SEANCE DU 10 DECEMBRE 2001
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
le ministère de la justice.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, je ne présenterai pas les crédits du ministère
de la justice pour 2002 qui figurent de façon très détaillé dans mon rapport
écrit, mais, je ferai les commentaires qu'ils m'inspirent.
Les budgets passent, et les mêmes remarques viennent à l'esprit :
augmentation croissante des moyens de la justice sans réflexion d'ensemble sur
ses missions ; décalage entre le renforcement des moyens annoncés par la
Chancellerie et un certain désenchantement des personnels de la justice ;
services « plombés » par les vacances de postes et qui doivent se satisfaire de
la création de postes sur le papier ; opposition toujours plus forte entre les
magistrats et la classe politique, dont le dernier exemple est fourni par les
critiques excessives et parfois déplacées, pour ne pas dire inadmissibles, des
dispositions contenues dans la toute récente loi relative à la sécurité
quotidienne et concernant la lutte contre le terrorisme, notamment de la
fouille des coffres de véhicules.
Le mot d'ordre n'a-t-il pas été donné aux magistrats de ne pas appliquer cette
loi, non pas par manque de moyens - et c'est pourquoi j'aborde ici ce point -
mais parce que certains d'entre eux estiment qu'ils peuvent, en « corps
constitué », se dresser en censeurs de la loi ? Madame la ministre, c'est
proprement inadmissible. Que comptez-vous faire ? Si vous l'admettez, si nous
l'admettons, sommes-nous en République et en démocratie ?
D'une manière générale, peut-on admettre que certains magistrats, en groupe ou
individuellement, fassent la leçon à tout le monde par des déclarations tout à
fait intempestives ?
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Quels sont les signes positifs qui ressortent de ce budget ? J'en ai noté
deux : la recherche d'une plus grande transparence dans la gestion du personnel
; la création d'une agence pour la maîtrise d'ouvrage et de travaux
d'équipement.
Le premier signe positif est donc la recherche d'une plus grande transparence
dans la gestion du personnel.
Chaque année, je dénonce le manque de transparence qui affecte la gestion des
personnels du ministère de la justice, particulièrement ceux de
l'administration centrale. En effet, celle-ci ne dispose pas des effectifs
nécessaires à l'exercice de ses missions. En conséquence, elle est obligée de «
puiser » dans les effectifs des services déconcentrés par le biais de mises à
disposition.
Or ce système est critiquable, car il ne permet pas d'avoir un aperçu correct
des effectifs des différents services du ministère de la justice, puisqu'il
entraîne un décalage entre les effectifs budgétaires et les effectifs réels.
En outre, il s'avère défavorable pour les services concernés : les services «
dégarnis » ne peuvent pas demander de création de poste pour compenser les
mises à disposition puisque les postes ne sont pas vacants ; quant aux services
dans lesquels est affecté le personnel mis à disposition, ils ne peuvent pas
non plus réclamer de création de poste, car toute demande en ce sens est
analysée à partir non pas des effectifs théoriques, mais des effectifs réels.
Les mises à disposition aboutissent ainsi à une impasse en matière de gestion
du personnel.
C'est la raison pour laquelle je me félicite de l'effort engagé cette année
par la Chancellerie pour limiter le nombre des mises à disposition, grâce au
transfert de 59 emplois des services déconcentrés vers l'administration
centrale. Cet effort devra être poursuivi : à l'heure actuelle, plus de 450
personnes sont encore mises à disposition de l'administration centrale.
A propos du ministère de la justice, madame la ministre, n'est-il pas devenu
un ministère « peau de chagrin », à force d'effeuiller la marguerite,
pourrait-on dire parfois ? Pourquoi ?
La création de la direction des affaires juridiques au ministère de l'économie
et des finances, voilà déjà quelque temps, a dépouillé de fait les directions
des affaires criminelles et des affaires civiles de nombre de leurs
attributions. La disparition d'une sous-direction à la direction des affaires
criminelles a permis à la direction générale des douanes de récupérer le
titulaire du poste et, en fait, une partie de ses attributions. Plus récemment,
Mme Royal a récupéré, en fait, le droit de la famille et l'état des personnes,
habituellement de la compétence de la direction des affaires civiles et du
sceau.
Comment s'explique ce phénomène ? Il est sans doute dû au fait que le
ministère de la justice n'apparaît plus comme le ministère de la qualité de la
loi. De hautes instances d'autres ministères, voire le Conseil d'Etat,
expliquent ouvertement que les services de la Chancellerie ont perdu beaucoup
de leur qualité du point de vue des ressources humaines et ne sont plus tout à
fait sûres du point de vue de la discrétion. Est-ce exact ? Au cours de l'année
2002, dans l'exercice de mon pouvoir de contrôle sur place et sur pièces,
j'étudierai cette situation.
Vous pouvez d'ores et déjà répondre à une question, madame la garde des
sceaux. Le bât blesse en partie parce que le recrutement des MACJ, les
magistrats d'administration centrale de la justice, est de plus en plus
difficile. Cela tient à l'intérêt du travail, certes, et au coût de la vie à
Paris.
Envisagez-vous de revoir les modalités de ce recrutement et, pourquoi pas,
d'offrir, comme il y a quelques années, des postes dès la sortie de l'Ecole
nationale de la magistrature ?
Second signe positif : la création, par un décret du 31 août 2001, d'une
agence pour la maîtrise d'ouvrage et de travaux d'équipement.
Il s'agit d'un établissement public administratif qui doit se substituer à la
délégation générale au programme pluriannuel d'équipement et qui a vocation à
gérer un important programme de travaux concernant aussi bien les services
judiciaires que l'administration pénitentiaire.
Je me félicite de la création de cet établissement public et souhaite rappeler
qu'elle s'inspire de la solution proposée par la commission d'enquête du Sénat
sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en
France. Celle-ci avait en effet suggéré la création d'une « agence
pénitentiaire », structure publique qui gérerait de manière autonome le
patrimoine pénitentiaire et aurait en charge à la fois les dépenses
d'investissement et les dépenses d'entretien.
Je m'interroge en revanche sur l'opportunité de charger cette agence de la
gestion des crédits pour les dépenses de construction et d'entretien des
services judiciaires et de l'administration pénitentiaire. Dans la mesure où
ces deux directions doivent engager simultanément d'importants travaux de
construction dans les prochaines années, des arbitrages internes pourraient
intervenir au détriment de l'une d'elles. Il conviendra donc de veiller à ce
que les deux programmes autonomes de construction soient menés de front par
l'agence.
Au-delà de ses aspects positifs, ce projet de budget appelle quelques
critiques, à commencer par l'absence de visibilité dans le programme de
construction pénitentiaire.
Je regrette une nouvelle fois que le Gouvernement refuse d'encadrer les
programmes de construction et de rénovation dans une loi de programme. En
effet, le Parlement ne dispose pas d'une vue d'ensemble sur les travaux
d'équipement engagés ou programmés. L'important décalage entre l'annonce d'une
construction et sa réalisation renforce encore l'opacité des décisions prises
au niveau gouvernemental.
Chaque année, on annonce des milliards de francs de crédits pour réhabiliter
le parc pénitentiaire français, mais l'absence de loi de programme définissant
le montant total des opérations et leur calendrier prévisionnel ne permet pas
de suivre l'utilisation de ces crédits.
Or la gestion par le Gouvernement des crédits d'équipement rend le contrôle du
Parlement particulièrement nécessaire.
Certes, un effort croissant en faveur de l'équipement de l'administration
pénitentiaire a été réalisé puisque le montant des crédits de paiement a triplé
entre 1997 et 2001.
Toutefois, parallèlement, le taux de consommation des crédits a chuté ; alors
qu'il atteignait plus de 88 % en 1997, il s'est élevé à 35,6 % en 2000. Ce
décalage n'a pas été pris en compte puisque les crédits de paiement ont
continué d'être augmentés non seulement en loi de finances initiale, mais
également en loi de finances rectificative.
En conséquence, la part des reports dans le montant total des crédits a
augmenté chaque année : en 2000, elle représentait 49,7 % de l'ensemble des
crédits et elle atteint 67,3 % en 2001 !
Les causes du décalage entre les crédits votés et les crédits consommés sont
connues. Elles sont liées aux délais d'exécution des opérations et à la
lourdeur des procédures. Toutefois, l'absence de loi de programme permet au
Gouvernement de demander chaque année des crédits supplémentaires pour annoncer
de nouvelles constructions alors même que ces dernières n'interviendront pas
avant plusieurs années. Ces effets d'annonce sont contraires à une gestion
rigoureuse des crédits qui voudrait que l'on procède d'abord à l'inscription
des crédits pour les études de faisabilité puis, le moment venu, à celle des
crédits pour la construction des établissements.
Des contraintes particulières pèsent par ailleurs sur le projet de budget pour
2002 en raison de l'entrée en vigueur de la loi relative à la réduction
négociée du temps de travail. Les efforts budgétaires consentis pour appliquer
celle-ci tempèrent d'ailleurs le discours volontariste du Gouvernement à propos
du ministère de la justice.
Ainsi, 34,15 millions d'euros, soit 224 millions de francs, sont consacrés au
paiement d'heures supplémentaires et à la compensation financière des
astreintes dans le cadre de l'aménagement et de la réduction du temps de
travail.
De même, une partie non négligeable des emplois créés cette année servira à
compenser la diminution de la durée du temps de travail. Votre rapporteur
spécial regrette que la chancellerie n'ait pas voulu fournir d'indications
précises à ce sujet. Il semble cependant que, pour les personnels de
surveillance, 700 emplois nouveaux sur 1 221 auront cette vocation.
Par ailleurs, on peut légitimement s'interroger sur les conditions
d'application des 35 heures. Il semble en effet que la fixation du nombre
annuel d'heures de travail soit essentiellement le résultat du rapport de
forces entre la Chancellerie et les organisations syndicales.
Les propos que vous avez tenus à cet égard le 25 octobre dernier devant la
commission des finances sont significatifs : vous avez ainsi admis que les
personnels de la justice travailleraient moins que les 1 600 heures prévues et
que les négociations portaient sur un nombre d'heures compris entre 1 470 et 1
600. Pour justifier cette situation, vous avez estimé devoir tenir compte - et
on peut le comprendre - des avantages acquis par les personnels.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Eh oui !
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Une telle attitude risque cependant de créer un effet
« boule de neige ».
Aujourd'hui, ce sont les magistrats qui réclament le passage aux 35 heures.
Allez-vous répondre à cette revendication, madame la ministre ? Pourquoi et
comment ? Disposez-vous d'une étude précise sur le nombre d'heures travaillées
des personnels de la justice et, si oui, quels sont ses résultats ?
Madame la ministre, voilà autant de questions auxquelles le Parlement
souhaiterait que vous répondiez afin de mieux percevoir l'enjeu des 35 heures
au ministère de la justice.
Une analyse plus poussée des conséquences des grandes réformes dans le
fonctionnement au quotidien de la justice s'impose.
Alors que les crédits et les effectifs du ministère de la justice augmentent
continuellement depuis plusieurs années, les agents des services de la justice
manifestent de plus en plus ouvertement un certain découragement - voire,
parfois, une certaine colère - devant l'alourdissement croissant de leurs
tâches. Ils estiment que les moyens supplémentaires qui leur avaient été promis
pour renforcer les services ont été en réalité utilisés pour appliquer les
nouvelles réformes, notamment celle qui découle de l'adoption de la loi
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes.
Je tiens à rappeler que, dans mon rapport sur l'examen des crédits du
ministère de la justice pour 1999, j'avais insisté sur la nécessité
d'accompagner d'études d'impact précises tout projet de loi susceptible
d'entraîner des répercussions importantes sur le fonctionnement des services de
la justice. J'avais alors constaté que les études réalisées par la Chancellerie
tendaient à sous-évaluer les besoins en personnels, notamment parce qu'elles
n'avaient pas été réalisées en associant les services déconcentrés concernés
par la réforme.
Je propose donc que les études d'impact ne soient plus réalisées par la
Chancellerie, mais par une instance indépendante. En effet, le fait que le
ministère de la justice soit à la fois juge et partie fait peser un doute sur
le caractère impartial des études d'impact qu'il réalise. Quel directeur ou
directrice pouvait par exemple dire à votre prédécesseur, Mme Guigou, que les
dispositions envisagées étaient inapplicables en l'état des moyens ? Il aurait
été aussitôt remplacé !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Mais non !
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Par ailleurs, lorsqu'un projet de loi « lourd » est
examiné par le Parlement, la commission des finances devrait être appelée à
analyser l'étude d'impact fournie et à donner son avis sur les conditions
d'application des dispositions législatives contenues dans ledit projet de
loi.
Enfin, tout texte ayant des répercussions importantes sur le fonctionnement
des services de la justice devrait systématiquement faire l'objet d'une étude
d'impact postérieure à son entrée en application. Je le dis non parce qu'on le
réclame dans la rue avec des pancartes mais parce que c'est indispensable. Il
s'agirait d'analyser, au bout d'une ou deux années d'application des nouvelles
dispositions, leur véritable impact en matière de charge de travail et de
vérifier que les moyens prévus dans l'étude d'impact en amont ou préconisés
lors de la discussion parlementaire ont été mis à la disposition des services
de la justice concernés.
A cette occasion, les magistrats, les policiers, les gendarmes et les avocats
pourraient par ailleurs faire part des difficultés d'application de certaines
dispositions et des conséquences de celles-ci.
Autre question, madame la ministre : pouvez-vous confirmer devant le Sénat les
allégations de la presse selon lesquelles vous auriez « enterré » une réforme
brûlante - celle de la carte judiciaire - en estimant qu'il n'était pas
nécessaire de réviser la répartition des tribunaux et pouvez-vous justifier, le
cas échéant, ce revirement de votre ministère ?
Ne croyez-vous pas qu'au moins pour le parquet il conviendrait d'étudier la
possibilité d'une « posture » départementale du ministère public face au préfet
et aux services de l'Etat, qui sont tous départementalisés, en particulier la
police nationale et la gendarmerie ? Pourquoi ne pas utiliser, là encore, la
méthode de l'expérimentation que j'ai souvent préconisée ici, mais en vain ?
Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la primeur de cette information
d'importance aurait pu être réservée au Parlement, même si cela semble être
passé de mode aujourd'hui ?
En conclusion, j'évoquerai certains sujets sur lesquels je souhaiterais aussi
une réponse de votre part, madame la ministre.
Dès l'année 2000, la Chancellerie a mis en oeuvre une démarche d'évaluation
des tribunaux de grande instance, en confiant à un magistrat de grande qualité,
M. Hubert Dalle, la mission de définir des indicateurs de résultat. Ce dernier
a remis son rapport mais, depuis, il semblerait qu'aucune suite concrète n'ait
été donnée à cette étude. Or il paraît indispensable, alors même qu'un effort
financier considérable a été engagé en faveur de la justice, de comparer les
performances respectives des tribunaux et de vérifier que les deniers publics
sont dépensés de la manière la plus efficace possible.
Ne pensez-vous pas que la primeur du résultat de ce travail doive être
réservée au Parlement, afin que celui-ci ne l'apprenne pas par la presse ? Tout
récemment encore, c'est un hebdomadaire qui publiait un classement des
juridictions.
L'année dernière, après être allé au cours de l'été dans les ressorts des
cours d'appel de Reims, de Paris et de Colmar, j'avais insisté dans mon rapport
sur l'insuffisance des moyens accordés à la mise en place de la loi du 15 juin
2000, question à propos de laquelle Mme Guigou et ses services se montraient
alors au contraire très confiants. On peut se demander quelle est notre
utilité...
Puis l'inspection générale des services judiciaires a remis un rapport
alarmant, et vous avez été obligée de repousser de six mois l'entrée en
application de la juridictionnalisation des décisions du juge de l'application
des peines.
Aujourd'hui, cette loi suscite de violentes critiques, cette fois de la part
des policiers et des gendarmes. Certes, il se peut que ladite loi soit
perfectible, et j'ai moi-même déposé une proposition de loi en ce sens, mais
est-elle bien utilisée par tous ? Je m'inquiète de la tendance de certains,
heureusement minoritaires, à s'opposer aux décisions de la représentation
nationale, alors même que leur premier devoir est de respecter et de faire
respecter la loi.
Jusqu'ici, le manque de moyens était invoqué - souvent à juste titre - par
certains magistrats pour ne pas appliquer la loi. Aujourd'hui, c'est le fond du
droit qui est contesté, et même brocardé en des termes qui dépassent la simple
critique technique et mettent en cause l'exécutif et le législatif.
Un magistrat, s'il n'applique pas la loi à une situation particulière, doit
motiver sa décision afin que les voies de recours puissent jouer et que
l'inspection générale puisse le cas échéant remplir son office, mais je vous
demande, madame la ministre, d'être très attentive à ce que les magistrats ne
se servent pas de la loi et du pouvoir qu'elle leur confère pour faire valoir
des points de vue idéologiques ou politiciens, pour décrédibiliser le politique
ou encore pour occulter des dysfonctionnements au sein des juridictions. Ne
faudrait-il pas envisager de saisir dans les cas flagrants le Conseil supérieur
de la magistrature ?
Dans mon rapport, j'évoque les efforts consentis par les juridictions pour
accélérer le traitement des nouvelles affaires. Ainsi, en 2000, aussi bien la
Cour de cassation que les cours d'appel ont réussi à traiter un nombre
d'affaires plus important que celui des affaires enregistrées. Toutefois, à
effectifs constants, elles sont maintenant incapables d'éliminer leur stock
d'affaires en cours.
Le Premier président de la Cour de cassation, M. Guy Canivet, vous a proposé
de passer un contrat de juridiction : en échange de vingt-huit postes de
conseillers référendaires sur cinq ans, il s'engage à ramener les délais de
jugement à une durée inférieure à un an. Or, à ma connaissance, vous n'avez pas
donné suite à cette proposition, madame la ministre. Que comptez-vous faire
?
De même, que pensez-vous de l'idée d'instaurer, comme dans la plupart des pays
européens, une procédure de sélection des pourvois admis en cassation, afin que
la Cour de cassation se concentre sur les affaires qui font apparaître une
lacune réelle ou une ambiguïté de la loi ?
Par ailleurs, depuis plusieurs années, la Chancellerie promet la construction
prochaine d'un tribunal de grande instance à Paris. Où en est la procédure ?
Enfin, madame la ministre, quelles suites comptez-vous donner aux critiques,
aux observations et aux suggestions contenues dans mon rapport sur l'état de la
justice dans le Haut-Rhin s'agissant des juridictions, des trois établissements
pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse ?
Je rappelle que, hélas ! le service qui a la charge de cette dernière ne peut
ou ne veut appliquer certaines décisions des juges des enfants.
Pour conclure, je me contenterai de citer une phrase lourde de signification
du rapport de la commission Truche qui devrait nous inciter toutes et tous à
demander aux candidats à l'élection présidentielle et aux élections
législatives de prendre les engagement nécessaires : « Notre pays n'aura jamais
que la justice dont il veut bien payer le prix », réflexion qui s'applique
d'ailleurs aux autres fonctions régaliennes.
Vous comprendrez, madame la ministre, qu'il est légitime dans ces conditions
que la commission des finances du Sénat demande le rejet des crédits de votre
ministère.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Garrec, rapporteur pour avis.
M. René Garrec,
en remplacement de Mme Dinah Derycke, rapporteur pour avis de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale, pour les services généraux.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis
heureux de vous présenter, pour la première fois, le point de vue de la
commission des lois sur les crédits de la justice. Toutefois, c'est non pas en
qualité de président de cette commission que je m'exprimerai, mais en
remplacement de Mme Derycke, rapporteur pour avis, qui n'a pu venir présenter
son rapport aujourd'hui et que nous espérons revoir prochainement parmi
nous.
Madame le garde des sceaux, vous nous présentez cette année un projet de
budget en nette progression, à hauteur de 5,7 %, ce dont je me réjouis.
Pourtant, malgré les efforts budgétaires entrepris depuis la loi de programme
de 1995, les moyens dégagés n'ont jamais été à la mesure des besoins. Cette
année encore, le projet de budget de la justice pour 2002 ne répond pas aux
attentes du justiciable et ne traduit pas la volonté d'en finir avec l'image
d'une justice sinistrée, la part de celle-ci dans le budget de l'Etat, qui sera
de 1,74 % en 2002, restant tout à fait dérisoire.
Reconnaissons toutefois que ce projet de budget marque un souci évident
d'améliorer le fonctionnement de la justice en renforçant ses moyens humains.
On ne peut que se féliciter, à cet égard, des nombreuses créations d'emploi
prévues : elles seront au nombre de plus de 960 pour les services généraux. De
même, l'amélioration de la situation matérielle des fonctionnaires constitue
aussi un motif de satisfaction pour le monde judiciaire, qui, au début de
l'année 2001, vous devez vous en souvenir, madame le garde des sceaux, a
exprimé un sentiment de malaise et un vif mécontentement devant l'accroissement
de la charge de travail.
Vous faites un effort de transparence en matière de mises à disposition
internes, mais j'attire votre attention, madame le garde des sceaux, sur le
fait que des progrès restent à accomplir, cent trente-neuf emplois de
fonctionnaire des juridictions étant prélevés actuellement par l'administration
centrale, soit un chiffre très supérieur aux vingt-quatre transferts d'emploi
prévus par le projet de budget pour 2002.
La commission des lois a également pris acte de l'effort de transparence du
Gouvernement en matière d'équipement. La baisse des crédits observée cette
année traduit la volonté de mieux faire correspondre le volume de crédits
demandés au Parlement avec la consommation réelle de ces derniers. En effet, je
relève que 37 % des crédits n'avaient toujours pas été consommés au 31 juillet
2001. Mais, au-delà de l'affichage, le véritable problème tient encore à la
capacité de réaliser les opérations. Espérons que la création de l'agence de
maîtrise d'ouvrage permettra enfin d'accélérer l'exécution des projets annoncés
ces dernières années, s'agissant en particulier du tribunal de grande instance
de Paris.
S'il n'est pas question de nier les efforts consentis au travers du projet de
budget pour 2002, soulignons qu'ils ne font que répondre à une véritable
nécessité, la situation de l'institution judiciaire restant aujourd'hui très
préoccupante. Le constat d'une justice asphyxiée, dressé voilà cinq ans par la
mission d'information de la commission des lois chargée d'évaluer les moyens de
la justice, dont M. Fauchon était le rapporteur, demeure malheureusement encore
d'actualité.
Vous n'ignorez d'ailleurs rien de la crise actuelle, madame le garde des
sceaux, puisque c'est elle qui vous a conduite, devant la vague de
mécontentement affectant l'ensemble des personnels de votre ministère, à
convoquer en mars dernier ce que vous avez appelé les états généraux de la
justice, rebaptisés « entretiens de Vendôme », qui se sont déroulés jusqu'en
juin.
Au-delà des délais de jugement, pour lesquels on ne constate pas
d'amélioration, comment ne pas s'inquiéter de voir la productivité des
magistrats en baisse, sans que vous ayez expliqué ce phénomène ? Traduit-il la
réduction du temps de travail, la complexité croissante du contentieux ou, pis,
la démotivation des magistrats ?
A ce propos, je profite de votre présence dans notre hémicycle, madame le
garde des sceaux, pour soulever de nouveau une question que je vous avais
adressée et que j'ai posée jeudi dernier, lors de la dernière séance de
questions d'actualité au Gouvernement, alors que vous étiez en déplacement à
Bruxelles.
Cette question vous concernait au premier chef, madame le garde des sceaux, en
tant qu'autorité de saisine du Conseil supérieur de la magistrature pour les
manquements disciplinaires des magistrats : elle vise les récents propos, tenus
par des membres du Syndicat de la magistrature et rapportés par la presse le 2
décembre dernier, appelant l'ensemble des magistrats à ne pas appliquer les
dispositions législatives figurant dans la loi relative à la sécurité
quotidienne et destinées à lutter contre le terrorisme.
Je souhaiterais non seulement connaître votre réaction, mais également savoir
si vous envisagez de prendre des mesures tendant à sanctionner ceux qui donnent
de telles consignes et ceux qui les suivraient.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est le rapport de Mme Derycke ou le vôtre ?
M. René Garrec,
rapporteur pour avis.
Je repose ma question de l'autre jour, comme je
l'ai indiqué à l'instant, mon cher collègue. La plume est serve, mais la parole
est libre ! Mme le ministre me répondra si elle le veut bien.
M. Pierre Fauchon.
Vous avez raison de la poser !
M. René Garrec,
rapporteur pour avis.
Je tiens à vous signaler, madame le garde des
sceaux, que le ministre de l'intérieur, dans la réponse qu'il a faite à votre
place, a précisé au Sénat que, dans cette affaire, il vous faisait « confiance
pour lancer les éventuelles procédures disciplinaires ». Le respect de la loi,
le bon fonctionnement de la justice et la qualité du service rendu au
justiciable sont, me semble-t-il, les contreparties de l'indépendance des
magistrats.
Je reviens maintenant au rapport de Mme Derycke, monsieur Dreyfus-Schmidt.
J'observe que l'augmentation des effectifs en vue de renforcer les
juridictions n'a pas été, ces dernières années, un objectif prioritaire.
A cet égard, les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1998, 80 % des emplois
créés l'avaient été à cette fin, contre moins de 1 % en 2001. Il semble, en
effet, que la mise en oeuvre des réformes nouvelles ait absorbé la majeure
partie des créations d'emploi. Rappelons que 427 emplois de magistrat
supplémentaires, ce qui représente 40 % de l'ensemble des créations d'emploi,
étaient destinés à permettre l'application de la seule loi du 15 juin 2000
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes.
La commission des lois n'a pas caché ses inquiétudes devant les risques
engendrés par la mise en place des réformes nouvelles. Il faut bien admettre
que l'ampleur de la réforme de la présomption d'innocence et des besoins en
personnels que celle-ci impliquait n'ont peut-être pas été suffisamment
anticipés par le Gouvernement, qui avait seul compétence pour le faire. Cela
vous a conduite, vous devez vous en souvenir, madame le garde des sceaux, à
demander au Parlement d'accepter le report au 16 juin 2001 de l'entrée en
vigueur du troisième volet de la loi, relatif à la juridictionnalisation de
l'application des peines.
Plus grave encore, en dépit de l'importance des moyens dégagés, une
fragilisation de la capacité de réponse des juridictions est à craindre, comme
l'a d'ailleurs souligné un rapport qui vous a été remis en juin dernier.
Madame le garde des sceaux, pensez-vous que les moyens actuels soient
suffisants pour assurer une bonne application de cette réforme ?
Cette question est légitime, d'autant que la mise en oeuvre de l'aménagement
et de la réduction du temps de travail suscite de nombreuses interrogations.
L'enveloppe prévue pour la prise en charge des astreintes et des heures
supplémentaires résultant de l'instauration des 35 heures n'est pas à la
hauteur de l'ampleur de la réforme et des engagements du Gouvernement.
En outre, aucune des créations de poste prévues par le projet de loi de
finances n'est destinée à accompagner la mise en place des 35 heures. En
réalité, les nombreux emplois créés ne feront que compenser la diminution de la
durée du temps de travail et ne seront nullement affectés au renforcement des
juridictions. Qu'en est-il s'agissant des magistrats ? Passeront-ils aux 35
heures le 1er janvier 2002 ?
Mme Derycke, à titre personnel, avait souhaité proposer à la commission des
lois de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des services généraux
de la justice, mais l'ensemble des observations que j'ai formulées ont conduit
celle-ci à émettre un avis défavorable.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Othily, rapporteur pour avis.
M. Georges Othily,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
pour l'administration pénitentiaire.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues, les crédits alloués à l'administration
pénitentiaire pour 2002 progressent de 9,7 % par rapport à 2001 pour atteindre
1,4 milliard d'euros, soit 9,1 milliards de francs, et 1 525 créations de poste
sont prévues.
Si l'on s'en tient aux chiffres, madame le ministre, ce projet de budget
marque incontestablement un progrès important des moyens de l'administration
pénitentiaire. La question se pose cependant de savoir si les crédits affectés
à cette administration permettront un meilleur fonctionnement des
établissements, des conditions de détention plus dignes d'une démocratie et une
amélioration des conditions de travail du personnel. Je dois avouer que je n'en
suis pas certain, et je le déplore.
Voilà maintenant dix-huit mois que les commissions d'enquête du Sénat et de
l'Assemblée nationale sur les conditions de détention dans les établissements
pénitentiaires ont rendu leurs conclusions. Le Sénat a préconisé des mesures
d'urgence, que le Gouvernement aurait pu prendre sans attendre. Notre
assemblée, sur l'initiative de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy Cabanel,
a aussi adopté une proposition de loi visant à améliorer les conditions de
détention.
Le Gouvernement n'a pas inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale, choisissant d'élaborer une grande loi. La démarche est
intéressante, mais elle prend du temps, beaucoup de temps. Ainsi, alors que les
travaux parlementaires s'arrêteront dans moins de trois mois, le projet de loi
pénitentiaire n'a pas encore été adopté par le conseil des ministres. Dans ces
conditions, la loi ne sera pas votée avant de nombreux mois. N'aurait-il pas
mieux valu, madame le ministre, inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale la proposition de loi du Sénat, afin que des progrès rapides puissent
être obtenus ? Quelles sont vos intentions s'agissant de la modernisation du
système pénitentiaire français et quel calendrier envisagez-vous ?
En ce qui concerne les personnels, j'ai pu constater, lors de mes visites dans
les établissements, que la situation était très tendue. Bien sûr, de nombreux
postes sont créés, mais, parallèlement, de nouvelles missions sont attribuées à
l'administration pénitentiaire, par exemple les escortes médicales de
détenus.
A cet égard, quatre-vingt-seize postes ont été créés pour assurer ces
escortes, ce qui est, vous le savez, insuffisant. De plus, cinquante postes
nouveaux seulement sont prévus dans le présent projet de budget, alors que
l'administration pénitentiaire devra remplir cette mission à compter du 1er
janvier 2002.
Par ailleurs, de nombreux postes sont affectés à des établissements nouveaux
et ne pourront donc servir à améliorer le fonctionnement des établissements
existants.
Enfin et surtout, la mise en oeuvre de la loi sur l'aménagement et la
réduction du temps de travail n'a pas été suffisamment anticipée, de sorte que
des difficultés sérieuses ne manqueront pas de se poser en 2002.
J'en viens maintenant aux programmes de construction et de rénovation des
établissements.
De nombreuses constructions ont été annoncées au cours des dernières années, à
tel point, madame le ministre, que nous avons du mal à y voir clair.
N'aurait-il pas été préférable, comme l'a souligné notre excellent collègue
Hubert Haenel, de présenter une loi de programme, afin que des échéances
précises puissent être arrêtées ? Que se passe-t-il actuellement ? Des
milliards de francs d'autorisations de programme sont inscrits aux budgets
successifs, mais les crédits de paiement ne suivent pas. En outre, les crédits
de paiement prévus ne sont pas consommés. Ainsi, en 2000, leur taux de
consommation n'a pas dépassé 35 %. La Cour des comptes a d'ailleurs critiqué le
système de lissage des autorisations de programme, qui ne permet pas au
Parlement d'avoir une vision claire de la politique suivie.
Dans ces conditions, je me félicite, madame le ministre, que vous ayez créé un
établissement public administratif pour la gestion des constructions et
rénovations, conformément à la proposition de la commission d'enquête du Sénat.
A cet égard, il n'aurait pas été inutile de faire figurer des parlementaires au
sein du conseil d'administration, comme c'est le cas pour l'établissement
public de l'hôpital pénitentiaire de Fresnes.
Ce projet de budget étant le dernier de la législature, je conclurai mon court
propos par un bilan rapide de l'action conduite ces dernières années.
Madame le ministre, votre prédécesseur et vous-même avez consacré des moyens
financiers importants à l'administration pénitentiaire. Nous le reconnaissons,
mais il faut bien constater que les retards accumulés, les missions nouvelles
et la réduction du temps de travail n'auront guère permis d'utiliser ces moyens
pour obtenir une véritable amélioration du fonctionnement des
établissements.
Par ailleurs, comme je l'ai indiqué précédemment, la multiplication des
annonces de rénovation et de construction d'établissements a suscité des
attentes, mais le rythme des réalisations est sans rapport avec celui des
annonces.
Enfin et surtout, nous avons vu s'ouvrir, selon l'expression de M. Robert
Badinter, ces dernières années, une « fenêtre d'opportunité », permettant de
réformer en profondeur le système pénitentiaire. L'opinion était sensibilisée à
cette question, le Parlement a accompli un travail très approfondi, mais
l'action tarde et plus l'on attend, plus elle sera difficile à mener.
Je ne méconnais pas, madame le ministre, l'importance des efforts budgétaires
consentis par le Gouvernement. Je crains néanmoins qu'une occasion historique
de faire évoluer une administration marquée par des pesanteurs fortes n'ait pas
été saisie.
C'est donc avec beaucoup de regret que la commission des lois a donné un avis
défavorable...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Certains des membres de la commission !
M. Georges Othily,
rapporteur pour avis.
Soit ! La majorité des membres de la commission des
lois...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
D'accord !
M. Pierre Fauchon.
Les meilleurs d'entre eux !
M. Georges Othily,
rapporteur pour avis.
... a donné un avis défavorable à l'adoption des
crédits du ministère de la justice consacrés à l'administration pénitentiaire.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants. - M. le
rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard, rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
pour la protection judiciaire de la jeunesse.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, les crédits consacrés à la protection
judiciaire de la jeunesse apparaissent cette année, au sein du projet de budget
du ministère de la justice, comme le parent pauvre.
(M. Dreyfus-Schmidt
sourit.)
En effet, leur hausse est limitée à 0,99 %, ce qui marque une stagnation par
rapport aux lois de finances initiales pour 2000 et pour 2001.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais pas par rapport à Chalandon !
M. Patrice Gélard,
rapporteur pour avis.
Ce coup d'arrêt aux progressions budgétaires
enregistrées les années précédentes est plus que regrettable, car il intervient
à un moment où les services de la protection judiciaire de la jeunesse sont
confrontés à des difficultés structurelles croissantes. Trois remarques et deux
questions vont éclairer mon propos.
Première remarque : la commande judiciaire ne connaît pas de stagnation. Au
contraire, la délinquance des mineurs a encore augmenté, de près de 3 %, en
2000, et les chiffres de 2001 sont encore plus inquiétants. Certes, on peut
constater une réponse pénale à hauteur de 77,5 %. Encore faudrait-il que les
mesures prononcées par les parquets soient effectivement suivies d'effet, ce
qui n'est pas souvent le cas. Les services de la protection judiciaire de la
jeunesse ne disposent pas des moyens leur permettant de mettre à exécution dans
de bonnes conditions les mesures prononcées par les juridictions. Trois mille
cinq cents mesures sont en attente d'exécution et chaque éducateur doit suivre
une trentaine de mesures.
Deuxième remarque : les 300 créations d'emploi, au lieu de 380 en 2000 et de
380 en 2001, sont certes positives, mais elles risquent fort de se révéler
notoirement insuffisantes. Dans un contexte de passage aux 35 heures, de
création d'un troisième poste d'agent technique d'éducation dans les foyers, de
mise en place d'éducateurs remplaçants et alors qu'il subsiste encore 6,4 %
d'emplois vacants, on peut se demander dans quelle mesure un travail a été
réellement effectué pour améliorer l'adéquation des personnels aux tâches de
plus en plus difficiles et ardues qui sont les leurs, notamment depuis que la
proportion des mineurs sous protection judiciaire au titre de l'ordonnance de
1945 représente le double du nombre des autres mineurs en danger, suivis au
titre de l'assitance éducative. On peut légitimement se demander si les modes
de recrutement permettront de recruter des personnes plus expérimentées et
relativement plus âgées. En effet, cela ne sera possible que si l'attractivité
des métiers éducatifs est préservée ou même améliorée. Ne faudrait-il pas - je
me pose cette question pour la quatrième année consécutive - envisager un
reclassement des éducateurs, ne serait-ce que pour les mettre au même niveau
que les professeurs des écoles et pour tenir compte des avantages qui ont été
acquis au cours des dernières années par un certain nombre de personnels de la
catégorie B de la fonction publique.
La troisième remarque concerne les crédits de paiement en investissement, qui
diminuent, une nouvelle fois, de 44 % pour 2002, après une baisse de 53 % en
2001. L'argument selon lequel il faut tenir compte de la faiblesse du taux de
consommation des crédits n'est pas satisfaisant. En effet, il accréditerait
l'idée selon laquelle les crédits ne sont votés que dans un seul but
d'affichage, et non pour être effectivement consommés. Les hausses
significatives des crédits que nous avions approuvées à l'unanimité voilà
respectivement deux et trois ans n'étant pas suivies d'effet sur le terrain, il
est permis de s'interroger sur le crédit que vous accordez, madame la ministre,
à l'autorisation parlementaire.
Je formulerai une dernière et très courte remarque : je souhaiterais qu'un
partenariat plus actif se développe entre les services de la protection
judiciaire de la jeunesse et les autres services de l'Etat, comme l'éducation
nationale ou la santé publique, par exemple.
J'en viens aux deux questions que je voulais vous poser.
La première : comment peut-on, avec seulement 20 millions de francs de crédits
de paiement pour les investissements, terminer en 2002 le programme de création
des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés, alors
qu'à peine la moitié de ces derniers centres ont été réalisés en trois ans et
que les reports de crédits d'une année sur l'autre ne sont nullement
automatiques ? A ce propos, compte tenu de la montée en puissance de la
délinquance juvénile, on peut se demander si cette politique des centres
éducatifs renforcés correspond aux exigences actuelles de la société.
J'en viens à ma seconde question. La baisse des crédits alloués au secteur
sssociatif habilité conduit à se demander s'il n'y a pas un certain
désengagement de ce secteur lié à la spécialisation de la protection judiciaire
de la jeunesse, du secteur public vers le pénal et du secteur associatif vers
les mesures d'assistance éducative ? Enfin, depuis des années nous réclamons
que soit effectué un contrôle efficace des associations et que soit vérifiée la
légitimité réelle de certaines d'entre elles.
Compte tenu de ces remarques et de ces questions, nous considérons que les
moyens alloués aux services de la protection judiciaire de la jeunesse ne lui
permettront pas de faire face à l'ampleur de ses missions. Aussi, la commission
des lois a émis un avis défavorable sur l'adoption de ces crédits.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 28 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 14 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférence des
présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser 10
minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues : « La
justice est toujours une question d'équilibre...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La balance !
M. Bernard Plasait.
... L'équilibre est son concept essentiel, donc absent de tous les codes,
civil ou pénal. Essentiel donc implicite. Ou invisible comme le sont les
fondations ou fondements ».
C'est par ces mots d'Alain Etchegoyen débute sa description de la justice,
dans son dernier livre,
Vérité ou Libertés.
La justice aime la vérité et prend les moyens de la rechercher : magistrats,
enquêtes, instructions, décision. La justice démocratique aime les libertés et
se donne les moyens de les défendre : avocats, procédures, annulations,
plaidoiries, etc.
Mais les représentations explicites de la justice évoquent d'autres
équilibres. La justice est tellement sensible aux circonstances que ses
symboles sont invariables : balance et yeux bandés.
Si la déesse Justitia a les yeux bandés pour exhiber sa neutralité, comme dans
la fresque de Lorenzetti sur les murs du palais de Sienne, nous ne pouvons pas,
nous, madame la ministre, nous voiler la face.
Aujourd'hui, cet équilibre est rompu. Sur les plateaux de la balance, les
libertés ont fait basculer le fléau aux dépens de la sûreté générale.
L'équilibre cède la place au déséquilibre. La justice engendre l'injustice. Le
trafiquant de drogue est remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire,
avec prière de se présenter le lendemain. Après l'heure, ce n'est plus l'heure
! Les guichets sont fermés, comme à la sécurité sociale. On pourrait multiplier
les exemples. Les bavures judiciaires sont de plus en plus fréquentes, au point
d'exaspérer les fonctionnaires de police. Leurs efforts, des heures et des
heures d'enquêtes sont ruinés par la décision d'un magistrat irresponsable.
Puis, après avoir échappé à la justice, les voyous exécutent froidement des
policiers ou des gendarmes.
Dans les quartiers, des mineurs multirécidivistes terrorisent la population,
se jouent des forces de l'ordre et trouvent l'attention d'une justice trop
souvent compatissante. Les incivilités ont remplacé les délits. Les droits des
délinquants l'ont emporté sur la protection des victimes.
En revanche, les foudres de la justice s'abattront sur les honnêtes citoyens
dès la première incartade. Et nos concitoyens considèrent désormais, hélas !
que la justice n'est pas juste.
On a longtemps déploré la pauvreté de l'institution judiciaire. Les moyens
manquaient. Cette insuffisance était notoire. Elle affectait à la fois les
effectifs, les traitements et les moyens matériels.
Force est de constater que, globalement, un effort budgétaire a été fait
puisque la part du budget de la justice dans le budget de l'Etat est passée de
1,51 % en 1997 à 1,74 % pour le projet de budget dont nous débattons. C'est
indéniable, même s'il faut rappeler que les 30,7 milliards de francs de crédits
annoncés pour 2002 sont encore assez loin des 35 milliards de francs que notre
éminent collègue M. Hubert Haenel a toujours réclamés comme étant le seul
niveau susceptible de permettre au service public de la justice de fonctionner
correctement.
Cependant, la question de l'équilibre que j'évoquais ne se réduit pas à des
choix budgétaires : elle traverse le fonctionnement de la justice elle-même,
quels que soient ses moyens et ses financements. C'est pourquoi, au-delà du
montant de l'enveloppe budgétaire, il convient d'apprécier les orientations de
la politique que vous conduisez.
La délinquance et la criminalité explosent dans notre pays. La première des
causes n'est pas économique, elle est politique ! Les délinquants n'ont plus
peur de la police parce qu'ils ne craignent plus la justice. Ils savent bien
que la justice est aléatoire, les procédures longues et la sanction
incertaine.
Quand une victime va dans un commissariat déposer plainte, pour vol avec
violence, par exemple, on lui remet une brochure avec les coordonnées des
services et associations qui peuvent lui venir en aide.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez voté cette disposition !
M. Bernard Plasait.
Est-ce vraiment ce qu'attend une victime ? En tout cas, elle n'attend pas
seulement cela. Une victime peut d'abord légitimement attendre de n'être pas
victime, parce qu'elle a le droit de vivre en sécurité et que c'est le devoir
de l'Etat que d'assurer l'effectivité de ce droit. Et si, par cas, elle est
victime, c'est aussi le devoir de l'Etat de retrouver les auteurs de l'acte et
de les sanctionner.
Seulement, la réalité est tout autre. Les gardes à vue ont diminué de 10 % et
les détentions provisoires de 20 % depuis le début de l'année.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Heureusement ! C'est bien ce que nous voulions !
M. Bernard Plasait.
Le scandale de l'impunité est un encouragement à la délinquance, notamment
chez les jeunes. Ce sentiment d'impunité est maintenant un fait majeur dans
notre société française.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
N'en abusez pas !
M. Bernard Plasait.
En effet, 84 % des plaintes sont classées sans suite et seulement 5 % des
affaires arrivent à la phase du jugement, si bien que, au total, 1 % seulement
des affaires font l'objet d'un jugement prononcé.
Le sentiment que le crime paie est le principal encouragement à la
délinquance. Les plus jeunes ne s'y trompent pas : ils acquièrent très tôt la
certitude de vivre dans un système de punition zéro.
En dix ans, la délinquance a été multipliée par deux, mais il n'y a pas plus
de peines prononcées. Aujourd'hui, il est donc deux fois moins dangereux d'être
délinquant que voilà dix ans.
Le règne de la justice virtuelle assure le règne des voyous. Mais ce scandale
de l'impunité cache un scandale moins connu : la non-exécution des peines. Une
étude réalisée par l'Union syndicale des magistrats révèle que les deux tiers
des peines de moins de six mois ne seraient pas exécutées.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Je l'ai écrit voilà trois ans !
M. Bernard Plasait.
Je vous demanderai, madame la ministre, d'en finir avec un secret, que je ne
comprends pas, et de bien vouloir nous fournir le taux, que je n'ai pas réussi
à me procurer, de non-exécution des peines de plus de six mois.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Il faudrait aussi parler de l'exécution des amendes !
Là, les données sont connues !
M. Bernard Plasait.
Madame la ministre, j'aurais vivement souhaité que votre budget soit en
progression beaucoup plus forte. Il faut faire le choix - et c'est un choix
libéral - du redéploiement du budget de l'Etat vers ses véritables missions, et
notamment celle de la justice qui, je le crois, est le point clé de la remise
en marche de la production de sécurité.
On ne peut se priver des moyens de résorber le formidable embouteillage de la
justice ; on ne peut se priver des moyens d'appliquer la loi sur la présomption
d'innocence en évitant ses fruits vénéneux, ses effets pervers qui paralysent
la police.
L'augmentation du budget, c'est le bon chemin, mais il est emprunté à vitesse
trop réduite.
La situation est tellement grave que le Gouvernement devrait vraiment, si
j'ose dire, « mettre le paquet » pour assurer le retour à un bon fonctionnement
de la justice.
Joubert, dans ses
Pensées,
écrivait : « La justice sans force et la
force sans justice : malheurs affreux. » Pour ne pas connaître ces malheurs, il
faut une bonne politique appliquée avec une farouche volonté politique. Madame
la ministre, la quantité des moyens mis à disposition du fonctionnement de
cette justice, c'est la preuve du passage ou non des paroles aux actes.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un
budget n'est pas seulement l'état prévisionnel des dépenses d'un département
ministériel. Il est aussi l'instrument d'une politique dont le ministre définit
les objectifs en même temps qu'il dégage les moyens pour les mettre en
oeuvre.
Le budget n'est pas seulement une forme d'audit comptable ; il est aussi un
audit politique.
Puisque le temps du bilan global de l'action gouvernementale est venu, nous
pouvons donc nous prononcer sur celui du Gouvernement dans le domaine de la
justice en détaillant son budget.
Madame la garde des sceaux, vous pouvez vous prévaloir d'avoir fait franchir
la barre symbolique des 30 milliards de francs, d'avoir obtenu une progression
de vos crédits de 5,7 %, soit trois fois plus que l'augmentation du budget
général ; vous pouvez également être satisfaite d'avoir permis le doublement de
l'unité de valeur des avocats dans le cadre de l'aide juridictionnelle et
d'avoir accru le nombre des greffiers ainsi que celui des surveillants de
prison ; en outre 320 postes nouveaux de magistrats ont été créés, en
application du plan quadriennal décidé par le Premier ministre.
Toutefois, M. le rapporteur spécial note que l'application de la réduction du
temps de travail tempère quelque peu les discours volontaristes du
Gouvernement. Il évalue à 700 sur 1 221 les emplois destinés à compenser cette
mesure et souligne que les personnels travaillent tout de même moins que les 1
600 heures prévues.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Dans l'administration pénitentiaire !
M. Josselin de Rohan.
A juste titre, notre collègue Hubert Haenel regrette que l'alourdissement des
tâches des magistrats entraîné par les lois nouvelles n'ait pas été précédé
d'études d'impact suffisamment précises, objectives et fiables des conséquences
pour les personnels desdites lois.
Je poserai deux questions.
Tout d'abord, vous allez recruter 250 magistrats au titre des trois concours
d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature, dont 125 au titre du concours
complémentaire. Est-il exact que, le financement prévu pour ce dernier
recrutement étant insuffisant, l'Ecole nationale de la magistrature devra
puiser dans son fonds de roulement pour assurer ce financement, ce qui serait
manifestement illégal, les fonds de roulement n'étant destinés qu'à financer
des charges exceptionnelles ?
Par ailleurs, avez-vous mesuré les conséquences financières de votre décision
d'accorder la gratuité de la délivrance de la première copie des pièces pénales
?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Oui !
M. Josselin de Rohan.
Pour le seul tribunal de grande instance de Paris, cette décision devrait
conduire à 10 millions de copies supplémentaires par an, qui exigeront la
disponibilité de onze agents nouveaux et l'achat de neuf photocopieurs à haut
débit ! Ce n'est donc pas avec les 3 millions de francs inscrits à votre budget
que vous pourrez faire face à l'inflation des demandes pour l'ensemble des
tribunaux.
Mais je cesse là mes observations sur les moyens pour m'étendre davantage sur
les orientations de la politique gouvernementale dans le domaine de la
justice.
Ce n'est pas, madame la garde des sceaux, faire preuve d'esprit politicien au
quotidien que de constater le grave divorce qui s'est instauré dans notre pays
entre le justiciable et la justice, ou le mécontentement latent ou éclatant des
magistrats à l'égard de l'institution judiciaire. C'est avec consternation que
ceux qui, comme moi, ont servi cette dernière de leur mieux pendant des années
voient l'Etat, assailli tous les jours de revendications contradictoires,
perdre sa crédibilité, son autorité et bientôt contester sa légitimité. Et
quand les citoyens doutent de leur justice, c'est l'Etat qui est malade.
Les justiciables perdent confiance en la justice parce que, devant une montée
irrépressible de la délinquance et de l'insécurité, ils ont le sentiment que
les infractions ne sont pas punies ou ne le sont pas à leur juste mesure. Ils
ne comprennent pas que leurs plaintes ne soient pas accueillies ou qu'on ne
leur donne aucune suite, que certains crimes ne soient jamais élucidés, que des
criminels notoires ou des trafiquants pris en flagrant délit soient relâchés en
vertu de procédures aussi ésotériques que complexes. « Selon que vous serez
puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Vous avez signé, le 9 mai de cette année, une circulaire demandant aux préfets
et aux procureurs généraux d'informer la population sur les sanctions que
décident les juges. Il est à craindre que cette incitation ne reste qu'un voeu
pieux car, à ce jour, les maires sont toujours laissés dans l'ignorance de la
suite donnée aux actes délictueux commis dans leur commune.
Je tiens à votre disposition, madame la garde des sceaux, une lettre d'un juge
d'application des peines à un maire du Morbihan qui l'avertissait du danger
potentiel que représentait l'un de ses administrés et lui demandait de prendre
des mesures. Ce magistrat a répondu avec hauteur au maire de bien vouloir se
mêler de ses affaires et de le laisser agir. Huit jours plus tard, le
multirécidiviste était incarcéré pour coups et blessures sur la voie publique,
sous emprise de la drogue.
Quel crédit les citoyens peuvent-ils accorder à des magistrats qui appellent
ouvertement à violer une loi votée par le Parlement au motif qu'elle contient
des dispositions avec lesquelles ils sont en désaccord, ou qui publient dans un
petit fascicule les moyens de s'opposer à la police ?
Quelles sanctions disciplinaires sont-elles envisagées pour rappeler au plus
élémentaire de leurs devoirs ces serviteurs indignes ?
(M. Dreyfus-Schmidt
s'exclame.)
M. Jacques Oudin.
Aucune !
M. Josselin de Rohan.
Quels respect peut avoir le justiciable ordinaire pour les juges lorsqu'il
voit qu'un provocateur, doublé d'un imprécateur, peut injurier les plus hauts
magistrats de ce pays ou les plus hautes juridictions sans que des poursuites
soient engagées contre lui ?
(M. Oudin acquiesce.)
L'un de ces hauts
magistrats a été conduit à la démission ; l'autre, avec dignité, n'a sollicité
aucun appui ; il n'avait d'ailleurs pas à le faire, mais il aurait dû en
bénéficier sans même avoir besoin de le demander !
Le secret de l'instruction, le non-respect de la présomption d'innocence sont
quotidiennement bafoués. Je suis de ceux qui pensent que, contrairement à ses
détracteurs, la loi sur la présomption d'innocence constitue un progrès ...
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
... qui devrait garantir les droits et la dignité des personnes, même si
certaines dispositions doivent être revues afin d'éviter que les délinquants ne
bénéficient de protections abusives.
Encore faut-il que les magistrats et les policiers disposent des moyens en
personnels et en matériels nécessaires pour faire face aux charges très lourdes
qu'entraîne l'application de la loi. Il semble bien que cet aspect du problème
n'ait pas été suffisamment pris en considération.
S'agissant des magistrats, j'ai lu dans votre livre
Etre juste,
justement
quelques affirmations qui me paraissent appeler des
observations.
Au passage, je tiens à vous faire mes compliments pour avoir eu le temps
d'écrire un ouvrage alors que vous assumez de lourdes tâches. Pour avoir été,
voilà fort longtemps, le modeste collaborateur d'un garde des sceaux, je ne
pensais pas que l'on pût, dans cet emploi, avoir la disponibilité nécessaire
pour l'écriture,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Jaloux !
M. Josselin de Rohan.
... mais sans doute avais-je des préjugés !
Vous n'entendez pas, dites-vous, donner des instructions aux procureurs pour
les affaires individuelles. Soit ! Mais vous ne nous dites pas comment éviter
la parcellisation et donc l'absence d'unité de la politique pénale. Certes,
vous adressez des circulaires aux parquets pour leur rappeler quelques
principes généraux, ou vous souhaitez que, dans le ressort d'une cour d'appel,
les procureurs généraux puissent discuter de la politique pénale avec les
procureurs ou avec les substituts.
Mais quelle garantie aura le justiciable qu'un crime ou un délit sera qualifié
de la même manière à Rennes et à Lille ? Y aura-t-il, un jour, de bonnes ou de
mauvaises cours où l'on aurait ou non intérêt à se faire juger ?
D'ailleurs, la conférence des procureurs généraux vous a demandé, si mes
informations sont exactes, que des instructions individuelles soient données au
parquet. Quelle suite avez-vous donné à cette demande ?
(M. Dreyfus-Schmidt
s'exclame.)
A plusieurs reprises, vous m'avez indiqué que les réformes de la justice
attendues par les citoyens avaient été bloquées par la décision du Président de
la République de ne pas convoquer le Congrès pour procéder à la réforme du
Conseil supérieur de la magistrature. Mais le Chef de l'Etat, sachant que cette
réforme n'obtiendrait pas les trois-cinquièmes des voix nécessaires à son
adoption, a tout simplement voulu éviter l'échec du Congrès ; et vous savez
très bien que la rupture du lien entre le parquet et l'exécutif rencontre une
forte hostilité qui ne se limite pas à l'opposition. Je ne vois donc pas du
tout le lien que vous avez pu opérer entre une réforme qui n'a pas vu le jour
parce qu'on ne voulait pas convoquer le Congrès et toutes les autres réformes
qui attendent. Il n'y a absolument aucun lien entre tous ces points !
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Vous avez provoqué au ministère de la justice des réunions que vous avez
baptisées « Entretiens de Vendôme ». Quelles suites concrètes ont-elles été
données à ces colloques ? A quels projets donneront-ils le jour ?
Enfin, il ne faut à mon avis pas confondre, d'une part, l'indépendance des
juges, fondement même de la démocratie et de la justice, indépendance qui
interdit toute immixtion de l'exécutif dans l'instruction, le déroulement des
procès et la reddition des arrêts, et, d'autre part, la bonne administration de
la justice, dont l'exécutif demeure le garant.
Le ministre de la justice n'a pas pour seule mission de fournir à la justice
les moyens en personnel, les bâtiments et les matériels dont il a besoin ; il
doit aussi veiller au respect des règles du droit. Et, lorsque le principe
hiérarchique est délibérément transgressé par un magistrat du parquet, la
Chancellerie ne peut demeurer muette. Madame le garde des sceaux, on ne
gouverne pas d'un balcon !
Nous savons bien que la justice n'est pas intemporelle, et qu'elle doit
s'accommoder de la société et de l'époque dans laquelle elle s'exerce. Elle est
d'autant moins désincarnée qu'elle est l'ouvrage des hommes et qu'elle doit
affronter leurs passions et leurs faiblesse. « La droite, nous dites-vous, doit
admettre une vérité d'évidence : la violence de notre société nous interpelle
tous. » Eh bien ! la gauche devrait admettre une vérité non moins évidente : la
loi ne doit pas céder à la violence !
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Vous avez fait une découverte très intéressante sur le plan sociologique, à
laquelle - il faut en convenir - nul n'avait pensé avant vous : l'organisation
de la criminalité répondrait - je n'invente rien - aux principes défendus par
l'ultralibéralisme politique.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Oui !
M. Josselin de Rohan.
Jean-Baptiste Say serait donc en quelque sorte l'inspirateur de Pierrot le Fou
et, peut-être, l'économiste Denis Kessler celui des voyous des banlieues ! Je
ne sais pas si c'est très sérieux. J'ai, à dessein d'ailleurs, escamoté le nom
d'un collègue que vous avez épinglé dans votre livre comme étant un
ultralibéral. Et il faudrait d'ailleurs que vous nous expliquiez un jour ce
qu'est l'ultralibéralisme, car je n'ai pas encore très bien compris quelle
était la définition de cette abominable doctrine.
En vérité, il faut comprendre que l'urgence doit nous conduire à privilégier
aujourd'hui, dans ce pays, la lutte contre la délinquance. Et changeons tout
d'abord de vocabulaire : il y a non pas un sentiment d'insécurité, mais
l'insécurité ; pas d'incivilités, mais des infractions ; pas de sauvageons,
mais des délinquants ; pas de drogues douces ou dures, mais des stupéfiants aux
effets dévastateurs.
Faisons évoluer les mentalités en favorisant une approche pluridisciplinaire -
justice, police, éducation nationale - de la prévention de la délinquance.
Ciblons en priorité l'action sur les trafiquants de stupéfiants, en nous
attaquant d'abord aux adultes et en visant tous les types de trafics, dans les
zones de non-droit.
Mme Nicole Borvo.
Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Josselin de Rohan.
Recourons plus fréquemment au jugement des affaires pénales en comparution
immédiate. Organisons des petites unités judiciaires et policières composées de
personnels compétents et motivés, proches du terrain et chargés de traquer les
délinquants professionnel. Redéployons les moyens en personnels existants,
souvent utilisés à contre-emploi.
Seule une justice qui rassure est une justice admise et comprise par nos
concitoyens. Nous ne sommes pas, madame la garde des sceaux, en proie à
l'obsession sécuritaire si longtemps dénoncée par vos amis. Mais nous nous
souvenons que la sûreté figure au tout premier rang des principes que voulait
garantir la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Refuser de prendre en
compte cette formidable aspiration nous conduirait à des déchirements que nous
ne soupçonnons pas.
« Le poisson pourrit par la tête », disait Mao Tsé-Toung, une référence qui ne
devrait pas vous choquer.
Le malaise de la justice n'est qu'un symptôme de la dégradation de l'Etat.
Redonner à nos compatriotes confiance en l'Etat, en la justice et en la loi,
voilà l'urgence. Adapter aux réalités de notre temps notre système judiciaire,
voilà un impératif. Pour y parvenir, il faudra une autre direction, une autre
impulsion et une autre majorité !
(Applaudissements sur les travées du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues,
l'actualité de ces dernières semaines a placé au centre du débat politique les
problèmes de sécurité. Ce n'est pas nouveau, car nos concitoyens ont toujours
le sentiment que la société est mal protégée contre l'insécurité ; et il est
difficile de leur faire comprendre que seules 13,7 % des affaires, si l'on se
réfère aux statistiques du ministère de la justice, font l'objet de
poursuites.
Cela doit bien entendu être nuancé car, si, sur les 1 300 000 affaires
poursuivables, près du quart font l'objet de procédures alternatives aux
poursuites, ce dont on ne peut que se réjouir même si c'est sans doute encore
insuffisant, on peut s'interroger sur le tiers des dossiers classés sans suite.
Et, bien entendu, les affaires allant à l'instruction sont presque
résiduelles...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest.
... puisque leur nombre constitue une très faible part - 6 % je crois - des
affaires soumises par les parquets.
Dans ces conditions, les forces de sécurité, chargées d'une mission de plus en
plus difficile face à une délinquance souvent violente, ont le sentiment de ne
pas être entendues par une justice lointaine et de travailler en pure perte,
parfois au péril de leur vie.
Et ce ne sont pas les protestations véhémentes, excessives d'une organisation
professionnelle de magistrats qui sera de nature à calmer l'exaspération des
forces de l'ordre.
Dans ces conditions, toute « bavure » judiciaire prend des proportions
considérables, et il faut être sourd pour ne pas avoir vu monter l'exaspération
des policiers, puis des gendarmes, à laquelle s'ajoute, bien entendu, ce que
l'on pourrait appeler « l'effet 35 heures ».
Justice pauvre, pauvre justice, pourrait-on dire, même s'il est vrai que,
depuis deux ans, les effectifs de magistrats ont progressé d'une manière
sensible comme ceux de greffiers, d'ailleurs. Au demeurant, selon les
rapporteurs, le taux de vacances dans cette catégorie serait encore trop
important.
Avec une progression de 5,68 %, le budget de la justice paraît donc
prioritaire, bien qu'il ne représente que 1,74 % du budget de l'Etat. Mais, il
y a vingt ans il n'en représentait que 1 %.
Il faut noter toutefois que les dépenses en capital, les crédits de paiement
diminuent de 6,93 % et les autorisations de programme de 13,7 %. C'est une
difficulté que vous aurez à résoudre, madame.
Peut-on en conclure à une amélioration sensible du traitement des dossiers en
matière tant de délais que de réponse judiciaire à la délinquance ?
Hélas non, sauf à la Cour de cassation et dans certaines cours d'appel, car
toute augmentation d'effectifs est largement obérée par les réformes engagées
sans que les moyens nécessaires aient été prévus.
C'est, bien entendu, le cas de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection
de la présomption d'innocence et les droits des victimes, qui, outre la
surcharge de travail qu'elle a engendrée, a posé aux petites juridictions,
notamment outre-mer, des difficultés d'organisation pratiquement
insurmontables. La preuve en est que 237 postes de magistrats ont été créés au
budget de 2001 pour la mise en oeuvre de cette réforme et 80 postes
supplémentaires dans le projet de budget pour 2002.
A ce sujet, madame le garde des sceaux, je tiens à vous dire que nous ne
pouvons que regretter le quasi-abandon, si l'on en croit la presse, de la
réforme de la carte judiciaire, que nous demandons tous depuis très longtemps.
Certes, il ne s'agit pas seulement de la réforme de la carte des tribunaux de
commerce, même si celle-ci paraît plus urgente. Mais, s'agissant des autres
tribunaux, la réforme sera encore très coûteuse en magistrats, et sans doute
peut-elle encore attendre.
Quant à l'application de la réduction du temps de travail, elle risque
d'absorber une grande partie des créations d'emplois prévues - certains
l'évalue à la moitié des postes créés. Comment pouvait-on penser qu'il était
possible de passer aux 35 heures sans création d'emplois, tout en améliorant le
service public de la justice ? Cela est vrai pour votre ministère comme pour
tout autre.
Autre sujet de préoccupation, bien entendu : « l'incapacité chronique » -
j'emploie les termes du rapporteur spécial de l'Assemblée nationale - du
ministère de la justice à consommer ses crédits d'équipement. Souhaitons que la
mise en place de l'agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la
justice permette de redresser une situation catastrophique, particulièrement
dans le secteur pénitentiaire. A ce sujet je rappellerai, une nouvelle fois,
que nous avions demandé que les travaux du secteur pénitentiaire soient pris en
charge par une agence composée de spécialistes. Les services de la chancellerie
ne sont pas nécessairement les plus compétents pour ce faire.
Avant d'aborder brièvement le budget de l'administration pénitentiaire et de
la protection judiciaire de la jeunesse, je ne peux éluder les prises de
position de certains magistrats contestant ouvertement la loi, appelant les
membres de leur organisation à écarter l'application de celles qu'ils jugent
inconstitutionnelles et attaquant tous azimuts le garde des sceaux, les
policiers et, bien entendu, le législateur.
Quelle réaction opposer à ces propos, comme à ceux qui dénoncent la loi du 15
juin 2000 ?
A cet égard, même si quelques simplifications et améliorations de procédures
demeurent possibles, est-il convenable que certains de ceux qui ont voté la loi
remettent en question l'appel des cours d'assises ou le fait que la détention
provisoire ne soit plus décidée par le juge d'instruction ? Pour ma part, je
pense que c'est un progrès. Le législateur avait tenté par trois fois de mettre
en oeuvre une telle réforme. Il y avait renoncé par manque de moyens. Elle est
finalement mise en application, mais il faut que les moyens suivent.
C'est un progrès également que la détention provisoire demeure l'exception.
Elle était souvent utilisée à des fins qui n'étaient pas forcément évidentes.
Mais, parallèlement, il ne faudrait pas relâcher trop vite ceux qui
mériteraient vraiment d'être placés en détention provisoire.
Certaines décisions, par leur caractère pour le moins surprenant - c'est un
euphémisme - nous inciteraient presque à penser que l'on cherche à caricaturer
la loi, si ce n'est à la saboter, avec les conséquences que l'on sait.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Ce n'est pas impossible !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ou alors voudrait-on, comme certains hauts magistrats le pensent, envisager la
dernière étape de cette révision déchirante de la procédure pénale que serait
la suppression du juge d'instruction, pour en venir enfin à la procédure
accusatoire préconisée par certains depuis de nombreuses années ?
S'agissant de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse, je ne puis que
partager l'avis de mon collègue Patrice Gélard sur la nécessité de prendre les
moyens indispensables de nature à permettre la mise en oeuvre effective des
mesures répondant à la « commande judiciaire ». Parce que l'on n'a pas pu
prendre les mesures à temps, beaucoup trop de jeunes, souvent, hélas,
multirécidivistes, sont encore incarcérés. Il serait temps, comme nous l'avons
fait pour les prisons, qu'une mise à plat des moyens de la justice des mineurs
soit réalisée. Le Sénat, à mon avis, est le mieux placé pour procéder à cette
enquête approfondie.
Quant à l'administration pénitentiaire, je crains, comme le rapporteur pour
avis de la commission des lois, qu'une « opportunité rare de faire évoluer une
administration marquée par de fortes pesanteurs n'ait pas été saisie ».
Je ne reviendrai pas sur les rapports des commissions d'enquête des deux
assemblées ni sur la proposition de loi votée à l'unanimité par le Sénat sur
les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Mais,
soyez-en sûre, nous suivrons avec attention le cheminement de l'avant-projet
qui, au-delà de la modernisation de l'administration pénitentiaire, s'attachera
à définir le sens de la peine. Il contient des pistes intéressantes, mais
pourquoi attendre pour régler les problèmes urgents de nature purement
réglementaire ou même organisationnels ? Je pense au Centre national
d'orientation, au travail en prison, à un certain nombre d'autres améliorations
qui pourraient être engagées sans texte.
Ne revenons pas sur les retards dans la mise en oeuvre du vaste programme de
rénovation et de reconstruction de notre parc pénitentiaire, qui n'a guère été
traduit dans les faits jusqu'à aujourd'hui, ni sur l'absorption des
augmentations d'effectifs, pourtant non négligeables, qui - attendons la suite
- ne manquera pas d'avoir lieu en application de l'aménagement et de la
réduction du temps de travail.
Nous connaissons très bien le phénomène des réactions en chaîne : quand une
catégorie chargée de la sécurité obtient des avantages, évidemment toutes les
autres catégories en réclament, cela peut être sans fin.
Je crois qu'en votant les 35 heures on a lancé une bombe dont les effets se
mesureront à très long terme.
C'est pourquoi, tout en notant les efforts faits dans le budget pour 2002 et
en saluant, madame la garde des sceaux, la manière dont vous assumez une
fonction très difficile, en ayant de surcroît à mettre en oeuvre des réformes
mal préparées, nous ne pouvons que regretter l'insuffisance des moyens. Pour
faire face à la montée du contentieux, à une croissance de la délinquance,
notamment à celle des mineurs, ces moyens et les méthodes adoptées ne sont
toujours pas à la hauteur de nos ambitions et des besoins.
A quand une véritable priorité accordée à cette mission fondamentale dans un
Etat de droit qu'est la justice ? Ce n'est pas encore pour maintenant, et je le
regrette profondément.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je
déplore d'avoir à intervenir sur le budget de la justice dans le climat actuel
particulièrement malsain.
Je suis atterrée, en effet, de la montée en puissance des discours haineux,
qu'on peut lire dans la presse ou entendre lors des questions d'actualité au
Gouvernement, ainsi que de l'exploitation de cas individuels pour stigmatiser
un prétendu laxisme des juges, devenus boucs émissaires commodes d'une campagne
électorale démagogique, et faire se dresser les uns contre les autres
magistrats, policiers, avocats et hommes politiques.
Certains jouent avec le feu en attisant les légitimes inquiétudes de nos
concitoyens. C'est un jeu dangereux alors que la lutte contre l'insécurité
exige, au contraire, une mobilisation générale en coopération avec tous les
acteurs qui ont vocation à travailler ensemble.
La polémique actuelle autour de la loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes n'est pas encourageante.
Pour ma part, j'assume totalement mon rôle de législateur et, s'il le fallait,
mes collègues et moi-même voterions à nouveau la loi aujourd'hui. Nous
continuons de penser en effet que ce n'est pas dans la régression des droits et
libertés que l'on progresse dans la voie de la sécurité.
Je veux également me rappeler que, à l'issue de la commission mixte paritaire
sur le projet de loi, nous ressentions sur l'ensemble de ces travées, je crois,
la satisfaction que donne le sentiment d'un travail en commun bien fait. Le
Sénat s'en félicitait d'autant plus qu'il avait largement contribué à faire de
ce texte un texte ambitieux : en effet, c'est à notre assemblée que nous devons
l'appel des décisions de cour d'assises ou la juridictionnalisation de
l'application des peines.
C'est pourquoi je suis profondément attristée de voir exploiter des événements
tragiques aux fins de remise en cause d'une loi qui, il faut le rappeler, a
permis d'aligner la procédure pénale française sur les standards européens en
matière de garanties et de droits et libertés individuelles. N'oublions pas que
la France avait été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits
de l'homme sur le délai raisonnable.
M. Claude Estier.
Très bien !
Mme Nicole Borvo.
Que certaines dispositions nécessitent une adaptation, c'est possible. Je
pense, en particulier, à la procédure d'appel des décisions de cour d'assises :
peut-être, en l'occurrence, conviendrait-il de prévoir un procès-verbal des
débats ? De même, la possibilité pour le parquet de faire appel de
l'acquittement semble devoir s'imposer à terme. Nous ne sommes pas non plus
hostiles à la possibilité de regroupement des locaux de garde à vue, comme cela
se fait actuellement dans certaines villes.
On sent bien, dans les critiques actuelles, un affichage symbolique «
pro-sécuritaire », qui ne sert pas, contrairement à ce qu'on veut bien dire, la
cause des policiers puisqu'elles focalisent l'attention sur des aspects
procéduraux au lieu de mettre en évidence la pénurie patente de moyens de la
police, notamment en matière d'enquête.
Doit-on alors interpréter ces réactions comme une résistance culturelle de
notre pays, comme un manque de volonté politique ? Car, au-delà de
dysfonctionnements, dont certains n'ont pas grand-chose à voir avec la loi du
15 juin, il est dans la logique de renforcement de la présomption d'innocence,
telle que nous l'avons voulue, que des personnes poursuivies pour la
participation vraisemblable à une infraction ne soient pas incarcérées avant
d'être jugées et qu'elles regagnent leur domicile ou leurs quartiers à l'issue
de la garde à vue ou sur décision d'un magistrat.
C'est pourquoi, madame la ministre, nous approuvons totalement votre fermeté à
l'égard de l'application de la loi.
L'idée d'évaluation nous laisse d'ailleurs perplexes s'agissant d'une loi
entrée en application, pour partie il y a un an, pour l'autre il y a à peine
six mois, et pour laquelle il existe déjà un comité de suivi. Nous déplorons, à
cet égard, de ne pas disposer de statistiques précises sur la mise en oeuvre de
la loi, ce qui pose, de nouveau, la question d'un outil statistique fiable au
sein du ministère de la justice.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'est vrai !
Mme Nicole Borvo.
Je refuse en tout cas de me livrer au jeu qui consiste à offrir à la vindicte
populaire des magistrats qui font, pour la majorité d'entre eux, preuve d'un
sens professionnel aigu, et je remercie M. le Premier ministre de l'avoir
rappelé la semaine dernière.
Il est surtout déplorable que cette polémique stérile occulte les défis très
importants auxquels l'institution judiciaire doit faire face.
Il est essentiel de s'interroger, en effet, sur le rapport du citoyen à la
justice, qui n'est pas bon, il faut bien le dire.
En dehors de l'effet produit par les affaires - comment passer le sujet sous
silence ? - il faut relever l'indifférence inquiétante qui s'est manifestée à
l'occasion des entretiens de Vendôme, au cours desquels l'association des
citoyens à la réflexion sur la réforme de la justice a été, aux dires du
rapporteur lui-même, un échec. De même, l'enquête de satisfaction réalisée
auprès des usagers de la justice, en mai 2001, montre que, si leur rapport de
confiance dans la justice paraît plutôt positif, le regard que 57 % d'entre eux
portent sur son fonctionnement est négatif.
Cette mauvaise appréciation tient notamment aux délais de jugement, qui sont
encore beaucoup trop longs, spécialement en matière civile, matière trop
souvent oubliée de nos débats : ils sont encore de 8,9 mois en moyenne, mais de
10,2 mois devant les conseils de prud'hommes et de 18,4 mois devant les
juridictions commerciales. Parallèlement, le stock d'affaires en instance
continue d'augmenter.
Une réforme d'ensemble de la structure s'avère donc toujours aussi
indispensable, et c'est en ces termes qu'il convient de poser la question des
moyens de la justice : non, ce n'est pas la loi relative à la présomption
d'innocence qui crée des problèmes dans les tribunaux ; c'est la pénurie
endémique de moyens qui rend difficile le fonctionnement de l'appareil
judiciaire dans son ensemble, rendu plus complexe par le vote de cette loi.
Cela correspond d'ailleurs aux craintes que j'avais exprimées lors de la
précédente discussion budgétaire.
Il faut souligner que ce gouvernement est certainement le premier à avoir pris
la mesure de l'enjeu en augmentant considérablement le budget de la justice,
qui a fonctionné à moyens constants pendant de trop nombreuses années : pour
2002, il est en augmentation de 5,7 %, ce qui porte la hausse cumulée depuis
1997 à 29 % ! En termes de personnels, ce sont 7 300 emplois qui ont été créés
en cinq ans, dont 2 792 pour cette année.
La justice est donc devenue une véritable priorité du Gouvernement même si
elle ne représente toujours qu'une faible part du budget de la nation : un
petit 1,75 %.
Il convient donc de s'interroger sur le projet de justice au service duquel
doit se reconstruire l'institution elle-même. C'était l'objectif de ces «
entretiens de Vendôme », madame la ministre, une initiative dont on peut
regretter qu'elle n'ait pas été suffisamment soutenue.
A l'heure où la justice devient le principal régulateur social, à travers une
judiciarisation massive à laquelle, nous, législateur, nous empressons
malheureusement souvent de contribuer, la réforme de la justice doit, me
semble-t-il, être pensée dans le cadre plus général d'une réflexion sur le rôle
des institutions politiques et sociales.
La justice de proximité est un défi de taille, auquel a commencé à s'attaquer
le Gouvernement. Nous ne pouvons que déplorer, de ce point de vue, le retard
pris dans le développement des maisons de justice et du droit, présentes dans
seulement une moitié des départements.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'est vrai !
Mme Nicole Borvo.
Nous devons également regretter, dans le même ordre d'idées, que la carte
judiciaire soit aujourd'hui définitivement enterrée et nous aimerions obtenir
des éclaircissements sur ce sujet, madame la ministre.
C'est sur l'ensemble de ces questions que notre société doit s'interroger pour
déterminer la part de richesse qu'elle entend consacrer à la justice.
Vous me permettrez de m'attarder un instant, avant de conclure, sur les moyens
de la protection judiciaire de la jeunesse, dans un contexte où certains
préfèrent l'affichage médiatique de la modification, dans un sens répressif, de
l'ordonnance de 1945.
A plusieurs reprises nous avons dit que la réponse à la délinquance des
mineurs résidait certainement moins dans le renforcement d'un arsenal juridique
déjà substantiel que dans l'octroi de moyens suffisants pour une application
effective des dispositions existantes. Les sénateurs communistes avaient, dans
cette perspective, accueilli favorablement la demande de constitution d'une
commission d'enquête par la majorité sénatoriale, qui n'a pas été suivie
d'effet.
Je dois vous dire, madame la ministre, que le groupe des sénateurs communistes
républicains et citoyens ne peut se satisfaire d'un budget en stagnation pour
la protection judiciaire de la jeunesse, alors que l'importance de l'enjeu
nécessiterait, au contraire, un effort tout particulier.
On connaît notamment le manque patent d'éducateurs spécialisés - le rapport
Lazergues-Balduyck l'a suffisamment évoqué - et ce ne sont pas les 295 postes
créés cette année, contre 380 l'an dernier, ni le recours au personnel précaire
qui permettront d'arranger les choses.
On sait également les difficultés que soulève le recrutement de personnels
pour les centres d'éducation renforcés ou les centres de placement immédiat. La
réalisation de ces centres prend d'ailleurs du retard, notamment en raison des
fortes résistances de certains élus locaux. La revalorisation statutaire
insuffisante et les problèmes inhérents à la mise en place de la réduction du
temps de travail ne contribuent pas non plus à remotiver des personnels très
éprouvés. Nous tirons ici une sonnette d'alarme : j'espère que le Gouvernement
l'entendra.
Malgré ces réserves, nous voterons les crédits de la justice pour 2002 parce
que nous avons à coeur, madame la ministre, de vous soutenir dans votre tâche.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai souvent
l'occasion d'intervenir à propos de notre justice, ici et dans d'autres
enceintes. Aujourd'hui, c'est évidemment à propos du budget que je formulerai
quelques observations.
Vous me permettrez d'évoquer d'abord un souvenir. Alors que je venais d'être
nommé garde des sceaux, un grand expert en matière ministérielle, M. Marcellin,
qui n'était pas vraiment de ma sensibilité politique, m'aborda dans un couloir
de l'Assemblée nationale et me dit en substance : « Souvenez-vous d'une chose,
au Gouvernement, ce qui compte d'abord, c'est le budget. Le reste, vous le
constaterez vous-même, est secondaire. »
Je tiens donc à saluer l'effort considérable qui a été consenti pendant cette
législature par le Gouvernement et la majorité pour accroître dans de très
notables proportions le budget de la justice.
(M. Badinter montre un
document.)
Voici le graphique : il est éloquent.
De 1997 à 2002, c'est une progression de près de 30 % qui a été enregistrée
par le budget de la justice. Pour avoir vu, en cinq ans, mon budget ne croître
que de 13,4 %, je ne peux, madame la ministre, que vous féliciter !
(Sourires.)
J'en viens au contenu de ce budget. Sur tous les fronts, nous assistons à des
progrès sensibles.
S'agissant d'abord des emplois, ce projet de budget fait apparaître un total
de 2 792 créations - contre 1 550 en 2001 -, dont 845 dans les juridictions
judiciaires et 86 dans les juridictions administratives.
Qu'en est-il par catégories ? On compte 320 nouveaux postes de magistrat -
chiffre considérable ! - dans l'ordre judiciaire et 40 dans l'ordre
administratif, ainsi que 510 nouveaux postes de greffier en chef et de
greffier, contre 218 en 2001.
Je rappellerai simplement, s'agissant des greffiers, sans lesquels la justice
ne peut bien fonctionner, qu'en 1996 et 1997 on avait gelé le recrutement et,
de ce fait, empêché le remplacement de 200 greffiers partis à la retraite :
mesure désastreuse s'il en fut, que j'avais à l'époque critiquée.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'était effectivement une erreur !
M. Robert Badinter.
Pour ce qui est de la condition des magistrats, une autre grande loi a été
également votée au mois de juin de cette année, que l'on oublie trop souvent
mais dont M. Haenel se souvient parfaitement.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
En effet !
M. Robert Badinter.
Il s'agit, bien sûr, de l'excellente loi du 25 juin 2001, qui organise un «
repyramidage » du corps, avec une ascension très importante, puisque le
hors-hiérarchie est passé de 5 % à 10 % des effectifs et que le premier grade
est passé de 37 % à 60 %, avec toutes les conséquences indiciaires que cela
comporte. Il faut quand même le dire au milieu du tumulte général ! Cela étant,
il faudrait vraiment qu'intervienne la publication des décrets afin que
l'ensemble de la réforme entre en vigueur sans difficulté. Il reste que
l'avancée est considérable.
S'agissant du recrutement des magistrats et de leur formation, nous sommes
sensibles, madame la ministre, à l'intérêt que vous portez à l'Ecole nationale
de la magistrature. Je suis particulièrement heureux de constater que 280
places sont aujourd'hui prévues au concours. En cinq ans, l'effectif des
promotions aura doublé. Je n'aurais jamais osé l'espérer !
Je relève également la création de six postes de maître de conférence et celle
de plusieurs postes administratifs pour l'Ecole nationale de la
magistrature.
Sur le recrutement complémentaire, je n'insisterai pas : je sais parfaitement
les problèmes que pose une tendance légèrement malthusienne qui sévit à
l'intérieur du corps contrôlant la commission d'intégration.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'est sûr ! Et le garde des sceaux n'y est pour rien
!
M. Robert Badinter.
C'est là un problème quasiment culturel, que l'on constate de garde des sceaux
en garde des sceaux et auquel il sera très difficile de remédier tant que les
appréciations n'auront pas changé quant à l'utilité du recrutement latéral.
Je l'ai dit, concernant les greffiers, des progrès très importants ont été et
sont accomplis. Ainsi, aujourd'hui, le taux de vacance des postes de
fonctionnaire est aussi bas qu'on peut le concevoir dans la fonction publique :
il est de 1,9 % ; il paraît pratiquement impossible de faire mieux.
Evidemment, il n'en va pas tout à fait de même pour les magistrats : il faut
le temps de les former. Or nous sommes actuellement dans un creux.
J'en arrive aux clameurs que suscite actuellement la loi sur la présomption
d'innocence. Notre collègue Mme Borvo a tenu sur ce point d'excellents propos,
que j'approuve sans réserve : il est hors de question, à nos yeux, de revenir
sur cette loi,...
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Il faut l'ajuster !
M. Robert Badinter.
... sauf pour l'améliorer, pour corriger les défauts qui n'étaient pas
prévisibles mais que l'usage révélera. Il en va ainsi pour toute grande loi de
procédure qui entre en application. Cela veut dire, en clair, qu'il faut un
délai d'au moins deux ans pour pouvoir, avec précision, remédier aux
inévitables dysfonctionnements qui auront été constatés. Mais il est impossible
de revenir en arrière.
Je rappelle que des moyens considérables ont déjà été mobilisés en vue de la
mise en oeuvre de cette loi.
Je rappelle aussi que cette loi a été voulue, à l'origine, par le Président de
la République, que le Gouvernement a mis au point un texte et que la totalité
des groupes parlementaires des deux assemblées ont apporté leur
contribution.
Je rappelle encore que le processus parlementaire s'est terminé par une
commission mixte paritaire dont les travaux ont abouti et que le texte a été
considérablement enrichi dans le domaine même qui était visé par l'intitulé de
la loi : renforcer les garanties de la présomption d'innocence. Il était temps,
d'ailleurs, qu'une telle loi fût votée en France au regard de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme.
En ce qui concerne le coeur du domaine judiciaire, à savoir le service au
justiciable, je relève également des améliorations très importantes. Mme Borvo
a évoqué les maisons du droit et de la justice. Leur développement est très
significatif : on en compte neuf nouvelles ; on va aussi vite que possible dans
ce domaine.
En matière d'aide juridictionnelle, question si sensible pour les justiciables
les plus défavorisés, on enregistre une augmentation substantielle - de 18 % -
des crédits.
S'agissant des avocats, bien sûr, il y a eu l'agitation de l'automne dernier.
Mais ainsi sont les avocats : effervescents par nature ! Les accords du 18
décembre 2000 ont été entérinés par le décret du 17 janvier 2001, avec une
revalorisation très importante des barèmes.
Les travaux de la commission Bouchet sont arrivés à leur terme. Il vous
appartiendra, madame le garde des sceaux, d'en tirer les conséquences
nécessaires, car nombre de ses propositions méritent d'être retenues.
En examinant les chiffres qui retracent la vie de cette institution, dont je
suis maintenant un vieux routier, j'ai été frappé par un indice très important,
à savoir la durée des procédures. J'ai relevé - je ne peux pas dire « pour la
première fois depuis très longtemps », car ce ne serait pas tout à fait exact
-, au titre des années 2000 et 2001, un raccourcissement des délais en ce qui
concerne les tribunaux de grande instance, les conseils de prud'hommes et les
tribunaux d'instance : la courbe s'est inversée ! Ce n'est malheureusement pas
encore le cas dans les cours d'appel, mais on peut attendre une amélioration du
renforcement des effectifs, même s'il y a aussi, probablement, une question de
méthode.
Au terme de cet inventaire, sans aller jusqu'à crier « Alléluia ! », je tiens
à vous rendre un hommage particulier, madame le garde des sceaux, car vous avez
été appelée à ces fonctions dans une situation difficile, au moment de la mise
en oeuvre de nouvelles dispositions qui engendraient des tensions. Vous y avez
fait face avec beaucoup de sérénité, de courtoisie et avec la fermeté
nécessaire pour atteindre les objectifs que vous vous étiez assignés.
Je rendrai un hommage plus général à ce qui a été réalisé au cours de cette
législature, non seulement sous l'impulsion de votre prédécesseur, madame
Guigou, mais aussi avec le concours de la majorité.
Je ne dis pas que tout va pour le mieux dans notre justice, mais, me rendant
fréquemment à l'étranger, car je participe autant que je le peux aux efforts de
coopération juridique et judiciaire de la France à l'étranger, je suis en
mesure d'affirmer que nous n'avons pas à en rougir. Les justices des
démocraties voisines traversent des difficultés : l'Italie... je n'ai pas
besoin d'insister ; nos amis espagnols entreprennent une très grande réforme
qui était nécessaire ; quant à la « Rolls-Royce » des Britanniques, elle est,
hélas ! bien souvent en panne... Et je pourrais citer d'autres exemples.
La justice française, grâce à ses magistrats, à ses fonctionnaires, aux
avocats et peut-être aussi - cela arrive ! - au garde des sceaux, fait encore
très bonne figure. Je tenais à le rappeler.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les
crédits affectés au ministère de la justice, même s'ils sont en augmentation,
demeurent insuffisants.
Il est clair qu'ils ne pourront en aucun cas faire face aux nombreux
dysfonctionnements de notre système judiciaire.
Nos concitoyens ne croient plus en la justice et hélas ! des événements
récents pourraient leur donner raison.
Manque de moyens, manque de magistrats et de fonctionnaires, nombreuses
affaires classées sans suite prouvent que notre justice est en panne.
Alors qu'aujourd'hui, dans nos villes et nos banlieues, l'insécurité affiche
des taux jamais atteints, l'encombrement des tribunaux ne permet pas de juger
rapidement et, par conséquent, de sanctionner, dès le délit constaté et le
délinquant arrêté. Cela suppose qu'il soit effectivement arrêté, car se pose le
problème crucial du manque d'effectifs de policiers dans nos quartiers, quelles
que soient les nouvelles mesures annoncées, sous la pression, et qui ne
verront, hélas ! le jour que bien plus tard.
La conséquence, madame le ministre, c'est un sentiment d'impunité qui ne fait
que s'aggraver avec, entre autres, les nombreuses inapplications de décisions
juridiques dont est responsable la Protection judiciaire de la jeunesse.
En ce qui concerne le manque de moyens, je reste perplexe sur les crédits non
utilisés dans le domaine de l'équipement, mais ce qui retient mon attention,
c'est le manque de personnel.
Certes, 2 792 emplois, dont 320 postes de magistrats, sont créés, mais avec la
réduction du temps de travail, cela n'aura que très peu d'effet.
Comme l'an passé, je vous alerte à nouveau sur la situation en Val-d'Oise,
classé cinquième département français quant à l'importance de la délinquance,
mais classé dernier en termes de moyens dans l'enquête de
L'Express
parue fin novembre, dans laquelle on lit : « Les voleurs à la tire ou à la
roulotte, les petits dealers ou autres délinquants préféreront le Val-d'Oise au
Val-de-Marne pour commettre leurs forfaits. »
Comment justifier qu'il n'y ait qu'un magistrat pour 20 000 habitants ? Le
tribunal de Pontoise a toujours été mal traité. L'effectif budgétaire y est
nettement inférieur à celui d'Evry, alors que l'Essonne compte seulement 30 000
habitants de plus que le Val-d'Oise.
La multiplication et le transfert des fonctions résultant de lois récentes
comme la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les
droits des victimes n'ont fait qu'accroître la détresse des professionnels.
Quant au projet de nouveau tribunal dont on parle depuis des décennies, ce ne
sont pas les dix-huit personnes affectées en septembre dernier qui suffiront à
pallier les carences en matière de personnel administratif.
Le barreau s'inquiète lui aussi. Un an après un premier mouvement, les avocats
du Val-d'Oise sont à nouveau en grève cette semaine, pour mettre en cause un
système judiciaire à deux vitesses.
M. Josselin de Rohan.
On va redéployer !
(Sourires.)
Mme Nelly Olin.
L'aide juridictionnelle représente 5,9 % du budget total et augmente de 18,4
%. Pourtant, la profession attend toujours d'être rénumérée plutôt
qu'indemnisée.
Elle attend depuis des mois une véritable réforme de l'aide juridictionnelle
et de l'accès au droit que vous aviez promise pour le 15 septembre dernier,
madame le ministre. Or, seul un avant-projet de loi a été présenté il y a une
dizaine de jours !
Les avocats croulent sous la charge du travail et le citoyen, mal défendu, en
pâtit. Est-ce là la justice ?
Enfin, le service pénitentiaire d'insertion et de probation du Val-d'Oise
craint l'accentuation d'une situation de pénurie.
Si 29,6 % des crédits qui nous sont présentés sont absorbés par les services
pénitentières, s'ils augmentent de 9,7 %, ils n'en demeurent pas moins
insuffisants compte tenu de la mise en place des 35 heures et de l'absence de
création de postes supplémentaires de travailleurs sociaux dans mon
département.
Le nombre de dossiers à prendre en charge ne cesse de croître. En six ans, il
a augmenté de 67,62 % et le temps consacré à l'insertion des personnes placées
sous main de justice ne cesse de se réduire, tout comme le temps consacré à la
prise en charge des victimes.
Dans le Val-d'Oise, la seule alternative serait de créer six postes en milieu
ouvert et deux postes en milieu fermé. Nous manquons de travailleurs sociaux,
madame le ministre, et ce, depuis un certain temps. Vous connaissez
l'importance des missions et des tâches du service pénitentiaire d'insertion et
de probation. Il serait dommage de voir disparaître ces actions.
Avant de conclure, je tiens à vous lire la réponse que vient de m'envoyer, sur
une affaire plus que délicate, l'avocat de la ville de Garges-lès-Gonesse, dont
je suis le maire.
« J'ai l'honneur de vous rendre compte de l'audience du tribunal correctionnel
de Pontoise du 20 courant dans l'affaire citée en référence.
« Comme nous l'avions noté, la convocation des prévenues devant le tribunal
correctionnel de Pontoise comportait une erreur, puisqu'il était indiqué
qu'elles étaient poursuivies pour des faits s'étant déroulés le 4 juin 2001
alors qu'en fait il s'agit de faits du 4 juillet 2001.
« Cette erreur, qui est à l'évidence une erreur purement matérielle, aurait pu
être rectifiée si les deux prévenues avaient été présentes à l'audience.
« Elles ne se sont présentées, ni l'une ni l'autre.
« Dans cette situation, Mme le président du tribunal, qui avait remarqué cette
erreur de plume, a été contrainte d'ordonner le renvoi pour permettre qu'une
nouvelle citation soit délivrée aux prévenues aux diligences du parquet de
Pontoise.
« Pour ce faire, le dossier a été renvoyé à l'audience du 8 janvier 2002 à 9
heures.
« Par ailleurs, j'avais interrogé mon confrère, qui vous avait représentée
dans une précédente affaire concernant la même personne. Ce dernier s'est
aperçu d'une autre erreur.
« J'ai donc effectué des démarches pour obtenir copie du jugement. Mais je
n'ai pu l'obtenir.
« Par ailleurs, le président du tribunal qui tenait l'audience le 27 juillet
2000, n'a pas rédigé son jugement, de sorte qu'il est en l'état impossible d'en
obtenir une copie et qu'il est également impossible d'adresser la procédure à
la cour de Versailles afin qu'elle rejuge cette affaire sur l'appel principal
et l'appel incident du parquet du procureur.
« Le magistrat concerné ayant de plus quitté le tribunal de grande instance de
Pontoise à la fin de l'an 2000, il est probable que la rédaction du jugement ne
pourra intervenir avant un certain temps... »
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Il en est ainsi de la justice dans le Val-d'Oise !
Mme Nelly Olin.
C'est un exemple on ne peut plus concret. Croyez bien que c'est tout à fait
fortuit : cette lettre m'est arrivée le 22 novembre, je n'ai pas résisté à
l'envie de vous montrer ce dysfonctionnement.
Madame le garde des sceaux, vous comprendrez que, pour toutes ces raisons, et
parce que, depuis des années, je dis que le Val-d'Oise est le département le
plus mal servi qu'il m'est difficile de voter le projet de budget en l'état.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le
budget du ministère de la justice a-t-il jamais été examiné dans des
circonstances aussi singulières, alors que la justice elle-même est tout à la
fois sacralisée de l'extérieur et affaiblie de l'intérieur ?
De l'extérieur, on voit que la justice sous ses diverses formes est sommée
d'arbitrer les plus petits, comme les plus graves problèmes de la société,
qu'ils soient philosophiques, familiaux, sécuritaires, économiques ou
politiques, les autres formes d'autorité et de responsabilité paraissant
s'effacer de plus en plus.
A l'intérieur, au contraire, l'insuffisance des moyens en hommes, en
matériels, en bâtiments est patente et ne sera évidemment pas corrigée par un
budget même en relatif progrès, tandis que des magistrats s'abandonnent
impunément à des errements qui sont la négation même de leur mission, soit
qu'ils contestent publiquement les textes qu'ils ont la responsabilité de
mettre en oeuvre, soit qu'ils se contestent mutuellement, soit qu'ils
brocardent avec la même inconscience - mais s'agit-il vraiment d'inconscience ?
- les forces de l'ordre qui sont leurs indispensables auxiliaires.
On ne sera donc pas surpris si j'évoque quelques problèmes, et non des
chiffres, au demeurant très bien analysés par nos rapporteurs.
Il faut d'ailleurs s'affranchir du détail des chiffres si l'on veut avoir une
vue d'ensemble de la situation matérielle de la justice. Cette situation,
chacun le voit à condition d'être sur le terrain, est en réalité assez
déplorable. Et il faut monter bien haut dans les degrés de la hiérarchie pour
parvenir à considérer philosophiquement cette multitude d'affaires non
traitées, « classées sans suite », ou non traitées en temps utile - ce qui
revient pratiquement au même - et cette autre multitude d'affaires traitées en
série par des méthodes « d'abattage » comme les magistrats eux-mêmes le
disaient il y a seulement quelques mois, tout cela pour la simple raison que
les moyens de la justice et, particulièrement, le nombre des magistrats sont
restés, en ce début du xxie siècle, à peu de chose près - à 700 ou 800 près -
ce qu'ils étaient au milieu du xixe siècle.
Il n'est pas besoin de pousser plus loin l'analyse. La vérité est qu'il
faudrait doubler les moyens de la justice en quelques années et que
l'insuffisance des moyens fournit une excuse peu contestable à des
dysfonctionnements de plus en plus nombreux.
Qu'on ne nous dise pas s'il vous plaît que l'Etat n'a pas les moyens de faire
mieux dès lors qu'on voit dans le même budget que la réforme dite des « 35
heures » coûtera trois à quatre fois le budget de la justice. Est-ce seulement
pensable ? Ne vient-on pas de trouver plus de six milliards de francs pour les
cliniques et les hôpitaux, noble cause certainement ? Mais, enfin six milliards
de francs, c'est une fraction importante de votre budget, et on les a
découverts en quelques jours !
Je ne doute pas que le Gouvernement ait ses raisons pour cela, mais je doute
que ce soit de bonnes raisons. Et c'est pourquoi, en ce qui me concerne, je ne
pourrai voter ce budget ; cela n'implique aucune critique à l'égard de votre
action personnelle et de celle de votre équipe à laquelle, au contraire, je
rends bien volontiers hommage.
Du moins, le Gouvernement ne devrait-il pas faire
chorus
avec ceux qui,
constatant les défaillances de la justice, s'en prennent aux lois et cultivent
une fois de plus l'illusion selon laquelle il suffit de faire - ou de défaire -
une loi - je pense évidemment, comme Mme Borvo et M. Badinter, à la loi
renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes - pour
résoudre des problèmes qui relèvent non pas des textes eux-mêmes, mais de leur
mise en oeuvre, ce qui suppose non seulement des hommes et du matériel mais
sans doute aussi de repenser l'organisation de notre système judiciaire.
Cette organisation a fait l'objet de réflexions très intéressantes dans le
cadre des entretiens de Vendôme. Mais je regrette qu'en l'état il n'ait pas été
possible de creuser certaines des perspectives ouvertes, notamment l'idée à
laquelle je suis attaché de longue date selon laquelle seule une distinction
essentielle à opérer entre le contentieux de masse et les affaires complexes
permettrait d'avancer.
(M. le rapporteur spécial approuve.)
Tandis que les affaires complexes continueraient d'être traitées selon les
procédures actuelles, avec renforcement des collégialités, le contentieux de
masse, lui, qu'il soit pénal ou civil, relèverait de juridictions spécialisées
à l'image des tribunaux d'instance, voire des justices de paix disposant d'un
personnel, en partie non professionnel, inspiré des
magistats courts
de
Grande-Bretagne, qui sont au nombre de six mille à eux seuls et réintégrant
dans le cadre institutionnel de la justice les formules alternatives qui ne
sauraient se développer indéfiniment à l'extérieur.
Ces juridictions rénovées permettraient - dans des modalités modernisées
s'inspirant des maisons de justice - de traiter ce contentieux de masse dans sa
totalité et dans des conditions d'accessibilité, d'intelligibilité, de rapidité
et, disons-le, d'humanité, compatibles avec ce que tout citoyen est en droit
d'attendre d'une justice digne de ce nom.
Ce concept est effectivement différent de celui qui a été avancé par certains,
notamment au cours des entretiens de Vendôme et selon lequel la globalité des
fonctions judiciaires de première instance serait regroupée dans une
institution unique aux multiples et diverses activités. Je vous avoue que ce
genre de regroupement, bien qu'impressionnant sur le papier, me paraît générer
le plus souvent des pertes d'efficacité, des rigidités de fonctionnement et des
routines peu favorables à l'exigence d'une justice de qualité.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Ce n'est pas réaliste !
M. Pierre Fauchon.
Je ferai une autre réflexion dans un domaine où vos responsabilités sont
cependant toutes différentes. Le cheminement chaotique de l'espace judiciaire
européen est révélateur du scepticisme routinier des uns et de la mauvaise
volonté de quelques autres. Comme de coutume, un événement - le 11 septembre -
a donné l'occasion de proclamations unitaires enflammées.
Depuis lors, l'évolution des discussions de « Conseil JAI » - justice et
affaires intérieures - en « Conseil de l'Union » a montré qu'il ne s'agissait
guère que de rodomontades.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Malheureusement !
M. Pierre Fauchon.
En effet, on en arrive maintenant à des résultats décevants sur les deux seuls
points retenus : l'harmonisation des législations et le mandat d'arrêt
européen, alors que la notion même d'espace judiciaire implique un dispositif
d'une toute autre ampleur et d'une toute autre efficacité...
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Tout à fait !
M. Pierre Fauchon.
... que ce qui est envisagé pour Eurojust, qui reste une structure de
coordination et d'échange d'informations.
Pour s'en tenir à ces deux points et à l'essentiel, relevons cependant que ni
l'une ni l'autre des décisions cadres envisagées ne répondent aux annonces.
S'agissant de l'harmonisation des législations anti-terroristes, monsieur le
rapporteur spécial, la démarche est sans doute utile puisque seuls six Etats
disposent actuellement d'une législation spécifique. Je constate cependant
qu'on a renoncé à une législation réellement commune, c'est-à-dire en termes
identiques, ne présentant que des problèmes de traduction, ce qui n'est déjà
pas si mal, et que l'on en est à l'harmonisation, donc en des définitions
différentes, sauf pour la « direction et la participation à un groupe
terroriste », avec des peines d'ailleurs singulièrement faibles.
Il faudra compter avec les divergences rédactionnelles qui sont autant
d'échappatoires dans un domaine aussi sensible. Autant dire que les
difficultés, voire les nullités de procédures continueront d'embarrasser le
cours de la justice.
S'agissant du mandat d'arrêt européen ou de ce qui en porte le nom, le
résultat serait pire dans la mesure où l'on tente de faire passer pour un
dispositif efficace ce qui n'est qu'une amélioration des actuelles procédures
d'extradition.
On veut faire croire - et quand je dis « on », ce n'est pas vous que je vise,
madame la ministre, mais ce qui se dit...
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je l'espère !
M. Pierre Fauchon.
On veut faire croire, disais-je, que la décision cadre proposée se heurte à la
résistance italienne quant à la définition du champ d'application du prétendu
mandat d'arrêt. Il est vrai que l'Italie a refusé voilà quelques jours d'y voir
figurer les délits de fraude, d'escroquerie et de corruption, ce qui est très
choquant, sinon très surprenant.
La difficulté est sans doute sérieuse encore qu'elle puisse être contournée,
non sans perte d'efficacité toutefois, par le recours à la coopération
renforcée, si bien que l'Italie deviendra le
refugium
de ce genre de
délinquance. Est-ce une bonne solution ?
Il y a encore plus grave, dont on préfère ne pas parler ou dont on ne parle
pas assez : c'est le fait que ce mandat d'arrêt supposé efficace par lui-même,
sous la seule condition d'un contrôle de régularité formelle, réserve en
réalité, pour l'Etat d'exécution, une double échappatoire.
La première, on laisse subsister un très large pouvoir d'appréciation, dès
lors que l'arrestation paraîtra inspirée par des préoccupations contraires aux
droits de l'homme - formule magnifique mais aux contours quelque peu imprécis -
ou que l'Etat demandeur n'offre pas les garanties d'un « procès équitable ».
Or, vous savez que, pour la non-garantie d'un procès équitable.
Le « procès équitable » est une condition peu précise, le tout étant
évidemment contraire au principe de la « reconnaissance mutuelle » cependant
proclamé.
La seconde échappatoire est peut-être la plus grave : on laisse à l'Etat
d'exécution la possibilité de mettre en liberté provisoire - c'est lui qui
apprécie l'opportunité de la mise en examen ou de la mise en liberté -, sauf à
prendre - c'est admirable ! - « toute mesure qu'il estime nécessaire en vue
d'éviter la fuite de la personne recherchée », formule dont chacun pourra
apprécier l'humour.
Dès lors, il est bien évident que le fait de mettre à la disposition de l'Etat
d'exécution de telles possibilités de paralyser le mandat interdit de qualifier
celui-ci de mandat d'arrêt quel que soit, par ailleurs, son champ
d'application. Il ne s'agit de rien d'autre en vérité que d'une amélioration de
l'extradition.
Je n'ignore pas que nous touchons ici au domaine européen, que les pouvoirs et
les responsabilités de la France sont nécessairement limités. Je n'ignore pas
non plus le rôle positif joué par vous-même, madame le garde des sceaux, dans
ces négociations, et je vous en félicite. Ce qui dépend cependant de vous,
c'est de dire les choses comme elles sont et de ne pas entretenir l'idée d'un
mandat d'arrêt européen alors qu'on en est encore loin.
Je conclurai en revenant aux responsabilités propres du garde des sceaux à
propos de ce qui vient de se passer avec les gendarmes, et là je serai moins
souriant.
La gendarmerie est un auxiliaire tout à fait important de la justice. Sans
doute dépend-elle du ministre de la défense et c'est donc à celui-ci de
s'interroger sérieusement sur les défaillances et l'incurie qui ont conduit à
résoudre en vingt-quatre heures un problème qui se posait depuis des
années...
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'est exact !
M. Pierre Fauchon.
... et à le résoudre au prix de grèves de la gendarmerie, faits sans
précédent.
Ce qui dépend du garde des sceaux, c'est le respect des lois et, plus
spécialement, de celle, si importante pour l'ordre public, qui tend à exclure
la grève des moyens de revendications des personnels militaires.
Cette règle si évidente vient d'être bravée par une fraction plus que
significative de la gendarmerie, de l'ordre de 20 %. Dans la mesure où la
fonction de garde des sceaux ne se limite pas à la conservation de quelques
coins de bronze et de pains de cire à cacheter, je souhaiterais savoir quelles
suites, madame la ministre, vous entendez donner à une si grave violation de la
loi dans un domaine qui touche l'essentiel : l'Etat de droit et l'ordre public
républicain.
Devons-nous croire, et ce sera mon dernier mot, en forme d'interrogation, que
l'un des gendarmes concernés a fourni le vrai diagnostic en déclarant à la
presse : « Nous sommes les gardiens d'un ordre qui n'existe plus » ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme André.
Mme Michèle André.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
budget de la justice pour 2002 progresse de 5,7 %, il atteindra 4,7 millions
d'euros. Cette progression est de 3,7 points supérieure à celle du budget
général de l'Etat, qui augmente seulement de 2 %. Il prévoit la création de 2
792 emplois.
C'est un bon budget non seulement parce qu'il est en hausse, mais surtout
parce qu'il se situe dans la continuité de l'effort mené depuis cinq ans et
parce qu'il apporte la preuve que la justice a constitué, pour le Gouvernement,
une priorité affirmée.
Mon éminent collègue, M. Robert Badinter, vient de développer les crédits des
services judiciaires et de l'administration centrale. Je limiterai donc mon
propos à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la
jeunesse.
D'un montant de 1,38 millard d'euros pour 2002, le budget de l'administration
pénitentiaire représente 29,55 % du budget de la justice avec, notamment, 1 525
créations d'emplois. Les services pénitentiaires sont les principaux
bénéficiaires de l'augmentation des crédits pour 2002, ce dont je me
félicite.
Le service public pénitentiaire participe en effet à l'exécution des décisions
pénales et au maintien de la sécurité publique. Il assure également une
fonction de réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par
l'autorité judiciaire.
L'importance de ces missions a fait l'objet d'un récent regain d'intérêt et
placé l'administration pénitentiaire au centre d'un large débat public. Au-delà
de la publication de plusieurs témoignages de professionnels, la multiplication
récente de travaux et de rapports a alimenté ce phénomène et mis en exergue la
situation très dégradée de cette administration, situation qui est intolérable
et déshonorante pour notre démocratie.
Le Gouvernement n'avait pas attendu ces déclarations pour considérer que le
budget de l'administration pénitentiaire devait constituer une priorité. Ce
dernier a donc été en progression constante depuis 1997. Toutefois, au vu des
conclusions de ces rapports, le Premier ministre a prévu une enveloppe
supplémentaire de 10 milliards de francs qui devrait permettre la mise aux
normes des cellules individuelles et la rénovation de l'ensemble des
établissements pénitentiaires, petits et moyens.
A cet égard, madame le garde des sceaux, je vous félicite de la mise en place,
le 1er janvier prochain, de l'agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du
ministère de la justice. Chargée des grandes opérations immobilières qui sont
souvent très complexes, elle permettra d'accélérer leur réalisation. J'espère
aussi qu'elle permettra une meilleure utilisation des crédits d'investissement.
La justice a grand besoin que les dépenses d'investissement prévues soient bien
réalisées. Il est, en effet, tout à fait regrettable qu'en 2000, dans le
secteur pénitentiaire, cela n'ait pas été le cas. Seulement 38,8 % des crédits
ont été consommés, soit 1 milliard de francs qui n'ont pas été utilisés, quel
dommage !
En vous appuyant sur les conclusions de M. Jean-Marc Chauvet, vous avez
annoncé, madame le garde des sceaux, un plan de sécurisation des prisons dont
le coût est évalué à 30,49 millions d'euros et qui devrait améliorer les
conditions de travail des personnels pénitentiaires.
L'annonce de l'élaboration de la loi pénitentiaire dévoilant des rapports des
commissions parlementaires et de la commission Canivet a par ailleurs suscité
de nombreux espoirs. Elle devrait définir le sens de la peine, les missions de
l'administration pénitentiaire, les règles fondamentales du régime carcéral, en
encadrant les atteintes aux libertés individuelles et les conditions générales
de détention.
Il faut approfondir la réflexion sur le sens de la peine, laquelle doit nous
permettre de mieux surveiller et de mieux punir, mais aussi de mieux réinsérer
en luttant efficacement contre la récidive. Je voudrais savoir, madame le garde
des sceaux, si vous serez en mesure de présenter ce texte au Parlement avant
l'interruption de nos travaux.
Je note également avec satisfaction votre volonté d'étendre l'aide
juridictionnelle aux procédures disciplinaires concernant les détenus. Cette
disposition complétera judicieusement le nouveau traitement des décisions du
juge de l'application des peines introduites par la loi du 15 juin 2000.
Je traiterai maintenant de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ.
Ses crédits atteignent 539,7 millions d'euros en crédits de paiement. Nous
notons que la part relative à ce secteur dans le budget de la justice diminue
légèrement. Cela tient sans doute au fait que les crédits de 2001 n'ont été
qu'en partie utilisés.
Cette relative augmentation ne sera pas suffisante pour satisfaire les besoins
de cette administration. Cette dernière souffre, en effet, de retards
considérables, depuis plusieurs décennies, qui ont conduit à une situation très
dégradée et aujourd'hui très difficile à rattraper. Selon nos collègues députés
Mme Christine Lazergues et M. Jean-Pierre Balduyck, qui sont les auteurs du
rapport sur la délinquance des mineurs, la création de 500 postes par an
d'éducateurs, de psychologues, d'assistantes sociales serait nécessaire pendant
les six prochaines années.
Je tiens toutefois à rappeler que, pendant les cinq années précédentes, il a
été créé davantage de postes d'éducateurs à la PJJ que pendant les quinze
années précédentes et que le budget consacré à la protection judiciaire de la
jeunesse a été en progression constante pendant cette même période. Pour
mémoire, 230 postes ont été créés entre 1994 et 1997, et 1 302 depuis 1997.
Il en va de même pour les centres d'éducation renforcée et les centres de
placement immédiat : il y en existe aujourd'hui une centaine contre une dizaine
seulement en 1997 !
J'aurais bien aimé que M. le rapporteur pour avis relativise et analyse les
vraies raisons qui ralentissent les projets de centres d'éducation au niveau
local, pour que nous tentions, ensemble, d'y remédier.
Quant aux critiques récurrentes sur l'ordonnance du 2 février 1945, elles sont
injustifiées. Cette législation est bonne dans le principe et elle offre une
gamme complète de peines allant de la simple admonestation à la réclusion
criminelle à perpétuité. Il faut en effet rappeler qu'en application de ce
texte, un mineur peut, dès l'âge de treize ans, être condamné à vingt ans de
réclusion criminelle, et, dès seize ans, à la réclusion criminelle à
perpétuité.
Notre pays a la législation la plus dure concernant les mineurs. Cessons de
parler de laxisme.
Si notre législation ne doit pas être modifiée, il est nécessaire, en
revanche, d'améliorer sa mise en oeuvre, notamment quant au taux d'élucidation
et quant à l'exécution des peines.
C'est, pour une large part, du sentiment d'impunité que s'offusquent nos
concitoyens. Le temps entre le moment où l'infraction a été commise et le
prononcé de la peine est trop long. Il en va de même pour le temps qui s'écoule
entre l'audience et l'exécution de la peine.
Si la généralisation de la comparution immédiate pour les mineurs peut être de
nature à porter atteinte aux droits de la défense, il est toutefois important
de trouver une réponse à moyen terme pour éviter ces trop longs délais de
latence.
Afin de mieux punir, mais également de mieux prévenir, il faut donc développer
les centres éducatifs renforcés et faire mieux fonctionner les conseils
communaux de prévention de la délinquance, dont l'intérêt n'est plus à
démontrer. Pour cela, mes chers collègues, une mobilisation des élus sur le
terrain est indispensable ! Trop nombreux sont encore les maires qui réclament
la création de tels centres, mais qui les refusent obstinément sur leur
territoire.
Cela dit, madame le garde des sceaux, le groupe socialiste votera votre
budget. En effet, l'importance et la constance de l'effort budgétaire consenti,
le choix des orientations politiques sont significatifs de la priorité que le
Gouvernement accorde à la justice et justifient pleinement cet avis favorable
et notre total soutien.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques
instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à douze
heures.)
M. le président.
La séance est reprise.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec
moins de 1,8 % du budget général, les crédits alloués à la justice pour l'anné
2002, malgré une augmentation sensible, demeurent insuffisants. Ce grand
ministère, au coeur de l'Etat et des attentes des Français, n'a toujours pas
les moyens de remplir ses missions.
Je ne méconnais ni les avancées ni les réformes engagées sous votre impulsion.
J'ai pris connaissance avec intérêt de votre rapport d'activité ministérielle
pour l'année 2000, le premier du genre, avec une approche cartographique très
pertinente. Il permet des comparaisons géographiques et des mises en
perspectives. En tant qu'élu du Gers, département rural par excellence, je suis
très sensible à ce que la justice puisse être rendue avec équité sur l'ensemble
du territoire.
Madame la ministre, je ne mets pas en cause votre action personnelle à la tête
de ce ministère ; je m'inquiète seulement des priorités réelles du
Gouvernement.
Ainsi, l'application des 35 heures est évaluée à 110 milliards de francs en
année pleine, soit plus de trois fois votre budget ! Vous-même payez cher
l'entrée en vigueur de cette loi à compter du 1er janvier prochain. En voulant
mieux répondre à la demande, vous réussissez à créer 1 525 emplois pour 2002,
ce qui témoigne de la gravité de la situation. Las ! Près de la moitié de ces
nouveaux emplois sera absorbée par l'application des 35 heures. Vous nous
l'avez dit lors de votre audition par la commission des finances : alors que
vous devriez donner l'exemple, vous ne parviendrez même pas à appliquer cette
loi dans votre ministère !
Quel constat peut-on faire maintenant quant à la corrélation police-justice
?
L'augmentation des crédits du ministère de l'intérieur, eux-mêmes en grande
partie absorbés par les 35 heures, n'a pas permis d'enrayer - tout le monde le
constate - l'augmentation des délits et des crimes. Pis, ces derniers
continuent de croître. Les Français ne supportent plus d'entendre que des
multirécidivistes demeurent en liberté et puissent continuer leurs exactions.
L'insécurité est devenue totalement insupportable. Les mineurs délinquants sont
de plus en plus jeunes et ne respectent plus ni les forces de police ni même la
notion de l'ordre.
En 2000, si la population a augmenté de 0,4 %, les délits et les crimes ont
augmenté, pour leur part, de 5,7 %. Dans cette délinquance, c'est celle de la
voie publique qui gêne le plus la population en alimentant le sentiment
d'insécurité. Elle représente la moitié des délits et seuls 5 % de ces délits
sont sanctionnés.
Un nouvel équilibre et une coopération efficace sont donc à mettre en place
entre le ministère de l'intérieur et celui de la justice, afin que les
délinquants soient réellement sanctionnés. J'ai été stupéfait lorsque,
récemment, M. Vaillant a déclaré qu'il veillerait à ce que désormais policiers
et magistrats se parlent ! Ce serait donc nouveau ?
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Ce n'est pas toujours le cas !
M. Aymeri de Montesquiou.
Cette coopération devrait être évidente, afin que le premier objectif de la
peine, c'est-à-dire, selon le code pénal, « la protection effective de la
société », puisse se réaliser. Que proposez-vous ? Votre projet de loi, qui
tend à redéfinir le sens de la peine et à limiter les incarcérations, est-il
une réponse pragmatique à l'insécurité ?
Je souhaiterais maintenant dire un mot sur la loi renforçant la protection de
la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Elle s'est traduite par un gâchis : les policiers se trouvant débordés par un
surcroît de travail administratif, il en résulte un classement sans suite de
dossiers encore plus nombreux, donc des délinquants impunis et des citoyens
exaspérés et inquiets. En un mot, son application sur le terrain est
désastreuse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Aucun rapport !
M. Aymeri de Montesquiou.
Ainsi, en tant que rapporteur spécial du budget de la sécurité, j'ai effectué
des missions en région parisienne et à Toulouse qui m'ont permis d'appréhender
les effets de cette loi. Même les plus jeunes délinquants sont devenus
chevronnés et savent parfaitement comment ralentir les procédures pour que
celles-ci deviennent caduques.
Sans reprendre tous les critères retenus dans votre rapport d'activité, la
réponse judiciaire face à la délinquance et à la criminalité est à densité
variable. La réponse pénale représente, en effet, un taux qui varie selon les
tribunaux : 79 % pour le tribunal d'Auch et 43 % pour le tribunal de
Thonon-les-Bains. Madame la ministre, comment expliquez-vous une telle
disparité ?
Si les procureurs ont un rôle indéniable dans la gestion des dossiers
individuels, en tant que responsable de la politique pénale, que comptez-vous
faire afin de préserver la cohérence à l'ensemble des juridictions, en
application du principe d'égalité devant la loi ?
J'en viens aux prisons. La situation désastreuse des finances publiques ne
nous met pas en mesure d'augmenter le nombre d'établissements pénitentiaires ou
de procéder à leur modernisation. Pourtant, cela est indispensable pour faire
face au nombre toujours croissant de délinquants et afin que les conditions
d'incarcération soient dignes de notre époque. Or, pour des raisons
idéologiques, vous refusez l'idée même de financements qui ne soient pas
publics. Cette absence de pragmatisme n'est pas acceptable.
De l'insécurité au terrorisme, c'est, dans tous les cas, de l'avenir collectif
qu'il s'agit. A la suite des attentats du 11 septembre dernier, l'Union
européenne a su se mobiliser pour faire progresser l'espace judiciaire
européen.
Le 25 octobre dernier, nous avions débattu sur les instruments de l'Union
européenne nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme.
Aujourd'hui, je me réjouis des avancées obtenues lors du dernier conseil
Justice et affaires intérieures, dit Conseil JAI. Nous parvenons enfin à une
définition commune des infractions terroristes et des seuils de sanctions.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Il ne faut pas trop s'en réjouir !
M. Aymeri de Montesquiou.
Avec pragmatisme, par une liste d'infractions de droit commun assorties d'un
mobile qui est le but terroriste, l'Union vient de franchir une étape
essentielle.
Le blocage persiste sur la création d'un mandat d'arrêt européen, mais, depuis
le dernier conseil JAI, heureusement, la délégation irlandaise s'est rangée du
côté de la majorité des Etats membres.
Madame la garde des sceaux, j'ose espérer que la délégation italienne ne
bloquera pas longtemps le processus. Pensez-vous que le Conseil européen de
Laeken permettra de trouver un consensus ? Cette étape constituerait un saut
qualitatif, la preuve que l'Union s'organise efficacement contre la menace
terroriste.
Votre ministère fonctionne mal, l'accroissement de ses crédits est tout à fait
insuffisant pour faire face à l'augmentation catastrophique de la délinquance.
C'est pourquoi, comme la majorité des membres du groupe du RDSE, je ne voterai
pas le budget de la justice pour 2002.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Mon budget est tout de même
meilleur que vous venez de le dire ! Et si le ministère de la justice
fonctionne mal, il s'agit d'une situation récurrente. Déjà, en octobre 1996,
dans la table des matières du fameux rapport :
Quels moyens pour quelle
justice ?
de MM. Charles Jolibois et Pierre Fauchon, on trouvait comme
titres de chapitres importants : « Les taux de classement sans suite », « Le
système judiciaire ne s'est que très partiellement adapté », « Les moyens
humains n'ont pas répondu aux besoins », « Des effectifs de magistrats et de
greffiers insuffisants », « Une justice débordée et paralysée », «
L'impossibilité physique de répondre à la demande de justice », etc.
Cette situation est donc ancienne ! Mais nous tentons d'y remédier aujourd'hui
et je persiste à penser que les taux d'augmentation actuels devront être
poursuivis.
Un an après mon entrée en fonctions, c'est avec plaisir que je vous présente
aujourd'hui le budget de la justice pour 2002, qui est aussi le premier dont
j'ai assumé entièrement la préparation et la négociation. Sans exagération
aucune, on peut affirmer qu'il s'agit d'un très bon budget.
Beaucoup a déjà été dit sur les mesures nouvelles qui sont proposées, et je
remercie ceux qui ont salué les efforts de cette mandature. Je me contenterai
donc de rappeler, non pas le contenu, mais les grandes orientations qui
sous-tendent ce budget, avant d'évoquer quelques points particuliers qui
viennent d'être abordés par les rapporteurs et les différents orateurs.
Ce budget n'a pas été préparé en visant je ne sais quel effet d'affichage
conjoncturel, sans lendemain. Au contraire : la progression des crédits de 5,7
% cette année et le nombre de créations d'emplois approchant les 2 800 ne font
que traduire, une fois encore, la priorité constamment accordée à la justice
par le Gouvernement, ainsi que le Premier ministre l'avait annoncé, dès sa
déclaration de politique générale du 19 juin 1997.
Avec des crédits en hausse de 29 % sur cinq ans, 7 300 emplois créés, qui
pourra contester qu'il y a, depuis 1997, un vrai changement d'échelle dans les
moyens de la justice ? Et les rapporteurs de ce budget, à l'Assemblée nationale
comme au Sénat, quelle que soit leur appartenance politique, ont bien dû
reconnaître la réalité de cet effort budgétaire et même le saluer. Je les en
remercie. C'est de ce constat, incontestable - même s'il a été contesté par
certains, qui n'ont peut-être pas lu attentivement les documents - que doit
partir tout observateur de bonne foi, avant toute critique - laquelle est
acceptable - sur la politique du Gouvernement dans le domaine de la justice.
C'est donc bien dans une perspective de moyen terme qu'il faut replacer ce
budget, qui permettra, et j'insiste sur ce point, de respecter tous les
engagements du Gouvernement, quelle que soit leur nature.
C'est ainsi que nous mettons en oeuvre la première tranche du plan d'action
pour la justice présenté en mars dernier. Sur quatre ans, 1 200 créations
d'emplois de magistrats sont prévues, soit une croissance des effectifs de plus
de 15 % ; nous en inscrivons 320 dès 2002, et nous assurons qu'ils seront
réellement recrutés et affectés.
Cela m'amène à répondre sur un point de détail à M. de Montesquiou. Entre le
moment où l'on décide de créer un emploi de magistrat et le moment où celui-ci
entre en fonction, il faut une quarantaine de mois : trente et un pour le
former, plus les délais de concours, qui sont incompressibles. Le temps de
latence provoque des effets de vacances de postes, tout comme pour les
greffiers. Mais on ne peut pas organiser un concours pour recruter des
personnels tant que les emplois n'existent pas ! Il faut donc prendre en compte
cet « effet loupe » sur les vacances pour juger effectivement de la réalité de
la situation aujourd'hui.
J'ajoute que l'ouverture de la dotation budgétaire annoncée par le Premier
ministre en matière d'équipements pénitentiaires fin 2000 se poursuit, ce qui
représente 2,5 milliards de francs budgétés sur deux lois de finances, cela sur
un total de 10 milliards.
Les engagements pris à l'égard des personnels seront également tenus, en
particulier le protocole pénitentiaire d'octobre 2000, que M. Badinter a
rappelé tout à l'heure, et le protocole d'accord avec les fonctionnaires des
greffes de décembre 2000.
Le Gouvernement se donne enfin les moyens d'accompagner les réformes récentes
ou en cours d'application.
Le projet de loi de finances pour 2002 permet, en particulier, d'achever de
financer la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection
de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Car, contrairement à
certaines affirmations peut-être trop rapides, nous n'avons pas négligé les
moyens nécessaires à l'application de cette loi : doit-on rappeler que, avant
même son adoption, des emplois de magistrats, notamment de juge des libertés et
de la détention, avaient été créés ? Au total, en quatre ans, ce sont 875
emplois dont 427 emplois de magistrats qui auront été affectés à cette
réforme.
Il est très important de rappeler ici que cette réforme a été votée par tous
les groupes de la Haute Assemblée qui a ajouté un certain nombre de
dispositions concernant l'appel pour les cours d'assises ou la
juridictionnalisation de l'application des peines. Si j'ai dû revenir devant le
Parlement pour reporter de six mois la juridictionnalisation de l'application
des peines, c'est que les postes n'avaient pu être prévus puisque la mesure
n'avait pas été prise.
Il faut être respectueux de ce que nous avons réalisé ensemble. Tout ce qui a
été dit tout à l'heure sur cette loi me rend plus optimiste eu égard à mon pays
et à ses hommes politiques.
Nous nous mettons aussi en situation de réaliser, dans de bonnes conditions,
le passage aux 35 heures dans la fonction publique au 1er janvier 2002. A ce
titre, 700 emplois de surveillants sont créés dans l'administration
pénitentiaire et 224 millions de francs de crédits sont ouverts pour financer
la rémunération systématique des astreintes, ce qui est logique, et les heures
supplémentaires frictionnelles. Dans ce domaine, comme vous le savez, les
négociations avec les personnels ont été difficiles - certains d'entre vous
l'ont fait observer - mais elles ont progressé, et nous avons désormais signé
un accord dans trois branches sur quatre, je tiens à le souligner.
Je n'ai pas d'état d'âme sur le rapport au fait que les fonctionnaires ne
travaillent pas 1 600 heures. Pour les fonctionnaires de l'administration
pénitentiaire qui sont en contact direct avec des détenus, j'ai proposé 1 475
heures. Le métier est tellement difficile, les agressions tellement nombreuses,
les sujétions tellement lourdes, les conditions de travail que vous avez
largement décrites tellement terribles que je ne vois pas pourquoi on ne leur
donnerait pas ce que bien d'autres ont obtenu dans d'autres secteurs, et depuis
longtemps, parce qu'ils ont peut-être mieux su exprimer leur demande.
En toute hypothèse, il faut bien prendre la mesure du fait que la remise à
plat complète des horaires et des cycles de travail était un exercice complexe,
sans précédent, mais qui aura des effets positifs. Par exemple, la
réorganisation du travail bénéficiera aussi bien aux personnels qu'à l'usager
sous la forme d'un élargissement des horaires d'ouverture des juridictions, qui
nous était demandé depuis longtemps à la fois par les élus et par les
associations.
Le projet de budget pour 2002 de la justice repose aussi sur l'exigence de
transparence et d'efficacité qui inspire la nouvelle loi organique relative aux
lois de finances, récemment adoptée par votre assemblée.
C'est ainsi qu'en matière d'emplois nous réalisons la première tranche d'un
plan pluriannuel de résorption des « mises à disposition internes » ; il s'agit
des situations dans lesquelles des magistrats et des fonctionnaires sont
affectés pour ordre dans des juridictions ou des services déconcentrés, et en
réalité mis à disposition de l'administration centrale ou d'organismes
extérieurs.
Comme la Cour des comptes l'avait relevé, comme vous l'avez vous-même noté,
monsieur le rapporteur spécial, ainsi que nombre de vos collègues, ce
dispositif était à la fois critiquable juridiquement, préjudiciable à une bonne
gestion et mal accepté par les juridictions. Nous y mettrons fin
progressivement.
La consommation des crédits d'équipement du ministère est évidemment un autre
thème essentiel, dont le Sénat se préoccupe à juste titre.
Gardons-nous toutefois de tout jugement lapidaire sur ce sujet technique et
complexe. Il faut ainsi relativiser l'importance des taux de consommation des
crédits : pour des programmes immobiliers aussi complexes que la rénovation
d'un palais de justice ou la construction d'une prison, il est illusoire
d'espérer consommer 100 % des autorisations de programme l'année où elles sont
votées.
Par ailleurs, il est clair que la priorité donnée à la justice a conduit, au
cours des années récentes, à accorder des dotations budgétaires importantes à
des programmes dont la préparation était peu avancée. Il s'agit là d'une
technique de « provisionnement », qui a été menée dans la transparence, avec
l'accord du Parlement. Pour autant, je ne suis pas hostile à une évolution des
techniques de budgétisation distinguant plus nettement les crédits d'étude et
de réalisation, afin que les dotations budgétaires, si je puis me permettre
l'expression, « collent » mieux aux dépenses.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Sous ces réserves, je ne peux que partager l'objectif
d'accélération des programmes d'équipement non seulement pour consommer plus
rapidement les crédits budgétaires, mais également et surtout parce que, si
l'on peut dire, « il faut aboutir » : il faut que les constructions sortent de
terre, notamment dans le domaine pénitentiaire, où les établissements existants
restent trop souvent vétustes.
D'ores et déjà, en 2001, la consommatoin des crédis de paiement du ministère
devrait progresser de plus de 25 %. La création de l'Agence de maîtrise
d'ouvrage des travaux du ministère de la justice, dont je vais installer le
conseil d'administration dans quelques jours, va améliorer considérablement
notre capacité de maîtrise d'ouvrage et nous permettra donc d'aller plus vite.
Dès 2002, ses moyens humains seront doublés par rapport à l'actuelle délégation
générale au programme pluriannuel d'équipement qui a beaucoup souffert.
En outre, dans le domaine pénitentiaire, nous venons de « lever un préalable »
aux constructions neuves avec la redéfinition de la carte pénitentiaire. Sur
cette base, le programme de trente-cinq constructions neuves que j'ai annoncé
récemment va pouvoir entrer en phase de réalisation. Celle-ci s'étalera sur
plusieurs années, ce qui est inévitable compte tenu de l'ampleur du sujet. La
concertation locale permettant de choisir les sites sera engagée dans les
prochaines semaines. Elle est d'ores et déjà sur plusieurs sites, notamment à
Nancy et au Mans. Mais certains sites comme Nice ont fait l'objet de telles
négociations sur le terrain que près de deux ans ont été nécessaires pour
trouver la bonne solution.
Tout cela est long et complexe, mais, naturellement, les moyens mis à la
disposition de l'agence nous permettront de mieux faire.
J'ajoute que, s'agissant du programme actuel, nous avons donné quelques
mandats à une filiale de la Caisse des dépôts et consignations pour nous aider
à accélérer la mise en oeuvre des chantiers.
Pour ce qui est de la réforme de l'accès au droit et de l'aide
juridictionnelle, je souhaite réaffirmer toute ma détermination à aller de
l'avant. Vous avez pu remarquer - certains l'ont noté tout à l'heure - que j'ai
rempli mon engagement sur deux ans - 2001 et 2002 - en ce qui concerne le
protocole d'accord signé avec les avocats.
L'accès au droit et à la justice est, à mes yeux, un thème essentiel, auquel
nos concitoyens restent très attentifs, et ils ont raison.
A la suite du rapport de la commission, dont j'avais confié la présidence à
Paul Bouchet, une large concertation a été engagée. Elle a abouti à un projet
de loi, désormais quasiment finalisé, qui sera déposé prochainement. Il
reposera sur les orientations suivantes : d'abord, étendre le bénéfice de
l'aide juridictionnelle à 40 % de la population, contre 27 % actuellement ;
ensuite, simplifier radicalement les conditions d'attribution de l'aide pour
accélérer les procédures et limiter les démarches administratives difficiles -
c'est ainsi que le calcul du plafond de ressources se fera au vu du seul avis
d'imposition ou de non-imposition ; enfin, achever la couverture du territoire
par les conseils départementaux de l'accès au droit - nous avons péniblement
dépassé les cinquante ; il faut aller beaucoup plus loin - en allégeant leurs
conditions de constitution et en évitant tout blocage.
Quant à la rémunération des avocats, il faut évidemment en discuter, mais
sereinement et sans
a priori.
A cet égard, je souhaite rappeler
l'importance de l'effort budgétaire accompli : la revalorisation du barème en
deux étapes - 1er janvier 2001 et 1er janvier 2002 - coûtera environ 350
millions de francs par an, soit une hausse de 20 % des crédits d'aide
juridictionnelle.
Ce qui a déjà été fait doit être salué : c'est un effort considérable et lourd
de conséquences pour le budget d'un ministère qui a de multiples priorités. Les
arbitrages internes sont aussi lourds à effectuer que ceux que nous pouvons
conduire avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ou
avec le Premier ministre.
Tout à l'heure, vous avez souligné que nous avions pris du retard quant à la
mise en oeuvre de la réforme. A la remise du rapport Bouchet - je dois
d'ailleurs saluer l'excellent travail réalisé et l'engagement personnel de tous
les membres de cette commission -, j'avais demandé à l'ensemble des
organisations professionnelles de réagir. Mais l'été est une période plus
difficile et certaines d'entre elles m'ont demandé, après être intervenues de
façon très succincte le 15 juin dernier, de bien vouloir attendre le mois de
septembre. En définitive, il y a eu plusieurs semaines de retard.
Mais je ne pouvais pas à la fois dire que j'engagerais une concertation et
présenter mon projet sans concertation. Par conséquent, je ne veux pas que l'on
m'impute ce retard. En effet, entre le moment où l'on nous a remis ce rapport
et maintenant, où l'avant-projet de texte est en discussion au sein des
organisations professionnelles, les services ont fait preuve d'une célérité
qu'il convient de saluer. Ce rapport sera soumis au Conseil d'Etat et la
qualité de sa rédaction devrait nous réserver peu de surprises.
M. Garrec a fait allusion aux 35 heures pour les magistrats. Il est vrai que
cette mesure est difficile à accepter ainsi. Les magistrats souffrent trop en
ce moment pour que l'on en rajoute. En fait, les magistrats seront tout
simplement traités comme des cadres, ce qu'ils sont. On ne peut pas leur
appliquer un temps de travail hebdomadaire mesuré. Certes, ils ont obtenu des
jours d'aménagement et réduction du temps de travail, ARTT.
Je rencontre beaucoup de difficultés, autant avec les magistrats qu'avec
d'autres, à expliquer qu'à partir du 1er janvier 2002, avec cette réforme, nous
mettrons les choses à plat. Lorsqu'on est obligé, pour respecter la loi sur les
35 heures, de transformer des repos compensateurs en jours d'ARTT, il s'agit de
toute façon de jours non travaillés.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il faut prendre acte du total des jours non travaillés
plutôt que d'essayer d'ajouter aux repos dits « compensateurs » d'autrefois des
jours d'ARTT d'aujourd'hui. Sinon, nous allons nous engager dans une spirale
infernale.
Il est vrai que les magistrats n'ont pas signé l'accord, mais il s'agit d'un
désaccord « non conflictuel », si je puis me permettre cette expression.
(M.
Hyest s'exclame.)
Nous ne pouvions pas reprendre tous les chiffres de l'ensemble des
juridictions. Certaines ont accepté de répondre à une enquête interne de façon
très transparente, d'autres ont refusé. Par conséquent, j'estime que ce dossier
est aujourd'hui derrière nous.
En revanche, pour l'ensemble des autres professions, en particulier les
greffiers, l'accord qui permet de bénéficier de repos compensateurs lorsqu'on
ne travaille pas 35 heures par semaine est un bon accord. Je me souviens des
débats sur les congés de Noël et de Pâques, qui étaient considérés non pas
comme des congés mais comme des avantages acquis. Nous arrivons maintenant à
ouvrir davantage nos greffes au public : 39 heures par semaine. C'était pour le
Gouvernement un élément essentiel, que les greffiers ont accepté.
Je ne reviens pas sur l'accord concernant l'administration pénitentiaire. Nous
avons également proposé des solutions qui conviennent à peu près. Mais vous
avez raison de rappeler que, dans une ambiance concernant en particulier leurs
collègues de la police et de la gendarmerie, les syndicats de l'administration
pénitentiaire n'ont pas voulu signer cet accord. C'est dommage, mais nous y
arriverons !
Nombre d'entre vous ont évoqué la question de la carte judiciaire.
Le rapport d'activité - c'est la première fois que l'on réalise un document
d'une telle précision et je vous remercie de l'avoir noté - a pour objet de
répondre en partie à cette idée qu'il aurait fallu fermer quelques juridictions
pour rationaliser l'« exercice » du service public de la justice, afin de
récupérer des moyens et éviter des difficultés.
Après une étude juridiction par juridiction et département par département, on
a constaté que l'application des critères qui avaient été retenus à un moment
donné aurait abouti à la suppression pure et simple des tribunaux dans certains
départements.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Nous nous retrouvions alors dans une situation
extrêmement difficile : au nom de quoi ferme-t-on tous les tribunaux d'un
département ? Au nom de quoi garde-t-on un tribunal qui enregistre des chiffres
un peu moins élevés ?
En revanche, il faut prendre en compte la mutualisation des moyens : est-elle
possible ou non, y compris en considérant la géographie, qui est un élément
important, pour faire face au travail particulier des parquets, notamment les
astreintes ?
Il faut répondre également à la solitude des magistrats dans les tout petits
tribunaux : ces magistrats ne peuvent pas avoir d'échange avec leurs collègues
sur l'évolution de la jurisprudence, sur des décisions qu'ils peuvent avoir à
prendre. Cette solitude est dommageable.
Je constate que pratiquement tous les parlementaires, y compris ceux qui ont
demandé la carte judiciaire, souhaitent la présence d'un juge des enfants dans
les petits tribunaux qui en sont dépourvus ou qui n'offrent au public que des
permanences des juges des enfants.
Bref, de nombreuses questions se posent de manière très différente selon
qu'elles émanent d'une agglomération qui bénéficie d'un tribunal n'ayant aucun
risque d'être fermé ou du milieu rural.
J'ai entendu dire, y compris dans ce qui est devenu un véritable slogan sur la
carte judiciaire, que le Gouvernement entendait fermer les lieux de justice. Je
veux « tordre le cou » à ce slogan : on ne fermera pas les lieux de justice
!
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Surtout pas les tribunaux d'instance !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il faut effectivement garder les tribunaux d'instance
et en faire une justice de proximité et, dans les localités où il n'existe pas
de tribunaux d'instance, il importe d'en créer, y compris dans la région
parisienne.
Peut-être convient-il également de créer un lien entre les maisons de la
justice et du droit et les tribunaux d'instance.
Tout à l'heure, on a évoqué de la réforme proposée par les entretiens de
Vendôme : au lieu de parler de géographie, j'ai préféré faire allusion à
l'organisation du service public de la justice. L'accès au droit et à la
justice n'est pas une question de géographie. Il suffit parfois de trouver dans
une maison de la justice et du droit ou dans un tribunal d'instance la réponse
à une question de justice au quotidien pour ne plus ressentir cette espèce
d'angoisse d'absence de justice, en particulier dans les petites villes et en
milieu rural.
Le consensus est donc assez large pour que le sort des petits tribunaux soit
réglé par des réformes d'organisation, et pas nécessairement par des
suppressions. Rien n'empêche, en effet, qu'une chambre du tribunal de grande
instance soit détachée pour venir animer l'arrondissement judiciaire.
Il faudra aussi discuter des arrondissements judiciaires eux-mêmes : comment
travailler avec les conseils de prud'hommes, les tribunaux de commerce et
d'autres juridictions encore ? Comment mutualiser ces différents moyens ?
Bref, il y a là un vrai travail d'organisation à faire qui nous permettra
d'appréhender plus facilement cette carte judiciaire. Il faut dire qu'elle a
effrayé tellement d'élus locaux que le service du courrier de la Chancellerie
ne sait plus comment gérer les nombreuses lettres et pétitions qu'elle a
suscitées !
Monsieur Othily, vous avez consacré votre intervention au budget de
l'administration pénitentiaire. Je vous rejoins sur la difficulté du travail,
sur le temps mis à régler des problèmes immobiliers et des situations
professionnelles. Nous essayons de « flécher » les postes là où il y en a le
plus besoin - tel est notre premier engagement - mais, vous avez raison, ne
sont inscrits que cinquante postes pour les escortes. La négociation est
actuellement en cours avec la police et la gendarmerie ; elle n'a pas pu
aboutir avant la fin de l'année, mais elle doit être reprise, par phasage.
Autrement dit, c'est un premier pas, qui sera suivi d'autres, en fonction d'un
calendrier que nous parviendrons à fixer avec les organisations
professionnelles, dans les prochaines semaines. Je n'avais pas d'autre choix,
d'ailleurs, ne disposant pas de suffisamment de postes pour régler
immédiatement le problème.
Cet exemple illustre la méthode qui a été la mienne dans l'élaboration de ce
budget et, au-delà, dans mon action à la tête de la Chancellerie : je n'ai rien
voulu annoncer que je ne puisse tenir. Il n'y a donc pas un poste de magistrat
annoncé qui ne sera pas suivi de l'arrivée d'un magistrat sur le terrain. Il en
sera de même pour les greffiers et les surveillants.
Compte tenu des problèmes de recrutement actuels, je savais que je
n'obtiendrais pas la totalité des postes mis au concours cette année, mais je
ne voulais pas faire comme si le problème n'existait pas. Mesdames, messieurs
les sénateurs, la transparence et la vérité sont les conditions d'une bonne
négociation budgétaire.
M. Gélard a largement apporté son soutien, et c'est important en ce moment, à
la protection judiciaire de la jeunesse. Cette administration se sent
totalement isolée par un discours très sécuritaire qui ne prend que peu en
compte la qualité du travail qui peut être fait en milieu dit « ouvert ».
Cela étant, vous connaissez la position d'un certain nombre d'éducateurs par
rapport aux centres éducatifs renforcés, les CER, et aux centres de placement
immédiat, les CPI. Il y a là un vrai débat.
Nous avons pris la décision d'ouvrir un concours externe exceptionnel pour
résoudre l'un de nos problèmes majeurs qui se pose en grande région parisienne
et dans les grandes villes : les personnels ont une moyenne d'âge si basse que
l'on ne voit pas comment ils pourraient prendre en charge les jeunes des
quartiers difficiles, qui sont une réalité.
A cet égard, permettez-moi une digression. Les éducateurs de la protection
judiciaire de la jeunesse nous font observer aujourd'hui que, depuis la fin de
la conscription, il n'y a plus ni bilan de santé, ni vaccinations, ni bilan
d'illettrisme ou de qualification professionnelle.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est donc à eux, éducateurs, qu'il revient de susciter
en quelque sorte cette confrontation nécessaire entre un jeune en difficulté et
la République, pour essayer de lui donner les moyens d'aller plus loin. C'est
la preuve qu'une réforme réalisée en faveur des jeunes de ce pays peut se
retourner contre certains d'entre eux. Et je ne parle pas des appelés qui
servaient dans la gendarmerie, chez les pompiers et dans d'autres services.
Je souscris donc à vos propos, monsieur Gélard, sauf quand vous dites que la
PJJ est le parent pauvre de ce budget. Ce n'est pas vrai. En effet, la hausse
de 4,8 % des crédits du secteur public de la PJJ, même si elle est inférieure
d'un point à celle du budget général, reste cependant importante. Quant à la
diminution des crédits du secteur habilité, elle résulte d'une
sous-consommation dont nous prenons acte, par souci de vérité et de réalisme,
comme nous tirons les conséquences de la baisse du volume de certaines mesures.
Cela nous permettra une concertation plus aisée avec les juges des enfants et
les représentants des conseils généraux.
Je pense que nous arriverons, à l'échelon de chaque département, à créer ce
lieu de partenariat indispensable entre la justice - c'est-à-dire l'ensemble de
l'institution judiciaire et non pas seulement, en effet, les uns ou les autres,
monsieur de Montesquiou - les conseils généraux, les élus locaux ainsi que les
responsables de juridiction, pour parvenir à une meilleure adéquation entre
mesures prononcées et mesures applicables.
Nous comptons aujourd'hui cinquante-deux centres éducatifs renforcés ; onze
vont s'ouvrir très prochainement. Sur les cinquante centres de placement
immédiat, quarante-sept sont ouverts ; il en manque donc trois. Nous avons, en
effet, un problème de localisation, tant il est vrai que les maires redoutent
en général l'ouverture, sur le territoire de leur commune, d'un CPI ou d'un
CER. Tout cela prend plus de temps que prévu.
Vous aurez pu constater que, dans ce budget, nous n'avons pas inscrit beaucoup
de crédits à ce titre ; nous procédons en effet beaucoup par location pour que
les centres ainsi ouverts soient aussi proches que possible d'un quartier, d'un
centre-ville, ou bien encore d'un lieu de scolarisation. Nous devons, en effet,
veiller à ne pas isoler les jeunes en pleine campagne ! La location est donc,
pour nous, une nécessité.
En ce qui concerne le régime indemnitaire des éducateurs de la PJJ, l'effort
que nous avons décidé se poursuivra sur trois ans, ce qui n'a d'ailleurs pas
pesé peu dans l'accord que nous avons trouvé avec les personnels.
Monsieur de Rohan, vous avez rappelé le rôle de l'Ecole nationale de la
magistrature, et vous lui rendez hommage. Son fonds de roulement, dites-vous,
était trop élevé. En fait, il est de bonne gestion de le réduire dans ce
cas-là. Nous avons donc procédé conformément à la loi, avec l'ensemble du
conseil d'administration.M. Canivet a d'ailleurs pu prendre acte de la véracité
des comptes.
Les sommes ainsi dégagées serviront à financer des opérations d'équipement non
récurrentes, et non pas des dépenses permanentes. Le fait de passer à deux cent
quatre-vingts auditeurs par promotion nous conduit à réaliser des efforts
d'équipement qui ne seront pas à renouveler.
Par ailleurs, la subvention versée à l'Ecole nationale de la magistrature
augmente de 17 % pour lui permettre justement de répondre à l'arrivée de
promotions plus nombreuses. Comme l'a noté M. Badinter tout à l'heure, nous
avons également créé des postes, ce qui devenait nécessaire pour garder une
formation de qualité.
Vous avez aussi parlé de la délivrance des copies pénales à titre gratuit.
Nous avons abondé ce chapitre de 3 millions de francs - la mesure figure déjà
au « bleu » - et nous avons même, dans certains cas, passé des accords avec les
barreaux pour résoudre des problèmes de matériels. Donc, j'ignore qui vous a
donné cette information mais, pour Paris, il semblerait que nous ayons trouvé
la bonne solution à un problème effectivement très délicat.
S'agissant de la grande criminalité et de l'ultra-libéralisme, monsieur de
Rohan, je suis contente de constater qu'au moins un sénateur a lu mon livre !
(Sourires.)
Il nous faut réagir, car nous nous trouvons confrontés à des
organisations criminelles de grande taille qui ont parfaitement tiré les leçons
du retour sur investissement et du placement des capitaux de par le monde,
ainsi que du « placement main-d'oeuvre » : le mandat d'arrêt européen vise
précisément ces cas-là.
C'est à partir d'une très belle étude d'un magistrat de Nice que nous avons pu
observer à quel point la criminalité s'organisait de manière capitalistique
parfaite. Cela nous pose de multiples problèmes, notamment de non-dénonciation,
mais la cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de
l'action contre les circuits financiers clandestins, TRACFIN, joue un rôle
important dans cette affaire.
M. Plasait a rappelé le problème de l'exécution des peines. L'étude de l'Union
syndicale des magistrats, l'USM, qu'il a citée n'était, en fait, qu'une
estimation dont le syndicat a reconnu lui-même qu'elle était erronée.
Malheureusement, ces chiffres continuent de circuler. Il est donc important de
relever que nous ne disposons effectivement pas de statistiques nationales
consolidées qui regrouperaient les donnés émanant respectivement des parquets,
du casier judiciaire et de l'administration pénitentiaire. Sur ce point, le
Parlement est unanime pour regretter avec moi l'absence d'un observatoire
statistique. A nous de faire des efforts en ce sens.
Nous disposons cependant d'estimations réalisées à partir des grâces - elles
avaient été totalement oubliées, mais cela représente, cette année, environ 3
500 peines entrées sous la rubrique de la non-exécution - des doubles comptes,
c'est-à-dire des personnes qui, déjà incarcérées au moment de leur
condamnation, ne sont pas comptabilisées comme personnes condamnées, ainsi que
des condamnations prononcées par défaut ; dans ce dernier cas, la peine ne peut
pas être exécutée, du fait de l'absence de la personne, mais l'affaire sera
éventuellement rejugée.
Au total, le taux de non-exécution serait compris plutôt entre 5 % et 10 %, et
encore, sans tenir compte des mesures qui peuvent être prises par les juges de
l'application des peines. Donc, le taux est sans doute supérieur, ce qui nous
conduit à faire un effort très important en la matière. En effet, autant les
citoyens peuvent comprendre l'absence d'élucidation de certaines affaires,
autant l'absence d'exécution de peines prononcées leur paraît être
l'illustration la plus éclatante des dysfonctionnements de la justice.
Donc, lutter contre l'impunité, c'est aussi consacrer des moyens plus
importants à l'exécution des peines.
D'ailleurs, toujours dans la perspective d'un partenariat avec les élus
locaux, je veux que notre travail sur la réparation, qui impose que l'on trouve
des lieux de qualité pour un accompagnement des personnes lui-même de qualité,
puisse opportunément s'inscrire dans les contrats locaux de sécurité ou dans
les missions des groupes locaux de prévention de la délinquance. Nous avons là
une palette de solutions, même si le problème n'est pas réglé pour autant.
Vous avez rappelé, monsieur de Rohan, la demande formulée par les procureurs
généraux du recours aux instructions individuelles.
Les procureurs généraux ont effectivement formulé cette demande d'instructions
individuelles, à condition qu'il s'agisse d'instructions individuelles
positives,...
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Positives et versées au dossier !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
... pour en finir avec la stratégie dite « de
l'hélicoptère ».
(Sourires.)
Autrement dit, ce n'est pas le retour total
aux instructions individuelles, mais uniquement aux instructions individuelles
positives visant à empêcher le classement d'une affaire dont on estime qu'elle
ne doit pas être classée.
Il est vrai que, sur les rapports Chancellerie-parquet, nous aurions pu avoir
un beau texte, monsieur de Rohan. Là où je ne suis pas du tout d'accord avec
vous, c'est lorsque vous prétendez que le Président de la République n'a pas
réuni le Congrès faute de pouvoir compter sur les trois cinquièmes des voix.
Je vous rappelle qu'un texte a été voté tant par le Sénat que par l'Assemblée
nationale. Une majorité s'était donc bien dégagée, et je ne vois pas pourquoi
des parlementaires des deux chambres voteraient un jour un texte en leur âme et
conscience, et avec une grande conviction, pour rejeter ce même texte une fois
réunis en Congrès !
M. Josselin de Rohan.
C'est comme cela !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est un grand sujet que la place du politique dans ce
pays ! Si l'on peut, à quelques semaines d'intervalle, changer à ce point
d'avis, concernant, en particulier, la composition du Conseil supérieur de la
magistrature, permettez que je m'interroge...
Pour garantir l'indépendance de la justice, ce que demandent les citoyens, la
carrière d'un magistrat ne doit pas dépendre d'un politique. Aussi longtemps
que nous n'aurons pas réglé ce problème, nous aurons du mal à obtenir ce que
vous souhaitez, et qui relève largement de la compétence du ministre de la
justice, et, bien sûr, du Parlement, qui vote les lois, à savoir des politiques
pénales.
Il est vrai que le travail de concertation que nous menons aujourd'hui tant
avec les procureurs généraux qu'avec les premiers présidents porte sur les
politiques pénales et sur les territoires. De ce point vue, nous sommes en
phase. Mais l'indépendance nous permettrait, nous permettra, parce que nous y
viendrons, d'avoir un nouveau texte sur le lien Chancellerie-parquet. Les
parquets souffrent d'un vrai mal-être qui, d'ailleurs, ne tient pas seulement
au rapport Chancellerie-parquet, mais qui est aussi lié à la relation procureur
général-procureur. Un véritable travail s'impose en la matière : le texte est
prêt et sera voté, je l'espère, aussi vite que possible.
M. Josselin de Rohan.
Puis-je vous interrompre, madame le garde des sceaux ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je vous en prie, monsieur le sénateur.
M. le président.
La parole est à M. de Rohan, avec l'autorisation de Mme le garde des
sceaux.
M. Josselin de Rohan.
Madame la ministre, je me vois contraint de vous rappeler que, lorsque, nous
avons, dans cette assemblée, émis un vote favorable sur le texte qui aurait dû
donner lieu à la réunion du Congrès, nous avions assorti notre vote de demandes
de garanties. Ces garanties ne nous ont pas été accordées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quelles garanties ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Oui, lesquelles ?
M. Josselin de Rohan.
C'est parce qu'elles ne l'ont pas été que nous avons fait savoir que nous ne
voterions pas ce texte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais quelles garanties ?
M. Josselin de Rohan.
Dans ces conditions, le Président de la République, qui en a été tout à fait
normalement averti, a fait ses comptes. Il savait donc parfaitement que ce
projet de loi n'obtiendrait pas les trois cinquièmes des suffrages au Congrès,
comme les présidents de groupe le lui avaient d'ailleurs confirmé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela n'avait pas été dit au Sénat !
M. Josselin de Rohan.
Vous pouvez le regretter, vous pouvez le déplorer, mais c'est un fait !
Le Président de la République a donc très logiquement souhaité éviter un échec
au Congrès, ce qui eût été à la fois sans précédent et indigne du Congrès.
Par ailleurs, je le répète, je ne vois pas en quoi le fait que ce texte n'ait
pas été soumis au Congrès empêchait l'examen d'autres projets de réforme. Lier
les deux est tout à fait incompréhensible.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur Josselin de Rohan, je crois profondément que,
s'agissant du lien entre la Chancellerie et le parquet, la situation sera saine
le jour où la carrière des magistrats ne dépendra plus du ministre de la
justice.
Lorsque l'on interroge les magistrats, ce que, certainement, vous faites
souvent, on constate que c'est bien là ce qu'ils demandent : que soient
clarifiées les questions, d'une part, des carrières, car il est important pour
eux de ne pas être soumis, et, d'autre part, du lien entre la Chancellerie et
le parquet.
Nous rencontrons des problèmes disciplinaires, vous l'avez tous souligné, et
je répondrai globalement sur ce sujet, qui me paraît être le plus difficile.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'est vrai !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Moins de dix procédures disciplinaires ont fait l'objet
cette année d'une décision du Conseil supérieur de la magistrature, et l'on a
entendu des commentaires surpris de la part des uns et des autres
parlementaires sur certains silences du Conseil.
Sur ce sujet extrêmement important, j'ai rencontré toutes les organisations
professionnelles de magistrats ; toutes sont très attachées à ce qu'il soit
définitivement réglé.
Le problème est très différent de celui que soulève la déclaration du Syndicat
de la magistrature. Je me souviens d'avoir lu, dans un périodique dont je ne
peux citer le nom ici, un article auquel vous n'aviez pas réagi, mesdames,
messieurs les sénateurs, alors que les propos qui y étaient tenus étaient tout
aussi graves. Des magistrats y déclaraient en effet que la loi renforçant la
protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes - en
particulier ses dispositions relatives à l'appel en cour d'assises et à la
juridictionnalisation des peines, qui avaient été soutenues par le Sénat -
n'était pas sérieuse, et des mots plus graves avaient été utilisés pour
critiquer cette loi et la déclarer inapplicable. Certains ont même cru voir
dans la manière dont les magistrats l'appliquaient une volonté d'en démontrer
les difficultés. Les cas, heureusement, ont été extrêmement rares.
De telles pratiques m'ont effectivement heurtée, tout comme la déclaration du
Syndicat de la magistrature à laquelle vous faites allusion : il est
inadmissible qu'un magistrat critique la loi alors que son rôle premier, dans
une démocratie, est justement de la faire appliquer et d'être garant, pour sa
part, de ladite démocratie.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
C'est certain !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
En revanche, en l'état actuel des procédures, il me
faut citer une personne nommément et indiquer quelle faute elle a commise pour
pouvoir soumettre son dossier individuel au Conseil supérieur de la
magistrature : le cas de telles déclarations collectives n'est pas prévu, et je
n'ai pas poursuivi les magistrats, bien que leur nom soit cité dans le fameux
périodique.
M. Hyest a d'ailleurs été, me semble-t-il, le premier parlementaire qui ait
rédigé un article aussi dur que celui qu'il avait lu pour en dénoncer la teneur
; d'autres l'ont imité par la suite, heureusement.
Je n'ai donc aucun moyen de saisir le Conseil supérieur de la magistrature
lorsqu'il s'agit, comme ici, de positions syndicales. Mais je n'exclus pas,
dans la mesure où le Conseil supérieur de la magistrature peut en débattre, lui
demander sa position sur ce type de déclaration et comment on peut faire
évoluer le respect de la loi, jusques et y compris par les magistrats.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Vous avez raison !
M. René Garrec,
rapporteur pour avis.
En effet, il faut poser la question !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je ne ferme jamais la porte, et je ne vais pas montrer
du doigt le Syndicat de la magistrature plus que je ne l'ai fait de l'USM qui,
en son temps, avait largement critiqué la loi. Quand un responsable syndical
explique à la télévision que la chambre d'accusation - c'était elle, à l'époque
- a pris une décision dans l'affaire dite « du Chinois » non pas en fonction de
la loi, mais en fonction d'une « ambiance », c'est extrêmement grave ! Je n'ai
pas non plus saisi le Conseil supérieur de la magistrature.
Il nous faut retrouver avec les magistrats un climat de sérénité et
d'apaisement qui nous permette de sortir d'une spirale dangereuse.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Il y a aussi la majorité silencieuse des magistrats,
qui ne pense pas comme ceux-là !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Elle est même très fâchée, pour ne pas employer d'autre
terme, contre la position des organisations professionnelles. Cependant, un
syndicat de magistrats, me semble-t-il, ne peut pas être tout à fait comme
n'importe quel autre syndicat, et il faudra faire attention.
M. René Garrec,
rapporteur pour avis.
Tout à fait.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Quant au livre auquel vous avez fait référence,
également publié par un syndicat, nous avons d'abord craint d'être forclos.
Vérification faite, compte tenu de la date du dépôt légal et de la date de la
publication, le ministre de l'intérieur - lui seul pouvait le faire - a déposé
plainte, ce qui est une excellente chose.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Madame la
garde des sceaux, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je vous en prie, monsieur le président de la
commission.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation
de Mme le garde des sceaux.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Je souhaiterais que les choses
soient précisées.
Nous ne pouvons pas saisir le CSM : vous seule pouvez le faire.
Le Syndicat de la magistrature affirme que la loi n'est pas applicable et
entend donner des consignes pour qu'elle ne soit pas appliquée.
Allez-vous, madame le garde des sceaux, poursuivre les juges qui ne
l'appliqueront pas ?
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Oui, il est évident que le premier magistrat qui ne
l'appliquera pas sera immédiatement poursuivi devant le Conseil supérieur de la
magistrature !
Ma difficulté, aujourd'hui, est de savoir que faire entre cette déclaration et
la « première faute ». Je n'ai aucun moyen légal de saisir le CSM !
Cependant, la très grande majorité des magistrats ne suivra jamais de telles
recommandations.
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Bien sûr ! Ils ne sont pas d'accord !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
La critique du syndicat, vous l'avez lue comme moi,
porte surtout sur ce qui se passera si, en cas de fouille d'un véhicule visant
à découvrir des preuves de crime lié au terrorisme ou au trafic de stupéfiants,
on trouve autre chose : les auteurs de ce livre demandent que cela ne fasse pas
l'objet de poursuites.
Or un officier de police judiciaire - travaillant, qui plus est, sous
l'autorité d'un procureur - qui découvrirait au détour d'une fouille de
voitures la preuve qu'un autre délit ou un autre crime a été commis ne peut pas
refermer le coffre en disant qu'il n'y a rien à voir. C'est impossible ! On
tomberait dans l'impunité et dans le hasard de la justice. Il ne peut pas y
avoir de hasard.
C'est pourquoi je n'approuve en rien la position du Syndicat de la
magistrature : il est juste qu'un officier de police judiciaire, découvrant la
preuve d'un crime ou d'un délit, puisse engager des poursuites, nous en sommes
parfaitement d'accord.
Quant aux moyens pour répondre à cette situation, je les trouverai ; il faut
que je les trouve.
Je ne reviens pas, monsieur Hyest, sur la carte judiciaire et les quarante
postes qui auraient été retrouvés. Votre exposé traduit votre soulagement, à
propos de la loi qui a été votée. L'honnêteté intellectuelle existe, et c'est
bien.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je n'aime pas que l'on me dise que j'ai voté n'importe quoi !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je vais abréger mon propos, parce que l'heure tourne,
malheureusement.
Il n'est pas juste de prétendre que la réduction du temps de travail aurait
absorbé tous les moyens : l'accord de branche intervenu pour les services
judiciaires prévoit entre 400 et 500 postes, ce qui ne correspond pas du tout
aux chiffres avancés. Ce dossier ne présente pas de difficultés.
Je salue surtout le fait que les organisations professionnelles et syndicales
de l'institution judiciaire, majoritairement, sont très raisonnables. Les
représentants des organisations syndicales ont participé à une dizaine de
séances, et nous avons regretté seulement que, bien qu'approuvant parfaitement
le texte, certains ne le signent pas, pour des raisons qui me restent
incompréhensibles.
Mme Borvo a évoqué les entretiens de Vendôme. Il est hors de question pour moi
d'en enterrer les résultats. La preuve en est que j'ai relu le texte pendant le
week-end, texte très synthétique et sans prétention.
J'ai dressé la liste de tous les chantiers qui pourraient être lancés, soit
réglementaires, soit, parfois, législatifs. Il nous faudra bien sûr commencer
par ceux qui relèvent du domaine réglementaire ; ainsi, en ce qui concerne
l'organisation des tribunaux, notamment des tribunaux d'instance, il faudra
régler le cas des assesseurs.
Ce document sera publié d'ici à une quinzaine de jours. Je regrette parfois
que les documents soient mal diffusés ; celui-ci sera distribué aux
parlementaires.
Il est très important de constater le nombre de demandes qui se sont exprimées
à l'occasion des entretiens de Vendôme. Certes, j'ai été obligée d'arbitrer
entre des requêtes parfaitement contradictoires, mais j'assume totalement la
responsabilité des propositions qui seront formulées, même si tout le monde n'y
trouve pas forcément réponse à ses propres demandes. Il est vrai que l'on m'a
parfois réclamé blanc, noir et gris, sur des sujets très proches !
Le résultat de ces entretiens nous permettra de traiter les problèmes
d'organisation sur une base autre que territoriale.
La première vague des maisons de justice et du droit est un grand succès, et
il faut absolument continuer en ce sens, car c'est une avancée positive.
Pour créer une telle maison, pour qu'elle fonctionne, il faut obtenir un
accord partenarial avec les élus locaux afin que toutes les permanences
puissent se tenir au même endroit : la personne qui vient poser une question de
droit concernant le logement ou le travail, par exemple, doit également trouver
une permanence de certains services de l'Etat, mais aussi de services sociaux,
de services du conseil général ou des mairies, afin d'être en mesure de traiter
le problème de droit tant en amont qu'en aval.
Madame Olin, en ce qui concerne le tribunal de grande instance de Pontoise,
vous avez pu constater que notre document précise que vous aviez raison : quand
existent des dysfonctionnements dans la justice, je le dis ; quand surviennent
des problèmes d'organisation, je le dis. On ne fait progresser une institution
de cette taille et de cette fragilité que si l'on met tout à plat, car c'est à
partir de la réalité que l'on peut faire avancer les choses.
Le tribunal de grande instance de Pontoise connaissait un énorme déficit en
personnel. C'est pourquoi il a été décidé d'augmenter le nombre de magistrats
de manière plus importante qu'ailleurs. Ainsi, six magistrats ont été affectés
à ce tribunal : c'est la plus forte augmentation d'effectifs enregistrée dans
un tribunal de grande instance, mais elle correspondait à une nécessité.
En revanche, pour les problèmes de locaux, les choses ont été plus délicates,
mais le chantier est lancé ; et je ne veux pas laisser dire que c'est toujours
la Chancellerie qui fonctionne mal. Si vous saviez comme il est difficile de
négocier sur place, en raison notamment des problèmes d'urbanisme rencontrés,
comme il est difficile de discuter avec les avocats, avec les autres
interlocuteurs concernés ! Il n'est pas simple de trouver un lieu qui
satisfasse tout le monde !
Les services ont souvent l'impression qu'on les critique. On oublie de dire
que le traitement d'un dossier de ce type est une véritable performance, dont
je les remercie en votre nom.
Vous vous étonniez également, madame le sénateur, qu'un périodique ait publié
des évaluations comparatives. En réalité, j'ai moi-même voulu procéder à de
telles évaluations pour pouvoir « suivre » les postes et les moyens : quand on
crée autant de postes, il faut bien savoir où ils vont !
Il est donc naturel qu'un journaliste les ait commentées, même si, très
honnêtement, je ne suis pas d'accord avec ses propos. Mais chacun est libre de
ses interprétations, et ce n'est pas moi qui vais m'attaquer à la liberté de la
presse !
M. Fauchon a rappelé avec insistance la présence des assesseurs. C'est une
bonne mesure, je le disais à Mme Borvo après les entretiens de Vendôme, que
tout le monde semblait d'accord pour affiner. En effet, la « qualité » des
assesseurs pose toujours problème : de l'avis des magistrats, ils sont souvent
plus durs et demandent des mesures beaucoup plus fortes que la moyenne, cela
dit sans comparaison volontaire avec les jurys d'assises.
M. Fauchon me demande également pourquoi les magistrats sont toujours aussi
peu nombreux. La référence au xixe siècle n'est pas pertinente, monsieur le
sénateur, puisque la justice n'était pas du tout la même. Si l'on part de la
base de 1958, en revanche, on constate que l'effectif des magistrats a doublé,
ce qui est déjà bien - même si j'ai parfois eu l'impression de ne faire que
rattraper le temps perdu.
J'en viens au mandat d'arrêt européen. Je me suis beaucoup battue pour qu'il
ne se limite pas à un aménagement de l'extradition. Il a fallu batailler contre
les pays qui devaient conduire des révisions constitutionnelles - ce que je
comprends assez bien - et contre la résistance, il n'y a pas d'autre mot, de
certains autres.
J'ai proposé la fameuse liste positive de trente crimes et délits graves pour
sortir de l'impasse dans laquelle nous avait engagés la fameuse liste négative.
Il est vrai que certains pays ont des législations très différentes à propos de
l'IVG, de l'euthanasie ou de l'homosexualité ; il fallait donc être
vigilants.
En revanche, je n'ai pas accepté de garder hors liste la peine minimale de
quatre ans. Quand on est condamné à quatre ans d'emprisonnement, en France,
cela signifie que les faits sont vraiment graves ; on se privait ainsi de la
possibilité d'obtenir un mandat d'arrêt pour les complices. Or, c'est souvent
en entendant les complices que l'on parvient à démanteler les réseaux
terroristes !
Nous avons donc retenu une cote mal taillée en revenant à une peine de trois
ans. J'espère que le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement fera mieux.
Un seul pays refuse cette liste : l'Italie. Contrairement, peut-être, à ce qui
a « transpiré » à l'extérieur, nous étions à quatorze contre un après avoir
trouvé ce compromis, dans une ambiance très lourde, très dure et très tendue.
La corruption et la criminalité financière sont le terreau de tant de réseaux
criminels que l'on ne peut pas accepter d'exclure ces crimes du champ du mandat
d'arrêt européen.
En revanche, pour ce qui concerne la détention provisoire, il n'y a pas
d'irresponsabilité pendant les soixante jours de délai acceptable puisque la
responsabilité du magistrat est de garder la personne à disposition. Si la
mesure conservatoire qu'est la détention provisoire n'est pas prise, il faut
absolument que les magistrats aient les moyens de présenter la personne à tout
moment, et c'est important.
Le contrôle exercé par les autorités judiciaires des deux pays concernés nous
a également semblé important, non pas vis-à-vis des quinze pays, car la
confiance est celle que vous avez décrite, monsieur le sénateur, mais parce que
certains pays craignaient que le texte ne puisse s'appliquer, en cas
d'élargissement de l'Europe, à des pays où la conception de la justice est
assez éloignée de la nôtre. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'une clause de
sauvegarde demandée par moult pays.
L'accord de coopération renforcée sera donc difficile. M. Fauchon a raison de
dire que l'Italie deviendrait alors le repaire des criminels, mais, en cas
d'échec à Laeken, nous essaierons d'avoir des accords bilatéraux - sont d'ores
et déjà d'accord le Portugal, l'Espagne, la France, l'Allemagne, le
Royaume-Uni, la Belgique et le Luxembourg - qui contraignent l'Italie à revenir
dans la logique qui est celle des démocraties européennes dans leur
ensemble.
Je crois avoir répondu aux uns et aux autres - même si, et je m'en excuse, je
n'ai pu faute de temps traiter toutes les questions de la même façon - et je
remercie les uns et les autres de la qualité de leur intervention et du fait
que le débat ait été politique et non pas politicien.
Mon seul regret est que le Sénat ne vote pas les crédits de mon ministère,
d'autant que, sur l'ensemble de la législature, ils ont tout de même augmenté
de 30 %.
Si, comme le souhaitent certains mais comme je ne le souhaite pas, le prochain
Gouvernement devait être soutenu par la majorité sénatoriale,...
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Nous serions aussi sévères avec lui !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
... il serait formidable qu'il parvienne au même
résultat !
M. Jean-Jacques Hyest.
On espère bien !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Donnez-nous notre chance !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je pense en tout cas que l'augmentation ne devait pas
être artificielle. En particulier, annoncer davantage de créations de poste de
magistrat cette année aurait été un magnifique mensonge de politique
politicienne ! Or, je l'ai dit, je ne voulais inscrire dans ce projet de budget
aucune mesure qui ne soit pas exécutable et exécutée. C'est pourquoi j'aurais
souhaité que vous votiez un budget qui, après 30 % d'augmentation, reste, cette
année encore, un bon budget, mais telle n'est pas votre volonté et je vous
remercie néanmoins de la qualité du débat.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La droite sénatoriale fait de la politique politicienne !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Vous gâchez un beau discours
!
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère
de la justice et figurant aux états B et C.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 179 036 202 euros. »