SEANCE DU 25 JANVIER 2001
M. le président.
La parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion.
Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à la famille et à
l'enfance.
Le 26 juillet dernier, le Gouvernement a annoncé un plan d'actions en cinq
axes en faveur de l'aide sociale à l'enfance.
Ces cinq axes sont les suivants : développer la prévention et la promotion
familiale, renforcer la coordination des signalements, améliorer et diversifier
la prise en charge, garantir le droit à l'expression des familles usagers de
l'aide sociale à l'enfance, enfin, mieux connaître et mieux évaluer.
Ce plan d'action s'appuie sur les constats de l'inspection générale des
affaires sociales et de l'inspection générale des services judiciaires, qui, au
mois de juin dernier, ont remis un rapport conjoint sur les placements, à Mme
la garde des sceaux, à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et à
vous-même, madame la ministre.
Si nous saluons l'engagement de l'Etat et ses initiatives en matière de
prévention et de protection de l'enfance, nous avons quelques inquiétudes quant
à l'articulation de l'action gouvernementale avec celle des conseils
généraux.
La prévention et la protection de l'enfance demandent effectivement un effort
de synergie considérable tant au niveau horizontal - entre le ministère de la
justice, le ministère de l'emploi et de la solidarité et le ministère de
l'enfance et de la famille - qu'au niveau vertical - j'entends par là la
répartition des compétences entre l'Etat et les conseils généraux dans ce
domaine.
L'amélioration et la diversification de la prise en charge ne peuvent en effet
se concevoir que si l'on envisage les problématiques sous une approche globale,
en intégrant l'ensemble des facteurs éducatifs, médicaux et psychologiques du
parcours des jeunes et des familles.
Ainsi, et à titre d'exemple, la prévention ne peut se développer avec les
seuls appuis éducatifs et sociaux des départements alors même que l'on constate
chez les jeunes des troubles psychologiques graves, demandant une réponse
médicale et/ou thérapeutique qui sollicite l'intervention d'un réseau de
partenaires extérieurs, notamment les services de soins en milieu ouvert.
Or, un département, s'il peut préconiser un certain nombre de mesures et de
réseaux à constituer, n'a toutefois pas la maîtrise, ni même la capacité, de
l'infléchissement d'une politique de soins en la matière, au regard de ses
compétences légales.
Si le projet de circulaire interministérielle actuellement en cours de
rédaction préconise une coordination des services déconcentrés de l'Etat en
matière de prévention et de protection de l'enfance, la perspective de moyens
supplémentaires en termes de réponses soignantes ne semble pas compléter de
manière lisible les recommandations qui sont initiées.
Madame la ministre, pouvez-vous donc nous dire où en est le Gouvernement dans
la mise en oeuvre de ce plan d'actions et comment vous entendez articuler votre
action avec celles des conseils généraux, puisque l'aide sociale à l'enfance
est une compétence décentralisée ?
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille et à l'enfance.
Madame la sénatrice,
depuis que j'ai en charge la famille et l'enfance, j'ai eu à coeur de traiter
cette question tout à fait importante de l'aide sociale à l'enfance.
L'aide sociale à l'enfance est effectivement une compétence décentralisée -
c'est même le premier poste budgétaire de l'aide sociale des conseils généraux,
avec le handicap et les personnes âgées.
Beaucoup d'avancées ont été réalisées en ce domaine depuis la
décentralisation, notamment en matière de dépistage de la maltraitance, de
modernisation des établissements - la réforme à venir de la loi de 1975 nous
permettra, dans quelques jours, de dresser un bilan - de professionnalisation
des familles d'accueil, etc.
Mais certaines difficultés subsistent. On relève, notamment, de grandes
inégalités d'un département à l'autre. Ainsi, un département sur deux n'a pas
encore mis en place le schéma départemental de l'enfance, en dépit de
l'obligation faite par le législateur en 1986.
Par ailleurs - c'est l'un des enseignements importants du rapport de
l'inspection générale que vous évoquez - le public de l'aide sociale à
l'enfance reste très majoritairement issu des familles pauvres. Autrement dit,
la plupart des enfants placés, pour ne pas dire la quasi-totalité, sont issus
des familles défavorisées.
Cela pose d'ailleurs la question d'une meilleure utilisation des outils de
prévention en faveur des familles, afin d'être en mesure de mobiliser très en
amont les dispositifs pour les aider à retrouver sécurité économique,
affective, éducative, pour les épauler sans les disqualifier. Je considère en
effet - c'est ma ligne de conduite - que les familles pauvres ne sont pas de
pauvres familles et qu'elles ont tout autant envie que les autres de réussir
l'éducation de leurs enfants.
Or, les dépenses d'aide sociale à l'enfance des conseils généraux demeurent
absorbées à 75 % par les placements. Nous comptons aujourd'hui, dans notre
pays, 150 000 enfants placés, retirés de leur famille, et cela coûte beaucoup
plus cher aux conseils généraux que des politiques de prévention, qu'ensemble,
Etat et départements, nous pourrions développer plus profondément. Car l'heure
n'est plus à se rejeter les responsabilités ; il nous faut travailler mieux
ensemble.
M. Jean-Jacques Hyest.
Et les juges !
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Précisément, j'y viens.
Dans quelques jours, sera diffusée à l'ensemble des préfets, devant lesquels
je me suis rendue, une importante instruction interministérielle leur demandant
d'assumer les responsabilités de l'Etat dans le domaine de la protection de
l'enfance, en mettant en place, dans chaque département, un groupe
départemental de protection de l'enfance...
M. Alain Gournac.
Toujours des groupes, des tables rondes !
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
... rassemblant tous les services de l'Etat concernés
par la protection de l'enfance, en y associant, bien évidemment, le président
du conseil général et les services départementaux.
Le préfet pourra ainsi réunir les services de la justice, de l'éducation, de
la police, de la santé, de la psychiatrie, pour que le signalement et la
détection des enfants en danger se fassent de façon beaucoup plus coordonnée
entre les différents services.
Il devrait en résulter une baisse du nombre de placements, et donc une
meilleure utilisation des fonds publics, qu'ils soient départementaux ou
nationaux.
La circulaire a été négociée et discutée très attentivement par mes soins avec
l'Assemblée des départements de France, parce que je considère que,
précisément, le conseil général et les services de l'Etat peuvent davantage
travailler en commun pour diminuer le nombre de placements.
J'aurai l'occasion, au mois de septembre prochain, lors des états généraux de
la protection de l'enfance - les départements seront associés à leur
préparation - de proposer à un certain nombre de départements, à titre
expérimental, de s'engager à diviser par deux le nombre d'enfants placés, afin
de voir concrètement, de façon opérationnelle, comment on pourrait arriver au
même résultat à l'échelon national, pour qu'il n'y ait plus, dans notre pays,
150 000 enfants retirés à leur famille.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
INSÉCURITÉ