Article additionnel après l'article 37
M. le président. L'amendement n° 215, présenté par MM. Ralite et Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 37, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 122-26-2 du code du travail, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. .... - Les périodes de congé maternité ou maladie ou faisant suite à un accident de travail, indemnisés par la sécurité sociale, dont bénéficient les salariés relevant des annexes 8 et 10 du régime d'assurance chômage, sont assimilées à des heures de travail _ à hauteur de 5,6 heures par jour d'arrêt _ pour l'ouverture des droits à l'assurance chômage, quel que soit leur statut contractuel au jour de leur prise de congé. »
La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Nous présentons cet amendement tendant à insérer un article additionnel parce que nous avons participé fidèlement et de manière dynamique aux diverses réunions concernant les intermittents du spectacle depuis le début de l'application de l'accord du 26 juin, resigné le 13 novembre, que vous avez agréé quelques jours après, monsieur le ministre, et qui a eu des conséquences très graves pour les femmes enceintes et pour les femmes et les hommes frappés de maladie. Aujourd'hui, nous avons la possibilité de le corriger. C'est un acte de justice et d'humanité. Ce serait le rétablissement d'un droit. Je me permettrai d'apporter quelques témoignages parmi quarante-sept cas que m'ont transmis la fédération du spectacle CGT et la coordination de l'Ile-de-France.
Auparavant, je voudrais insister sur quelques idées générales que m'inspire le débat. Il s'agit effectivement d'un débat très profond et très novateur, mais pas dans le sens que nous espérons. J'en veux pour preuve les textes du MEDEF ; je pense qu'il faut constamment y revenir en ce moment.
Dans leur article paru dans Les Echos du 27 août et dans celui qui a été publié dans Le Monde et qui est intitulé : « Le nouveau positivisme », Ernest-Antoine Seillière et Denis Kessler disent leurs intentions et expliquent les raisons de leurs interventions.
Leur revendication, c'est d'assurer en France « la grande transformation » - en vérité, ils revendiquent d'être un nouveau parti politique et de vectoriser la politique nationale -, et ce avec les entrepreneurs d'abord parce que « ce sont eux qui écrivent l'histoire des transformations, ce sont eux qui osent et qui innovent, ce sont eux qui conduisent le changement ».
Cette « grande transformation », le « nouveau positivisme » qui la nourrit, sont des évolutions - je cite M. Seillière - « qui, prises une à une, peuvent sembler désordonnées, dessinent en réalité une nouvelle organisation sociale, une nouvelle organisation économique, une nouvelle organisation géopolitique du monde. Après des années de grand désordre, de nouvelles régulations s'esquissent enfin et des priorités nouvelles s'affirment pour notre pays. Au-delà des suspicions et des vieilles peurs, la France se tranforme et entre enfin dans la réforme que, depuis des années, le MEDEF appelle de ses voeux. Un processus de fond s'est engagé, un point d'inflexion intellectuel autant que conjoncturel » Je pourrais lire l'article tout entier, vous n'y trouveriez, mes chers collègues, aucune contradiction tant il est homogène.
Oui, c'est bien le fond du débat auquel nous participons : la France prend un tournant. Mais pas vers l'avant, vers l'arrière !
Ce matin, L'Humanité publie un texte - je vous en recommande la lecture - de l'organisation patronale de la branche des sociétés de services et d'ingénierie informatiques, qui revendique le rapport Virville et qui souhaite le mettre en oeuvre tout de suite, à travers notamment les contrats de mission.
Nous, ici, nous débattons des textes, mais eux, ils sont déjà à l'ouvrage - et très concrètement ! -, singulièrement là où les syndicats sont faibles afin de tenter de les enfoncer sur le terrain.
Il est important d'évoquer maintenant le problème des intermittents parce qu'en fait ce fut, du point de vue du dialogue social, le premier laboratoire.
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Jack Ralite. Et l'on se demande toujours pourquoi on en parle autant ! C'est que l'on a bien senti qu'à travers les travailleurs du spectacle on entrait dans une nouvelle configuration politico-sociale.
Je viens d'évoquer le texte publié dans L'Humanité de ce jeudi. Mais le rapport Gourinchas sur les abus de l'intermittence dans l'audiovisuel - a reçu M Gourinchas - la commission des affaires culturelles, préconise l'application du « contrat de mission » du rapport Virville. Ce qui vient bien dire que, dans la problématique de l'accord du 26 juin, il y a tout ce que le MEDEF recommande.
De surcroît, nous avons appris il y a quelques jours que, aux termes de cet accord du 26 juin -, revisité le 13 novembre, et dans quelles conditions ! - le droit d'auteur reçu par le réalisateur serait pris en compte pour le calcul du délai de franchise.
C'est un recul, un de plus, après ceux que notre collègue Gilbert Chabroux énumérait tout à l'heure, article par article.
Voilà donc un nouveau recul ; il est d'hier, mais il a l'avantage, sur le débat théorique que nous pouvons avoir, d'être déjà en oeuvre. D'ailleurs, M. Aillagon va sans doute protester, mais il est un peu dommage qu'il réagisse une fois que le texte a été agréé.
On peut aussi se placer sur le terrain de la représentativité. On ne cesse de nous répéter que trois syndicats, c'est mieux qu'un seul. Mais, précisément, l'accord du 26 juin a été signé par trois syndicats. Et cela donne quoi, dites-moi ? Tout vient du fait qu'ils ne sont pas représentatifs.
M. Roland Muzeau. Eh oui !
M. Jack Ralite. On a fait état, hier, de la représentativité des confédérations qui ont signé, et cela donnait 46 %. Mais la représentativité des fédérations concernées, ce n'est même pas 20 % !
M. Gilbert Chabroux. Bien sûr !
M. Jack Ralite. J'ai rencontré récemment les syndicats du spectacle de la CGC qui m'ont dit leur total désaccord avec leur confédération.
Mes chers collègues, vous le constatez bien, il ne s'agit pas de questions de détail ou d'arguties politiciennes, c'est la vie de ce pays, c'est le monde du travail, du salarié de base à l'ingénieur, qui sont mis en cause aujourd'hui.
Mais venons-en à l'amendement.
M. le président. Vous y êtes déjà depuis un certain temps, mon cher collègue. (Sourires.)
M. Jack Ralite. Nous sommes devant un problème concret. Des centaines de femmes enceintes intermittentes du spectacle,...
M. François Fillon, ministre. Des centaines de milliers, des millions, des milliards !
M. Jack Ralite. ... depuis l'accord du 26 juin, n'ont plus le droit de toucher les indemnités auxquelles elles avaient droit auparavant. Exclues de l'UNEDIC, c'est-à-dire des fameuses annexes VIII et X, elles relèvent désormais du régime général, qui est bien moins intéressant.
J'avais l'intention de lire des témoignages de ces femmes...
M. le président. Mon cher collègue, vous n'en n'auriez plus le temps !
M. Jack Ralite. Pourtant, ils seraient bien utiles, parce qu'il y a des femmes qui, disant leur expérience, manifestent une capacité parlementaire et législative qui prouve que, « en bas », comme on dit quand on s'appelle M. Raffarin, on pense haut, et que l'on ne pense pas bas.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. le président. J'y répugne, mais je vais être obligé de couper votre micro, monsieur Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, je serais confus de vous mettre dans cette obligation.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. M. Ralite a donné la priorité au MEDEF !
M. Jack Ralite. Cela dit, vous avez parlé de la santé, monsieur About, tout à l'heure. Eh bien, nous y sommes !
J'ai reçu hier soir un courrier que l'UNEDIC a adressé aux syndicats indiquant qu'il allait être tenu compte des observations faites par ces femmes s'agissant de leur maternité. A l'examen, l'UNEDIC tient un peu compte des maladies, mais pas du tout des maternités. Vous voyez que la discrimination à l'égard des femmes est aggravée.
Mme Annie David. Une discrimination de plus à l'égard des femmes !
M. Jack Ralite. L'amendement est donc tout à fait important, et je demande qu'on le vote.
Le ministre ici présent qui, par la répartition des responsabilités gouvernementales, a été amené à donner l'agrément à l'accord du 26 juin peut, en soutenant cet amendement, corriger un accord dont M. Aillagon reconnaît lui-même avoir été surpris des conséquences. Moi, je crois que c'est plutôt la loi qui a été surprise, et nous avons le pouvoir et le devoir de rétablir la réalité des choses.
Je demande donc à M. le ministre de soutenir mon amendement, qui tend à corriger une des inhumanités de l'accord du 26 juin dernier ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Chérioux, rapporteur. Je remercie M. Ralite, non seulement de son amendement, mais aussi des propos qu'il vient de tenir pour la raison simple, qu'ils sont la parfaite démonstration du caractère pessimiste de tout ce que nous avons entendu ce matin : à l'écouter, tout est en danger lorsque les négociateurs sociaux se mêlent de défendre les intérêts des travailleurs, raison pour laquelle il faudrait s'en remettre à la loi pour régler le problème.
Nous pouvons, nous, apporter la démonstration contraire : le problème a été résolu, sans qu'il soit besoin de la loi pour cela. Il faut avoir confiance dans les gens, dans les syndicats, dans les négociateurs et, quelquefois aussi, dans le Gouvernement, même lorsqu'il est de droite, monsieur Ralite !
Donc, il semble que vous soyez satisfait. En effet, en réponse à une demande du ministre de la culture, qui est intervenu dans le sens que vous souhaitez - voyez qu'à droite on sait aussi régler les problèmes lorsqu'il s'agit de justice, surtout de justice sociale - l'UNEDIC a, le 2 février dernier, publié une circulaire, et pas un simple courrier, précisant les dispositions applicables aux intermittents en congé de maternité ou de maladie. Le congé maternité est donc bien visé. Ces précisions permettent de neutraliser ces congés au regard des droits à l'assurance chômage et apportent de la sorte une réponse aux préoccupations exprimées par les auteurs de l'amendement.
Cela étant, nous n'avons pas pris de position définitive avant de connaître l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. A la suite de M. le rapporteur, je confirme que le congé de maternité emporte maintien intégral de tous les droits acquis au titre de l'assurance chômage. Cela signifie que, pour les salariés intermittents du spectacle, le bénéfice des indemnités chômage est maintenu, mais que le versement en est simplement reporté à l'issue du congé de maternité, puisque cette dernière répond à d'autres règles de la sécurité sociale que celles de l'assurance chômage.
Par ailleurs, la période de congé est neutre dans le calcul de la durée d'activité et la recherche des 507 heures pour les salariés intermittents du spectacle. Au moment du réexamen des droits, la recherche des 507 heures se fera, pour les femmes de retour de maternité, sur une période plus longue que les dix mois et dix mois et demi normalement prévus par les annexes afin, précisément, de ne pas les pénaliser.
Cet amendement n'a donc pas lieu d'être.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean Chérioux, rapporteur. L'avis que M. le ministre vient d'émettre est exactement celui que la commission envisageait.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons tous reçu des courriers. J'en citerai un en particulier, celui d'une intermittente du spectacle qui explique que, du fait qu'elle est enceinte, ses droits sont rogniés et même remis en cause.
M. François Fillon, ministre. Ce n'est pas vrai !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Elle a été mal renseignée !
M. Jean-Pierre Sueur. Je sais, d'ailleurs, monsieur le ministre, mes chers collègues, que vous avez tous lu cette lettre et que, comme moi, vous comprenez que cette femme réclame que sa grossesse ne soit en rien préjudiciable par rapport à sa situation d'intermittente du spectacle et aux droits afférents, y compris à la suite des derniers « accords », que nous n'avons pas approuvés.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, d'après vous, le problème serait donc réglé.
M. François Fillon, ministre. Il l'est !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous en prenons acte. Mais alors, je ne comprendrais pas que vous ne souteniez pas l'amendement de M. Ralite.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Il est inutile !
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise, en effet, à inscrire dans la loi l'interdiction de la discrimination à l'encontre d'une femme enceinte.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous pensons que votre réaction, ainsi que les décisions prises par l'UNEDIC sont un argument fort en faveur de l'amendement n° 215. Puisque le problème s'est posé, qu'il ne se pose plus et ne doit plus se poser, inscrivons-le tout de suite dans la loi. Ce sera un signe très fort du législateur, et du Sénat, en particulier, contre toute discrimination à l'égard des femmes enceintes.
Du fait de l'importance de cet amendement, nous demandons au Sénat de se prononcer par scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote.
M. Jack Ralite. Permettez-moi de vous relire les termes de l'article additionnel que nous proposons d'insérer : « Les périodes de congé maternité ou maladie ou faisant suite à un accident de travail, indemnisées par la sécurité sociale, dont bénéficient les salariés relevant des annexes VIII et X du régime d'assurance chômage, sont assimilées à des heures de travail - à hauteur de 5,6 heures par jour d'arrêt - pour l'ouverture des droits à l'assurance chômage, quel que soit leur statut contractuel au jour de leur prise de congé. »
Excusez-moi, mais la référence « à hauteur de 5,6 heures par jour d'arrêt » n'est pas dans la lettre de l'UNEDIC ! C'est si vrai que, dès que le courrier de l'UNEDIC a été connu, il y a deux jours, un texte a été publié, déjà signé par la société des réalisateurs de films, puis par la coordination des intermittents et précaires d'Ile-de-France et par la fédération CGT du spectacle sur cette question précise. En deux jours, 6 000 signatures ont été recueillies. On comprend pourquoi !
Ecoutez Delphine Le Goueff ! « Je suis une intermittente du spectacle, j'ai trente-deux ans. S'il vous plaît, lisez-moi jusqu'au bout ! Ceci n'est pas une revendication, mais un état des lieux, un appel au secours ! Je suis enceinte de sept mois. J'exerce la profession de cameraman sur le terrain, "à la pige", c'est-à-dire avec des contrats à la journée. »
Comment peut-on aborder le problème de la maternité des personnes sous contrat à la journée, s'il n'y a pas une prise en considération plus large des problèmes ?
Delphine Le Goueff poursuit : « Bien évidemment, depuis plusieurs mois, il m'est difficile de travailler régulièrement, la caméra pesant plus de douze kilos. Aussi, je n'ai pas réussi à faire mes heures avant mon congé de maternité, alors que, jusqu'à présent, cela ne m'a jamais posé de problèmes ! Employer une femme cameraman, c'est déjà difficile, mais enceinte, alors là, c'est une illusion ! Avant la nouvelle loi sur les intermittents, il existait une réglementation qui comptabilisait 5,6 heures par jour, » - je vous renvoie à l'amendement - « durant toute la durée du congé de maternité. Ce système permettait aux femmes enceintes de faire un enfant sans être pénalisées par leur inactivité forcée et de bénéficier de leur droit au chômage à la fin de leur période d'arrêt. Là, terminé ! Je sors des ASSEDIC où je viens de m'entendre dire qu'à la fin de mon congé, en juin 2004, je ne toucherai rien ! »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils se sont trompés !
M. Jack Ralite. M. Aillagon connaissait le problème quand l'accord a été signé, parce que cela y figure explicitement. Mais il a attendu six mois pour protester ! Tant mieux qu'il ait protesté, mais on le savait avant !
Et je ne parle pas davantage du problème du droit d'auteur : il va se poser de plus en plus.
Je termine ma lecture du message de Delphine Legoueff : « Avec les anciennes dispositions, il n'était pas nécessaire d'être sous contrat de travail le jour du début du congé de maternité ; avec le nouveau protocole, il faut être sous contrat ce jour-là. » Ce jour-là ? Un jour, un contrat de travail et la maternité ! Mais c'est ne rien connaître à la vie, je dirais, à l'amour !
Elle continue : « Explication ? Comme tant d'autres, le nouveau protocole vise à aligner les annexes VIII et X sur le régime général. »
La suggestion de M. Sueur me semble très judicieuse. Admettons que je me trompe, puisque M. le ministre et M. le rapporteur affirment, eux, savoir que le problème est réglé. Eh bien, votons ! Cela nous départagera ! Si l'on ne vote pas cet amendement, c'est bien qu'il y a un lièvre quelque part. Alors, moi, je vote pour que les femmes qui travaillent dans le spectacle, conservent les droits qu'elles ont conquis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je veux dire respectueusement à M. Ralite qu'il n'a le monopole ni de la vie ni de l'amour. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) En repoussant l'amendement, nous confirmerons que cette disposition n'a pas à être inscrite dans la loi. L'affaire est réglée et, de toute façon, elle relève de la convention sur l'assurance chômage.
M. Jack Ralite. Ce n'est pas réglé !
Mme Annie David. C'est une nouvelle atteinte aux droits des femmes !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Ce qui est scandaleux, dans la lettre que vient de lire M. Ralite, c'est le fait que cette jeune femme soit employée à la journée. J'aimerais que M. Ralite mette autant de coeur et d'enthousiasme à lutter contre ceux qui, justement, l'emploient à la journée. Et je sais très bien de qui il s'agit. Ce sont souvent vos amis, monsieur Ralite, tous ces créateurs qui ne répugnent pas le moins du monde à utiliser un tel système ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jack Ralite. Je demande la parole.
M. le président. Je ne peux vous la donner de nouveau !
Je mets aux voix l'amendement n° 215.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du
scrutin n° 145
:
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour | 112 |
Contre | 205 |
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Je suis vraiment stupéfait d'une partie de la réponse que vous m'avez faite, monsieur le ministre. Que nous n'ayons pas la même lecture, après tout, c'est la marque du pluralisme, mais me dire, à moi surtout, que les artistes sont responsables des contrats à la journée,...
M. Claude Estier. C'est un peu gros !
M. François Fillon, ministre. Il y en a beaucoup qui en sont responsables !
M. Jack Ralite. ... c'est, comme le dit Claude Estier, un peu gros.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Hélas, non !
M. Jack Ralite. Il y a, s'agissant du travail intellectuel et du travail artistique, quelque chose qui ne va pas dans les propos de M. le ministre. J'en suis étonné, le connaissant.
Hier, avec M. le président Valade, nous avons reçu des chercheurs. Nous recevons ainsi, chaque semaine, des représentants des différentes professions artistiques. Au sein de la commission des affaires culturelles, nous n'avons pas tous les mêmes idées mais, sur ces questions-là, un quasi-consensus existe parce qu'il n'est pas acceptable que la matière humaine, intellectuelle, soit agressée comme elle l'est en ce moment.
Franchement, je dirai que mon rappel au règlement est en réalité un rappel à la morale.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous n'avez pas l'apanage de la morale !
M. Jack Ralite. Je ne prétends pas détenir seul la morale, mais, en tout cas, l'amendement que je défendais était un amendement de moralité civique, politique et national, et je n'y dérogerai pas. Monsieur Chérioux, ce ne sont pas là de grands mots, car il s'agit de la vie quotidienne de centaines de jeunes femmes du spectacle.
Je lisais, il y a trois jours, un article dans Libération sur les femmes et leur grossesse dans la société. On y voyait bien qu'il y avait contestation au-delà des intermittents et, dans le document que j'ai lu tout à l'heure, figurent mot pour mot mes propos mais pris dans le sens inverse par le patronat qui est contre ce qui existait dans le spectacle et qui est en train d'essayer de s'en dégager dans les périodes dites inter-contrats et de faire payer l'UNEDIC dans le cadre général.
On verra bien à ce moment-là quelle sera la réaction des uns et des autres. En tous cas, monsieur le ministre, il ne faut pas poser ainsi la situation, ou alors je ne suis plus là où je vis, c'est-à-dire dans mon pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean Chérioux, rapporteur. Qui est le nôtre aussi, figurez-vous !
A compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, lorsqu'une disposition législative du code du travail mentionne pour sa mise en oeuvre une convention ou un accord de branche qu'il soit étendu ou non, cette mise en oeuvre peut également faire l'objet d'un accord d'entreprise, à l'exception des cas visés à l'article L. 212-4, au deuxième alinéa de l'article L. 212-7 et à l'article L. 213-2 dudit code.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet article 38 permet que désormais l'application de la loi soit renvoyée directement à l'accord d'entreprise ou d'établissement sans passer, comme c'était obligatoirement le cas jusqu'à présent selon le code du travail, par des accords de branche. De facto, cela revient à donner une totale autonomie aux accords d'entreprise et d'établissement et à déséquilibrer tout l'édifice du code du travail.
Nous considérons que cet article 38, comme d'ailleurs l'article 37, n'est pas conforme à l'article 34 de la Constitution puisqu'il renvoie de façon générale, sans aucun encadrement par la loi, à la négociation d'entreprise le soin de déroger à des dispositions législatives dans des domaines que le législateur avait limitativement ouverts à la dérogation par accords de branche étendus, c'est-à-dire avec l'aval des pouvoirs publics.
Monsieur le ministre, une question a été posée à l'Assemblée nationale par notre collègue M. Alain Vidalies à laquelle vous n'avez pas apporté de réponse. C'est pourquoi je me permets de vous la poser de nouveau. Cette question, très concrète, montre la quasi-absurdité du système que vous allez mettre en place si cet article est adopté.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, selon l'article L. 212-7, alinéa 2, du code du travail, « un décret pris après conclusion d'une convention ou d'un accord collectif de branche peut porter la durée maximale hebdomadaire de travail, calculée sur une période de douze semaines consécutives, dans une branche professionnelle, de quarante-quatre à quarante-huit heures ».
L'application de cet article 38 entraînerait donc la possibilité de déroger en ce sens par accord d'entreprise.
Monsieur le ministre, est-ce que je comprends bien l'article 38 tel que vous le concevez lorsque je dis que, si cet article est adopté, il permettra de déroger aux dispositions de l'article L. 212-7, alinéa 2, du code du travail ?
Si la réponse est positive, j'en conclus qu'il faudra un décret pour ouvrir cette dérogation. Dès lors, monsieur le ministre, vous-même et vos services allez être appelés à prendre un décret chaque fois qu'un accord d'entreprie prévoira une augmentation de la durée maximale du travail. Comme il y a beaucoup d'entreprise dans ce pays, des grandes, mais surtout des petites et moyennes, si le texte reste en l'état, ce qui risque de se produire puisque vous n'avez pas déposé d'amendements, vous serez conduit à prendre une multitude de décrets.
Vous avez là la démonstration par l'absurde du caractère complètement inacceptable de ce que vous proposez de mettre en oeuvre.
A partir du moment où l'on en arrivera à un tel émiettement du droit du travail, le décret ne signifiera plus rien, puisqu'il y aura des centaines et des milliers de décrets. On touche alors du doigt la désintégration de la cohérence du droit du travail à laquelle on risque d'aboutir, cohérence pourtant tellement nécessaire. En effet, sans cohérence, il n'y aura aucune garantie d'égalité entre les entreprises. En revanche le dumping social s'installera et les leviers qui permettent au dialogue social de prospérer paraîtront.
Vous qualifiez votre texte de « loi sur le dialogue social » ; mais cette loi rendra beaucoup plus difficile le dialogue social ! Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaiterions que vous apportiez des réponses à nos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 150 est présenté par M. Chabroux, Mme Printz, MM. Sueur, Weber et Plancade, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté.
L'amendement n° 173 est présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 50 rectifié bis, présenté par M. Chérioux, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit cet article :
« I. - Le code du travail est ainsi modifié :
« 1° L'article L. 122-3-4 est ainsi modifié :
« - dans la troisième phrase du deuxième alinéa après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans la quatrième phrase du deuxième alinéa après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 2° La première phrase de l'article L. 124-4-1 est complétée par les mots : "ou de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 3° Dans le cinquième alinéa (1°) de l'article L. 124-4-4, après les mots : "de salariés de la branche de travail temporaire", sont insérés les mots : "ou si une convention ou un accord conclu au sein d'entreprise ou d'établissement de cette branche" ;
« 4° L'article L. 124-21-1 est complété par les mots : "ou de convention ou d'accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 5° L'article L. 212-4-4 est ainsi modifié :
« - dans la première phrase du premier alinéa, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans la deuxième phrase du premier alinéa, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans le deuxième alinéa, les mots : "Pour pouvoir être étendu, l'accord ou la convention collective de branche" sont remplacés par les mots : "L'accord collectif permettant les dérogations prévues au premier alinéa" ;
« - dans la première phrase du troisième alinéa, après les mots : "sociales et médico-sociales", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 6° L'article L. 212-4-6 est ainsi modifié :
« - au sixième alinéa (4°), les mots : "seul une convention ou un accord collectif de branche étendu" sont remplacés par les mots : "une convention de branche ou un accord professionnel étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement".
« - le dixième alinéa (8°) est complété par les mots : "ou convention ou accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 7° La première phrase du I de l'article L. 212-5 est complétée par les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 8° Dans la première phrase de l'article L. 212-5-2, les mots : ", conclu en application de l'article L. 122-3-16, peut, s'il est étendu, et" sont remplacés par les mots : "étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement, conclu en application de l'article L. 122-3-15, peut" ;
« 9° Dans le deuxième alinéa de l'article L. 212-6, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou par une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 10° L'article L. 213-3 est ainsi modifié :
« - dans la première phrase du deuxième alinéa, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans la deuxième phrase du troisième alinéa, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans la dernière phrase du troisième alinéa, les mots : "à défaut de convention ou d'accord de branche étendu" sont supprimés ;
« 11° L'article L. 220-1 est ainsi modifié :
« - dans le deuxième alinéa, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans le dernier alinéa, les mots : "collectif étendu" sont supprimés ;
« 12° Dans la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 221-4, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 13° L'article L. 221-5-1 est ainsi modifié :
« - dans la première phrase du premier alinéa, après les mots : "Une convention ou un accord collectif étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - le deuxième alinéa est supprimé ;
« - au troisième alinéa, les mots : "collectif étendu" sont supprimés ;
« - l'avant-dernier alinéa est ainsi rédigé :
« A défaut de convention ou d'accord, l'utilisation de la dérogation prévue au premier alinéa est subordonnée à l'autorisation de l'inspecteur du travail donnée après consultation des délégués syndicaux et avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'ils existent, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. » ;
« 14° Dans l'antépénultième alinéa de l'article L. 236-10, les mots : "la convention collective de branche" sont remplacés par les mots : "par convention ou accord collectif" ;
« II. - Le code rural est ainsi modifié :
« 1° La première phrase du I de l'article L. 713-6 est complétée par les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 2° Dans le premier alinéa de l'article L. 713-7, les mots : "ou un accord d'établissement" sont remplacés par les mots : "ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 3° Le deuxième alinéa de l'article L. 713-11 est complété par les mots : "ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 4° Dans le deuxième alinéa de l'article L. 714-2, après le mot : "étendu", sont insérés les mots : "ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« 5° L'article L. 714-3 est ainsi modifié :
« - dans la première phrase du premier alinéa, après les mots : "une convention ou un accord collectif étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - le deuxième alinéa est supprimé ;
« - au troisième alinéa, les mots : "collectif étendu" sont supprimés ;
« - le dernier alinéa est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :
« A défaut de convention ou d'accord, l'utilisation de la dérogation prévue au premier alinéa est subordonnée à l'autorisation de l'inspecteur du travail donnée après consultation des délégués syndicaux et avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'ils existent, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. » ;
« 6° L'article L. 714-5 est ainsi modifié :
« - dans le deuxième alinéa, après les mots : "collectif étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement" ;
« - dans le dernier alinéa, les mots : "collectif étendu" sont supprimés. »
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 151 est présenté par M. Chabroux, Mme Printz, MM. Sueur, Weber et Plancade, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté.
L'amendement n° 174 est présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Compléter in fine cet article par les mots suivants :
« Ainsi qu'aux articles L. 981-2, L. 981-3, L. 981-4, L. 981-5, L. 982-1, L. 982-2, L. 983-1 et L. 983-4 du code du travail. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 150.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à supprimer l'article.
Si M. le ministre avait bien voulu répondre à ma question, peut-être aurait-il convenu lui-même que, pour éviter de se trouver à la tête d'une administration chargée de mettre en place ce que j'appellerai un droit du travail « erratique », c'est-à-dire en fait un non-droit du travail, le principe du non-principe étant érigé en impératif catégorique de la pensée politique et de la pratique, il fallait retirer cet article.
Dans son rapport, M. le rapporteur a évoqué les législations des différents pays d'Europe. Partout, y compris dans les pays libéraux qui pratiquent une économie libérale depuis longtemps, le mouvement naturel consiste à mettre en oeuvre de la cohérence entre l'accord interprofessionnel, l'accord de branche et l'accord d'entreprise.
C'est cette cohérence qui donne la force que l'on connaît aux partenaires sociaux dans un certain nombre de pays, les pays anglo-saxons ou autres. Dans ces pays, où l'on reconnaît que le dialogue social doit reposer sur des partenaires sociaux forts, on a refusé d'émietter le droit du travail.
En choisissant l'émiettement du droit du travail, vous vous engagez sur un terrain très glissant, monsieur le ministre. En effet, vouloir affaiblir les organisations syndicales alors qu'elles sont déjà relativement faibles revient à laisser la place à toute une série de mouvements sporadiques, ce qui n'est pas la meilleure façon de promouvoir la contractualisation, les accords conventionnels, en d'autres termes, le dialogue social tel que l'a souhaité M. Jacques Delors, à qui vous avez prêté des idées qui sont en totale contradiction avec ce que fut son action et ce que furent ses convictions constantes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour présenter l'amendement n° 173.
M. Roland Muzeau. Il convient de lire et d'apprécier l'article 38 au regard de l'article qui le précède rompant la hiérarchie entre l'accord de branche et l'accord d'entreprise.
Poser le principe d'un renvoi à l'accord d'entreprise ou d'établissement chaque fois que le code du travail prévoit, pour la mise en oeuvre de dispositions législatives, le renvoi à une convention de branche est logique. M. le rapporteur a raison de le considérer ainsi.
Toutefois, dans la mesure où, à l'inverse de l'économie générale du présent texte, nous pensons que rien ne saurait justifier la mise à mal de l'articulation actuelle des normes des différents niveaux entre elles, sauf à vouloir gommer toute notre histoire sociale pour redessiner les contours d'un nouveau pacte social emportant l'adhésion des seules organisations patronales, vous comprendrez que nous refusions de voir cette suppression du domaine réservé aux conventions de branche comme étant « possible et souhaitable ».
Cette ouverture du champ de la négociation collective dans l'entreprise à des sujets jusqu'alors réservés à la branche, principalement la mise en oeuvre des dérogations autorisées par la loi en matière de durée du travail, est condamnable dans son principe même.
Vous vous appuyez, monsieur le ministre, sur l'introduction dès 1982 de normes conventionnelles dérogatoires à la loi. Vous dites aussi, conscient des dérives et des changements induits dans la nature même des négociations - le fameux « donnant-donnant » -, n'ouvrir aucun champ nouveau de dérogation. Je vous rappelle néanmoins que cela a été le cas lorsque vous avez introduit, dans l'un de vos premiers textes, qui retouchait la loi de modernisation sociale, la possibilité de fixer conventionnellement le régime des heures supplémentaires.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Roland Muzeau. Je vous signale également que vous amplifiez le principe de l'accord dérogatoire, c'est le moins que l'on puisse dire, certes au regard des normes conventionnelles, mais le champ ouvert est tellement large que l'on peut légitimement s'inquiéter du fait que, par simple accord d'entreprise, il soit possible de ne pas respecter des dispositions pourtant importantes du code du travail - dispositions relatives à la réduction du délai de prévenance, à la limitation du nombre d'interruptions d'activité pour les salariés contraints par la modulation du temps partiel... Je pourrais prendre d'autres exemples, la liste est longue sans pour autant être exhaustive.
Notre rapporteur reconnaît cette difficulté technique puisqu'il essaie lui aussi de réécrire le présent article afin de mieux cerner l'étendue du renvoi à l'accord d'entreprise.
Pour un gouvernement plaçant au coeur de ses priorités la simplification du droit du travail afin de rendre ce dernier plus lisible, c'est vraiment faire preuve en l'occurrence d'une grande contradiction !
Permettez-moi enfin d'objecter que l'article 38, élément clé du nouveau dispositif, n'est pas sans risque d'inconstitutionnalité. Seul le Premier ministre étant compétent, aux termes de l'article 21 de notre Constitution, pour définir par décret les modalités d'application de la loi, il convient de s'interroger sur le caractère généralisé du renvoi à l'accord d'entreprise.
Toutes ces raisons plaident en faveur de la suppression de l'article 38. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter notre amendement n° 173.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 50 rectifié bis.
M. Jean Chérioux, rapporteur. L'article 38, en cohérence avec l'ensemble du projet de loi, tire les conséquences des possibilités accrues de décentralisation de la négociation collective au niveau de l'entreprise.
Il prévoit que, si le code du travail renvoie à un accord de branche le soin de mettre en oeuvre une disposition législative, cette mise en oeuvre peut se faire aussi par accord d'entreprise.
Mais, en se contentant de poser ce seul principe, il n'est pas sûr que cet article réponde pleinement aux exigences de clarté de la loi en ne répertoriant pas précisément les différentes dispositions législatives concernées.
Cet amendement procède à une énumération et décline alors ce principe, disposition par disposition, tout au long du code du travail et du code rural en le codifiant. Il reprend bien entendu les trois exceptions aux principes déjà posés par l'article 38, à savoir la mise en place d'horaires d'équivalences, la définition du travailleur de nuit et la durée maximale hebdomadaire de travail.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 151.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à exclure des dispositions de l'article 38 les articles du code du travail relatifs au contrat et à la période de professionnalisation qui font partie du titre Ier du présent projet de loi et qui correspondent à la volonté des partenaires sociaux, telle qu'elle s'est exprimée dans le cadre de l'accord du 20 septembre 2003.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour présenter l'amendement n° 174.
M. Roland Muzeau. Le code du travail renvoie régulièrement à l'accord collectif - principalement à l'accord de branche, mais aussi régulièrement à l'accord d'entreprise - le soin de définir les conditions dans lesquelles sont mises en oeuvre certaines dispositions législatives.
Dans certains cas, il s'agit de favoriser l'adaptation des principes fixés par la loi aux spécificités d'une profession. En conséquence, en l'absence d'accord, les modalités d'application des règles générales posées par la loi sont définies par un décret, et donc de manière supplétive.
Dans d'autres cas, il s'agit de mettre en oeuvre des dérogations autorisées par la loi aux dispositions qu'elle prescrit, là encore pour prendre en compte les spécificités de certaines professions ou entreprises.
Mais, en l'absence d'accord, les prescriptions législatives s'appliquent directement. C'est pourquoi ces possibilités existent avant tout dans le domaine de la durée du travail, qui reste le domaine privilégié des accords dérogatoires.
Le présent article, qui tire les conséquences de la plus grande autonomie de l'accord d'entreprise introduite à l'article 37, prévoit que, si le code du travail renvoie à un accord de branche le soin de mettre en oeuvre une disposition législative, cette mise en oeuvre peut également se faire par accord d'entreprise.
Il vise donc à généraliser le renvoi à l'accord d'entreprise ou d'établissement chaque fois que le code du travail prévoit le renvoi à une convention ou à un accord de branche pour la mise en oeuvre d'une disposition législative.
Nous souhaitons, par le présent amendement, que les dispositions introduites par le titre Ier du projet de loi concernant la formation professionnelle s'ajoutent à la liste des dispositions ne pouvant pas faire l'objet d'accords d'entreprise.
Sa rédaction ajoute une nouvelle exception aux deux exceptions déjà posées par la rédaction initiale : la durée maximale hebdomadaire de travail visée à l'article L. 212-7. On est ici dans une logique comparable à celle de la mise en place des horaires d'équivalence dans la mesure où il ne peut être dérogé à cette durée maximale hebdomadaire de travail que par un accord de branche validé par décret ultérieur.
Or nos débats sur la formation professionnelle ont montré que, lorsqu'elle est inscrite dans le temps de travail, la formation professionnelle implique des accords parfois particuliers, même si nous restons inquiets du caractère stratégique de la division pour régner qui l'accompagne.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Chérioux, rapporteur. La commission a souhaité ouvrir un champ plus large aux accords d'entreprise. J'ai déjà insisté sur le caractère très encadré de cette ouverture, dont l'amendement n° 50 rectifié bis de la commission circonscrit d'ailleurs très clairement le champ.
La commission est donc défavorable aux amendements de suppression n°s 150 et 173.
Quant aux amendements n°s 151 et 174, ils sont satisfaits par l'amendement n° 50 rectifié bis, et la commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Je répondrai d'abord à la question précise de M. Sueur, qui voulait savoir si chaque accord d'entreprise devrait faire l'objet d'un décret. La réponse est bien évidemment « non ». Dès lors que la loi renvoie à un accord de branche validé par un décret, il n'est pas possible de s'en remettre à un accord d'entreprise. La rédaction de l'amendement n° 50 rectifié bis de la commission aurait d'ailleurs dû éclairer M. Sueur sur ce point.
En tout cas, cet échange illustre bien l'intérêt d'une rédaction explicite, comme le préconise M. le rapporteur. (M. Jean-Pierre Sueur s'exclame.)
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les deux amendements n°s 150 et 173.
En revanche, il est favorable à l'amendement n° 50 rectifié bis. Il est en effet souhaitable de préciser explicitement les sujets sur lesquels il est possible de négocier au niveau de l'entreprise ou de l'établissement. En retenant une rédaction article par article, l'amendement permettra une mise en oeuvre plus claire et plus précise de ces nouvelles dispositions et, en cela, il répond davantage aux exigences de clarté et d'intelligibilité de la règle de droit, qui sont tout autant des principes de droit constitutionnel rappelés de façon constante par le Conseil constitutionnel que des exigences juridiques permettant une bonne application du droit du travail.
Enfin, comme la commission, et pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements n°s 151 et 174.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De façon sinon exceptionnelle, du moins unique sur ce texte, et par cohérence avec le travail effectué par la commission, je demande la priorité du vote de l'amendement n° 50 rectifié bis.
En effet, la commission est défavorable aux amendements de suppression, et les amendements n°s 151 et 174 seraient satisfaits par l'adoption de l'amendement n° 50 rectifié bis.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. François Fillon, ministre. Favorable.
M. le président. La priorité est ordonnée.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 50 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais remercier M. le ministre de sa réponse précise et prendre acte du fait que l'amendement n° 50 rectifié bis intègre une proposition à laquelle nous sommes favorables.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela dit, nous sommes défavorables à l'amendement n° 50 rectifié bis, qui tend à réécrire l'article 38, dont il ne change pas la philosophie générale, même s'il en aménage certaines dispositions.
M. Roland Muzeau. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. A cet égard, je souhaite préciser notre conception.
Nous considérons qu'un juste équilibre entre la loi, d'une part, les conventions, les accords, le dialogue contractuel, d'autre part, est nécessaire. Il est absurde de considérer que la loi n'a pas d'objet en cette matière, comme il est absurde de considérer qu'elle doit tout prévoir ; en effet, le rôle du dialogue entre les partenaires sociaux est bien sûr absolument essentiel.
Mais, pour cela, les partenaires sociaux doivent être forts, responsables, crédibles, et disposer des moyens de la responsabilité et de la crédibilité.
Nous sommes persuadés que tout cela n'a de sens que dans une hiérarchie des normes où s'applique ce principe de faveur, dans le cadre d'une organisation définissant clairement ce qui relève respectivement des accords interprofessionnels, des accords de branche et des accords d'entreprise.
Or votre objectif - et nous le regrettons vraiment - est de remettre tout cela en cause de manière à faire éclater en une myriade de droits particuliers ce qui, en vertu de la Constitution, doit être un droit à caractère général.
Si l'article 38 est adopté, la conclusion du contrat de travail à durée déterminée, le travail temporaire, le contingent des heures supplémentaires, les dérogations à durée quotidienne et hebdomadaire du travail, la dérogation au repos quotidien de onze heures, les équipes de suppléance, etc., ne seront, de fait, plus garantis par les accords de branche ou par les accords interprofessionnels. Ce serait donc vraiment un changement complet du paysage, et cela reviendrait à enlever des capacités de négociation aux partenaires sociaux dans leur diversité.
Par ailleurs, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'appelle votre attention sur l'accord du 12 décembre 2001 conclu dans le secteur de l'artisanat : il concerne 800 000 entreprises, deux millions de salariés et plus de quinze branches professionnelles de l'artisanat et a été signé par toutes les organisations syndicales, y compris par l'UPA, l'Union professionnelle artisanale, et par la CAPEB, la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment, l'une et l'autre représentantes du patronat dans ce secteur d'activité.
Cet accord dispose ceci : « La complexité croissante du droit du travail et de la formation professionnelle ainsi que la nécessité d'adapter les modes d'organisation du travail aux évolutions de l'emploi, des technologies, des besoins de la clientèle, des règles de la concurrence font de la branche professionnelle le niveau le plus approprié pour l'élaboration des dispositions les mieux adaptées aux besoins des entreprises artisanales et de leurs salariés. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela a été dit en commission !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela a été dit, mais je le répète, parce que voilà un secteur où employeurs et salariés mettent en avant le caractère complexe et difficile de ces dispositions pour une petite entreprise.
Ils estiment positif que des accords de branche prennent les décisions importantes, étant entendu que des décisions plus favorables peuvent toujours intervenir au niveau de l'entreprise en vertu du principe de faveur que vous voulez mettre à mal.
Monsieur le ministre, pourquoi allez-vous à l'encontre de cette déclaration de bon sens et, finalement, de ce souhait des employeurs et des salariés du monde de l'artisanat et des petites entreprises ?
M. le président. je mets aux voix l'amendement n° 50 rectifié bis.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 38 est ainsi rédigé et les amendements n°s 150, 173, 151 et 174 n'ont plus d'objet.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Bernard Angels.)