, sur le site François-Mitterrand, 250 000 images documentaires, 900 000 documents sonores et 90 000 vidéogrammes. Le département de l'audiovisuel, créé en 1994, collecte le patrimoine audiovisuel. Le dépôt légal lui apporte, chaque année, 15 000 documents sonores, 7 000 vidéos et 7 000 documents multimédias et électroniques.
Le Centre national de la cinématographie, le CNC, sera chargé, à la suite de l'adoption de la présente convention, de gérer le dépôt légal des oeuvres audiovisuelles sur support numérique, dont la BNF est actuellement dépositaire. Il se prépare depuis deux ans à recevoir, dans son site de Bois-d'Arcy, ces oeuvres sur support numérique, dont le stockage et la conservation sont moins onéreux que ceux des oeuvres argentiques, car les données peuvent être stockées sur disque dur.
La collecte des films par le CNC a concerné 881 titres en 2005, contre 869 titres en 2004.
L'Institut national de l'audiovisuel, l'INA, quant à lui, gère un fonds d'images et de sons constitué des archives des chaînes publiques de radio et de télévision, depuis leur création. S'y ajoute, depuis le 1er janvier 1995, le dépôt légal auquel est astreint l'ensemble des diffuseurs nationaux hertziens de télévision privée et publique, ainsi que les cinq chaînes nationales de Radio France.
Ce dépôt légal représente, annuellement, plus de deux millions de documents, dont 700 000 heures de télévision et 400 000 heures de radio.
L'utilité de ce dispositif trouve une preuve éclatante, s'il en était besoin, dans l'extraordinaire succès auprès du public de la mise en ligne d'archives audiovisuelles sur le site internet de l'Institut national de l'audiovisuel.
L'extension, par la présente convention, à l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe de dispositifs existant dans notre pays permettra une meilleure collecte et une préservation accrue d'oeuvres soit artistiques, soit reflétant la vie quotidienne des pays européens.
Cette convention marque également l'avancée de l'Europe de la culture et l'attractivité du modèle français de politique culturelle.
Aujourd'hui, nous connaissons tous la part dominante que prend l'image, tant pour sa création que pour sa diffusion auprès du grand public, dans l'environnement culturel de nos concitoyens. À travers cette convention, c'est, très largement, l'avenir de la transmission culturelle qui est en jeu. C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande de l'adopter. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Je souhaite simplement appuyer les propos que vient de tenir Mme Catherine Tasca.
J'ai connu, en tant que journaliste, les débuts de la télévision. Je me souviens de l'école des Buttes-Chaumont, à une époque où la télévision se faisait « en direct ». On répétait, puis on tournait. Il existe là un capital de culture française et internationale étonnant ! Les hommes qui y ont participé ont, pour l'essentiel, disparu. Je pense notamment à Lorenzi, Prat, Barma ou Kerchbron, ainsi qu'à beaucoup d'autres !
M. Roger Romani. Santelli !
M. Jack Ralite. Peu d'entre eux vivent encore, comme Dumayet, Tchernia ou Bluwal.
Quand on va à la Grande bibliothèque pour assister, par exemple, lors de soirées-débats organisées sur initiative conjointe de la Grande bibliothèque et de l'INA, à la projection d'oeuvres de Bluwal, on est ému par les documents que l'on retrouve à cette occasion.
Mais tout dépend de la qualité de l'image conservée. Certaines d'entre elles se trouvaient en grand péril voilà encore quatre ans ou cinq ans. Le nouveau directeur de l'INA, de ce point de vue, a effectué un travail énorme, qui n'était d'ailleurs pas très populaire. Il a, en effet, concentré ses crédits sur la restauration de ces documents. C'est que, avant d'aller plus loin, il fallait s'assurer que la voiture avait bien ses quatre roues ! L'action du directeur de l'INA a donc été capitale pour permettre l'accès à des oeuvres anciennes.
Quand on a un certain âge - c'est mon cas ! -, on est ému de retrouver ces images du passé. Nous devons d'ailleurs être des millions dans ce cas ! Au demeurant, les jeunes ont grand besoin de découvrir ce travail, car il n'y a pas d'autre solution que de se souvenir de l'avenir ! (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel et de son protocole sur la protection des productions télévisuelles, adoptés à Strasbourg le 8 novembre 2001, et dont les textes sont annexés à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)