SEANCE DU 28 MARS 2001
M. le président.
« Art. 1er. - L'intitulé du chapitre II du titre 1er du livre II de la
deuxième partie du code de la santé publique est ainsi rédigé : "Interruption
pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse". »
Sur l'article, la parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
En fait, monsieur le président, mes chers collègues, je souhaite présenter mon
amendement rédactionnel n° 23, qui traduit ma volonté d'être fidèle à la loi
Veil.
L'intitulé du chapitre II du projet de loi est ainsi libellé : « Interruption
pratiquée avant la fin de la douzième semaine de grossesse. » L'intitulé prévu
par la loi Veil, apportait une précision : « en cas de situation de détresse ».
Mon amendement vise à ajouter ces mots.
M. le président.
Je considère que vous avez défendu par avance votre amendement, monsieur
Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Tout à fait !
M. le président.
Sur l'article, la parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de
ce texte me laisse perplexe.
J'étais membre du Gouvernement lorsque Mme Veil a déposé le projet de loi
relatif à l'IVG et à la contraception. Il a fait l'objet de très longs débats,
et je l'ai soutenu. J'estimais en effet qu'au xxe siècle on ne pouvait pas
laisser se perpétuer un système d'avortement aboutissant à tant de détresse et
de morts, dans des conditions souvent scandaleuses.
Le texte qui a été adopté par le Parlement à l'époque comportait deux éléments
: l'IVG, dans un certain délai, en cas de situation de détresse et l'IVG pour
motif thérapeutique.
Par ailleurs, l'IVG était entourée d'un certain nombre de précautions :
entretiens préalables, accueil et conseils, qui s'adressaient en particulier
aux mineures, car c'est un problème qui intéresse aussi bien les mineures que
les majeures. Cet encadrement constituait en quelque sorte la contrepartie de
la possibilité de pratiquer une IVG.
A la lecture du projet de loi actuellement en discussion, je me demande ce qui
a motivé le Gouvernement. Veut-il céder à la mode et aller de plus en plus loin
pour satisfaire ceux qui se désintéressent complètement de la famille, des
enfants, de la démographie, et ne se préoccupent que de la jouissance immédiate
? Veut-il réagir parce qu'il n'a pas pu réunir les moyens de mettre en place,
dans tous nos établissements hospitaliers, des centres d'IVG qui fonctionnent
correctement, afin qu'un certain nombre de jeunes femmes ou de mineures
puissent trouver, quand il le faut, la possibilité de recourir à l'avortement
?
Tant que nous n'aurons pas mis en place dans l'ensemble de la chaîne
hospitalière - Dieu sait si notre pays compte suffisamment d'hôpitaux, de
cliniques et de centres de santé ! - un mécanisme qui permette effectivement de
s'assurer qu'une IVG peut être pratiquée avant la dixième semaine, je ne crois
pas que le fait d'augmenter de par la loi le délai de dix à douze semaines
apporte la moindre solution.
Je considère donc que ce texte est beaucoup plus un texte de circonstance et
de mode qu'un texte de fond et je me rallierai aux amendements proposés par la
commission des affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par M. Francis Giraud, au nom de la
commission.
L'amendement n° 58 est déposé par M. Carle.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 23, M. Neuwirth propose de compléter
in fine
cet
article par les mots : « en cas de situation de détresse ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
L'article 1er modifie l'intitulé du chapitre II du titre Ier
du livre II du code de la santé publique afin de tenir compte de l'allongement
de deux semaines du délai légal de l'IVG. Par coordination avec la position
proposée à l'article 2 - mais je reviendrai sur le fond - et dans la mesure où
la commission vous propose de refuser l'allongement de ce délai, l'amendement
n° 2 vise à rétablir l'intitulé du chapitre dans sa version antérieure au
projet de loi.
M. le président.
La parole est à M. Carle, pour défendre l'amendement n° 58.
M. Jean-Claude Carle.
Cet amendement a le même objet que l'amendement n° 2 de la commission et vise
donc à supprimer l'article 1er. Ayant déjà eu l'occasion d'exprimer mon
opposition au passage de dix à douze semaines du délai légal de l'IVG, je n'y
reviendrai pas.
M. le président.
L'amendement n° 23 a déjà été défendu par son auteur.
Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Si l'amendement n° 2 était adopté, l'amendement n° 23
n'aurait plus d'objet puisque la commission propose de supprimer l'article
1er.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 2 et 58
ainsi que sur l'amendement n° 23 ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
S'agissant de l'amendement n° 23, bien que je sois
d'habitude d'accord avec M. Neuwirth, il ne me semble pas nécessaire, dans la
mesure où nous ne sommes plus en 1975, de stigmatiser les femmes en précisant «
en cas de détresse ». Il convient au contraire de considérer qu'elles sont
responsables d'elles-mêmes et que, lorsqu'elles demandent une IVG, leur
situation est déjà suffisamment difficile pour ne pas la souligner.
Je regrette de devoir vous dire cela parce que je sais que tel n'est pas votre
intention. Néanmoins, le Gouvernement demande le rejet de l'amendement n°
23.
Par ailleurs, l'objet même du projet de loi étant d'allonger le délai légal du
recours à l'IVG, nous demandons le rejet de l'amendement n° 2, déposé par la
commission.
Je profite de cette intervention pour apporter une précision à M. Fourcade.
Nous avons eu ce débat hier pendant de longues heures : hélas, il est
nécessaire de proposer par le biais d'une loi de porter le délai de l'IVG de
dix semaines à douze semaines.
Un sénateur du RPR.
Et il faut des moyens !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Les moyens, nous nous efforcerons de les trouver, cette
question ne constitue pas une raison pour rejeter le principe de l'allongement
du délai.
Un refus de cette mesure relève d'un état d'esprit. Beaucoup de médecins ne
veulent pas pratiquer d'IVG, ils font jouer la clause de conscience, ce que je
comprends bien. Mais si les moyens ne sont pas donnés, c'est que, souvent, les
médecins considèrent, hélas, l'IVG comme une discipline secondaire.
Comme vous, je suis partisan de réduire au maximum le nombre d'avortements,
comme chez nos voisins européens. Mais, pour cela, il faudrait pratiquer une
politique différente, d'un point de vue général et pas seulement en matière de
santé, monsieur Fourcade.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 2 et 58.
Mme Hélène Luc.
Je demande la parole contre ces amendements.
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après mes
amis OdetteTerrade et Guy Fischer, après Elisabeth Guigou et Bernard Kouchner,
qui l'ont fort bien exprimé, je veux redire que, par le biais de cet amendement
n° 2 et de ceux qui suivent, la commission des affaires sociales entend
procéder à une réécriture complète de ce projet de loi.
Le ton est donné dès le début, puisque cet amendement n'a pour seul objet que
de s'opposer à l'allongement du délai légal pour une IVG de dix semaines à
douze semaines de grossesse, allongement qui constitue une mesure phare de ce
projet de loi.
Pour moi, comme je l'ai dit avec insistance au nom de mon groupe lors de la
prorogation de la loi Veil en 1979, grâce, d'ailleurs, à l'appui des
parlementaires de gauche, l'IVG doit rester un dernier recours. Ce n'est pas un
acte banal et anodin. C'est pourquoi il faut développer de manière
significative, et sans commune mesure avec ce qui a été fait jusqu'à
maintenant, la contraception.
Il faut bien reconnaître que la pratique d'une IVG est un échec pour notre
société, pour nous tous, ainsi que vous venez de le dire, monsieur le ministre.
Il n'en demeure pas moins que nous ne pouvons que nous opposer de la manière la
plus ferme à ce contre-projet élaboré par certains de nos collègues de la
majorité sénatoriale, qui ont du mal à cacher leur opposition idéologique à une
quelconque évolution de la législation lorsque l'on aborde la question du droit
des femmes à disposer librement de leur corps.
Lorsque, hier soir, nous sommes allés avec OdetteTerrade et Guy Fischer à la
rencontre des femmes qui manifestaient devant le Sénat avec leurs associations
- elles sont d'ailleurs présentes dans les tribunes aujourd'hui - la CADAC, le
planning familial, Ras-le-front, Femmes solidaires, Mix-cité, les Femmes
turques, le collectif Femmes libres, toutes ont tenu à ce que nous vous disions
qu'en fait vous vous opposez aux droits des femmes à disposer librement de leur
corps au moment même où la parité entre en application dans les conseils
municipaux des villes.
Prenant le prétexte d'une augmentation des risques médicaux liée à une
intervention plus tardive, nos collègues refusent l'allongement du délai et
préféreraient qu'au-delà de dix semaines une femme souhaitant avorter ne puisse
le faire qu'après avoir été entendue par une commission.
Nous sommes tout autant soucieux que vous de la santé des femmes, mes chers
collègues, et je veux redire ici qu'après avoir entendu toutes les personnes
qualifiées, l'allongement de deux semaines ne pose pas de problèmes pour la
santé des femmes.
Nous ne partageons donc pas votre opposition à la nouvelle législation, car
l'idée qui se profile est que les femmes ne seraient pas aptes à décider par
elles-mêmes de la maîtrise de leur fécondité et qu'elles auraient forcément
besoin d'avoir recours à l'avis et à l'autorisation d'un panel de
professionnels pour disposer de leur corps.
Nous tenons à réaffirmer ici que la décision de subir une interruption
volontaire de grossesse - qui n'est pas une chose facile, et il ne faut pas
culpabiliser les femmes - appartient à la femme, à elle seule et à son
couple.
C'était d'ailleurs l'esprit de la loi Veil, qui remettait la décision
d'avorter entre les mains de la femme et du couple, et non des médecins.
Je tiens d'ailleurs à réaffirmer ici la capacité de choisir en toute
connaissance de cause qui caractérise les femmes autant que les hommes.
De la même façon, nous désapprouvons la position de la commission des affaires
sociales visant à maintenir le caractère obligatoire de l'entretien préalable à
une IVG. Mais nous aurons l'occasion de revenir sur ce point dans la suite du
débat.
Nous estimons fort regrettable l'attitude de la commission des affaires
sociales alors que, durant la discussion relative à la contraception d'urgence,
elle avait adopté une attitude constructive, que je tiens à souligner.
M. Neuwirth, je veux vous dire que le manque de moyens dans les hôpitaux ne
peut servir de prétexte pour refuser le délai de deux semaines
supplémentaires.
L'allongement du délai de deux semaines est, à court terme, la solution la
plus acceptable car, pour diminuer le nombre des avortements, il ne sert à rien
de les rendre plus difficiles réglementairement. Une femme qui désire avorter
le fait et le fera toujours, parfois en partant à l'étranger, parfois au risque
de sa vie. Il s'agit donc de diminuer le nombre de grossesses non désirées - 3
000 adolescentes dans notre pays ont un enfant sans l'avoir désiré - en
privilégiant la contraception, mais en offrant aussi la possibilité aux femmes,
en dernier recours, d'avorter, même tardivement, en toute connaissance, en
toute liberté et en toute sécurité, en donnant aussi la reconnaissance et les
moyens aux médecins qui pratiquent ces avortements.
Le texte issue des travaux de la commission des affaires sociales ne
correspond pas du tout à notre vision de l'évolution souhaitable du droit à
l'interruption volontaire de grossesse. Aussi, nous nous opposerons à
l'ensemble des amendements de nos collègues.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Vous êtes opposés à l'extension du délai de dix à douze semaines. En fait,
soyons clairs : sous prétexte que cette mesure ne règle pas tous les cas, vous
ne souhaitez pas éviter à deux, trois ou quatre milliers de femmes des moments
inutilement douloureux.
Si nous souhaitons, quant à nous, que ce délai soit allongé, c'est parce que
nous considérons notamment que, pour les femmes qui subissent une IVG avant la
fin du délai légal de dix semaines, les démarches se font dans la bousculade et
dans l'urgence. Qui subit cela ? Les femmes d'abord, les médecins ensuite.
Restent les problèmes techniques sur lesquels se cristallisent un certain
nombre de réserves, au moins publiquement, de la part de plusieurs médecins. On
sait que c'est un peu plus compliqué, un peu moins facile. Après dix semaines,
l'IVG nécessite une surveillance plus longue et une autre méthode, sans doute
une autre préparation, surtout pour les plus jeunes filles.
N'oublions pas que l'on dénombre des grossesses non désirées chez de très
jeunes filles, qui, vous l'avez d'ailleurs souligné, ne comprennent pas
toujours très bien ce qui leur arrive. Cela veut dire que l'éducation à
l'école, dans la famille, au lycée ne se fait pas. C'est grave ! C'est un
problème de santé. C'est un problème politique. Sur ce point, du moins, nous
sommes d'accord dans cet hémicycle !
Le texte s'adresse aussi à ces jeunes filles. Souvent, elles sont désemparées
et commencent avec retard les démarches pour l'IVG.
Le Comité national consultatif d'éthique récuse la thèse de l'eugénisme, dont
le risque est évoqué contre le passage de dix à douze semaines.
Vous n'êtes pas dans une démarche de reconnaissance d'un droit pour la femme.
A l'Assemblée nationale, notre collègue Marie-Thérèse Boisseau l'a dit
clairement : « C'est une demande antinaturelle qui ne correspond pas à un
droit, elle représente une réponse à une triste réalité. » Pourquoi les femmes
auraient-elles moins le sens de l'éthique que les hommes, que vous, messieurs
?
M. Hilaire Flandre.
Personne n'a jamais dit ça !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Elles n'avortent pas à cause d'un désir d'enfant parfait. Et même si une ou
deux le faisaient, on ne fait pas la loi pour un ou deux cas !
A dix semaines, on connaît déjà le sexe. Demain, avant dix semaines, on
décèlera des anomalies petites et/ou lourdes. Faudra-t-il alors réduire les
délais ? Ceux qui craignent de telles réactions chez les femmes ont-ils accès à
leur psychologie lorsqu'elles découvrent des anomalies chez leur foetus ? Il
s'agit d'imputations d'intention qui n'ont aucune valeur !
Les femmes sont en droit de protester quand on leur refuse le droit de
délibérer, de réfléchir et de prendre des décisions dont les raisons seront
jugées à l'échelle de toute leur vie et devant leur conscience.
Le pari de la démocratie moderne est de considérer que les capacités de
raisonnement et d'évaluation se développent lorsqu'on leur donne l'occasion de
s'exercer et qu'une assez grande diversité de points de vue est garantie. Cela
représente un idéal. Si l'on y souscrit, on peut être favorable à la
libéralisation de la loi actuelle sur l'avortement.
(Applaudissements sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Claude Huriet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le ministre, je pense que, contrairement à votre collègue, vous
accordez quelque crédibilité au document que je vous ai remis cette nuit. Il
fait apparaître des solutions et des attitudes qui, certes, sont contrastées,
mais qui devraient éclairer davantage le débat qui s'ouvre maintenant.
Nous ne prétendons pas, mes chers collègues, que l'allongement de la durée
légale d'interruption volontaire de grossesse réglera tout. Notre crainte est
non seulement qu'il ne réglera rien, mais qu'il aggravera peut-être même la
situation actuelle. Je vais m'en expliquer une nouvelle fois.
M. Raymond Courrière.
Ah non !
M. Claude Huriet.
Vous avez dit à l'instant, monsieur le ministre, qu'il appartiendrait au
Gouvernement de mettre en place les moyens nécessaires pour que les
interruptions tardives de grossesse puissent intervenir dans des conditions de
nature à satisfaire à ces besoins que nous ne contestons pas et qui
correspondent à des situations médicales et psychologiques souvent
dramatiques.
Le Gouvernement mettra donc, avez-vous dit, en place les moyens nécessaires.
Mais, monsieur le ministre, les moyens nécessaires, ce ne sont pas seulement
les moyens techniques, le plateau chirurgical, ce sont aussi les moyens
humains.
Or ces derniers sont d'ores et déjà insuffisants et chacun, quel que soit son
point de vue sur la suite du débat, est d'accord pour reconnaître qu'ils se
ressentent de la baisse de motivation des intervenants actuels par rapport aux
militants de la première heure en faveur des interruptions volontaires de
grossesse.
Ce n'est pas d'un coup de baguette magique que le Gouvernement pourra inverser
cette tendance démographique, d'ailleurs gravement préoccupante.
Il apparaît à l'évidence, mes chers collègues, que, pour pratiquer des
interrutions tardives, les compétences médicales et techniques ne s'improvisent
pas. On aura besoin de plus de gynécologues consentant à pratiquer ces gestes
chirurgicaux. On aura besoin de plus d'anesthésistes. Or ces besoins, vous le
savez bien, monsieur le ministre, ne pourront pas être immédiatement
satisfaits, ce qui signifie que si la loi, comme on peut le redouter, prolonge
le délai légal de deux semaines, pendant une période dont personne ne peut
préjuger la durée, la situation sera pire puisque des femmes, désormais
autorisées par la loi à recourir à des interruptions volontaires tardives,
constateront à leur grand regret, et au nôtre, que les moyens suffisants n'ont
pas été mis en place.
Nous courons aussi le risque, ce que mon questionnaire illustre maintes fois,
de démotiver les équipes actuelles qui, souvent, peinent à exercer cette tâche
difficile, ingrate et humainement parfois nécessaire qu'est l'interruption
volontaire de grossesse dans les conditions législatives légales actuelles.
Voilà les raisons pour lesquelles nous voterons l'amendement n° 2 de la
commission des affaires sociales.
M. Raymond Courrière.
Eh voilà ! Cela s'appelle un prétexte !
M. Charles Descours.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers confrères,...
Un sénateur socialiste.
Collègues !
M. Charles Descours.
Non ! Chers confrères !
M. Lucien Neuwirth.
Nous parlons aux médecins.
M. Charles Descours.
... s'il y a quelque chose que la médecine m'a appris, comme à Claude Huriet,
à Bernard Kouchner ou à Francis Giraud, c'est de ne pas porter de jugement sur
les personnes qui se présentent à nous. Quand nous voyons arriver un malade,
nous ne jugeons pas ce qu'il a fait. Nous sommes face à quelqu'un qui est en
détresse, qui a des difficultés de santé, psychiques, mentales ou organiques,
et nous essayons de le soulager. Dans ce débat, qui est un débat de société, je
voudrais que nous adoptions, comme ce fut le cas lorsque nous avons élaboré les
lois relatives à la bioéthique, le même point de vue. Certes, nous sommes de
droite ou de gauche, mais c'est l'écume des jours, comme aurait dit Boris Vian
!
Des hommes et des femmes sont confrontés au problème de la procréation comme
ils le sont depuis quelques centaines de milliers d'années. Ce n'est donc pas
par une loi ou une modification de la loi que nous allons régler ces problèmes,
qui sont des problèmes existentiels beaucoup plus importants que les partis
politiques auxquels nous appartenons ! Nous nous efforçons, les uns et les
autres, de réfléchir à la façon de répondre aux questions des femmes qui, dans
le cas d'une grossesse non désirée, se présentent à des médecins.
Je voudrais rappeler, pour qu'il n'y ait pas d'anathème, que la loi Veil a été
discutée puis réexaminée sous des gouvernements de droite. Merci donc à nos
collègues de gauche de ne pas nous donner de leçons !
M. Raymond Courrière.
Cela vous a été imposé !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Grâce à l'appui de la gauche !
M. Charles Descours.
Attendez ! Le Premier ministre, le ministre de la santé étaient de droite !
Dans quelques années, on nous expliquera que c'est nous qui avons fait les 35
heures !
(Rires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Cela ne m'étonnerait pas !
M. Charles Descours.
Ecoutez, il y avait un Président de la République, qui était M. Giscard
d'Estaing, un Premier ministre, qui était Jacques Chirac, puis Raymond Barre,
un ministre de la santé, qui était Mme Veil puisJacques Barrot !
Mme Hélène Luc.
Eh oui, c'est vrai ! Mais votre majorité n'a pas voté à l'unanimité ! Vous ne
voulez pas l'entendre dire ; c'est pourtant vrai !
M. Charles Descours.
Permettez-moi de souligner qu'il s'agit d'hommes et de femmes qui étaient de
droite à l'époque, et qui le sont toujours ! Par conséquent, arrêtez de nous
donner des leçons !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
Aujourd'hui, que constatons-nous ? Plus de 200 000 interruptions volontaires
de grossesse ! Nous en sommes tous d'accord.
Nous avons un échec collectif à assumer. Je vous rappelle en effet que, depuis
1981, chers collègues, vous avez été au pouvoir plus souvent que nous ; vous
avez donc au moins autant de responsabilités que nous en la matière. Si nous
enregistrons aujourd'hui 214 000 IVG, c'est autant la faute de la gauche que de
la droite.
Mme Hélène Luc.
Tout le monde a sa responsabilité !
M. Charles Descours.
Je veux bien que les médecins, dont je suis, portent une responsabilité
particulière et que le corps médical n'ait pas fait ce qu'il fallait pour
prendre en charge ce problème, pour des raisons diverses et variées, notamment
dans les hôpitaux, et j'y étais.
Quant à l'éducation nationale, cela a été l'un de ses multiples échecs, et il
n'est pas la peine d'en rajouter. Probablement, nous en sommes tous
coupables,...
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Charles Descours.
... notre société est coupable.
Pourquoi avons-nous échoué, en France, là où d'autres pays ont réussi ? Le
fait est là. Arrêtons donc au moins de nous jeter des statistiques à la tête
comme si nous n'étions pas tous coupables dans cette affaire !
Moi, je crois que ce qu'a dit notre collègue Claude Huriet est absolument
capital. Nous nous sommes efforcés, notamment notre rapporteur, le professeur
Francis Giraud, et beaucoup d'intervenants dans la discussion générale hier,
d'éviter de déraper sur le terrain idéologique. Oui, aujourd'hui, nous
constatons un échec de l'IVG et de la contraception. Bien sûr, des mesures
ponctuelles pourraient être prises pour améliorer la situation, notamment pour
que les contraceptifs soient remboursés convenablement et que les pilules
mini-dosées ne soient pas moins remboursées que les pilules maxi-dosées, sauf à
créer un véritable déni de soins pour les femmes qui recourent à ces moyens
contraceptifs. Mais, comme le révèle l'enquête de Claude Huriet, des personnes
qui ont été des militants de l'IVG entre 1968 et 1970, et qui aujourd'hui
approchent de l'âge de la retraite sont inquiètes, nous l'avons tous constaté
dans nos départements, à l'idée de devoir prendre en charge, avec les moyens
médicaux qui sont les leurs, des interruptions volontaires de grossesse à dix
semaines parce que, techniquement, l'acte est non seulement plus compliqué,
mais aussi plus risqué.
Comment faut-il évaluer les risques supplémentaires ? Sont-ils importants ou
faibles ? Chacun dira ce qu'il voudra à ce sujet, mais ce n'est pas rationnel.
L'Académie nationale de médecine, dans son avis que je rappelais hier à la
tribune, a insisté sur ces risques supplémentaires qui nécessitent un
environnement particulier dont les centres d'orthogénie ne disposent pas
toujours compte tenu des moyens qui leurs sont offerts.
Dans l'état actuel des choses, je pense sincèrement qu'il est maladroit de
qualifier ce projet de loi d'abord d'interruption volontaire de grossesse puis
de contraception. L'habileté, en tout cas le bon ordre des choses, aurait été
d'inverser ces termes. Je suivrai donc M. le rapporteur et la majorité de mon
groupe, mais il ne s'agit pas pour nous de remettre en cause la loi Veil.
M. Raymond Courrière.
Arrêtez vos arguties !
M. Charles Descours.
Francis Giraud l'a bien dit hier : la loi Veil, c'est la loi. Il ne s'agit pas
de la remettre en cause.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vous ne pourriez pas le faire, même si vous le vouliez !
M. Raymond Courrière.
Heureusement !
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Descours.
M. Charles Descours.
J'attends que cessent les interruptions.
M. le président.
Vos collègues n'ont pas à vous interrompre.
M. Charles Descours.
C'est pourtant bien le cas !
Il est facile de faire de l'idéologie ! Je rappelle que les militantes de
cette grande cause dont on parle ont, pour la plupart, accès au savoir et à la
contraception. Mais nous avons tous connu, dans notre pratique médicale, des
femmes qui ont subi trois ou quatre IVG parce qu'elles n'avaient pas eu une
information correcte sur la contraception. Qu'un médecin qui siège dans cet
hémicycle, sur quelque banc que ce soit, m'explique qu'il n'a jamais vu de
femmes subir trois ou quatre IVG parce qu'elles n'avaient pas été prises en
charge correctement !
Aussi, lorsque j'entends dire qu'il faut abandonner l'entretien préalable sous
je ne sais quel prétexte idéologique, je réponds que c'est un luxe de femmes
qui savent, mais qu'il y a des milliers de femmes qui ne savent pas, or c'est à
elles aussi qu'il faut penser !
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière.
C'est le Moyen Age !
M. Serge Lagauche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Je voudrais rappeler à M. Descours que si l'on trouvait, à l'époque de
l'examen de la loi Veil, de nombreux militants progressistes dans les rues, on
comptait aussi beaucoup de gens de droite opposés à ce texte ! Si la discussion
avait lieu aujourd'hui, je ne sais pas si M. Carle, ou M. Chérioux feraient
partie de ceux qui l'adopteraient avec enthousiasme.
M. Raymond Courrière.
Bravo !
M. Charles Descours.
Ce sont des procès d'intention !
M. Jean Chérioux.
Mais qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs, je voudrais
répondre à Mme Luc et à Mme Dieulangard et, si vous me le permettez, revenir
strictement au texte qui nous est soumis.
L'article 2 de ce projet de la loi vise à allonger de dix à douze semaines le
délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Je me dois
de rappeler que, pour justifier cette mesure, le Gouvernement invoque le
problème, réel, des femmes qui partent pour l'étranger.
Mme Odette Terrade.
Elles sont 5 000 chaque année !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Si cette proposition est susceptible de diminuer de moitié le
nombre de ces femmes, elle ne résout en rien le sort de celles qui ont d'ores
et déjà dépassé le stade de douze semaines !
Quand on propose une mesure, autant qu'elle soit efficace et qu'elle s'adresse
à tous !
M. Jean Clouet.
Très bien!
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Je soulignerai un second point.
La médecine et, j'allais dire, la physiologie, le développement de la vie
depuis la conception jusqu'à la mort ne sont soumis à l'heure actuelle ni aux
modes, ni aux idéologies, ni aux majorités politiques...
Mme Hélène Luc.
Vous en faites, vous, de l'idéologie !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Dire qu'il y a une différence formelle entre un délai de dix
semaines et un délai de douze semaines relève du domaine de l'anatomie, de
l'embryologie mais non de la philosophie ou de la morale.
La commission des affaires sociales quant à elle, avec bon sens, fondant sa
position sur le souci de protéger la santé des femmes, s'oppose au dépassement
de délai de deux semaines qui est proposé.
Premièrement, ce dépassement ne réglera pas la situation des femmes qui auront
dépassé ce délai supplémentaire.
Deuxièmement, les conditions changeant, les conséquences seront bien
évidemment modifiées : les risques seront accrus. Bien entendu, sur ce point,
chacun donne son opinion, maximaliste ou minimaliste. Nous avons tout de même
entendu en commission des personnes, y compris des médecins, je dois le dire,
nous déclarer qu'il n'y avait aucune différence entre les deux délais ! C'est
vraiment nier la réalité des choses.
Notre position se veut raisonnable et présente l'avantage - nous le verrons
tout à l'heure - de se préoccuper, certes dans des conditions qui ne peuvent
recueillir l'assentiment général, de toutes les femmes qui auront dépassé le
délai de dix semaines.
Pour l'ensemble de ces raisons d'ordre essentiellement médical et de bon sens,
nous persistons dans notre position et nous proposons au Sénat de supprimer
l'article 1er.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, tout se joue dans ce choix entre dix semaines ou douze.
Je le répète, et M. Blanc l'a dit hier lui-même avec beaucoup de simplicité et
de force : y a-t-il un problème moral à allonger le délai de l'interruption
volontaire de grossesse de dix à douze semaines ? Non.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Non.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Hier soir, nous étions tous d'accord sur un point : il
n'y en a pas.
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est évident !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Y a-t-il un problème médical à allonger ce délai de dix
à douze semaines ? Non, il n'y en a pas.
Y a-t-il un problème technique ?
M. Claude Huriet.
Oui !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Oui, monsieur Huriet, il y en a un, et j'ai lu avec
attention les documents que vous m'avez remis. J'y reviendrai lorsque j'aurai
terminé la première partie de mon exposé.
Lorsque le Sénat aura voté le retour à dix semaines, nous accepterons bien sûr
de débattre des propositions de la commission mais tout sera dit ; la messe
sera dite, si vous me permettez cette expression !
Vous avez fait référence à la loi Veil, messieurs. J'ai parlé récemment avec
Simone Veil, qui m'a déclaré qu'en 1975 le débat était le même, entre des
personnes de progrès et des partisans de l'immobilisme.
Certes, en l'occurrence, ce progrès ne fait plaisir à personne, et ne croyez
pas que nous pensions trouver une solution au malheur des femmes isolées ou au
problème plus général de l'éducation sexuelle ou de la contraception en
allongeant le délai autorisé pour l'interruption volontaire de grossesse. Ce
n'est pas notre propos.
En fait, nous sommes obligés d'agir à cause de la situation de certaines
femmes qu'il faut aider et ne pas pousser à aller en Hollande ou en
Angleterre.
Certes, il faut continuer à essayer de réduire - nous sommes tout à fait
d'accord sur ce point - le nombre des avortements, qui est excessif dans notre
pays - 220 000 - on ne comprend pas pourquoi !
Quoi qu'il en soit, voter ou non l'article 1er, c'est soit essayer d'avancer,
soit rester stationnaire - je n'ai pas dit reculer.
Monsieur Huriet, j'en viens à ce que vous proposez.
Certes, entre dix et douze semaines, il y a des différences techniques, dont
il faut tenir compte. Mais, à l'appui de votre thèse, ne retenez pas
l'argument, mauvais aux yeux du Gouvernement, que nous allons accabler un
système qui ne fonctionne déjà pas bien.
Il n'y aurait pas assez de volontaires... Mais qui sont ces volontaires ? Des
médecins de ville, des militants, ceux qui justement depuis le début
accompagnent les progrès, car ce ne sont pas les médecins qui ont « pignon sur
hôpital » qui se consacrent à ces activités que l'on néglige un peu.
Considérez les chiffres que nous avons donnés : 5 000 avortements ; cela fait
treize avortements par jour, c'est-à-dire 90 par semaine, dont il faut tenir
compte en termes de précautions supplémentaires. Ces avortements seront
pratiqués entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, avec les
précautions médicales et chirurgicales nécessaires. Répartis sur les 95
départements, cela fait un avortement par département dont la gravité
éventuelle devra être prise en compte !
Croyez-vous vraiment qu'avec le système existant, qui n'est pas parfait, j'en
conviens - il est même mauvais - on ne puisse pas assumer cette charge ? Si
l'on avait réagi comme vous, au moment du vote de la loi Veil, que serait-il
arrivé ? Vous en parlez beaucoup de cette loi, or - et là je m'adresse à
Charles Descours en toute amitié - si l'on se remémore un peu les débats de
1975, on se rappelle qu'il y avait bien sûr une majorité dans la majorité pour
soutenir Simone Veil, mais je me souviens aussi de cette fameuse photo de Mme
Veil, accablée par les sarcasmes, voire les insultes. En tout cas, il n'y a pas
eu de conflit à l'intérieur de la gauche, qui, elle, a voté massivement. Oui,
c'était déjà un débat de société, entre le conformisme et le progrès.
Souvenons-nous en !
En tout cas, monsieur Huriet, à ce moment-là, en 1975, aucun moyen n'était
disponible ; il a fallu tout inventer et cela ne vous a pas empêché, vous-même,
de voter cette loi.
Aujourd'hui, il faut développer les moyens existants et ne pas, sous le
prétexte qu'ils sont insuffisants techniquement, refuser un progrès. Si l'on
raisonnait ainsi, on ne ferait plus jamais rien : il faudrait attendre d'avoir
construit un système destiné à l'application d'une loi pour faire voter cette
dernière !
Je le répète, il s'agit d'un débat entre le progrès et le conformisme.
M. Claude Huriet.
La prudence !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
S'il s'agissait de prudence, je pourrais partager ce
sentiment ; le conformisme, lui, je ne peux l'approuver.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Principe de précaution
!
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 2 et 58, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme Hélène Luc.
Il n'y a pas beaucoup de femmes à droite !
M. Claude Huriet.
Cela viendra !
M. Raymond Courrière.
Obscurantisme !
M. Jean Chérioux.
Réflexion injuste !
M. le président.
En conséquence, l'article 1er est supprimé et l'amendement n° 23 n'a plus
d'objet.
Article additionnel avant l'article 2