QUESTION PRÉALABLE

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Question préalable (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo, M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° I-39, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale (n° 72, 2003-2004). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Borvo, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, si je défends, au nom du groupe communiste républicain et citoyen cette question préalable, c'est parce que le budget de l'Etat est la traduction éminemment significative de l'ensemble de la politique de régression sociale du Gouvernement.

Cette politique est d'ores et déjà impopulaire. M. le Premier ministre en fait les frais.

Elle est impopulaire, parce qu'elle est dure pour la grande majorité de nos concitoyens, clémente pour les plus riches.

Mais elle est aussi inefficace, puique les objectifs affichés par le Premier ministre, sécurité et emploi, sont jusqu'ici en échec.

L'insécurité sociale, mère de toutes les insécurités, est toujours aussi grande, le chômage demeure inquiétant et la croissance est au point mort. Pourtant, le Gouvernement continue, sous la responsabilité du Président de la République, son entreprise d'envergure.

Il mène une véritable politique de restauration libérale qui, s'appuyant sur le développemnt de la mondialisation capitaliste, s'attaque aux principes de solidarité et d'égalité qui fondent la spécificité de la République française.

Vous avez vos modèles : les intégristes libéraux, qu'ils soient du Royaume-Uni, d'Italie ou d'Espagne.

Vous menez une bataille idéologique de grande ampleur, qui, selon M. Edouard Balladur, « n'est pas finie ». Ces mots ont le mérite de la franchise !

L'offensive libérale est d'un rare dogmatisme.

Il faut reconnaître qu'aujourd'hui sont, ou étaient, présents dans l'hémicycle des orfèvres en la matière.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie estime ainsi que la France est une grande entreprise qui doit être managée.

En affirmant, le 14 octobre dernier, devant les députés, que « la nécessité de maîtriser les dépenses et de réformer est aujourd'hui mieux comprise que l'année dernière », n'affichait-il pas une certitude idéologique qui confine à l'aveuglement ?

Ces propos ne sont pas particulièrement modernes. Ce sont même de vieux poncifs libéraux. Les chômeurs, par exemple, ne cherchent pas vraiment d'emploi, il faut les mettre au travail ! Pourtant, le RMA, créé à cet effet, ne leur offre pas vraiment un emploi, mais il permet vraiment aux patrons de faire des économies.

« Les riches font des efforts pour être riches, il faut les récompenser », estime encore M. le ministre, qui affirme aussi que « ceux qui paient beaucoup d'impôts, c'est qu'ils gagnent beaucoup d'argent. Entre nous, s'ils gagnent beaucoup d'argent, c'est qu'ils le méritent. Cela veut dire qu'ils apportent à la société une valeur supérieure à ceux qui gagnent moins d'argent ». Lui qui connaît la hiérarchie actuelle des revenus, veut-il dire qu'un individu peut valoir 100 ou 200 fois plus qu'un autre, voire davantage encore ? J'aurais aimé connaître sa réponse !

Si je peux comprendre ce choix de défendre les spéculateurs, j'estime que de tels propos sont déplacés dans la bouche d'un ministre de la République, dont l'objectif devrait tout de même être la défense de certaines valeurs et de l'ensemble de la population.

Or les valeurs qui sont véhiculées sont celles de l'argent roi et de la course au profit comme idéal, au détriment de la solidarité, de la justice sociale et de l'égalité, qui, bien entendu, n'est pas l'égalitarisme. Il est bien trop commode de faire un trait d'égalité entre les deux !

L'accumulation pour l'accumulation et le règne des stocks options, dont on ne nous a pas beaucoup parlé, devraient être dénoncés.

Pourriez-vous, monsieur le ministre délégué, nous faire part de votre expérience des milieux d'affaires pour nous aider à réduire l'extraordinaire avantage que constitue cette manne financière mise à disposition des plus fortunés, notamment d'individus comme MM. Messier ou Bilger, ancien président-directeur général d'Alstom ?

Ce projet de budget répond en tous points à vos objectifs libéraux.

Plusieurs mesures symbolisent cette démarche, et je souhaite vous en rappeler quelques-unes.

Le dogme de la baisse des impôts, que nous avons toujours combattu pour notre part quels qu'en soient les initiateurs, relève pleinement de la rhétorique libérale.

Cette baisse des impôts appliquée contre vents et marées, y compris contre Bruxelles, avantage les contribuables les plus aisés et, par là même, la spéculation financière ou immobilière, car la part dégagée ne s'oriente que très peu vers la consommation. C'est un fait.

Deux séries de chiffres résument à mon sens cette mesure injuste par essence, qui tourne le dos aux principes républicains en la matière.

Tout d'abord, je rappelle une réalité : en 2001, la TVA, impôt injuste puisqu'il frappe le consommateur qu'il soit milliardaire ou smicard, rapportait 105 milliards d'euros.

Le produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, qui frappe indistinctement le conducteur de Ferrari ou de Renault, s'élève à 22,8 milliards d'euros et, enfin, celui de l'impôt sur le revenu, qui lui est progressif, atteint 47,9 milliards d'euros.

Ces chiffres montrent la voie d'une réforme démocratique de la fiscalité. Il est urgent de rééquilibrer la participation aux recettes de l'Etat entre impôt indirect et impôt direct progressif.

J'aurais pu également faire référence aux impôts locaux, dont l'augmentation, nous dit-on, n'est pas imputable au Gouvernement mais dont la progressivité est en tout cas insuffisante. Et chacun sait dans cette enceinte qu'ils vont augmenter à la suite des transferts que la majorité du Sénat a votés voilà quelques jours.

Votre choix, monsieur le ministre délégué, n'est pas d'alléger de manière générale les prélèvements obligatoires. Votre choix vise à privilégier les plus riches et à maintenir la pression sur les plus pauvres, sur les salariés les plus modestes, sur l'immense majorité de la population.

La deuxième série de chiffres est éloquente à cet égard : 16 700 000 foyers fiscaux sont imposables, 17 400 000 ne le sont pas et sont donc d'emblée écartés du bénéfice de la baisse de l'impôt sur le revenu.

Les premiers bénéficient de 1,65 milliard d'euros, une partie des seconds recueillera 500 millions de hausse de la prime pour l'emploi, soit plus de trois fois moins.

En effet, 8 millions de foyers défavorisés recevront 80 euros au titre de cette prime et 14,13 millions de contribuables à revenus moyens recevront 50 euros par foyer. En revanche, et c'est cela qui nous apparaît inacceptable et que vous tentez de dissimuler derrière de vastes campagnes de communication - d'ailleurs M. le ministre disait tout à l'heure qu'il fallait communiquer davantage encore -, c'est le fait que cette baisse de l'impôt sur le revenu permette à 1 570 000 contribuables à revenus élevés de bénéficier de 520 euros de ristourne.

Comment mieux démontrer l'injustice de votre proposition ?

Nous sommes en profond désaccord, je l'ai dit, avec ce dogme de la réduction des baisses d'impôts qui accompagne, bien entendu, le dogme de la réduction des dépenses publiques. Mais je note que le Gouvernement n'a même pas proposé une réduction dégressive de l'impôt. C'est vraiment du libéralisme brut de décoffrage !

Cette option s'accompagne, bien entendu, d'une forte poussée d'exonération des charges sociales à hauteur de 18 milliards d'euros.

Au total, plus de 4 milliards d'euros de réduction de prélèvements obligatoires sont prévus, dont 2 milliards d'euros au profit des entreprises.

Si nous ne pouvons qu'approuver l'augmentation de la réduction de l'impôt au titre des frais de dépendance, toujours extrêmement basse, cela masque mal la longue liste d'avantages destinés aux plus favorisés.

Les plus-values immobilières sont baissées, les donations favorisées et l'épargne retraite encouragée.

Sur ce dernier point, l'insistance du Gouvernement montre bien que l'ambition est de favoriser la capitalisation en matière de retraite. Que n'avons-nous pourtant entendu de ministres nous dire, ici même, qu'ils sauvaient la retraite par répartition !

L'encouragement fiscal à la capitalisation, qui ne concernera de fait que les foyers imposables, montre bien que la direction prise consiste en un système de retraite à deux vitesses : a minima pour ceux qui devront se satisfaire de reliquats de répartition, plus favorable pour ceux qui auront la capacité d'épargner.

Je tiens à noter que ces mesures accentuent la tendance forte à l'épargne que connaît la France. Avec plus de 17 % de taux d'épargne, l'orientation n'est pas à la croissance. C'est un fait ; mais plutôt que de flatter cette épargne, résultat de la crainte du chômage ou d'une vieillesse démunie, il serait nécessaire de réorienter fortement l'épargne vers la consommation et vers la production.

Un autre type d'épargne, tourné vers la croissance, vers le développement industriel, pourrait être relancé. Je ne parle pas seulement d'une juste revalorisation du CODEVI ou du Livret A, mais aussi de l'engagement d'emprunts d'Etat pour permettre la mise en oeuvre de grands travaux ou d'une politique offensive de réindustrialisation, qui ne semble pas à l'ordre du jour.

Monsieur le ministre délégué, cela n'est pas du marxisme.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Ah ?

Mme Nicole Borvo. Même au sein de la réflexion capitaliste, des voies différentes existent et vous le savez bien.

Les choix de l'Europe qui se construit aujourd'hui et les principes de Maastricht relèvent d'une lecture financière de l'économie de marché.

D'autres choix peuvent être faits. Cette idée de grands travaux financés par voie d'emprunt n'a-t-elle pas été envisagée fortement, il y a quelque temps, avant les années de plomb, ou d'or - selon le point de vue duquel on se place -, de la Banque centrale européenne ?

Monsieur le ministre délégué, pourquoi occulter le débat sur ce type de politique alternative ? Vous le refusez, car votre idéologie n'est pas celle de la croissance.

Face aux mesures d'allégement de l'impôt et des charges, le budget et, plus généralement, la politique du Gouvernement sont marqués par la restriction du pouvoir d'achat des salariés ou des chômeurs, par l'appel à la solidarité à sens unique.

Certes, le Gouvernement ne renonce pas à la solidarité, mais au bénéfice de certains seulement et en écartant les autres.

Comment ne pas évoquer la réduction du forfait hospitalier, la suppression d'un jour férié, l'accroissement de 3 % de la taxe sur le gazole ou la culpabilisation des RMistes découlant de l'idéologie anti-pauvres qui marque la politique de l'actuel gouvernement ?

Ces décisions, tout autant que la réduction des dépenses publiques, visent à asséner des idées. Il est quand même hautement significatif que, à la suite de la canicule, l'on fasse payer, pour l'essentiel, la facture de la solidarité vieillesse par les salariés ou que l'on supprime partiellement l'ASS.

Quand M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie déclarait, voilà deux jours, avec un cynisme qui, personnellement, me glace, que « le licenciement fait partie de la vie industrielle », il manifestait que, pour vous, les salariés sont non plus des femmes, des hommes en chair et en os, mais des variables d'ajustement. Sait-il que ce sont 130 000 personnes et, demain, 300 000 qui ne bénéficieront plus de l'ASS, cette aide indispensable à leur survie ?

La suppression de l'ASS est une disposition immorale. Elle démontre l'inhumanité profonde de ce gouvernement.

Evidemment, nous ne sommes pas les seuls à critiquer ce projet de budget, puisqu'il n'a été voté, à l'Assemblée nationale, que par les députés de l'UMP.

Cela étant, si M. Bayrou, de manière très médiatisée, s'est fait le héraut d'une certaine justice sociale, il existe des différences entre lui et nous dans la critique.

A cet égard, l'explication de vote donnée pour le groupe de l'UDF par M. Charles-Amédée de Courson parle d'elle-même. Il a dénoncé l'insuffisante réduction des dépenses publiques et stigmatisé l'absence de réforme en matière d'assurance maladie et de retour en arrière s'agissant des 35 heures. Il a également regretté la réforme de l'avoir fiscal, la jugeant un peu trop défavorable aux actionnaires.

Les positions adoptées par l'UDF ne peuvent faire oublier son soutien et sa participation au Gouvernement. Elles ne peuvent faire oublier le vote de la réduction de l'ISF à l'occasion de la discussion du projet de loi pour l'initiative économique ni même, lors de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, l'attitude des députés de l'UDF s'agissant de la question des biens ruraux.

Ce projet de budget est profondément libéral et va à l'encontre d'une juste redistribution des richesses, essentielle pour le redémarrage d'une croissance dont les fruits devront être partagés.

Comment ne pas constater que la baisse des impôts et des charges patronales contribue à l'accroissement de l'épargne financière, tandis que s'accentue la pénurie de moyens pour les services et entreprises publics ?

En effet, c'est bien là la seconde grande caractéristique de votre projet de budget, monsieur le ministre : la réduction des dépenses publiques. Ce n'est pas la quasi-récession qui la justifie, puisqu'il s'agit pour vous d'une affaire de principe : l'Etat doit se replier sur ses fonctions régaliennes afin de céder la place au marché. Les préceptes des écoles libérales anglaises du xixe siècle sont parfaitement respectés. Là non plus, rien de très moderne !

Ces préceptes sont respectés jusqu'à la caricature. Seuls trois budgets sont en progression : ceux de la défense, de la justice et de l'intérieur.

Ce constat souligne l'effet d'affichage visé au travers d'autres volets de la politique gouvernementale. On est loin du discours présidentiel de Valenciennes. On est loin des effets de manches de M. Borloo, puisque son budget, celui du logement, est en forte régression.

Face au mouvement social, les assauts programmés contre le service public de l'éducation nationale ont été revus à la baisse. Cependant, 5 000 postes sont malgré tout supprimés, compte non tenu du départ, toujours prévu, de 23 000 maîtres d'internat et surveillants d'externat.

Détrompez-vous, monsieur le ministre, notre peuple n'est pas résigné. La colère gronde, le mouvement naissant dans les universités, la rage des salariés dont les entreprises ferment le démontrent chaque jour. Bientôt, vous devrez rendre des comptes.

Votre politique s'apparente, depuis le mois de juin 2002, à un coup de force libéral permanent. Ce sentiment croît à l'approche d'échéances électorales qui, vous le savez, vous sanctionneront.

Ce jeu est dangereux pour la démocratie, car le 21 avril et, surtout, le 5 mai 2002 n'avaient en rien validé cette politique, profondément réactionnaire puisque vous tentez de restaurer les rapports sociaux et économiques qui prévalaient au xixe siècle. Vous semez la désespérance et la désillusion et, hélas ! vous favorisez la rancoeur et la colère, qui peuvent déboucher sur le développement de l'abstention et le succès du populisme d'extrême droite, qui se nourrit de ce terreau.

Une autre politique est possible, fondée sur la relance de la consommation populaire et de la production dégagée des ambitions financières.

Monsieur le ministre, nous rejetons clairement vos choix libéraux, désespérants pour notre peuple, et nous proposons au Sénat d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2004. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. J'indiquerai brièvement que cette motion me semble prometteuse ! En effet, l'écart qui existe entre les raisonnements tenus de part et d'autre me paraît justifier que, au cours de la discussion de ce projet de loi de finances, article après article, nous exposions en toute clarté, en toute transparence, nos conceptions des choses.

Pour ma part, je me sentirais frustré si nous ne devions les exprimer qu'une seule fois, lors de la discussion générale. (Sourires.) Mes chers collègues, pour enrichir le débat démocratique de nos différences, il convient donc de rejeter cette motion afin de pouvoir poursuivre jusqu'à son terme l'examen du projet de loi de finances. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Alain Lambert, ministre délégué. Défavorable.

M. le président. Personne ne demande la parole ?

Je mets aux voix la motion n° I-39, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2004.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Première partie

6

NOMINATION D'UN MEMBRE

DE LA DÉLÉGATION DU SÉNAT

POUR L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Pierre Vial membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, en remplacement de notre regretté collègue Emmanuel Hamel.

7

TRAITÉ AVEC LE ROYAUME-UNI

DE GRANDE-BRETAGNE

ET D'IRLANDE DU NORD

RELATIF À LA MISE EN OEUVRE

DE CONTRÔLES FRONTALIERS

DANS LES PORTS MARITIMES

Adoption d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation du traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays
Art. unique (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 433 rectifié, 2002-2003) autorisant l'approbation du traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays. [Rapport n° 8 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la création de la liaison fixe transmanche a entraîné la signature, le 25 novembre 1991, du protocole de Sangatte relatif aux contrôles frontaliers, qui prévoyait que ceux-ci seraient exercés dans deux bureaux à contrôles nationaux juxtaposés, sis à Fréthun et à Folkestone.

La montée en puissance de l'immigration irrégulière, à destination ou en provenance de leurs territoires respectifs, telle qu'enregistrée au cours de ces dernières années par la France et la Grande-Bretagne, a conduit les deux Etats à convenir de dispositions communes pour maîtriser ce phénomène.

Tout d'abord, l'accord initial a été complété par le protocole additionnel du 29 mai 2000, prévoyant la création de six nouveaux bureaux de contrôles binationaux dans des gares britanniques et françaises.

Néanmoins, l'afflux d'immigrés tentant de franchir illégalement la frontière pour bénéficier de la législation du travail britannique, en dépit d'ailleurs du récent durcissement de cette dernière, ne s'est pas tari après la fermeture du centre d'accueil de Sangatte et a maintenant tendance à se répartir entre les différents ports à partir desquels est assurée une liaison avec la Grande-Bretagne.

Afin de résoudre ce nouveau problème, les deux pays ont signé, le 4 février 2003, lors du sommet franco-britannique, le traité dit du Touquet.

Ce traité constitue le fondement juridique sur lequel reposera la mise en place de structures communes de contrôles frontaliers autorisant un meilleur contrôle des personnes, des véhicules et du fret. Il a pour objet la lutte contre l'immigration irrégulière à destination ou en provenance de Grande-Bretagne.

La mise en place de bureaux de contrôles nationaux juxtaposés dans les ports de la Manche et de la mer du Nord des deux Etats est donc apparue nécessaire. Le dispositif s'inspire de celui qui existait, pour les pays limitrophes de l'Hexagone, avant l'entrée en vigueur de l'accord de Schengen. Il ne subsiste aujourd'hui de tels bureaux qu'avec la Suisse et la Principauté d'Andorre.

Désormais, les agents de l'Etat d'arrivée seront autorisés à exercer des contrôles migratoires dans des bureaux de contrôle juxtaposés et à retenir pour interrogatoire, pendant une durée de vingt-quatre heures renouvelable une fois, les personnes suspectes d'enfreindre la législation sur l'immigration. Ce délai sera principalement utilisé pour enquêter sur les officines de fourniture de faux documents.

L'entrée en vigueur du traité permettra la mise en place, du côté français, d'un bureau de contrôles nationaux juxtaposés à Calais, qui sera suivie de celle de deux autres, situés l'un à Boulogne, l'autre à Dunkerque.

Ce traité illustre l'excellente coopération, dans le domaine très sensible de l'immigration et de la lutte contre les filières clandestines, entre les deux pays. La France, qui est la frontière extérieure de l'Union européenne, dans la mesure où la Grande-Bretagne n'est pas partie aux accords de Schengen, assume ainsi ses obligations envers ses partenaires européens.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays et qui fait l'objet du projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces dernières années, le Royaume-Uni a dû faire face à une augmentation continue de la pression migratoire en direction de son territoire, qui s'exerce notamment par la voie des demandes d'asile et fait de ce pays l'Etat membre de l'Union européenne destinataire du plus grand nombre de ces demandes.

Le Gouvernement britannique a progressivement restreint un dispositif d'asile traditionnellement très accueillant en matière d'accès au travail et aux prestations sociales.

Ces modifications législatives n'ont pas rendu moins attirant le territoire britannique aux yeux des candidats à l'immigration. Le Gouvernement britannique a donc cherché à fermer davantage les frontières du pays aux immigrants, en agissant notamment pour réduire le nombre de personnes transitant par le département français du Pas-de-Calais. Ce débat s'est cristallisé, on s'en souvient, autour du fonctionnement du centre de Sangatte.

Un dispositif de contrôle renforcé a été mis en place par le biais du protocole de Sangatte et de son protocole additionnel pour les personnes qui empruntent la liaison ferroviaire. C'est un dispositif comparable que le projet de loi qui nous est soumis vise à mettre en place pour la liaison maritime. Il convient d'ailleurs d'indiquer que c'est précisément cette liaison maritime qu'emprunte la plus grande partie des voyageurs à destination du Royaume-Uni.

C'est le choix britannique de demeurer en dehors de l'espace Schengen qui rend nécessaire la conclusion de ces accords bilatéraux. Au demeurant, la France est normalement tenue d'opérer des contrôles particuliers à la frontière franco-britannique, cette frontière étant, au sens de la convention de Schengen, une frontière extérieure qui appelle un contrôle « approfondi ».

L'objet principal du traité du Touquet est de donner une base juridique à l'exercice de contrôles frontaliers d'entrée sur le territoire d'un Etat avant l'embarquement des navires à destination de cet Etat, ce contrôle étant effectué par ses propres agents.

Plus concrètement, le texte prévoit la création de bureaux dits « à contrôles nationaux juxtaposés », ou BCNJ, où les contrôles de sortie du territoire sont effectués par les agents de l'Etat de départ et sont immédiatement suivis des contrôles d'entrée sur le territoire, effectués par les agents de l'Etat d'arrivée.

Des zones de contrôle seront définies dans les ports de Calais et de Douvres, dans un premier temps, où les agents de l'Etat d'arrivée disposeront, en matière de contrôles frontaliers, des mêmes prérogatives que celles dont ils jouissent sur leur propre territoire, la législation de l'Etat d'arrivée relative à l'immigration étant applicable dans ces zones, avec les mêmes conséquences en cas d'infraction. Il s'agit de la transposition, dans les ports, des bureaux installés à Cheriton, sur le territoire britannique, et à Coquelles, sur le territoire français, dans les installations terminales de la liaison transmanche.

Le texte peut couvrir l'ensemble des contrôles frontaliers, mais il précise que les arrangements prévus pour sa mise en oeuvre concerneront, dans un premier temps, les services de l'immigration.

En cas de refus d'entrée d'une personne sur le territoire de l'Etat d'arrivée, le texte prévoit que l'Etat de départ sera tenu de la reprendre.

Le traité précise également le partage du traitement des demandes d'asile : toutes les demandes formulées avant le départ définitif du navire devront être traitées par l'Etat de départ, même si la demande est faite après les contrôles d'entrée.

Cette stipulation devrait décharger le Royaume-Uni du traitement d'un certain nombre de demandes d'asile, dans la mesure où, lorsqu'il n'est pas possible de déterminer le parcours d'un demandeur d'asile, ce qui est souvent le cas, la demande d'asile doit être traitée, en vertu des règles communautaires, par le pays qui la reçoit.

Le texte définit le régime applicable aux agents de l'Etat d'arrivée qui, dans l'exercice de leur mission et à l'intérieur de la zone de contrôle, relèvent exclusivement de la législation de l'Etat d'arrivée.

Tels sont, mes chers collègues, les objectifs et les enjeux liés au traité du Touquet. En visant à résoudre une question ponctuelle qui se posait entre la France et le Royaume-Uni, ce texte illustre les difficultés de concilier libre circulation des personnes et maîtrise de l'immigration au sein de l'espace européen.

En effet, les contrôles aux frontières maritimes européennes sont souvent lacunaires, et les différences de législation en matière d'immigration et de contrôle conduisent à détourner les flux vers certains pays. Cette question appelle manifestement une réponse européenne, s'agissant tant de la gestion des frontières extérieures, où il convient de mettre en oeuvre la solidarité financière européenne, que d'une législation commune en matière d'asile, sur laquelle les convergences semblent particulièrement difficiles à obtenir.

Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.

Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regretterai tout d'abord, au nom de mon groupe, que nous n'ayons été avertis qu'hier soir de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de ce projet de loi.

Pourtant, le sujet traité ici aurait mérité une autre place dans les travaux de la Haute Assemblée, tant les problèmes en matière d'immigration et de droit d'asile sont importants.

Ce traité bilatéral entre la France et le Royaume-Uni relatif aux contrôles frontaliers dans les ports de la Manche et de la mer du Nord des deux pays s'inscrit dans la droite ligne de textes déjà discutés dans cet hémicycle.

Ainsi, depuis l'ouverture de la session parlementaire, nous avons eu l'occasion de débattre du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France et du projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avons pu alors dénoncer les dérives ultra-sécuritaires qui les sous-tendaient et la prise en compte du seul aspect comptable du problème.

Je ne reviendrai pas ici sur les positions que nous avons défendues en ces occasions, mais sans doute est-il nécessaire de rappeler quelques travers des réformes engagées par le Gouvernement ou à l'échelon européen.

Le projet de loi portant approbation du traité entre la France et le Royaume-Uni relatif aux contrôles frontaliers dans les ports de la Manche et de la mer du Nord des deux pays a pour vocation de représenter une étape supplémentaire dans le renforcement de la coopération franco-britannique dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine.

Or il présente toutes les déviances déjà constatées en la matière, alliant à la fois la stigmatisation des immigrants et l'amalgame entre immigration et asile politique. Rappelez-vous, mes chers collègues, que, lors de la réforme du droit d'asile, je vous mettais déjà en garde contre cet amalgame intolérable pour les demandeurs d'asile.

Ces derniers sont touchés dans leur chair et leur esprit. Leur survie dépend souvent de la possibilité de demander à être accueillis dans nos pays. Les désigner comme des « clandestins-profiteurs » est indigne d'un pays comme la France, patrie des droits de l'homme, où le droit d'asile est inscrit dans la Constitution.

La problématique, bien que différente s'agissant des immigrants, n'est pas pour autant totalement hors de comparaison, car certains n'hésitent pas à les assimiler à des « resquilleurs » sans vergogne.

Le Royaume-Uni, dans ce domaine, applique une politique d'une grande dureté, mais la France n'est pas obligée de le suivre. La fermeture du centre de Sangatte a symbolisé l'échec de nos deux pays à régler le problème des réfugiés anglophones. Les conditions dans lesquelles elle a été menée montrent les limites de l'opération, puisque les réfugiés se sont dispersés sur toute la côte.

Je me permets de le rappeler, si nous considérions que le centre présentait de nombreux dysfonctionnements, nous demandions que la situation soit réglée dans le plus grand respect de la dignité des personnes.

Aujourd'hui, le mot d'ordre est le suivant : « maîtrise des flux migratoires ». J'aurais espéré, au contraire, qu'il soit : « compréhension et accompagnement des flux migratoires ».

Qu'il s'agisse des demandeurs d'asile ou des immigrants, tous sont des victimes : victimes dans leur pays d'un régime politique ou d'une ethnie majoritaire, victimes de la politique économique menée à l'échelle mondiale, ou victimes des trafiquants, passeurs et autres marchands de sommeil, qui ne sont pas désignés dans ce projet de loi, pas plus qu'ils ne l'étaient dans ceux qui ont été examinés précédemment.

Monsieur le ministre, je déplore que, une fois encore, on fasse silence sur ceux qui, d'une façon éhontée, profitent de la misère des autres. Ils peuvent agir en toute impunité, car ils sont conscients que les mesures les plus répressives ne s'appliqueront pas à eux.

Après ces considérations, je dois évoquer le problème de la coopération de la France et, au-delà, des pays européens avec les pays pauvres. Ces derniers sont en effet les principaux foyers d'émigration et de demandeurs d'asile, qu'il s'agisse de problèmes économiques ou démocratiques.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réclament, depuis des années, des efforts en matière d'aide au développement et restent fortement attachés aux objectifs du Millénaire énoncés par l'ONU, notamment l'objectif, primordial, d'une aide publique au développement représentant 0,7 % du PIB.

A l'heure actuelle, les préoccupations essentielles ne portent que sur une répression en aval, qui ne résoudra en rien les problèmes posés puisqu'il faudrait intervenir en amont.

Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.