sommaire
présidence de M. Roland du Luart
2. Dépôt de rapports en application de lois
3. Coopération décentralisée en matière de solidarité internationale. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : M. Charles Guené, rapporteur de la commission des lois ; Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie ; Philippe Nogrix, Jean-Claude Peyronnet, Christian Cambon, Michel Thiollière, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Jacques Pelletier, Michel Charasse.
Mme la ministre déléguée.
Clôture de la discussion générale.
M. Michel Charasse.
Amendement no 1 de Mme Alima Boumediene-Thiery. - Mme Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mme la ministre déléguée, M. Michel Charasse. - Rejet.
Mme Eliane Assassi.
Adoption de l'article unique de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
5. Création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine. - Adoption d'une proposition de résolution. (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois ; Philippe Nogrix, Jean-Claude Peyronnet, François-Noël Buffet.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 2 de Mme Eliane Assassi. - Mmes Eliane Assassi, Lucette Michaux-Chevry, M. le rapporteur. - Rejet par scrutin public.
Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Philippe Dallier.
Amendement no 1 de Mme Eliane Assassi. - Mme Eliane Assassi, M. le rapporteur. - Rejet.
MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Jean-Pierre Fourcade, Yannick Bodin, Jean-Claude Peyronnet, Mme Lucette Michaux-Chevry.
Adoption de l'article unique de la proposition de résolution.
6. Position de l'Union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de Hong-Kong. - Discussion d'une question européenne avec débat. (Ordre du jour réservé.)
MM. Jean Bizet, auteur de la question ; Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne.
présidence de Mme Michèle André
MM. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques ; Roland Ries, Paul Girod, Robert Bret, Marcel Deneux.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur.
Clôture du débat.
7. Délégués départementaux de l'éducation nationale. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Philippe Goujon, Jean-François Voguet, Philippe Nogrix, Serge Lagauche, Mme Muguette Dini.
M. le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
M. Yves Pozzo di Borgo.
Adoption de l'article unique de la proposition de loi.
9. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
10. Renvoi pour avis
11. Dépôt d'un rapport d'information
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
dépôt de rapports en application de lois
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport d'activité 2004-2005 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, en application de l'article L. 1323-2 du code de la santé publique, ainsi que le rapport annuel 2004-2005 de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques, en application de l'article L. 125 du code des postes et des communications électroniques.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Comité national de gestion du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville le rapport d'évaluation sur l'impact des financements attribués par ledit fonds, établi en application de l'article 25 modifié de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
3
Coopération décentralisée en matiere de solidarite internationale
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi de M. Michel Thiollière relative au renforcement de la coopération décentralisée en matière de solidarité nationale (n° 29).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, moins d'un an après l'adoption de la loi du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, dite loi Oudin, le Sénat est une nouvelle fois appelé à se pencher sur les actions extérieures des collectivités territoriales et de leurs groupements.
Ces actions se caractérisent par leur ancienneté, leur diversité et leur importance. Prises en compte dans le calcul du montant total de l'aide publique au développement de notre pays, elles bénéficient du soutien de l'Etat. Leur montant s'est élevé à 230 millions d'euros en 2004, dont 115 millions d'euros au titre de l'aide au développement.
Aujourd'hui, pour être légales, ces actions doivent, en premier lieu, relever de la compétence des collectivités territoriales, en deuxième lieu, ne pas être contraires aux engagements internationaux de la France et, en troisième lieu, présenter un intérêt local.
Or, en l'absence de définition objective, cette dernière notion fait l'objet d'appréciations divergentes de la part des juridictions administratives.
L'insécurité juridique dans laquelle se trouvent actuellement les initiatives locales rend ainsi nécessaire une nouvelle modification de la loi.
La proposition de loi présentée par notre collègue Michel Thiollière, dont je salue l'initiative, tend à prévoir que « les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et leurs groupements peuvent, dans la limite de 1 % des recettes d'investissement, mener des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères et leurs groupements dans le cadre de conventions, des actions d'aide d'urgence au bénéfice de ces collectivités et groupements, ainsi que des actions de solidarité internationale en cas de catastrophe humanitaire ».
Les catastrophes récentes survenues en Asie du Sud-Est, aux Etats-Unis, au Guatemala et au Pakistan témoignent de la nécessité d'une solidarité internationale. Sollicitées, les collectivités territoriales se sont fortement mobilisées pour venir en aide aux victimes du tsunami. Nombre d'entre elles songent à apporter leur pierre à la reconstruction de la Louisiane. Elles hésitent toutefois à entreprendre de telles actions par peur de la censure du juge administratif.
La proposition de loi présentée par notre collègue tend à sécuriser ces actions et à les encadrer en instituant un plafond de dépenses calculé en fonction des recettes d'investissement.
Si intéressantes soient-elles, les dispositions proposées présentent, pour la commission des lois, plusieurs inconvénients.
Tout d'abord, elles excluent les départements et les régions.
Ensuite, elles peuvent induire, à tort selon nous, un financement de l'action extérieure des collectivités locales par l'emprunt.
Enfin, elles ne lèvent pas les incertitudes nées de la jurisprudence administrative sur la légalité des aides au développement consenties par les collectivités territoriales dans la mesure où elles visent surtout les situations d'urgence.
Aussi, la commission des lois a-t-elle estimé plus opportun, à la lumière des auditions auxquelles j'ai pu procéder, des conclusions du groupe de travail du Conseil d'Etat, présidé par M. Philippe Marchand, et du fructueux dialogue engagé avec le Gouvernement, de modifier le texte de la proposition de loi afin d'atteindre deux objectifs.
Le premier est de donner une base légale incontestable à l'aide au développement consentie par les collectivités territoriales françaises et leurs groupements, tout en exigeant la formalisation de cette aide dans le cadre de conventions avec des autorités locales étrangères.
Le second est d'autoriser les collectivités territoriales et leurs groupements à entreprendre des actions à caractère humanitaire sans passer de convention, lorsque l'urgence l'exige, soit directement, soit en finançant des organisations non gouvernementales ou des associations.
L'intitulé de la proposition de loi a été modifié en conséquence, afin de viser l'action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements.
Pour encadrer davantage les actions de coopération décentralisée et d'aide humanitaire des collectivités territoriales et de leurs groupements, il eût été envisageable de plafonner les dépenses qu'elles engagent à ce titre.
La commission n'a pas souhaité le faire, car une telle restriction serait allée à l'encontre du principe de libre administration des collectivités territoriales et, loin de modérer les dépenses de ces dernières, aurait risqué de les exposer à la tentation, ou à la pression, d'atteindre le plafond, alors que tel n'est bien souvent pas le cas.
Enfin, je dois vous dire, pour mémoire, que j'ai longuement hésité à proposer à la commission des lois d'adopter un autre article ayant pour objet de permettre aux collectivités territoriales métropolitaines, à l'instar des départements et des régions d'outre-mer, de passer des accords avec des Etats frontaliers ou des Etats membres de l'Union européenne. Les prérogatives extérieures de l'Etat français auraient en tout état de cause été préservées puisque les collectivités territoriales auraient agi par délégation, donc sous l'autorité et sous le contrôle, de ce dernier.
Si elle repose sur un fondement constitutionnel, l'interdiction faite aux collectivités territoriales et à leurs groupements métropolitains de passer des conventions avec des Etats étrangers suscite en effet des difficultés d'ordre pratique.
En premier lieu, la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'Etat diffère d'un pays à l'autre, certaines compétences des collectivités françaises étant, à l'étranger, exercées par l'Etat.
En second lieu, un projet de règlement européen, qui est en cours d'examen, tend à autoriser la création de groupements européens de coopération transfrontalière auxquels pourraient participer non seulement les collectivités territoriales, mais aussi les Etats membres de l'Union européenne.
A la réflexion, il nous a semblé préférable de ne pas modifier la loi à ce stade et ce pour trois raisons.
Premièrement, même sans texte, l'Etat semble d'ores et déjà pouvoir déléguer sa signature à des collectivités territoriales pour passer des conventions avec des Etats étrangers.
Deuxièmement, consacrer dans la loi une telle possibilité semble susciter sinon des réticences, du moins des inquiétudes.
Troisièmement, si l'on veut éviter de devoir procéder à des modifications incessantes de la loi, mieux vaut attendre l'issue des discussions dont le projet de règlement relatif au groupement européen de coopération transfrontalière fait l'objet.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous propose d'adopter l'article unique des conclusions du rapport qui vous sont soumises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se réjouit que vienne aujourd'hui en séance publique la discussion de la proposition de loi déposée par le sénateur Michel Thiollière, tendant à introduire dans le code général des collectivités territoriales des dispositions nouvelles permettant de compléter et de préciser notre droit de la coopération décentralisée.
L'initiative de M. Thiollière trouve son origine dans la réaction immédiate et généreuse des élus locaux qui a suivi le drame du tsunami. Ce fait mérite d'être souligné. Il ne s'agit pas, en effet, de procéder à un simple aménagement technique destiné à améliorer une rédaction juridique. Le législateur entend, de manière plus fondamentale, répondre à l'aspiration de nos concitoyens qui souhaitent plus de solidarité et de partage, surtout lorsque des populations étrangères sont touchées par une catastrophe naturelle.
La mobilisation des collectivités territoriales à la suite du tsunami a été massive et ordonnée : elle s'est, en effet, organisée en étroite relation avec le délégué interministériel nommé par le Gouvernement, les services centraux du ministère des affaires étrangères et nos postes diplomatiques à l'étranger. Ce sont ainsi plus de 17 millions d'euros qui ont été versés, et des perspectives sérieuses de participation à la reconstruction des régions sinistrées se sont ouvertes.
C'est dans ce contexte que je souhaite aujourd'hui rendre hommage à l'initiative de M. Thiollière, ainsi qu'à votre important travail, monsieur le rapporteur de la commission des lois, visant à sécuriser ce type d'actions dans la perspective de la survenance de nouvelles catastrophes, toujours possible, hélas !
La commission des lois du Sénat, dans sa sagesse, a pensé que cette proposition pouvait également permettre de répondre à d'autres préoccupations de sécurité juridique, devenues plus actuelles au cours des derniers mois, et tournant autour de la notion d'intérêt local, dont les contours méritent en effet d'être précisés en matière de coopération décentralisée.
Pour sa part, l'administration fait déjà preuve d'une conception ouverte de cette notion, en estimant qu'il y a présomption d'intérêt local dans les différents domaines de compétence d'attribution des collectivités territoriales. Dès lors, l'intérêt local ne doit être explicitement démontré que lorsqu'il est fait application de la clause de compétence générale. Tel est le sens de la circulaire conjointe du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et du ministre des affaires étrangères, du 20 mai 2001.
Pour autant, des décisions ont été récemment rendues dans des sens contradictoires par des tribunaux administratifs - ceux de Cergy-Pontoise et de Poitiers - et par la cour administrative d'appel de Douai. Si cette dernière a retenu une argumentation très proche de celle que développe l'administration, les deux autres juridictions, dans des contextes assez différents, n'ont pas admis qu'il y avait un intérêt direct pour les populations à mener des actions en faveur du développement. Cette interprétation, qui n'a pas encore été confirmée en appel, pourrait néanmoins, dans la pratique, aboutir à priver d'effet utile l'intention du législateur de 1992, telle qu'elle résulte des débats parlementaires qui ont conduit à l'adoption des articles 131 et suivants de la loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République.
Or, dans cette affaire, le Gouvernement se sent solidaire des collectivités territoriales. La coopération décentralisée française est présente dans 115 pays et apporte une contribution substantielle - sans doute la deuxième du monde après celle du Japon - à la cause du développement local et territorial. Cette coopération décentralisée opère sur la base de relations entre élus et populations, dans le respect des engagements internationaux de la France et avec un souci croissant de qualité, d'évaluation et de responsabilité.
Je tiens d'ailleurs à souligner devant la représentation nationale l'excellente collaboration qui existe, dans les faits, entre les collectivités territoriales et le ministère des affaires étrangères pour mener à bien leurs actions de coopération décentralisée.
Il ne faudrait pas que des hésitations juridiques conduisent à affaiblir cette présence qui contribue au rayonnement de la France. Le Gouvernement ne s'y trompe pas en cofinançant de nombreuses actions de coopération décentralisée dans le cadre des crédits ouverts à cet effet chaque année par le Parlement. Il y aurait d'ailleurs paradoxe à subventionner des programmes dont la légalité serait discutable !
Cette question avait déjà été abordée dans le cadre des travaux de la Commission nationale de la coopération décentralisée. L'année dernière, lorsque le Gouvernement a décidé de saisir le Conseil d'Etat de l'ensemble des questions touchant la coopération décentralisée et transfrontalière, le ministère des affaires étrangères n'a pas manqué de proposer au groupe de travail présidé par M. Philippe Marchand, dès le début de ses réflexions, d'orienter ses travaux vers cette question. Cela a conduit à des propositions de rédaction dont votre commission des lois a eu connaissance.
Sur cette base, elle a pensé de manière unanime qu'il était opportun d'adjoindre des dispositions de portée plus générale au dispositif proposé par M. Thiollière, notamment pour en élargir le champ aux régions et aux départements.
Au total, le Gouvernement se réjouit de cette position, à laquelle il adhère complètement. Il a en effet la volonté de faire en sorte que la coopération décentralisée puisse se poursuivre et se développer selon les bonnes pratiques actuelles, mais dans un cadre juridique plus sécurisé. C'est bien ce que vise le texte de votre commission des lois, qui prévoit que les collectivités territoriales et leurs groupements « peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement ». Cette construction de phrase avec la conjonction « ou » montre bien - et c'est la conception du Gouvernement - qu'il peut s'agir aussi bien de coopération « Nord-Nord » que de coopération « Nord-Sud », et que les opérations peuvent porter avec une égale légitimité sur des échanges de bonnes pratiques et sur de l'aide à proprement parler. Celles-ci acquièrent donc « un intérêt public par détermination de la loi » auquel on ne pourra plus, sauf à méconnaître la volonté expresse du législateur, opposer une prétendue absence d'intérêt local immédiat et direct.
Le texte de la commission des lois conserve l'idée selon laquelle, sauf urgence, la coopération décentralisée est une construction conventionnelle, tout en prenant soin, avec réalisme, de permettre la signature avec une « autorité locale étrangère », qui peut être « moins » ou « plus » qu'une collectivité au sens de la législation française : parfois un état fédéré, parfois, au contraire, une structure en devenir, encore administrée sous le seul mode de la déconcentration. C'était d'ailleurs déjà l'interprétation de l'administration.
Cela ne signifie pas pour autant que la loi interdirait à l'avenir la poursuite d'actions extérieures non conventionnelles dans les domaines, par exemple, de la promotion économique ou culturelle, du tourisme, de la francophonie, ou encore pour le fonctionnement de réseaux internationaux. Ces actions devront continuer à s'appuyer sur des considérations d'intérêt local que le juge, s'il en est saisi, peut toujours vérifier.
Par ailleurs, c'est avec raison que votre commission des lois a profité de ce passage au Parlement pour élargir le champ de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, en complétant les références aux conditions d'entrée en vigueur des conventions de coopération décentralisée : désormais, les articles du code vaudront aussi bien pour les départements et les régions que pour les communes et leurs groupements.
Enfin, dans la rédaction proposée par votre commission des lois, le deuxième alinéa nouveau conserve l'esprit du texte de M. Thiollière quant à la souplesse des moyens d'intervention des collectivités locales : celles-ci ont le choix de « mettre en oeuvre » ou de « financer des actions à caractère humanitaire », en ayant recours, dans ce dernier cas, à des organisations non gouvernementales ou au fonds de concours institué auprès de la délégation à l'action humanitaire du ministère des affaires étrangères. C'est d'ailleurs ce qui a été fait, et bien fait, lors du tsunami.
Votre commission des lois a envisagé un moment de profiter de cette procédure législative pour assouplir, sous certaines conditions tenant aux intérêts nationaux, la règle figurant à l'article L. 1115-5 du code général des collectivités territoriales et prohibant les conventions avec des Etats étrangers. Il s'agit effectivement d'ajustements qui pourraient s'avérer nécessaires, en particulier compte tenu du projet de groupement européen de coopération territoriale, le GECT, en cours de négociation dans les instances européennes, ou encore en raison de la mise en application du protocole additionnel n° 2 à la convention de Madrid.
En étroite liaison avec le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, nous approfondissons donc les études à ce propos, en nous appuyant sur les analyses du Conseil d'Etat. Cela ne doit pas pour autant retarder la clarification de notre droit en matière de coopération décentralisée et d'action humanitaire des collectivités locales. Votre rapporteur et la commission des lois unanime ont donc eu la sagesse de ne pas maintenir les dispositions qu'ils envisageaient d'inclure dans la présente proposition de loi, mais vous pouvez être assurés que les conclusions auxquelles ils sont parvenus permettront d'éclairer les travaux législatifs futurs sur ce sujet complexe et porteur d'avenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment de conclure, je souhaite vous dire combien le Gouvernement se réjouit de voir le Sénat examiner aujourd'hui ce texte et je tiens à remercier non seulement son promoteur, M. Thiollière, mais aussi le président de la commission des lois et son rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tsunami, cyclones, tremblements de terre, attentats : l'actualité récente a, hélas ! multiplié les occasions d'intervention à l'étranger des citoyens, des collectivités locales et des pouvoirs publics français.
Ces événements ont marqué l'opinion publique et soulevé des élans de générosité sans précédent dans notre pays. Aux dons privés se sont associées non seulement les actions de l'Etat, mais aussi celles des collectivités locales.
Or, comme l'ont très bien expliqué l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur, c'est dans un cadre juridique aujourd'hui incomplet et incertain que les collectivités décentralisées interviennent à l'occasion d'actions humanitaires ou d'aide au développement. C'est pourquoi, comme l'ont fait mes prédécesseurs, je salue l'initiative de notre collègue Michel Thiollière, qui, par la présente proposition, entend clarifier le cadre juridique de la coopération décentralisée.
Cette dernière dépasse l'horizon de l'aide humanitaire. Phénomène ancien, la coopération décentralisée est aujourd'hui très développée et très diversifiée. Elle représente des montants financiers qui, sans peser sur l'équilibre des finances locales, sont loin d'être négligeables. Les chiffres ont été rappelés : les sommes consacrées par les collectivités territoriales à l'action extérieure sont estimées à 230 millions d'euros l'année dernière. Elles concernent tant des actions de coopération Nord-Nord que des actions de soutien aux pays les plus démunis.
Se pencher sur les règles régissant la coopération décentralisée impose de s'interroger sur le partage de compétence entre l'Etat et les collectivités locales en matière internationale. Dans un Etat unitaire comme la France, l'action des collectivités locales à l'étranger est en principe résiduelle. Dans notre droit, le principe fondateur est que l'action internationale des collectivités constitue un mode d'exercice de leurs compétences et non une de leurs compétences spécifiques.
Ce principe général et fondateur se heurte à la nécessité de plus en plus pressante d'approfondir la décentralisation dans ce domaine. Il est aussi nécessaire de mettre en place un cadre juridique clair et en accord avec la réalité de l'intervention internationale des collectivités. Comme l'a rappelé Mme la ministre, il faut que la France soit présente et toutes nos actions, y compris celles des collectivités territoriales, doivent toujours être en harmonie et en cohérence avec l'action poursuivie par le Gouvernement.
La proposition de M. Michel Thiollière est équilibrée au regard de ces impératifs contradictoires. Elle n'entame pas les prérogatives régaliennes de l'Etat et permet clairement aux communes de mener des actions « d'urgence en cas de catastrophe humanitaire » sans se heurter aux aléas de la jurisprudence administrative, laquelle impose que toute intervention à l'étranger présente un « intérêt local » pour être légale.
Si la proposition de notre collègue a le double mérite de susciter le débat qui nous réunit aujourd'hui et de porter une clarification nécessaire, sa première version était trop partielle. Mais, au Sénat, nous avons l'habitude d'enrichir les textes qui nous sont proposés ! Il en est ainsi des modifications apportées par la commission des lois. Elles nous semblent très opportunes et nous vous en remercions, monsieur le rapporteur.
Tout d'abord, la première mouture de la proposition de loi ne concernait d'abord que les communes et leurs regroupements. C'était négliger l'intervention des départements et des régions. Cette dernière est quantitativement moindre que celle des communes, mais elle demeure importante. En 2004, par exemple, elle a représenté 40 % de l'aide au développement engagée par les collectivités françaises au profit des pays du Sud. La proposition de loi devait, à notre avis, être élargie à toutes les collectivités, comme l'a fait la commission des lois.
Ensuite, il était important de viser tant les opérations relatives aux catastrophes humanitaires que celles qui ont trait à l'aide au développement, quitte à assouplir les conditions d'intervention en cas de catastrophe humanitaire si l'urgence le justifie. C'est ce que propose la commission des lois et c'est une bonne chose.
Enfin, et cela nous tient à coeur, la proposition originelle limitait à 1% des recettes d'investissement les dépenses engagées par les communes en matière de coopération décentralisée. Outre le fait qu'une telle disposition incitait à l'endettement, elle me paraissait contraire au principe organique d'autonomie financière des collectivités locales, qui en ont assez des tutelles ici et là. La dernière vertu de la proposition de notre commission des lois est donc d'éliminer toute limite de dépenses. Les collectivités locales doivent être à même de gérer librement leur budget, ce qu'elles démontrent chaque jour.
Pour toutes ces raisons, le groupe UC-UDF votera la proposition de M. Michel Thiollière, telle qu'elle a été améliorée par la commission des lois.
En effet, la présente proposition est un pas significatif dans le sens d'une plus grande sécurité juridique en matière de coopération décentralisée. Toutefois, nous ne ferons sans doute pas l'économie, à l'avenir, d'une simplification - terme que l'on aime beaucoup, mais que l'on a du mal à mettre en pratique ! - ni d'une refonte de l'ensemble de l'architecture des règles qui régissent cette matière. Les outils juridiques se sont empilés au fil des ans, sans toujours répondre aux besoins des collectivités territoriales, comme le souligne l'excellent rapport de notre collègue de l'Assemblée nationale M. Michel Hunault.
En attendant, il me reste à féliciter M. Michel Thiollière de la pertinence de sa proposition, ainsi que la commission des lois, en particulier son rapporteur, M. Charles Guené, et son président, M. Jean-Jacques Hyest, de l'excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'excellent rapport de notre collègue Charles Guené présente l'historique de la coopération décentralisée, analyse finement le risque juridique auquel les collectivités territoriales sont confrontées et prévoit finalement de réécrire, en s'inspirant des travaux du Conseil d'Etat, la proposition de loi de notre collègue Michel Thiollière, laquelle a le grand mérite d'avoir posé le problème, sans cependant le résoudre complètement.
Je me félicite de l'analyse approfondie que vous avez faite de la proposition de loi, madame la ministre, et qui sera utile pour la compréhension de notre débat.
Je ne reviendrai pas sur l'historique de la coopération décentralisée, dont la forme la plus reconnue remonte à une petite trentaine d'années, si l'on excepte la période antérieure des jumelages, et dont le développement très rapide à la fin des années quatre-vingt a abouti à sa formalisation législative avec la loi du 6 février 1992.
Cette loi reconnaît le droit pour les collectivités françaises à coopérer avec leurs homologues étrangères et, pour avoir vécu cette période, je puis vous assurer que, dix ans après la décentralisation, il n'était pas facile de faire accepter ces principes au ministère des affaires étrangères notamment.
Désormais, cette action est devenue indispensable aux relations étrangères de la France et, en particulier, au dialogue Nord-Sud. On peut même affirmer, sans crainte d'être démenti, que c'est grâce à elle que le Président de la République peut afficher, pour les années à venir, un objectif de 0,7 % du produit intérieur brut, au titre de l'aide au développement.
A ce propos, permettez-moi de dire que, si nous en restons au budget médiocre qui nous est proposé cette année, il me semble peu probable que cet objectif soit atteint, et il ne faudrait d'ailleurs pas que, dans ce domaine, l'Etat se décharge de ses devoirs et de ses promesses sur les collectivités territoriales, transformant ainsi une oeuvre généreuse, mais volontaire, en une sorte de contrainte de fait. Tel n'est pas encore le cas, mais il vaut mieux prévenir que guérir.
Quoi qu'il en soit, chemin faisant, et après bien des tâtonnements, la coopération décentralisée s'est en quelque sorte professionnalisée, fixant méthodes et règles, trouvant ses opérateurs notamment. Elle est de plus en plus fondée sur la recherche d'objectifs définis en commun, sur le choix d'opérateurs, sur le respect de la culture de l'autre, sur l'acceptation d'une évaluation objective des résultats, qui peut et doit, si nécessaire, aboutir à une remise en cause de tout ou partie de l'intervention du financeur.
La contribution financière de l'Etat développé ne doit jamais être considérée comme une rente acquise, elle doit être perçue comme un moyen d'atteindre des objectifs et de réaliser effectivement des projets au profit des populations.
Tout cela - on ne le dira jamais assez - doit se faire nécessairement dans le cadre des engagements internationaux de la France et, sans parler de tutelle, avec le souci de ne mettre en porte-à-faux, ni nos ministres, quelle que soit leur appartenance politique, ni nos représentants, car il s'agit de l'étranger.
On note donc bien l'importance de cette action pour la France et, par là même, on voit combien il est indispensable de sécuriser ceux qui pratiquent cette coopération, ce que ne font pas complètement la loi de 1992, ni les textes réglementaires qui ont suivi, les notions de respect des compétences et d'intérêt local pouvant à tout moment être mises en avant par un contribuable pour dénoncer telle ou telle action d'une collectivité à l'étranger.
Cette sécurisation sera chose faite dans peu de temps - en espérant que l'Assemblée nationale ne tardera pas à examiner ce texte -, car il y a une réelle attente des élus de toutes tendances et une réelle inquiétude des services du ministère des affaires étrangères et, je le suppose, du ministre lui-même.
Le texte de notre collègue Michel Thiollière a été fortement complété. Il présentait des lacunes, mais je ne m'y attarderai pas, car elles ont déjà été évoquées.
Le texte initial ne concernait que les communes. Il limitait le niveau d'intervention à une somme certes élevée, mais dont on ne comprend pas la justification, ce qui ne semble pas nécessaire, et surtout la référence à l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, et donc aux compétences des collectivités territoriales, ne mettait pas celles-ci à l'abri du risque juridique. En effet, si un conseil général aide, par exemple, à la construction d'une salle d'accouchement au Burkina Faso - ce qui représente une somme de 3 000 euros environ -, il est condamnable parce que le sanitaire n'entre pas dans le champ de ses compétences.
Enfin, un sort particulier est clairement réservé, dans le deuxième alinéa de l'article unique, aux aides d'urgence qui peuvent être dispensées de la signature d'une convention, ce qui paraît logique, voire nécessaire.
C'est sur cette obligation de signer une convention fixant les actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers que je voudrais insister et conclure, car cette question a suscité un débat.
Il s'agit là, bien entendu, d'une contrainte, mais qui s'avère indispensable. Les raisons en sont multiples.
A l'heure où le code des marchés publics nous impose certaines obligations pour des sommes relativement modestes, on voit mal pourquoi les collectivités territoriales pourraient engager à l'étranger des sommes élevées sans avoir signé une convention, c'est-à-dire d'une façon tellement souple que pourrait être engagée n'importe quelle action de n'importe quel montant.
Mais l'essentiel est ailleurs. La coopération décentralisée, je vous l'ai dit, ce n'est pas pratiquer la charité ; ce n'est pas donner une somme d'argent pendant plusieurs années sans avoir défini au préalable le cadre de l'action à conduire avec les partenaires. Il importe d'informer la collectivité sur le montant des sommes allouées, sur le contrôle des dépenses annuelles effectives et sur les avenants éventuels selon l'avancement, l'accélération ou les retards du programme. Sinon, toutes les dérives sont possibles.
La coopération, c'est la concertation, l'analyse, la mise en oeuvre conjointe et suivie, ainsi que l'évaluation. Voilà pourquoi il me semble indispensable de signer une convention.
Je sais bien que de grandes collectivités sont gênées parce qu'elles disposent de beaucoup d'argent, qu'elles ont par ailleurs de nombreux partenaires et ont un rang international à tenir. Mais on ne peut pas faire n'importe quoi, et ce par respect non seulement pour sa propre assemblée, à laquelle on doit rendre compte minutieusement des sommes consacrées aux différents programmes, comme à l'évaluation de ceux-ci, mais également pour nos partenaires.
Le développement durable, c'est aussi définir ensemble les actions à engager et assurer un suivi. En effet, il ne faut jamais laisser sur le terrain les sommes votées se diluer dans un autre budget, qui peut alimenter n'importe quoi dans des pays souvent gangrenés par la corruption.
Telle est, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la position du groupe socialiste. Je me félicite de ce texte, qui, très attendu, recueille un large consensus. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais l'aide au développement et à la coopération internationale n'a été aussi nécessaire pour répondre à l'attente des populations qui, à travers le monde et aux portes de l'Europe, souffrent de l'écart grandissant des revenus entre pays riches et pays pauvres.
C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de loi de notre collègue Michel Thiollière, qui vise à renforcer la coopération décentralisée en matière de solidarité internationale et qui est très attendue par les collectivités territoriales.
Au nom de mon groupe, je tiens à saluer cette initiative, qui s'inscrit dans le droit-fil de la loi du 9 février 2005, votée sur l'initiative de notre ancien collègue Jacques Oudin, qui a autorisé le financement des actions de coopération internationale décentralisée conduites par les collectivités territoriales et les agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement.
Comme l'a excellemment rappelé notre rapporteur, Charles Guené, le poids de l'action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements est toujours croissant. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui constitue une étape supplémentaire, qui leur permettra de prendre toute leur part de responsabilité dans les rapports Nord-Sud en matière de développement.
Face aux événements tragiques qui ont endeuillé le Sud-Est asiatique en décembre dernier, la Louisiane et le Guatemala cet été et, plus récemment, le Pakistan et l'Inde, face au désastre humain et aux conséquences dramatiques des catastrophes naturelles qui nous ont frappés d'horreur, comment ne pas, dans un élan de solidarité, vouloir aider toutes celles et tous ceux qui souffrent, notamment les populations les plus fragiles ? Tsunami, séismes, cyclones ont fait, ces derniers mois, d'innombrables victimes. Au-delà des morts, ce sont des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sans abri qui errent dans des régions totalement dévastées, où les secours peinent à parvenir.
Comment ne pas réagir lorsque les catastrophes naturelles aggravent davantage la fracture Nord-Sud, entre nos pays développés, où nous avons « trop de tout », et ces régions, déjà ravagées par les conflits et les guerres civiles, où les populations sont décimées par la faim et les pandémies ?
Depuis dix ans, le Président de la République plaide pour que le développement des pays les plus pauvres soit au coeur des préoccupations de la communauté internationale. Les Français partagent ce sentiment en disant que la pauvreté et la faim dans le monde ne sont pas une fatalité et qu'elles peuvent être surmontées par une forte volonté politique. La souffrance de ces pays est humainement insupportable, moralement inacceptable, mais aussi politiquement dangereuse !
On ne dira jamais assez combien l'intégrisme et le fanatisme se nourrissent de l'injustice, de la misère, et du désespoir. Aussi la France mène-t-elle une politique de coopération dont nous pouvons être fiers, madame la ministre.
En effet, nous consacrons 7,5 milliards d'euros à l'aide publique au développement, soit 0,44 % de notre revenu national brut, ce qui représente une progression de 10 % par rapport à 2004.
Les récentes mesures visant à annuler la dette des pays africains les plus pauvres, l'idée retenue par le Président de la République de créer un prélèvement de solidarité de quelques euros sur les billets d'avion, sont autant de contributions à la politique de développement résolument volontariste que nous devons mener. Mais les besoins sont immenses et les moyens de l'Etat sont, à eux seuls, insuffisants. L'intervention de nos collectivités territoriales est donc indispensable. Encore faut-il leur donner les moyens d'agir aux côtés de l'Etat.
C'est aujourd'hui l'honneur du Sénat, une fois encore, grâce à notre collègue Michel Thiollière, que de jouer pleinement son rôle d'éclaireur et de force de propositions en levant l'obstacle juridique qui restreint la possibilité pour les collectivités territoriales de mener des actions de coopération avec les autorités territoriales étrangères en matière de solidarité internationale. Mais il ne suffit pas d'augmenter le volume de l'aide, il faut aussi en améliorer l'efficacité. L'assistance doit céder la place à un partenariat Nord-Sud responsable fondé sur l'exigence de la transparence.
En tendant à leur donner les moyens juridiques d'intervenir, ce texte permettra aux collectivités territoriales d'agir en toute sécurité et surtout en toute transparence.
L'excellent rapport de notre collègue Charles Guené souligne l'ancienneté, la diversité et l'importance des actions extérieures des collectivités territoriales, précisant que leur financement s'était élevé à 230 millions d'euros en 2004, dont 115 millions d'euros au titre de l'aide au développement.
Les communes ont bien été les premières à s'engager dans la coopération internationale, avant d'être rejointes par les départements et les régions, qui bénéficient désormais du soutien de l'Etat.
Toutefois, si les élans de solidarité naissent spontanément devant l'ampleur des catastrophes et l'urgence à réagir pour secourir les victimes, le droit peine, malheureusement, à suivre les faits.
Notre collègue Charles Guené a parfaitement rappelé dans son rapport combien l'incertitude juridique, due à la multiplicité des instruments de coopération et des textes applicables notamment, freinait les engagements des collectivités territoriales. Si, pour faciliter leur insertion dans l'environnement régional, les départements et les régions d'outre-mer, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie notamment ont été autorisées à traiter directement avec les Etats voisins, les collectivités métropolitaines se sont vu jusqu'à présent accorder des possibilités d'action beaucoup plus restreintes.
En effet, pour être légales, ces actions doivent relever de la compétence des collectivités territoriales, ne pas être contraires aux engagements internationaux de la France et surtout présenter un intérêt local.
L'absence de définition objective de cette notion d'intérêt local a conduit, nous le savons, à des interprétations jurisprudentielles divergentes et nombre d'actions de coopération ont ainsi été annulées par les juridictions administratives. On se souvient du contentieux qui a opposé le conseil général des Deux-Sèvres à la juridiction administrative. De la même manière, la commune de Stains en est un autre exemple significatif.
Ces exemples et bien d'autres encore montrent combien il est difficile d'apporter la preuve que des actions de coopération décentralisée présentent un intérêt direct pour les populations locales en France.
C'est donc parce que cette proposition de loi vise à donner une base légale incontestable à l'aide au développement et à l'aide humanitaire d'urgence consentie par les collectivités territoriales françaises qu'elle permettra aux acteurs territoriaux de participer clairement à l'effort de solidarité internationale.
Encore une fois, la brièveté du texte qui nous est soumis ne doit pas cacher l'ampleur de l'enjeu : clarifier et favoriser les actions extérieures des collectivités en leur donnant un cadre juridique certain, évitant ainsi toutes sortes de contestations.
Cet article unique tend, en effet, à réécrire l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales. Il permettra de sécuriser les engagements pris dans le cadre de conventions passées désormais légalement avec les autorités locales étrangères et, surtout, autorisera les actions humanitaires hors convention lorsque l'urgence l'exigera.
Enfin, un souci parfaitement légitime - voire indispensable - de transparence justifie l'obligation qui est faite aux collectivités de mentionner dans la convention l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers.
Cette disposition permettra aux collectivités de mieux justifier leurs choix en cas de contrôle de la chambre régionale des comptes
Madame la ministre, je me permettrai une suggestion : je pense qu'il serait nécessaire que l'ensemble des interventions des collectivités territoriales puissent faire l'objet d'un recensement général, sous votre autorité et, peut-être, dans le cadre de la Commission nationale de la coopération décentralisée. En effet, ceux qui travaillent dans le domaine de la coopération décentralisée - ils sont nombreux et j'en fais partie - constatent très souvent sur le terrain la multiplication des initiatives de coopération, qui sont à la fois efficaces et volontaristes, mais qui, à défaut d'être coordonnées, ne sont parfois même pas connues de nos propres ambassades ni des autorités locales. Il en va de l'efficacité de notre aide et de l'image de la France dans le domaine de la coopération, domaine dans lequel interviennent de nombreux pays, souvent avec moins de moyens mais avec une méthode beaucoup plus efficace pour le faire savoir.
Grâce à cette proposition de loi, les élus locaux pourront agir efficacement aux côtés du Gouvernement pour secourir les innombrables populations qui comptent sur notre solidarité et pour améliorer leurs conditions de vie et leur développement
Désormais, les collectivités agiront en toute sécurité et en toute transparence, l'une et l'autre constituant les fondements mêmes de toute aide librement consentie et largement acceptée.
Parce que ce texte apporte des avancées, le groupe UMP le soutiendra à l'unanimité en félicitant notre collègue Michel Thiollière de son excellente initiative. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Thiollière.
M. Michel Thiollière. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord me réjouir de l'inscription à l'ordre du jour de notre assemblée de cette proposition de loi et du débat qui nous réunit ce matin.
Je remercie notre commission des lois, son président, Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, Charles Guené, d'avoir accepté d'étudier ce texte, de l'approfondir et de l'améliorer notablement, pour le rendre acceptable par l'ensemble des membres de notre assemblée.
Je remercie également le Gouvernement d'accueillir favorablement ce texte, qui - j'en suis convaincu - non seulement rassurera ceux qui prennent des engagements à l'étranger, mais encore permettra que des espaces de liberté nouveaux soient accordés à nos collectivités.
En cas de graves troubles dans le monde, et dans la mesure où ce dernier est devenu de plus en plus petit en raison notamment des images qui sont diffusées tous les jours, nous sommes tous sollicités sur nos territoires, soit par des communautés étrangères résidant chez nous, soit par des organismes - qu'il s'agisse ou non d'ONG - qui pratiquent la solidarité internationale.
Quand est survenu le tsunami, comme à bon nombre d'entre nous, on m'a demandé ce que la ville de Saint-Etienne pourrait faire pour aider nos concitoyens qui s'engagent eux-mêmes à travers des associations ou pour agir directement sur place, là où l'urgence était déclarée.
Il s'est avéré que les actions que nous pouvions décider étaient peu sûres juridiquement et que pesait sur nous une hypothèque. D'une certaine manière, c'est comme si l'on appelait le SAMU sans être certain que le code de la route lui permette de s'arrêter sur le lieu de l'accident. Ayant eu quelques scrupules, je me suis demandé s'il fallait même expliquer aux ONG qui nous sollicitaient quelle hypothèque juridique pesait sur nous. J'ai eu la conviction que ce ne serait pas forcément compris et que, à l'autre bout du monde, on ne comprendrait pas non plus qu'une collectivité, tout en s'engageant, s'interroge sur son droit à le faire.
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de déposer cette proposition de loi.
D'une part, elle vise à permettre d'accompagner la générosité et la solidarité. Nous savons combien de pays sont concernés dans le monde et quel effort financier cela représente pour l'ensemble de nos collectivités. Nos concitoyens ne supportent pas l'insupportable et, à travers leurs actions et les dons qu'ils remettent chaque année aux ONG, ils permettent à de nombreuses populations de vivre un peu moins mal les traumatismes qu'elles subissent.
D'autre part, la proposition apporte aussi un espace de liberté supplémentaire à nos collectivités, qui n'auront plus à cacher leurs actions internationales, sur lesquelles pesaient jusqu'à présent un certain nombre d'hypothèques.
Chaque fois qu'une commune, qu'un département, qu'une région agit à l'international, c'est l'image de la France qui est en jeu. Il ne doit pas y avoir d'incertitudes juridiques. L'absence d'une telle sécurité juridique lors de chacun de nos engagements altèrerait durablement les efforts des uns et des autres.
Chaque fois qu'une collectivité décide de s'engager dans une coopération décentralisée - cela m'est arrivé à Saint-Etienne -, elle représente notre pays et les autres collectivités. De plus, il s'ensuit des échanges et des retours d'expérience tout à fait intéressants. Chaque fois que nous participons, en Europe de l'Est ou en Afrique, à des opérations de coopération décentralisée, nous apprenons un peu du monde tel qu'il est. Nous en retirons d'appréciables bénéfices humains, économiques et culturels qui doivent être partagés par le plus grand nombre.
Le Gouvernement a eu la très bonne idée de lancer les pôles de compétitivité dans le domaine de la recherche et de l'industrie. Ces pôles de compétitivité sont en contact avec des partenaires internationaux, lesquels constituent une sorte de monde en réseau qui s'organise autour des solidarités. A l'évidence, cela rend nos territoires beaucoup plus attractifs.
Telles sont les raisons pour lesquelles cette proposition va, me semble-t-il, dans le sens d'un renforcement de l'image de notre pays à l'étranger. Les montants en jeu- 230 millions d'euros - qui confortent l'aide de l'Etat et l'aide apportée par les Français sont importants. De plus, ces aides permettent aussi à notre pays de rayonner dans les domaines culturel et économique et en matière de cohésion sociale.
Je remercie notre assemblée d'avoir bien voulu débattre et le Gouvernement d'avoir accepté cette proposition. J'espère qu'au terme de son cheminement dans les mois qui viennent, que je souhaite tout aussi consensuel et positif, cette proposition permettra à la fois à nos collectivités d'avoir un espace de liberté supplémentaire et à notre pays de rayonner encore davantage. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'objet de ma démarche, comme celle des Verts, est de contribuer à la transformation radicale de la politique de coopération décentralisée en France.
Cette contribution, dans le cadre de cette discussion générale, se traduit par l'élargissement de la réflexion sur la transformation de la coopération décentralisée à deux autres points essentiels : d'une part, la question de la compétence des collectivités territoriales et de leurs groupements à conclure des conventions avec des organisations internationales ; d'autre part, la question de la transformation de la politique de coopération de l'Etat français lui-même.
Cette contribution se traduit également par le dépôt d'un amendement visant à introduire la notion de durabilité dans l'intégralité du processus de coopération décentralisée.
La mondialisation nous a forcés à nous rendre compte de l'interdépendance des populations de la planète. Que les Etats le veuillent ou non, ce qui se passe dans les rues de Bogota, de Dakar ou de Pékin a des conséquences directes dans les rues de New York, de Rome ou de Paris.
A ce constat s'ajoute celui de l'émergence de systèmes de gouvernance locale légitime, presque partout dans le monde, mais surtout en Europe.
Les collectivités locales sont, aujourd'hui, des acteurs éminents dans les efforts réalisés en vue de réduire les déséquilibres et les inégalités écologiques, socioéconomiques, qui persistent et, parfois, augmentent, tant à l'échelon national que dans les rapports Nord-Sud, Sud-Est et Est-Ouest, ainsi qu'à l'échelon local dans les rapports entre le centre et la périphérie.
Le rôle des collectivité locales, en raison de leurs pouvoirs, de leurs compétences, de leurs moyens et de leur proximité avec les citoyens, est désormais reconnu par de nombreux textes et engagements internationaux : l'Agenda 21, adopté lors du sommet de la Terre de 1992, les assemblées mondiales des villes et autorités locales de 1996 et de 2001, la conférence de l'ONU et son programme « Habitat II+5 » en 2001, ainsi que le sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002.
Tous ces textes - c'est aussi le souhait des organisations internationales qui les soutiennent -, confrontés aux effets contrastés des politiques de coopération décentralisée menées jusqu'à présent par les collectivités territoriales, appellent aujourd'hui à engager ces actions dans le cadre du développement durable.
Introduire la notion de développement durable dans le régime juridique des collectivités territoriales et de leurs groupements suppose un basculement vers une autre manière d'appréhender, de mettre en oeuvre ou de contrôler la coopération.
La durabilité suppose d'assurer à tous la reconnaissance et le respect des libertés et droits fondamentaux, le respect de la dignité et de la valeur de la personne humaine ainsi que le respect de l'égalité entre hommes et femmes.
Une coopération décentralisée durable impose la construction et la promotion d'une citoyenneté à l'échelle locale, régionale, nationale et mondiale, avec des personnes devenant les acteurs directs des politiques publiques et de la solidarité.
L'objectif est de rendre reproductibles des systèmes de gouvernance locale participative, autonome et démocratique. Les fondements supplémentaires en sont la solidarité mondiale et transgénérationnelle, la justice, l'équité sociale, la viabilité économique, la responsabilité environnementale et le respect de la diversité culturelle.
Dans cette logique de durabilité, le développement s'inscrit sur le long terme. Il convient d'agir avant les catastrophes humaines et naturelles. La coopération est orientée sur ce qui permet de prévenir les effets des tsunamis, des tremblements de terre, des conflits ou, parfois, des famines provoquées.
Il faut, dans la mesure du possible, laisser l'humanitaire aux ONG et aux organisations internationales. L'envoi par avions d'eau, de tentes, de nourriture, l'envoi de médecins, elles le font depuis maintenant longtemps et elles le font le mieux possible.
Les collectivités territoriales doivent intervenir avant ou après les destructions pour construire et reconstruire. Il faut agir mieux en amont pour moins réagir en aval.
La durabilité dans la coopération décentralisée induit de facto à conditionner l'aide. Ce conditionnement dépasse le choix du partenaire et s'applique préalablement aux modalités de la conception et de la mise en oeuvre de chaque partenariat.
Les notions d'égalité, de solidarité, de précaution, de prévention, de réversibilité, de subsidiarité, de transparence ainsi que de transversalité, d'évaluation et de capitalisation doivent être présentes dans chaque projet de coopération.
Des collectivités, tel le conseil régional d'Ile-de-France, appliquent déjà ces principes de façon concrète.
A la conception de tout projet, c'est l'ensemble des enjeux du développement - en termes d'environnement, d'économie, de social, de cultures, de territoires, notamment - qui est appréhendé.
Tous les élus et services sont ainsi impliqués dans une recherche de cohérence des initiatives.
La responsabilité de chaque partenaire est clairement définie, la totalité de l'information est accessible à tous, l'évaluation est permanente et concertée.
Alors, la capitalisation permet de valoriser et de diffuser les succès du projet, qui peut ainsi être reproduit ailleurs et par d'autres.
Il convient toutefois de dire que cela ne suffit pas.
Pour des raisons évidentes, l'ONU - notamment à travers les objectifs du Millénaire - ainsi que des organisations représentant les collectivités territoriales, telle Cités et gouvernements locaux unis, demandent l'implication des collectivités dans les relations avec les organisations internationales.
Les organisations internationales sont aujourd'hui des acteurs incontournables du développement durable. Dans le monde entier, elles préparent, conseillent, financent ou réalisent des projets pensés et élaborés dans la durabilité.
La viabilité même du développement des actions de ces deux types d'entités non étatiques - organisations internationales d'un côté, collectivités territoriales de l'autre - est en danger si elles ne trouvent pas de moyens de convergence.
Pour le bien de tous, et surtout de tous ceux qui ont très peu sinon rien, ces deux sphères de la coopération ne peuvent continuer à coexister sans se rencontrer.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples concrets.
En 1999, une grande inondation a frappé le centre du Vietnam. Comme je l'ai dit, l'humanitaire doit demeurer de la responsabilité des organisations internationales et des ONG. Une grande région française, qui désirait précisément offrir des fonds à la Croix-Rouge Internationale, implantée sur place et immédiatement opérationnelle, n'a pu le faire parce que l'état actuel de notre droit ne le lui permettait pas.
Cette année, après la délibération de deux conseils municipaux d'une ville du centre de la France, un prisonnier politique tibétain a été parrainé. Sûrement soucieux de préserver nos rapports économiques et politiques avec la Chine, le préfet a rejeté cette décision, contestant sa légalité bien qu'aucune dépense n'ait été engagée ! L'état actuel de notre droit ne le permettait toujours pas.
Certains citoyens contestant l'intérêt local de telles actions, l'urgence d'une loi est apparue. Ainsi l'actuelle proposition de loi est-elle fondée sur l'idée de sécuriser les actions de coopération des collectivités territoriales et de leurs groupements.
Enfin, c'est toute la politique de coopération de la France qu'il convient de transformer. Que se passerait-il si, par parallélisme des formes, une telle obligation était imposée à l'Etat ? Que se passerait-il si l'on étendait cette question au choix de zones de coopération prioritaire, au choix d'actions comme le développement de la francophonie, à la légitimité globale des actions financées par la COFACE, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, organisme dont, je le rappelle, les comptes ont été refusés par la Cour des comptes pour la troisième année consécutive et qui présente la particularité de gérer simultanément, pour le compte de l'Etat, l'ensemble des garanties publiques de contrats civils et militaires et d'être l'outil privilégié de la politique publique de soutien aux exportations ?
On ne peut se limiter à opposer aux collectivités locales engagées dans la solidarité internationale des critères qui sont inexistants à l'échelon de la coopération intergouvernementale. Les citoyens, attentifs à l'usage des fonds publics, verraient d'un bon oeil une plus grande transparence et une éthique soutenue au plus haut niveau des décisions.
L'action des collectivités locales françaises répare très souvent les injustices causées par l'Etat français lui-même. Mais elle ne peut se substituer indéfiniment à des politiques internationales fondées sur la promotion de technologies coûteuses et inadaptées. En outre, elle se refuse à contribuer au soutien des dictatures en place et, par là, à légitimer leurs exactions.
En l'espèce, nous considérons ce texte comme la première pierre à la préparation d'une loi sur la coopération internationale française ambitieuse et humaniste, c'est-à-dire centrée sur l'autonomie des peuples, le respect des droits humains et des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, traduction concrète de l'impératif de solidarité qui inspire l'action extérieure de la France, la coopération décentralisée constitue aujourd'hui une composante essentielle de notre politique de coopération internationale et d'aide au développement.
La coopération décentralisée, action extérieure des collectivités territoriales françaises, a imposé sa légitimité et bénéficie du soutien de l'Etat. Elle constitue une réalité institutionnelle et politique que traduisent les chiffres : d'après les données de la Commission nationale de la coopération décentralisée, près de 3 250 collectivités ou groupements français entretiennent plus de 6 000 relations de coopération dans 115 pays, représentant 230 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
Avant même de se voir attribuer un cadre juridique cohérent - mais à l'évidence insuffisant - avec la loi du 6 février 1992, la coopération décentralisée n'a cessé de se développer en qualité et en quantité depuis quinze ans.
La coopération initiée par les collectivités territoriales a toujours été, à mes yeux, une excellente coopération. C'est une coopération directe entre nos collectivités et les collectivités étrangères. C'est une école de la démocratie, qui sert aussi bien nos amis du Sud que nos concitoyens, qui se rendent ainsi mieux compte des difficultés vécues au quotidien par les pays sous-développés. Oui, je crois que la coopération décentralisée participe pleinement à l'effort entrepris pour l'éducation au développement.
Comme le souligne un récent rapport du groupe de travail mis en place par le Conseil d'Etat sur le sujet, le droit de la coopération décentralisée a toujours été en retard sur sa pratique. Et c'est peut-être pour cela qu'elle a été oubliée par les lois de décentralisation de 1982 et 1983.
En effet, seule la loi du 2 mars 1982 fait mention, dans son article 65, de la coopération transfrontalière, laquelle ne constitue que l'une des deux faces de la coopération décentralisée, l'autre étant la coopération au développement.
Depuis 1992, la coopération décentralisée a rattrapé une grande partie de son retard en matière juridique et a accumulé, ces dernières années, des instruments juridiques nouveaux mis à la disposition des collectivités territoriales.
Toutefois, son cadre juridique n'est pas encore parfaitement sécurisé, comme est venue le rappeler la décision du tribunal administratif de Poitiers du 18 novembre 2004. Celui-ci a effet censuré des actions engagées en Afrique par un conseil général au motif qu'elles étaient dépourvues d'intérêt local. Cette décision a mis en relief la fragilité juridique des actions de coopération décentralisée.
A partir de là, il devenait nécessaire et urgent de sécuriser juridiquement l'action extérieure des collectivités territoriales en mettant le droit en adéquation avec les faits. C'est ce à quoi nous invite la très bonne proposition de loi de notre collègue et ami Michel Thiollière, texte que nous examinons aujourd'hui dans une version remaniée et améliorée par la commission des lois et son excellent rapporteur.
Cette initiative, aussi urgente que pratique, nous permettra de renforcer la sécurité juridique des actions de coopération décentralisée dont l'intérêt local serait susceptible de faire débat. Nous donnerons ainsi une base juridique plus solide aux actions d'aide au développement et d'aide humanitaire d'urgence.
De plus, le texte prévoit que les collectivités territoriales et leurs groupements pourront financer des ONG ou des associations sans passer de convention. Ainsi, des actions de coopération décentralisée pourront avoir lieu dans l'urgence, comme c'était déjà parfois le cas. Mais, cette fois-ci, elles se dérouleront en toute sécurité juridique.
Le droit international comme le droit interne offrent aujourd'hui aux collectivités territoriales qui le souhaitent les moyens appropriés de mener des actions de coopération décentralisée. Cette proposition de loi viendra renforcer notre droit interne et permettra aux collectivités territoriales d'agir mieux, plus vite et de manière plus sûre en faveur des collectivités et des populations étrangères, de les aider techniquement, financièrement et humainement.
De cette façon, les collectivités territoriales françaises renforceront encore davantage leur dimension d'acteur de la politique de coopération et d'aide au développement de notre pays.
Des questions très concrètes demeurent toutefois en suspens et méritent une réflexion spécifique, avant de trouver une éventuelle traduction législative : je pense, par exemple, à la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux, ou encore aux circuits de financements des projets. Sur ces sujets, et sur bien d'autres encore, le Haut conseil de la coopération internationale, par l'intermédiaire de sa commission « coopération décentralisée », a entamé un travail de réflexion qui fera l'objet de propositions pratiques à destination de tous les acteurs de la coopération décentralisée.
Ces acteurs attendent aujourd'hui que nous adoptions la proposition de loi qui nous est présentée par notre collègue Michel Thiollière. Le groupe du RDSE votera bien évidemment ce texte avec enthousiasme, en souhaitant, madame la ministre, que vous puissiez le faire inscrire rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je n'avais pas prévu de m'inscrire dans ce débat, mais l'absence involontaire de mon collègue M. Sueur me fournit un petit créneau, et je remercie la présidence d'avoir bien voulu accepter que je le remplace.
M'exprimant aussi en tant que rapporteur spécial des crédits de l'aide au développement - fonction que j'exerce depuis très longtemps à la commission des finances -, j'estime que la proposition de loi de M. Thiollière, destinée à prévenir les contentieux et soutenue par la commission des lois, est une heureuse initiative.
En effet, ce qui est arrivé jusqu'à présent n'est pas grand-chose par rapport à ce qui pourrait arriver si le juge administratif décidait de s'engager plus systématiquement dans cette voie car, lorsque la coopération décentralisée a été créée, au moment de la première loi de décentralisation de Gaston Defferre, cette possibilité n'avait pas du tout été examinée au regard des dispositions du code des collectivités territoriales, qui prévoient que tout ce qui n'est pas d'intérêt local n'est pas de la compétence du conseil municipal, du conseil général ou du conseil régional.
Donc, cette proposition de loi lève une incertitude, une ambiguïté et, selon moi, elle mettra les préfets beaucoup plus à l'aise qu'ils ne l'étaient : ils ne pouvaient se référer à d'autres textes que celui que je viens de rappeler, mais il y avait une certaine tolérance et ils devaient en appeler au ministère des affaires étrangères, ce qui ne facilitait pas toujours les choses. Mais il est évident - ce n'est d'ailleurs l'objectif ni de M. Thiollière ni de la commission des lois - que cette nouvelle législation ne dispensera pas les préfets d'exercer leur contrôle de légalité.
De ce point de vue-là, la notion d'engagements internationaux de la France ne doit pas soulever une quelconque ambiguïté. Au demeurant, la navette avec l'Assemblée nationale pourrait permettre de la dissiper, s'il y en avait une.
Il doit être entendu que, en l'espèce, les engagements internationaux sont ceux de l'article 5 de la Constitution, dont le Président de la République est le gardien, et non pas ceux, trop vagues et trop généraux, des articles 53 et suivants de la Constitution, sans parler de l'article 16...
En d'autres termes, un échange de lettres de créance d'ambassadeur ou l'établissement et l'existence de relations diplomatiques, ce sont des engagements internationaux. Et si une collectivité territoriale devait contrevenir en quoi que ce soit, par une de ses délibérations, aux relations internationales normales entre la France et un pays donné, conformément aux engagements pris au moment de l'établissement des relations diplomatiques et de l'échange des lettres de créance, il va de soi qu'il pourrait y avoir lieu à contrôle de légalité. Cela ne veut pas dire que ce dernier prospérerait forcément, mais en tout cas cela poserait problème pour la juridiction saisie.
Sous le bénéfice de cette observation, monsieur le président, je voudrais brièvement aborder trois points.
Mes chers collègues, il n'y a pas d'un côté la France et de l'autre ses collectivités locales. Pour les pays étrangers, la France est une, et l'unité de la République impose qu'il en soit ainsi dans toutes les actions extérieures ayant un caractère public. Et les actions des collectivités territoriales sont naturellement des actions publiques !
La politique extérieure relève, dans notre pays, de la seule compétence du Président de la République et du Gouvernement, sous le contrôle du Parlement. Il ne peut donc pas y avoir deux politiques extérieures différentes, l'une de l'Etat et l'autre d'une ou de plusieurs collectivités territoriales. Cela ne s'est d'ailleurs jamais produit depuis la première décentralisation Defferre de 1982.
Cela veut dire que les interventions extérieures des collectivités territoriales ne peuvent pas donner le sentiment qu'elles remettent en cause ou qu'elles contrarient si peu que ce soit la politique extérieure de la France. Elles ne peuvent donc qu'accompagner ou compléter notre politique extérieure et être en toutes circonstances compatibles avec elle.
Troisième et dernière observation, monsieur le président : quels que soient les efforts des collectivités territoriales, elles ne substitueront jamais leur action et leur image - celle d'une ville, d'un département, d'une région - à l'image de la France. Dans les villages du monde les plus reculés, on connaît la France, Paris parfois, mais pas forcément La Rochelle, Limoges, Clermont-Ferrand, Lille, le Puy-de-Dôme (Murmures amusés sur les travées de l'UMP), l'Ardèche ou la Franche-Comté. Et je ne parle pas de l'Aisne...
MM. Jean-Claude Carle et Jean-Patrick Courtois. Le Puy-de-Dôme est connu ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. C'est possible, grâce à Blaise Pascal. Mais je ne suis pas sûr que, dans les villages africains les plus reculés, on sache qui est Blaise Pascal !
En tout cas, chers amis, nous qui sommes des élus des collectivités territoriales et qui les représentons ici, nous savons tous qu'elles sont tout de même moins connues que la France !
La France est connue dans le monde entier, dans les pays du tiers monde en particulier, parce qu'elle appartient à l'histoire de l'humanité et qu'elle a souvent pesé sur le destin des peuples.
Les collectivités territoriales n'en sont pas encore là, et ne sont pas près d'en être là.
Dès lors que les collectivités locales ne peuvent se substituer totalement à la France à l'étranger ni remplacer l'image de la France par leur propre image, je veux dire à Mme le ministre délégué, fort de mon expérience sur le terrain - et je sais que ce que je vais dire relève non pas de la loi mais des modalités d'application -, qu'il serait tout de même heureux que, toutes les fois que c'est possible, l'action d'une collectivité territoriale, sous quelle que forme que ce soit - une plaque, des documents, une expression publique, de la communication, des colis livrés, etc. - soit toujours accomplie et présentée sous le libellé « République française », « commune de... », « département de... », « région de ... », ce qui me paraîtrait signaler plus clairement aux populations locales que la collectivité qui intervient appartient à quelque chose de plus important, à savoir la France et la République française.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Charasse. Par ailleurs, madame le ministre, j'ai souvent assisté à l'étranger à l'inauguration de réalisations financées dans le cadre de la coopération décentralisée. Or, franchement, j'ai toujours été choqué quand j'ai vu - je l'ai vu notamment au Maroc, au Mali - que le représentant sur place de la collectivité territoriale, donc un collègue maire, président du conseil général, quelquefois parlementaire, coupait le ruban en présence de l'ambassadeur de France alors que sa collectivité n'avait payé qu'un tiers de l'opération et que le budget de l'Etat, dans le cadre des contrats de plan en particulier, en avait payé les deux tiers.
Je crois, madame le ministre, qu'il faudrait aussi s'efforcer dans ce genre d'affaires de rendre à César ce qui est à César. Si l'ambassadeur peut parfaitement faire ressortir clairement dans son discours, au moment de l'inauguration, la participation de la collectivité locale dont les représentants sont présents, si c'est l'Etat qui a payé pour l'essentiel, c'est lui qui doit présider la cérémonie et couper le ruban !
C'est aussi, me semble-t-il, dans l'intérêt de la France, parce que je ne pense pas que, dans l'esprit du Sénat, la coopération décentralisée ait pour première vocation de faire disparaître la République française à l'étranger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée. Je souhaite répondre à deux questions qui ont été posées aussi bien par M. Charasse que par M. Cambon sur la cohérence de l'action de la France en matière d'aide au développement et sur l'information entre ce que font les collectivités locales, l'Etat ou le secteur privé.
Il est effectivement nécessaire que la France soit représentée dans toutes ses composantes, et nous travaillons tous au rayonnement de la France à l'étranger.
J'indique d'abord à M. Cambon que le Gouvernement se préoccupe de la nécessité de recenser tout ce que font les collectivités locales à l'étranger et qu'il y veille plus particulièrement dans le cadre de la Commission nationale de la coopération décentralisée, que je présiderai prochainement.
Par ailleurs, sur le site Internet du ministère des affaires étrangères, la rubrique DiploNet donne l'état des lieux des actions menées par nos collectivités locales à l'étranger.
Cela me conduit à répondre à M. Charasse qu'il est essentiel que nos collectivités locales aient le réflexe d'informer nos ambassadeurs de ce qu'elles font. En particulier, lorsque des élus se rendent dans des pays étrangers, il est tout à fait essentiel de leur rappeler que leur première démarche doit consister à informer l'ambassadeur de leur venue et des opérations qu'ils mènent.
Il importe que nous travaillions tous à ce que cette information circule bien. Et toute la réforme de l'aide au développement et de notre système de coopération, que j'ai la charge de mettre en oeuvre, vise précisément à donner cette cohérence que vous souhaitez, monsieur Charasse.
Le nouvel instrument de notre politique de coopération, le document-cadre de partenariat, qui doit être négocié par nos ambassadeurs avec les autorités locales, vise à recenser non pas simplement toutes les actions que mène l'Etat en matière de coopération, mais également ce que font dans ce domaine les collectivités locales, le secteur privé, les établissements publics - les établissements de recherche notamment -, pour que nous disposions dans un document unique, sous le pilotage de notre ambassadeur, de l'ensemble des actions conduites par la France selon des canaux divers, bilatéraux ou multilatéraux.
Il est indispensable que nous ayons une image unique de la France partout à l'étranger. C'est tout le sens de cette réforme de la coopération, qui répond tout à fait au souci que vous avez exprimé et que nous partageons. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
L'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Art. L. 1115-1. - Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement. Ces conventions précisent l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l'Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1 et L. 2131-2, L. 3131-1 et L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les dispositions des articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables.
« En outre, si l'urgence le justifie, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou financer des actions à caractère humanitaire. »
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, sur l'article.
M. Michel Charasse. J'ai dit tout à l'heure quelle devait être, à mon avis, l'interprétation de la notion d'« engagements internationaux ».
Je voudrais compléter mon propos en disant que, à mon sens, l'interprétation que le ministère de l'intérieur et le ministère des affaires étrangères feront au moment du contrôle de légalité devrait être fondée en réalité sur la notion des « actes de gouvernement » en matière de politique extérieure, qui ne relèvent pas de la compétence contentieuse du Conseil d'Etat selon la jurisprudence constante de la Haute juridiction.
Donc, tout ce qui est « acte de gouvernement » fait partie des engagements internationaux. Ce ne sont pas forcément des engagements écrits ! Il faut donc faire très attention.
Ensuite, madame le ministre, je pense pour ma part qu'à la suite du vote de ce texte - que, je l'espère, l'Assemblée nationale soutiendra - il ne serait pas inutile que des instructions soient adressées aux préfets pour que, désormais, dès qu'elles leur sont transmises pour contrôle de légalité, les délibérations des collectivités locales en matière de coopération décentralisée soient systématiquement adressées à l'ambassadeur de France compétent - c'est-à-dire en poste dans le pays concerné -, sous couvert du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères,. Il faut éviter que nos ambassadeurs apprennent ces initiatives par hasard ou par raccroc, une fois expiré le délai de saisine du tribunal administratif.
L'obligation de transmission devrait donc porter aussi sur ce point. C'est une simple instruction à donner aux préfets ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
I. Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, après le mot :
aide
insérer le mot :
durable
II. Dans le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, après le mot :
actions
insérer le mot :
durables
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Mes chers collègues, permettez-moi de revenir un moment sur la notion essentielle de durabilité.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui a pour objet de renforcer la sécurité juridique des actions de coopération engagées par les collectivités territoriales et leur groupement.
Face à certaines lacunes, ce texte a été remplacé par une proposition de la commission des lois qui se veut plus complète.
C'est dans ce même esprit que doit être interprété le présent amendement, qui vise à renforcer le régime juridique desdites actions de coopération et permettre ainsi à la solidarité entre peuples de continuer à se développer.
Toutefois, il est de la volonté constante des « Verts » d'oeuvrer à la mise en oeuvre du principe de durabilité dans l'ensemble de notre droit.
Cette volonté doit s'entendre non pas comme un désir dogmatique ou artificiel, mais plutôt comme la profonde motivation de transformer, profondément et durablement, notre vision et notre façon d'agir dans la totalité du prisme politique.
Cela passe donc par l'introduction de la notion de durabilité dans les coopérations décentralisées, notion qui va permettre de renforcer la transparence, le contrôle, l'évaluation de tous les projets de coopération, tout en ancrant encore plus fermement au coeur de ce processus les citoyens de tous les pays, leur droit à l'environnement et la démocratie.
Cet amendement aurait pu être plus ambitieux et tenter d'introduire d'autres notions dans le code général des collectivités territoriales, notamment en élargissant clairement la compétence des collectivités à la possibilité de conclure des conventions avec des organisations internationales.
Cependant, la nature des débats qui se sont déroulés en commission des lois n'a pas plaidé pour ce choix.
De plus, l'état actuel du droit n'est pas totalement opposé à l'engagement de nos collectivités territoriales. En effet, celles-ci peuvent s'engager avec des organisations internationales, mais seulement dans un cadre extrêmement restreint ; ces engagements doivent se fonder juridiquement sur une convention décentralisée préexistante, dûment signée entre collectivités territoriales françaises et les Etats ou les organisations étrangères.
Voila pourquoi je me suis contentée de limiter cet amendement à la notion de durabilité, refusant, pour cette occasion précise, de soulever toute autre controverse.
Pour ces motifs, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement, car il vise à inscrire notre aide au développement dans la durée, ce qui nous semble très important.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Guené, rapporteur. Madame Boumediene-Thiery, nous nous sommes interrogés sur le sens que vous entendiez donner à ce qualificatif de « durable ».
Effectivement, pris dans son acception plus récente et moderne, il nous a semblé que ce terme serait réducteur par rapport à ce que nous entendons, qui est sans doute beaucoup plus large, et qu'il serait inadapté face à l'urgence.
De la même manière, pris dans son sens littéral, dans la mesure où il s'agit la plupart du temps de conventions qui supposent la durabilité, le terme devient inutile
Par ailleurs, s'il s'applique à l'humanitaire, soit il s'agit de l'humanitaire qui n'est pas urgent, et nous sommes alors dans le cadre de conventions, soit il s'agit de l'humanitaire d'urgence, auquel cas le mot « durable » est, à l'évidence, totalement inadapté, puisqu'il s'agit de faire face à des situations d'urgence.
Dans cette mesure, la commission ne peut émettre qu'un avis défavorable, et je le regrette bien.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée. Sur cet amendement, le Gouvernement a la même position que la commission.
Effectivement, l'ajout du terme « durable » au mot « aide », dans la première partie de l'amendement, paraît superflu parce que, par nature, l'aide au développement s'inscrit dans une perspective durable.
D'autre part, s'agissant de l'adjonction de l'adjectif « durables » aux actions humanitaires dans la seconde partie de l'amendement, je dois dire qu'il serait paradoxal qu'une décision visant à permettre aux collectivités de répondre dans l'urgence aux besoins suscités par une catastrophe exceptionnelle soit subordonnée à une contrainte de long terme. Cette partie de l'amendement viderait l'initiative de M. Thiollière d'une grande partie de sa portée en ce qui concerne l'aide immédiate d'urgence, qui est essentielle dans des situations du type raz-de-marée ou tremblement de terre, par exemple.
Dans ces conditions, nous ne pouvons émettre qu'un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il me semblait que l'aide d'urgence n'était pas en contradiction avec des actions durables, au contraire. A plusieurs reprises, à l'occasion d'événements malheureux, des organisations internationales ont ainsi mis en place des programmes s'étalant sur plusieurs années, dans une certaine pluriannualité permettant de mettre en oeuvre cette action durable.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Il y a certainement moyen, sans d'ailleurs forcément modifier le texte, d'aller dans le sens que préconise notre collègue, et ce pour la raison suivante : inscrire dans la loi l'expression « aide durable », c'est contrevenir, juridiquement parlant, au principe d'annualité du budget des collectivités locales et aller à l'encontre d'une situation où, par exemple, à la suite d'un changement de majorité dans une commune, un département ou une région, la nouvelle majorité ne souhaiterait pas poursuivre au-delà de ce qui a déjà été fait une action dans un pays donné parce qu'elle n'aurait pas la même conception ou le même attachement pour cette action.
Donc, mes chers collègues, il n'est pas facile, juridiquement, d'inscrire cette notion dans la loi.
En revanche, je souhaite que les travaux préparatoires fassent état de certains commentaires, dont celui que je vous livre à l'instant.
De même qu'il a toujours été admis qu'une collectivité locale pouvait engager des actions pluriannuelles, notamment en investissements, il doit être entendu que ne peut pas donner lieu à contrôle de légalité une délibération d'une collectivité décidant que, « dans tel cas et dans tel pays, je ferai sur trois ans ou plus, par tranches annuelles de tel montant ». Il n'y a pas d'engagement juridique tant que le budget n'est pas voté chaque année, mais si la collectivité veut marquer qu'elle agira sur une période donnée - deux ans, trois ans, quatre ans, etc. -, il n'y a pas habituellement de contrôle de légalité dans ce cas.
Sinon, si un tel contrôle avait lieu dans ces cas, mes chers collègues, nous serions obligés de travailler sous cette contrainte chaque fois que, sur le territoire de nos propres communes, départements et régions ou dans le cadre de nos propres compétences, il est décidé d'élaborer un programme routier pluriannuel, un programme de construction de logements pluriannuel, etc.
Par conséquent, je souhaiterais que la commission des lois et, éventuellement, Mme le ministre nous confirment que telle est bien l'interprétation, et qu'il n'y aura pas deux manières de traiter des délibérations des collectivités locales, le pluriannuel étant admis dans tous les cas... « sous les réserves d'usage », comme on dit habituellement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Guené, rapporteur. Nous souscrivons tout à fait aux propos qui viennent d'être tenus, puisque les conventions qui établissent des prévisions rendent possible que l'on prenne des engagements de ce type.
Au demeurant, les interventions de notre ami Michel Charasse sont toujours très pertinentes, et nous partageons également son analyse concernant les engagements internationaux qu'il évoquait tout à l'heure. C'est d'ailleurs, comme je l'indiquais au cours de la discussion générale, l'une des raisons pour lesquelles nous avons renoncé à ajouter un article 2 qui aurait permis aux collectivités locales de passer, par délégation de l'Etat, des conventions avec des Etats étrangers. Cela aurait certes pu se concevoir, mais aurait peut-être été sujet à caution. Nous n'avons donc pas souhaité nous engager immédiatement dans cette voie.
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission sur la proposition de loi n° 224, je donne la parole à Mme Eliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Eliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'engagement et la générosité des collectivités territoriales françaises sur le plan international ne sont plus à démontrer : aujourd'hui, ce sont près de 3 250 collectivités ou groupements français répertoriés qui entretiennent plus de 6 000 relations de coopération dans 115 pays, et les montants financiers en jeu sont de l'ordre de 230 millions d'euros par an, dont la moitié va à des pays en développement.
C'est la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République qui, la première, a donné un cadre juridique précis à la coopération décentralisée et a fait de la convention sa pierre angulaire.
L'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales prévoit ainsi la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements de « conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements ». Pour être légales, ces actions doivent relever de la compétence des collectivités territoriales, respecter les engagements internationaux et présenter un intérêt local.
Mais très vite sont apparues les premières limites de notre législation en matière de coopération décentralisée.
Lorsqu'il s'agit de coopération conventionnelle, tout d'abord, la jurisprudence administrative exige que soit apportée la preuve de l'existence d'un intérêt local. Or, en l'absence de définition objective, cette notion fait l'objet d'appréciations divergentes de la part des juridictions administratives, qui, selon les cas, annulent ou valident les actions de coopération menées par les collectivités territoriales.
Quant au domaine de l'humanitaire, où il faut intervenir en urgence, les actions de coopération engagées par les collectivités territoriales le sont bien souvent sans qu'une convention de coopération décentralisée ait pu être établie au préalable, et n'ont donc pas de base légale.
Pour remédier à cette insécurité juridique et, ainsi, conforter l'action extérieure des collectivités territoriales, une modification législative était donc devenue nécessaire.
S'inspirant des préconisations figurant dans la récente étude du Conseil d'Etat, les conclusions de la commission des lois qu'il nous est proposé d'adopter vont au-delà de la proposition de loi initiale de notre collègue Michel Thiollière. Ainsi, outre les communes, la nouvelle rédaction englobe désormais les départements et les régions et lève le doute sur les incertitudes nées de la jurisprudence administrative en ce qui concerne l'intérêt local.
Le présent texte va donc permettre de donner une base juridique aux actions d'aide au développement consenties par les collectivités territoriales françaises et leurs groupements tout en rendant obligatoire leur formalisation par des conventions passées avec des autorités locales étrangères. De même, il va sécuriser les actions d'aide humanitaire d'urgence en autorisant les collectivités territoriales et leurs groupements à entreprendre, lorsque l'urgence l'exige, de telles actions hors toute convention, soit directement soit en finançant des organisations non gouvernementales ou des associations.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen approuvent ce texte, qui répond au souci exprimé par les collectivités territoriales en matière de coopération décentralisée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée à l'unanimité. - Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
4
CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS
M. le président. Mes chers collègues, je dois tout d'abord vous indiquer que la conférence des présidents s'est vue, en raison du retard pris par nos travaux, dans l'obligation de vous proposer, en accord avec M. Paul Girod, le retrait de notre ordre du jour d'aujourd'hui du débat de contrôle budgétaire sur la gestion de la dette dans les Etats de l'Union européenne.
Le Gouvernement a accepté d'inscrire ce débat à l'ordre du jour prioritaire du mercredi 9 novembre, à quinze heures, ce dont nous lui sommes très reconnaissants, car nous savons notre collègue M. Paul Girod particulièrement attaché, à fort juste titre, à la tenue de ce débat.
Par ailleurs, la conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
Mercredi 2 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures 30 et le soir :
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation agricole (n° 26, 2005-2006) ;
(M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social exposera l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi.
Par ailleurs, la conférence des présidents a fixé :
- au vendredi 28 octobre 2005, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 31 octobre 2005).
Jeudi 3 novembre 2005
A 9 heures 30 :
1°) Nomination des membres de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine ;
(Les candidatures à cette commission d'enquête devront être déposées au secrétariat central des commissions au plus tard le mercredi 2 novembre 2005 à 17 heures.)
Ordre du jour prioritaire
2°) Suite du projet de loi d'orientation agricole ;
A 15 heures et le soir :
3°) Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures.)
Ordre du jour prioritaire
4°) Suite du projet de loi d'orientation agricole.
Vendredi 4 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 9 heures 30 et à 15 heures :
- Suite du projet de loi d'orientation agricole.
Lundi 7 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et le soir :
- Suite du projet de loi d'orientation agricole.
Mardi 8 novembre 2005
A 10 heures :
1°) Dix-huit questions orales :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 784 de M. Dominique Braye à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
(Réforme de la fiscalité applicable à la gestion des déchets) ;
- n° 789 de M. José Balarello à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
(Conditions de cessions du patrimoine immobilier de l'Etat) ;
- n° 794 de M. Ivan Renar à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
(Conséquences de l'augmentation des importations de textile chinois) ;
- n° 806 de Mme Catherine Troendle à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
(Réglementation sur l'ouverture des cercueils) ;
- n° 807 de M. Denis Badré à M. le ministre de la santé et des solidarités ;
(Implantation des officines pharmaceutiques) ;
- n° 810 de M. Claude Biwer à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement ;
(Evolution de la taxe professionnelle) ;
- n° 812 de M. Roland Courteau à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
(Amélioration du réseau transeuropéen du transport) ;
- n° 813 de M. Richard Yung à M. le ministre délégué à l'industrie ;
(Ratification de l'accord de Londres sur les brevets) ;
- n° 821 de M. Jean-Pierre Bel à M. le ministre de la santé et des solidarités ;
(Situation des contractuels de la fonction publique hospitalière) ;
- n° 824 de M. André Lardeux à M. le ministre de la culture et de la communication ;
(Archéologie préventive en Maine-et-Loire) ;
- n° 826 de Mme Alima Boumediene-Thiery à M. le ministre des affaires étrangères ;
(Ratification de la convention des Nations Unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille) ;
- n° 828 de M. Jean-Pierre Sueur à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
(Réglementation relative au droit funéraire) ;
- n° 829 de M. Gérard Delfau à M. le ministre de la santé et des solidarités ;
(Menace de disparition des maisons médicales de garde) ;
- n° 830 de M. Claude Domeizel à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
(Réglementation relative à l'occupation des berges de plan d'eau) ;
- n° 832 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat à M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement ;
(Inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale d'une proposition de loi instituant une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort) ;
- n° 833 de Mme Monique Cerisier-ben Guiga à M. le ministre des affaires étrangères ;
(Compétences consulaires en matière de nationalité) ;
- n° 838 de M. René-Pierre Signé à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche ;
(Organisation des stages dans les lycées d'enseignement agricole) ;
- n° 846 de Mme Gisèle Gautier à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche ;
(Situation des producteurs de pommes face aux importations).
Ordre du jour prioritaire
A 16 heures et le soir :
2°) Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre les Gouvernements de la République française, de la République fédérale d'Allemagne, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et du Royaume des Pays-Bas, relatif à la coopération dans le domaine de la technologie de la centrifugation (n° 40, 2005-2006) ;
3°) Suite du projet de loi d'orientation agricole.
Mercredi 9 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures :
1°) Débat de contrôle budgétaire sur la gestion de la dette dans les Etats de l'Union européenne ;
A 16 heures et le soir :
2°) Suite du projet de loi d'orientation agricole.
Jeudi 10 novembre 2005
Ordre du jour réservé
A 9 heures 30 et à 15 heures :
1°) Question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire ;
(En application des premier et deuxième alinéas de l'article 82 du règlement, la conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 9 novembre 2005.)
2°) Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 27, 2005-2006) sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (n° 59, 2004-2005) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 8 novembre 2005, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 9 novembre 2005.)
3°) Débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart au nom de la commission des finances sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (n° 478, 2004-2005) ;
(La conférence des présidents a :
- attribué un temps d'intervention de quinze minutes au rapporteur spécial de la commission des finances pour la justice et au rapporteur pour avis de la commission des lois ;
- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 9 novembre 2005.)
Lundi 14 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et le soir :
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (A.N., n° 1830) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 14 novembre 2005, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 11 heures, le lundi 14 novembre 2005.)
(Par ailleurs, la conférence des présidents a décidé d'organiser deux débats :
- le premier au début de la troisième partie du projet de loi « Dispositions relatives aux recettes et à l'équilibre général pour 2006 » sur les fonds concourant au financement de la sécurité sociale, fonds de solidarité vieillesse (FSV) et fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (FFIPSA) ;
- le second au début de la quatrième partie « Dispositions relatives aux dépenses pour 2006 » sur l'assurance maladie.
Pour chacun de ces deux débats, la conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 11 heures, le lundi 14 novembre 2005.)
Mardi 15 novembre 2005
A 10 heures :
1°) Dix-huit questions orales :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 793 de Mme Anne-Marie Payet à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement ;
(Contenu du décret du 30 janvier 2002 relatif au logement décent) ;
- n° 796 de M. Jean Boyer à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;
(Avenir des caisses d'allocations familiales) ;
- n° 823 de M. Bernard Dussaut à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
(Programmation ferroviaire dans le grand Sud-Ouest) ;
- n° 834 de M. Alain Dufaut à M. le ministre de la culture et de la communication ;
(Situation financière des Chorégies d'Orange) ;
- n° 835 de M. Denis Detcheverry à M. le ministre de l'outre-mer ;
(Plan de développement économique durable pour Saint-Pierre-et-Miquelon) ;
- n° 837 de M. Gérard Longuet à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
(Desserte de la Meuse par le TGV-Est) ;
- n° 839 de M. Michel Billout à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
(Développement de l'offre de formation en Seine-et-Marne) ;
- n° 840 de M. Bernard Piras à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;
(Qualification des directeurs de centres de vacances et de loisirs) ;
- n° 841 de M. Michel Doublet à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;
(Situation des garderies périscolaires rurales) ;
- n° 843 de M. Pierre Laffitte à M. le ministre délégué à l'industrie ;
(Développement du re-raffinage des huiles usagées) ;
- n° 844 de Mme Hélène Luc à Mme la ministre de la défense ;
(Situation des personnels de GIAT-Industrie) ;
- n° 845 de M. Adrien Gouteyron à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
(Situation des infrastructures routières et ferroviaires de la Haute-Loire) ;
- n° 847 de Mme Marie-France Beaufils à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;
(Aides aux victimes de la canicule de 2003) ;
- n° 848 de M. Bernard Angels à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
(Conditions de recouvrement de la taxe sur les nuisances aériennes concernant Roissy) ;
- n° 849 de M. Dominique Mortemousque à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
(Pérennisation du taux réduit de TVA pour les professionnels du bâtiment) ;
- n° 851 de Mme Françoise Henneron à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;
(Prise en charge des heures d'aide ménagère par la CRAM Nord Pas-de-Calais Picardie) ;
- n° 856 de M. Jean-Marc Todeschini à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
(Exonération de la taxe foncière pour les propriétaires concernés par un risque d'effondrement minier brutal) ;
- n° 857 de M. Simon Sutour à M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;
(Devenir du secteur associatif).
Ordre du jour prioritaire
A 16 heures et le soir :
2°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Mercredi 16 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et le soir :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Jeudi 17 novembre 2005
A 9 heures 30 :
Ordre du jour prioritaire
1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
A 15 heures et le soir :
2°) Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures.)
Ordre du jour prioritaire
3°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Eventuellement, vendredi 18 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 9 heures 30 et à 15 heures :
- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
Lundi 21 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures et le soir :
- Projet de loi portant engagement national pour le logement (n° 57, 2005 2006) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- au vendredi 18 novembre 2005, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le vendredi 18 novembre 2005.)
Mardi 22 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 10 heures, à 16 heures et le soir :
- Suite du projet de loi portant engagement national pour le logement.
Mercredi 23 novembre 2005
Ordre du jour prioritaire
A 15 heures :
1°) Suite du projet de loi portant engagement national pour le logement ;
2°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ;
Le soir :
3°) Suite du projet de loi portant engagement national pour le logement.
Du jeudi 24 novembre au mardi 13 décembre 2005
Ordre du jour prioritaire
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances pour 2006 (A.N., n° 2540) ;
(Le calendrier et les règles de la discussion budgétaire figurent en annexe.
Pour la discussion générale, la conférence des présidents a décidé de fixer à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
Dans le cadre du temps global imparti à chaque groupe, aucune intervention ne devra dépasser dix minutes.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 23 novembre 2005.)
En outre,
Jeudi 1er décembre 2005
A 15 heures :
- Questions d'actualité au Gouvernement ;
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures.)
En application de l'article 28 de la Constitution et de l'article 32 bis, alinéa 1, du règlement, le Sénat a décidé de suspendre ses travaux en séance publique :
- du vendredi 23 décembre 2005 au dimanche 15 janvier 2006,
- du dimanche 12 février 2006 au dimanche 19 février 2006,
- du dimanche 16 avril 2006 au lundi 1er mai 2006,
- du dimanche 21 mai 2006 au dimanche 28 mai 2006.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
5
Création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine
Adoption d'une proposition de résolution
(Ordre du jour réservé.)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de résolution de MM. Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, André Dulait et des membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine (n° 31).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois a eu à examiner à la fois la recevabilité juridique de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine et l'opportunité de la création de cette commission d'enquête, en application de l'article 11 de notre règlement.
Je passerai très rapidement sur la recevabilité de cette proposition de résolution, laquelle ne pose pas de difficultés particulières. En effet, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précise : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.» Cette proposition de résolution ne portant pas sur des faits déterminés, il n'est donc pas nécessaire d'interroger le garde des sceaux sur l'existence de poursuites judiciaires.
La proposition de résolution a pour objet de contrôler le fonctionnement de services publics, notamment ceux de la police, de la justice, du travail ou encore de l'aide sociale à l'enfance. Son exposé des motifs invite en effet à « une réflexion globale sur les sources de cette immigration illégale, ses filières, l'efficacité ou les dysfonctionnements de nos dispositifs préventifs ou répressifs ». Ses auteurs estiment également qu'« il ne peut être fait l'économie d'une analyse précise des conséquences de ce phénomène sur la structure économique et sociale de notre pays ».
Quant à l'opportunité de créer cette commission d'enquête, elle est apparue indiscutable à la commission des lois.
L'actualité rappelle en effet en permanence le difficile problème que pose l'immigration irrégulière. Les drames de Ceuta et Melilla ou les récents heurts à Mayotte, à la suite d'une manifestation de clandestins dans les rues de Mamoudzou, sont les illustrations d'un phénomène continu et massif.
Depuis 2002, la lutte contre l'immigration clandestine est au coeur de la politique du Gouvernement en matière d'immigration ; elle est aussi le pendant d'une action volontaire en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « depuis les lois de 2003, la France s'est dotée d'instruments nouveaux pour lutter avec efficacité contre l'immigration clandestine ». Les premiers résultats ont pu être constatés, en particulier en matière d'éloignement et de traitement des demandes d'asile. Aux frontières de la métropole, la pression migratoire semble également avoir diminué, selon les chiffres du rapport annuel du Gouvernement au Parlement, établi en application de l'article 1er de la loi du 26 novembre 2003 et publié en 2005, sur les orientations de la politique de l'immigration. Une inflexion de tendance est perceptible.
Toutefois, les chiffres de l'activité des services de la police aux frontières en France métropolitaine, en 2004 et 2005, invitent à ne pas relâcher l'effort entrepris pour lutter contre l'immigration illégale. Ils sont la démonstration aussi bien de l'ampleur de l'immigration clandestine que de l'efficacité et du renforcement de l'action de la police aux frontières. Ainsi, les éloignements effectifs ont crû de 25 % au premier semestre 2005 par rapport au premier semestre 2004 et les interpellations d'étrangers en situation irrégulière, de 45 %.
Des efforts importants ont également été entrepris pour mieux appréhender l'ampleur de l'immigration clandestine. Quelques indicateurs peuvent nous aider. Ainsi, le nombre de personnes mises en cause pour infraction à la police des étrangers s'est élevé à 66 062 pour l'année 2003 et le nombre annuel de bénéficiaires de l'Aide médicale d'Etat, l'AME, qui concerne en très grande majorité des étrangers en situation irrégulière, est passé de 139 000 à 170 000 entre 2001 et 2003. Pour autant, ces indicateurs doivent être utilisés avec prudence, chacun ne permettant de cerner qu'une partie du phénomène, qu'il reste nécessaire de mieux appréhender.
Comprendre l'immigration, c'est aussi saisir ses causes profondes ainsi que les attentes d'hommes et de femmes poussés par la misère. Il faut s'interroger sur les moyens de développer une réelle coopération avec les pays qui sont à la source de l'immigration, allant bien au-delà de la simple conclusion d'accords de réadmission.
Enfin, comprendre l'immigration clandestine est encore plus délicat dès lors qu'il s'agit d'en saisir les conséquences et le coût. L'exposé des motifs de la proposition de résolution met ainsi l'accent sur : « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie de ces migrants ».
L'immigration clandestine est surtout un phénomène en évolution permanente. Les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales, ont ainsi dû faire face à un nombre croissant de mineurs étrangers isolés appelant des réponses différentes. L'ensemble du territoire français a été concerné par ce phénomène, y compris des départements qui n'étaient pas confrontés jusque-là au problème de l'immigration.
La question de l'outre-mer a également ressurgi avec une acuité nouvelle. Comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de résolution, aux difficultés habituelles posées par l'immigration clandestine s'ajoutent « des difficultés démographiques [...] puisque ces collectivités au territoire limité subissent d'intenses flux migratoires, en dépit d'un contexte économique et social souvent déjà délicat ».
Outre la Guyane et Mayotte, où près de 35 % des habitants seraient des étrangers en situation irrégulière, la Guadeloupe, la Martinique et, dans une moindre mesure, la Réunion sont aussi touchées par une immigration clandestine en recrudescence.
L'avis de la commission des lois sur les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés aux départements et régions d'outre-mer relevait ainsi que, en Guyane, « les infractions à la législation sur les étrangers constituaient 43 % du nombre total des infractions » et que, en Guadeloupe, le nombre des reconduites à la frontière et expulsions avait augmenté de 53,5 % en 2003 par rapport à 2002.
Par ailleurs, les filières d'immigration clandestine dévoient parfois à leur profit les possibilités offertes par les droits de la nationalité et de la filiation ou les règles applicables en matière de regroupement familial.
Enfin, le cadre européen ajoute à la complexité, l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen étant solidaire pour garantir la régularité de l'entrée et du séjour des ressortissants des Etats tiers. L'action communautaire contre l'immigration irrégulière est en plein essor, mais commence seulement à être opérationnelle et efficace.
L'un des axes de cette action consiste à associer les pays sources ou de transit à la lutte contre l'immigration clandestine vers l'Europe.
Dans un tel contexte, il paraît aujourd'hui souhaitable d'améliorer, par un travail approfondi, notre connaissance de l'immigration clandestine et de ses effets, afin d'y répondre dans le respect des libertés et de la tradition républicaine d'accueil. A défaut, les réflexions actuelles sur une immigration choisie seraient vaines.
Or, depuis le rapport de notre excellent collègue José Balarello, établi en 1998 au nom de la commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997, aucun travail global d'enquête n'a été accompli dans le cadre des assemblées parlementaires sur cette question, qui est au coeur des préoccupations de nos concitoyens.
Le Sénat pourrait donc apporter, par la création d'une commission d'enquête, une contribution importante à la réflexion sur l'immigration clandestine.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, la commission des lois, qui a adopté la proposition de résolution sans modification, vous propose, mes chers collègues, de l'adopter à votre tour. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Droit de vote des étrangers, droit du sol, immigration choisie, expulsions, objectifs chiffrés, sans-papiers : autant de sujets qui viennent régulièrement, monsieur le président, mes chers collègues, alimenter le débat politique et qui font aujourd'hui l'objet d'une actualité pressante, après différents accidents regrettables et les déclarations de certains ministres du gouvernement de M. de Villepin.
Il nous est proposé aujourd'hui d'examiner une proposition de résolution émanant du groupe UMP et tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.
Le groupe UC-UDF soutient cette initiative dans la mesure où une expertise sérieuse, tenant compte de tous les éléments constitutifs de ce problème, permettra d'élaborer une politique réfléchie, en évitant des conclusions hâtives et la préconisation de mesures parfois excessives.
Des efforts ont été faits ces dernières années. Depuis 2003, notre législation a progressé s'agissant du volet répressif. Elle s'est un peu moins améliorée s'agissant du volet préventif, mais on ne peut que reconnaître la volonté du Gouvernement sur ce point particulier.
Les chiffres livrés par M. le rapporteur indiquent, par exemple, une hausse de 53 % des activités des services de police pour la répression des « aidants » à l'entrée irrégulière, ainsi qu'une augmentation de 32,46 % des actions menées contre les employeurs fautifs.
Néanmoins, comme vient de le souligner M. le rapporteur, une connaissance encore plus approfondie de la situation nous paraît nécessaire.
Il importe notamment de comprendre cette immigration clandestine, de comprendre pourquoi des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants tentent l'impossible au risque de leur vie, de comprendre pourquoi il est difficile, pour les autorités publiques, d'en appréhender les réseaux, de comprendre pourquoi il faut absolument en limiter le flux, de comprendre ce que celui-ci a de négatif pour notre société.
Il est également important - les auteurs de la proposition de résolution l'ont eux-mêmes souligné - de prendre en compte la particularité des territoires d'outre-mer, chacun d'entre eux étant concerné par ce problème en fonction de ses particularismes géographiques, géopolitiques ou culturels. En effet, le phénomène n'est pas le même à la Réunion et à Mayotte, en Guyane et en Martinique. Les récents événements de Mayotte ont montré l'urgence qu'il y avait à traiter la situation dans cette collectivité.
Toutefois, l'amélioration des conditions de vie dans les pays d'origine me semble tout aussi importante, ce que la discussion que nous avons eue ce matin sur la coopération décentralisée a bien fait ressortir. La commission d'enquête permettra sans doute de prendre la mesure de la détresse de ces migrants, mais il faut désormais agir directement, de concert avec les gouvernements concernés.
En effet, pour éviter des flux migratoires toujours plus divers et massifs, quel meilleur moyen que de maintenir ces populations dans leur pays d'origine, en leur permettant de se développer économiquement et de vivre dans des conditions humaines acceptables ?
A ce titre, il me semble que la question du développement des pays d'origine doit relever d'une politique qui soit, au minimum, de dimension européenne et, au mieux, de dimension internationale. A cet égard, je regrette que les auteurs de la proposition de résolution ne fassent pas la moindre allusion à l'Europe dans l'exposé des motifs. Or, depuis la création de l'espace Schengen, il s'agit bien d'une problématique européenne. Tant que cette question ne sera pas traitée en accord avec les autres pays membres, comment imaginer que la France réussira à la régler toute seule, alors que l'Espagne, à l'instar de l'Italie, vient de régulariser 700 000 sans-papiers ?
Cette question me semble capitale et, encore une fois, je m'étonne que cet aspect ait été complètement omis dans l'exposé des motifs.
Enfin, pour conclure, j'insisterai sur la nécessité de réfléchir plus globalement à notre politique d'immigration, dont l'immigration clandestine n'est qu'un aspect. En effet, l'immigration ne devient clandestine qu'à partir du moment où elle sort du cadre de l'immigration légale. Or quel est justement le cadre que nous souhaitons donner à cette dernière ?
Il convient donc de réfléchir à toutes les problématiques que je viens d'exposer, afin de ne pas considérer uniquement l'immigration sous des aspects négatifs, comme le sous-tend l'objet de cette commission d'enquête : travail illégal, organisations mafieuses, clandestinité, marchés noirs... Voilà l'image que tend à véhiculer un tel sujet, alors que nous préférerions l'aborder de manière plus globale, pour permettre une réflexion plus positive, dynamique et volontariste.
Le groupe UC-UDF soutient donc la présente proposition de résolution émanant du groupe UMP et, si cette commission est créée, comme je le souhaite, participera activement à ses travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Autant le dire tout de suite, le groupe socialiste ne votera pas la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.
Je précise cependant que, si cette proposition était adoptée par le Sénat - après tout, ce n'est pas impossible ! (Sourires.) -, nous participerions à ses travaux et y prendrions toute la place qui nous serait attribuée, en faisant valoir nos points de vue.
En effet, derrière l'objectivité apparente des chiffres, dont nous ne manquerions pas d'être abreuvés, il y a toujours une interprétation. D'ailleurs, d'une façon générale, s'agissant de ce type de commission, que nous ayons initialement voté sa création ou non, il conviendrait que l'opposition y ait toute sa place, au regard non seulement d'une représentation proportionnelle des différents groupes, mais aussi d'une répartition équitable fonctions de président et de rapporteur, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale. De ce point de vue, nous avons noté un léger progrès au sein de la commission des lois, mais il est nécessaire de continuer d'avancer dans ce domaine.
Nous ne voterons donc pas ce texte. En effet, le dépôt d'une telle proposition de résolution dix-huit mois avant une échéance majeure, le rapport final devant être rendu un an avant celle-ci, permet aisément de percevoir, grâce aux enseignements du passé, quelle utilisation peut être faite, une nouvelle fois, d'un sujet aussi sensible pour l'électeur. Dès lors, naturellement, une telle initiative nous inspire quelque méfiance ... pour ne pas dire quelque défiance !
S'agit-il d'un procès d'intention ? Peut-être en partie ! Il reste que l'on peut relever dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution des phrases qui ne sont tout de même pas innocentes et qui dénotent une vision manichéenne des politiques menées dans ce domaine : la gauche y est présentée sous des traits « angéliques » et démagogiques - description dans laquelle nous ne nous retrouvons pas du tout - tandis que la droite y est dépeinte comme menant, depuis trois ans, une politique « volontariste » - en apparence ! -, « décomplexée » - ce n'est pas fait pour nous rassurer ! - et « efficace » - c'est pure invention ! En effet, si tel était le cas, pourquoi M. Sarkozy annoncerait-il une réforme de la politique migratoire reprenant les mêmes thèmes que ceux de la loi qu'il avait fait voter en 2003 sur ce sujet ?
Cette vision simpliste laisse mal augurer des conclusions d'une commission d'enquête au sein de laquelle nous risquons, une fois encore, d'être marginalisés lors de l'élaboration et de la validation des résultats. Et je ne parle pas de l'utilisation médiatique qui ne manquera pas d'en être faite !
Nous ne voterons pas ce texte parce que le sujet y est appréhendé par le petit bout d'une lorgnette purement franco-française. Vous avez parfaitement mis en évidence ce problème, monsieur Nogrix, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions que nous.
Certes, le problème est grave et l'exposé des motifs pointe des sujets qui sont importants : le rôle des mafias, l'importance du travail au noir, l'indécence des conditions de vie de ces clandestins et la situation intenable de certains départements et territoires d'outre-mer. Ce sont en effet des sujets sensibles, qui, humainement, nous touchent, comme vous, et à propos desquels nous avons, comme vous, identifié des situations extrêmement délicates, auxquelles l'administration est confrontée. Je citerai pour exemple les conseils généraux, qui sont dans l'obligation d'assister les familles avec enfants en situation notoirement irrégulière, sans domicile connu, quand EDF réussit le tour de force de leur faire payer leur consommation d'électricité ! Quelle hypocrisie !
Nous ne voterons pas ce texte parce que les questions évoquées par l'exposé des motifs ont déjà été traitées par un texte de loi présenté, voilà moins de trois ans, le 26 novembre 2003, par M. Sarkozy. Aujourd'hui, sans que la moindre évaluation de cette loi ait été effectuée, mais sans doute en en reconnaissant implicitement l'échec - et cela contredit cet exposé des motifs lénifiant -, M. Sarkozy lui-même annonce le dépôt d'un nouveau projet de loi, qui reprend tous les sujets antérieurs et donne les conclusions qu'il faut en tirer, avant même qu'il soit rédigé et voté, en nous assurant que seront cette fois-ci traités au fond tous les problèmes. Sont alors égrenés les détournements de procédure en matière d'asile, les mariages blancs, le visa à points pour les travailleurs, la rationalisation du regroupement familial avec le préalable des conditions de ressources et de logement, sans oublier, bien sûr, grâce à l' »immigration choisie », le pillage qui vide les pays émergents de leurs étudiants et de leurs techniciens les plus brillants.
D'ailleurs, je vous le demande, est-ce cela l'aide au développement ? Pour résumer, si vous êtes médecin, vous serez accueilli à bras ouverts et embauché - à bas prix, il est vrai - dans nos hôpitaux ; si vous êtes footballeur de qualité, vous signerez un contrat et vous serez en outre bien payé ! Pendant ce temps, les malheureux du Sahel, ceux du Mali, du Togo, du Congo, du Niger, notamment, sont refoulés brutalement aux portes de l'Europe, en Afrique, où ils sont envoyés sans eau en plein désert !
Combien de temps allons-nous fermer les yeux ? Cette proposition de résolution, qui ne traite que de l'immigration clandestine, est partielle et partiale. Vous seriez mieux inspirés, mesdames, messsieurs les sénateurs de la majorité, en vous penchant sur le problème de l'immigration dans son ensemble, en particulier en essayant de trouver des solutions avec les pays « émetteurs », pour prévenir plutôt que réprimer.
Il ne s'agit pas de laxisme ! C'est bien un socialiste qui a dit, à bon droit : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». Mais pendant combien de temps allons-nous laisser des tiers, je pense en particulier au Maroc, régler nos problèmes ? Quelle politique d'immigration cohérente menons-nous avec ces Etats « émetteurs », pour les aider à créer les conditions du développement local ? Combien de temps allons-nous laisser les grandes multinationales, en particulier agro-alimentaires, encourager le développement d'une agriculture spéculative et sous-payée, qui détruit les cultures vivrières, chasse les paysans de leurs terres, les conduisant à s'agglutiner aux portes des villes, démunis, malheureux et prêts à toutes les aventures, même les plus dangereuses ?
Sur tous ces points, l'objet de la commission d'enquête ne nous satisfait pas. C'est sur les sujets que je viens d'évoquer qu'il nous aurait semblé opportun de mener l'enquête, en évaluant objectivement le résultat des politiques suivies, y compris et peut-être surtout dans un cadre européen.
Se rendre en Roumanie - comme cela a été fait - afin de régler, ou de tenter de le faire, avec le gouvernement de ce pays la question du déplacement des nomades est une bonne initiative. Mais un suivi a-t-il été prévu ? Peut-être. Quels sont les résultats ? Le Parlement n'est pas informé et, hélas ! ne cherche pas à l'être.
Ces questions constitueraient pourtant, me semble-t-il, des champs d'investigation pertinents pour une commission d'enquête qui s'intéresserait à la racine du mal et s'emploierait à traiter les causes plutôt que les effets. Encore faudrait-il pour cela se préoccuper davantage de l'intérêt général que de politique politicienne et des futures échéances électorales !
J'ajouterai que ce n'est pas en se lançant dans une communication people au coût exorbitant ni en suivant le Gouvernement en toute circonstance que l'on crédibilisera le Sénat. C'est en produisant des travaux sérieux et objectifs. Le rapport de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, qui vient d'être remis, en est un exemple éclatant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, mes chers collègues, il nous est aujourd'hui proposé de créer, au sein de la Haute Assemblée, une commission d'enquête sur l'immigration clandestine. Le groupe UMP, à l'origine de cette proposition, estime en effet - et à juste titre - que ce problème mérite une attention toute particulière.
La nécessaire intégration des populations immigrées installées en toute régularité sur notre sol est compromise par une pression migratoire illégale, qui draine avec elle un nombre important de problèmes : le travail clandestin, une grande précarité qui engendre des phénomènes de délinquance, le développement de filières mafieuses et, parfois, un véritable trafic d'êtres humains.
La désillusion pour ces candidats au voyage clandestin est souvent très grande. L'eldorado tant rêvé se transforme rapidement en un véritable cauchemar.
Cette situation engendre des violences ou une délinquance de subsistance qui compromettent les efforts d'intégration de l'immigration régulière.
Au-delà des aspects juridiques et matériels de cette question, nous sommes confrontés à un véritable problème humain, qui mérite tout autant notre attention de parlementaires.
Notre pays doit traiter cette immigration clandestine de manière ferme et déterminée, mais il a aussi l'obligation de ne pas agir de manière inhumaine.
Plus généralement, il importe de contrôler que nos services publics des douanes, de police, de gendarmerie, de justice, du logement et de l'inspection du travail fonctionnent correctement. Il nous incombe également de nous assurer que les lois que nous avons votées aux mois de novembre et de décembre 2003 sont parfaitement appliquées.
Des améliorations sont sans doute possibles, et les conclusions du rapport que rendra cette commission d'enquête pourront utilement nourrir notre réflexion à tous.
Monsieur Peyronnet, vous avez affirmé que, si les auteurs de la proposition tendant à la création de cette commission d'enquête s'étaient fixé comme objectif d'appréhender le problème de l'immigration dans son entier, celle-ci aurait pu être adoptée à l'unanimité. Il nous faut alors regretter que vous n'ayez pas déposé en temps utile un amendement en ce sens. Il aurait pu - qui sait ? - recevoir un accueil favorable !
Je tiens à rappeler que, si la lutte contre l'immigration illégale a nettement progressé - le nombre d'arrêtés de reconduite à la frontière a augmenté de 30 % en 2004 et le nombre de mesures exécutées a crû, quant à lui, de 40 % -, cela demeure insuffisant. En effet, quatre immigrés clandestins sur cinq restent sur notre sol malgré une mesure de reconduite à la frontière prononcée à leur encontre, mesure souvent confirmée par une décision de justice.
La commission d'enquête, si elle est créée, se penchera également sur le défi démographique lancé par l'immigration clandestine dans nos territoires ultramarins, où cette question revêt une acuité particulière.
L'exemple de Mayotte - de récents événements nous ont rappelé l'actualité et la gravité du problème qui s'y pose - est, de ce point de vue, emblématique. Imaginez que, dans cette collectivité d'outre-mer, un habitant sur trois est un immigré clandestin ! D'ici à cinq ans, si l'on se fonde sur l'évolution actuelle, les personnes vivant en toute irrégularité sur le territoire mahorais représenteront la majorité de la population. Une telle situation est-elle acceptable ?
Est-il tout autant acceptable, d'ailleurs, d'être régulièrement confronté au décès de clandestins cherchant à entrer dans notre pays ou, plus généralement, en Europe ? Souvenons-nous de la découverte macabre, au mois de juin 2000, des corps sans vie de cinquante-huit immigrants illégaux d'origine chinoise dans la remorque d'un camion, lors d'une vérification douanière au port de Douvres. Cette tragédie ne constitue sans doute que la partie émergée de l'iceberg du trafic d'êtres humains. On estime à 30 millions le nombre de personnes qui, chaque année, traversent illégalement les frontières internationales et entre 400 000 et 500 000 celui des migrants illégaux qui, annuellement, entrent dans l'Union européenne. Quelque 3 millions de personnes résideraient actuellement de façon illégale en Europe.
Face à cette situation, nous devons poser, sans tabou, les problèmes liés à l'immigration clandestine sur notre territoire. Sans tabou, cela signifie tout voir et tout dire ! Cela signifie aussi mieux connaître ce qui pousse à de tels comportements. Cela signifie encore être capable de proposer des solutions conformes aux valeurs qui animent notre République.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP, qui est à l'origine de cette demande de création de commission d'enquête, votera cette proposition de résolution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine (n° 31, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Eliane Assassi, auteur de la motion.
Mme Eliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, la maison France brûlerait-elle ?
Y a-t-il péril en la demeure au point de créer, dans la précipitation, « une commission d'enquête sur l'immigration clandestine pour appréhender l'ensemble du phénomène et ses conséquences », ainsi que le précise l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution ?
Etait-il urgent d'inscrire à notre ordre du jour ce texte qui ne donnera finalement lieu, faute de temps, qu'à une heure de débat ?
Nous ne pouvons que nous étonner de la mise en discussion d'une telle proposition de résolution qui, dans le contexte que nous connaissons à l'échelon tant européen que national, paraît aussi inopportune que déplacée. En effet, elle est déposée quelques semaines après les drames qui se sont déroulés dans les deux enclaves espagnoles situées au Maroc, où des innocents ont été tués par balles en tentant de franchir la frontière quand de nombreux autres ont été blessés, déportés, abandonnés en plein désert sans eau ni vivres.
L'Union européenne, qui mène depuis des années une guerre larvée contre les migrants et les réfugiés, a franchi cette fois une étape supplémentaire. Il s'agit là de l'un des exemples les plus significatifs des conséquences de la logique répressive par laquelle l'Europe a choisi de traiter la question des migrations.
L'Union européenne a décidé de financer la répression contre les migrants, notamment en promettant de verser au Maroc 40 millions d'euros à condition que celui-ci s'engage à lutter contre l'immigration clandestine. Un tel procédé traduit la volonté de l'Union européenne de se défausser du problème des migrants sur les pays tiers de transit comme le Maroc ou la Libye tout en renforçant la forteresse Europe.
Pudiquement, cela s'appelle l'« externalisation du traitement des réfugiés ». En termes plus crus, cela revient à parquer les demandeurs d'asile dans des camps de réfugiés aux portes de l'Europe. Or une telle politique ne remédie en rien aux causes de l'immigration qui sont la pauvreté, les famines, les guerres.
En France, les politiques d'immigration conduisent à expulser du territoire à tour de bras, au mépris des droits les plus élémentaires, des jeunes pourtant scolarisés en France, voire des familles entières, et à multiplier les « rafles » de migrants.
J'ai lu avec attention l'interview qu'a accordée le ministre de l'intérieur à un journal du soir daté du mardi 25 octobre dernier. J'y ai relevé qu'il demandait aux préfets de surseoir aux expulsions d'enfants scolarisés, et ce jusqu'à la fin de l'année scolaire. Est-ce à dire que ces jeunes pourront faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière dès le mois de juillet 2006, c'est-à-dire en plein coeur de l'été, au moment où les Français sont en congé et donc moins mobilisés ?
En revanche, dans cet entretien, le ministre de l'intérieur ne remettait nullement en cause son objectif de porter le nombre de reconduites à la frontière à 24 000 d'ici à la fin de l'année 2005.
Le Gouvernement va-t-il encore accélérer les « charters », ces vols groupés permettant de renvoyer plus rapidement, plus discrètement et à moindre coût, les étrangers chez eux en les regroupant par nationalité, alors même que les expulsions collectives sont condamnées par la Convention européenne des droits de l'homme ?
Qui plus est, un nouveau projet de loi sur l'immigration est annoncé, lequel vise non seulement à restreindre davantage encore les droits fondamentaux des étrangers, notamment en matière de regroupement familial et d'incidence du mariage sur le droit au séjour et l'accès à la nationalité - ils relèvent pourtant de l'immigration légale -, mais aussi à créer une police de l'immigration et à mettre en oeuvre une politique des quotas.
Le ministre de l'outre-mer, M. François Baroin, a, quant à lui, jugé utile d'aller encore plus loin en annonçant la possibilité de remettre en cause le droit du sol à Mayotte. Ses propos, qui ont provoqué quelques remous au sein du Gouvernement, ont été immédiatement repris dans une proposition de loi déposée par le député UMP de Mayotte.
N'oublions pas que l'été dernier fut meurtrier à plus d'un titre ! Les incendies d'immeubles insalubres à Paris ont mis en avant, s'il était nécessaire, le fait que les étrangers étaient aussi victimes du mal du logement.
Permettez-moi de citer également les deux décrets remettant en cause l'aide médicale d'Etat, et le scandale des conditions de travail des travailleurs saisonniers sous contrat délivré par l'Office des migrations internationales, l'OMI, dans le sud de la France.
Aujourd'hui, d'aucuns voudraient laisser croire que la France est dépourvue de toute législation. Pis, ils ne font rien pour infirmer l'idée selon laquelle notre législation est trop laxiste, constitue un appel d'air et permet à un grand nombre d'étrangers d'entrer sur notre territoire.
Dois-je rappeler que, depuis le retour de la droite au pouvoir, deux lois ont été adoptées voilà moins de deux ans ? Il s'agit de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et de celle du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Beaucoup s'accordent à dire, y compris dans les rangs de la majorité, que ces deux lois ont considérablement durci la législation en matière de droits des étrangers et d'accès au droit d'asile.
En outre, ces réformes ont permis de jeter nombre d'étrangers en situation régulière dans la clandestinité. Il n'est qu'à citer quelques exemples éclatants des reculs en la matière !
Je pense à la création de nouvelles possibilités de retrait de la carte de séjour temporaire, à l'allongement de la durée du mariage ouvrant droit à l'obtention d'une carte de résident, au renforcement du contrôle de l'effectivité d'une paternité pour la délivrance de plein droit d'une carte de résident. Je pense aussi à la suppression de la délivrance de plein droit de la carte de résident aux étrangers la demandant au titre du regroupement familial ainsi qu'à ceux ayant bénéficié pendant cinq ans d'une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Je pense encore à la création d'un délit spécifique de mariage simulé, aux nouveaux cas de reconduite à la frontière, à la réforme du régime de la rétention administrative qui se traduit notamment par l'allongement de la durée de rétention de douze à trente-deux jours, à l'augmentation du nombre de places en rétention administrative, à la délocalisation des audiences, etc.
Par conséquent, mes chers collègues, avant de déposer un énième projet de loi, comme cela est annoncé, et avant même de créer une telle commission d'enquête, il nous faut nous interroger.
Quel bilan devons-nous tirer de l'application de ces récentes lois ? Disposons-nous d'une évaluation de la législation en vigueur ? Où en sont les décrets ?
Allons-nous continuer à travailler ainsi, c'est-à-dire à légiférer sans cesse au gré de l'actualité, et à modifier une fois encore l'ordonnance de 1945 ? Ce n'est pas sérieux !
C'est dans ce contexte - qu'il n'était pas inutile de rappeler - qu'intervient cette proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine.
Je dois l'avouer : parler de laxisme en matière de politique d'immigration, à l'échelon tant national qu'européen, me laisse perplexe. Faut-il comprendre que le pire est encore possible ?
Cela dit, il est vrai que les mesures dissuasives et répressives qui ont été prises tant en Europe qu'en France pour se protéger des mouvements migratoires indésirables - les murs de plus en plus hauts, l'immigration zéro, la fermeture des frontières avec l'instauration de l'espace Schengen - n'ont pas empêché l'immigration de continuer.
Cela me renforce dans l'idée que les politiques qui sont mises en oeuvre ne sont pas tant laxistes qu'inefficaces au regard du phénomène qu'elles sont censées contenir. Et je ne parle pas du danger qu'elles constituent pour les droits de l'homme comme d'un point de vue idéologique !
En réalité, loin d'endiguer ces déplacements, ces politiques les ont rendus plus difficiles, plus coûteux, plus dangereux, allant jusqu'à mettre à mal le respect de certains droits fondamentaux tels que le droit d'asile et la libre circulation des personnes. Qui plus est, elles ont mis en danger la vie même de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, c'est-à-dire de ces exilés en quête de travail et de sécurité au sein de l'Europe. Ainsi, de 1997 à 2004, 4 000 morts et portés disparus en mer ont été recensés aux frontières de l'Union européenne.
Compte tenu des obstacles qui rendent le voyage vers un lieu sûr plus difficile, voire impossible, les candidats à l'immigration se trouvent à la merci des réseaux mafieux, des marchands de sommeil et des employeurs d'une main-d'oeuvre en situation irrégulière taillable et corvéable à merci, dont l'activité se nourrit bien évidemment de ces politiques de fermeture des frontières.
Le nombre croissant de migrants n'est ni un problème temporaire ni le fruit du hasard : c'est la conséquence prévisible de la crise des droits humains dans le monde. Tant que les écarts économiques et sociaux ne cesseront de croître entre les régions du monde qui profitent de la mondialisation du libéralisme économique débridé et celles qui en sont les victimes, il est inévitable que les populations des pays ravagés par la misère, par les conflits ou par l'absence de démocratie continuent de tenter de trouver ailleurs de meilleures conditions de vie, quand ce n'est pas tout simplement le droit de vivre.
En effet, quand 2,5 milliards d'individus de par le monde vivent avec moins de 2 dollars par jour, quand un habitant de la Zambie a moins de chance d'atteindre l'âge de trente ans qu'un Anglais en 1840, quand l'aide au développement est moins forte en 2005 qu'en 1990 - les pays riches ne lui affectant que 0,25 % de leur revenu national brut -, il n'est pas étonnant que des hommes, des femmes, des enfants migrent, se déplacent pour aller chercher ailleurs, y compris au péril de leur propre vie, ce dont ils sont totalement dépourvus.
Il faut savoir que l'Union européenne n'accueille que 10 % à 15 % des dizaines de millions de personnes réfugiées ou déplacées qui sont contraintes de quitter leur lieu de résidence par la violence.
Contrairement aux idées reçues, les pays sollicités sont bien souvent les Etats voisins des zones de conflit, eux-mêmes très précaires en termes d'économie et d'équilibre politique. On assiste ainsi plus souvent à des déplacements Sud-Sud qu'à des déplacements Sud-Nord.
Autre idée reçue qu'il faut avoir le courage et l'honnêteté de combattre, celle selon laquelle la France serait un « pays d'immigration massive ». Si la France est un vieux pays d'immigration, elle n'est plus un pays d'immigration massive depuis au moins vingt-cinq ans. C'est même le pays d'Europe où la croissance démographique dépend le moins de l'immigration ; tel est, en tout cas, le constat que fait chaque année l'INSEE dans son bilan démographique.
Si la demande migratoire existe à nos frontières, au travers de la procédure d'asile, elle ne peut aucunement être assimilée à une « invasion ». Elle correspond, pour l'essentiel, à un mouvement régulier en provenance de nos anciennes colonies d'Afrique et d'Asie.
Par ailleurs, il faut en finir avec cette hypocrisie qui consiste, d'un côté, à dresser des obstacles pour empêcher les migrants de se rendre en Europe et à expulser tant qu'on peut les étrangers qui y sont déjà installés et, d'un autre côté, à vouloir faire venir des étrangers afin de satisfaire les besoins économiques des pays les plus riches.
Cette immigration utilitaire, « immigration choisie » ou « politique des quotas » - appelez-la comme vous voulez, le résultat est toujours le même ! - est inscrite très clairement dans le Livre vert sur les migrations économiques, publié par la Commission européenne en janvier dernier : il faut « encourager des flux d'immigration plus soutenus pour couvrir les besoins du marché européen du travail et assurer la prospérité de l'Europe ».
Il s'agit là d'une conception purement économique de l'immigration, qui consiste à évaluer le « besoin d'immigrés » des pays européens comme on évalue le besoin de marchandises disponibles sur le marché.
Cette conception figure déjà dans les lois récemment adoptées en France sur l'immigration et le droit d'asile, qui présentent l'immigration sous un angle utilitaire. L'étranger y est, en effet, considéré avant tout comme une main-d'oeuvre devant répondre aux besoins de l'économie libérale et suppléer, pour un temps seulement, au déficit que, en France, certains secteurs économiques connaissent à cet égard.
La présence de l'étranger en France est alors envisagée à titre provisoire : l'étranger - de préférence jeune et en bonne santé - doit être au service exclusif du marché de l'emploi et ne doit surtout pas être tenté de s'installer en France de façon durable ni a fortiori de faire venir sa famille par le biais du regroupement familial.
On ne peut que regretter que la France n'ouvre pas de nouvelles perspectives de coopération internationale dans lesquelles le respect des droits et des libertés fondamentales serait le préalable à toute législation concernant les flux migratoires. Elle continue, au contraire, comme dans les années soixante, à avoir une politique d'immigration reposant avant tout sur les besoins de son économie.
C'est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination, de l'exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs - nationaux et immigrés - au profit exclusif du capitalisme.
Cette conception de la « libre circulation des travailleurs », loin de favoriser l'épanouissement des hommes, revient en réalité à piller les pays du Sud de la part de leur population la plus active, la plus dynamique, réduisant dès lors quasiment à néant les possibilités de développement sur place de ces pays.
Vous l'aurez compris, nous sommes foncièrement opposés à la mise en place d'une telle commission d'enquête. Elle risque, selon nous, de cautionner une idéologie qui transpire déjà dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, laquelle souligne : « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie des migrants ».
On le voit, l'immigration n'est appréhendée ici que sous l'angle des difficultés qu'elle engendre... nécessairement. Cet amalgame entre immigration et insécurité sous les formes les plus variées est inacceptable au moment où des migrants continuent de mourir aux frontières de l'Europe dans une relative indifférence générale.
J'ose espérer que cette commission d'enquête à laquelle nous participerons, si elle est créée... (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Vous nous auriez manqué !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut retirer votre question préalable !
Mme Eliane Assassi. En tout cas, comptez sur nous pour y proposer un certain nombre de choses !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois et M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C'est toujours intéressant !
Mme Eliane Assassi. ...aura vraiment pour objectif - c'est en tout cas le point de vue que nous défendrons au sein de la commission d'enquête - de réprimer ceux qui tirent profit des politiques restrictives en matière de droits des étrangers : les réseaux mafieux, les employeurs de main-d'oeuvre irrégulière, les marchands de sommeil, et de faire respecter les textes internationaux relatifs au droit d'asile, à la protection des migrants et contre la torture.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Nous sommes d'accord !
Mme Eliane Assassi. Qu'on ne compte pas sur nous si elle veut remettre en cause le droit du sol à Mayotte, durcir notre législation en matière d'immigration ou bien encore mettre en place des quotas pour choisir les immigrés dont la France a besoin, économiquement parlant.
Les élus de mon groupe estiment que ni cette commission d'enquête sénatoriale ni les propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale par les députés UMP ni un énième projet de loi gouvernemental sur l'immigration ne sont capables d'apporter un commencement de réponse à la question des migrants dans le monde.
Ces textes, qui sont d'ailleurs si complémentaires et forment un ensemble si logique qu'on pourrait penser que le chef d'orchestre n'est pas loin, .ne répondent absolument pas à une situation qui mérite autre chose que la seule répression, le durcissement des lois, le renforcement des barrières aux frontières de l'Europe, etc.
Et ce n'est pas la récente prise de position toute « personnelle » du ministre de l'intérieur sur le droit de vote des résidents étrangers - une mesure que, pour notre part, nous ne cessons de demander depuis plusieurs années puisque nous avons déposé une proposition de loi sur cette question dès 1989 -...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous pouvez continuer !
Mme Eliane Assassi. ...qui va gommer ou atténuer en quoi que ce soit le caractère inhumain de la politique gouvernementale menée en matière d'immigration. D'autres ont agi de même avant lui : je veux parler de MM. Pasqua et Juppé, qui, en leur temps, avaient annoncé une réforme en ce sens. On ne peut que constater aujourd'hui que rien n'a bougé !
Le ministre de l'intérieur nous rejoue le film de la « double peine » qui, quoiqu'il en dise, n'a pas été supprimée pour mieux faire passer les mesures les plus dures de votre politique.
Il feint de reculer sur le droit de vote des résidents étrangers, mais ce n'est que pure démagogie, tout comme cette commission d'enquête ne consiste qu'en un affichage politique.
Car je ne suis pas naïve, cette commission d'enquête parlementaire, dont les travaux peuvent durer jusqu'à six mois va avoir un écho médiatique qui risque d'alimenter les débats les plus populistes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, au contraire !
Mme Eliane Assassi. Elle va occuper le terrain jusqu'à ce qu'un projet de loi définitif soit déposé au Parlement, vers l'automne 2006 par exemple, ce qui est bien calculé dans la perspective des échéances électorales de 2007.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Nous n'y avions pas pensé, mais quelle bonne idée ! (Sourires.)
Mme Eliane Assassi. Eh bien, je vous la donne ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Nous vous en remercions !
Mme Eliane Assassi. Je vois bien que les questions sur l'immigration vous dérangent !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout ! D'ailleurs, nous proposons la création d'une commission d'enquête !
Mme Eliane Assassi. C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous siégerons au sein de cette commission d'enquête !
M. François-Noël Buffet. Alors, votez-en la création !
Mme Eliane Assassi. En fait, le but à peine voilé est de placer au coeur de la campagne pour la présidentielle de 2007 le thème de l'immigration, comme l'insécurité avait été le thème principal de la présidentielle de 2002, afin notamment de flatter l'électorat de l'extrême droite et de récupérer ainsi quelques voix.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d'adopter, par scrutin public, la motion tendant à opposer la question préalable pour décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)...
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce n'est pas très cohérent !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est même contradictoire !
M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry, contre la motion.
Mme Lucette Michaux-Chevry. La commission est peut-être en pré-campagne électorale. Il n'en reste pas moins que, dans les départements et territoires d'outre-mer, nous n'avons cessé de réclamer qu'une commission d'enquête soit constituée sur ce sujet.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est exact !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je ne pense pas que l'on puisse reprocher ici à nos populations de rejeter leurs frères, notamment haïtiens, qui viennent chez nous chercher de la formation, des soins médicaux, et que nous avons toujours aidés.
Mais, aujourd'hui, force est de constater un dérapage qui n'est pas acceptable : les habitations fermées, les terres inexploitées sont envahies. Les Guadeloupéennes accouchent dans les couloirs des hôpitaux parce que les Haïtiennes et les Dominicaines ont pris leur place. La violence s'est instaurée. La drogue est à la porte de nos collèges. Dans nos prisons - et c'est un avocat qui parle -, il y a plus d'étrangers que de Guadeloupéens.
Mme Eliane Assassi. C'est terrible de dire cela !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Dès lors, si cette commission d'enquête n'était pas créée, on aurait le sentiment que la loi n'est pas respectée.
Sur le territoire français de la Guadeloupe, des transports organisés appartiennent à des Haïtiens, il existe une banque haïtienne, et je ne parle pas de la Martinique, non plus que de la Guyane, où la situation est particulièrement grave.
Au moment où deux cyclones viennent, une nouvelle fois, de frapper Haïti, le pays le plus pauvre du monde, c'est à la Guadeloupe, avec Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Marie-Galante, les Saintes et la Désirade, que nous devons régler les problèmes insurmontables qui en découlent.
Dire que la solution réside dans le développement des pays ACP - Afrique, Caraïbes, Pacifique -, c'est méconnaître les efforts entrepris par la France dans cette zone. La France est le pays qui a injecté le plus d'argent dans la Caraïbe pour tenter d'apporter des réponses concrètes à l'intégration des étrangers. Mais nous continuons à avoir dans ce domaine une politique de générosité qui n'est plus tenable.
Parler de l'Europe, c'est ignorer que, sur la banane, le droit nul est applicable à des pays ACP tels que la Jamaïque et la Dominique, alors que la Guadeloupe n'en bénéficie pas, et c'est méconnaître la réalité du terrain.
Mais il y a autre chose qui nous fait très mal : c'est la mauvaise intégration des Domiens en France métropolitaine. Les étudiants de la Guadeloupe, de la Martinique ou de la Guyane se font traiter d'étrangers, parce que l'on n'a jamais réellement intégré la France ultramarine dans le territoire européen de la France. La France, pour de trop nombreux métropolitains, c'est l'Hexagone et la Corse : l'outre-mer n'en fait pas partie !
J'entends aujourd'hui pour la première fois, dans un débat, un rapporteur évoquer les conséquences néfastes de l'immigration sur nos territoires : je l'en remercie.
Mais que l'on ne me parle pas de reconduite à la frontière : il suffit de prendre un bateau pour arriver aux Saintes, et quand on est aux Saintes, on rejoint la Dominique. Et, par avion, le vol dure sept minutes !
Cette commission d'enquête nous donnera l'occasion d'étudier les conséquences néfastes de cette immigration non contrôlée sur des territoires français.
Mes chers collègues, je vous remercie d'avoir pensé que les institutions de la République étaient en danger, mais l'identité culturelle de l'outre-mer l'est également : notre nourriture a changé, nos danses ne sont plus les mêmes, la langue haïtienne commence à être utilisée chez nous. Or nous tenons à préserver notre identité culturelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Je ne peux qu'émettre un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable puisque ses conclusions sont contraires à celles de la commission des lois.
L'actualité récente suffit malheureusement à démontrer le bien-fondé de la création d'une telle commission d'enquête. Du fait de son large champ d'investigation, celle-ci pourra appréhender le phénomène dans sa globalité et ne pas se limiter, contrairement à ce que certains auraient pu craindre, et à l'inverse de nombreux travaux d'information ou d'enquête, à un seul aspect du problème.
Pour rassurer les auteurs de la motion, j'ajoute que l'objet de la commission d'enquête ne se borne bien évidemment pas à la répression de l'immigration clandestine. Comme cela a été souligné la semaine dernière en commission des lois, cette commission d'enquête devra s'attacher à comprendre les causes profondes de l'immigration irrégulière, notamment en tenant compte des problèmes spécifiques de l'outre-mer que vient de soulever Mme Michaux-Chevry.
Elle devra s'interroger sur les moyens de développer une réelle coopération avec les pays sources de l'immigration en allant bien au-delà de la simple conclusion d'accords de réadmission. Elle devra également traiter du problème des mineurs isolés, qui requiert des réponses adaptées, et de l'aide médicale d'Etat.
Vous le voyez, mes chers collègues, la dimension sociale de l'immigration clandestine ne sera pas négligée.
A ceux qui ne souhaitent pas la création d'une commission d'enquête à dix-huit mois d'échéances nationales, je répondrai que, si l'on devait les suivre, il ne resterait plus qu'à nous abstenir totalement de tout travail législatif durant la période à venir, car toute loi, par définition, aura des répercussions sur les élections nationales.
Faire en sorte que le Sénat crée cette commission d'enquête, dont les conclusions - il suffit de se référer au passé pour le constater - sont attendues par la France tout entière, c'est aussi montrer le rôle essentiel de notre assemblée dans le fonctionnement des institutions de la République et nous permettre de manifester notre soutien à nos amis d'outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de résolution.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 4 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 210 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
En application de l'article 11 du règlement du Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres sur l'immigration clandestine.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est regrettable que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration limite son champ d'investigation à la seule immigration clandestine.
Ces dernières années - triste constat ! -, le sujet de l'immigration a donné lieu à une inflation législative, qui n'a d'ailleurs apporté aucune solution durable à ce problème complexe et sensible.
Ainsi, mes chers collègues, saviez-vous que l'ordonnance de 1945 a été modifiée dix-sept fois ? Pour sa part, la dernière loi relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers, qui date de novembre 2003, a connu plusieurs circulaires, décrets et mesures d'application au cours de la session 2004-2005, dont une vingtaine en 2005.
Malgré ces dispositions, la question de la double peine n'est toujours pas réglée. Il en va de même pour les questions relatives au droit de vote des résidents étrangers, au droit du sol ou à la libre circulation et à l'installation de l'immigration régulière dans l'Union européenne. D'ailleurs, en tant qu'ancienne députée européenne, je tiens à vous signaler que la France est le seul pays à ne pas avoir encore transposé dans son droit national la directive reconnaissant le droit au séjour et au travail pour les migrants extracommunautaires en situation régulière.
Pis, ces questions font l'objet de tentatives régulières de polémiques démagogiques et de manipulations à des fins bassement politiques, dans un concert d'amalgames médiatiques qui ne font qu'alimenter les peurs et agiter les populismes.
Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation pleine de contradictions.
D'un côté, nous assistons à ce qui peut être qualifié de réelle chasse aux étrangers, ce qui entraîne d'ailleurs inévitablement une série de dérives inacceptables.
En violation de la Convention européenne des droits de l'homme, des enfants mineurs sont ainsi séparés de leurs parents qui se font expulser. Quand ce ne sont pas les enfants eux-mêmes que l'on expulse ou tente d'expulser !
Lors d'une récente visite dans un centre de rétention administrative, j'ai pu constater de mes yeux que des vieillards et des enfants y séjournaient dans des conditions indignes de notre République. Certains enfants avaient même été appréhendés par les forces de l'ordre à la sortie de l'école ou au centre de loisirs.
De tels actes sont profondément choquants et font écho à une période sombre de notre histoire, période que nous espérions révolue à jamais ! Je tiens d'ailleurs à saluer ici ces enseignants, ces professeurs et ces simples citoyens qui, parfois au risque d'une condamnation sanctionnant leur solidarité, se mobilisent de toutes leurs forces afin d'empêcher le recours à ces méthodes injustes et inhumaines.
A côté de la multiplication de ces dérives, s'impose l'idée que l'Europe et la France ne peuvent se passer de l'immigration. D'ailleurs, à toutes les époques, elles ne s'en sont jamais privées. De nombreux rapports nous rappellent ce constat simple : tant sur le plan économique que démographique, l'Europe a besoin de l'immigration.
Créer une commission d'enquête exclusivement axée sur l'immigration clandestine représente donc un non-sens politique, sauf si celle-ci nous prépare des mesures iniques et permet ainsi de légitimer l'illégitime. C'est à cela que servira cette commission, n'est-ce pas, mes chers collègues ?
Mais la politique menée aujourd'hui n'est ni plus ni moins qu'une réactualisation d'une politique ancienne, dans la continuité d'une logique répressive et policière. Selon les propositions plus ou moins avouées du Gouvernement, il semble que nous serons bientôt appelés à légiférer à nouveau sur la politique d'immigration, notamment sur les quotas d'immigration, qui sont esthétiquement labellisés par certains « immigration choisie ».
Hier, les immigrés étaient « choisis » par la France pour servir de chair à canon, lorsque la défense de la patrie le nécessitait, puis pour servir de main-d'oeuvre très bon marché, lorsque la reconstruction de la France et le développement de la production industrielle l'imposaient.
Dans le contexte d'une économie globale où les services et les produits de haute technicité permettront à la France de rivaliser de plus en plus avec ses concurrents, ce seront les immigrés les mieux formés et les plus diplômés qui seront arrachés aux pays du Sud. Cela s'appelle le pillage de cerveaux, forme moderne de la colonisation.
Demain, les pays du Sud seront ainsi à nouveau appauvris de leur principale richesse : l'intelligence humaine. A nous les personnes les plus qualifiées, les cerveaux les mieux remplis ! A eux les personnes les plus faibles, les ventres les plus affamés !
Non, les pays du Sud ne doivent pas devenir les self-services de la main-d'oeuvre dont l'Europe a besoin !
Nous ne pouvons pas évoquer l'immigration clandestine sans aborder l'immigration dans sa globalité. Une meilleure gestion de l'immigration nécessite une profonde transformation de notre manière de concevoir l'aide au développement. Plus qu'une aide au développement, c'est une coopération pour un développement durable et humain qui doit être mise en oeuvre.
Au-delà d'un soutien socio-économique, les peuples de ces pays ont avant tout besoin d'un soutien politique afin que soit respectée leur volonté de démocratie et de liberté face à des dictateurs, ces dictateurs que nous, Français et Européens, soutenons trop souvent, trop longtemps. Ben Ali, Omar Bongo, Omar Guelleh et les autres, eux, ne se voient jamais refuser l'entrée sur le territoire français et ne sont jamais reconduits à nos frontières.
Lutter contre l'immigration clandestine, ce n'est pas mener la guerre aux immigrés, c'est mener la guerre aux trafics d'êtres humains, aux réseaux mafieux et aux patrons qui exploitent sans scrupule.
Avoir une politique de l'immigration, ce n'est pas remplir des charters ni construire une Europe-forteresse, dont Ceuta et Melilla seraient les nouveaux remparts et la Méditerranée les nouvelles douves, contre lesquels des hordes de désespérés viendraient mourir en croyant fuir la misère ou la dictature pour un monde meilleur, et en espérant ainsi aider leur famille à survivre !
Enfin, la création de cette commission d'enquête semble obéir à une certaine logique : celle qui vise à stigmatiser les immigrés clandestins et à les rendre responsables de tous nos maux. Je vous concède que c'est bien pratique quand on ne parvient pas à trouver de solutions concrètes aux préoccupations de nos concitoyens.
La création de cette commission permettra également de légitimer un ensemble d'amalgames et de suspicions racistes alimentant les peurs et de justifier les mesures que M. Nicolas Sarkozy et ce gouvernement préparent : je pense notamment à la remise en cause du droit de vivre en famille, du droit du sol et du droit d'asile.
Pour toutes ces raisons, les Verts ne voteront bien évidemment pas la création de cette commission d'enquête.
Pour ma part, je vous suggérerais volontiers la création d'une autre commission d'enquête portant, celle-là, sur l'ouverture des frontières et la liberté de circulation. Ce n'est pas une provocation ; cette commission permettrait, me semble-t-il, d'en finir avec certains mythes. (Exclamations et rires sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
A ce sujet, je vous recommande vivement le dernier ouvrage de Mme Catherine Vihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. Une telle lecture vous aiderait, je n'en doute pas, à prendre conscience d'un certain nombre de réalités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Je ne peux pas laisser passer certains des propos que viennent de tenir Mmes Eliane Assassi et Alima Boumediene-Thiery. Certaines de leurs allusions me semblent en effet absolument outrancières et indignes de cette assemblée.
Vous avez évoqué, chères collègues, la « forteresse-Europe » ; vous avez même employé les termes de « déportation »...
M. Robert Bret. Exact !
M. Philippe Dallier. ...et de « rafles ».
M. Robert Bret. Encore exact !
M. Philippe Dallier. Par l'emploi de tels termes, vous cherchez manifestement à faire surgir de terribles images qui renvoient à la période la plus noire de l'histoire de notre pays et de l'Europe. Comment pouvez-vous décemment, dans le cadre de ce débat, faire ainsi allusion au nazisme ou le régime de Vichy ?
M. Robert Bret. C'est vous qui l'évoquez !
M. Philippe Dallier. Non, c'est vous qui, par des insinuations scandaleuses, y avez fait référence ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Eliane Assassi. Ne soyez pas accusateur !
M. Philippe Dallier. Comment osez-vous utiliser un tel vocabulaire ?
M. Robert Bret. Si ce que nous disons vous gêne, c'est que cela doit être vrai !
M. Philippe Dallier. Madame Assassi, tout comme vous, je suis sénateur du département de la Seine-Saint-Denis.
Mme Eliane Assassi. C'est vrai. D'ailleurs, je ne vous vois pas souvent sur le terrain !
M. Alain Gournac. Laissez parler M. Dallier !
M. Philippe Dallier. Vous connaissez, chère collègue, les difficultés de ce département. Vous savez qu'il croule sous le poids de l'immigration clandestine.
Mme Eliane Assassi. Pas du tout !
M. Philippe Dallier. Bien sûr que si !
Mme Eliane Assassi. Moi, je ne suis pas dans la même logique que vous !
M. Alain Gournac. Allons, madame Assassi ! Laissez parler M. Dallier !
Mme Eliane Assassi. Alors qu'il cesse de me provoquer !
M. Yves Pozzo di Borgo. C'est vous qui nous provoquez !
Mme Eliane Assassi. C'est faux ! M. Dallier me prête des propos que je n'ai jamais tenus et parle de choses qui n'existent pas !
M. le président. Madame Assassi, ayez l'élégance de laisser parler M. Dallier comme il vous a lui-même laissée parler !
M. Philippe Dallier. Madame, je suis maire d'une commune depuis dix ans et je rencontre chaque semaine des gens en situation irrégulière. J'ai donc eu l'occasion de constater qu'il existe des filières pour faire entrer ces personnes sur le territoire français et pour les héberger.
Mme Eliane Assassi. Bien sûr !
M. Philippe Dallier. Des personnes malintentionnées exploitent ces immigrés clandestins et les font travailler au noir.
M. Yannick Bodin. Et, concrètement, que faites-vous pour y faire face ?
M. Philippe Dallier. Or, alors que la réalité de ces situations est connue de tous, vous ne voulez surtout pas que l'on en discute sous prétexte, dites-vous, que cela alimenterait le populisme !
M. Robert Bret. C'est faux ! Nous voulons nous attaquer à ceux qui exploitent la misère humaine !
M. Philippe Dallier. Depuis vingt ans, personne n'a eu le courage d'aborder lucidement les problèmes d'immigration clandestine. C'est précisément pour cette raison que les idées d'extrême droite ont pu se développer et prospérer dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il faut donc débattre sereinement de ces questions. C'est pourquoi j'approuve sans réserve la proposition de résolution qui nous est soumise. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Eliane Assassi.
Mme Eliane Assassi. J'ai déjà longuement exposé les raisons de notre opposition à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine ; il me semble donc inutile de rappeler ce qui motive notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il appartiendra à cette nouvelle commission d'enquête de déterminer ses priorités, et ce débat aura, me semble-t-il, permis d'y contribuer.
Pourtant, monsieur le président, il est une priorité sur laquelle j'aimerais insister. En effet, nous avons été fortement sollicités par les élus des départements et collectivités d'outre-mer.
M. Alain Gournac. Des territoires d'outre-mer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je dis bien : des « collectivités » d'outre-mer ! Il ne vous a certainement pas échappé, mon cher collègue, que la Constitution avait été révisée et que les « territoires d'outre-mer » n'existaient plus. (Sourires.)
La commission d'enquête devra bien évidemment traiter spécifiquement des problèmes dont ces élus d'outre-mer nous ont saisis.
Je profite de cette occasion pour préciser que, contrairement à ce qui est parfois reproché à la commission des lois, celle-ci examine chaque année, lorsqu'elle étudie le projet de budget des collectivités et départements d'outre-mer, les problèmes d'immigration clandestine, ce qui lui permet de constater que celle-ci augmente effectivement dans certaines collectivités.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote sur l'article unique.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, mes chers collègues, avant que le Sénat se prononce sur la création de cette nouvelle commission d'enquête, je souhaite formuler un voeu.
Si certaines de nos collègues ont abordé ce débat dans un esprit plutôt polémique, je voudrais, pour ma part, évoquer un constat que j'ai pu faire en tant que maire d'une grande ville : l'accès au logement social est l'un des problèmes les plus difficiles que pose l'immigration clandestine.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, il me paraît nécessaire que la commission d'enquête examine aussi avec précision le fonctionnement des commissions d'attribution de logements sociaux dans les grandes villes.
En effet, de nombreux immigrés clandestins font venir leur famille. Or, comme ils sont hébergés dans de très mauvaises conditions, ils finissent par devenir prioritaires pour l'attribution des logements sociaux, au détriment des candidats normaux à cette attribution.
Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est faux ! Les immigrés clandestins n'ont pas accès aux logements sociaux !
M. Jean-Claude Peyronnet. Bien sûr que non !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut donc ajouter le problème de l'accès au logement social parmi les conséquences de l'immigration clandestine. Pour le maire de grande ville que je suis - et c'est également le cas dans les villes moyennes -, il s'agit d'un problème de cohabitation et de cohésion sociale essentiel.
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. J'aimerais simplement obtenir une petite précision.
En France, sauf erreur de ma part, l'accès à un logement social nécessite la présentation d'un certain nombre de documents. Par conséquent, je ne vois pas à quoi M. Fourcade fait allusion. J'ignore en effet comment un immigré en situation irrégulière pourrait avoir accès à un logement social. En pratique, c'est impossible ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Permettez-moi de vous en fournir une illustration. Après les incendies qui se sont produits récemment, il a fallu procéder à des relogements. Or, vous l'avez constaté, ce sont seulement les personnes en situation régulière - heureusement les plus nombreuses - qui ont, jusqu'à présent, été relogées. Le cas des personnes en situation irrégulière, précisément pour les raisons que je viens d'évoquer, n'est toujours pas réglé à ce jour.
Regardez les textes, monsieur Fourcade ; vous comprendrez que votre interprétation est erronée. (M. Jean-Pierre Fourcade manifeste son incrédulité.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il y a, me semble-t-il, une grande confusion dans les propos qui sont tenus. Cela nous renforce dans l'idée que l'objet de la commission d'enquête proposée a un objet trop restreint.
Se préoccuper uniquement de l'immigration clandestine n'est pas convenable ; il faut traiter le dossier de l'immigration dans son ensemble, de préférence dans le cadre européen.
M. Jean-Paul Emorine. N'essayez pas de noyer le poisson !
M. Jean-Claude Peyronnet. Pour cette raison, nous nous sentons confortés dans notre opposition à la création de cette commission.
M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. N'inversons pas les priorités. Il faut traiter ce qui est irrégulier avant d'en venir à ce qui est régulier.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Bien sûr !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Par conséquent, nous devons d'abord examiner les conséquences de l'immigration clandestine.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et ses causes !
Mme Lucette Michaux-Chevry. Ensuite seulement, nous pourrons évoquer la situation des personnes qui respectent les lois de la République.
M. le président. C'est le bon sens ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Alain Gournac. Mais oui !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est plutôt un non-sens !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
6
Position de l'Union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de Hong-Kong
Discussion d'une question européenne avec débat.
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question européenne avec débat de M. Jean Bizet à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur sur la position de l'Union européenne dans les négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce avant la conférence de Hong Kong.
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la conférence ministérielle de Hong-Kong aura lieu dans quelques semaines. Elle devra aboutir à un accord sur le cycle de négociations commerciales lancé lors du sommet de Doha en 2001.
Nous devons tout faire pour que cette conférence soit un succès. En effet, en 2003, l'échec retentissant de la conférence de Cancún a constitué un revers pour tout le monde, qu'il s'agisse des pays développés, des pays les plus pauvres ou, d'une manière générale, du multilatéralisme, que certains souhaiteraient voir remis en cause.
En l'absence d'accord en décembre prochain, c'est le fonctionnement même de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, qui pourra être contesté. Pourtant, c'est la seule instance, notamment via son organe de règlement des différends, l'ORD, qui soit capable de réguler le commerce international, et cela au bénéfice de tous. Mais un accord lors de la prochaine conférence ministérielle ne peut évidemment être obtenu à n'importe quel prix.
Quels seront les thèmes de discussion à Hong-Kong ? Contrairement à ce que l'on entend souvent, les négociations ne se limiteront pas aux seuls sujets agricoles. Elles concerneront également les droits de douane des produits industriels, les services, la facilitation des échanges et le développement. Par conséquent, réduire la négociation aux seuls thèmes agricoles serait méconnaître les intérêts essentiels de notre pays et de l'Union européenne, qui réalise plus de 85 % de son commerce extérieur grâce aux produits industriels et de services.
S'agissant de l'agriculture, sujet évidemment essentiel, il existe trois principaux thèmes de négociation : d'abord, la suppression des subventions à l'exportation, qui ont un effet de distorsion du commerce mondial ; ensuite, l'accès au marché par le biais d'une réduction des droits de douane ; enfin, la réforme des soutiens internes.
Sur ces trois thèmes, un accord-cadre est intervenu à Genève le 1er août 2004, et ce, je le rappelle, grâce aux initiatives prises par l'Union européenne. Cette dernière a en effet consenti à faire des concessions difficiles, notamment en acceptant de laisser de côté certains sujets dits « de Singapour » et en annonçant la fin, à une date qui reste à déterminer, de toutes ses subventions à l'exportation.
A l'approche de la conférence de Hong-Kong, il reste à fixer des chiffres et des dates sur les décisions de principe. Quel sera le pourcentage de réduction des tarifs douaniers ? Quelle date sera retenue pour la fin des subventions à l'exportation ? Enfin - et c'est le sujet le plus important -, combien de produits sensibles seront protégés et lesquels ?
Nous savons tous que le commissaire européen au commerce a fait des propositions chiffrées en réponse à une première offre des Etats-Unis, qui proposaient de réduire de 60 % leurs subventions internes. La Commission européenne a en effet répondu en proposant de réduire de 70 % ses aides directes aux agriculteurs et d'abaisser parallèlement ses droits de douane dans une proportion de 20 % à 50 %.
Ces propositions, ainsi que l'idée de limiter à cent soixante le nombre de produits sensibles à protéger, sur un total d'environ deux mille produits agricoles, ont suscité l'émoi de nos agriculteurs et une réaction ferme de notre gouvernement. Un mémorandum a été signé par notre pays et cinq de nos partenaires, à savoir l'Italie, l'Espagne, la Pologne, l'Irlande et la Hongrie.
Cette action commune a montré que nous n'étions pas les seuls à souhaiter préserver les engagements pris en faveur des agriculteurs européens. Par ailleurs, un groupe ad hoc d'experts a été mis en place pour évaluer très précisément l'offre faite par la Commission européenne, ainsi que ses effets sur l'ensemble des filières.
Aujourd'hui, certains voudraient aller plus loin et exigent, par exemple, que Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, ait les mains liées pour l'avenir. Selon eux, la Commission européenne ne défendrait pas suffisamment les intérêts de l'Union, en particulier la préférence communautaire en matière agricole.
Or je ne pense pas que la Commission européenne oublie les intérêts de nos agriculteurs. Le rappel à l'ordre me semble avoir porté ses fruits. Il y a clairement une ligne rouge à respecter, à savoir le mandat donné par le Conseil : il ne faut pas toucher à la réforme de la PAC, négociée jusqu'en 2013. Tout est une question de transparence à l'égard des Etats membres de l'Union, et si celle-ci a sans aucun doute fait défaut ces dernières semaines, le message est, me semble-t-il désormais passé.
Aujourd'hui, la clé des négociations de Hong-Kong se trouve non pas dans les querelles internes à l'Union européenne, mais du côté des Etats-Unis.
Une véritable publicité doit être faite sur le scandale du Farm bill, qui, contrairement à la PAC, n'a pas été réformé. Il le sera au cours de l'année 2007. Le Farm bill n'est plus viable en l'état, ni d'un point de vue international ni d'un point de vue purement budgétaire. Une réforme de l'aide alimentaire américaine, qui constitue une forme de protectionnisme agricole déguisé, est également nécessaire et urgente, même si j'en mesure les difficultés. Rien de substantiel n'a été accordé sur ce point.
En tout état de cause, nos partenaires américains doivent faire des pas significatifs, dans la mesure où l'Union européenne a déjà fait sa part du chemin avec la réforme de 2003, qui a permis le découplage entre la production et les aides aux agriculteurs, et , l'an passé, sa proposition de mettre fin, à terme, aux subventions à l'exportation.
En clair, l'Union européenne ne peut payer seule le prix de l'ouverture des marchés agricoles et elle ne doit pas le payer en deux fois.
Ce n'est qu'après avoir obtenu des assurances sur une réforme des aides agricoles américaines, qui, je le rappelle, passe par une décision du Congrès - le mode de fonctionnement est différent de celui de l'Union européenne - que nous pourrons parvenir à un accord détaillé sur les concessions, y compris sur la liste des produits sensibles à protéger.
Cette liste devra être élaborée avec la plus grande attention, car elle désignera très précisément les secteurs agricoles que nous entendons protéger. Notre attitude doit être constructive, et non défensive. Nous ne devons pas faire de procès d'intention à la Commission européenne, sachant qu'elle sera amenée à rendre des comptes. Si le compte n'y est pas, il n'y aura pas d'accord à Hong-Kong.
Un autre point de la discussion est l'équilibre qui doit être trouvé entre les trois grands piliers de la négociation : l'agriculture, l'industrie et les services, et le développement. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusions : ces négociations ne pourront pas aboutir à un résultat très avancé s'agissant de l'industrie et, surtout, des services, pour lesquels les échanges d'offres n'en sont aujourd'hui qu'à un stade préliminaire.
Pour autant, il me semble qu'un message fort doit désormais être adressé aux grands pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Ces pays, qui sont encore très fermés dans le domaine industriel et dans le domaine des services, alors même que leurs marchés sont en pleine expansion, tout en réclamant toujours plus à l'Union européenne en matière agricole. Leurs tarifs industriels connaissent des pics allant de 15 % à 60 %, alors que la moyenne des tarifs industriels de l'Union européenne se situe à 4 %. Cette situation n'est pas acceptable. Il n'est plus possible d'adopter la même position à l'égard des pays les moins avancés, dont les économies - et les régimes - sont fragiles, et à l'égard de ces pays, qui deviennent extrêmement dynamiques.
En effet, ce sont d'abord ces grands pays émergents, avant les pays les plus pauvres, qui profitent d'une libéralisation croissante des échanges agricoles et industriels. Des avancées significatives devront être faites sur ces sujets à Hong-Kong, sinon, à l'évidence, l'accord ne sera pas équilibré.
Les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur, en Amérique latine, ont échoué parce que, en contrepartie de concessions agricoles, aucune offre crédible ne nous avait été faite sur l'ouverture des marchés industriels et de services de ces pays. Sur ce sujet, les Etats membres de l'Union européenne peuvent, me semble-t-il, parvenir à un consensus. En tout état de cause, il apparaît clairement qu'un accord limité au seul volet agricole serait purement et simplement inacceptable.
L'Union européenne ne doit pas avoir peur de mettre en valeur des dossiers très importants pour l'avenir, comme le respect des indications géographiques protégées ou la protection de la propriété intellectuelle. Le commerce international, ce n'est pas seulement des échanges libéralisés et la suppression des droits de douane, c'est également une concurrence loyale entre les Etats. Pour cela, les règles de protection des origines et de fabrication des produits doivent être respectées. Or, plusieurs Etats membres de l'OMC ne respectent pas ces règles ou refusent d'en discuter : nous ne devons pas l'accepter, pour des raisons liées à l'histoire et à la formation de l'Union européenne.
En ce qui concerne les pays pauvres, il est important de souligner - on ne le dira jamais assez - qu'il n'y a pas d'opposition entre leurs intérêts et les nôtres. En effet, ces pays bénéficient de préférences spécifiques de la part de l'Union européenne, qui importe, rappelons-le, 80 % de leur production agricole. En outre, la défense d'une certaine exception agricole les avantage également. Qui pourrait dire, par exemple, que la libéralisation totale des marchés agricoles serait profitable aux économies des pays pauvres, dont la seule richesse repose parfois sur des monocultures ? Dans un monde entièrement libéralisé, ces pays n'ont que peu de chances.
L'exemple du textile a montré en effet que ces pays souffraient d'un effet de masse des grands pays émergents. Il faut donc continuer de leur offrir des avantages comparatifs par rapport au reste du monde, comme le système des préférences généralisées.
Mais il faudra aussi que la conférence de Hong-Kong permette des avancées significatives sur des sujets comme le coton, qui avait été la cause principale de l'échec de la conférence de Cancún en 2003. La création d'un sous-comité coton, au sein de l'OMC, n'est pas du tout à la hauteur de leurs attentes et des enjeux.
En conclusion, madame la ministre, je voudrais souligner combien il me semble indispensable qu'un débat parlementaire ait lieu sur ces sujets essentiels qui concernent l'ensemble de notre économie et l'avenir de l'agriculture dans notre pays et au sein de l'Union européenne.
Je regrette qu'un tel débat parlementaire ne soit pas systématique avant toute prise de position de notre gouvernement à Bruxelles, comme cela se passe par exemple au Danemark. Les parlementaires français sont trop souvent mis devant le fait accompli et amenés à devoir justifier des choix sur lesquels ils n'ont pas été consultés.
Je vous remercie donc, madame la ministre, d'être présente pour nous indiquer très précisément l'état actuel des négociations, la position du gouvernement français et les propositions faites par la Commission européenne et nos partenaires pour la conférence de Hong-Kong. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de saluer l'initiative de notre collègue Jean Bizet, qui est à l'origine de notre débat d'aujourd'hui.
Cette initiative répond pleinement au souci de revaloriser l'approche des questions européennes au Parlement et de mieux faire comprendre les débats communautaires. Nous devons intervenir en temps utile, c'est-à-dire avant que les décisions soient prises : c'est le cas aujourd'hui, puisque ce débat a lieu bien en amont des négociations de Hong-Kong, qui se dérouleront du 13 au 18 décembre prochain.
L'intervention du Parlement en amont deviendra, je l'espère, de plus en plus souvent la règle. En tout cas, le Premier ministre nous en a fait la promesse. Déjà, le 15 juin dernier, le Gouvernement avait accepté, et c'était une première, un débat en séance publique avant le Conseil européen, afin que nous puissions connaître ses intentions et lui faire part de nos observations. J'espère que cette expérience se renouvellera. Il est très important en effet que les parlementaires puissent agir en amont, plutôt que de constater et de se désoler des résultats de négociations communautaires qui seraient prises en charge et orientées par les seuls gouvernements.
Plusieurs dossiers importants, qu'il s'agisse de la directive dite « Bolkestein » ou d'autres textes moins médiatiques, ont montré qu'il était nécessaire d'avoir un débat d'orientation politique avant d'engager les discussions avec nos partenaires.
Je vous remercie vivement, madame la ministre, d'avoir accepté de venir nous présenter les enjeux de ces négociations et la position du Gouvernement. Cela nous permettra peut-être de relativiser ce que nous lisons dans les journaux, entendons à la radio et voyons à la télévision.
Sur le fond, je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit Jean Bizet, qui connaît très précisément les dossiers commerciaux et le fonctionnement de l'OMC.
L'enjeu des négociations commerciales de Hong-Kong est d'abord et avant tout un enjeu de développement pour les pays les plus pauvres, qui souffrent d'une concurrence parfois faussée - je pense en particulier au dossier du coton -, mais aussi pour nos économies, qui bénéficieront de l'ouverture des marchés extérieurs, lesquels sont actuellement en pleine croissance, en Asie ou en Amérique Latine.
Récemment, l'entrée massive de textiles chinois a légitimement suscité l'émoi et conduit l'Union européenne à négocier des quotas d'importation pour permettre la restructuration de nos industries. En échange de ces ouvertures, douloureuses pour certains secteurs d'activité, nous devons conquérir des marchés extérieurs, dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée comme les transports, la téléphonie et les services.
S'agissant de l'agriculture, nous devons sans cesse réaffirmer, à temps et à contretemps, qu'il ne s'agit pas d'un bien comme un autre. Au-delà de l'aspect économique, l'agriculture est en effet un élément du patrimoine européen - et pas seulement français -, un aspect de l'équilibre territorial, social et environnemental de nos pays.
L'Union a besoin d'une politique agricole commune. Si cette politique doit faire l'objet d'adaptations - cela a souvent été le cas ces dernières années -, nous ne devons jamais en perdre de vue les conséquences sur l'aménagement du territoire de l'Europe, la sauvegarde de ses paysages, parties intégrantes de son identité. Il faut certes savoir évoluer, mais sans sacrifier l'essentiel.
Je pense, madame la ministre, que vous nous confirmerez que, sur ce point, un grand nombre d'Etats membres sont en accord avec la France.
Sur les sujets industriels et les services, je rappellerai principalement que, tout comme en matière agricole, il existe des garde-fous, en particulier en ce qui concerne le respect des services publics et de la diversité culturelle.
S'agissant des services publics, l'accord dit « AGCS » - accord général sur le commerce des services - a suscité des craintes dans les collectivités territoriales quant à une possible ouverture à la concurrence des services d'intérêt général, comme la distribution de l'eau. Ces craintes sont infondées, car la Commission a formellement exclu ce type d'offres. D'autres pays pourront le proposer, mais pas l'Union.
Concernant la diversité culturelle, je me félicite de la récente adoption de la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui constitue une arme juridique supplémentaire pour exclure les produits culturels des procédures habituelles de libéralisation des échanges.
Par ailleurs, comme Jean Bizet, je souligne que le débat public ne doit pas porter uniquement, comme c'est le cas en ce moment, sur le respect par la Commission européenne de son mandat. Certes, ce thème est important, mais il ne doit pas occulter la nécessité, pour l'Union européenne, d'être un interlocuteur unique pour l'OMC et de développer une véritable stratégie de négociation.
A ce propos, je voudrais rappeler le cadre juridique des négociations commerciales - cela me semble nécessaire, et c'est mon job ! Celles-ci sont régies par l'article 133 du traité instituant la communauté européenne.
En vertu de cet article, « si des accords avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales doivent être négociés, la Commission présente des recommandations au Conseil, qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires ». Le Conseil donne donc un mandat de négociation à la Commission. Pour les négociations de Seattle, le Conseil Affaires générales du 25 octobre 1999 avait ainsi déterminé les grandes lignes du mandat de négociation de la Commission.
Par ailleurs, « les négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil [...]. La Commission fait régulièrement rapport au comité spécial sur l'état d'avancement des négociations ».
Ainsi, les outils juridiques existent pour permettre une véritable transparence des négociations : le comité spécial, dit « comité 133 », désigné par le Conseil, se réunit régulièrement, tout en laissant à la Commission le soin de conduire les négociations. A cela, il faut bien évidemment ajouter les comités d'experts qui doivent appuyer le rôle du comité 133.
Enfin, il faut rappeler que, toujours en vertu de l'article 133 du Traité, le Conseil statue à la majorité qualifiée, c'est-à-dire qu'aucun Etat membre, pris isolément, ne dispose du droit de veto.
Certaines dispositions requièrent cependant l'unanimité si l'accord comprend des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l'adoption de règles internes, ou pour un accord qui concernerait le domaine des services culturels et audiovisuels, des services d'éducation, ainsi que des services sociaux et de santé humaine, qui relèvent de la compétence partagée entre la Communauté et ses Etats membres.
Il est utile de rappeler sans cesse ces règles, qui sont les fondamentaux des négociations qui seront menées à Hong-Kong au mois de décembre prochain.
Ces règles doivent nous conduire, me semble-t-il, à adopter une double attitude de vigilance et de confiance à l'égard de la Commission : vigilance quant au respect de nos intérêts et quant à l'expression, le cas échéant, de nos désaccords ; confiance dans les capacités de négociation de la Commission européenne, qui dispose seule de la légitimité pour négocier au nom de tous. Ce n'est qu'à ce prix que le cycle de Doha pourra se conclure sur un succès. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, moins de cinquante jours nous séparent du prochain sommet de l'OMC, qui se tiendra à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.
Les négociations commerciales, qui ont commencé avec succès à Doha en 2001, et qui ont « trébuché » à Cancún en 2003, ont-elles, dans ce court délai, une chance d'aboutir à un accord global équilibré, respectueux des intérêts de l'ensemble des pays ?
Nous voulons, bien entendu, le croire, tant nous avons besoin de réguler les échanges mondiaux, de garantir aux pays les plus pauvres les conditions de leur développement, et, s'agissant de la France, de favoriser le développement de nos entreprises à l'exportation, qui constitue bien sûr un vivier d'emplois très important.
Toutefois, si l'accord de Genève, conclu en juillet 2004, nous laissait espérer une relance positive du cycle, les récents développements sur la question agricole font naître de sérieuses craintes quant à son issue.
Avant d'aborder cette question agricole, placée, depuis plusieurs années, au centre des débats, je souhaite exprimer un regret d'ordre général et une interrogation.
Le regret porte sur le sort de la déclaration adoptée à l'issue du sommet de Doha, après le 11 septembre 2001. Elle avait placé le développement au coeur du cycle de négociations. Force est de constater que, sur ce sujet, peu d'avancées réelles ont été enregistrées, qu'il s'agisse, par exemple, du coton ou de l'accès aux médicaments.
Sur le coton, malgré leur condamnation par l'OMC, les Etats-Unis n'ont toujours pas réformé leur système de soutien de manière satisfaisante, alors même que les subventions accordées à leurs producteurs atteignaient 3,9 milliards de dollars en 2002.
Or les pays regroupés dans le G90 ont récemment laissé entendre qu'ils feraient échouer la conférence de Hong-Kong s'il n'y avait pas d'accord dans ce domaine, qui, il faut le rappeler, avait largement contribué à l'échec de Cancún. Sur ce dossier emblématique, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer où en sont les négociations ?
J'en viens à la question des médicaments.
La France, qui s'était particulièrement investie dans ce dossier, s'était réjouie de l'accord qui avait pu être trouvé en 2003 sur ce sujet. Toutefois, la mise en oeuvre concrète de l'accord se heurte aujourd'hui à des obstacles. Faute d'adoption d'un amendement à l'accord sur la propriété intellectuelle de l'OMC, les avancées dans ce domaine demeurent aujourd'hui très limitées. Pouvez-vous nous donner des précisions, madame la ministre, sur la traduction juridique des engagements pris en 2003 ?
Sur ce sujet du développement, l'Union européenne, et singulièrement la France qui, par la voix de son président, avait lancé une initiative en faveur de l'Afrique, peut et doit jouer un rôle moteur.
Pouvez-vous à cet égard, madame la ministre, nous donner votre sentiment sur la possibilité que soit étendue l'initiative européenne « Tout sauf les armes », qui consiste à laisser entrer dans l'Union, sans aucun droit de douane, les produits émanant des pays les plus pauvres ?
J'aborde à présent ce qui occupe le coeur de l'actualité.
Nous ne pouvons que déplorer, tout d'abord, qu'une fois de plus la négociation commerciale soit « prise en otage » par le volet agricole. La réforme de la PAC, en 2003, ne devait-elle pas être « pour solde de tout compte » ? Comment se fait-il que l'Union européenne, qui a réformé sa politique agricole avant de négocier, se trouve aujourd'hui, une fois de plus, en situation défensive face aux Américains qui vont aller négocier, eux, sans avoir réformé leur politique ?
Celle-ci aboutit pourtant, il faut le rappeler, à ce que les deux millions de fermiers américains soient individuellement plus soutenus que les quinze millions d'agriculteurs européens.
Nous ne pouvons également que déplorer que ne soient pas davantage prises en compte toutes les formes d'aides, notamment les systèmes américains de crédits à l'exportation, ou d'aide alimentaire, qui déstabilisent bien plus les marchés mondiaux que la politique européenne.
Il convient de rappeler, à ce point de la discussion, que le marché européen est le plus ouvert de tous les marchés mondiaux, et que l'Union, en acceptant six fois plus d'importations en provenance des pays africains que les Etats-unis, est le plus gros importateur de produits agricoles au monde.
Malgré cette situation, malgré la réforme de 2003, et malgré l'avancée sur les restitutions aux exportations en 2004, la Commission européenne paraît être entrée dans une dynamique de concessions unilatérales face aux Etats-unis et aux pays du groupe de Cairns, qui seront probablement les grands gagnants de cette dynamique.
Or nous ne pouvons accepter qu'un accord équilibré, qui sanctionne toutes les formes de soutien à l'exportation, y compris l'aide alimentaire, celle-ci devant se faire uniquement sous forme de dons et répondre à un besoin constaté internationalement.
Pouvez-vous, à cet égard, madame la ministre, nous donner des éléments précis s'agissant de l'impact qu'aurait sur la politique agricole commune la proposition de la Commission de réduire les droits de douane sur les produits agricoles de 20 à 50 % ? Pouvez-vous également nous donner des précisions sur l'expertise commandée au niveau européen afin de déterminer si le mandat de la Commission a été outrepassé ? Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la position de nos partenaires européens ?
S'agissant ensuite de la filière viticole, qui représente tout de même 80 % de notre excédent agricole à l'exportation, l'Union européenne et les Etats-Unis ont trouvé, après des années de discussions, un accord sur le commerce viticole, qui prévoit de mieux protéger les dénominations des vins communautaires.
Toutefois, les Américains pourront continuer, sous certaines conditions et pour une période limitée, à utiliser certaines expressions traditionnelles, ce qui pose problème. Une deuxième phase de négociation va s'ouvrir : peut-on imaginer qu'à son terme les Américains renoncent totalement, pour leur production de vins, à utiliser des dénominations européennes ?
Pouvez-vous également nous indiquer, de manière plus générale, les progrès qui peuvent être espérés sur la question des indications géographiques, indispensables pour bonifier la valeur ajoutée de notre agriculture ?
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, madame la ministre, nous souhaitons - et nous savons que le Gouvernement l'a instamment demandé à la Commission - que les négociations soient recentrées sur l'industrie et les services. L'Union, en la matière, a des intérêts offensifs majeurs à faire jouer, avec une moyenne tarifaire aux alentours de 4 %, et un secteur industriel qui représente 85 % des exportations françaises.
Sur cette question, comme sur l'agriculture, il nous faut trouver les moyens d'une plus grande différenciation entre les pays les plus pauvres et les pays émergents, qui maintiennent des barrières douanières très élevées, avec des tarifs qui varient entre 20 et 40 %. Il faut, à cet égard, rappeler que le PIB par habitant au Brésil s'élève à 3 100 dollars, quand celui du Ghana se situe à 320 dollars, soit dix fois moins. Les grands pays émergents, qui ont bénéficié de l'ouverture des échanges, doivent dorénavant ouvrir leur propre marché, notamment aux pays les moins avancés, comme l'a fait l'Union européenne.
Enfin, nous avons des interrogations sur certains facteurs susceptibles d'influencer les négociations. Il y va ainsi du comportement à attendre des groupes de pays qui avaient été en partie à l'origine de l'échec de Cancún. Les coalitions du G90 et du G20, qui affichent des intérêts commerciaux très concentrés sur un petit nombre de sujets, voire de productions, sont-elles capables de formuler des compromis sur une vision d'ensemble de la négociation ? Par ailleurs, quel pourra être le rôle du directeur général de l'OMC, qui a pris ses fonctions il y a quelques mois seulement ? Enfin, l'échec de Cancún avait mis en lumière la nécessité d'un certain nombre de réformes structurelles de l'OMC. Une réforme de cette structure est-elle envisagée ?
En formulant à nouveau le souhait que la conférence de Hong-Kong puisse déboucher sur un accord, je vous remercie par avance, madame la ministre, des précisions que vous pourrez nous apporter sur l'ensemble de ces questions. ((Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quel avenir pour la régulation mondiale du commerce et, partant, quel avenir pour l'OMC ? L'enjeu fondamental des débats d'aujourd'hui et des positions de négociations élaborées à Bruxelles réside dans ces questions. C'est sur cet enjeu que je souhaiterais, chers collègues, vous soumettre quelques réflexions, dans le laps de temps très faible, anormalement faible au regard de l'enjeu, qui m'est imparti.
Incontestablement, certains postulats sont admis et certaines préoccupations sont partagées par l'ensemble des membres de notre Haute assemblée.
Nous sommes tous d'accord pour rappeler l'utilité d'une régulation du commerce au niveau mondial. Elaborer des règles communes pour offrir à chaque pays les moyens d'échanger et de se développer, en évitant le bilatéralisme, est une nécessité reconnue par tous.
Nous partageons aussi le même pessimisme sur la situation actuelle d'inertie, d'enlisement de l'OMC et les perspectives bien minces de déblocage des négociations à Hong-Kong.
Sur le fond, et en particulier sur le dossier agricole, nous partageons aussi une vision assez semblable : celle de la défense d'une agriculture multifonctionnelle, jouant un rôle en matière de préservation des paysages, de protection de l'environnement, de sécurité alimentaire. Nous partageons aussi les mêmes soucis, notamment en ce qui concerne la définition d'une liste des produits dits sensibles, ou, d'une manière plus générale, pour l'instauration d'un principe de précaution au niveau mondial.
Mais dresser ces constats et affirmer ces préoccupations ne suffit pas : cela implique d'en tirer un certain nombre de conséquences concrètes.
L'enlisement des négociations porte en lui un risque majeur, celui de décrédibiliser ce système multilatéral auquel nous sommes attachés, car les pays membres finiront par rechercher ailleurs des solutions pour s'intégrer à l'économie internationale, et l'on constate déjà aujourd'hui la multiplication des négociations d'accords bilatéraux ou régionaux.
Si nous sommes tous d'accord pour défendre le principe d'une organisation mondiale du commerce, il faut tout faire pour sauver la conférence ministérielle de Hong-Kong.
Or, aujourd'hui, quel est le constat ?
Nous avons, d'un côté, le commissaire européen Peter Mandelson, dont la stratégie est en quelque sorte de se servir de la PAC comme d'une monnaie d'échange, en cédant sur l'agriculture pour avancer sur l'industrie et les services, en utilisant le dossier agricole comme variable d'ajustement. Ce n'est, à l'évidence, pas la bonne méthode : l'agriculture est bien sûr un dossier à part entière, à traiter en parallèle avec tous les autres.
Cependant, d'un autre côté, nous avons un gouvernement français dont la démarche consiste fondamentalement à critiquer sévèrement la Commission européenne, à mettre en accusation le commissaire Mandelson, sans stratégie précise, sinon celle de faire de l'affichage, à l'adresse de l'opinion publique, pour démontrer, bien maladroitement à mon avis, que la France est présente s'agissant des dossiers européens.
Cette attitude réactive et quelque peu théâtrale est-elle à la hauteur de l'enjeu ? Je ne le crois pas. C'est à la mi-novembre que la Commission européenne présentera la position qu'elle compte défendre à Hong-Kong : nous devons rester vigilants, mais éviter la diabolisation.
Entre ces deux méthodes, je crois possible de trouver une autre voie.
Pour aborder de façon positive la conférence de Hong-Kong, et surtout les négociations qui devraient suivre, je pense qu'il convient, aux échelons français et européen, de se positionner selon quelques constats et orientations simples.
Il faut tout d'abord souligner, madame la ministre déléguée, que, au sein de l'OMC, le rapport de force entre les 148 pays a beaucoup évolué en quelques années : au groupe de Cairns et au G 10 sont venus s'adjoindre le groupe des 20 et le groupe des 90, chacun de ces groupes ayant des intérêts spécifiques à défendre et des stratégies particulières à promouvoir.
Les lignes ont donc bougé. Désormais, le rapport de force ne s'exerce plus seulement entre l'Union européenne et les Etats-Unis. D'autres interlocuteurs sont apparus, qui vont peser dans les négociations et qui devraient permettre de sortir du face-à-face stérile entre les Etats-Unis et l'Union européenne. L'Europe, dans cette perspective, peut avoir un rôle clé à jouer, pour peu qu'elle arrive à surmonter ses propres divisions.
C'est ce qui me fait penser que l'OMC est à un tournant de son histoire et que nous ne devons pas, de notre côté, continuer notre route en ligne droite, en fondant nos stratégies et nos positions de négociations sur des schémas désormais caducs. Ces nouveaux interlocuteurs que j'évoquais à l'instant, nous devons en faire des partenaires. Ce sera la première étape d'une relance des négociations et d'une évolution souhaitable du fonctionnement même de l'OMC.
Le Premier ministre a encore rappelé, la semaine dernière, que la France participait au cycle de Doha notamment pour aider les pays en voie de développement. Mais, concrètement, le décalage est énorme entre les attentes de ces pays et les propositions que les pays industrialisés vont formuler à Hong-Kong. Une véritable crise de confiance était apparue à Cancún, elle risque de s'accentuer encore d'ici au mois de décembre.
Or, à chaque rendez-vous, le mouvement dit altermondialiste se nourrit de ces échecs et a tendance à faire de l'OMC le bouc émissaire pour toutes les difficultés, alors qu'elle n'en est que le révélateur. De mon point de vue, c'est l'absence de gouvernance à l'échelon mondial qui pose problème, et non l'embryon de régulation instauré par l'OMC, malgré tous les déséquilibres et les insuffisances que l'on constate depuis sa naissance.
Il s'agit donc, pour l'Europe, de nouer un dialogue politique sérieux avec les nouveaux groupes constitués ; nous devons et nous pouvons être « proactifs », formuler des propositions.
En effet, les pistes à explorer sont nombreuses. La promotion d'un traitement différencié pour les pays les plus pauvres est bien sûr la réponse principale et immédiate, celle qui vient tout de suite à l'esprit, mais d'autres pistes existent. J'aimerais, à titre d'illustration, en évoquer deux qui me semblent particulièrement dignes d'intérêt.
La première concerne les biens publics environnementaux. On sait que le thème du développement durable, même s'il figure dans le préambule de l'accord instituant l'OMC, reste encore très marginal pour la grande majorité des Etats membres de l'organisation, qui ont bien d'autres préoccupations, plus urgentes à leurs yeux.
En tout état de cause, si les pays développés ne renforcent pas leur aide technique et financière aux pays les plus pauvres, ces derniers ne pourront intégrer la dimension environnementale dans leurs choix. Or si l'on veut éviter les atteintes irréparables à l'environnement à l'échelle planétaire et favoriser les procédés de production respectueux de l'environnement partout dans le monde, la coopération sur ces questions à l'intérieur de l'OMC est indispensable. Elle est d'ailleurs aussi un moyen de pression à l'égard des pays émergents, qui concurrencent férocement nos productions par le biais d'un dumping social et environnemental.
De ce point de vue, l'élaboration à Hong-Kong d'une liste des biens environnementaux fondamentaux serait déjà une avancée.
La seconde piste concerne la reconnaissance à l'échelon mondial d'un registre des indications géographiques, thème qui a déjà été abordé par les précédents orateurs. Nous sommes d'accord pour affirmer que l'aide aux pays en développement passe par la valorisation de leurs ressources locales et traditionnelles : il s'agit bien souvent de régions périphériques où subsistent de petits producteurs dans un équilibre économique très fragile. La mise en place d'un registre international des indications géographiques permettrait de mieux protéger les productions locales, qui font vivre de petits producteurs et constituent, en même temps, une digue contre la déferlante de la production de masse.
A cet égard, comment, mes chers collègues, ne pas être inquiets de voir des multinationales faire breveter et vendre du riz « basmati » ou du thé « Ceylan » ? Aujourd'hui, un quart seulement de la production mondiale du thé appelé Darjeeling provient effectivement de l'Inde. C'est pourquoi des pays comme l'Inde, le Pakistan, la Thaïlande, la Jamaïque, qui d'ailleurs font partie des nouveaux groupes que j'ai cités, notamment du G 20, réclament une meilleure protection des indications géographiques.
Toutefois, comme vous le savez, les indications géographiques sont aussi d'une importance capitale pour nous Européens.
Savez-vous par exemple, mes chers collègues, que la commercialisation du fameux jambon de Parme est actuellement interdite sous ce nom au Canada, parce que cette appellation a été déposée unilatéralement pour un jambon dit « de Parme » canadien ! De telles situations sont aberrantes, mais leur incidence économique peut être considérable. Cela ne peut plus durer, il faut absolument que les indications géographiques soient protégées à l'échelle internationale : nous pourrons ainsi renforcer notre compétitivité agricole par la qualité plus que par la quantité.
Nous avons là un bel exemple d'intérêts convergents entre les pays en développement et l'Union européenne. Ce thème s'élargit même à d'autres problématiques d'importance, auxquelles nous sommes très attachés : celles, par exemple, du droit des consommateurs et de la sécurité alimentaire.
Ces dossiers ont déjà été mis sur la table, ils sont bloqués, et pour longtemps, diront certains. Mais qui peut en être sûr ?
En fait, des évolutions sont aujourd'hui à mon avis possibles, sur des questions considérées par beaucoup comme sans issue à cause d'intérêts nationaux trop éloignés les uns des autres. L'exemple le plus marquant, à cet égard, est l'approbation, par la Conférence générale de l'UNESCO, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il s'agit là d'une contribution essentielle au combat visant à ce que la culture ne soit pas considérée comme une marchandise comme les autres. Cela démontre que des avancées sont possibles et permet d'être optimiste s'agissant d'autres dossiers.
Sachons, dès lors, adapter notre vision et notre attitude aux nouvelles configurations qui se dessinent au sein de l'OMC. Sachons élargir nos thèmes de négociations et prendre en compte les idées nouvelles. L'avenir de la régulation mondiale du commerce et, partant, de l'OMC tient à cette perspective selon laquelle l'essor d'un commerce plus équitable à l'échelle mondiale pourrait être le moyen le plus efficace de lutter contre le sous-développement et les énormes inégalités qu'il engendre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la conférence de Hong-Kong, qu'elle réussisse ou qu'elle échoue, sera probablement un moment déterminant pour la vie du monde, au moins pour les vingt ans à venir, et ce pour des raisons simples.
Tout d'abord, tous les grands pays industrialisés ont intérêt à ce que les règles commerciales soient convenablement établies.
Ensuite, les pays en voie d'émerger et qui atteignent au même degré de richesse et d'influence au sein des échanges internationaux que ceux que je viens d'évoquer ont besoin de règles stabilisées afin de pouvoir continuer à s'intégrer dans le développement général du monde.
Enfin, et c'est probablement encore plus important, les pays dits en développement, c'est-à-dire ceux qui se trouvent tout à fait au bas de l'échelle économique, ont besoin, plus que d'autres, de pouvoir entrer dans le système. Cela est vrai à tous points de vue : sur le plan culturel, car ils ont aussi des spécificités à préserver, mais aussi au regard, ce qui est plus essentiel encore, de l'espoir minimal à donner à leur population. Notre débat actuel rejoint d'ailleurs celui qui s'est tenu auparavant sur l'immigration.
En effet, il est évident que la pression migratoire sur les pays riches se trouvera d'autant plus allégée, et c'est ce qu'a parfaitement compris le Président de la République, que la pression économique supportée par les pays en développement aura été soulagée.
En conséquence, tous les pays ont intérêt, y compris ceux d'entre eux qui, pour l'heure, n'en ont pas encore conscience, à ce que l'organisation générale du commerce mondial puisse progresser dans le sens que nous souhaitons.
Malheureusement, nous sentons bien que la question alimentaire est en voie d'émerger comme étant le problème majeur, la clé de tous les autres. Sur ce point, plusieurs réflexions peuvent, à mon sens, être faites.
Tout d'abord, il faut souligner que la sécurité alimentaire ne va pas de soi, et que s'en remettre aux flux tendus des échanges internationaux pour la sécurité alimentaire de continents entiers relève de la plus incroyable imprudence. Ceux d'entre nous qui ont un certain âge se rappelleront les années 1945-1955. A cette époque, l'Europe continentale a pu lever les restrictions alimentaires plus rapidement que le Royaume-Uni, qui avait pourtant derrière lui tout le Commonwealth mais qui, ne disposant pas d'une agriculture nationale suffisamment puissante, est resté au moins quatre années de plus que le continent en situation de dépendance alimentaire.
La sécurité alimentaire fait partie, à mon avis, d'un certain nombre de notions que les grands négociateurs internationaux ont quelquefois tendance à oublier, se disant que, après tout, il va de soi que ce qui est vrai pour les échanges de marchandises manufacturées l'est également s'agissant de ce qui constitue la base même de l'existence humaine sur le globe. Je crois néanmoins qu'il faut garder certaines notions élémentaires à l'esprit pour ne pas aborder le volet agricole - ce sera celui, nous le sentons, qui posera le plus problème - exclusivement par le biais de raisonnements intellectuels.
Cela étant, il y a plusieurs façons d'évoquer ce volet agricole. Pour ma part, je voudrais le faire en décrivant devant le Sénat ce que je crois savoir être l'angle d'approche de nos amis et adversaires américains dans cette affaire. Tout à l'heure, M. Bizet en a dit un mot, mais je voudrais insister un peu sur ce point.
Nous sommes devant une situation que vous connaissez certainement, madame la ministre déléguée, et que M. Mandelson devrait connaître, ou du moins un peu mieux intégrer dans ses raisonnements qu'il ne le fait actuellement.
Dans l'état actuel des choses, les Etats-Unis n'abordent pas du tout le volet agricole avec une volonté de contribuer à l'instauration d'un équilibre mondial au sein duquel même les pays les plus pauvres se trouveraient en situation de participer aux échanges internationaux dans des conditions améliorées. Ils adoptent au contraire une attitude résolument offensive, il faut le savoir.
Tout d'abord, à leurs yeux, le problème est d'élargir l'ouverture des marchés aux produits agricoles américains.
Ensuite, les références de discussion qu'ils mettent en avant sont inspirées par la loi agricole américaine, dite Farm bill.
En aucun cas, pour eux, la discussion du futur Farm bill ne doit dépendre des négociations de l'OMC. Le Congrès américain se réserve toute latitude d'adapter comme il l'entendra la politique agricole américaine aux résultats de Hong-Kong, et non l'inverse.
Pour se donner la marge de manoeuvre dont ils ont besoin, ils ont utilisé une méthode qu'ils reprochent aux pays en développement consistant à faire les calculs sur leurs concessions éventuelles non pas en fonction des aides réellement dépensées à l'intérieur de leur système de protection agricole mais par rapport aux plafonds auxquels ils auraient pu recourir s'ils avaient été jusqu'au bout du raisonnement. Comme le Farm bill actuel a été mis en oeuvre dans les années 2001-2002, à une époque où les versements ont atteint des niveaux inenvisageables auparavant, le point de référence auquel s'attachent les Américains ne correspond pas du tout à la situation présente, mais à ce qui s'est passé voilà trois ou quatre ans, dans des conditions économiques et de récolte tout à fait inattendues par rapport aux échanges courants internationaux. Telle est la première constatation.
Si vous considérez ensuite - je tire ces éléments de déclarations de M. Mike Johanns, secrétaire à l'agriculture américain, et de M. Saxby Chambliss, président de la commission agricole au Sénat américain - le joyeux mélange opéré entre la boîte orange, la boîte bleue et la boîte verte, vous vous apercevez que ce que nous proposent les Américains ne leur coûtera probablement pas grand-chose. Le résultat est extraordinaire ! Président du groupe d'amitié France-Etats-Unis du Sénat, je suis un ami des Américains et je rends hommage à leur capacité de négociateurs, à leur rouerie en la matière. Ils défendent leurs intérêts, c'est bien normal, mais ils le font avec des méthodes qui, de mon point de vue, sont parfois un peu excessives.
Nous sommes avertis que, pour autant, le Congrès ne se sentira pas lié pour la future loi agricole et, cerise sur le gâteau, si nous allons jusqu'au bout de certains raisonnements que j'entends ici ou là dans les négociations, l'Union européenne risque de devoir payer trois fois.
Nous savons qu'il n'est pas question, pour les Etats-Unis, de toucher à l'aide alimentaire, laquelle constitue un soutien détourné à l'économie agricole qui n'entre pas dans les calculs des fameuses boîtes. Nous savons également que les Américains ne veulent en aucun cas entendre parler des indicateurs géographiques comme facteurs limitant éventuellement leur capacité d'action sur le marché international - je m'associe, sur ce point, aux propos de M. Ries.
Cependant, la position américaine nous est présentée comme comportant une proposition d'abaissement - que, pour ma part, je crois très largement vide de sens - en contrepartie de laquelle l'Europe doit prendre immédiatement des engagements fermes, par exemple en réformant sa PAC. C'est dit moins brutalement, mais pas très différemment, par M. Blair. Or la politique agricole commune a déjà fait les pas que l'agriculture américaine a faits en sens inverse avec le Farm bill actuel, ce dernier ayant procédé au recouplage des aides alors que nous avons procédé à leur découplage voilà déjà quelques années.
Je suis désolé de voir qu'une négociation aussi importante sur le plan même de l'existence de l'humanité, de conflits de pauvreté, de révoltes, de pressions migratoires que nous voyons se dessiner pour le siècle qui commence, est suspendue à un malentendu - savamment préparé, allais-je dire - sur le volet agricole, alors que tout cela me semble dépasser de très loin le problème de l'éventuelle réforme de la PAC et de ses incidences pour la France.
Si le raisonnement est mené à son terme, c'est tout le système qui s'écroulera, car, en définitive, les pays les plus pauvres - ceux vers lesquels va à juste titre l'attention du Président de la République - se trouveront confrontés à une agriculture européenne qui ne pourra plus leur réserver un traitement particulier et à une agriculture mondiale dans laquelle ils seront directement exposés à la concurrence des pays grands producteurs. Dans cette affaire, d'ailleurs, le groupe de Cairns joue à mon avis sur les deux tableaux. Les pays les plus pauvres seront confrontés aux produits américains pour lesquels les farmers ont pratiquement expliqué au Congrès qu'il était impératif de leur ouvrir des débouchés et d'augmenter la part des exportations américaines.
On peut certes nourrir des espoirs dans d'autres domaines, mais une fois tous ces éléments rassemblés, on s'aperçoit que c'est sur la compréhension de la réalité du dossier agricole que tout va se jouer dans quelques jours, et pas seulement pour nos intérêts mais pour ceux du monde entier.
Madame la ministre, tout en vous assurant du soutien du groupe UMP dans les difficultés que vous devez rencontrer en ce moment, et nous imaginons qu'elles ne sont pas simples, nous souhaitons que M. Mandelson prenne conscience que, derrière cette affaire agricole, qui est sérieuse, les enjeux sont bien plus importants encore. Je souhaite que vous arriviez à l'en convaincre. Même si je ne crois pas à la réussite de la négociation de Hong-Kong, il faut tout faire pour ne pas aboutir à un échec sanglant, car le monde s'en remettrait très difficilement ; nous paierions de plus de vingt ans de désordres un échec majeur. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'enjeu de la prochaine conférence ministérielle est décisif. Il s'agit de relancer les négociations du vaste programme de Doha, lequel prévoit la prééminence du droit du commerce sur les droits humains, sociaux, culturels et environnementaux.
En effet, à l'occasion de la quatrième conférence ministérielle de l'OMC, un accord sur l'ouverture d'un cycle de négociations commerciales internationales a été conclu, grâce aux pressions économiques exercées par les pays industrialisés sur les pays en développement.
Si ce programme de négociations évoque à de multiples reprises l'importance de la promotion du développement, il répond en fait surtout aux attentes des pays riches et il contribue à donner davantage de pouvoirs à l'organisation tout en restreignant le droit pour chaque pays de promouvoir son propre modèle de développement. Les effets calamiteux de cette mondialisation des échanges, pour la majorité des pays, sont ressentis dans tous les secteurs d'activité.
Les conséquences négatives de la libéralisation agricole pour les pays en développement et les exploitations les plus vulnérables sont indéniables, madame la ministre.
La concurrence globale toujours plus forte entre marchés agricoles conduit à l'exclusion massive des plus petits exploitants et à une concentration des richesses. Libéraliser à tout crin l'agriculture aboutit à faire reposer la sécurité alimentaire sur la production des pays les plus compétitifs, lesquels imposent, par leurs pratiques, des prix de revient inférieurs aux coûts de production. De telles pratiques ne peuvent conduire qu'à l'écrasement de l'agriculture des pays les plus pauvres, remettant ainsi en cause la souveraineté alimentaire de ces derniers.
Aujourd'hui, force est de constater que les résultats obtenus par les pays en développement en matière de sécurité alimentaire sont des plus alarmants.
L'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, estime que le déficit commercial agricole des pays en développement atteindra 31 milliards de dollars d'ici à 2030, contre 18 milliards de dollars en 2015. Celui des pays les moins avancés, dont les importations à la fin des années quatre-vingt-dix étaient, en valeur, deux fois supérieures à leurs exportations, sera multiplié par quatre d'ici là.
Face à cette situation, madame la ministre, les signataires des accords OMC doivent respecter leurs engagements concernant l'aide alimentaire aux pays les plus vulnérables. En outre, ils doivent reconnaître le droit à l'autosuffisance alimentaire et garantir des prix minima pour les agricultures paysannes.
Concernant l'accès au marché des produits d'exportation, cette question est primordiale pour les pays en développement, car elle conditionne la mise en valeur de leur potentiel agricole. Si l'accord sur l'agriculture a entraîné des réductions tarifaires à l'entrée des marchés des pays développés, elles se sont révélées, dans la réalité, beaucoup moins généreuses que ce qui était promis aux pays en développement.
D'une part, les réductions des droits pour les produits de base et les produits transformés ont été relativement faibles. D'autre part, la progressivité des droits, qui fait augmenter les tarifs douaniers en fonction du niveau de transformation des produits, continue d'entraver l'accès au marché des pays développés et cantonne les pays en développement à l'exportation de produits primaires alors que les échanges annuels de produits agricoles transformés représentent plus de 60 % de l'ensemble des échanges mondiaux de produits agricoles.
A cela s'ajoute la complexité de la structure tarifaire qui finit de décourager le développement d'une activité de transformation dans les pays d'où proviennent les matières premières. En effet, la structure tarifaire appliquée aux produits agricoles par certains pays développés prévoit de multiples aménagements, comme les droits spécifiques, ainsi que des disparités et un manque de transparence dans la gestion des droits appliqués aux contingents tarifaires.
S'agissant des aides internes, les pays en développement, en raison des programmes d'ajustement structurel, soutiennent très peu leur agriculture. En outre, le fait d'avoir notifié des soutiens nuls à l'OMC les empêche, en raison des périodes de référence utilisées par les règles multilatérales, de mettre en oeuvre aujourd'hui des soutiens aux prix et les mécanismes de régulation des cours.
Or, pour ces pays, ce sont les soutiens les moins coûteux, car ils pèsent moins sur le budget limité de l'Etat que les aides directes au revenu. La seule possibilité actuellement pour un pays en développement est d'utiliser les aides classées en boîte verte, c'est-à-dire entièrement découplées de la production. Etant directement financées par le budget de l'Etat, le faible niveau de ce dernier, conjugué au poids de la dette, les rend en fait inaccessibles à la plupart des pays en développement.
Les pays développés, quant à eux, ont négocié un accord protégeant leurs politiques agricoles. En 2002, le soutien total à l'agriculture dans les pays riches était estimé, dans l'ensemble de la zone OCDE, à 318 milliards de dollars.
Enfin, l'accord agricole impose de diminuer le montant des subventions à l'exportation, mais celles-ci restent importantes et les règles ne couvrent pas les formes de soutien aux exportations, tels les crédits commerciaux, l'aide alimentaire utilisée à des fins commerciales et les entreprises commerciales d'Etat.
Ainsi, le libre-échange mène à l'injustice, car il fait gagner les pays les plus richement dotés et remet en cause le droit à la sécurité alimentaire des plus faibles, en déstabilisant les agricultures locales et en augmentant le coût de la facture alimentaire.
Il convient de mesurer la diversité des situations agricoles des membres de l'OMC. Une réponse politique, économique et technique adaptée doit être apportée par la communauté internationale. Or celle-ci n'a engagé et ne propose encore que des aménagements au système en vigueur, qui n'apportent aucune solution sérieuse pour remédier à la pauvreté et au sous-développement.
L'impératif d'autosuffisance et de sécurité alimentaire exige une exception au libre-échange. Il faut instituer une exception alimentaire, qui garantirait le droit de vivre de tous les hommes. La France, avec ses partenaires européens, doit défendre cette ambition pour le cycle de Doha, qui doit effectivement devenir le cycle du développement.
Un autre exemple des conséquences engendrées par la libéralisation des échéances est « l'affaire du coton ». Le coton d'Afrique de l'Ouest est mis à mal par les aides versées par les Etats-Unis à leurs producteurs. Le coût de production de la livre de coton aux Etats-Unis est de 0,7 dollar, mais les subventions versées permettent de réduire ce dernier à 0,4 dollar, contre 0,5 dollar en Afrique.
Cette concurrence déloyale a des effets dévastateurs sur les pays qui sont dépendants des recettes d'exportation tirées du coton. Cette affaire du coton, portée à l'OMC par quatre pays africains producteurs faisant l'objet d'une concurrence déloyale de la part d'un pays développé, aurait dû marquer un début de prise de conscience de la nécessité de créer les conditions d'un marché agricole régulé qui protège les productions vivrières des pays pauvres. Il faudrait adopter le principe de l'élimination de toutes les subventions à la production et à l'exportation de coton.
Concernant la négociation sur l'Accès au marché des produits non agricoles, le NAMA, la formule proposée est celle de la réduction des tarifs douaniers. La solution que veulent imposer les pays industrialisés s'appliquerait à tous les produits. Les tarifs douaniers seraient soumis à une réduction proportionnelle à leur montant. Plus ils sont élevés et plus la réduction serait importante. Les pays en développement qui ont maintenu des tarifs plus élevés que les pays industrialisés seraient désavantagés, alors même qu'ils en tirent des ressources importantes.
Par ailleurs, la libéralisation des services au profit des seules entreprises multinationales des pays riches se poursuit. L'Accord général sur le commerce des services, l'AGCS, ne prévoit aucune restriction à cette libéralisation s'agissant des services publics, comme la santé ou l'éducation, mais aussi des services mis en place par les collectivités.
L'AGCS symbolise parfaitement cette vision de la société qui place les marchés avant les hommes. Il faudrait exiger une renégociation de l'AGCS incluant la définition des services publics et leur exclusion de tout accord commercial. En tout état de cause, l'Union européenne doit exiger l'exclusion explicite de la santé, de l'éducation, de l'environnement et de la culture de la nomenclature des services soumis à l'AGCS.
Il appartient à l'Europe de veiller à faire respecter et à protéger la notion de service public, ainsi que la diversité culturelle.
Sur ce dernier point, le danger est réel. La libéralisation à tout-va des biens et services culturels entraînerait une uniformisation culturelle portant une atteinte inéluctable à la diversité culturelle, notamment dans les pays les moins développés.
A cet égard, il faut se réjouir que l'UNESCO ait adopté, le 20 octobre dernier, à une écrasante majorité, une convention sur la diversité culturelle : sur 154 pays représentés lors du scrutin, 148 ont voté en faveur du texte, deux s'y sont opposés - les Etats-Unis et Israël - et quatre se sont abstenus.
La convention de l'Unesco marque une réelle avancée en ayant une autre approche de la culture que la seule approche commerciale, comme le prouvent la proclamation de la spécificité des biens culturels et la reconnaissance de la souveraineté culturelle des Etats.
Cependant, la convention n'a pas de contenu normatif. Elle ne crée donc pas d'obligations, elle n'est pas contraignante. Son article 20, notamment, précise que rien dans la convention ne modifie les droits et obligations des parties au titre d'autres traités, tel l'OMC.
Si la diversité culturelle a maintenant un point d'appui important, elle n'est pas gagnée pour autant. Une rapide ratification de la convention, une volonté, une vigilance politique rigoureuse sont donc nécessaires, notamment en Europe : bien qu'elle ait signé la convention, cette dernière prépare une modification de la directive « Télévision sans frontières » allant dans le sens inverse de cette convention.
Afin de respecter le vote des citoyens du 29 mai dernier, la France au sein de l'Union européenne, qui négocie en son nom, doit s'opposer à ces projets destructeurs.
Plus fondamentalement, une discussion doit se développer pour déterminer le statut et le contenu des politiques de l'OMC. L'Organisation mondiale du commerce doit profondément changer, tout simplement en faisant le choix de la politique, et non celui de la soumission au marché.
Après les échecs de Seattle et de Cancún, après les objections argumentées et réitérées depuis des années par les pays en développement aux propositions européennes, il est indispensable que l'Union européenne cesse de dicter aux pays du Sud ce qu'elle estime bon pour leur développement et qui, en fait, ne sert que les intérêts des capitalistes européens.
Il est nécessaire que l'Union européenne accepte enfin que ces pays décident eux-mêmes des critères sur lesquels doit se fonder leur développement.
Plus généralement, il est grand temps que l'OMC mette ses actes en faveur du développement en concordance avec ses discours. La réforme de l'OMC se pose donc avec acuité. Ainsi, les parlementaires du groupe communiste républicain et citoyen considèrent qu'il est impérieux d'organiser la coopération, en élevant le niveau des droits plutôt que la concurrence. Pourquoi ne pas réfléchir à une taxe sur le dumping social, par exemple, dont le produit servirait à financer le développement, basée sur un indice mondial de protection sociale ?
Quoi qu'il en soit, madame la ministre, la première chose à obtenir de l'OMC est qu'elle respecte les objectifs du millénaire : permettre à tous les Etats de tirer également profit du commerce mondial pour favoriser la croissance et le plein-emploi, objectifs signés en 1999 par 185 pays et oubliés aussitôt, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat de cet après-midi s'inscrit à la bonne date dans le calendrier des négociations de ce que nous appelons le « cycle de Doha ». Il est intéressant, en effet, à six semaines de la réunion importante qui se tiendra à Hong-Kong, de faire le point, de voir où sont les enjeux et d'essayer de comprendre ce qui peut arriver.
Vous êtes, madame la ministre, parmi les personnalités françaises les plus aptes à nous apporter un éclairage objectif, car vous êtes au coeur de la négociation, vous avez une bonne connaissance des problèmes économiques internationaux et de la culture anglo-saxonne, ce qui vous permet de mieux apprécier les arguments de nos partenaires à l'OMC.
Il faut comprendre qu'au coeur de ces négociations se joue, finalement, notre vision du monde : d'abord, celles-ci devraient concerner le développement, donc se concentrer sur les intérêts des pays les plus pauvres ; ensuite, elles devraient permettre à l'Europe d'obtenir de nouveaux marchés pour nos produits, nos services, donc favoriser nos emplois ; enfin, elles devraient valoriser les efforts considérables accomplis par l'Union européenne en matière de politique agricole commune.
La Commission européenne a donc aujourd'hui pour mandat de ne pas accepter de concessions qui iraient au-delà. On ne doit pas sacrifier la PAC ! Il faut se rappeler, en effet, qu'au cours de ces négociations seule l'Union européenne a déjà effectué des concessions importantes. Elle a ainsi réformé fondamentalement sa politique agricole en 2003. Elle a aussi accepté, en 2004, le principe des restitutions à l'exportation.
Il faut avoir à l'esprit que les négociations actuelles ont pour objectif de favoriser le développement des pays les plus pauvres. Or l'Europe est le premier importateur mondial, elle importe plus des pays en développement que l'ensemble des autres pays industrialisés et elle représente à elle seule plus de 85 % de la destination des exportations des pays d'Afrique.
Loin de créditer l'Europe de ses efforts, loin de lui reconnaître sa contribution essentielle au commerce et au développement, les Etats-Unis et le Brésil demandent désormais une ouverture plus grande du marché agricole européen. Et, dans ce contexte, les négociateurs européens se disent prêts à de nouvelles concessions.
La Commission européenne doit refuser toute nouvelle demande qui ne profiterait en rien aux pays les plus pauvres et qui remettrait en cause ce que l'agriculture peut apporter à la société : la sécurité alimentaire tant en qualité qu'en quantité, l'équilibre économique et social des territoires ruraux, la création d'emplois, la préservation des cultures, des patrimoines et de paysages auxquels les citoyens européens sont profondément attachés.
A la suite du Conseil des ministres des affaires étrangères du 18 octobre dernier, où la France a fait preuve d'une grande fermeté, il est urgent que la Commission se ressaisisse et que le commissaire au commerce et la commissaire à l'agriculture et au développement rural comprennent et s'en tiennent au mandat de négociation que leur ont donné les vingt-cinq Etats membres.
Dans cette affaire, la France défend non pas des intérêts particuliers, mais l'intérêt général, et des principes.
Lorsqu'elle défend la PAC, la France défend une vision européenne. L'actualité ne cesse de nous démontrer qu'être indépendant sur le plan agricole et autosuffisant en matière alimentaire, ainsi qu'avoir la sécurité sanitaire la plus complète du monde, à l'heure actuelle, cela n'a pas de prix.
Aujourd'hui, le mandat des commissaires est donc clair : toute la réforme de la PAC, mais rien que la réforme de la PAC !
Plus tard, sans doute, il nous faudra « revisiter » la notion de préférence communautaire. Ce n'est pas dans le mandat de 2001. Mais je pense que sur un sujet aussi sensible que l'alimentation des hommes la question mérite d'être posée.
Dans la chronologie des différentes étapes de la négociation, un accord sur l'agriculture à Hong-Kong est annoncé comme la condition nécessaire pour avancer sur les autres points et aboutir à la fin de l'année 2006.
Notre fermeté, celle des négociateurs, ne doit pas se relâcher pour autant. L'agriculture ne peut en aucun cas être une variable d'ajustement.
Avons-nous les assurances nécessaires pour ne pas douter de la sincérité des Etats-Unis lorsqu'ils nous font des offres de démobilisation de leurs subventions agricoles ?
Nous connaissons notre difficulté permanente pour classer dans les différentes catégories d'aides, les trois boîtes, les pratiques américaines en vigueur entre l'aide alimentaire aux plus pauvres, les subventions à l'assurance récolte proche d'une assurance revenu, différentes suivant les Etats, le contexte général d'application du Farm Bill ; nous avons toujours des raisons d'être sceptiques sur cette proposition du 10 octobre, qui reste vague.
Je pense qu'il ne faut pas baisser la garde. Il importe de rester vigilant, par exemple sur la liste des produits dits « sensibles ».
La pression du G20 des pays en développement doit être prise en compte, bien sûr, mais il faut trouver le bon dosage de l'effort de libéralisation : entre les 54 % demandés par les uns et les 75 % avancés par les autres.
Nous connaissons bien les quatre volets des négociations agricoles : les soutiens internes, la concurrence à l'exportation, l'accès au marché, les indications géographiques.
Sur les autres sujets, il faut que les pays émergents, principalement le Brésil, la Chine et l'Inde, comprennent que, s'agissant de l'accès au marché des produits non agricoles, les progrès de la négociation sont aujourd'hui insuffisants.
C'est vrai aussi en ce qui concerne l'environnement. Pour ce qui est des services, il en est de même. Cela intéresse particulièrement les pays développés : 60 % à 70 % de nos économies. C'est un secteur « sensible », car il inclut le « modèle 4 » relatif à la mobilité des travailleurs.
Il faut souhaiter que les gains économiques que nos entreprises doivent normalement retirer de la négociation finale équilibreront les concessions que l'Union européenne est prête à faire, dans le cadre du mandat, bien sûr. Mais, pour qu'il en soit ainsi, il faudra un rééquilibrage substantiel de la négociation
Nous serons un certain nombre de parlementaires à Hong-Kong ; nous jugerons avec vous, madame la ministre. Mais, au point où nous en sommes, il vous appartiendra d'apprécier d'ici au prochain Conseil de l'OMC et lors de celui-ci quelle est la limite d'acceptation des pressions sur l'agriculture, en ayant présent à l'esprit que nous ne pouvons pas prendre le risque de faire « capoter » la négociation uniquement sur les problèmes agricoles. A condition que nos partenaires comprennent que nous avons déjà beaucoup donné ! Mais, en définitive, ce sont les intérêts majeurs de la France qui doivent être sauvegardés. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous remercier de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de pouvoir répondre à l'ensemble des questions que vous avez posées sur un sujet aussi important que l'organisation mondiale du commerce.
L'un d'entre vous a indiqué que le calendrier était parfait. Je crois qu'effectivement nous nous souviendrons de cette semaine où les négociations de l'OMC sont probablement entrées - l'histoire le dira ! - dans une phase déterminante ; vous l'avez tous souligné.
Je rends hommage à la qualité de vos observations et à la connaissance précise que vous avez de questions aussi techniques que celle de l'OMC. J'y ai consacré une partie des premiers mois de l'exercice de mes fonctions.
Comme vous le savez, la négociation a connu une accélération déterminante depuis le 10 octobre dernier, avec une multiplication de propositions, des Etats-Unis d'abord, proposition à laquelle l'Union européenne a jugé bon de répondre, ce qui a entraîné ensuite des propositions du G20 et du G10.
Malheureusement, cette accélération s'est limitée à l'agriculture, vous l'avez tous constaté, et cela suscite les plus vives inquiétudes du Gouvernement et du Président de la République. Nous considérons en effet que notre politique agricole commune, telle qu'elle a été réformée en 2003, est menacée.
Compte tenu de cette évolution, le Premier ministre a confirmé deux objectifs prioritaires pour la France dans le cadre de ces négociations : tout d'abord, opérer un rééquilibrage des négociations au profit, d'une part, de nos intérêts et, d'autre part, des intérêts des pays en voie de développement ; ensuite, faire en sorte que les négociations menées par le commissaire européen ne sortent pas du cadre du mandat qui a été fixé, vous l'avez rappelé tout à l'heure, selon des règles très précises, avec une référence spécifique à la politique agricole commune.
Je suis personnellement très sensible à l'attention que la Haute Assemblée porte aux questions de l'OMC et au rôle que le Sénat doit jouer dans le dialogue qui se déroule entre cent quarante-huit Etats membres.
Certains d'entre vous le savent pour avoir participé à nos réflexions, j'ai tenu à associer les parlementaires à la préparation de ces négociations. Je leur ai offert à tous de participer à une réunion qui a été organisée le 14 septembre dernier. J'ai de même participé à une audition organisée par le Sénat le 19 octobre 2005 qui fut pour moi l'occasion de répondre à toutes les questions que vous souhaitiez me poser.
Je suis également très heureuse de pouvoir compter sur la présence de certains d'entre vous à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.
En reprenant les différents points soulevés par M. Bizet dans sa question et les commentaires des uns et des autres, je me propose de vous répondre en suivant trois axes principaux : après un état des lieux d'une négociation qui, je dois le dire, évolue au fil des heures ces jours-ci, je ferai le point successivement sur le mandat de négociation de la Commission, notamment en matière agricole, puis sur les dossiers relatifs au développement.
Je commencerai donc par l'état des lieux de la négociation du cycle de Doha.
Comme vous le savez, l'accord-cadre de Genève du 1er août 2004 avait relancé le cycle de Doha après des échecs magistraux - en particulier à Cancún -, mais au prix de concessions de l'Union européenne : affirmation du principe de la suppression conditionnelle des restitutions à l'exportation, rétrogradation des questions de régulation et éviction pure et simple de trois des quatre sujets de Singapour.
Que s'est-il passé après le 1er août 2004 ? Pas grand-chose, jusqu'au 10 octobre, date à partir de laquelle les Etats-Unis et l'Union européenne ont présenté leurs propositions respectives pour la négociation agricole.
Cela a suscité, en réplique, des prises de position des groupes du G20, du G33 et du G10.
Par ailleurs, M. Lamy, le nouveau directeur général de l'OMC qui a succédé à ce poste, le 1er septembre, à M. Supachai, a accéléré le rythme de travail. Il adopte une attitude très volontariste et veut aboutir aux deux tiers du chemin du cycle de Doha à Hong-Kong, ce qui rendrait possible - compte tenu du calendrier des nécessaires négociations complémentaires - la réalisation complète des accords avant la fin de 2006 ou le début de 2007, date d'expiration des pouvoirs de négociation de l'administration américaine, le Trade Promotion Authority.
C'est compte tenu de cette date que nous nous « calons » sur celle de la conférence de Hong-Kong, dont nous faisons une étape déterminante.
Les pays du G20, pays émergents emmenés traditionnellement par le Brésil et l'Inde, et les pays du groupe de Cairns - Australie, Canada, Nouvelle-Zélande - continuent, à ce jour, de faire des engagements agricoles le préalable indispensable au déblocage et à l'avancée des négociations sur les produits industriels, les services et les questions liées au développement.
Quant au changement de rapport de force que vous avez évoqué tout à l'heure, je mentionne simplement qu'ils sont régulièrement changeants. A mon sens, au sein du G20, notamment, où l'on trouvait traditionnellement liés par les accords complémentaires des pays comme l'Inde et le Brésil, ces rapports de force sont en train d'évoluer.
A cet égard, je ne serais pas surprise que l'Inde, en particulier, se dissocie un peu du G20 et que la Chine adopte une attitude très discrète. Certains Etats ont intérêt à jouer du G20 tout en faisant valoir leurs intérêts dans des domaines tels que l'industrie et les services.
Aujourd'hui, la négociation agricole, point fondamental sur lequel se constate le plus d'avancées, se concentre sur l'accès au marché, avec comme principale difficulté les droits de douane.
La proposition conditionnelle de l'Union européenne, en août 2004, d'éliminer les restitutions aux exportations - sous réserve, donc, que l'autre partie fasse le même effort - n'a pas été suivie, à ce jour, d'engagements parallèles de la part de nos autres partenaires.
Or la priorité, en l'espèce, est bien d'arriver à un parallélisme des engagements, c'est-à-dire en particulier de faire en sorte que les Etats-Unis acceptent de mettre sur la table leurs programmes d'aide alimentaire qui servent certainement de variable d'ajustement !
Le débat sur une « date d'élimination » est à cet égard emblématique. Vous le savez, nous avons ouvert les négociations sur les restitutions aux exportations en indiquant qu'elles seraient éliminées « dans un délai raisonnable », sans qu'il soit pour autant fait mention d'un délai plus précis.
Or, aujourd'hui, tant les Etats-Unis que quelques-uns de nos partenaires parlent de l'année 2010 comme d'une date butoir réaliste pour l'élimination de ces restitutions. Pourtant, cette date n'a pas été proposée, et ce d'autant moins qu'elle ne nous semble pas acceptable.
Après des mois de blocage sur la question des soutiens internes, les Américains - extrêmement malins, au point d'invoquer un certain nombre de restrictions internes, notamment sur l'accord de libre-échange qu'ils négociaient avec les pays d'Amérique centrale - ont enfin formulé, le 10 octobre, des propositions de réductions chiffrées.
Cette annonce américaine était très habile : il semblait tout à fait ambitieux de proposer une réduction de 60 % du plafond autorisé sur la boîte orange - c'est-à-dire les soutiens les plus distorsifs - ainsi que des réductions de plafond appliquées à la boîte bleue - des soutiens un peu moins distorsifs - et aux aides non soumises à discipline, celles que l'on appelle traditionnellement les de minimis.
Cependant, après analyse, et vous imaginez combien nos services ont été minutieux, cette offre est beaucoup moins ambitieuse. Pour reprendre le mot du ministre du commerce de l'Inde, les Etats-Unis proposent de ne pas dépenser des sommes qu'en définitive ils n'avaient pas l'intention de dépenser ! (M. Paul Girod approuve.)
L'Union européenne a réagi en faisant une contre-proposition. Sous réserve de la démonstration contraire, bien sûr, on peut dire que l'Union européenne a épuisé ses marges de manoeuvre en matière de soutiens internes en proposant une baisse de 70 % du plafond de la boîte orange, c'est-à-dire des soutiens les plus distorsifs.
Les discussions, aujourd'hui, se concentrent - c'est tout l'objet de la polémique dont la presse internationale se fait actuellement l'écho - sur l'accès au marché. Les Etats-Unis, le groupe de Cairns et le G20 - tous intérêts confondus, quoique différents ! - font pression sur l'Europe et réclament des réductions tarifaires très ambitieuses, ainsi qu'une limitation à 1 % des produits sensibles, c'est-à-dire les cent soixante produits auxquels M. Bizet a fait référence.
La Commission s'est mal engagée dans ces discussions. En proposant une formule de réduction linéaire, c'est-à-dire sans le mécanisme de pivot qui permet une certaine flexibilité, comportant seulement 8 % de produits sensibles, elle se prive dès le départ, nous semble-t-il, de toute marge de manoeuvre. Elle risque même, selon l'identification de ces produits sensibles, de déstabiliser des marchés agricoles de la PAC réformée.
La France est d'autant plus concernée que nos produits sensibles sont répartis sur une foultitude de lignes, contrairement à d'autres pays, notamment du Sud.
Avec l'appui de treize autres Etats membres qui ont accepté de signer un mémorandum, la France a demandé à la Commission de rester dans le cadre de son mandat. A la suite du conseil Affaires générales, la France a demandé à la Commission de prouver qu'elle restait dans le cadre de son mandat et qu'elle n'était pas en train de fragiliser la PAC.
Aujourd'hui, en dépit des réunions d'expertise qui ont eu lieu, la Commission ne nous a certainement pas convaincus du fait qu'elle était bien restée à l'intérieur de son mandat. Dans ces conditions, toute offre complémentaire de sa part me paraîtrait tout à fait inopportune, car elle ne pourrait aller qu'au-delà des propositions faites.
Vous avez mentionné les indications géographiques, notamment pour les vins et spiritueux, qui nous intéressent au premier chef.
La plupart de nos partenaires, hélas ! restent à ce jour très réticents sur les indications géographiques. Ce dossier n'avance donc pas particulièrement, et M. Bizet l'a souligné à juste titre.
Or il est essentiel d'obtenir des résultats sur ce sujet à Hong-Kong. Il serait en particulier opportun de pouvoir adopter le registre national qui, seul, serait garant de la protection d'un certain nombre de productions, notamment dans le domaine des vins et spiritueux. Une telle mesure répondrait aux interrogations de M. Emorine et de M. Girod.
En ce qui concerne les négociations sur les produits industriels, très clairement, aujourd'hui, les débats s'enlisent au détriment des pays développés, donc au détriment des intérêts des productions françaises.
Je note au passage qu'il est tout de même un peu étonnant, compte tenu de la place qu'ils occupent dans nos économies, de définir les produits industriels comme des produits non agricoles. Mais c'est la règle retenue pour les négociations NAMA, ou Non Agricultural Market Access.
Or la France a beaucoup à attendre des négociations NAMA. Les secteurs qui bénéficieraient d'une ouverture pour les produits industriels représentent aujourd'hui à peu près 55 % de l'emploi industriel total, soit 1,7 million d'emplois et 181 milliards d'exportations, c'est-à-dire 68 % des exportations de nos produits industriels.
Or quel est notre objectif en la matière ? Il est clair que les pays en développement, en particulier les pays largement avancés dans leur développement tels que la Chine, le Brésil ou l'Inde, doivent accepter de diminuer significativement les barrières douanières - et les barrières non douanières, d'ailleurs ! - qu'ils érigent pour protéger leur marché.
Ces barrières douanières empêchent aujourd'hui nos industriels d'exporter leur production.
Dans le domaine de l'acier, si nos industriels souhaitent exporter vers l'Argentine, les droits de douane sont aujourd'hui de 35 %. Si nos industriels souhaitent exporter des 4 x 4 aux Etats-Unis, les droits de douane sont de 25 %. S'ils souhaitent exporter des véhicules automobiles ou des vins et spiritueux à destination de la Malaisie, les droits de douane y sont de 50 %. S'ils souhaitent exporter des vins et spiritueux à destination de l'Indonésie - certes, pays musulman où probablement nos exportations seraient assez minimes -, les droits de douane sont de 100 %.
Vous le voyez, il s'agit de droits de douane pour des pays émergents, mais aussi, dans un certain nombre de domaines très spécifiques, de pics tarifaires, comme au Etats-Unis, sur certains véhicules automobiles ou sur la céramique et le verre.
Malheureusement, l'Union européenne et les Etats-Unis, qui sont les principaux intéressés par une progression importante de la libéralisation dans ce domaine, ont du mal à présenter un front uni. Les stratégies adoptées ne sont pas les mêmes : les Etats-Unis favorisent une négociation ciblée sur certains secteurs, alors que l'Union européenne favorise une négociation générale.
La discussion, actuellement, porte sur la structure de la formule de réduction, laissant le degré d'ambition pour un stade ultérieur.
La France et l'Union européenne militent aujourd'hui en faveur d'une « formule suisse » que l'un d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a fort bien décrite : réduire plus fortement les tarifs les plus élevés et plus faiblement les tarifs les moins élevés.
Le commissaire a présenté une proposition très intéressante qui conduirait à des droits de douane inférieurs à 10 % pour les pays développés et à 15 % pour les pays émergents, qui pourraient ainsi voir monter doucement en puissance leurs industries sans être totalement envahis par nos productions industrielles, comme ils peuvent le craindre.
D'après les dernières réunions NAMA qui se sont tenues à Genève, les principaux partenaires de l'Union européenne - les Etats-Unis, l'Inde, le Brésil et l'Australie - subordonnent tout progrès dans le domaine des produits industriels à l'avancement et la réalisation d'un accord dans le domaine agricole.
Je suis assez inquiète, je dois le dire, car le directeur responsable des négociations concernant les produits industriels a récemment indiqué que, à supposer qu'un accord aboutisse dans le domaine agricole, il serait probablement difficile de parvenir à un accord sur les produits industriels avant la conférence de Hong-Kong.
Concernant maintenant la négociation sur les services, elle n'a malheureusement que très peu progressé depuis 2003.
Comme l'ont souligné MM Haenel, Emorine et Deneux, les bénéfices à attendre d'une libéralisation du commerce sont considérables. Nous escomptons des engagements clairs de la part des pays développés et émergents, notamment pour ce qui concerne le secteur des télécommunications au Brésil et les services informatiques au Brésil, en Inde et en Chine.
Nos intérêts, aujourd'hui, sont concentrés sur ce que, dans le jargon, on appelle le « mode 3 », c'est-à-dire sur la possibilité d'établir et de développer des activités de services dans les autres pays.
Le mode 3 représente à peu près 50 % du commerce des services, et nous avons tout intérêt à nous engager très avant dans cette négociation. Songez que, aujourd'hui encore, le groupe Carrefour n'a pas le droit d'ouvrir une grande surface en Inde ; et des petits détaillants qui souhaiteraient, à titre individuel, ouvrir un magasin dans ce pays se heurteraient aux mêmes difficultés.
En ce qui concerne les activités qui relèvent, elles, du mode 4, nous devons à l'évidence rester très vigilants. Tout ce qui concerne la durée ou le contrôle des déplacements des salariés qui effectuent une prestation de service pour un prestataire situé à l'étranger doit relever du droit du pays d'accueil. En d'autres termes, si un travailleur étranger assure en France, pour une durée indéterminée, une prestation de service dans le cadre du quota prévu par le mode 4, c'est le droit français qui sera applicable. J'insiste sur ce point, car il convient de ne faire aucune confusion entre le mode 4 et le régime prévu par la directive Bolkestein.
Sept secteurs des services sont très importants pour la France : les services financiers et les télécommunications, les transports maritimes, les services environnementaux, la construction, la distribution et le transport aérien. Dans tous ces secteurs, nous avons des intérêts offensifs à faire valoir.
Certains orateurs ont évoqué la diversité culturelle et les services publics. Dans l'offre de services qu'elle a déposée, l'Union européenne n'a pas inclus - ce qui revient à dire qu'elle a exclu - ce qui correspondait aux services publics et à la diversité culturelle, donc notamment toutes les activités liées à l'audiovisuel. A cet égard, je me réjouis à mon tour de l'adhésion et du support massif qu'a reçus une proposition relative à la diversité culturelle qui a été largement soutenue par la France. Quel que soit le débat sur la validité juridique de cet accord, pour entrer en vigueur, il devra être ratifié par trente pays. J'espère que la France sera l'un des premiers Etats à procéder à cette ratification.
S'agissant des autres sujets, du quatrième pilier de la négociation en quelque sorte, il faut savoir que, si les négociations sur les règles restent en retrait, la facilitation des échanges a un peu progressé. Néanmoins, les questions relatives au développement, sur lesquelles je reviendrai, n'ont guère avancé, bien que le développement soit au coeur du cycle de Doha.
Monsieur Bizet, vous avez mentionné la vigilance et la confiance. Vous m'avez aussi attribué sans doute plus de vertus que je n'en ai. Je n'ai pas, par exemple, la faculté de négocier directement. En effet, les vues des vingt-cinq pays membres sont représentées par la Commission, en la personne du commissaire Mendelson.
Je crois beaucoup aux bienfaits de la vigilance et de la confiance. Il est sans doute temps d'encourager vivement et fermement à une réorientation de la négociation. Que M. Mendelson nous entende ou pas, il est de notre devoir de le lui rappeler.
En effet, aujourd'hui, l'Europe est vertueuse et ouverte ; elle n'a aucune raison d'adopter une position défensive.
Elle est vertueuse puisqu'elle a mis en oeuvre la réforme du régime des subventions et d'aides à l'agriculture. Parallèlement, nous instituons le découplage. Les Etats-Unis, pour leur part, et vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le sénateur, ont plus « recouplé » que « découplé ». Quant à leurs propositions, elles n'ont que la valeur de promesses et, comme toutes les promesses, elles n'engagent que ceux qui y croient !
L'Europe est également ouverte. L'Union européenne absorbe en effet 85 % des exportations de produits agricoles en provenance des pays d'Afrique et 65 % des exportations des pays les moins avancés. Le taux moyen des produits industriels y est de 4 %. Que ceux qui affirment que l'Europe est protectrice, fermée et égoïste s'appliquent à regarder les chiffres !
J'en viens à la question du mandat de négociation qui, sans être fondamentale, est aujourd'hui au coeur du débat.
Le mandat de négociation de la Commission européenne en matière agricole est la somme de diverses conclusions des conseils agricoles et des affaires générales. Je remercie M. Haenel d'avoir rappelé les fondements juridiques sur lesquels s'appuie la définition de ce mandat.
Le Conseil en l'espèce a fixé une limite très claire au mandat de la Commission à l'OMC : préserver la politique agricole commune telle qu'elle a été réformée en 2003.
Le conseil Affaires générales du 21 juillet 2003, confirmé par celui du 18 octobre dernier, au cours duquel la France a demandé que l'examen du mandat soit mis à l'ordre du jour, indique que la réforme de la PAC de 2003 fixe les limites du mandat de la négociation. Il prévoit également que la marge de manoeuvre qu'offre la réforme de la PAC ne pourra être exploitée qu'à la condition que les partenaires de l'OMC fassent des concessions équivalentes dans le domaine agricole. C'est le principe du parallélisme que j'évoquais tout à l'heure.
Dans un souci d'exhaustivité, j'ajoute que le mandat de négociation comporte également des éléments plus spécifiques.
S'agissant d'abord de l'accès au marché, l'objectif qui a été fixé dans la déclaration de Doha et dans l'accord-cadre d'août 2004 reste celui d'une « amélioration substantielle pour tous les produits ». Toutefois, le Conseil a demandé que la réduction tarifaire soit similaire à celle qui a été négociée dans le cycle de l'Uruguay. Vous pouvez donc constater que des paramètres très précis ont été fixés.
S'agissant ensuite des subventions aux exportations, le Conseil a demandé un parallélisme des engagements pour toutes les formes de soutien. En d'autres termes, les pays partenaires qui subventionnent leurs exportations doivent faire le même effort que ceux qui ont été consentis, sous forme de propositions, lors des réunions d'août 2004.
S'agissant enfin des soutiens internes, le conseil du 26 octobre 1999 et le conseil agricole du 21 novembre 2000 ont posé certaines conditions, notamment le maintien des notions de « boîte bleue » et de « boîte verte ».
Les plus anciennes conclusions du Conseil insistaient sur la reconnaissance des considérations non commerciales et sur le rôle de l'agriculture en tant que fournisseur de biens publics. Ces considérations ont progressivement disparu des conclusions du Conseil, sauf en ce qui concerne les indications géographiques.
Enfin, un traitement spécial et différencié, dit TSD, a été évoqué en faveur des pays les moins avancés. Les conseils de 1999, de 2001 et de 2003 prévoient de promouvoir les TSD, en particulier pour les pays les moins avancés. Ils proposent de réfléchir à la stabilité et à la prévisibilité des préférences commerciales et d'inciter les pays développés et les grands émergents à accorder des préférences commerciales aux pays les moins avancés.
J'en viens au troisième et dernier volet de mon propos, le développement. Il convient de remettre le développement au coeur du cycle de Doha.
Je ne remonterai pas jusqu'en 1945. Je rappellerai simplement que, lors du lancement du cycle de Doha, en 2001, certains d'entre vous s'en souviennent pour y avoir participé, les Etats - ils n'étaient d'ailleurs pas cent quarante-huit à l'époque - s'étaient engagés à placer le développement au coeur du cycle. Pourtant, les négociations sur le développement, donc le coeur du cycle, ne progressent pas. A sept semaines de la conférence de Hong-Kong, au cours de laquelle les grands principes devraient être définis, nous avons de sérieux motifs d'inquiétude.
Tout d'abord, de nombreux pays en développement sont inquiets, car ils n'ont pas la certitude de retirer des bénéfices du cycle en cours de négociation. En effet, les analyses les plus récentes montrent que les bénéfices de la libéralisation ne sont ni automatiques ni assurés à court terme et que certains pays en développement seront perdants.
La Banque mondiale, qui n'a pas toujours eu toutes les vertus, a accepté d'infléchir son discours s'agissant des bienfaits de la libéralisation. Elle a identifié des pays perdants à court terme : le Bangladesh, le Vietnam, le Mexique, les pays du Moyen-Orient - zone géographique un peu vaste qui mériterait d'être précisée -, ceux de l'Afrique du Nord et tous les pays d'Afrique sub-saharienne, c'est-à-dire les plus pauvres des plus pauvres.
De la même manière, le Fonds monétaire international, qui, lui non plus, n'a pas toujours eu toutes les vertus, a identifié six pays à revenus intermédiaires menacés par l'érosion des préférences, érosion consécutive à la réduction générale des droits de douanes. Il s'agit de l'île Maurice, pour le sucre, de Sainte-Lucie, pour la banane, de Belize, de Saint-Kitts-et-Nevis, du Guyana et des îles Fidji. On cite aussi parfois les Seychelles, pour la pêche, la Tanzanie, l'Ouganda, Madagascar et le Maroc.
En effet, les bénéfices attendus de la libéralisation prévue ne sont pas aussi clairs que l'on veut bien le dire, et ce en raison de la combinaison de quatre facteurs : premièrement, l'érosion des préférences tarifaires ; deuxièmement, la hausse des prix alimentaires, inéluctable puisque l'ouverture d'un certain nombre de marchés affectera les pays en développement qui sont des importateurs nets de produits alimentaires ; troisièmement, la faible capacité des pays les plus pauvres à adapter leur offre ; quatrièmement, enfin, les pertes de recettes douanières qui résulteront de l'abaissement des barrières douanières que nous évoquions tout à l'heure.
Les dossiers qui ont de l'intérêt pour les pays en développement ne progressent pas et restent bloqués dans la négociation. Tout se passe comme si les questions liées au développement étaient périphériques et auxiliaires.
Les débats sur les traitements spéciaux et différenciés n'ont pas progressé. Les négociations actuelles se concentrent sur les formules de réduction, renvoyant à plus tard le traitement des TSD.
En matière agricole, nous n'avons pas encore commencé à traiter les demandes des pays en développement relatives à un mécanisme de sauvegarde spéciale, au nom de la sécurité alimentaire et du développement rural.
Dans le même temps, l'examen des quatre-vingt-huit propositions visant à améliorer les mesures de TSD déjà existantes est aujourd'hui bloqué, en raison du refus des grands pays émergents - le Brésil, l'Inde, la Chine - d'accepter une distinction en fonction de leur niveau de développement entre eux et les pays les moins avancés. Pourquoi le feraient-ils ? Ils profitent d'avoir dans leur groupe les pays les moins avancés pour « tirer les marrons du feu », si je puis m'exprimer ainsi.
Certains pays, notamment parmi les plus développés, ont toujours autant de réticences à s'ouvrir davantage aux produits des pays les moins avancés.
La déclaration de Doha et l'accord-cadre du 1er août 2004 demandent pourtant aux pays développés et aux pays en développement qui sont « en mesure de le faire » d'adopter des mesures analogues à celles que l'Union européenne a décidées, connues sous la dénomination : « Tout sauf les armes ». Or on constate que pratiquement aucun de ces pays n'a accepté d'appliquer une mesure de ce type.
Les pays ACP insistent en vain sur l'érosion des préférences. Ce sujet ne progresse pas en raison de l'opposition des pays latino-américains.
Comme l'a souligné M. Emorine, la situation du marché du coton reste inquiétante. La perspective d'un règlement spécifique de ce problème à Hong-Kong est bien peu réaliste. Bien que condamnés à l'OMC, les Etats-Unis ne se sont pas engagés à discipliner leurs subventions. Cette situation, inquiétante au plus haut point, a conduit mon homologue malien à brandir, la semaine dernière, la menace d'un échec de la conférence de Hong-Kong, à défaut du règlement de la question du coton.
Enfin, la France regrette que la question de l'accès aux médicaments, à laquelle le Président de la République est très attaché, ne figure pas à l'ordre du jour de la conférence de Hong-Kong.
En effet, l'accord du 30 août 2003 n'est toujours pas transcrit dans l'accord sur l'accès des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce, connu sous le nom d'accord ADPIC.
L'Union européenne, sur l'initiative de la France, va, je l'espère, transposer rapidement l'accord de 2003 en droit communautaire - ce sujet sera évoqué au Parlement européen le 17 novembre prochain -, ce qui permettra aux membres de l'Union européenne de répondre aux demandes des pays en développement pour la fourniture de médicaments dans les situations d'urgence et justifiées qui sont décrites dans l'accord de 2003.
Mes services sont mobilisés pour que la France soit en mesure de répondre à ces demandes dès que la réglementation européenne sera applicable. Nous souhaitons être à la pointe du mouvement qui vise à améliorer l'accès aux médicaments des pays les moins avancés.
Pour concrétiser les promesses du cycle de Doha pour le développement, nous devons réagir maintenant, avant la conférence de Hong-Kong. C'est pourquoi, comme je vous le disais, cette semaine sera probablement cruciale.
J'ai décidé - peut-être pour les raisons que vous avez évoquées, monsieur le sénateur - de m'engager personnellement sur le terrain. J'irai donc moi-même aux Etats-Unis et en Afrique au début du mois de novembre pour faire entendre la voix de la France sur ces questions liées au développement. Je le ferai dans des termes non ambigus, afin de clarifier la position de notre pays, notamment sur les questions agricoles, après la confusion alimentée, probablement à dessein, par tel ou tel organe.
J'aimerais croire que le débat ne se cantonnera plus à l'échelon européen et qu'il aura lieu en relation avec nos partenaires américains et d'autres. Toutefois, je crains que l'une des manoeuvres envisagées pour aboutir, de manière peut-être hâtive, ne consiste à diviser pour mieux régner. A cet égard, M. Dominique Bussereau et moi-même engageons tous nos efforts afin que le soutien que nous avions acquis, notamment sur le mémorandum agricole, et qui nous avait permis de rassembler les signatures de treize autres pays membres, ne soit pas défaillant. C'est un combat de tous les jours !
Pour conclure, je souhaite rappeler l'engagement de la France en faveur d'un accord équilibré et ambitieux, dans l'esprit de Doha. Il s'agit, en l'espèce, de promouvoir la libéralisation des marchés, d'encadrer la mondialisation par des règles équitables et loyales, de préserver une agriculture multifonctionnelle et, surtout, de veiller à l'intégration des pays en développement dans le commerce mondial. En aidant ces pays, nous nous aidons nous-mêmes ! Les problèmes d'immigration que vous avez évoqués sont aussi au coeur du débat sur le développement.
Dans ce combat - j'allais dire dans cette bataille, mais il est vrai que, là où il y a du commerce, les moeurs sont plus douces ! -, la France n'est pas seule. Elle est soutenue par un certain nombre de pays européens et même de pays situés au-delà de l'Europe avec lesquels nous devons continuer, sans défaillir, à multiplier les échanges, bâtir des alliances, pour, ensemble, être plus forts. Tel est le combat que nous menons et que nous continuerons à mener.
Tous les pays européens sont aujourd'hui conscients de l'importance des enjeux du cycle de Doha, des négociations de Hong-Kong. J'espère qu'ils sauront de même reconnaître l'impérieuse nécessité de respecter les termes d'un mandat et de revenir devant les membres du Conseil s'il devait y avoir une modification quelconque des paramètres sur lesquels s'engage la négociation.
Un succès des négociations de l'OMC à Hong-Kong, avant l'expiration du cycle de Doha, ne sera pas seulement d'ordre commercial. Il donnera aussi raison à ceux qui croient en un système multilatéral plus juste, à ceux qui pensent que cent quarante-huit pays peuvent encore s'accorder pour régler ensemble les problèmes nés de la mondialisation des échanges, pour répondre ensemble aux défis d'un monde inéluctablement globalisé, sans pour autant renoncer à leurs valeurs et à leur identité, et, enfin, à ceux qui s'insurgent contre la fatalité d'un monde replié sur lui-même - c'est effectivement le risque - ou qui refusent de céder à la tentation de conclure des accords bilatéraux, dans lesquels, par hypothèse, le plus faible subit la loi du plus fort.
Ces risques de repli sur soi et de bilatéralisation, nous souhaitons les éviter. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère » : c'est inspirés de cette belle citation du dominicain Lacordaire que nous continuerons à mener la bataille du multilatéral, la bataille de l'OMC ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. En application de l'article 83 ter du règlement, je constate que le débat est clos.
7
Délégués départementaux de l'éducation nationale
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 28) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission des affaires culturelles, sur :
- la proposition de loi (n° 483, 2004-2005) de Mme Annie David, MM. Ivan Renar, Jack Ralite, Jean-François Voguet, François Autain, Mmes Eliane Assassi, Marie-France Beaufils, MM. Pierre Biarnès, Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon et M. Bernard Vera tendant à modifier l'article 40 de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école relatif au lieu d'exercice des délégués départementaux de l'éducation nationale ;
- la proposition de loi (n° 511, 2004-2005) de MM. Jean-Claude Carle, Jacques Valade, Christian Demuynck, Alain Dufaut, Louis Duvernois, Jean-Paul Emin, Hubert Falco, Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mmes Christiane Hummel, Lucienne Malovry, M. Pierre Martin, Mme Colette Melot, M.M Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Philippe Richert, Pierre Bordier, Denis Detcheverry, Ambroise Dupont, Soibahaddine Ibrahim et Jacques Legendre relative aux délégués départementaux de l'éducation nationale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que la commission des affaires culturelles vous demande aujourd'hui d'adopter fait l'objet d'un large consensus.
Elle émane de deux initiatives de deux groupes politiques du Sénat : d'une part, la proposition de loi n° 483 de notre collègue Annie David - que je veux associer à ce débat et à qui je transmets tous nos voeux de prompt rétablissement - et plusieurs membres du groupe CRC tendant à modifier l'article 40 de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école relatif au lieu d'exercice des délégués départementaux de l'éducation nationale ; d'autre part, la proposition de loi n° 511, que j'ai moi-même déposée avec le président Jacques Valade et plusieurs membres de la commission des affaires culturelles et du groupe UMP.
Il est en effet de notre responsabilité, et d'abord de la mienne en tant que rapporteur, au nom de la commission des affaires culturelles, du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, de rectifier une disposition adoptée par le Sénat à l'occasion des débats sur ce texte, dès lors qu'elle s'est révélée très nettement difficile à appliquer.
Lors de votre première audition devant la commission des affaires culturelles, au mois de juillet dernier, vous avez vous-même, monsieur le ministre, exprimé votre soutien à toute initiative du Parlement visant à apporter cette modification utile et de bon sens.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la disposition qu'il est aujourd'hui proposé de modifier a été introduite par amendement dans la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école lors des débats en séance publique au Sénat. Confirmée ensuite par la commission mixte paritaire et figurant à l'article 40 de la loi, la disposition introduite par cet amendement prévoit que les délégués départementaux de l'éducation nationale chargés de l'inspection des écoles publiques et privées « ne peuvent exercer leur mission que dans des établissements autres que ceux de leur commune, ou, à Paris, Lyon et Marseille, de leur arrondissement de résidence. »
Cette disposition était guidée par le souci fort légitime de renforcer la neutralité de ces fonctions, condition, bien sûr, de leur bon exercice. Toutefois, les représentants de ces personnels ont attiré notre attention sur les problèmes d'application que soulève ce texte.
En effet, les délégués départementaux de l'éducation nationale sont très attachés à la dimension de proximité sur laquelle repose, en grande partie, l'efficacité de leur mission.
Nommés par l'inspecteur d'académie, ils sont notamment chargés de faire rapport aux municipalités et aux autorités académiques de l'état et des besoins des établissements préélémentaires et élémentaires de leur circonscription. Dans les écoles, leur visite porte sur l'état des locaux, la sécurité, le chauffage, le mobilier scolaire et le matériel d'enseignement, l'hygiène et la fréquentation scolaire. La fonction s'étend également aux aspects touchant à la vie scolaire, c'est-à-dire aux centres de loisirs, aux transports scolaires, à la cantine, aux bibliothèques et aux caisses des écoles.
Les délégués départementaux de l'éducation nationale sont également membres de droit du conseil d'école.
Interface entre l'école, ses usagers et la municipalité, ils exercent ainsi une mission d'incitation et de coordination, et veillent à faciliter les relations entre les différents membres de la communauté éducative.
A ce titre, la première circulaire ministérielle encadrant la fonction de « délégué cantonal » régie par la loi du 30 octobre 1886, dite « loi Goblet », précise qu'il convient de « rechercher avec soin le concours de véritables amis de l'école ». Et, s'agissant du délégué, le texte poursuit : « Qu'il se souvienne seulement que, s'il doit s'efforcer de tout voir, de tout entendre, de tout observer, ce n'est pas au point de vue technique de l'homme du métier, mais à un point de vue plus général, celui de la famille et de la société. »
Aussi, en raison de la nature même de ces fonctions, qui s'appuient sur une bonne connaissance de l'environnement scolaire local, l'interdiction pour tout délégué d'inspecter les écoles situées dans sa commune de résidence n'apparaît pas tout à fait pertinente.
De surcroît, les quelque 25 000 délégués départementaux de l'éducation nationale actuellement en fonction exercent ces missions à titre bénévole. Ce sont, en grande majorité, des retraités de l'enseignement : 56 % d'entre eux ont plus de soixante ans.
En leur imposant des contraintes et des frais de transport, cette disposition pourrait conduire un grand nombre de ces personnes à renoncer à leurs fonctions. A la veille d'un renouvellement, la Fédération nationale évalue la perte à près de la moitié du corps. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles a estimé opportun d'apporter une clarification à la disposition introduite dans la loi pour l'avenir de l'école : il s'agit de restreindre l'interdiction aux seuls délégués exerçant un mandat municipal.
Cet ajustement permet de préciser la portée de ce texte pour lui redonner tout son sens et, bien sûr, toute son efficacité. Sa nécessité et son bien-fondé font consensus.
Les deux propositions de loi sur lesquelles s'est prononcée la commission des affaires culturelles avaient ce même objet général, mais dans des rédactions quelque peu différentes.
Le texte retenu reprend celui de l'article unique de la proposition de loi que j'ai déposée avec le président Jacques Valade et d'autres membres de la commission et du groupe UMP, dans la mesure où sa rédaction est, d'une part, plus précise sur le plan formel et, d'autre part, de plus large portée.
Le texte vise à préciser que, « lorsqu'ils exercent un mandat municipal, les délégués départementaux de l'éducation nationale ne peuvent intervenir dans les écoles situées sur le territoire de la commune dans laquelle ils sont élus, ni dans les écoles au fonctionnement desquelles cette commune participe. »
Ce texte est de portée plus large, car il permet de prendre en compte le cas où deux ou plusieurs communes se sont réunies pour l'établissement et l'entretien d'une école, en application de l'article L. 212-2 du code de l'éducation, et les cas - de plus en plus fréquents - dans lesquels les communes membres d'une structure intercommunale, notamment d'un établissement public de coopération intercommunale, EPCI, ont décidé de lui transférer les compétences en matière scolaire et périscolaire.
Dès lors, un délégué ne pourra visiter les écoles dont la commune où il est un élu contribue au fonctionnement, quand bien même ces écoles seraient situées sur le territoire d'autres communes.
Quant aux délégués des villes de Paris, Lyon et Marseille, si le critère de résidence justifiait une adaptation à leur égard, il ne semble plus souhaitable, pour des raisons de neutralité, qu'ils dérogent au principe fixé dès lors qu'ils sont élus dans l'un des arrondissements de ces municipalités. Mais ces cas sont si peu fréquents que cela ne pose aucun problème.
Cette proposition de loi répond donc au souci d'améliorer l'efficacité du dispositif qui avait été adopté par notre assemblée. Elle le conforte dans l'intention initiale qui avait été la nôtre au moment de l'adoption du texte, à savoir de garantir et de renforcer la neutralité et l'indépendance des délégués départementaux de l'éducation nationale dans l'exercice de leur mission, afin qu'ils ne soient pas « juge et partie ». Cette mission au service de l'intérêt général de l'école ne saurait en effet se confondre avec d'autres intérêts.
Mes chers collègues, au nom de la commission des affaires culturelles, je vous demande d'adopter cette proposition de loi, qui conjugue neutralité et efficacité.
Monsieur le ministre, je souhaite que ce texte, après une large approbation par le Sénat, puisse être présenté à l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. La question que nous traitons aujourd'hui n'est pas nouvelle, mais l'éminent rapporteur de la commission des affaires culturelles que vous êtes, monsieur Carle, vient de l'aborder excellemment.
Si je voulais faire un rappel historique, je pourrais presque remonter à la Convention de 1793, qui créa les « magistrats aux moeurs », ou, plus près de nous, à la IIe République, qui institua les délégués cantonaux. Rassurez-vous, je n'irai pas jusque-là ; je me contenterai de dire que la situation des délégués départementaux de l'éducation nationale, les DDEN, fait depuis très longtemps, vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objet de réflexions.
Dans leur forme actuelle, les DDEN, dont le statut a été fixé par le décret du 10 janvier 1986, remplissent des missions d'inspection, que l'éducation nationale apprécie, sachez-le, à leur juste valeur : visite des écoles publiques, comptes rendus sur la salubrité des locaux, l'éclairage, le chauffage, le mobilier, l'équipement, la fréquentation scolaire, la restauration, les transports ou la caisse des écoles, entre autres.
Siégeant dans les conseils d'école, les DDEN y ont voix délibérative, ce qui est parfaitement légitime puisqu'ils sont, du fait de leurs missions, de bons connaisseurs de la situation matérielle des établissements. Cependant, pour leur permettre d'exercer leur mission non seulement en toute neutralité - c'est le terme important qu'il faut retenir -, mais également en toute indépendance, un amendement que vous aviez déposé, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, avait proscrit leur désignation dans leur commune ou arrondissement de résidence.
La présente proposition de loi, qui part de l'idée que l'indépendance du DDEN ne risque d'être atteinte que dans le cas où ce dernier est élu au conseil municipal de la ville dans laquelle il exerce, vient donc restreindre le champ de l'exclusion, en précisant que l'interdiction d'exercer dans sa commune ne s'applique qu'au DDEN élu au conseil municipal de cette même commune ou de l'arrondissement.
Je n'ai pas d'objection de principe à formuler sur le fond, et je considère, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre lien organique avec les collectivités locales vous permet d'être les mieux placés pour juger de l'opportunité particulière d'une telle disposition.
Dans ces conditions, j'émets un avis favorable sur cette proposition de loi. Je souhaite vraiment que la collaboration des DDEN avec l'éducation nationale puisse continuer à être fructueuse et à satisfaire pleinement les écoles, leurs usagers et les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école qui est aujourd'hui en cause a été introduit par le Sénat dans le souci d'assurer l'exigence de neutralité qui sied à la fonction exercée par les délégués départementaux de l'éducation nationale, encore que nous ne saurions, bien sûr, porter des soupçons infondés sur un corps dont la neutralité conditionne à la fois l'indépendance et la crédibilité.
Justifiée sur le plan des principes, cette disposition, comme cela a été excellemment rappelé, s'est révélée, sur un plan strictement pratique, peu conforme à la réalité concrète de l'exercice de leur mission. C'est ce que craignait d'ailleurs notre collègue Yves Pozzo di Borgo, en présentant l'amendement n° 176 rectifié ter, puisqu'il redoutait qu'il « ne pose des problèmes dans les zones urbaines ». Le ministre de l'éducation nationale lui-même observait alors que cet amendement, pour lequel il s'en remettait à la sagesse du Sénat, poserait un problème d'application pour la ville de Paris, notamment.
En effet, il y a, à Paris, comme à Lyon et à Marseille, une délégation par arrondissement, chacune étant sous la responsabilité d'un président de délégation d'arrondissement. Le bon fonctionnement de ces délégations qui a prévalu jusqu'à présent n'est possible que si leurs présidents sont connus dans les mairies et y trouvent une bonne écoute - cette observation vaut d'ailleurs pour toutes les autres villes. Ce n'est qu'au prix de longues années d'efforts qu'ils y parviennent.
L'article D. 241-34 du code de l'éducation dispose que le DDEN « veille à faciliter les relations entre l'école et la municipalité ». Ce rôle d'interface entre l'école, les usagers, la municipalité et les autorités académiques exige une connaissance globale de l'environnement des écoles dont le délégué a la charge.
D'une façon générale, l'article 40 de loi précitée pose deux types de difficultés.
Tout d'abord, que ce soit en zone urbaine ou rurale, il implique un éloignement qui ne correspond pas à la très forte dimension de proximité qui est attachée à la fonction même du DDEN. Comme je viens de le souligner, son action est très utile, justement du fait de sa bonne connaissance de la situation locale et des besoins de la population scolaire.
Dissocier le lieu d'exercice de la fonction du lieu de résidence revient à vider de son sens le rôle de médiation et de personne-ressource qui est unanimement reconnu au DDEN.
Ensuite, en imposant aux délégués d'intervenir en dehors de leur commune de résidence, on leur fait subir des contraintes de déplacement qu'ils n'avaient pas à supporter auparavant ; c'est un point essentiel pour eux. Les trajets nécessaires risquent d'occasionner des frais, alors que ces délégués sont des bénévoles, comme M. le ministre et M. le rapporteur l'ont rappelé. Il serait donc infiniment regrettable que des candidats se détournent de ce mandat, alors qu'ils remplissent leur fonction avec dévouement et disponibilité, chacun le sait, et qu'ils sont très appréciés par l'ensemble de la communauté scolaire, parmi laquelle ils jouissent d'une réputation non usurpée, pour leur disponibilité, leur compétence, leur respect de chacun, leur impartialité et l'engagement total dans l'exercice de leur tâche.
En outre, alors que le rôle des DDEN est reconnu de tous et que les directeurs d'école sont demandeurs, le recrutement des délégués est déjà particulièrement difficile à Paris : on compte 320 délégués pour visiter 657 écoles publiques et 111 écoles privées !
Je salue les efforts de M. le rapporteur pour rechercher une solution équitable. Ses rencontres avec les représentants des DDEN et ses contacts avec l'administration ont abouti à la rédaction de cette proposition de loi, dont nous ne pouvons que louer l'esprit et la forme.
Je note également que le souci de neutralité, tout à fait légitime, qui avait guidé la rédaction du texte en cause, est préservé pour les délégués exerçant un mandat municipal. Il est, en effet, souhaitable que le délégué ne soit pas partie prenante aux affaires de la commune dont il inspecte lui-même les écoles.
Ainsi, nous parvenons à une solution aussi bien équilibrée que pratique.
Toutefois, monsieur le ministre, il vous faut désormais réfréner votre administration.
J'appelle notamment votre attention sur une circulaire émanant de l'académie de Paris à propos du renouvellement partiel des DDEN pour la période 2006-2009, qui a été récemment envoyée aux présidents de délégations départementales de l'éducation nationale. Celle-ci précise que les délégués « ne peuvent exercer leur mission que dans des établissements autres que ceux de leur arrondissement de résidence », reprenant pour partie la formulation de l'article L. 241-44 du code de l'éducation.
Vous le savez, monsieur le ministre, les représentants des délégués se sont émus de ces courriers, qui ont peut-être été envoyés un peu hâtivement - même si je me félicite de ce que les services d'une administration réagissent aussi rapidement ! -, en l'absence de décret d'application. Le vote qui interviendra tout à l'heure sur cette proposition de loi - je ne doute pas de l'issue de nos débats - sera, je l'espère, de nature à rassurer pleinement les délégués. Vous voudrez bien alors, monsieur le ministre, relayer l'information, afin que le prochain renouvellement puisse être pleinement assuré.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise permet d'introduire dans le droit applicable aux délégués départementaux de l'éducation nationale une disposition équilibrée. Elle permet également, je tiens à le dire, de souligner l'estime que nous portons à ces délégués. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je me félicite de l'examen de cette proposition de loi par notre assemblée.
En effet, le groupe CRC a pris part à cette initiative parlementaire. Je pense notamment à mon amie Annie David qui, saisie comme nous tous par les représentants des DDEN, a aussitôt réagi en déposant, dès le mois de juillet dernier, une proposition de loi, afin que l'exil absurde des DDEN ne provoque ni leur démission ni leur extinction.
Je ne reprendrai pas ici l'historique de la fonction de délégué départemental de l'éducation nationale, car vous l'avez fait avec brio, monsieur le ministre. L'article de la loi Fillon que nous proposons de modifier en faisait pourtant fi, alors que ces « amis de l'école publique » sont étroitement liés à l'histoire de notre République et de l'éducation nationale et qu'ils ont contribué à l'enracinement de celle-ci dans notre pays.
Le rôle du délégué départemental de l'éducation nationale est, nous le savons bien, primordial au sein de nos collectivités locales. L'adoption, par le Sénat, de l'amendement n° 176 ter rectifié était donc d'autant plus incompréhensible que notre assemblée se vante de représenter les territoires, les collectivités territoriales.
Dès l'adoption de cette loi, la Fédération des délégués départementaux de l'éducation nationale nous faisait remarquer qu'une telle disposition, comme bien d'autres dans cette loi, d'ailleurs, relevait du cadre réglementaire et non du cadre législatif. Elle rappelait aussi que le fait de dissocier le lieu d'exercice de la fonction du lieu de résidence revenait à vider de son sens le rôle de médiation et de personne-ressource qui est unanimement reconnu aux DDEN par l'ensemble de la communauté éducative. De surcroît, cet amendement faisait porter sur l'ensemble de ce corps un soupçon injustifié.
En fait, cette modification était sans doute de simple opportunité. La démocratie locale semble poser encore quelques problèmes à certains élus, qui tentent ainsi d'empêcher un citoyen, surtout s'il est un opposant à la majorité municipale, d'être nommé à cette fonction visible, responsable, utile et reconnue.
De plus, je crains que les auteurs de l'amendement en question n'aient été emportés par l'ambiance qui régnait lors de l'examen de ce projet de loi, mais peut-être n'est-ce pas le cas.
Rappelons-nous : ce débat fut mené à la hussarde, dans des conditions anormales, puisque nous n'avions disposé que de très peu de temps pour examiner ce texte. Après avoir déclaré l'urgence, le Gouvernement n'avait pas hésité à nous faire travailler en séances de nuit et même à convoquer notre assemblée, du jour au lendemain, un samedi, qui plus est un jour de commémoration officielle !
Aucune écoute, aucune attention n'avait été portée aux propositions de l'opposition. De même, le ministre de l'époque avait refusé d'entendre l'ensemble des critiques provenant de la communauté éducative et de notre jeunesse scolarisée en particulier. Nous avons même parfois eu le sentiment - mais je me trompe peut-être - que certains membres de la majorité voulaient en découdre.
C'est dans ces conditions que cet amendement a été adopté, au cours d'une séance de nuit, sans qu'un réel débat ait eu lieu et sans la moindre concertation. Mais, à la vérité, il en a été de même pour l'ensemble de cette loi, qu'il nous faudra bien réformer un jour, tant elle est néfaste, me semble-t-il, pour notre système éducatif.
En attendant, à cause de cet amendement, l'activité des DDEN aura été, pour le moins, perturbée pendant un an ; nous ne pouvons que le regretter.
Avec la proposition de loi que nous examinons, la situation devrait être rapidement rétablie, si le Gouvernement crée les conditions pour que celle-ci soit déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale ; c'est en tout cas ce que nous souhaitons et nous nous en félicitons à l'avance.
Cependant, s'il est vrai que, comparée à l'actuel article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, cette proposition de loi marque une avancée, il sera sans doute plus difficile à l'avenir de trouver des citoyens disponibles, en particulier en zone rurale. En effet, les regroupements scolaires touchent plusieurs communes, ce qui risque peut-être d'exclure de ces missions un bon nombre de citoyens actifs.
Par ailleurs, nous regrettons de ne pas être parvenus à retenir une application spécifique de la loi pour ce qui concerne les trois plus grandes villes de notre pays, structurées en arrondissements.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous ici, nous estimons que les ordres du jour de notre assemblée sont parfois chargés. Il est alors dommage de devoir, de notre fait, légiférer à nouveau sur un texte qui a été adopté récemment. La réflexion et la retenue qui siéent à notre assemblée devraient, je crois, nous garder d'une telle obligation.
Cela dit, le groupe CRC votera évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Madame la présidente, je ne parle pas au nom du groupe UC-UDF ; j'interviens en lieu et place de mon collègue Yves Détraigne, malheureusement retenu par des obsèques. Croyez bien, mes chers collègues, qu'il le regrette sincèrement. Il le regrette d'autant que notre collègue est à l'origine du débat qui nous réunit cet après-midi puisqu'il a été l'auteur de l'amendement relatif aux délégués départementaux de l'éducation nationale, devenu l'article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dont l'adoption le 18 mars dernier, a suscité beaucoup d'émoi chez lesdits délégués et à propos duquel nombre de parlementaires ont été interpellés.
Ayant moi-même cosigné à l'époque cet amendement, je peux vous exposer le point de vue d'Yves Détraigne.
A l'origine, cet amendement avait pour objet d'appeler notre assemblée à s'interroger sur l'utilité réelle de la fonction de DDEN dans l'école du XXIe siècle. Comment imaginer, à l'époque, que cet amendement subirait - après un certain temps - les foudres d'une grande partie de nos collègues ?
Du haut de cette tribune, Yves Détraigne vous aurait dit qu'il ne s'agissait pas pour lui d'en découdre avec tel ou tel DDEN en poste dans sa commune, même si son amendement tirait son origine du constat fait quelques années auparavant de la nomination, dans les quatre écoles de sa commune, de représentants de l'opposition au conseil municipal, nous sommes bien dans un débat concernant les collectivités locales. Cela semble difficilement admissible et pose la question de la neutralité de certains des titulaires de la fonction- nous sommes bien en démocratie.
Surtout, n'ayant toujours pas compris, après un mandat de maire long de seize années et après avoir été durant dix ans membre du conseil départemental de l'éducation nationale, quel était l'apport des DDEN au bon fonctionnement de l'école d'aujourd'hui, notre collègue souhaitait profiter de ce débat pour amener notre assemblée à s'interroger sur l'utilité même de la fonction.
Mme Nicole Bricq. On avait bien compris !
M. Philippe Nogrix. Notre rapporteur Jean-Claude Carle rappelle que la fonction de DDEN trouve son origine dans la loi Goblet du 30 octobre 1886 sur l'enseignement primaire, laquelle faisait du délégué un observateur se plaçant du point de vue de la famille et de la société. Cent ans plus tard, le décret du 10 janvier 1986 relatif aux DDEN, en actualisant cette fonction, lui a confié un certain nombre d'attributions telles que le contrôle de l'état des locaux, celui de l'hygiène ou de la fréquentation scolaire ou la facilitation des relations entre l'école et la municipalité.
Dans le même rapport, Jean-Claude Carle indique que « le délégué joue ainsi un rôle d'interface et de liaison entre tous les membres de la communauté éducative : l'école, ses usagers, la municipalité, les autorités académiques. »
Mme Nicole Bricq. Vous voilà éclairé sur le rôle des délégués !
M. Philippe Nogrix. Le rapporteur, de surcroît quand il s'agit de Jean-Claude Carle, a parfois pour fonction d'éclairer certains points ! (Sourires.)
Pourtant, force est de constater qu'il n'est nul besoin de DDEN pour qu'une municipalité s'inquiète de l'état des locaux scolaires ou périscolaires dont elle a la charge, pour qu'un maire et un directeur d'école communiquent ou pour que les familles soient représentées au conseil d'école - elles le sont de droit. Au reste, les élections des représentants des parents d'élèves pour la présente année scolaire viennent d'avoir lieu dans toutes les écoles de France.
Lorsque notre collègue Yves Détraigne a expliqué tout cela aux représentants des DDEN venus le rencontrer en juin dernier, ils ne l'ont pas démenti et ont indiqué que leur rôle actuel s'inscrivait plutôt dans une fonction de médiation en cas de conflits persistants entre des parents et des enseignants ou entre un maire et un directeur d'école. Ces situations, heureusement rares, nécessitent-elles réellement le maintien de 25 226 DDEN ? C'est la question que notre collègue nous pose. Franchement, a-t-on vraiment encore besoin, aujourd'hui, de cette fonction ?
Mes chers collègues, tel est le message que le sénateur Yves Détraigne souhaitait faire passer aujourd'hui à cette tribune. En conclusion, il aurait rappelé que, si toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, la fonction de DDEN aurait pour le moins besoin d'être dépoussiérée. Il se demanderait qui en aurait donc un jour le courage. S'il avait été présent, il se serait abstenu. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui afin de corriger un dispositif qui a été adopté lors de l'examen de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, en mars dernier.
Cette disposition concerne les DDEN. Leur dévouement à l'école publique ne fait aucun doute : ils contribuent, par leur action, à l'amélioration de l'environnement scolaire et à la défense de la laïcité et du service public d'éducation.
Rappelons que nous célébrons cette année le centenaire de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, laquelle a enraciné dans la société française le principe qui nous est cher de laïcité. Et ce sont des citoyens comme ces délégués qui font vivre ce principe au quotidien.
Cette fonction si spécifique et si nécessaire a existé de tout temps. Souvenons-nous que les ancêtres des DDEN, les « magistrats aux moeurs », remontent à la Révolution française !
Depuis la création de ces délégués, leurs domaines d'intervention ont considérablement évolué dans l'école et autour d'elle : outre leur rôle traditionnel de surveillance des locaux scolaires, qu'ils détiennent de longue date, ils ont acquis de nouvelles compétences. Ils interviennent désormais sur toutes les questions relatives à l'environnement scolaire et sur tout ce qui touche à la vie scolaire, notamment les centres de loisirs, les transports, les restaurants et les caisses des écoles.
Le délégué joue par ailleurs un rôle d'incitation à la création et au développement d'oeuvres complémentaires de l'école publique, un rôle de coordination, en veillant à faciliter les relations entre l'école et la municipalité, et un rôle de médiation, puisque sa place stratégique, à la charnière entre l'école, la commune et les parents d'élèves, lui permet de résoudre les éventuelles situations conflictuelles.
Pourtant, ce dévouement à l'éducation nationale n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur.
Dans la nuit du 28 mars dernier, lors de l'examen de la loi Fillon, un amendement de M. Détraigne a été adopté. A l'article L. 241-4 du code de l'éducation, il a introduit un alinéa portant interdiction aux DDEN d'exercer leur mission dans un établissement situé dans leur commune de résidence.
En proposant et en faisant adopter cet amendement, les auteurs ont assurément porté atteinte à la mission des DDEN et en ont compromis l'efficacité. Cette disposition méconnaît à la fois le mode de désignation et les conditions d'exercice de la fonction du délégué départemental de l'éducation nationale. En effet, l'article D. 241-24 du code de l'éducation précise clairement que « les délégués départementaux de l'éducation nationale sont désignés par circonscription d'inspection départementale pour visiter les écoles publiques et privées qui y sont installées. » La fonction de délégué nécessite donc la proximité, une dimension indispensable au bon exercice de leur activité. En effet, comment pourraient-ils mener à bien leurs missions de coordination et de médiation s'ils n'ont pas une vision globale de l'environnement scolaire ?
Cet amendement a été justifié au nom de la neutralité devant régir la fonction. Qu'on veuille la faire respecter scrupuleusement, pour des raisons de déontologie, en restreignant l'exercice de la fonction aux élus municipaux : très bien ! Tous ici, et les délégués eux-mêmes, comprennent que l'on ne peut pas être à la fois juge et partie.
En revanche, avant de jeter l'opprobre sur tous les DDEN, n'aurait-on pas pu, au préalable, interroger leurs représentants sur le bien-fondé de cette disposition ? Si le problème s'est effectivement posé localement, c'est à ce niveau qu'il fallait le régler, sans vouloir à tout prix passer par le cadre législatif.
Il est très regrettable que les DDEN subissent cet affront. Ils jouent un rôle citoyen et sont soucieux de l'avenir de l'école républicaine, qu'ils ont toujours connue et portée, beaucoup d'entre eux étant des enseignants à la retraite. Pourquoi devrions-nous porter un regard suspicieux sur ces personnes, alors qu'elles ne souhaitent finalement qu'une chose, à savoir améliorer les conditions de vie de nos enfants ?
Si cette disposition devait être appliquée, elle aurait des conséquences dramatiques. Prémices d'un avenir sombre pour ces bénévoles, un grand nombre de délégués, contraints de renoncer à l'exercice de leur fonction en raison des frais et des contraintes de déplacements, ont projeté de démissionner. D'après une enquête menée auprès des unions départementales en avril dernier, près de la moitié des délégués envisagent d'ores et déjà de démissionner. Cela signifie, à court terme, la disparition de la fonction.
L'amendement en cause a été adopté en pleine nuit, à la hâte. La raison en est simple, procédant de la volonté du Gouvernement de passer en force sur un sujet aussi sensible et important que l'éducation. Le texte n'a pu bénéficier que d'une seule lecture, dans la mesure où l'urgence avait été déclarée.
Cette méthode est d'autant plus contestable que cette déclaration d'urgence n'a eu aucune incidence sur les délais de publication des décrets. Ainsi, aucun de ces décrets prévus par la loi n'a été pris. En revanche, le Gouvernement n'a pas tardé à prendre de nouveaux décrets, non prévus, après que le Conseil constitutionnel eut censuré la loi en raison du rapport annexé au projet de loi et de l'article qui l'approuvait.
A la suite des demandes des DDEN formulées auprès de l'ensemble des groupes politiques, le rapporteur de la loi Fillon, Jean-Claude Carle, a rédigé la proposition de loi qui est examinée aujourd'hui et qui fait l'unanimité au sein de la commission des affaires culturelles. Elle mettra fin au flou juridique qui règne depuis l'adoption de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école et permettra aux DDEN d'assurer leurs missions dans la sérénité.
Une erreur d'appréciation a été commise, et nous nous réjouissons que, finalement, vous soyez conscients, mes chers collègues, des conséquences fâcheuses engendrées par cette disposition. Nous espérons par ailleurs, monsieur le ministre, que ce texte sera très rapidement inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Aussi, pour toutes les raisons évoquées plus haut, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, attendue par toute la communauté éducative, la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a malheureusement abouti à certaines incohérences, dont l'une pouvait, à terme, conduire à la disparition des DDEN.
L'amendement portant sur les DDEN s'inscrivait dans une logique louable, mais tendait à répondre à une situation purement locale. On le sait, ces personnes, bénévoles et volontaires, contribuent pour beaucoup à la bonne marche des établissements scolaires.
Apparus au début des années quatre-vingt comme les derniers hussards de la Troisième République, les DDEN ont repris toute leur importance avec leur entrée dans les conseils d'école.
En effet, non contents de s'assurer de l'état des locaux et de la bonne marche de l'établissement, ils assurent désormais un véritable rôle de modération et de médiation.
Souvent retraités, les délégués ont une expérience, et une « sagesse » qui leur permet d'aplanir les difficultés qui peuvent surgir entre enseignants et parents d'élèves, entre parents d'élèves et municipalité, entre municipalité et enseignants.
Nous pouvons en particulier compter sur eux pour être très attentifs au respect de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port par les élèves de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
Leur capacité de médiation et de soutien peut ainsi être requise par les enseignants, les municipalités ou les parents d'élèves.
Ils ont donc su s'adapter aux enjeux actuels en maintenant l'esprit et les traditions laïques qu'ils représentent.
Aujourd'hui, il nous est proposé de circonscrire les lieux d'intervention des DDEN exerçant un mandat électif municipal.
Déjà, le décret du 10 janvier 1986 prévoit que les délégués ne peuvent être chargés de l'inspection des écoles où sont scolarisés leurs enfants.
Il est souhaitable, également, que le délégué ne soit pas partie prenante dans les affaires de la commune dont il inspecte les écoles, car il ne serait pas sain que d'autres intérêts que ceux de l'école et de l'ensemble de la communauté éducative puissent entrer en jeu.
Ainsi, l'interdiction faite aux élus municipaux d'occuper un poste de délégué départemental dans les communes ou dans les établissements publics de coopération intercommunale qu'ils représentent apporte une plus grande garantie de neutralité, au service de l'intérêt de l'école, compte tenu de l'exigence qui pèse sur eux dans l'exercice de leur mission.
Pour ces raisons, j'adhère totalement à la version proposée par notre rapporteur. Elle ouvre la voie à une meilleure prise en compte des considérations politiques tout en préservant une nécessaire proximité des DDEN avec les écoles dont ils ont la charge. C'est pourquoi je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Je souhaite répondre à notre collègue Jean-François Voguet, qui nous disait que l'adoption de cet amendement s'expliquait par « l'ambiance » qui régnait alors.
Je ne crois pas que ce soit exact. L'objet de cet amendement était louable, qui visait à garantir la neutralité des DDEN. Toutefois, il est vrai que nous étions sous-informés et moi-même je l'étais - des conséquences de cet amendement. Nous ignorions notamment qu'il serait peu efficace car inapplicable.
C'est l'honneur du politique de savoir corriger ses erreurs quand il en commet, en ayant pour guide l'éthique - c'est-à-dire la neutralité - et le principe de réalité - c'est-à-dire l'efficacité. Le texte d'aujourd'hui conjuguant ces deux principes, nous pouvons l'adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Gilles de Robien, ministre. Je remercie tout d'abord M. Goujon d'avoir salué le travail des DDEN. Je souhaiterais lui répondre sur la fameuse circulaire.
Comme l'article L. 241-4 du code de l'éducation a précisément été modifié par l'article 40 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, l'académie a appelé par circulaire l'attention des présidents des délégués. Je ne peux pas reprocher à l'académie de Paris d'avoir veillé à l'application d'un article qui n'avait pas besoin de décret d'application.
Mais je vous rassure, monsieur le sénateur, la circulaire de l'académie sera évidemment retirée dès que le Parlement aura définitivement adopté le nouvel article 40. Comme vous, je souhaite que ce texte soit adopté par l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais.
Je retiendrai de l'intervention de M. Voguet un point essentiel : il existe effectivement un consensus sur la nécessité d'une coopération active entre l'école, ses usagers et la commune.
Les délégués départementaux servent l'école, je l'ai affirmé et je le confirme après votre intervention. Le texte proposé les y aide en garantissant au mieux leur neutralité et leur indépendance, donc leur crédit et leur influence bénéfique.
Je voudrais répondre à M. Nogrix, qui est intervenu à la place de M. Détraigne, que l'application de l'article 40 risquait de décourager les DDEN de continuer à servir l'école. Ils sont bénévoles - on ne le rappellera jamais assez - et retraités pour la moitié d'entre eux.
A-t-on besoin de ces délégués ? Telle est la question qu'a posée M. Détraigne, par la voix de M. Nogrix. Je réponds par l'affirmative.
Donc, cette nouvelle écriture de l'article 40 va permettre aux DDEN d'exercer leurs fonctions à proximité de leur domicile, à l'exception bien sûr de ceux qui détiennent un mandat électif.
Je répondrai maintenant à M. Lagauche. Comme lui, je rends hommage aux DDEN - je l'ai dit au moins quatre fois ce soir et ce n'est pas une vaine formule - et je me réjouis que la disposition envisagée conforte leur rôle.
Cela étant, la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école est bien entrée en vigueur. Une dizaine de décrets ont été publiés. Une dizaine d'autres textes les ont complétés. Cette loi, vous pouvez en penser ce que vous voulez, monsieur le sénateur, c'est une loi de la République ! Elle s'impose à tous, et, lorsqu'il semble judicieux d'en rectifier telle ou telle disposition, c'est l'honneur de la représentation nationale que d'assumer pleinement cette fonction d'ajustement.
Je souhaiterais, en dernier lieu, remercier Mme Dini. Elle a trouvé les mots justes pour saluer le travail des DDEN sur le terrain. Elle a tenu à souligner la tradition laïque dont leur rôle se nourrit. C'est exactement ce que nous attendons. Je veux reprendre en mon nom cet hommage, madame le sénateur, et je vous remercie d'avoir annoncé que le groupe que vous représentez voterait ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
La seconde phrase du dernier alinéa (5°) du I de l'article L. 241-4 du code de l'éducation est ainsi rédigée :
« Toutefois, lorsqu'ils exercent un mandat municipal, les délégués départementaux de l'éducation nationale ne peuvent intervenir dans les écoles situées sur le territoire de la commune dans laquelle ils sont élus, ni dans les écoles au fonctionnement desquelles cette commune participe. »
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Cette explication de vote sera plutôt destinée à attirer l'attention de M. le ministre.
Lorsque le décret du 10 janvier 1986 a précisé le rôle des DDEN en leur confiant plusieurs missions d'hygiène et de sécurité, il n'était pas dans la culture de l'administration, notamment de l'éducation nationale, de se préoccuper autant que maintenant de ces questions.
Or, monsieur le ministre, mes chers collègues, le décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail dans la fonction publique, modifié par le décret du 9 mai 1995, a énormément développé, sous la pression des syndicats, l'importance de ces missions d'hygiène et de sécurité dans les ministères, notamment celui de l'éducation nationale.
Une circulaire du 11 septembre 1997 a créé les inspecteurs d'hygiène et de sécurité, les IHS. Le rôle très important qui leur est dévolu exige une formation approfondie. Ces inspecteurs- un par académie -visitent en effet l'ensemble des établissements et des services, y compris les universités et les centres de recherche : on ne peut pas y faire n'importe quoi ! Ils sont relayés dans leur action par le réseau des agents chargés d'assurer la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité, les ACMO.
Monsieur le ministre, il serait important que vous demandiez à l'Inspection générale de l'administration, qui est compétente, de faire en sorte que les DDEN, les IHS et les ACMO communiquent entre eux. A défaut, et si, par exemple, un DDEN ne signale pas un problème de sécurité qui se pose dans une école ou s'il avertit une personne qui n'est pas compétente, sa responsabilité pénale peut être engagée un jour ou l'autre.
Monsieur le ministre, il serait également important de revoir le décret de 1986 puisque le rôle des DDEN évolue en fonction du développement, au sein de l'éducation nationale et dans d'autres ministères, de la culture « hygiène et sécurité ».
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gilles de Robien, ministre. Je compte faire le meilleur usage de la remarque de l'éminent sénateur Pozzo di Borgo !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.)
8
DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
Mme la présidente. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi portant engagement national pour le logement.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 57, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
Mme la présidente. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République de Corée. Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre de l'accord conclu par la CE à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et modifiant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2984 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'accords sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et le Japon et entre la Communauté européenne et la Nouvelle-Zélande ; Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre des accords conclus par la CE à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, et modifiant l'annexe I du règlement (CE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2985 et distribué.
10
Renvoi pour avis
Mme la présidente. J'informe le Sénat que le projet de loi portant engagement national pour le logement (n° 57 2005-2006), dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au fond est renvoyé pour avis, à leur demande et sur décision de la conférence des présidents, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale et à la commission des affaires sociales.
11
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
Mme la présidente. J'ai reçu de Mme Marie-Thérèse Hermange un rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur les agences européennes.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 58 et distribué.
12
ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 2 novembre 2005, à quinze heures trente et le soir :
Discussion du projet de loi (n° 26, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation agricole.
Rapport (n° 45, 2005-2006) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires économiques.
Avis (n° 50, 2005-2006) présenté par M. Joël Bourdin, au nom de la commission des finances.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 31 octobre 2005 avant dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : vendredi 28 octobre 2005 à douze heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Question orale avec débat n° 6 de M. Nicolas About sur l'état de préparation de la France face aux risques d'épidémie de grippe aviaire ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 27, 2005 2006) sur la proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française (n° 59, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 8 novembre 2005, à dix-sept heures.
Débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart au nom de la commission des finances sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (n° 478, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 9 novembre 2005, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD