SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
M. le président.
« Art. 2. - IA. - Dans la dernière phrase du premier alinéa des articles 63 et
77 du code de procédure pénale, les mots : "dès le début de la garde à vue"
sont remplacés par les mots : "aussi rapidement que possible" et, dans la
première phrase du premier alinéa de l'article 154 du même code, les mots :
"dès le début de cette mesure" sont remplacés par les mots : "aussi rapidement
que possible".
« I. - La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 63-1 du même code est
supprimée.
« II. - A la troisième phrase du premier alinéa du même article les mots :
"qu'elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par
les enquêteurs" sont remplacés par les mots : "qu'elle a le choix de se taire,
de répondre aux questions qui lui seront posées ou de faire des
déclarations".
« III. - Le même article est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Si la personne est remise en liberté à l'issue de la garde à vue sans
qu'aucune décision n'ait été prise par le procureur de la République sur
l'action publique, les dispositions de l'article 77-2 sont portées à sa
connaissance.
« Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences résultant pour les
enquêteurs de la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3
doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du
moment où la personne a été placée en garde à vue. »
« IV. - Au premier alinéa de l'article 63-2 du même code, les mots : "sans
délai" sont remplacés par les mots : "dans le délai prévu au dernier alinéa de
l'article 63-1 ».
L'amendement n° 3, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Supprimer le paragraphe I A de l'article 2. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Le point que nous abordons est important.
Depuis la loi sur la présomption d'innocence, le procureur de la République
doit être avisé dès le début d'un placement en garde à vue. De même, la
personne gardée à vue peut demander à s'entretenir avec un avocat dès le début
de la garde à vue.
La proposition de loi tend à prévoir que le procureur sera prévenu « aussi
rapidement que possible ». Or il est très difficile d'apprécier la différence
de signification entre les expressions « aussi rapidement que possible » et «
dès le début ».
Par ailleurs, est-il vraiment raisonnable de prévoir un régime différent pour
l'avocat et pour le procureur de la République ?
M. Hubert Haenel.
Certainement pas !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
En matière de garde à vue, l'avertissement de l'autorité
judiciaire devrait même être la priorité absolue. C'est elle qui garantit
véritablement que les droits de la personne seront respectés.
La Cour de cassation est d'ailleurs en train d'élaborer une jurisprudence sur
le texte issu de cette loi. Elle a ainsi considéré qu'un avis au parquet
intervenu une heure et demie après le placement en garde à vue était
acceptable, mais jugé excessif un délai de trois heures et demie.
Il convient de ne pas changer une nouvelle fois la loi sur ce point. Il est
vrai, on le dit, que les fax des policiers arrivent la nuit dans des bureaux
vides : ce n'est pas une raison pour renoncer à l'obligation d'informer le
parquet dès le début de la garde à vue. Il appartient à ce dernier de
s'organiser et de prendre ses responsabilités.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, un certain
nombre de parquetiers m'ont indiqué qu'ils prenaient les dispositions pour que
le système fonctionne. Il ne faut pas partir d'une carence matérielle pour en
faire une loi générale.
L'autorité judiciaire, je le répète, est gardienne des libertés individuelles.
C'est le procureur qui dirige l'activité des officiers de police judiciaire. Il
faut donc lui donner les moyens de le faire effectivement.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je ne vais pas entrer dans le débat qui consiste à
savoir si la formule qui offre la plus grande célérité est « dès le début » ou
« aussi rapidement que possible ». Dans mon esprit, il est bien évident que la
garde à vue est placée sous le contrôle du procureur. En conséquence, sauf
circonstance matérielle insurmontable, c'est bien lui qui doit être informé le
premier de la garde à vue.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
J'observe que la formule « aussi rapidement que
possible » est issue de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans
sa décision du 11 août 1993, a voulu ainsi souligner la nécessité, en vertu de
l'article 66 de la Constitution, que l'autorité judiciaire soit la gardienne
des libertés individuelles.
Si vous préférez en rester à la formule « dès le début », je ne peux que m'en
remettre à la sagesse du Sénat.
Mme Nicole Borvo.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
Nous avons la même sagesse.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je vous remercie, madame le garde des sceaux, d'avoir rappelé la décision du
11 août 1993, qui n'est pas sans m'avoir laissé quelque souvenir, vous
l'imaginez aisément.
Dans cette décision, il a été rappelé que les magistrats étaient les gardiens
de la liberté individuelle, avec tout ce que cela impliquait. Or la garde à vue
est une disposition qui entrave directement l'exercice d'une liberté
individuelle. Si l'officier de police judiciaire estime indispensable de placer
une personne en garde à vue, le magistrat du parquet doit donc en être
immédiatement avisé.
Cette disposition pouvait certes présenter quelques difficultés dans des temps
lointains, antérieurs à l'usage non seulement du télex mais surtout du
téléphone mobile. Aujourd'hui, personne ne peut croire sérieusement que les
officiers de police judiciaire, lorsqu'ils participent à ces opérations, n'ont
pas un téléphone mobile dans leur poche ou immédiatement à proximité.
Le parquet, pour sa part, doit s'organiser pour recevoir la communication, que
ce soit sous la forme de télex ou d'appel téléphonique.
Les moyens actuels de communication permettent parfaitement, lorsque la
décision est prise, d'en aviser aussitôt le parquet. C'est la première et la
plus indispensable des garanties.
Tout à l'heure, mon collègue et ami Hubert Haenel évoquait la nécessité de la
présence de l'avocat.
La première des exigences, et elle est constitutionnelle, c'est d'aviser
aussitôt le magistrat du parquet. Je ne crois pas que l'on puisse faire
autrement et je ne le souhaiterais certainement pas.
A cet égard, vous le voyez, nous rejoignons le point de vue du rapporteur.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 3, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 4, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après les mots : "sont remplacés par les mots :", rédiger ainsi la fin du II
de l'article 2 : "qu'elle a le choix, sous sa responsabilité, de faire des
déclarations, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de se taire".
»
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit également d'un sujet qui a fait couler beaucoup
d'encre.
Cet amendement concerne ce que l'on appelle « la notification du droit au
silence. »
Depuis l'adoption de la loi, les personnes gardées à vue se voient notifier
qu'elles ont le droit de ne pas répondre aux questions qui leur sont posées. Il
faut bien admettre que ce n'est pas le plus sûr moyen de créer un climat
propice à la manifestation de la vérité.
L'Assemblée nationale propose que la personne soit informée « qu'elle a le
choix de se taire, de répondre aux questions qui lui seront posées ou de faire
des déclarations ». Nous proposons d'adopter un ordre différent de cette
énumération. Il faut envoyer un signal et montrer que la manifestation de la
vérité est le premier but recherché.
Nous insistons, en outre, je crois que c'est important, sur la responsabilité
de la personne gardée à vue dans le choix qu'elle effectue.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je ne suis pas certaine que la rédaction proposée par
la commission des lois soit meilleure que celle de l'Assemblée nationale, qui
est plus courte et plus concise. Il me semble que commencer la notification du
droit au silence par l'indication que la personne a le droit de se taire et
terminer en indiquant qu'elle peut aussi faire des déclarations est préférable
à l'ordre inverse. On énonce d'abord le principe, et seulement après les
exceptions que le gardé à vue peut choisir de lui apporter.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Ce n'est pas le principe !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Après en avoir beaucoup discuté, je pense que cette
inversion est délicate.
Vous ajoutez : « sous sa responsabilité ». Mais cela ne peut être que sous sa
responsabilité, puisque, de surcroît, on s'adresse à une personne seule !
Cependant, cette expression a un sens juridique qui peut ne pas être compris
par la personne gardée à vue, qui n'est pas en situation de connaître les
règles du droit.
Voilà pourquoi je préfère la rédaction initiale, plus concise.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Ce n'était pas - j'emploie délibérément l'imparfait - une mince question que
celle que soulevait la formulation qui avait été proposée par certains, faisant
valoir que l'on pourrait retenir, comme en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis,
la phrase suivante : « Vous pouvez vous taire, mais vous devez savoir que cela
peut vous causer un préjudice par la suite, au regard des indices existants.
»
Cette formule ne me paraissait pas du tout compatible avec les exigences
posées par la convention européenne des droits de l'homme. Je souligne en effet
que la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé à plusieurs reprises,
notamment à l'occasion d'une condamnation de la France, le 25 février 1993, que
l'on ne saurait porter atteinte au droit de tout « accusé » - terme qui, au
sens autonome de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme,
désigne une personne contre laquelle existent des charges et est engagée une
procédure pénale - de se taire et de ne pas contribuer à sa propre
incrimination. Dans une autre circonstance, il avait été précisé qu'il ne
faisait aucun doute que, même si ledit article 6 ne le prévoit pas
expressément, le droit de se taire lors d'un interrogatoire de police et le
droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des normes
internationales généralement reconnues qui se trouvent au coeur de la notion de
procès équitable. En effet, on n'a pas à s'accuser soi-même, et l'on a donc le
droit de se taire quand on se trouve être suspecté, ce qui est le cas du gardé
à vue.
Cela étant, il est vrai que le droit anglais, pour des raisons qui lui sont
spécifiques, a prévu d'autres adjonctions, y compris récemment, mais ce n'est
pas la voie que nous devons suivre, et cela pour une raison simple : dans le
système procédural que nous connaissons, il serait impensable que le juge
d'instruction et surtout, ultérieurement, les juridictions de jugement fassent
grief à celui qui ne fait que se défendre d'avoir choisi de se taire et le
menacent d'un préjudice de ce fait dans la suite du procès.
Cela n'est pas concevable, et je suis donc très satisfait que l'on ait
renoncé, dès la lecture à l'Assemblée nationale, à la rédaction qui avait été
proposée.
S'agissant à présent de l'amendement n° 4, la discussion à propos de l'ordre
dans lequel doivent être présentés au gardé à vue les choix qui s'ouvrent à lui
me semble tenir de la querelle grammaticale. Néanmoins, la commission a jugé
plus logique de demander à l'intéressé s'il a des déclarations à faire avant de
lui annoncer qu'il a le droit de se taire, et cette option me semble meilleure
que celle qui a été retenue dans le projet de loi. Quand une autorité doit
interroger une personne dans le cadre d'une procédure d'enquête, il paraît
préférable d'indiquer d'abord à cette dernière qu'elle peut faire des
déclarations et répondre aux questions.
Reste la grande question de la responsabilité.
A cet égard, madame la garde des sceaux, j'avoue ne pas avoir très bien
compris ce que vous avez voulu dire en affirmant que l'expression « sous sa
responsabilité » pourrait être mal interprétée par le gardé à vue ou engendrer
une confusion dans son esprit. Je ne sais ce qu'il faut penser de cette
formulation, mais nous nous y sommes ralliés, sur l'initiative de notre éminent
collègue Maurice Ulrich, parce que nous pensions qu'il fallait marquer que
l'intéressé assumerait ainsi la responsabilité de son choix.
M. Hubert Haenel.
Eh oui !
M. Robert Badinter.
Etait-ce une tautologie...
M. Hubert Haenel.
Non !
M. Robert Badinter.
... ou une précision utile ? J'ai pensé pour ma part que c'était une
précision utile, mais si vous aviez des éclaircissements ou des précisions à
nous apporter sur ce point, madame la ministre, je serais très heureux de les
entendre.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Annoncer à une personne qui vient d'être placée en
garde à vue « qu'elle a le choix, sous sa responsabilité », de parler ou de se
taire peut en effet engendrer une confusion, eu égard à la façon dont le mot «
responsabilité » est souvent compris aujourd'hui. Le gardé à vue peut penser
que son silence lui sera reproché par la suite.
Ce point est donc délicat ; tout dépendra de l'interprétation que fera la
personne intéressée des mots qu'elle entendra et du ton sur lequel ceux-ci
seront prononcés. C'est pourquoi je préférerais que l'on ne retienne pas
l'expression en cause, car il est évident, de toute façon, que le gardé à vue
est responsable de ses choix.
Mme Nicole Borvo.
Cela va sans dire !
M. Robert Del Picchia.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia.
Madame le ministre, l'expression « sous sa responsabilité » vise l'ensemble
des choix que la personne gardée à vue est susceptible de faire, et pas
uniquement sa décision éventuelle de garder le silence.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Oui !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Nous avons longuement débattu de cette affaire en commission,
parce que l'on sent bien que chaque mot a son poids. De plus, s'agissant de
mots, il est certain que, comme l'a relevé le garde des sceaux, le ton sur
lequel le fonctionnaire les prononcera aura son importance. Mais personne n'y
peut rien ! On laissera vraisemblablement entendre à la personne interrogée
que, si elle refuse de parler, cela entraînera de graves conséquences. Les
choses se sont toujours passées de cette manière, et nous ne pouvons rien y
changer ! Cela étant, deux points ont retenu notre attention.
En ce qui concerne l'expression « sous sa responsabilité », on peut en effet
observer que la responsabilité d'une personne peut aujourd'hui être mise en
cause à n'importe quel propos : les élus que nous sommes le savent peut-être
mieux que quiconque.
Mais telle n'est pas ici la question ! La personne qui est sur le point d'être
interrogée est un être humain, et non pas un objet que l'on pose sur une table
et qui demeurerait étranger à tout ce qui va se dérouler. Il est donc tout de
même important de lui rappeler que ses choix relèvent de sa responsabilité, ce
terme étant entendu au sens humaniste et non pas à celui qui a cours, par
exemple, dans le domaine des assurances.
Certes, on m'objectera peut-être que l'intéressé n'est pas toujours en mesure,
de par sa situation socioculturelle, de comprendre ce qu'on lui dit, mais on
peut quand même, après tout, placer quelque espoir dans l'humanité... Il n'est
pas donc pas inutile de rappeler au gardé à vue qu'il exerce sa
responsabilité.
Cela est d'autant plus vrai que certaines personnes, notamment dans nos
banlieues, ne sont pas vraiment au fait de toutes ces notions et qu'il n'est
pas superflu de leur dire, à l'occasion d'un rendez-vous judiciaire, qu'ils
sont responsables, non seulement sur le plan juridique, mais aussi sur le plan
humain. Cela ne me paraît pas être une si mauvaise idée.
S'agissant maintenant de la présentation des choix ouverts à la personne
gardée à vue, il serait tout de même même singulier que l'on indique d'abord à
celle-ci qu'elle a le droit de se taire, alors qu'elle est interrogée sur des
faits graves. Il me semble préférable de lui signaler avant tout qu'elle a le
droit de faire des déclarations, d'autant que, d'emblée, son avocat lui
conseillera sans doute de garder le silence. Par conséquent, il n'est peut-être
pas indispensable que le fonctionnaire d'autorité qui doit l'interroger
souligne en préambule qu'elle peut très bien choisir de ne pas répondre à ses
questions.
Madame le garde des sceaux, vous avez dit que la responsabilité de la personne
gardée à vue vis-à-vis des choix qu'elle opère allait de soi. Mais on peut
alors estimer que tout va de soi, renoncer à légiférer et laisser les choses
suivre leur cours ! Pour ma part, je tiens vraiment à cette notion de
responsabilité, qui me semble importante sur le plan humain.
Lors de l'examen de ce point en commission, j'ai établi une comparaison un peu
simpliste, je l'avoue : quand on éduque ses enfants, on leur apprend qu'ils
doivent répondre aux questions qui leur sont posées. C'est la moindre des
choses, c'est le premier des devoirs ! Bien entendu, comme l'a dit M. Badinter,
le gardé à vue n'a pas à se mettre lui-même en difficulté, mais nous devons
affirmer, au nom de la société, une hiérarchie des valeurs.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2