compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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COMMUNICATION RELATIVE À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
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RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR D'UNE QUESTION ORALE
M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 638 de M. Bernard Piras est retirée de l'ordre du jour de la séance du mardi 15 février 2005, à la demande de son auteur.
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Conseil des prélèvements obligatoires
Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. Jean Arthuis, fait au nom de la commission des finances, sur la proposition de loi de MM. Jean Arthuis et Philippe Marini tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires (nos 168, 143).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui effectue en quelque sorte un retour devant notre assemblée puisque, comme chacun s'en souvient ici, nous avions adopté, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2005, une disposition tendant à créer un conseil des prélèvements obligatoires, le CPO, en remplacement du Conseil des impôts.
Cette création avait été proposée par la commission des finances, sur l'initiative de son président et de son rapporteur général. Le Gouvernement avait fait part de son plein et entier accord sur cette proposition, qui comportait deux innovations principales, à savoir l'élargissement du champ d'analyse et de la composition de ce conseil, huit personnalités qualifiées désignées en fonction de leur expérience étant adjointes aux huit magistrats et hauts fonctionnaires siégeant au Conseil des impôts.
Le texte proposé par le Sénat a été approuvé par la commission mixte paritaire, celle-ci n'ayant apporté que des aménagements de caractère purement formel.
La disposition en cause a été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme, au motif que le conseil des prélèvements obligatoires ne contribuerait pas de façon exclusive à l'information et au contrôle du Parlement sur les finances publiques.
Votre président et votre rapporteur général ont donc déposé une proposition de loi reprenant intégralement le texte adopté par le Parlement, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire.
La commission des finances vous propose par conséquent, mes chers collègues, d'adopter à nouveau ce texte dans sa rédaction retenue par la commission mixte paritaire, sous réserve de modifications de caractère purement rédactionnel, comme j'aurai l'occasion de le préciser.
Sur un plan formel, la proposition de loi est constituée d'un article unique créant un nouveau titre, le titre V, dans le livre III du code des juridictions financières, composé des articles L. 351-1 à L. 351-13.
L'objectif est d'avoir une vision complète du niveau des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire, d'une part, des impôts et taxes perçus par l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale, et, d'autre part, de l'ensemble des cotisations obligatoires collectées au profit des institutions de protection sociale. Le niveau global de l'ensemble de ces prélèvements devrait atteindre 43,7 % du produit intérieur brut en 2005, si l'on en croit vos prévisions, monsieur le ministre.
La proposition de loi aurait donc pour objet de créer une seule institution chargée d'apprécier l'évolution des prélèvements, qu'il s'agisse des impôts nationaux ou des prélèvements obligatoires.
A cet effet, le Conseil des impôts, qui pourra poursuivre ses travaux en cours, serait remplacé, à compter du 1er octobre 2005, par un conseil des prélèvements obligatoires dont la composition serait étoffée et diversifiée au lieu de se limiter à la seule fonction publique. Notez bien, mes chers collègues, qu'une nouvelle institution ne vient pas s'ajouter à une institution existante : le conseil des prélèvements obligatoires se substituera au Conseil des impôts.
Cette nouvelle institution, présidée, comme l'actuel Conseil des impôts, par le Premier président de la Cour des comptes, serait composée de huit magistrats et fonctionnaires et de huit personnalités qualifiées, choisies pour leur expérience professionnelle.
Les magistrats et fonctionnaires seraient un membre du Conseil d'Etat, un magistrat de l'ordre judiciaire, un magistrat de la Cour des comptes, un inspecteur général des finances, un inspecteur général des affaires sociales, un inspecteur général de l'INSEE et deux professeurs d'université.
Les personnalités qualifiées, choisies pour leur expérience professionnelle hors de la sphère publique, seraient nommées à raison de deux par le président de l'Assemblée nationale, après avis, respectivement des commissions des finances et des affaires sociales, deux par le président du Sénat, après avis respectivement des commissions des finances et des affaires sociales, une par le président du Conseil économique et social, une par le ministre chargé des finances, et une par le ministre chargé des affaires sociales.
En outre, par rapport au texte initial, la commission des finances vous propose d'adjoindre une personnalité qualifiée désignée par le ministre chargé de l'intérieur afin de bien souligner que le conseil des prélèvements obligatoires devra aussi se préoccuper des impôts locaux.
Si ce Conseil devait être créé, mes chers collègues, je serais amené à vous proposer que la commission des finances du Sénat soit consultée sur le choix du représentant désigné par le président du Sénat ; elle se prononcerait alors après avoir entendu la ou les personnalités pressenties pour siéger au Conseil. C'est une façon de marquer le rôle du Parlement et de ses commissions.
Les personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou celui du Conseil économique et social ne pourraient pas appartenir à l'une de ces assemblées.
Le mandat des membres du conseil des prélèvements obligatoires serait fixé à deux ans, renouvelable une fois. Ceux-ci, ainsi que les rapporteurs et les membres du secrétariat seraient soumis au secret professionnel.
Au rapport annuel du conseil des prélèvements obligatoires, rendant compte de l'exécution de ses travaux et remis au Président de la République et au Parlement, pourraient être joints le compte rendu des débats ainsi que les éventuelles contributions de ses membres.
Le conseil des prélèvements obligatoires pourrait être saisi soit par le Premier ministre, soit par les commissions des finances ou des affaires sociales de l'une ou l'autre des deux assemblées, afin de contribuer à leur information.
Le conseil des prélèvements obligatoires pourrait faire appel à toute compétence extérieure de son choix et désigner des rapporteurs pour recueillir les informations nécessaires à l'exercice de ses missions.
Les membres et les rapporteurs du conseil des prélèvements obligatoires disposeraient d'un droit d'accès à l'information comparable à celui qui est reconnu par les textes aux grands corps d'inspection. Ils auraient donc libre accès aux services, établissements, institutions et organismes entrant dans leur champ de compétences.
Ceux-ci seraient tenus de leur prêter leur concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles à l'accomplissement de leurs missions.
En définitive, le conseil des prélèvements obligatoires contribuerait incontestablement à l'information et au contrôle du Parlement en favorisant une appréhension d'ensemble de l'évolution des prélèvements obligatoires, ce qui est - nous en sommes persuadés - plus que jamais indispensable : si nous voulons nous interroger sur l'attractivité, la compétitivité du territoire, il importe que nous ayons une vision globale de l'ensemble des prélèvements obligatoires.
Sous le bénéfice des observations que je viens de formuler, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, de confirmer les votes du Sénat et de l'Assemblée nationale intervenus dans le cadre du projet de loi de finances initiale pour 2005 et d'adopter sous la forme de conclusions, dans sa rédaction modifiée par la commission, le texte de la proposition de loi tendant à créer un conseil des prélèvements obligatoires.
Mes chers collègues, la décision du Conseil constitutionnel nous a quelque peu étonnés, puisque tout dispositif visant à éclairer le Parlement pour la discussion des projets de loi de finances a bien sa place dans une loi de finances initiale. Cette censure nous donne probablement une bonne occasion de prolonger notre débat et de confirmer notre volonté de lucidité en matière de prélèvements obligatoires ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux que le Sénat nous offre aujourd'hui l'occasion d'évoquer à nouveau la question des prélèvements obligatoires, enjeu majeur pour l'avenir de notre pays. Vous le savez, Hervé Gaymard et moi-même avons présenté ce matin-même quelques-unes des orientations de la politique économique et fiscale que nous entendons conduire avec vous dans les mois qui viennent.
Au cours des débats sur le projet de loi de finances pour 2005, en décembre dernier, j'avais eu l'occasion de vous dire, monsieur le président de la commission, tout l'intérêt que je porte à votre proposition de créer un conseil des prélèvements obligatoires. Nous sommes amenés à débattre de nouveau de cette question, et je voudrais sans tarder saluer votre initiative et celle de la commission que vous présidez. Votre démarche s'inscrit pleinement dans l'esprit dans lequel Hervé Gaymard et moi-même travaillons pour moderniser notre fiscalité, l'adapter aux enjeux actuels de notre pays, la fiscalité devant être comprise au sens le plus large qui soit, c'est-à-dire comme l'ensemble des prélèvements obligatoires.
La situation que nous connaissons aujourd'hui nous impose de développer le débat et l'expertise sur la question des prélèvements obligatoires, question essentielle que les Français se posent régulièrement et à laquelle, en tant que responsables publics, nous avons le devoir d'apporter des réponses. Or ce débat n'a pas eu lieu jusqu'à présent faute de transparence suffisante. Dans ce domaine, le Conseil des impôts, qui, depuis sa création voilà une trentaine d'années, a réussi à s'imposer comme un expert incontournable, a naturellement vocation à voir ses compétences élargies. C'est tout l'objet de la démarche que vous proposez.
Aujourd'hui, le champ d'action du Conseil des impôts connaît une triple limite : il n'est composé que de représentants des administrations ; ses rapports sont exclusivement destinés au Président de la République, même s'il est vrai qu'on peut parfois les lire dans certains journaux (Sourires) ; enfin, sa vocation est de se limiter à la seule question des impôts, à l'exclusion des autres prélèvements.
Votre idée, monsieur le président de la commission, de faire évoluer cette situation va donc tout à fait dans le sens de ce que nous souhaitons et permettra non seulement une transparence accrue, mais aussi une plus grande démocratie : le Parlement souhaite légitimement bénéficier de plus d'expertises et d'informations, et le futur conseil pourrait les lui apporter.
La création de ce conseil des prélèvements obligatoires s'inscrit aussi dans notre méthode de travail.
S'agissant de la stratégie fiscale de l'Etat, en effet, nous travaillions jusqu'à présent dans un calendrier beaucoup trop contraint, ce qui nous privait du recul indispensable pour engager les réformes nécessaires : les arbitrages fiscaux, nous le savons bien, étaient rendus quelques jours à peine avant le bouclage du projet de loi de finances, une fois les estimations de recettes connues, et le débat était de toute façon largement mis à mal par toutes les mesures fiscales déjà prises, tout au long de l'année, dans des supports législatifs autres que la loi de finances.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, monsieur le président de la commission, notre méthode s'inscrit en totale rupture avec ces pratiques.
Notre politique fiscale a besoin de lisibilité, de clarté et de cohérence. C'est pourquoi Hervé Gaymard et moi-même avons décidé de travailler beaucoup plus en amont. D'ailleurs, vous l'avez constaté - rien de tout cela ne vous a échappé, et j'ai eu l'occasion de l'évoquer devant la commission -, la mise en oeuvre de la LOLF bouleverse totalement le calendrier ! Nous avons proposé au Premier ministre de « tirer » autant que possible ce calendrier de travail vers le début de l'année budgétaire, de façon que nous puissions, en toute sérénité, en toute transparence, traiter l'ensemble des grands sujets relatifs aux dépenses et aux économies structurelles à réaliser.
Ainsi, comme vous le savez, les lettres de cadrage ont été adressées hier aux ministres, ce qui est tout de même une grande première : nous tenons notre calendrier ! De même, dès jeudi, je commencerai mes réunions d'économie structurelle avec mes différents collègues du Gouvernement, et nous ouvrons déjà les premières réflexions sur la fiscalité, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu ou de la fiscalité des donations.
A ce propos, je le rappelle, j'ai annoncé ce matin même que le dispositif relatif aux donations, dont le terme était fixé au 31 mai, serait prolongé jusqu'au 31 décembre et que le plafond en serait porté de 20 000 à 30 000 euros. Nous prenons donc, dès le début de cette année, diverses mesures destinées à stimuler l'un ou l'autre des trois moteurs de la croissance que sont la consommation, l'investissement ou l'épargne.
Je soulignerai un deuxième point : notre politique fiscale se doit également d'être efficace. Pour cela, il faut qu'elle soit discutée dans le détail, et je souhaite naturellement que le conseil des prélèvements obligatoires vienne éclairer de sa future sagesse les pouvoirs publics et le Parlement.
Notre politique fiscale doit associer pleinement le Parlement : c'est au coeur même des valeurs républicaines. Je souhaite que ce soit encore plus vrai avec l'entrée en vigueur de la LOLF ; de ce point de vue, les réflexions qui pourront être sollicitées auprès du futur conseil des prélèvements obligatoires seront particulièrement utiles.
La proposition de loi correspond donc très exactement à la philosophie qui est la nôtre, et le Gouvernement n'a aucune raison de s'y opposer ; bien au contraire, il a plutôt toutes les raisons de la soutenir. Tel est le message, monsieur le président de la commission, que je suis venu vous adresser à cette tribune : plus de transparence, plus de démocratie, ce sont là quelques clefs majeures qui nous permettront de faire progresser le débat fiscal.
Je crois néanmoins, et ce sera ma conclusion, que nous devons garder présente à l'esprit l'idée que le conseil des prélèvements obligatoires doit être en mesure de travailler dans les meilleures conditions, ce qui suppose de sa part indépendance et efficacité.
Le conseil ne sera crédible que s'il est indépendant : il ne doit être en aucun cas l'instrument d'un groupe de pression ou d'un courant politique. Son rattachement à la Cour des comptes et le fait qu'il sera présidé par le Premier Président de la Cour constituent déjà de très solides garanties. Les membres qui le composeront devront naturellement être choisis pour travailler en toute indépendance d'esprit, et il devra en aller de même des rapporteurs qui seront chargés de rédiger ses travaux.
Le conseil devra également être efficace : il ne s'agit pas de mettre en place le énième comité Théodule, celui auquel notre République n'avait pas pensé. Ses rapports devront s'inscrire dans la tradition de sérieux qu'a établie le Conseil des impôts, leur objet connaissant, naturellement, l'élargissement que je viens d'évoquer. Gardons-nous de cette maladie bien française qui consiste à multiplier les comités ! Je sais que dans ce domaine, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes le fer de lance de la lutte contre la tendance à oublier de réfléchir à la manière d'utiliser au mieux les structures déjà existantes et, surtout, les hommes et les femmes qui les composent et auxquels la qualité des travaux rendus doit tant.
Les études demandées au futur conseil devront donc être ciblées afin d'être le plus utiles possible et suivies d'effet dans les meilleurs délais. L'organisation des travaux devra donc être suffisamment bien régulée pour éviter une prolifération des rapports risquant non seulement d'engorger la structure, mais aussi de mettre une pression supplémentaire tant sur le Gouvernement que sur le Parlement. De ce point de vue, monsieur le président de la commission, vous conviendrez avec moi qu'il faudra instaurer des règles du jeu telles que nous n'aboutissions pas à un système qui dénaturerait l'esprit même de la nouvelle institution, dont le rôle sera d'éclairer ceux qui débattent, ceux qui décident, dans le cadre le meilleur qui soit : celui de la bonne gestion des finances publiques au service des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que l'a rappelé à l'instant M. le président de la commission des finances, nous devons garder à l'esprit le dernier débat qu'a mené notre assemblée, cet automne, sur l'évolution des prélèvements obligatoires.
Alors que le sujet est aujourd'hui au coeur des réflexions concernant notre système de gouvernance, en ce qu'il touche tous les secteurs de notre économie, nous avions alors réduit le débat à un échange de points de vues entre experts. Mais, grâce aux mésaventures qu'a connues depuis lors la loi de finances - M. le président de la commission vient de les évoquer -, nous avons aujourd'hui l'occasion d'en parler plus avant.
Lors de cette discussion, c'est mon collègue Christian Gaudin qui était intervenu au nom de notre groupe, rappelant à juste titre le contexte particulier dans lequel elle prenait place : les délocalisations en chaîne et l'expatriation des compétences et des capitaux, liées à des coûts de production et de travail trop élevés s'expliquant principalement par le poids des prélèvements sociaux. Il faut ajouter à cela les déficits abyssaux de notre système de protection sociale ainsi que la forte dégradation des finances publiques.
Nous constatons donc aujourd'hui un double problème, mais, surtout, nous nous heurtons au fait que notre système a atteint ses limites : une réflexion de fond sur la nature des prélèvements obligatoires, qui représentent à eux seuls 43,7 % de la richesse de la France, est devenue nécessaire dans l'économie globalisée et déréglementée qui est la nôtre.
C'est pour ces raisons que la réforme du Conseil des impôts, réforme qui vise à créer un conseil des prélèvements obligatoires, me semble venir à point. Alors que la compétence du Conseil des impôts se limitait à quelque 20 % du PIB, l'élargissement aux prélèvements sociaux du champ d'investigation du nouveau conseil permettra au Parlement de mieux exercer son contrôle sur des sommes dont le montant approche la moitié du PIB.
Le nouveau conseil des prélèvements obligatoires sera, je l'espère, un outil efficace pour la mise en place d'un débat constructif sur une réforme structurelle de grande ampleur, à condition qu'il ne s'enferme pas dans un carcan technocratique ou ne se limite pas à des politiques timorées. De ce point de vue, je souhaite souligner l'ouverture du nouveau conseil à des personnalités qualifiées du monde économique et social qui donneront - et j'espère qu'elles seront entendues - un éclairage nouveau et plus adapté aux attentes des acteurs économiques du pays.
Le rapport annuel du nouveau conseil des prélèvements obligatoires fournira au Parlement la trame du débat qui continuera d'avoir lieu lors des discussions budgétaires et qui deviendra un débat de fond sur l'efficacité des prélèvements.
Comme l'a souligné le président de la commission des finances, nous cesserons ainsi « d'improviser les réponses fiscales et les réponses en termes de prélèvements obligatoires », ce qui ne nous laissait qu'une faible marge de manoeuvre. C'est peut-être aussi grâce à la création de la TVA sociale ou de compétitivité que nous relèverons ce défi.
Espérons que ce nouvel outil nous donnera des moyens supplémentaires pour tenter de renouer avec une économie dynamique et compétitive, de rendre le territoire attractif pour les investisseurs en même temps que favorable à l'innovation et au développement des technologies de pointe, et ainsi de permettre à notre pays de retrouver la voie de la création de richesses.
Le deuxième espoir que je formulerai porte sur la maîtrise des finances de l'Etat. La semaine dernière, on le sait, la Commission européenne a appelé la France à réduire davantage ses déficits publics afin « d'atteindre l'objectif fixé à moyen terme d'une situation budgétaire proche de l'équilibre ». La Commission a ajouté dans ses recommandations que, même si « la France est sur la voie de ramener le déficit sous la valeur de 3 % du PIB en 2005, sa situation budgétaire reste vulnérable ».
Cette année verra pour la première fois la mise en place de la LOLF. La réflexion que nous mènerons sur le système des prélèvements obligatoires devra donc s'inscrire dans la démarche de performance créée par cette loi organique, afin de maîtriser les déficits publics en général et d'équilibrer les comptes sociaux en particulier. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel a rendu un avis défavorable sur l'introduction dans la loi de finances de 2005 d'un article portant création d'un conseil des prélèvements obligatoires, reprenant en les élargissant les compétences du Conseil des impôts.
Aujourd'hui, nous examinons donc la proposition de loi cosignée par le président de la commission des finances et le rapporteur général tendant à revenir sur cette décision de non-conformité.
Les motivations de cette proposition restent fondamentalement les mêmes que celles de l'amendement adopté à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2005.
Comme vous l'aviez dit en décembre, monsieur le président de la commission, vous voulez créer une seule institution chargée d'apprécier l'évolution des prélèvements obligatoires, leur impact économique, social et budgétaire.
Vous considérez que cela doit se faire dans une autre institution que le Conseil des impôts. Vous laissez entendre que c'est pour mieux prendre en compte ce que recouvrent les prélèvements obligatoires qui, pour vous, sont à la fois les impôts et les prélèvements sociaux.
Pour justifier cette création, vous dites également que le fait que le Conseil des impôts ne soit composé que de hauts fonctionnaires l'a conduit à une vision plutôt étatique.
En décembre, vous aviez indiqué que les membres de ce conseil étant ceux qui mettaient en recouvrement l'impôt, vous vouliez que les représentants des contribuables y siègent également. Vous motiviez votre proposition par le fait « que nous devons cesser d'improviser, comme cela arrive parfois, les réponses fiscales, les réponses en termes de prélèvements obligatoires. Il arrive que l'on donne l'impression d'agir ou d'annoncer des décisions le dos au mur. Il nous faut donc désormais anticiper ».
Vous souhaitez que le conseil des prélèvements obligatoires vous permette de mieux mettre en oeuvre ce que vous appelez « la maîtrise de la dépense publique ». Celle-ci, aujourd'hui, résulte malheureusement plus de la suppression de l'intervention publique de l'Etat dans de nombreux domaines que de la maîtrise. Si bien que, même dans des secteurs où l'intervention publique est indispensable au développement économique et à l'aménagement harmonieux du territoire, vous préférez la supprimer ou la réduire : je pourrais ainsi citer l'exemple des transports, qu'ils soient urbains ou ferroviaires.
Vous estimez que la taxe professionnelle fait partie de ces prélèvements obligatoires qui, comme les charges sociales, « constituent des impôts de production, une sorte de droit de douane à l'envers ».
M. Jean Arthuis, rapporteur. Oui, absolument !
Mme Marie-France Beaufils. Vous dites que vous souhaitez cette création pour préparer l'avenir, pour anticiper, pour éclairer le débat et pour permettre au Gouvernement et au Parlement de prendre les décisions appropriées.
En fait, nous le savons tous, cette proposition est venue à la suite du rapport du Conseil des impôts qui exprimait un avis très critique sur la politique d'allégement fiscal. Pourtant, il constatait tout simplement que les choix fiscaux que vous avez opérés n'avaient pas eu l'impact attendu et il ne faisait qu'évaluer les décisions prises. N'est-ce pas là le rôle d'un organisme de ce type ? En tout cas, pour ma part, j'estime que c'est ce que nous devons en attendre.
Néanmoins, vous voulez assigner au conseil des prélèvements obligatoires un rôle de mesure de l'impact des décisions fiscales pour nous permettre, par exemple, d'apprécier comment elles nous donnent les moyens de rendre plus compétitifs nos territoires, selon votre expression.
N'est-ce pas cette analyse du Conseil des impôts que vous récusez, sous prétexte qu'elle est faite par des fonctionnaires, partie prenante de la gestion publique ?
Pourtant, qui sont les membres de ce Conseil des impôts ? Le Premier président de la Cour des comptes, un ancien directeur général des impôts, d'ailleurs en fonction à l'époque où vous étiez ministre des finances, monsieur le président de la commission - et vous proposez de le garder -, un ancien contrôleur général des armées, un inspecteur général de l'INSEE, un conseiller maître à la Cour des comptes, une conseillère à la Cour de Cassation, un professeur agrégé des universités, également directeur de la Revue française de finances publiques, une conseillère d'Etat qui fut directrice adjointe des services de la région d'Ile-de-France, un conseiller maître à la Cour des comptes qui fut président d'une chambre régionale des comptes, un conseiller d'Etat, ancien membre d'un cabinet ministériel entre 1987 et 1988. Enfin, le rapporteur général du conseil est un conseiller référendaire de la Cour des comptes, conseiller technique des derniers ministres des finances.
Ces personnalités ne jouissent donc pas, manifestement, d'un quelconque manque de sérieux ou de compétence,...
M. Jean Arthuis, rapporteur. C'est vrai !
Mme Marie-France Beaufils. ... et encore moins de capacités à percevoir la portée de décisions et de mesures fiscales dont ils ont été parfois à l'origine.
M. Jean Arthuis, rapporteur. C'est incontestable !
Mme Marie-France Beaufils. Pourquoi dès lors mettre en question, ainsi que le fait la proposition de loi, leur avis sur la réalité de notre système fiscal ? En quoi seraient-ils moins indépendants que les candidats que vous nous proposez pour le conseil des prélèvements obligatoires ?
Posons la question : à quelle logique l'élargissement des compétences et du nombre des membres du Conseil des impôts pour le transformer en conseil des prélèvements obligatoires obéit-il ?
Proposer que figurent dans le nouveau conseil des prélèvements obligatoires des personnalités dites « qualifiées » issues de la société civile pose un certain nombre de questions. A qui pensez-vous précisément ? Qui seraient ces personnalités qualifiées nommées par les différentes parties concernées ?
Au vu de la composition que vous proposez, deux de ces personnalités qualifiées seraient précisément des professeurs d'université, et nul doute que les personnalités qualifiées expressément désignées par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat et le président du Conseil économique et social auraient probablement les mêmes caractéristiques.
Que recherchez-vous ? Des personnalités ayant une compétence en matière de droit et de sciences économiques, et dont l'acceptation des théories libérales serait plus conforme à vos attentes ?
Sous une présentation d'un ensemble de personnalités qualifiées, ce qui nous est proposé n'est ni plus ni moins que l'installation d'un organisme prétendument indépendant et pluraliste - mais d'un pluralisme aussi étroit que les différents représentants qui les choisissent - destiné à cautionner, à valider, dans une sorte de permanence immuable, les mêmes politiques budgétaires, les mêmes choix en matière de dépenses sociales, le même encadrement technocratique des politiques de développement local.
J'observe d'ailleurs que, à vous suivre, le conseil des prélèvements obligatoires ne serait pas amené, a priori, à réfléchir sur la portée de la participation de la France au budget de l'Union européenne, alors même que celle-ci constitue elle aussi, me semble-t-il, un prélèvement obligatoire comme les autres.
Ce que vous nous demandez de valider, monsieur le président de la commission des finances, n'est qu'un organisme de défense et d'illustration de la logique libérale qui imprègne vos choix politiques depuis 2002.
Or, on peut apporter ici quelques éclairages sur certains aspects de cette politique.
S'agissant de la situation de l'emploi, le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas cessé de se détériorer, le nombre des chômeurs inscrits frisant les trois millions, tandis que chaque année écoulée a vu se multiplier les plans de suppression d'emplois, notamment dans le secteur industriel.
Comment ne pas relever également l'accroissement des difficultés de la protection sociale, de plus en plus victime de la modération salariale et des suppressions d'emplois, c'est-à-dire de la carence de ses recettes ?
Et comme chacun sait, vous avez voté, tant lors de la session de juillet 2003 que lors de la session de juillet 2004, des lois réformant les retraites et l'assurance maladie allant dans le même sens.
Toujours plus de sacrifices imposés aux assurés sociaux pour toujours moins de prestations en retour ! Toujours plus de sacrifices pour ceux dont le pouvoir d'achat est en perte de vitesse ! Toujours plus de disponibilités financières pour les plus riches, une fracture sociale qui s'accroît, une pauvreté qui touche un nombre croissant de familles : plus de 14 % de la population vit avec moins de 650 euros, seuil considéré comme celui de la pauvreté en Europe !
Et la loi relative aux libertés et responsabilités locales, en organisant le transfert des responsabilités de l'Etat vers les collectivités territoriales, est appelée à peser lourdement sur la situation financière desdites collectivités, donc sur le contribuable local qui sera prochainement encore mis à contribution. Vous le reconnaissez d'ailleurs en proposant qu'une personnalité soit désignée par le ministre chargé de l'intérieur et que le directeur général des collectivités locales assiste aux réunions de ce Conseil.
Quant à votre obsession, la réduction de la dépense publique, vous voulez l'appliquer à tous les domaines, même là où elle présente un caractère d'équité et d'égalité de traitement entre les habitants de ce pays.
La France n'accepte pas cette politique qui considère l'être humain comme second dans les choix. (M. Jacques Baudot s'exclame.) L'exigence toujours accrue des marchés financiers pèse lourdement sur les décisions, détruisant peu à peu notre tissu économique. C'est intenable pour le présent comme pour l'avenir. Vous nous l'avez dit, monsieur le président de la commission des finances, ce que vous attendez de ce conseil des prélèvements obligatoires, c'est qu'il tende à justifier la politique de réduction de la dépense publique dont nos compatriotes goûtent tous les jours les conséquences désastreuses.
Ce que vous reprochez évidemment au Conseil des impôts tel qu'il existe aujourd'hui, c'est d'avoir, dans ses deux derniers rapports, posé la question de la pertinence de bien des politiques menées depuis trois ans, alors même que leurs auteurs sont loin d'être suspects de complaisance envers les idées que l'opposition parlementaire défend par ailleurs sur ces questions.
C'est cela, monsieur le président de la commission des finances, que vous ne supportez pas ! C'est cela que vous habillez ici de prétendus « considérants scientifiques », visant entre autres à permettre à quelques économistes monétaristes ou néolibéraux de faire-valoir les idées que vous partagez avec eux.
Pour autant, vous avez de la suite dans les idées. Le rapport du conseil des prélèvements obligatoires, publié annuellement, serait évidemment un élément du débat ; et comme il est probable qu'il aurait une coloration globale très proche de vos vues, il aurait tendance, assez naturellement, à fixer le débat fiscal et social que nous avons chaque automne sur la droite de l'échiquier politique.
Nous serions ainsi amenés à l'avenir à nous demander « scientifiquement » s'il faut choisir entre privatisation des services publics locaux et hausse des impôts locaux, entre TVA sociale et cotisations sociales, pour ne citer que quelques exemples.
Vous nous l'avez dit, vous voulez travailler sur la mise en oeuvre de ce que M. le rapporteur général a appelé « la TVA sociale » et substituer cette dernière à la fois aux cotisations sociales et à la taxe professionnelle.
Vous voulez faire valider votre proposition qui a été accueillie avec circonspection...
Mme Nicole Bricq. Scepticisme, même !
Mme Marie-France Beaufils. ... dans vos rangs mêmes, alors que, vous le savez bien, elle va peser lourdement sur tous les foyers, y compris les plus modestes. Elle contribuera à un affaiblissement du pouvoir d'achat des familles et à une nouvelle chute de la consommation avec toutes les conséquences que l'on sait sur l'activité économique du pays, donc sur l'emploi.
En fait, ce que vous voulez, c'est alléger la contribution de l'activité économique à la couverture sociale des salariés, à l'aménagement du territoire. Je devrais dire que vous voulez aller plus loin. En effet, d'importants allégements de cotisations sociales normalement dues par les entreprises ou de taxe professionnelle sont déjà pris en charge par le budget général : 17 milliards d'euros d'un côté et plus de 20 milliards de l'autre, ce qui fait qu'une part de la TVA y est dès aujourd'hui consacrée, puisqu'elle représente une contribution non négligeable aux recettes fiscales du budget de l'Etat. Et pour quels résultats ? Quatre cent mille emplois ont été créés sous l'effet des lois Aubry relatives à la réduction du temps de travail, même si nous aurions souhaité plus, mais combien ont été créés depuis les mesures Fillon aménageant l'application de la réduction du temps de travail ?
C'est l'inverse : le chômage n'a cessé d'augmenter, dépassant le seuil de 9 %. Combien devons-nous attendre de l'éventuelle mise en oeuvre de la proposition de loi Morange, commanditée en sous-main par le Gouvernement, tant le dépôt d'un projet de loi aurait stigmatisé le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale et son ministre délégué ?
Il est vrai que, depuis samedi dernier, avec l'ampleur des manifestations, expression du mécontentement, même si vous le niez, les choses deviennent plus complexes.
Nous ne voulons décidément pas d'un organisme dont la seule raison d'être serait de valider quoi qu'il arrive les mêmes logiques budgétaires, les mêmes politiques de régression sociale et de défense des intérêts et des privilèges. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que nous ne voterons pas les conclusions de la commission des finances sur la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Arthuis, rapporteur. J'écoute toujours avec beaucoup d'attention les interventions de Mme Beaufils ; mais s'il est vrai que certains rappels correspondent bien à mes propos, il en est d'autres qui constituent une exégèse que je récuse totalement.
Le conseil des prélèvements obligatoires est une instance d'expertise sur les prélèvements obligatoires. Qu'il n'y ait pas de confusion : le débat sur le niveau de la dépense publique est un autre débat. Nous sommes plusieurs en cette enceinte à considérer que le débat fiscal est souvent extrêmement sommaire ; nous avons rarement l'occasion de nous interroger sur le modèle des prélèvements obligatoires ; c'est la raison pour laquelle nous avons formulé ces propositions.
Allons-nous continuer à constater sans réagir que le chômage atteint 10 % de la population active et que, depuis dix ans, la croissance en Europe représente pratiquement la moitié de la croissance mondiale ?
Le temps est peut-être venu, mes chers collègues, de nous demander s'il n'y pas d'autre modèle fiscal. Cela ne veut pas dire pour autant que l'on renoncera aux prélèvements obligatoires.
Si ce conseil des prélèvements obligatoires était créé, je poserais volontiers la question suivante à ses membres : quels sont les impôts de production payés par les entreprises, qu'il s'agisse des charges sociales ou de la taxe professionnelle, qui, en définitive, n'incombent pas aux ménages ?
Or le ministre délégué au budget, suivant en cela ses prédécesseurs, présentera sans doute le prochain projet de budget en distinguant les prélèvements qui pèseront sur les entreprises et ceux qui pèseront sur les ménages, à moins qu'il choisisse plutôt de décrire les allégements dont bénéficieront les entreprises et ceux dont bénéficieront les ménages. Comme s'il y avait des impôts sur les entreprises qui n'étaient pas supportés, en définitive, par les ménages !
Madame Beaufils, peut-être avez-vous constaté que, en 2005, certaines entreprises arbitrent très sommairement ce type de contraintes ? Il vient en effet un moment où l'on choisit de délocaliser l'activité.
N'y aurait-il donc pas, dans notre modèle fiscal français, des facteurs qui contribueraient à la délocalisation, et donc à l'effritement de la cohésion sociale ?
Si je n'ai aucune certitude, madame Beaufils, je pense toutefois qu'il est urgent de débattre de ces questions sans a priori et sans tabou.
Au terme d'une expertise, nous déciderons de l'orientation qu'il convient de prendre pour nous donner les plus grandes chances de favoriser la croissance et de créer des emplois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 30 juin 2004, au nom de la délégation du Sénat pour la planification, Pierre André, Jean-Pierre Plancade et moi-même avons déposé un rapport d'information intitulé L'Evaluation des politiques publiques en France.
Dans ce rapport, nous avons souligné l'importance des enjeux qui s'attachent à la promotion de l'évaluation des politiques publiques. En effet, cette dernière a trop souvent été considérée comme un élément parmi d'autres de la réforme de l'Etat, alors qu'elle en constitue un élément essentiel et qu'elle doit être considérée à la fois comme une composante de la réforme et comme l'un de ses instruments.
Le premier apport de cette évaluation doit être, plus encore que de hausser le niveau de connaissance de l'action publique, de renforcer le fonctionnement de la démocratie en conférant aux décisions publiques un caractère plus transparent et plus participatif.
Dans le cadre de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, l'évaluation est devenue une « ardente obligation », que ce soit pour le Gouvernement ou pour le Parlement.
Pour bien légiférer, le Sénat et l'Assemblée nationale doivent disposer d'une bonne évaluation des politiques publiques, que celle-ci s'exerce au travers des nouveaux programmes ou de la fiscalité.
J'insiste aujourd'hui, comme je l'ai fait lors de la présentation de ce rapport, sur la nécessité d'une évaluation indépendante, pluraliste et transparente. Selon moi, ces adjectifs peuvent expliquer les raisons pour lesquelles l'évaluation des politiques publiques est si difficile à acclimater dans un pays marqué par le déséquilibre entre les pouvoirs publics et une administration réputée sans autonomie mais dont les attributions sont en réalité considérables.
Comme nous avons eu l'occasion de le souligner, la France souffre d'un fort déséquilibre s'agissant de la distribution des moyens d'expertise des politiques publiques. Les capacités d'évaluation extérieures au Gouvernement sont soit sous-dimensionnées, soit très difficiles à mobiliser.
Nous devons tourner le dos aux formules qui placent, comme c'est le cas actuellement, l'évaluation et la prospective en marge du processus de la décision publique, dans des instances trop technocratiques et dans des enceintes, certes éminentes, mais trop indirectement en prise avec les lieux d'élaboration des décisions publiques et les acteurs chargés de leur mise en oeuvre.
Il faut que le système d'évaluation des politiques publiques puisse se déployer au plus près des centres de décisions et d'actions publiques et que l'évaluation puisse ainsi s'imposer comme une composante à part entière de la gestion publique.
Ces remarques s'appliquent aussi bien au Conseil national de l'évaluation qu'au Conseil des impôts.
Dans notre rapport d'information, nous avions souhaité citer, pour son intérêt, le constat du Conseil des impôts sur l'évaluation de la norme fiscale.
Selon ce rapport, en effet, « l'évaluation de la norme fiscale est absente de la pratique française ».
« Si l'on excepte le Conseil des impôts (...), les dispositifs d'évaluation de la norme fiscale sont rares dans notre pays.
« L'évaluation des mesures fiscales ressortit en pratique essentiellement à la direction de la prévision, la direction de la législation fiscale étant plutôt chargée de la technique fiscale et du chiffrage budgétaire. L'INSEE n'intervient dans le domaine fiscal que de manière incidente, souvent dans une problématique d'étude large mais ponctuelle, ou dans une problématique économique très transversale. »
J'estime que le quasi-monopole de l'expertise exercé par l'exécutif entraîne des déséquilibres qu'il faut corriger.
Idéalement, ce rééquilibrage devrait se fonder sur le retour à une conception des missions des administrations publiques moins réductrice que celle qui prévaut aujourd'hui, à la suite d'une dérive regrettable.
Je souscris pleinement à l'idée du Conseil des impôts selon laquelle « les évaluations publiques des normes fiscales (...) doivent en réalité être aujourd'hui effectuées par les institutions qui souhaitent en disposer ».
Dans notre rapport, nous avions regretté que le Parlement ne puisse saisir le Conseil des impôts. Je ne peux donc que me réjouir de la proposition de nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini d'élargir la saisine du conseil des prélèvements obligatoires aux commissions des finances ou des affaires sociales du Sénat ou de l'Assemblée nationale. C'est là l'un des principaux apports du texte dont nous discutons aujourd'hui,
Un autre apport essentiel de cette proposition de loi tient à l'élargissement, au-delà de la fonction publique, de la composition du nouveau conseil des prélèvements obligatoires. La nomination de huit personnalités qualifiées choisies en raison de leur expérience professionnelle et de huit fonctionnaires, universitaires et magistrats va dans le sens du pluralisme et de la démocratisation de l'expertise que j'ai appelés de mes voeux.
En mai 2001, j'avais présenté un rapport sur l'information économique et sociale aux Etats-Unis, dans lequel se trouvait décrit l'impressionnant potentiel d'appréciation des politiques publiques développées autour des universités et des think tanks.
D'autres pays, en particulier le Canada, ont connu des développements intéressants de ce point de vue.
Nous n'en sommes pas encore là en France, ce que nous ne devons d'ailleurs pas nécessairement regretter. En effet, les institutions et les pratiques des autres pays, surtout celles qui proviennent des Etats-Unis, ne sont pas toujours transposables telles quelles dans notre pays.
Dans cette proposition de loi, nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini empruntent une autre voie, celle de la diversité des parcours et des points de vue au sein du nouveau conseil des prélèvements obligatoires.
La pluralité des expertises contribuera à améliorer l'information du Parlement sur la globalité des prélèvements obligatoires et lui permettra ainsi de légiférer dans de meilleures conditions.
Le débat y gagnera en transparence et en crédibilité, ce qui bénéficiera aux parlementaires et à l'ensemble de nos concitoyens.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe de l'UMP votera les conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi tendant à créer un conseil des prélèvements obligatoires telles qu'elles résulteront des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui vise à substituer un conseil des prélèvements obligatoires au Conseil des impôts, en élargissant le périmètre d'intervention de ce dernier et en modifiant en profondeur sa composition.
Au demeurant, je remercie le Conseil constitutionnel qui, en déclarant l'article 70 sexies du projet de loi de finances pour 2005 non conforme, nous permet d'avoir aujourd'hui un débat de fond, ce qui n'avait pas été le cas lors de l'examen du long amendement déposé en décembre dernier par M. Arthuis, au nom de la commission des finances.
Cette proposition de loi conduit le groupe socialiste à formuler trois observations portant respectivement sur la pertinence du périmètre d'intervention du conseil des prélèvements obligatoires, sur les motivations auxquelles prétendent répondre les auteurs de cette proposition de loi, et sur la composition dudit conseil.
Tout d'abord, s'agissant de la pertinence du périmètre d'intervention, vous le savez, la notion de prélèvements obligatoires est ambiguë, comme nous avons pu le constater à l'occasion du récent constat d'un surplus de recettes en 2004 lié à la « montée en charge » de la TVA et de l'impôt sur les sociétés. En effet, il est évident que ce surplus de recettes pèsera sur l'objectif du Gouvernement de ramener le taux de prélèvements obligatoires de 43,8 % en 2003 à 43,6 % en 2004. Finalement, le taux devrait être sensiblement égal. Nous verrons ce qu'il en sera à la fin du mois, quand les chiffres définitifs seront connus.
En effet, la variation du taux de prélèvements obligatoires résulte non seulement des changements des législations fiscale et sociale, mais aussi de la conjoncture économique.
Je tiens également à souligner que les comparaisons internationales ont évidemment leurs limites.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2005, plus précisément du débat sur les prélèvements obligatoires qui s'est déroulé ici même, j'ai relu avec attention le « bleu » du Gouvernement, qui conseillait à juste titre de se garder de comparaisons sommaires, une définition commune aux différents Etats, notamment de l'OCDE, de la notion de prélèvements obligatoires n'existant pas.
La définition de cette notion dépend des conventions comptables, des choix d'organisation et des modes de financement de l'action publique. L'analyse du niveau des prélèvements obligatoires est absolument indissociable de la prise en compte du niveau de la dépense publique et de la place des services publics dans l'économie nationale. Cela me paraît extrêmement important dans le cadre d'une comparaison, et nous en arrivons ainsi à des sujets sur lesquels nous avons une divergence d'appréciation : la dépense publique et la place des services publics dans notre économie.
Ensuite, ma deuxième observation concerne les motivations auxquelles prétendent répondre les auteurs de cette proposition de loi. Nous nous sommes sincèrement demandés pour quelles raisons la majorité sénatoriale et le Gouvernement tenaient autant à cette modification.
Bien sûr, nous ne pouvons que souscrire aux motivations explicites qui ont été fournies. M. Arthuis souhaite, selon ses propres termes, donner au Parlement « un bon instrument de lucidité » et « parvenir à une vision globale du niveau de prélèvements obligatoires ». Dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, il précise que l'objectif poursuivi est d'« avoir une vision complète du niveau préoccupant des prélèvements obligatoires en France ». A ce stade de l'analyse, nous ne pouvons qu'être d'accord avec lui !
Nous le suivons également lorsqu'il affirme vouloir « éclairer le débat » pour pouvoir prendre des « décisions appropriées ».
Cependant, nous commençons à nous interroger quand, au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2005, il déclare vouloir « impérativement remettre en cause notre système de prélèvements obligatoires ». Mais cela relève du débat démocratique.
Mais nous nous inquiétons carrément en relisant le rapport de M. Philippe Marini intitulé Débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution : pour une fiscalité plus compétitive. Nous abordons alors le coeur du sujet puisque, dans ce rapport, notre collègue rapporteur général pose comme postulat « la réduction de la part prélevée par l'Etat dans le PIB par la diminution des dépenses publiques ». Même s'il admet que cela exigera du temps et un certain nombre de précautions, l'objectif est clairement affiché.
Vous nous permettrez de ne pas partager ce postulat, qui est indissociable du débat que nous avons aujourd'hui car on ne saurait isoler la dépense publique de son contexte économique. Je veux parler des mécanismes de production des richesses - la croissance et les moyens que l'on se donne pour l'encourager d'une manière ou d'une autre - comme de la redistribution de ces dernières.
De même, nous ne partageons pas vos a priori sur la répartition du poids des prélèvements obligatoires.
Enfin, il est curieux que la proposition de réforme du Conseil des impôts soit intervenue après la polémique suscitée par le 22e rapport de cette instance, consacré à la concurrence fiscale et à l'entreprise.
Dès lors, nous nous interrogeons et nous avons l'impression, sans esprit polémique, qu'il s'agit finalement de disposer d'un instrument qui dira ce que l'on a envie qu'il dise.
M. Jean Arthuis, rapporteur. C'est faux !
Mme Nicole Bricq. Nous sommes encore plus circonspects à la suite des propositions annoncées par le ministre des finances, lors d'une conférence de presse tenue aujourd'hui même, au sujet de la défiscalisation partielle - mais importante - des revenus des « impatriés », sous prétexte d'attractivité des intelligences sur notre territoire.
Nous aurons, certes, un débat de fond sur cette mesure puisque le ministre nous a indiqué qu'elle figurerait dans le projet de loi de finances pour 2006, mais, à ma connaissance, ces propositions n'ont fait l'objet d'aucun avis ou d'aucune expertise préalables, émanant en particulier de ceux qui constitueront demain le Conseil des prélèvements obligatoires. (M. le ministre délégué s'exclame.)
Cela m'amène à ma troisième observation, qui concerne la modification de la composition du Conseil. C'est un sujet sur lequel nous n'avons pas obtenu - et nous ne sommes pas les seuls, puisque les membres de votre majorité eux-mêmes n'y sont pas parvenus - les clarifications nécessaires en commission des finances.
Pourquoi modifier la composition du Conseil ?
Vous nous avez dit, comme en témoigne le compte rendu officiel des débats, que cette proposition permettait d'élargir la composition du Conseil à la « société civile ».
Pour autant que l'on accepte un tel concept aussi flou que facile - qui peut en effet prétendre incarner la société civile ? -, qu'il me soit permis de faire remarquer que cette dernière est déjà très largement contenue dans la composition actuelle du Conseil, qui comprend un professeur agrégé de droit et de sciences économiques.
S'agit-il, comme vous l'avez dit tout à l'heure, de renforcer la capacité d'expertise du Conseil ? Dans ce cas, on peut élargir sa composition, par exemple en ajoutant l'expertise d'un représentant du Conseil supérieur des commissaires aux comptes.
S'agit-il, comme vous nous l'avez dit lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2005 - là encore, je me réfère au compte rendu officiel des débats - de représenter les contribuables ? Dans ce cas, qui représente les contribuables mieux que leurs élus ?
M. Jean Arthuis, rapporteur. Je veux bien que nous recommencions le débat !
Mme Nicole Bricq. Par ailleurs, en incluant dans sa composition sept personnalités qualifiées choisies à raison de leur expérience professionnelle, le Conseil passerait de onze membres à seize, ce qui ne va pas franchement dans le sens de l'allégement de l'appareil administratif, dont vous vous faites très souvent le chantre ! (M. le ministre délégué s'exclame. - Protestations sur les travées de l'UMP.)
Restées sans réponse, toutes ces interrogations nous conduiront à proposer un amendement tendant à revenir à l'actuelle composition.
En définitive, ne s'agit-il pas, au travers de cette proposition de loi, de l'expression d'une certaine méfiance à l'égard d'une institution qui, pendant plus de trente ans d'existence, a permis d'éclairer le débat fiscal, de proposer des mesures qui ont été reprises par les gouvernements successifs et de renforcer la transparence grâce à la publication, depuis 1997, de son rapport annuel ?
Monsieur le président de la commission des finances, je vous pose la question : faites-vous vraiment confiance à la nouvelle procédure budgétaire, qui doit nous permettre - aux termes de son article 52 - d'apprécier l'utilité de la dépense publique et de donner au Parlement un pouvoir accru de suivi et de contrôle des questions relatives à l'évolution des finances publiques et, par voie de conséquence, des prélèvements obligatoires ?
A nos yeux, votre proposition est le reflet de la double défiance que vous marquez, tant par rapport à une institution qui n'a pas failli dans son mandat qu'au regard de la nouvelle procédure budgétaire que vous avez approuvée et qui sera mise en oeuvre dans la loi de finances de 2006. Dès lors, nous ne saurions lui apporter notre confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)