SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
M. le président.
L'amendement n° 5, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - La seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 62 du code de
procédure pénale est ainsi rédigée :
« Si elles ne satisfont pas à cette obligation, il peut les contraindre à
comparaître par la force publique et en avise aussitôt le procureur de la
République. »
« II. - Le deuxième alinéa de l'article 153 du même code est ainsi rédigé :
« S'il ne satisfait pas à cette obligation, avis en est donné au magistrat
mandant qui peut le contraindre à comparaître par la force publique. Le témoin
qui ne comparaît pas encourt l'amende prévue par l'article 434-15-1 du code
pénal. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il s'agit là encore d'un point important.
La loi a supprimé la garde à vue des témoins, et nous avons tous estimé qu'il
s'agit d'une très heureuse évolution. Dans ces conditions, les témoins ne
peuvent être retenus que le temps strictement nécessaire à leur audition.
Toutefois, les conditions dans lesquelles les témoins peuvent être retenus ne
sont pas précisées.
Dans sa proposition de loi, M. Haenel a prévu une rétention de quatre heures,
ce qui est cohérent avec le dispositif en vigueur pour les vérifications
d'identité.
Cependant, un problème subsiste : lorsque des policiers se rendent sur les
lieux d'un crime en flagrance, ils peuvent, bien sûr, retenir une personne pour
l'entendre, mais ils ne peuvent pas la contraindre à comparaître. Si la
personne s'y refuse, elle ne peut pas être conduite au commissariat. Le
policier doit alors avertir le procureur de la République pour que celui-ci la
contraigne à comparaître, mais, le plus souvent, ces événements se dérouleront
en pleine nuit, et une telle démarche se révélera rapidement impossible.
L'amendement n° 5 prévoit donc que l'officier de police judiciaire pourra
contraindre la personne à comparaître. Il en avisera le procureur, et l'on aura
ainsi la certitude qu'un témoin pourra être entendu. Il ne pourra être recouru
à cette procédure qu'au cours d'une enquête de flagrance - j'insiste beaucoup
sur ce point - s'agissant de crimes ou de délits qui viennent d'être commis.
Lors d'une enquête préliminaire ou d'une instruction, il est normal que ce soit
le procureur ou le juge qui puisse seul contraindre les témoins à comparaître ;
mais ceux-ci, dans ces hypothèses, ne sont jamais convoqués au cours de la
nuit, comme c'est souvent le cas pour la flagrance.
Par ailleurs, nous proposons de procéder à une coordination qui a été oubliée
dans la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les
droits des victimes, à l'article 153 du code de procédure pénale.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Cet amendement a, en fait, deux objets.
Le paragraphe II vise à rétablir, à l'article 153 du code de procédure pénale,
une disposition supprimée par la loi du 15 juin 2000 qui permettait au juge
d'instruction de condamner lui-même le témoin défaillant à une amende.
Le paragraphe I de l'amendement traite d'une question beaucoup plus délicate.
La loi du 15 juin 2000 a supprimé la possibilité de placer en garde à vue de
simples témoins lors d'une enquête de flagrance. Elle a toutefois prévu que les
témoins pourraient être retenus par les enquêteurs le temps strictement
nécessaire à leur audition.
La circulaire du 10 janvier dernier rappelle ces règles, qui avaient parfois
été considérées à tort comme interdisant toute mesure de contrainte, fût-elle
de portée limitée, à l'égard d'un témoin. Il est en effet normal - il en est
ainsi dans toutes les démocraties - qu'un citoyen soit tenu d'apporter son
concours à la justice, en témoignant lorsqu'il est requis à cette fin.
Pour autant, il ne me paraît pas nécessaire de renforcer les règles actuelles
figurant à l'article 62 du code de procédure pénale, qui prévoit déjà que le
procureur de la République peut contraindre des témoins à comparaître. C'est
pourquoi je suis défavorable à cet amendement, même si j'aurais pu en accepter
le paragraphe II.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je me rallie au point de vue de Mme la garde des sceaux. En effet, il existe
une sorte de contradiction entre la position que nous avons adoptée tout à
l'heure à propos de la nécessité d'aviser immédiatement le procureur de la
République du début de la garde à vue - cela n'est qu'un rappel du fait que
celle-ci est placée sous son contrôle - et le dispositif présenté ici, où un
officier de police judiciaire, lorsqu'il souhaite entendre une personne
susceptible de fournir des renseignements et que cette personne refuse de
satisfaire à cette obligation, aurait le droit de la contraindre par la force
publique à comparaître, avant d'en aviser aussitôt le procureur de la
République.
Non, c'est l'inverse : il y a défaut de comparution du témoin ; aussitôt - je
rappelle que le mot « aussitôt » a un sens effectif - l'officier de police
judiciaire prévient le parquet et, à ce moment-là, l'article 62 s'applique ; le
procureur de la République peut alors contraindre le témoin à comparaître par
la force publique ; il en donne l'instruction à celui qui l'a interrogé.
Donc, vous voyez comment cela joue : le témoin convoqué n'est pas là ;
l'officier de police judiciaire - ce qui est le cas dans le texte actuel,
depuis 1993 - demande au procureur de la République de faire appel à la force
publique pour aller quérir le témoin ; cela est fait. La procédure se déroule
sous le contrôle de l'autorité judiciaire, en l'occurrence, le procureur de la
République car cela aboutit à faire venir un témoin par la force publique. Cela
me paraît relever de la seul autorité du parquet. Je le répète : rien n'est
plus facile, dans la pratique, que de demander cette autorisation, ou c'est à
désespérer de l'organisation du parquet !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
J'ai le sentiment que nous ne sommes pas très éloignés. Il
faut bien avoir à l'esprit que ce dispositif ne jouera pas dans des
circonstances ordinaires. En effet, ce sera souvent en pleine nuit, c'est
difficile. Quelque chose a été commis, probablement un crime. Les personnes qui
sont là doivent être entendues comme témoins. On peut difficilement admettre
qu'un témoin puisse dire : « Excusez-moi, je m'en vais, rattrapez-moi quand
vous en aurez l'occasion. »
Je l'ai dit, nous ne sommes pas très éloignés. En réalité, nous vous aidons,
madame la garde des sceaux. Vous n'avez pas bien saisi notre démarche.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Si !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
J'ai lu votre circulaire de janvier. En bas de la page six,
vous donnez l'élément d'instruction suivant : « Rien n'interdit, en outre, que
l'autorisation de ce magistrat soit donnée par avance aux enquêteurs qui
informent... » Cela signifie que vous autorisez le magistrat à signer une
autorisation en blanc sans savoir ni de quoi ni de qui il s'agit, non plus que
ce qui se passera.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Ce sont les enquêtes préliminaires !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Non ! En l'occurrence, il s'agit bien de la possibilité de
rétention des témoins. Je le répète : en bas de page six, il est précisé que :
« Rien n'interdit, en outre, que l'autorisation de ce magistrat soit donnée par
avance ». Pour ma part, je préfère que l'on puisse entendre la personne
concernée.
M. Hubert Haenel.
Cela vaudrait mieux !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Vous autorisez le chèque en blanc. Il me semble plus franc de
garder cette personne et, bien sûr, de rendre compte. C'est mieux !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il ne faut pas qu'il y ait d'erreur
d'interprétation.
Dans le cas d'une enquête préliminaire, tout s'organise, le procureur est là,
on va à tel endroit, car on a tel ou tel indice ; on va aller spécifiquement
chercher ce pourquoi toute cette opération a été montée. Bien évidemment, le
procureur de la République peut dire à ce moment-là aux officiers de police
judiciaire qu'ils peuvent « ramener » les témoins. A l'évidence, on n'est pas
du tout dans le cadre de la flagrance.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Si ! C'est l'article 62 !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Dans le cas que vous venez de décrire, ce n'est pas de
la flagrance. Il n'y a pas que de la flagrance. Il faut bien avoir présent à
l'esprit qu'il y a aussi les enquêtes préliminaires, préparées, ou, pour parler
comme tout le monde dans le milieu, les « descentes » de police, prévues et
organisées avec le magistrat.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Excusez-moi d'avoir l'air un peu chinois.
(Sourires.)
S'agissant de votre circulaire et de la possibilité de rétention des témoins,
je lis la partie du paragraphe que je n'avais pas citée : « Cette rétention
peut concerner un témoin qui aurait été conduit par la force publique dans les
locaux de police ou de gendarmerie, conformément aux dispositions du deuxième
alinéa de l'article 62. » Ensuite, vous évoquez les autres circonstances. Il
s'agit donc bien de flagrance. Puis, il est précisé : « A cet égard, il doit
être souligné que cette contrainte peut être exercée dès lors que le témoin
refuse de suivre les enquêteurs. » Il s'agit bien de cela, et pas simplement
s'il est constaté qu'il n'a pas répondu à une convocation. En effet, il est
bien précisé : dès lors que le témoin « refuse de suivre » les enquêteurs. Nous
vous aidons, madame le garde des sceaux.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Chacun le conçoit, nous voterons contre cet amendement. Je le répète : on ne
doit pas, de quelque façon que ce soit, transiger avec le principe
constitutionnel selon lequel la liberté individuelle est sous le contrôle des
magistrats. Quand il s'agit de dépêcher la force publique pour contraindre un
témoin à venir, pour l'amener puis l'entendre, l'atteinte à la liberté
individuelle est suffisamment importante pour que la décision soit prise par le
parquet. C'est simplement une question de liaison téléphonique entre l'officier
de police judiciaire et le parquet. Je veux espérer que nous sommes capables de
le faire. C'est la raison pour laquelle, madame la garde des sceaux, comme
vous, nous ne suivrons pas M. le rapporteur dans cette voie.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 2.
Division additionnelle après l'article 2