PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de me faire ici porte-parole de M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, retenu par d'impérieuses obligations cet après-midi.

Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi destinée à surmonter l'invalidation par le Conseil constitutionnel de l'article 112 de la loi de finances pour 2005.

J'exprimerai volontiers, en guise de propos liminaire, la surprise qui fut la mienne lorsque j'ai découvert, à la lecture du Journal officiel, que la proposition de nos excellents collègues président et rapporteur général de la commission des finances n'avait pas suscité l'unanimité.

En effet, c'est sur la saisine des députés de l'opposition que le Conseil constitutionnel a annulé la création du Conseil des prélèvements obligatoires, considérant qu'elle était étrangère au champ de la loi de finances.

M. Jean Arthuis, rapporteur. C'est étonnant !

M. André Lardeux. Il s'agissait là du premier motif à l'appui de la saisine - et du seul, d'ailleurs -, que le Conseil constitutionnel a finalement retenu pour justifier l'invalidation. Nous sommes donc fondés à surmonter cette censure grâce à cette proposition de loi opportunément déposée.

Paradoxalement, c'est le second argument avancé par nos collègues de l'opposition - mais non retenu par le Conseil constitutionnel - qui m'a le plus intéressé.

M. André Lardeux. Il faisait valoir la redondance entre ce futur Conseil et les dispositions de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui prévoient le dépôt annuel d'un rapport et la tenue éventuelle d'un débat sur ce thème. Cet argument est fort, car il pose la question très pertinente de la portée qui doit être accordée à la notion de prélèvement obligatoire dans le cadre de nos travaux.

Avant d'y venir, permettez-moi de vous livrer les quelques considérations ponctuelles que m'inspire la proposition dont nous débattons.

J'ai le sentiment qu'il s'agit, ni plus ni moins, de suggérer au Parlement un aggiornamento du Conseil des impôts. D'aucuns pourraient objecter qu'un toilettage du décret du 22 février 1971 consacré à cette structure aurait pu remplir cet office et nous épargner une sorte de « bégaiement » de notre procédure législative. Après tout, le Gouvernement avait adhéré à cette mutation en loi de finances, et le Conseil constitutionnel n'y avait pas opposé d'obstacles de fond. Mais, finalement, inscrire dans la loi une structure de nature essentiellement réglementaire permet incontestablement d'affermir son autorité.

Je saisis l'occasion qui nous est offerte de remercier le Conseil des impôts pour la qualité de ses travaux, en quelque sorte « à titre posthume anticipé », puisque nous attendons une ultime livraison pour le mois de septembre prochain.

A certains égards, il m'a toujours semblé que ce Conseil disposait, sans véritablement oser l'avouer, de cette compétence sur les prélèvements sociaux dont nous projetons aujourd'hui solennellement de le doter.

Même si l'on a pu regretter, ici ou là, que la question de la pression fiscale et sociale n'ait pas été étudiée avec toute l'importance qu'un tel sujet méritait, j'ai pour ma part bien noté que le dernier rapport publié, consacré à la concurrence fiscale et à l'entreprise, n'a pas éludé le sujet. Il comportait ainsi certains développements bienvenus relatifs aux effets préoccupants du poids des cotisations sociales sur les salariés disposant de hauts revenus. Alain Vasselle s'en était fait l'écho dès le mois de novembre dernier, de même que - je l'ai lu avec plaisir - Philippe Marini plus récemment.

J'observe toutefois que, lorsqu'on l'interrogeait abruptement sur les prélèvements sociaux, soit le Conseil se retranchait derrière une vision restrictive de sa compétence, soit son président rapportait une analyse que pouvait ne pas forcément partager l'institution.

M. Jean Arthuis, rapporteur. Ah oui !

M. André Lardeux. Ainsi, interrogé sur la question de la TVA sociale, le Premier président, Philippe Séguin, aurait observé que certains la considéraient « comme la dernière invention des pays riches pour opprimer ceux qui ne le sont pas », analyse à laquelle n'auraient peut être pas souscrit l'ensemble des membres du Conseil s'ils avaient été saisis de cette question. Gageons donc que le statut du futur Conseil des prélèvements obligatoires lui permettra de s'exprimer avec clarté et sans inhibition sur les prélèvements sociaux.

La proposition de loi lui donne par ailleurs une composition élargie, et donc bienvenue tant la précédente version semblait « rabougrie » ou, à tout le moins, limitée au cénacle traditionnel de l'inspecteur et du conseiller parmi lesquels l'unique universitaire invité devait se sentir quelque peu orphelin.

Le nouveau conseil disposera donc de dix-sept membres, six de plus qu'actuellement, provenant d'horizons divers mais ayant en commun leur compétence en matière de prélèvements obligatoires.

Espérons que la richesse de ses travaux et débats y gagnera sans perdre les atouts des structures plus légères : implication personnelle des membres, échanges informels, force de proposition, recherche de consensus, bref tout ce qui fait que, parfois, sur des sujets précis, nous préférons nous-mêmes recourir à des groupes de travail ou d'études plutôt qu'à nos commissions permanentes.

M. André Lardeux. Les auteurs de cette proposition de loi ont également souhaité que l'indépendance des membres du Conseil soit solennellement affirmée. Nous le savons, mes chers collègues, l'indépendance est une vertu qui ne se donne ni ne se décrète. Pour rendre effective la disposition que nous allons voter, il faudra non seulement que les pouvoirs publics ne puissent transmettre d'instruction au Conseil, mais également qu'ils s'interdisent de mettre en cause la qualité et l'objectivité de ses travaux, sans quoi ils mineraient son autorité et constitueraient l'atteinte à son indépendance pourtant redoutée.

Cette affirmation d'indépendance soulève la question de la juste place de l'expert, question, mes chers collègues, que nous éludons trop souvent. Nous ne pourrons requérir une nouvelle délibération au motif que ses conclusions ne nous conviennent pas. Nous ne pourrons supprimer ou modifier à nouveau la structure pour un diagnostic qui nous embarrasse. Nous ne pourrons pas davantage neutraliser un rapport en en diligentant un autre, comme autrefois Teulade chassa opportunément Charpin. Bref, nous ne devrons pas chercher chez l'expert la légitimation de notre manque d'audace, ni lui déléguer notre propre capacité d'innovation.

J'ai bien relevé que les membres du Conseil seront soumis au secret professionnel et, en même temps, qu'ils auront le droit d'exprimer leur divergence avec la solution collective du Conseil. Il s'agit là d'un véritable dissent, comme celui dont dispose le juge à la Cour suprême des Etats-Unis. Nous instaurons ainsi une « collégialité en escalier », chacun étant libre de ne pas franchir la dernière marche s'il ne souscrit pas aux conclusions retenues. Ce choix est celui de l'honnêteté intellectuelle, et je le salue comme tel.

Toutefois, que ne dira-t-on pas si le Conseil adopte un rapport à une voix de majorité et si les récalcitrants, en motivant savamment leur divergence, légitiment un « anti-rapport » au coeur même du rapport ?

Quelle attention le politique portera-t-il aux recommandations d'un Conseil en plein schisme, invité en quelque sorte à choisir entre le pape et l'anti-pape ou, tout simplement, à prendre ses distances au regard d'une expertise qu'il a demandée mais dont il constate qu'elle se perd en conjectures ? Vous connaissez le propos de Milton Friedman, prix Nobel d'économie : « Prenez trois économistes et vous aurez quatre propositions pour la politique à suivre ». Nous ne pouvons, hélas, écarter totalement ce risque !

Au total, je conclurai la première partie de mon propos en observant le grand honneur que fait cette proposition de loi aux finances sociales car, convenons-en, mes chers collègues, elle a surtout pour objet de rassembler une nouvelle fois, dans un champ commun à l'ensemble des finances publiques, les comptes sociaux et ceux de l'État.

Mon second thème de réflexion portera sur la portée de la notion de prélèvements obligatoires.

Rétrospectivement, nous pouvons être surpris de l'attrait nouveau que suscitent les comptes sociaux depuis la création de la loi de financement de la sécurité sociale. Ces comptes figuraient autrefois parmi les masses examinées par le Parlement à l'occasion de l'examen du budget, sans constituer véritablement un enjeu de premier plan. Il est vrai qu'à cette époque l'emprise de l'État sur l'économie était plus étendue et l'examen parlementaire s'exerçait, par priorité, sur d'autres pans de l'action publique.

La création de la loi de financement de la sécurité sociale, en 1996, offrit aux parlementaires l'opportunité d'ouvrir les yeux sur un aspect méconnu, et même délaissé, de nos finances publiques.

Nous avons gagné, dans cette dichotomie, un pilotage plus fin des comptes de l'Etat, d'une part, et des comptes sociaux, d'autre part. Nous avons acquis cette rigueur qui exige que, même en matière sociale, où il est pourtant facile de se laisser aller, l'existence des recettes nécessaires à l'engagement de toute dépense soit préalablement constatée.

Cet acquis est perfectible : « Les pots de confiture ne sont pas encore tous rangés », comme l'avait opportunément souligné, en son temps, l'heureuse formule de Francis Mer. Mais le Gouvernement y met bon ordre et la modification de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale - notre LOLFSS -, que nous examinerons le mois prochain, sera l'occasion de parachever cette importante réforme.

Au moment où l'on consacre la spécialisation du pilotage des finances publiques - Etat d'une part, protection sociale d'autre part - comment doit-on prendre le fait que les propositions de création d'instances ou de débats dédiés à un domaine consolidé se multiplient ?

Je l'interprète personnellement comme une approche des prélèvements obligatoires en tant que simple notion économique sujet d'étude ou de réflexion, à laquelle doit être déniée sans ambiguïté toute portée normative. J'y vois, en quelque sorte, un pont entre deux rives pour nous donner les moyens d'éviter une forme d'autisme entre les deux hémisphères de nos finances publiques, bref comme un nouvel outil pour identifier et éclairer les angles morts et les incohérences de nos choix budgétaires et fiscaux.

Comme telle, je l'accueille avec enthousiasme. Nous conviendrons volontiers, mes chers collègues, que la conjugaison de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances et l'existence d'un Conseil des prélèvements obligatoires suffira désormais amplement à juger de la cohérence économique de notre politique fiscale au sens large.

Je conclurai en rappelant que l'établissement d'un domaine de réflexion partagé ne doit pas constituer pour nous, a contrario, un prétexte pour faire l'économie des réformes nécessaires à la cohérence normative que la dualité de nos textes financiers - loi de finances d'une part, loi de financement d'autre part - met parfois à mal.

J'ai le sentiment - je crois d'ailleurs qu'il est partagé - que nous n'avons su, ou pu, ou osé, par le passé, assurer une articulation satisfaisante entre la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement. Une nouvelle occasion se présentera dans quatre semaines, et j'espère que nous serons nombreux à nous en saisir.

Pour l'heure, sous les réserves que je vous ai exposées, je voterai la proposition de loi présentée par nos excellents collègues Jean Arthuis et Philippe Marini. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Arthuis, rapporteur. Je répondrai brièvement aux observations et aux interrogations que les différents orateurs ont formulées au cours de cette discussion générale.

Je voudrais d'abord remercier le Conseil constitutionnel, ainsi que le Gouvernement pour le soutien qu'il apporte à cette proposition de loi. C'est d'ailleurs toujours avec un grand plaisir que nous accueillons dans cet hémicycle Jean-François Copé en sa qualité de porte-parole du Gouvernement et de ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

Je remercie ensuite M. Jean-Jacques Jégou, car il a soutenu ce texte et fait confiance au Conseil des prélèvements obligatoires, dont le champ d'investigation et la composition ont été élargis.

Je remercie également M Joël Bourdin et je salue la qualité des rapports qui ont été établis sous son autorité, en tant que président de la délégation à la planification. Nous devons prendre en compte les excellentes propositions formulées par cette délégation et c'est précisément en écoutant M. Bourdin que Philippe Marini et moi-même avons conçu cette proposition de loi. Je tiens donc à le remercier du soutien qu'il apporte à notre texte.

Mes remerciements vont enfin à M André Lardeux, qui s'est exprimé au nom de la commission des affaires sociales. Je m'associe à l'hommage qu'il a rendu au Conseil des impôts et je voudrais, à cet égard, dissiper tout malentendu et répondre aux exégèses qu'ont faites, chacune avec leur style propre, Mmes Beaufils et Bricq.

Je souhaite ainsi couper court aux propos selon lesquels cette proposition de loi serait une réaction à un Conseil des impôts qui aurait pris des positions surprenantes. Ce n'est, en aucune façon, un règlement de comptes et je veux témoigner ici de la disproportion qui pouvait exister entre les commentaires faits sur le dernier rapport du Conseil des impôts et son contenu, qui était parfaitement neutre et objectif.

M. André Lardeux soutient ce texte avec enthousiasme, et je l'en remercie. Je me réjouis, comme lui, du prochain examen par le Parlement d'un projet de loi organique sur le financement de la protection sociale, qui nous permettra de piloter plus finement les dépenses de solidarité.

M André Lardeux a fait référence aux propos du Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, sur la TVA sociale, qui serait « une invention des pays riches pour faire payer les pays pauvres ». La formule est un peu lapidaire, mais elle résume clairement le point de vue de son auteur sur les délocalisations.

M. Séguin s'est prononcé plus tard sur le même sujet, à l'occasion d'un déplacement qu'il effectuait à Genève, auprès du Bureau international du travail. Si j'en crois une dépêche de l'Agence France-Presse provenant de Genève, en date du 11 novembre 2004, « le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, s'est montré favorable jeudi au projet français de TVA sociale, en soulignant que les hausses de TVA avaient pour effet de soutenir les exportations et de pénaliser les importations ».

« Ce genre d'approche a montré son efficacité par le passé », a déclaré M. Séguin, qui s'exprimait devant la presse à Genève en tant que président du Conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail, structure qui chapeaute le Bureau international du travail.

« La TVA a un effet positif sur les rapports extérieurs », a expliqué l'ancien ministre des affaires sociales. « On frappe ce qui entre et pas ce qui sort : c'est tout bénef » a-t-il lancé, utilisant une de ces formules qui lui sont propres.

Au fond, il dit simplement que, dans un système comme le nôtre, certains de nos impôts sont des droits de douane à l'envers : on a ouvert le marché, on ne taxe que ceux qui produisent, et l'on s'étonne que certains, pour offrir aux consommateurs des prix plus attractifs, cèdent à la tentation de délocaliser leur activité, qu'il s'agisse de production de biens ou de services.

Mes chers collègues, je tenais à vous apporter ces précisions sur les propos tenus par le Premier président de la Cour des comptes : en disant cela, je ne pense pas qu'il ait engagé en quoi que ce soit le Conseil des impôts, auquel je souhaite également rendre hommage pour la qualité de ses travaux.

J'ai déjà eu l'occasion de répondre - peut-être trop rapidement - à Mme Beaufils. Je lui dirai simplement que je n'ai pas de conviction en la matière. Mais nous ne pouvons pas, les uns et les autres, nous contenter de conventions qui auraient peut-être pour effet - c'est une hypothèse qu'il faut vérifier - de maintenir le taux de chômage à un niveau excessif et d'empêcher la croissance d'atteindre un rythme suffisant pour lutter efficacement contre le chômage et pour permettre de faire face à toutes les attentes de la société française, y compris celles des jeunes ou des personnes âgées en difficulté.

Mme Nicole Bricq, une fois encore, ...

M. François Marc. ... a tenu des propos très pertinents ! (Sourires.)

M. Jean Arthuis, rapporteur. ... a cru devoir manifester son scepticisme. Je garde néanmoins l'espoir de pouvoir la convaincre.

Elle s'est interrogée, notamment, sur le périmètre d'intervention du Conseil des prélèvements obligatoires et sur le niveau que celui-ci pourrait atteindre. Tout cela, en définitive, n'est pas très important. Nous connaîtrons le niveau effectif au moment de l'exécution budgétaire, lorsque les chiffres de la production intérieure brute seront connus.

Mais le débat ne porte pas sur ces données statistiques puisque, au-delà du Conseil des prélèvements obligatoires, l'INSEE et la direction de la prévision sont tout à fait compétents pour nous apporter des informations. Là n'est pas véritablement la mission du Conseil des prélèvements obligatoires.

Sur les comparaisons internationales, il y a certainement urgence, monsieur le ministre, à mettre de l'ordre et à assurer une plus grande homogénéité dans les méthodes comptables, budgétaires, ainsi que dans les circuits d'information financière. Il est vrai que la lecture des conclusions d'Eurostat nous laisse perplexes et circonspects. On peut d'ailleurs s'étonner que certaines procédures soient agréées. Et, lorsque l'on apprend que le déficit d'un pays était bien supérieur à ce que semblait le reconnaître Eurostat, cela pose un problème !

Il faudra donc s'interroger, au sein de l'Union européenne, sur les méthodes mises en oeuvre pour présenter les comptes publics, afin de permettre la comparaison et de garantir la fiabilité des documents qui nous sont soumis. En effet, il existe certainement des marges de progression concernant les méthodes, les concepts, les principes. Et cela ne nous interdit pas de nous doter de moyens d'expertise pour donner de la consistance aux débats et éclairer le Parlement.

Je me réjouis que vous ayez bien voulu reconnaître que notre préoccupation était de disposer des instruments de lisibilité, de compréhension et d'instruction d'un débat qui, en dépit des efforts du Gouvernement en matière de fiscalité, est tout de même très sommaire.

La loi organique relative aux lois de finances nous permet certes de discuter des prélèvements obligatoires, mais les députés n'ont pas le temps de faire vivre ce débat parce que le Gouvernement arrête ses options fin septembre, lors de la présentation du projet de loi de finances en conseil des ministres. Or, dès le 10 octobre, les députés se saisissent de la première partie du texte, c'est-à-dire des dispositions fiscales.

S'il est vrai que les procédures budgétaires commencent dès maintenant - je veux, à ce propos, rendre hommage au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et au ministre délégué au budget -, les dispositions fiscales ne seront abordées qu'au mois d'août par des indiscrétions dans la presse, et le débat fiscal sera vite « bouclé ». Ce que le Gouvernement a annoncé ce matin est un début de contribution à ce débat fiscal, mais il conviendrait que nous puissions discuter sur l'ensemble des prélèvements obligatoires.

Convenez que, jusqu'à maintenant, tout ce que nous pouvons accomplir est assez sommaire et que, bien souvent, nous prenons connaissance d'une réforme « le dos au mur » parce qu'il est impossible de faire autrement. C'est précisément de cela que nous souhaitons nous libérer.

Il ne s'agit pas d'une remise en cause des prélèvements obligatoires. Nous ne voulons pas non plus nous doter d'un instrument pour remettre en cause le niveau des dépenses publiques - c'est une autre problématique - mais nous voulons y voir clair s'agissant des prélèvements obligatoires.

Cette proposition de loi ne constitue donc en aucune façon, je le répète, un règlement de comptes. Nous faisons confiance au Conseil des impôts : c'est le modèle que nous retenons pour constituer le Conseil des prélèvements obligatoires.

S'agissant de sa composition, madame Bricq, je vous répondrai que nous sommes, nous, parlementaires, les représentants des contribuables ! Nous avons été élus pour consentir à l'impôt, il n'y a aucune ambiguïté sur ce point.

Les personnalités qualifiées, je le rappelle, seront choisies en fonction de leur expérience professionnelle, hors de la sphère publique. Et il est tout à fait possible que des hauts magistrats de la Cour des comptes - ou d'autres juridictions -, des professeurs d'universités ou des membres des prestigieuses inspections générales des finances ou des affaires sociales n'aient pas tout à fait le même point de vue que ceux qui sont amenés à verser l'impôt.

Il ne s'agit pas ici de retenir comme candidats des personnes qui viendraient contester sommairement l'impôt, mais nous pensons que ceux qui, professionnellement, au quotidien, sont impliqués dans les processus de prélèvements obligatoires peuvent avoir une contribution à apporter ; c'est en cela que la publication d'opinions dissonantes dans le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires peut être une contribution aux débats.

Et il n'est pas dit que ce Conseil aura le dernier mot : il n'est là que pour éclairer, le Parlement prendra ses arbitrages en matière de prélèvements obligatoires. Ne donnons pas à ce Conseil plus d'autorité qu'il n'en a ! L'essentiel est qu'il ait prévu des méthodes et des procédures, qu'elles soient transparentes, et que nous puissions nourrir nos propres débats ici même, au Parlement.

Madame Bricq, aucune méfiance n'est manifestée à l'égard d'une institution, en l'occurrence le Conseil des impôts. Au contraire, nous ne faisons que le consacrer. Il avait jusqu'à présent une légitimité réglementaire ; voilà que nous allons lui donner une légitimité législative.

Nous faisons totalement confiance à la loi organique relative aux lois de finances, qui nous donne des instruments de maîtrise de la dépense publique, l'objectif premier étant de vérifier constamment l'efficacité de cette dernière. Convenez que, si la loi organique relative aux lois de finances nous donne de bons instruments pour mieux maîtriser la dépense publique et prendre des arbitrages en pleine connaissance de cause, en revanche, s'agissant des prélèvements obligatoires, elle nous laisse dans l'attente : elle ouvre une fenêtre en prévoyant un rapport du Gouvernement sur l'ensemble des prélèvements obligatoires, et un débat lorsque la chambre concernée en exprime le souhait.

Madame Bricq, j'espère avoir dissipé votre perplexité, voire votre scepticisme et, ainsi, vous avoir convaincue. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires
Art. unique (fin)

Article unique

I.- Le livre III du code des juridictions financières est complété par un titre V ainsi rédigé :

« TITRE V

« LE CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES

« CHAPITRE UNIQUE

« Art. L. 351-1.- Il est institué un Conseil des prélèvements obligatoires, placé auprès de la Cour des comptes et chargé d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires.

« Art. L. 351-2.- Le Conseil des prélèvements obligatoires remet chaque année au président de la République et au Parlement un rapport rendant compte de l'exécution de ses travaux. Le compte rendu des débats et les contributions personnelles de ses membres peuvent être joints au rapport.

« Art. L. 351-3.- Le Conseil des prélèvements obligatoires peut être chargé, à la demande du Premier ministre ou des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ou des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des affaires sociales, de réaliser des études relatives à toute question relevant de sa compétence. Les résultats de ces études sont transmis au Premier ministre et aux commissions.

« Art. L. 351-4.- Le Conseil des prélèvements obligatoires est présidé par le Premier président de la Cour des comptes. Celui-ci peut se faire représenter par un président de chambre. En cas de partage égal des voix, il a voix prépondérante.

« Art L. 351-5.- Le Conseil des prélèvements obligatoires est constitué, outre son président, de huit magistrats ou fonctionnaires, choisis pour leurs compétences en matière de prélèvements obligatoires, ainsi que de huit personnalités qualifiées choisies à raison de leur expérience professionnelle :

« - un membre du Conseil d'Etat, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat ;

« - un magistrat de l'ordre judiciaire désigné par le Premier président de la Cour de cassation ;

« - un magistrat de la Cour des comptes désigné par le Premier président de la Cour des comptes ;

« - un inspecteur général des finances désigné par le ministre chargé de l'économie et des finances ;

« - un inspecteur général des affaires sociales désigné par le ministre chargé des affaires sociales ;

« - un inspecteur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques désigné par le ministre chargé de l'économie et des finances ;

« - deux professeurs agrégés des facultés de droit et de sciences économiques désignés respectivement par le ministre chargé de l'économie et des finances et par le ministre chargé des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé de l'économie et des finances ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé de l'intérieur ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président de l'Assemblée nationale après avis du président et du rapporteur général de la commission de l'Assemblée nationale chargée des finances ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président de l'Assemblée nationale après avis du président de la commission de l'Assemblée nationale chargée des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président du Sénat après avis du président et du rapporteur général de la commission du Sénat chargée des finances ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président du Sénat après avis du président de la commission du Sénat chargée des affaires sociales ;

« - une personnalité qualifiée désignée par le président du Conseil économique et social.

« Les personnalités désignées par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou le président du Conseil économique et social ne peuvent appartenir à l'une de ces assemblées.

« Art. L. 351-6.- Les membres du Conseil des prélèvements obligatoires autres que son président sont désignés pour deux ans et leur mandat peut être renouvelé une fois. Cependant, à titre exceptionnel, huit des seize membres désignés en 2005, tirés au sort dans les deux mois suivant la nomination de tous les membres, le sont pour une période de quatre ans et leur mandat peut être renouvelé une fois pour une période de deux ans.

« En cas de vacance, pour quelque cause que ce soit, d'un siège autre que celui du président, il est procédé à son remplacement pour la durée restant à courir du mandat. Un mandat exercé pendant moins d'un an n'est pas pris en compte pour l'application de la règle de renouvellement fixée à l'alinéa précédent.

« Art L. 351-7.- Le secrétariat du Conseil des prélèvements obligatoires est assuré par la Cour des comptes. Les agents chargés du secrétariat peuvent assister aux réunions du Conseil.

« Art L. 351-8.- Le Conseil des prélèvements obligatoires peut faire appel à toute compétence extérieure de son choix. En particulier, le Conseil peut désigner des rapporteurs chargés de recueillir les informations nécessaires à l'exercice de ses missions.

« Art L. 351-9.- Afin d'assurer l'information du Conseil des prélèvements obligatoires, le directeur de la sécurité sociale, le directeur du budget, le directeur de la prévision et de l'analyse économique, le directeur de la législation fiscale et le directeur général des collectivités locales assistent, à la demande de son président, à ses réunions, sans voix délibérative, ou s'y font représenter.

« Art. L. 351-10.- Pour l'exercice de leurs missions, les membres du Conseil des prélèvements obligatoires et les rapporteurs désignés en application de l'article L. 351-8 ont libre accès aux services, établissements, institutions et organismes entrant dans leur champ de compétences.

« Ceux-ci sont tenus de leur prêter leur concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles à l'accomplissement de leurs missions.

« Art. L. 351-11.- Dans l'exercice des missions qu'elles accomplissent pour le Conseil des prélèvements obligatoires, les personnes visées aux articles L. 351-5, L. 351-7 et L. 351-8 ne peuvent solliciter ou recevoir aucune instruction du gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée. Elles sont tenues au secret professionnel sous peine des sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal et sous réserve des dispositions de l'article 226-14 du code pénal.

« Art. L. 351-12.- Les personnalités qualifiées visées à l'article L. 351-5 et les rapporteurs visés à l'article L. 351-8 sont rémunérées dans des conditions propres à assurer leur indépendance.

« Art. L. 351-13.- Les conditions de fonctionnement du Conseil des prélèvements obligatoires et les modalités de suppression du Conseil des impôts, auquel le Conseil des prélèvements obligatoires se substitue, sont précisées par décret en Conseil d'Etat. »

II- Les dispositions du I entreront en vigueur à compter du 1er octobre 2005.

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Massion, Masseret, Angels et Auban, Mme Bricq, MM. Charasse, Demerliat, Frécon, Haut, Marc, Miquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article L. 351-5 du code des juridictions financières :

« Art L. 351-5.- Le Conseil des prélèvements obligatoires est constitué, outre son président, de :

« - deux membres du Conseil d'Etat désignés par le vice-président du Conseil d'Etat ;

« - deux magistrats de l'ordre judiciaire désignés par le premier président de la Cour de cassation ;

« - deux magistrats de la Cour des comptes désignés par le premier président de la Cour des comptes ;

« - deux inspecteurs généraux des finances désignés par le ministre chargé des finances ;

« - un inspecteur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques désigné par le ministre chargé des finances ;

« - un professeur agrégé des facultés de droit et de sciences économiques désigné par le ministre chargé des finances sur proposition du ministre chargé des universités.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. J'ai défendu par avance cet amendement : il s'agit pour nous de ne pas multiplier le nombre des experts au sein du Conseil. C'est pourquoi, avec M. Massion et mes collègues socialistes de la commission des finances, nous proposons d'en rester à la composition de l'actuel Conseil des impôts.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Arthuis, rapporteur. Je suis un peu déçu, car je caressais l'espoir d'avoir pu convaincre Mme Bricq et ses collègues signataires de cet amendement.

J'ai eu l'occasion de motiver la composition que nous proposons au Sénat. Par conséquent, la commission des finances est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Marc Massion, pour explication de vote.

M. Marc Massion. Pourquoi sommes-nous opposés à l'élargissement du Conseil sous la forme présentée par M. le rapporteur ?

Nous remettons en cause non pas l'expertise de ces personnalités qualifiées, mais le fait qu'elles soient désignées par le président du Sénat, par deux ministres, par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Conseil économique et social. Cela signifie, au moins en termes d'affichage, que l'indépendance reconnue au Conseil des impôts ne le sera pas au Conseil des prélèvements obligatoires.

C'est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement.

M. François Marc. Très bien !

M. le président. Il y a d'autres exemples !

M. Marc Massion. Raison de plus !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Arthuis, rapporteur. La commission des finances se veut garante de la transparence. Je prends donc l'engagement, puisque le dispositif prévoit qu'une personnalité qualifiée sera désignée par le président du Sénat après avis de la commission des finances, que cette dernière procédera, si elle y a convenance, à l'audition de la ou des personnalités pressenties.

Cette innovation permettrait d'éviter tout procès d'intention quant à l'indépendance de ces personnes. La personne pressentie répondrait à vos interrogations et, ensuite, nous pourrions exprimer un avis.

M. Marc Massion. Mon argumentation valait quelle que soit la majorité !

M. Michel Moreigne. Cela va de soi !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article L.351-9 du code des juridictions financières, remplacer les mots :

le directeur de la prévision et de l'analyse économique

par les mots :

le directeur général du Trésor et de la politique économique

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je considère que la composition du Conseil des prélèvements obligatoires est en cohérence avec l'ensemble des objectifs qui ont été présentés par M. le rapporteur. Ce mode de désignation est d'ailleurs assez classique et je vous signale au passage qu'il est utilisé pour d'autres organismes de même nature, comme l'Autorité des marchés financiers, l'AMM, ou l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'ACNUSA.

Mme Nicole Bricq. Justement !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Quant à l'amendement que je vous propose, il est d'ordre rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean Arthuis, rapporteur. Le Parlement doit savoir faire preuve d'humilité et, même lorsqu'il élabore des propositions de loi, reconnaître qu'il a besoin du Gouvernement !

Le ministère de l'économie et des finances ayant été récemment réorganisé, nous devons en tirer les conséquences. Il est donc tout à fait judicieux de substituer au directeur de la prévision et de l'analyse économique le directeur général du Trésor et de la politique économique, puisque ce dernier préside un directoire comportant, notamment, la direction de la prévision et de l'analyse économique.

Par conséquent, la commission des finances est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'article unique, modifié, je donne la parole à Mme Marie-France Beaufils pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai bien entendu les réflexions formulées par M. le rapporteur à la suite de mon intervention dans la discussion générale. Toutefois, je ne peux oublier les échanges que nous avons eus lors de nos différents débats sur les prélèvements obligatoires, notamment en commission.

Contrairement à ce que vous nous avez dit, monsieur le rapporteur, ces discussions ont confirmé que la mise en place d'un Conseil des prélèvements obligatoires avait bien pour objet la réduction de la dépense publique. Cet aspect des choses a été très prégnant dans tous les débats qui nous ont réunis !

C'est pourquoi, avant même d'engager un débat sur la création d'un Conseil des prélèvements obligatoires, il faudrait, à mon sens, définir le rôle de la dépense publique et la façon dont elle doit être traitée dans le budget de la nation.

A cet égard, la création d'un Conseil des prélèvements obligatoires est bien moins nécessaire que l'ouverture d'un vrai débat sur le type de société que l'on veut construire. Et, sur ce point, nous sommes en profond désaccord !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Je voudrais d'abord remercier M. le rapporteur d'avoir répondu point par point à l'argumentation que j'ai développée. Toutefois - et je regrette de le décevoir - il ne nous a pas convaincus de la pertinence de cette proposition de loi et il n'a pas non plus modifié notre avis.

Cela étant, monsieur le rapporteur, je n'ai pas fait l'exégèse de vos paroles : j'ai relu attentivement les débats que nous avons eus ainsi que les rapports qui ont été publiés sur ce sujet et j'ai pris soin de replacer chaque citation dans son contexte. Je ne fais donc de procès d'intention à personne, je dis simplement qu'il y a des faits, des propos et des écrits qui, reliés les uns aux autres, suscitent notre inquiétude et justifient notre scepticisme.

Je ne remets évidemment pas en cause la nécessité d'une clarification, mais il nous semble que la LOLF doit nous permettre d'obtenir la transparence souhaitée.

Nous avons des moyens pour alimenter le débat public, ne serait-ce qu'avec la discussion que nous avons aujourd'hui. On peut, certes, renforcer la capacité d'expertise de nos assemblées parlementaires, mais je pense néanmoins que nous avons cette ressource en nous et que nous disposons des outils nécessaires.

Parce que je ne veux pas donner à ce débat un aspect polémique, parce que, comme vous, je pense à l'avenir, je préfère conserver le système actuel. Cela ne nous empêche pas d'engager une vraie réflexion, sans esprit partisan, sur notre système de prélèvements obligatoires - il peut évidemment être réformé -, mais, cela, je le confierai au débat public qui précédera l'échéance de 2007.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique, modifié.

(La proposition de loi est adoptée.)

Art. unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires