COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, à la suite d'une erreur, les sénateurs non inscrits ont été comptabilisés, lors des scrutins n°s 143 et 144, comme votant pour, alors qu'ils souhaitaient se prononcer contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.
DÉPÔT D'UN RAPPORT
EN APPLICATION D'UNE LOI
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Pierre Truche, président de la commission nationale de déontologie de la sécurité, le rapport annuel de cette commission établi en application de l'article 12 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d'une commission nationale de déontologie de la sécurité.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
DÉVOLUTION DU NOM DE FAMILLE
Adoption des conclusions rectifiées
du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 231, 2002-2003) de M. Henri de Richemont fait au nom de la commission des lois sur sa proposition de loi (n° 205, 2002-2003) relative à la dévolution du nom de famille.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, on peut se demander pourquoi j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de loi relative à la dévolution du nom de famille un an après que la loi du 4 mars 2002 a été votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat, à la fin de la dernière législature.
Je constate cependant que, par leur présence aujourd'hui au banc du Gouvernement, M. le garde des sceaux et M. le ministre délégué à la famille attestent la pertinence de mon initiative et démontrent qu'ils souhaitent effectivement intervenir sur cette proposition de loi que je considérais, au départ, comme purement technique.
Permettez-moi un bref rappel des conditions dans lesquelles la loi du 4 mars 2002 a été adoptée.
M. Gouzes, alors député, avait déposé une proposition de loi qui donnait la possibilité aux parents de choisir soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit le double nom ; en cas de conflit, il était prévu que le double nom était dévolu dans l'ordre alphabétique. Adopté par l'Assemblée nationale, ce texte mettait un terme à une tradition presque millénaire de dévolution du nom du père.
Lorsque j'ai été amené, pour le Sénat, à étudier ce texte, je me suis aperçu que, en réalité, il suscitait plus de problèmes qu'il n'en réglait. En effet, dans l'hypothèse d'un litige entre les parents sur le choix du nom, la solution du double nom par ordre alphabétique risquait de susciter des disputes supplémentaires, biens inutiles dans un couple.
Au surplus, le texte imposait une solution étrangère, qui a cours en Espagne mais qui n'est pas traditionnelle en France.
Aussi, dans le rapport que j'avais soumis, au nom, de la commission des lois, au Sénat, j'avais proposé une solution que je considérais pleine de sagesse, d'équité et d'équilibre, et qui était conforme aux textes et aux principes européens sur l'égalité de l'homme et de la femme. Il s'agissait de laisser aux parents la liberté de choisir, soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit le double nom, mais - seule différence que j'introduisais par rapport au texte de l'Assemblée nationale -, en cas de conflit entre les parents, pour ne pas ajouter le conflit au conflit, on s'en remettait à la solution issue de la sagesse traditionnelle, c'est-à-dire la dévolution du nom du père. Surtout, cela dispensait du choix les parents qui n'avaient pas l'intention de choisir. Ainsi, dans ma commune, il est de tradition que la femme qui se marie prenne le nom de son mari et trouve légitime de donner le nom du père à ses enfants. L'obliger à un choix qu'elle n'avait pas idée de faire serait bien entendu source de conflits.
Le Sénat m'avait suivi et avait adopté cette solution, qui maintenait la liberté de choix, donc l'égalité de l'homme et de la femme, tout en réglant le problème de l'éventuel conflit.
Je craignais que notre proposition ne reste lettre morte, mais M. Gouzes, ayant considéré que la proposition du Sénat était pleine de sagesse, a soumis cette solution à l'Assemblée nationale et les représentants du peuple souverain ont conclu que la sagesse de la Haute Assemblée devait l'emporter, votant alors conforme le texte du Sénat, qui devait devenir la loi du 4 mars 2002.
Pourquoi donc, aujourd'hui, une telle proposition de loi ? Il se trouve, monsieur le garde des sceaux, que le texte que nous avions voté un peu rapidement - quand il y consensus, ce n'est que normal - devait entrer en application dix-huit mois après la promulgation de la loi. Or le Président de la République, considérant sans doute que cette loi répondait tout à fait aux attentes, l'a promulguée rapidement aussi. De tout cela, il résultait que ce texte devait entrer en application le 1er septembre 2003.
Toutefois, monsieur le garde des sceaux, vos services, pour des raisons matérielles, ou peut-être du fait d'un manque de formation aux techniques de l'informatique, n'ont pas eu la possibilité, dans le délai qui leur était imparti, de permettre l'entrée en vigueur de cette loi. Je les ai consultés et, visiblement, la date du 1er septembre 2003 leur posait problème. C'est donc en quelque sorte pour répondre à leur demande que j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi tendant à repousser au 1er janvier 2005 l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.
Cependant, ce report suscitait lui-même un nouveau problème, puisque la loi prévoyait que, pendant un délai de dix-huit mois après son entrée en vigueur, les parents avaient toujours la possibilité d'ajouter au nom des enfants de moins de treize ans le nom du parent qui n'avait pas été dévolu.
Repousser l'entrée en vigueur de la loi au 1er janvier 2005, c'était, à l'évidence, priver du bénéfice de cette disposition les enfants qui auraient eu treize ans à la date d'entrée en vigueur de la loi prévue initialement. La commission des lois propose donc que, malgré le report au 1er janvier 2005, les enfants qui auront treize ans au 1er septembre 2003 puissent bénéficier de cette loi.
La commission propose, en outre, la suppression d'un article voté à la demande de votre prédécesseur, monsieur le ministre. Ce texte permettait à tout citoyen né après l'entrée en vigueur de la loi, à partir de l'âge de sa majorité et jusqu'à la naissance de son premier enfant, d'ajouter à son nom le nom qui ne lui avait pas été dévolu.
Cet article, que nous avions adopté ici, au Sénat, pour permettre une adoption conforme, portait bien entendu atteinte au principe de l'immutabilité du nom. Nous proposons donc de supprimer cette faculté, qui faisait craindre une multiplication des demandes et la désorganisation des services, ce dont ils n'ont vraiment pas besoin !
Je souhaite tout de même attirer l'attention du Gouvernement sur un point : même si le Sénat vote la suppression de cet article de la loi de 2002, il restera toutefois à mener une reflexion sur la possibilité d'intégrer au nombre des conditions aujourd'hui requises pour tout changement de nom, au titre de l'intérêt légitime, la demande d'adjonction du nom qui n'a pas été dévolu, dans des conditions à déterminer.
Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez nous faire des proposition afin que, même s'il n'y a pas automaticité, il y ait une possibilité et que cette adjonction soit considérée comme relevant de l'intérêt légitime.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le garde des seaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions très techniques de cette proposition de loi qui, je m'en réjouis a été inscrite à notre ordre du jour réservé. Je souhaite que la Haute Assemblée puisse entériner ces mesures qui, pour être techniques, n'en ont pas moins pour objet de rendre la loi du 4 mars 2002 plus conforme à nos attentes. Je vous remercie donc d'avance, mes chers collègues, de l'accueil que vous réserverez à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, d'aucuns pourraient, en effet, s'étonner de nous voir réunis aujourd'hui pour débattre d'un sujet ayant donné lieu, voilà un an, au vote d'une loi à l'unanimité des deux assemblées.
La loi du 4 mars 2002 bouleverse profondément nos règles anciennes de dévolution du nom en mettant fin à sa conception patriarcale. Elles substitue à la règle coutumière de transmission du nom du père la possibilité pour les parents de choisir entre le nom du père, celui de la mère ou leurs deux noms accolés dans l'ordre qu'ils souhaitent. Cependant, le législateur, conscient que de nombreux parents n'utiliseraient pas cette faculté, a maintenu, à titre subsidiaire, la règle de dévolution du nom du père.
Notre législation respecte désormais le principe d'égalité des sexes affirmé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La loi procède d'une volonté d'harmonisation des règles de dévolution du nom qui ne dépendent plus de la nature de la filiation.
Le législateur a ainsi accompli une avancée fondamentale dans une matière très délicate et très sensible. En effet, le nom, au-delà de l'emblème familial qu'il constitue, assure l'identification de la personne dans la société ; il est donc un attribut essentiel de l'être humain et participe de sa reconnaissance comme sujet de droit.
Dans ce domaine, qui réclame un cadre normatif clair et précis, facteur d'une nécessaire sécurité juridique, la loi du 4 mars 2002 présente, il faut bien le constater, d'importantes imperfections, comme l'a souligné M. le rapporteur.
L'initiative de M. de Richemont vise non pas - nous l'avons bien compris - à remettre en cause la législation, désormais comparable à celle de grands pays voisins tels que l'Allemagne et l'Angleterre, mais à y apporter des correctifs, gage de l'effectivité du nouveau dispositif.
S'appuyant sur les acquis de la loi, M. de Richemont vous propose de parachever le travail accompli. Il fait également preuve d'un esprit de pragmatisme ainsi que d'une volonté affirmée de faire évoluer notre droit en respectant nos traditions.
Je m'attacherai à exposer brièvement les difficultés pratiques et juridiques que pose le nouveau mécanisme, avant d'examiner les solutions qui vous sont proposées.
Le législateur de 2002, conscient des difficultés que pourrait susciter l'application du nouveau dispositif, a retardé son entrée en vigueur au 1er septembre 2003. Toutefois, il ne pouvait mesurer pleinement l'ampleur des adaptations à opérer et la complexité des mesures à prendre.
A titre d'illustration, je citerai la nécessité d'établir de nouveaux modèles d'actes de naissance, afin de faire figurer l'indication du nom dans le corps même de l'acte, l'adaptation des fichiers administratifs et des logiciels informatiques, ou encore la nécessaire formation des personnels des services de l'état civil, qui sont divers, selon les communes concernées.
A ces difficultés se sont ajoutées des interrogations tenant à l'interprétation des termes de la loi, soulignées tant par les élus que par des techniciens de l'état civil.
C'est ainsi que la loi aboutit à restreindre la possibilité pour les mères non mariées de transmettre leur nom, ce qui n'était pas, semble-t-il, l'intention du législateur. Par ailleurs, le texte n'encadre pas suffisamment l'exercice de la faculté de choix. En outre, la loi comporte un dispositif de dévolution du nom incomplet en cas d'adoption simple. Elle néglige, enfin, la situation des Français de l'étranger et des personnes acquérant la nationalité française, créant ainsi une inégalité à mon sens injustifiée.
Votre rapporteur propose, sur tous ces sujets, des réponses opportunes, judicieuses, équilibrées et conformes à l'intérêt même des parents.
Opportune, cette proposition de loi reporte l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 au 1er janvier 2005. Ce report permettra aux administrations, mais aussi aux communes, de préparer, sur le plan administratif comme sur le plan budgétaire, son application dans les meilleures conditions.
Equilibrée, la proposition de loi l'est aussi. Sans remettre en cause la philosophie du nouveau dispositif, elle apporte des améliorations techniques indispensables et simplifie les démarches des familles.
En premier lieu, la dévolution du nom paternel dans la famille naturelle est limitée, afin de supprimer toute contradiction entre le principe général du libre choix du nom de l'enfant posé par le nouvel article 311-21 du code civil et les dispositions spécifiquement applicables à la filiation naturelle.
Je vois là un aménagement nécessaire, qui maintient la règle traditionnelle selon laquelle l'enfant prend le nom de celui de ses parents qui l'a reconnu en premier.
Si la rédaction issue de la loi de 2002 était restée en l'état, l'enfant aurait pris, en l'absence de choix, le nom de son père dès lors que sa filiation aurait été établie à l'égard de ses parents au jour de la déclaration de naissance, même en cas de reconnaissances différées dans le temps.
En deuxième lieu, la proposition encadre la faculté de choix en instaurant un principe général selon lequel celle-ci ne peut être exercée qu'une seule fois et uniquement par les parents, devant l'officier de l'état civil.
Ainsi, dès lors que les parents auront eu la possibilité d'exercer l'option, à l'occasion de la déclaration de naissance ou postérieurement, il leur sera interdit de revenir sur leur choix, même en cas de légitimation.
Cette précision, qui améliore le texte initial, est conforme à l'intérêt de l'enfant et a pour effet de renforcer la stabilité de son état, en le mettant à l'abri d'attitudes versatiles de ses parents.
Ce faisant, la proposition de loi abroge la faculté offerte aux personnes nées après l'entrée en vigueur de la loi de modifier leur nom et d'ajouter, sans avoir à justifier d'un intérêt particulier, le nom du parent qui ne leur avait pas été transmis.
Cette suppression est particulièrement bienvenue. En permettant de disposer de son propre nom de manière discrétionnaire, cette faculté était en effet source d'insécurité juridique et d'atteinte excessive au principe d'immutabilité du nom.
En troisième lieu, la proposition de loi limite le nombre de noms conférés à la personne adoptée en la forme simple, que celle-ci soit adoptée par une personne seule ou par des époux.
Je dois rappeler que l'application de la loi du 4 mars 2002 aurait pu aboutir à conférer à l'adopté quatre noms, intégralement transmissibles, si adopté et adoptant portaient un nom double. Il est bien évident que beaucoup de ces personnes auraient été contraintes de recourir à la procédure administrative de changement de nom, dans un souci de simplification.
En quatrième lieu, des dispositions spécifiques permettront aux enfants, lorsque leurs parents vivent à l'étranger ou acquièrent la nationalité française, de bénéficier de l'option. Il s'agit là d'un souci d'égalité élémentaire.
Enfin, l'oeuvre de clarification de la loi s'étend à son champ d'application dans le temps. En précisant que la loi n'est pas applicable aux enfants nés avant son entrée en vigueur, nous éviterons toute éventuelle divergence d'interprétation.
Je tiens, pour terminer, à me féliciter une nouvelle fois de la convergence d'approche entre le Sénat et le Gouvernement sur ce dossier.
La réforme de la transmission du nom est pour nos concitoyens un symbole fort et une avancée décisive en matière familiale. Elle se doit de recevoir une application parfaite.
Les travaux que nous avons, les uns et les autres, menés dans cette perspective ont montré qu'il fallait apporter à la loi quelques correctifs et qu'un temps d'adaptation plus long était nécessaire pour assurer le plein succès de sa mise en oeuvre. C'est ce que le vote d'aujourd'hui permettra, je l'espère, dans l'intérêt même des personnes et des familles.
Je tiens à remercier tout spécialement M. de Richemont de son initiative, et la commission des lois ainsi que son président de leur contribution.
M. de Richemont m'a interpellé sur l'opportunité de permettre très largement à chacun d'adjoindre à son nom celui qui ne lui a pas été transmis par la voie administrative. Je tiens à préciser, monsieur le rapporteur, que la doctrine administrative portant sur la notion d'« intérêt légitime » exigé par l'article 61 du code civil a été assouplie pour tenir compte de motifs affectifs et que, s'il est possible d'envisager un élargissement de la notion de « motif légitime », une telle modification ne devrait en aucun cas conduire à l'adjonction de plein droit du nom qui n'a pas été transmis. En outre, la procédure administrative centralisée se justifie par le contrôle approfondi qu'exerce l'administration sur le motif invoqué et ne paraît pas compatible avec le mécanisme d'adjonction automatique.
Tels sont les quelques éléments que je souhaitais vous apporter et sur lesquels nous aurons sans doute l'occasion de revenir lors de l'examen des amendements.
Je tiens, je le répète, à vous remercier, monsieur le rapporteur, du travail que, avec la commission, vous avez réalisé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a peu, Dominique Perben et moi-même avons annoncé une réforme du droit de la famille, qui vous sera prochainement soumise.
Cette réforme se veut globale et sera préparée en concertation avec les principaux acteurs. Elle vise également à redonner une cohérence juridique aux réformes votées au cours de la précédente législature.
Parmi les textes adoptés durant ces cinq années, il en est un qui doit entrer en application le 1er septembre prochain : je veux bien sûr parler de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de la famille, qui a réformé les règles de dévolution du nom de famille en mettant fin aux discriminations entre les hommes et les femmes dans la transmission du nom.
Cette loi s'inscrit dans le respect des orientations fixées par le Conseil de l'Europe en 1995 : « Le nom de famille caractérise l'identité des personnes, et la discrimination entre les femmes et les hommes dans ce domaine est inacceptable. » Elle concilie la recherche de l'égalité entre les hommes et les femmes avec le respect de la stabilité de l'état des personnes. Elle accompagne l'évolution que connaît notre droit depuis plusieurs décennies, évolution marquée par un plus grand respect de l'égalité des parents au sein de la famille. C'est ainsi que sont désormais garanties l'autorité parentale conjointe, l'égalité des époux dans la gestion patrimoniale, la consécration du divorce par consentement mutuel, l'égalité des filiations et la recherche de la coparentalité effective.
Toutefois, ce texte, voté l'année dernière dans une certaine précipitation, comme n'a pas manqué de le souligner votre rapporteur, M. Henri de Richemont, soulève quelques difficultés juridiques et suscite certaines critiques. Il aurait mérité une concertation plus approfondie, qui aurait permis d'éviter certaines lacunes législatives relevées notamment par le Haut Conseil à la population, par l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, par les universitaires, les notaires, les généalogistes, les maires et les officiers d'état civil.
La présente proposition de loi ne remet en cause ni l'architecture générale de la loi du 4 mars 2002 ni la philosophie qui la sous-tendait. Elle se veut correctrice de certaines de ses insuffisances et donne un délai supplémentaire pour sa mise en oeuvre, car une réforme aussi importante ne peut pas s'appliquer dans la précipitation.
Les parents pourront donc toujours choisir le nom de leur enfant, celui-ci pouvant porter soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux noms accolés dans l'ordre qu'ils auront décidé. En l'absence de choix, le nom du père s'imposera.
En modifiant les règles de dévolution du nom, nous touchons à une valeur familiale, très ancrée dans les mentalités, qui repose sur la persistance au fil des siècles de la transmission du nom du père et à laquelle nos concitoyens sont attachés, indépendamment de l'évolution de la société.
Qu'on le veuille ou non, la tradition joue un rôle fondamental dans les modalités de transmission du nom.
En effet, le nom est source d'identité : c'est un élément fondamental de la vie privée et familiale.
Le nom est transmis par les parents au même titre que la vie, l'éducation et le patrimoine. En cela, il est une possession familiale. C'est en vertu de ce principe qu'il ne peut être accepté que les enfants devenus majeurs puissent choisir eux-mêmes leur nom, comme cela avait été décidé en 2002. Sur ce point, la proposition de loi représente une évolution qui doit être approuvée.
Le nom doit être un facteur de cohésion familiale : sa transmission ne doit pas pouvoir être la traduction d'un conflit familial. C'est pourquoi, aux termes de la loi du 4 mars 2002, a été préservée l'unité de nom d'une même fratrie.
Enfin, la transmission du nom doit reposer sur des règles stables afin que soit garantie la sécurité juridique de l'ensemble des actes administratifs et privés qui s'articulent autour de lui : nous devons particulièrement veiller à la stabilité de notre état civil.
Telle est votre préoccupation, monsieur le rapporteur. Elle vous conduit aujourd'hui à proposer des modifications indispensables pour assurer l'application effective de la réforme.
Il faut certes réformer et adapter notre législation mais il faut veiller à rechercher la faisabilité de ce qui est voté. Tel est tout le sens de cette proposition de loi, que je soutiens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;
Groupe socialiste, 28 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la législation actuelle et jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, conformément à la tradition patrimoniale de la famille, l'enfant légitime porte le nom de son père, même si aucun texte ne consacre formellement cette règle essentiellement coutumière. C'est seulement dans le cas de la filiation naturelle que l'enfant porte le nom de celui de ses parents qui l'a reconnu, et celui de son père s'ils l'ont reconnu tous les deux.
Cette tradition porte la marque d'une société où il allait de soi que le père fût le chef de la famille, mais elle ne correspond plus à la réalité sociale.
Aujourd'hui, l'autorité parentale est exercée conjointement par la mère et par le père. La loi de janvier 1993 a permis d'améliorer la situation des parents non mariés ou divorcés. Enfin, le principe de la liberté du choix des prénoms a également été reconnu.
Un fort courant égalitariste pousse à abandonner cette règle de la transmission du nom, qui est considérée comme une discrimination à caractère sexiste, et a milité en faveur d'un changement destiné à parvenir, en cette matière aussi, à l'égalité entre les époux.
Dans le même temps, la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'arrêt Burghartz du 22 février 1994, a condamné la position du tribunal fédéral suisse, qui avait rejeté la demande d'un mari tendant à faire précéder le patronyme de sa femme du sien propre dans son identification personnelle. Cette décision constituait une lourde menace pour la France.
Est-il utile de rappeler également que, par rapport à ses partenaires européens, la France se singularisait dans ce domaine et faisait partie des trois derniers pays n'ayant pas aligné leur législation en la matière sur le grand principe d'égalité ? Depuis longtemps, l'Allemagne et le Danemark ont introduit un régime égalitaire, et même les pays méditerranéens, tels que l'Espagne et la Grèce, sont largement en avance sur notre pays.
Ces constats avaient conduit notre collègue de l'Assemblée nationale Gérard Gouzes à déposer une proposition de loi tendant à offrir aux couples le choix entre le nom paternel, le nom maternel, ou le double nom du père et de la mère accolés dans l'ordre de leur choix. En cas de désaccord entre les parents, la proposition de loi initiale retenait la solution des deux noms accolés dans l'ordre alphabétique, dans la limite d'un seul nom pour chacun.
Nous avions salué cette initiative qui, à nos yeux, consacrait les principes de parité, de liberté et d'égalité dans ce qui est la marque à la fois la plus intime et la plus sociale de notre identité : notre nom.
Sans altérer la finalité de la proposition de loi, qui demeure le droit légitime, pour la femme comme pour l'homme, de transmettre son nom, la majorité sénatoriale lui avait apporté certaines modifications. Ainsi, sur votre proposition, monsieur le rapporteur, le terme de « nom patronymique » a été opportunément remplacé dans l'intitulé de la loi par l'expression « nom de famille » : il apparaissait en effet incohérent de réduire le nom de famille au seul nom patronymique dès lors que le matronyme devenait également transmissible.
Toutefois, vous avez également cru bon de considérer que, faute d'accord entre les parents pour attribuer à leur enfant le nom du père, celui de la mère ou les deux noms accolés, il fallait revenir à la primauté du mari et, par conséquent, attribuer par défaut le nom du père. Cela traduit une volonté à peine dissimulée de conserver le système patriarcal !
L'attribution, en cas de désaccord, des deux noms accolés dans l'ordre alphabétique me paraissait plus conforme à l'esprit de la loi, qui vise à assurer, l'égalité complète, dans ce domaine, entre l'homme et la femme.
Hormis la volonté de voir aboutir cette réforme avant la fin de la législature, l'Assemblée nationale avait finalement adopté ce dispositif conforme parce qu'elle espérait que nos concitoyens feraient preuve de sagesse et que, dans la grande majorité des cas, le nom de leurs enfants serait le fruit d'un choix conscient, libre et ouvert, et non de la soumission à un modèle hérité d'un autre âge.
Par ailleurs, la majorité sénatoriale a limité la possibilité pour les parents d'enfants mineurs de modifier le nom de famille de ces derniers au seul cas où ils sont âgés de moins de treize ans. Cette faculté est par ailleurs subordonnée à une déclaration conjointe des titulaires de l'autorité parentale, ce qui risque de priver les mères divorcées de la possibilité d'adjoindre leur nom à celui de leur ex-mari pour les enfants dont elles assument la garde.
La proposition de loi qui nous est soumise vise à modifier quelques points de la loi du 4 mars 2002, qui devait entrer en vigueur au mois de septembre prochain.
Nous ne pouvons que nous féliciter de certaines modifications contenues dans la proposition de loi, qui comblent utilement plusieurs lacunes et remédient à certaines difficultés d'interprétation. Nous approuvons plus particulièrement celles qui sont apportées par l'article 1er, dont l'objet est de maintenir la possibilité de transmission du nom de la mère pour les enfants naturels.
Toutefois, je regrette que l'article 2 remette en cause la possibilité, pour une personne qui, en application de l'article 311-21 du code civil, porte le nom de l'un de ses parents, d'y adjoindre en seconde position le nom de son autre parent, dans la limite, en cas de pluralité de noms, d'un seul nom de famille étant entendu que lorsque l'intéressé porte lui-même plusieurs noms de famille inscrits à l'état civil, il ne conserve que le premier de ces noms. La loi prévoyait que cette faculté serait « exercée par déclaration écrite de l'intéressé remise à l'officier d'état civil du lieu de sa naissance, à compter de sa majorité et avant la déclaration de naissance de son premier enfant ».
Cette disposition avait fait au Sénat l'objet d'un vif débat. En effet, monsieur le rapporteur, vous proposiez d'autoriser à toute personne l'adjonction du nom du parent qui ne l'aurait pas transmis, et ce dans le cadre de l'article 61 du code civil - c'est-à-dire au terme d'une procédure de changement de nom par décret que nous savons longue, complexe et coûteuse. C'est finalement à l'issue d'une seconde délibération que le texte du Gouvernement avait été retenu par notre assemblée. Or la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise vise à supprimer cette faculté. Monsieur le rapporteur, vous passez d'un extrême à l'autre : vous proposiez l'année dernière d'ouvrir cette possibilité d'adjonction à toute la population française et, aujourd'hui, vous la refusez purement et simplement ! C'est regrettable.
La solution proposée par Mme Marylise Lebranchu et finalement retenue par notre assemblée nous paraissait équilibrée. Nous déposerons donc un amendement visant à maintenir le dispositif qui figure actuellement dans la loi.
Nous profiterons également de cette remise en chantier de la loi pour tenter de convaincre nos collègues d'améliorer le texte en revenant sur les situations de désaccord entre les époux et en proposant la solution initialement retenue par l'Assemblée nationale, à savoir l'accolement des noms du père et de la mère dans l'ordre alphabétique, solution pleinement paritaire qui n'aurait jamais dû cesser de figurer dans ce texte.
Nous défendrons aussi un amendement tendant à ouvrir aux parents d'enfants mineurs nés avant l'entrée en vigueur de la loi la possibilité de demander d'adjoindre au nom du père celui de la mère, le consentement des enfants de plus de treize ans étant requis.
Enfin, je me permets de rappeler que Mme Marylise Lebranchu avait proposé de différer de deux ans l'entrée en vigueur de la loi, car elle souhaitait que le dispositif soit pleinement opérationnel le moment venu. Vous aviez considéré, monsieur le rapporteur, que dix-huit mois suffiraient. Or, aujourd'hui, vous proposez de repousser cette date au 1er janvier 2005 ! La loi est trop attendue par nos concitoyens pour que nous puissions accepter un tel report ; nous proposerons donc qu'elle entre en vigueur le 1er janvier 2004.
Je souhaite que l'examen de la proposition de loi nous permette de parfaire cette réforme si nécessaire, qui, compte tenu du calendrier électoral de 2002, n'avait pu faire l'objet d'un examen aussi approfondi qu'elle l'aurait mérité. Le sort qui sera réservé à nos amendements déterminera notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par M. de Richemont s'appuie sur le travail important qui a été réalisé sous la précédente législature.
La réforme du nom patronymique, engagée par la loi du 4 mars 2002, est un acte décisif pour affirmer le droit à la coparentalité. Cette loi avait bénéficié de l'apport de plusieurs députés. Elle constitue un pas en avant dans la construction d'une société d'égalité entre les femmes et les hommes.
Ce chantier est vaste. Que ce soit la parité en politique, l'égalité professionnelle ou la lutte contre les discriminations, l'ensemble des domaines de la vie devrait être concerné. Mais la majorité actuelle, sur ces sujets essentiels, a abandonné le terrain.
Les propositions contenues dans le texte inscrit à l'ordre du jour du Sénat sont principalement techniques. Elles visent au mieux à corriger, à rectifier et, hélas ! parfois à limiter les dispositions arrêtées dans la loi du 4 mars 2002. Elles témoignent de la frilosité dont la majorité a pu faire montre lors de l'adoption de cette loi, l'année dernière.
Pourtant, on ne redira jamais assez l'importance du changement que devait apporter cette loi dès le 1er septembre 2003 ; cependant, vous proposez d'en repousser l'entrée en vigueur au 1er janvier 2005.
Il s'agit ni plus ni moins d'abroger un symbole de la domination d'un sexe sur l'autre.
M. Alain Dufaut. Oh !
Mme Josiane Mathon. Eh oui !
La transmission systématique du nom du père aux enfants s'intègre dans un modèle patriarcal de la famille et de la société. S'attaquer à ce symbole, c'est permettre de faire progresser la société vers une plus grande égalité entre les hommes et les femmes ; c'est aussi soustraire les individus à une domination, certes symbolique, qui, dans bien des domaines, persiste à canaliser les mentalités. Et je constate que, ici, les mentalités ne changent guère !
M. Robert Bret. Il y a encore du travail à faire !
Mme Josiane Mathon. Redisons-le, avec la loi adoptée voilà un an, il s'agit non pas de rendre obligatoire un autre mode, unique, de transmission d'un nom de famille aux enfants, mais bien d'ouvrir des possibilités, de laisser aux parents - et aux enfants devenus grands - la liberté de choisir. Une famille n'est-elle pas toujours fondée par deux personnes aux origines différentes ? La loi doit permettre à une mère d'être l'égale du père et de transmettre son nom sans nier pour autant celui du père. Ces dispositions permettront d'avancer dans la voie de la reconnaissance et du respect de la personnalité et de l'identité de chaque individu.
Ne voyez pas dans ces propos la marque d'un féminisme exarcerbé !
M. Alain Dufaut. Si !
Mme Josiane Mathon. Il s'agit seulement de l'affirmation de la coparentalité.
Le texte que propose M. de Richemont vise à limiter la portée de ce principe. Son article 2 est porté par une vision très conservatrice et tend à empêcher la systématisation du double nom prévue dans la loi. Toute personne, à notre avis, doit pouvoir bénéficier de la réforme du nom de famille et avoir la faculté d'adjoindre au nom qui lui a été transmis par l'un de ses parents celui de l'autre parent.
L'argument avancé par l'auteur de la proposition de loi ne tient pas : l'égalité entre les personnes nées avant ou après l'adoption de la loi du 4 mars 2002 réside dans la possibilité qu'elles ont d'adjoindre ou non un patronyme à leur nom. La loi du 4 mars 2002 n'est pas attentatoire à l'hérédité patronymique, puisqu'elle prévoit seulement la possibilité pour un individu d'ajouter un patronyme à son nom, et non d'en éliminer un par choix restrictif.
Cette volonté de restreindre la portée de la réforme est très regrettable. Vous rejetez, mon cher collègue, la liberté d'un individu de revendiquer pleinement son ascendance, au nom de l'indisponibilité du patronyme. Dans notre société où le métissage est à l'oeuvre, cette abrogation d'un droit à peine conquis est lourde de conséquences.
J'évoquais l'année dernière, sur ces mêmes travées, la richesse du patrimoine anthroponymique et sa grande diversité, qui en font à la fois un bien personnel et un bien commun, un signe tangible et multiple de notre longue histoire.
Les mariages mixtes, c'est-à-dire les mariages de jeunes gens aux origines culturelles différentes, se multiplient. Les enfants nés de ces unions n'auraient pas le droit d'assumer et de revendiquer cette double origine jusque dans leur nom, c'est-à-dire d'affirmer leur identité ? C'est regrettable !
L'article 8 a également pour conséquence la limitation de la portée de la loi du 4 mars 2002 : sous réserve du délai de dix-huit mois, les enfants nés avant l'entrée en vigueur de celle-ci ne pourront, même s'ils sont mineurs de moins de treize ans, bénéficier de ses dispositions.
Vous justifiez le report de l'entrée en vigueur des nouvelles règles à une date fort lointaine par la nécessité pour les collectivités locales de s'adapter, notamment en termes de dotation budgétaire et de personnel des services de l'état civil, mais quels moyens le Gouvernement entend-il débloquer pour informer largement nos concitoyens de leurs nouveaux droits en la matière ? Monsieur le ministre, pouvez-vous informer davantage les représentants des élus des collectivités locales que nous sommes ?
Si le travail réalisé par M. de Richemont permet de préciser quelques points de la loi du 4 mars 2002, les principales dispositions de sa proposition de loi viennent en réalité contredire et défaire, dans l'esprit et dans la lettre, un texte qui constituait une avancée majeure.
Aussi le groupe communiste républicain et citoyen s'opposera-t-il à la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà un an nous était soumis par un député de la majorité d'alors une proposition de loi portant sur le nom patronymique.
Il s'agissait d'une réforme aux conséquences particulièrement importantes.
Importantes, elles l'étaient d'un point de vue juridique, car la réforme touchait à un principe multiséculaire du droit de la famille, véritable coeur du droit civil, celui du nom patronymique.
Importantes, les conséquences l'étaient également d'un point de vue symbolique, car les dispositions qui nous étaient soumises allaient concerner tous les Français durant toute leur vie.
Avant l'adoption de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, les règles de dévolution du nom pour les enfants légitimes résultaient de la coutume et de la jurisprudence. S'agissant des enfants adoptés ou des enfants nés hors mariage, la règle résultait de la loi. Dans les deux cas, le nom du père était privilégié.
Avec l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, si la priorité donnée au nom du père demeurera la règle grâce à l'action déterminée et lucide menée par le rapporteur de ce texte au Sénat, M. de Richemont, elle ne prévaudra en revanche qu'en l'absence de choix des parents.
M. René-Pierre Signé. C'est déjà beaucoup !
M. Alain Dufaut. Désormais, il sera en effet possible pour ceux-ci de choisir pour leurs enfants soit le nom du père, soit celui de la mère, soit les deux noms accolés l'un à l'autre dans l'ordre désiré, sachant que ce choix s'appliquera à l'ensemble des enfants. Cette décision revêtira la forme d'une déclaration conjointe à l'officier de l'état civil.
Malgré l'enjeu considérable de cette réforme, la précédente proposition de loi nous avait été présentée dans des conditions d'urgence déplorables, et d'ailleurs dénoncées alors par M. de Richemont, sur la forme et sur le fond. Il faut rappeler que ce texte manifestement bâclé...
M. Serge Lagauche. Ce n'est pas vrai !
M. René-Pierre Signé. Un peu de modération !
M. Alain Dufaut. ... avait été adopté à l'arraché à l'Assemblée nationale à l'extrême fin de la législature par M. Jospin.
M. René-Pierre Signé. Ne vous laissez pas emporter !
M. Alain Dufaut. Je vous rappelle, par exemple, que le texte adopté par les députés de la majorité socialiste prévoyait que, en cas de désaccord des parents, l'ordre alphabétique prévaudrait.
Je considère que cette disposition - qu'un des amendements reprend d'ailleurs - était tout à fait irréfléchie : à terme - et ce terme aurait été atteint après quelques générations seulement - elle aurait pu aboutir à ce que la plupart des noms de famille commencent par une des premières lettres de l'alphabet.
M. Serge Lagauche. Ce n'est pas sérieux ! Vous êtes réactionnaire !
M. Alain Dufaut. Je ne détaillerai pas ici toutes les imperfections du texte qui nous avait alors été présenté, car tel n'est pas l'objet de mon intervention. Je préfère rappeler que le travail de la commission des lois du Sénat avait été fort constructif : en matière de transmission du nom, il visait à évoluer plutôt qu'à bouleverser.
M. Serge Lagauche. Conservateur !
M. René-Pierre Signé. A évoluer en faisant du sur-place !
M. Alain Dufaut. Un certain équilibre avait ainsi pu être trouvé entre le principe d'égalité entre les hommes et les femmes et le respect de la stabilité des règles de l'état des personnes.
L'urgence eut au moins un mérite : l'Assemblée tenait absolument à ce texte, et elle dut accepter les modifications de fond apportées par le Sénat.
M. Serge Lagauche. C'était un bon texte !
M. Alain Dufaut. La présente proposition de loi, qui apporte de substantielles améliorations à la loi du 4 mars 2002, à pour objet de combler les dernières lacunes et de permettre l'application de la loi.
La plupart des modifications portent sur des points imparfaits que l'auteur du texte qui nous est présenté aujourd'hui avait à juste titre dénoncés alors.
La loi du 4 mars 2002 est inapplicable en l'état.
Ainsi, la date de son entrée en vigueur avait été fixée au 1er septembre 2003, ce qui ne laissait pas aux services de l'état civil le temps de se réorganiser. Le report à la date du 1er janvier 2005 que prévoit la présente proposition de loi est beaucoup plus réaliste.
Une autre difficulté d'application résultait d'un certain flou juridique. La loi s'appliquerait-elle uniquement aux enfants nés après son entrée en vigueur ou également aux enfants qui, nés avant son entrée en vigueur, auraient ensuite fait l'objet d'une adoption ou d'une légitimation, par mariage ou par autorité de justice, cas prévus dans la loi ?
La présente proposition de loi met fin à cette incertitude juridique en limitant l'application de la loi aux seuls enfants nés après son entrée en vigueur.
Au-delà de la résolution des problèmes d'inapplicabilité, le texte qui nous est soumis aujourd'hui vise à combler certaines lacunes.
Le dispositif est ainsi étendu à certains « oubliés » de la loi, à savoir les étrangers qui acquièrent la nationalité française et les Français de l'étranger.
Ces derniers bénéficieront, si leur enfant naît à l'étranger, d'un délai de trois ans pour faire leur choix, lequel s'opérera au moment de la transcription française de l'acte de naissance étranger.
Autres oubliés de la loi du 4 mars 2002 auxquels, grâce à la présente proposition de loi, les nouvelles dispositions s'appliqueront : les enfants nés hors mariage et légitimés par la suite, que ce soit par le mariage subséquent de leurs parents ou par autorité de justice.
Par ailleurs, la loi du 4 mars 2002 prévoyait déjà que le choix du nom ne pourrait varier au sein d'une même fratrie, mais il restait une lacune que la présente proposition de loi comble : désormais, le nom ne pourra pas non plus être modifié dans le temps.
Ce principe de l'unicité du choix est primordial pour préserver une certaine stabilité du nom.
Concernant la substitution du nom de famille en cas d'établissements successifs de la filiation après la naissance de l'enfant naturel, la loi du 4 mars 2002 prévoyait la compétence du greffier en chef du tribunal de grande instance, ce qui constituait bien évidemment une incohérence dans la mesure où c'est l'officier d'état civil qui est plus généralement compétent pour les procédures relevant du droit de la famille.
La proposition de loi vise donc à harmoniser les procédures.
Cette liste non exhaustive d'exemples le démontre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé aujourd'hui permettra de clarifier, de préciser, de compléter, d'améliorer et de rendre applicable une loi qui, je l'ai dit, est hautement symbolique et juridiquement très importante.
C'est pourquoi je tiens, en conclusion, à remercier amicalement notre collègue Henri de Richemont du travail qu'il a effectué à un double titre, puisqu'il est à la fois l'auteur inspiré et réfléchi de cette indispensable proposition de loi qui apporte de substantielles précisions, et son rapporteur.
Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, le groupe UMP votera les conclusions de notre commission des lois sur ce texte d'origine sénatoriale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous revenons aujourd'hui sur un sujet qui avait fait l'objet d'un vif débat au printemps dernier.
La dévolution du nom de famille peut sembler un thème anodin, mais, en réalité, cette question revêt un intérêt d'ordre tout à la fois sociologique et culturel, et elle illustre bien l'ampleur des évolutions en cours dans nos sociétés occidentalisées.
Le nom de famille a ceci de majeur qu'il consacre l'identité d'une famille. Il est le lien entre les différentes générations, il symbolise souvent le passé, l'histoire d'une famille et son attachement à un territoire. La transmission d'un nom peut prendre une dimension toute particulière comme peut l'illustrer a contrario l'extinction d'un nom par défaut de descendance masculine. L'engouement de plus en plus grand des Français pour les recherches généalogiques montre sans conteste leur attachement à leurs racines à travers l'histoire de leur patronyme.
Depuis le xie siècle où s'est fixée la tradition des noms de famille l'usage veut que ce soit le nom du père qui soit choisi. La Révolution française a renforcé cette coutume en inscrivant dans la loi du 6 fructidor an II le principe d'immutabilité du nom, qui interdit de prendre un autre nom que celui exprimé dans l'acte de naissance.
L'analyse des pratiques dans les pays européens voisins montre que cet usage est également largement répandu en Europe.
Le rapporteur avait cité, dans son rapport sur la première proposition de loi, une enquête de 1995 qui faisait ressortir que 91 % des femmes mariées en France utilisaient le nom de leur mari dans la vie quotidienne, montrant ainsi l'ancrage de cette tradition bien vivante et l'importance que nombre de nos concitoyennes attachent à l'unité du nom de famille.
Constater les apports de la tradition n'empêche pas de prendre en compte les évolutions de la modernité. En adoptant la loi du 4 mars 2002, le législateur a pris en compte les changements considérables intervenus dans la composition des familles du xxie siècle et souhaité reconnaître la place de la femme à égalité avec celle de l'homme.
La famille, nul ne l'ignore, se décline désormais au pluriel : familles monoparentales, familles recomposées, familles séparées, homoparentalité. A côté du modèle traditionnel, des formes différentes ont surgi et demandent à voir leur spécificité reconnue.
L'acceptation de cette disparité appelait une transformation des règles de dévolution du nom de famille. C'est pourquoi le Parlement a créé un cadre juridique nouveau : désormais, les parents disposent d'un triple choix dans la transmission du nom à leurs enfants. Ils choisissent soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux dans la limite d'un par parent. Toutefois, grâce à l'intervention du Sénat, en cas de défaut de déclaration conjointe, c'est le nom du père qui sera transmis, ce qui permet d'allier à la fois liberté de choix des parents et respect de la tradition.
Ce principe général a incontestablement marqué une avancée pour l'égalité des sexes. Il a permis d'adapter le droit de la famille aux évolutions sociologiques et de répondre aux recommandations du Conseil de l'Europe, qui prône l'égalité entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille.
Toutefois, s'il paraît important que la loi prenne en compte les évolutions sociétales, il faut néanmoins s'interroger sur le rythme auquel il faut inscrire ce changement dans nos textes.
Si le choix qui est offert désormais en matière de nom représente incontestablement une forme de liberté supplémentaire, en particulier pour les femmes, ne peut-on craindre cependant que cette liberté n'ait parfois comme contrepartie le risque d'instaurer un rapport de forces sur une question qui, jusqu'alors, ne suscitait pas d'affrontements ?
Seule l'évolution du contentieux sur cette question dans les années à venir permettra de trancher ce point et de vérifier que cette nouvelle législation ne sera pas à l'origine de conflits familiaux qui auraient peut-être pu être évités.
Il me semble essentiel de ne pas perdre de vue qu'au-delà des demandes parentales, tout comme en matière d'assistance médicale à la procréation, par exemple, l'intérêt de l'enfant doit primer les désirs du père ou de la mère.
Le nom pour l'enfant n'est pas une chose neutre : il doit aussi s'inscrire dans une lignée familiale que l'enfant pourra un jour, s'il le souhaite, retracer.
Or, dans le cas de la transmission de deux noms à l'enfant, celui-ci devra ensuite choisir, lorsqu'il aura à son tour des enfants, quel nom il conservera à la génération suivante, ce qui rendra les liens de parenté moins immédiatement lisibles. S'agit-il d'une avancée, en particulier pour les droits des femmes, ou l'usage fera-t-il tomber en désuétude une possibilité qui ne correspond pas vraiment à l'attente de la majorité des familles ?
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui vient fort à propos corriger certains aspects de la loi du 4 mars 2002 dont l'application pouvait poser problème.
Nous approuvons l'ensemble de ce texte, et tout particulièrement la suppression de la possibilité offerte aux personnes majeures nées avant l'entrée en vigueur de la loi d'ajouter avant la naissance de leur premier enfant à leur nom le nom du parent qui n'avait pas été transmis. Dans la pratique, cette disposition était irréaliste. Il était en effet impossible pour les services de l'état civil d'évaluer le nombre de demandes dont ils auraient pu être saisis. En outre, ces modifications pouvaient entraîner des problèmes de sécurité quant à l'état des personnes. De plus, l'enfant devenu adulte pouvait ainsi remettre en cause le choix de ses parents, ajoutant éventuellement par ce biais une nouvelle cause de conflit dans certaines situations familiales difficiles. Rappelons qu'à l'époque le Sénat s'était fermement opposé à cet alinéa.
De même, nous nous félicitons que la proposition de loi insère dans le code civil un nouvel article 311-23 qui stipule expressément que l'option concernant la dévolution du nom de famille ne peut être exercée qu'une seule fois. Là encore, il nous paraît important que la stabilité juridique des liens de filiation soit confortée.
Il convient de saluer également la modification de l'article 311-21 du code civil, qui renforce l'égalité entre les hommes et les femmes. En effet, cet article prévoyait initialement qu'en l'absence de déclaration conjointe sur le choix du nom c'était celui du père qui était attribué à l'enfant. Vous nous proposez, monsieur le rapporteur, de modifier ce dispositif en précisant que, dans ce cas de figure, c'est le nom de celui à l'égard duquel a été établie en premier la filiation qui sera choisi. Rappelons que cette disposition avait fait l'objet d'un large débat au printemps dernier : la proposition de loi visait à retenir comme critère du choix l'ordre alphabétique, et notre assemblée s'était vivement opposée à une telle option.
Enfin, le report de l'application de ce texte nous paraît particulièrement judicieux. Il faut en effet du temps pour mettre en oeuvre ce nouveau dispositif, qui modifie profondément le cadre juridique de la dévolution du nom de famille.
Le groupe de l'Union centriste est favorable au texte dont nous discutons aujourd'hui parce qu'il apporte des modifications importantes pour la stabilité de l'état des personnes, même si les interrogations formulées ici doivent attirer toute notre attention dans la mesure où elles conditionnent la mise en oeuvre et l'efficacité de ce nouveau dispositif. (Applaudissement sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je veux remercier tous les orateurs de leur contribution et souligner à mon tour que la présente proposition de loi vise non pas à modifier le texte de 2002 dans son esprit, mais à le compléter et à corriger certains défauts qui le rendaient en effet difficilement applicable à la date initialement prévue.
Une telle modification aurait été très préjudiciable à l'idée même qui inspirait ce texte puisque nos concitoyens auraient, à l'inverse de l'effet attendu, très mal reçu les changements proposés. L'adoption de la proposition de loi que nous présente M. de Richemont permettra, me semble-t-il, d'éviter cet écueil.
Monsieur Lagauche, vous avez regretté que l'enfant devenu majeur ne puisse pas adjoindre à son patronyme le nom de son second parent. C'est en vérité un débat de fond, mais je crois pour ma part que c'est aux parents qu'il doit revenir, dans le souci de l'unité familiale, de choisir le nom.
Madame Mathon, s'agissant de la mise en oeuvre de la réforme, un travail de formation des officiers d'état civil doit en effet être entrepris. L'instruction générale relative à l'état civil sera, bien entendu, refondue de façon à servir de guide pratique à ces derniers.
M. Dufaut a souligné les imperfections du texte prédédent et je n'y reviens donc pas. L'important est que la présente proposition de loi rende applicable un texte qui correspond à une évolution réelle et dont l'adoption était unanimement souhaitée par le Parlement il y a un an seulement.
Enfin, Mme Létard a relevé plusieurs éléments très positifs dans la démarche globale qui vous est proposée et présenté de façon très juste les différents aspects du texte que la présente proposition de loi vise à modifier.
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.